un village et son double manuel d’urbanisme
Paris 2024
Dominique Perrault
Jeux Olympiques et Paralympiques
un village et son double Manuel d’urbanisme
Paris 2024
Dominique Perrault
Sommaire
Avertissement
Les acteurs
Entretien d’ouverture
La proposition: Le Village des Athlètes
Les ambitions: Les 13 points de la conception
du Village Olympique et Paralympique
1 Ancrage territorial
2 Identité urbaine
3 La ville réversible
4-5 Climat 2050
La maîtrise du bilan carbone
6 Energie et productivité en ville
7 Mobilité et accessibilité universelle
8 L’eau et le sol
9 Biodiversité dans l’espace urbain
Sport en ville
Mobilier et éclairage 2050
Architecture chorale 13 Le cœur du cœur Texte de clôture
Ce manuel rassemble toute la documentation produite entre 2018 et 2020 et remise à la Société de livraison des ouvrages olympiques (SOLIDEO) dans le cadre du contrat de maîtrise d’œuvre urbaine dont Dominique Perrault Architecture a été le mandataire.
Si l’idée de lui donner la forme d’un manuel d’urbanisme a prévalu, c’est précisément parce que la richesse et la diversité des documents présentés vont au-delà des pièces communément admises en urbanisme. Je souhaitais donner à voir le travail sensible qui nourrit la fabrication d’un quartier olympique. C’est le making of d’un atelier d’urbanisme, lieu de convergence de la trentaine de concepteurs / constructeurs qui allaient bâtir le Village des Athlètes. Cet ouvrage a pour vocation de rendre disponible au plus grand nombre les fruits d’un processus original de conception urbaine au cœur du Grand Paris en mouvement.
J’aimerais qu’on en retienne que ce qui est encore possible a autant de valeur que ce qui est réalisé. C’est une invitation à nous projeter « au-delà », dans l’héritage de l’événement olympique, non pas comme un leg mais comme un don. C’est à la fois un vœu et un pari.
Dominique Perrault
Comité d'Organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques d'été de 2024
Ateliers Scientifiques
Delegation interministérielle aux Jeux Olympiques et Paralympiques
SGP
Société du Grand Paris
RTE
Gestionnaire du Réseau de Transport d'Electricité
Lavigne et Chéron
Philippon-Kalt
Artelia
CIO
Comité International Olympique
Groupement HYSPLEX AMO Développement Durable
SOLIDEO MAITRISE D’OUVRAGE
Société de livraison des ouvrages olympiques
PARIS 2024
Ville de Paris
Métropole du Grand
Paris
Comité Départemental de Seine-Saint-Denis Région Ilede-France
CD93
Ville de Saint-Denis
Ville de Saint-Ouen-sur-Sein
Ville de L’Ile-Saint-Denis
Etablissement public territorial Plaine Commune
Brigitte Philippon et Jean Kalt
Urbanistes mandataires
Chartier Dalix MG-AU
Hardel - le Bihan Nebbia
PPX
Gaëtan le Penhuel
Fabrice Commerçon
N’Doye
NZI
GROUPEMENT
PICHET LEGENDRE
EGA
Lavigne et Chéron
Philippon-Kalt
Artelia
AEU
Atelier d’écologie urbaine Inddigo
Développement durable
Martin Duplantier
Farid Azib
AAVP
NP2F
Inuits et HBLA
Paysagiste OGI
VRD
SEM Plaine Commune
Développement
Ecologie et Paysage
Agence TER
Paysage
Dominique Perrault
Une Fabrique de la Ville Urbanisme - Programmation
Ingérop
Jean-Paul Lamoureux
Eclairage et Acoustique
Gaëlle Lauriot-Prévost
Design / Signalétique
Françoise Folacci
Accessibilité
Concessionnaires
Denis Thélot
Sécurité
#11# L’ÉQUIPE
UNE ÉQUIPE DE TRAVAIL AU SERVICE DU VILLAGE OLYMPIQUE ET PARALYMPIQUE
Les Jeux Olympiques de Paris sont un événement sportif, médiatique et touristique exceptionnel. Paris accueillera en 2024 les délégations de plus de 200 pays, 10 500 athlètes olympiques et 4 300 athlètes paralympiques. Accueillir cet événement d’envergure planétaire et concevoir le futur village représentent un défi considérable.
Dans une vision commune de la Métropole et par une complémentarité d’expertises confirmées, l’équipe de Maîtrise d’Œuvre Urbaine est fortement mobilisée pour accompagner la SOLIDEO et l’ensemble des collectivités concernées en vue de réussir un défi rare sur le territoire métropolitain : construire en 73 mois un morceau de ville vers lequel les regards de 4 milliards de téléspectateurs seront tournés et qui constituera, pendant la phase Héritage un quartier de référence ancré sur son territoire. L’équipe regroupe des structures confirmées, à l’expérience opérationnelle avérée, et dont les capacités de production sont adaptées aux dynamiques d’un projet d’une telle importance.
#13# L’ÉQUIPE
LES ATELIERS VILLAGE
Afin d’assurer la bonne cohérence du projet urbain, le groupement DPA / Une Fabrique de la Ville / TER avec l’appui d’INGEROP, a souhaité faire du processus de fabrication de la ville un élément déterminant de sa conception.
Les temps d’échanges communs entre les différentes maîtrises d’œuvre sont, à ce titre, indispensables pour assurer la définition d’une écriture cohérente et éviter un effet de “catalogue” d’architectures décontextualisées pour ce nouveau quartier qui sortira de terre en moins de 3 ans.
Fait exceptionnel pour un projet urbain d’une telle ampleur en Europe, la mise en œuvre du Village des Athlètes est concentrée en un temps extrêmement court, deux à trois fois moindre que dans les opérations d’aménagement habituelles.
Une démarche intense de « workshops » a ainsi guidé toute la phase de consultation des groupements sur les secteurs D et E, et d’échanges avec les équipes en charge des secteurs A et B. Cette démarche itérative s’est poursuivie et accélérée dans la phase de mise au point des projets lauréats.
#15# L’ÉQUIPE
LES ATELIERS VILLAGE
Concevoir et réaliser un quartier : un travail collectif!
Photographies des ateliers village avec les concepteurs, la SOLIDEO, et les maîtrises d’ouvrages lors des workshops et des réunions échantillons.
Entretien d’ouverture
conversation entre Frédéric Prot _historien
Dominique Perrault _urbaniste
Fréderic Prot : Vous êtes le concepteur du Village des Athlètes des prochains Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris. De votre mission, vous tirez un manuel d’urbanisme.
Dominique Perrault : Oui mais sans l’intention de tenir un propos magistral. Ce manuel déploie la richesse d’un vaste projet d’urbanisme. À travers un ensemble de dessins, de photographies, de maquettes, de cartes, de collages, de visuels, de morceaux de texte ; tout un arsenal de dispositifs de représentation de la ville. Chacun va pouvoir découvrir mille façons d’écrire la ville et c’est cette matière que je veux mettre à la disposition de tous.
FP : L’idée d’un manuel et non d’une monographie me semble liée au sens que vous donnez à la notion d’ « héritage », mise en exergue par le comité d’organisation des Jeux de Paris 2024 et le maître d’ouvrage, la Solidéo. Ce terme d’héritage est d’une redoutable polysémie : on l’associera tantôt à l’inertie d’un legs, tantôt à la dynamicité d’une transmission. C’est, en effet, à la fin des olympiades que tout va commencer, que s’enclenchera la transformation décisive du Village. Au terme d’une étape d’à peu près deux ans, le Grand Paris recevra le véritable héritage des Jeux : un nouveau quartier connecté, intégré et mixte.
Le Village Olympique est programmé pour pivoter sur son axe et muter. Son avenir, ditesvous, est « au-delà de lui-même », au-delà des Jeux et au-delà son enceinte.
DP : Ce livre participe d’une compréhension de la ville et de sa fabrication dont les Jeux viennent accélérer le processus.
FP : Votre manuel d’urbanisme rassemble le matériau collecté et élaboré pour ce projet. Un matériau vivifiant, je dirais, et non pas une archive documentaire. En ce sens, je vois l’ouvrage comme une banque de données et un exemple de méthodologie appliquée pour tous ceux qui cherchent à savoir comment se conçoit un nouveau territoire, un morceau de ville.
DP : Les documents d’urbanisme sont, en général, arides et tournent vite à un corpus réglementaire assez technocratique destiné à planifier la ville. Ils en produisent une représentation qui manque sa dimension sensible. Ce qui me paraît tout à fait passionnant dans ce manuel, c’est qu’à travers ses pages on entre dans un espace immersif de création, de liberté et de perception.
Son appareil visuel, les modalités de représentation qu’il démultiplie vont permettre de partager la façon dont nous avons travaillé, les tensions géographiques, urbaines et métropolitaines du quartier.
FP : On accède ici à une matière pour la pensée, à des hypothèses, des possibilités d’attitude vis-à-vis du site, à la variété de ses programmes d’aménagement, à son architecture. Le livre est un support imaginatif et constructif stimulant. Une
sorte d’ouvroir d’urbanisme potentiel qui part d’une lecture précise d’un lieu, de son histoire, de sa géographie. Il n’y a pas de lieux maudits, aimez-vous à dire.
DP : Conduire une recherche, c’est élaborer des faisceaux d’hypothèses qui vont vivre plus ou moins longtemps. Des hypothèses liées et confrontées les unes aux autres. Travailler de cette façon est une force parce que c’est une approche holistique ; tout se nourrit de tout. On produit une matière critique que l’on va faire évoluer, adapter et transposer. On est là dans un procès intellectuel. Tout ce qui est conçu de façon intuitive ou raisonnée est relu, réécrit, réinterprété pour faire naître une œuvre.
FP : Ce manuel fait entrer dans la matière vivante d’un travail d’agence.
DP : Il s’agit de montrer que la production de ce type d’objet, en l’occurrence un « Village » olympique réversible en quartier métropolitain, est un travail artistique, culturel et sensible.
FP : Cela tient aussi du making-of.
DP : Dans la préparation d’un film, il y a toujours beaucoup de rushes. La métaphore cinématographique est assez juste. Il est question d’images dynamiques et de montage. C’est pour cela que le format de ce manuel, sa maquette, se prête à l’intention qui nous a animés. Chacun est invité à s’en emparer à sa façon. En général, un plan
d’urbanisme se résume à un plan masse en vue aérienne et à des coupes de définition des hauteurs de bâtiments. Ce n’est pas comme cela que nous travaillons. Nous réalisons des esquisses, des maquettes, nous testons nos idées pour définir le projet qui réponde le mieux à la question posée.
L’urbanisme doit susciter des transformations, l’installation de nouvelles populations, l’implantation de nouvelles économies. C’est alors qu’il s’inscrit dans la vie.
FP : Ce livre est une data. Il collecte un matériau informatif et créatif, au service de la conception d’un territoire. À partir de cette recherche débute un travail d’assemblage et de métabolisation.
DP : Des développements s’opèrent sous forme d’arborescences. C’est quelque chose d’assez jubilatoire, même si c’est un travail accaparant puisque que ce sont des milliers de documents qu’il a fallu constituer, synthétiser et relier dans un délai d’études considérablement réduit.
FP : L’opération de fictionnalisation d’un site, en amont d’un projet d’urbanisme, entre dans la compréhension géographique d’un lieu. Je pense à l’étude d’aménagement que vous avez conduite dans les années 1990, à Caen, sur l’ancien site de la Société Métallurgique de Normandie.
Réaménagement
du site Unimetal
Caen, France
Études urbaines et d’assistance à maitrise d’ouvrage, concours international, 1994-1997.
L’enjeu est ici plus géographique qu’historique. La disparition d’une richesse telle que la Société métallurgique de Normandie peut générer de nouveaux apports qui
donneraient de la nature à la ville. Identifier les richesses ou les potentialités du lieu, et à partir de là, définir ce que pourrait être l’avenir. Le long de l’Orne, une large avenue plantée d’arbres n’attend plus que d’être bordée par la continuité d’immeubles de ville. Sur le plateau, les traces des anciens équipements de la SMN guident et préfigurent les lignes qui entrecroisent campagne et urbanisation. Au sommet de la vallée, le tracé d’une ancienne route qui traversait l’usine ne demande
qu’à être relié aux quartiers voisins. Tenter de tirer de chaque lieu ce qu’il a de plus essentiel. Concevoir un projet d’envergure qui mêle les différentes activités et qui puisse introduire d’autres relation avec la nature. La relation entre le plateau et la vallée mérite protection, égard et développement. Le problème n’est pas absence, mais surabondance de terrain. Le projet d’une mise en valeur de la ville s’étend aux rives et aux coteaux, et, par là même, au site tout entier.
Il s’agissait de relier nature et architecture, de repenser la polarité entre la vallée de l’Orne et le plateau d’aciérie, de revoir le système de liaisons, le tracé, de rebrancher le site aux quartiers avoisinants. Il y avait déjà là quelques-unes des problématiques du Village des Athlètes.
DP : Dans des dimensions autres, puisque le site s’étendait sur 200 hectares, soit quatre fois la surface du Village. Nous avions cherché à en révéler le plus essentiel, à travers, par exemple, des collages.
Ils montraient de quelle façon en faisant sortir l’Orne de son lit, pouvait s’opérer une réconciliation entre la nature et l’ancien plateau industriel. Ces fictions exprimaient une stratégie, une attitude face au site.
FP : Il y a là un positionnement qui interroge le rapport entre urbanisme et architecture.
DP : C’est un point important. Je dirais que pour pouvoir définir et écrire un plan d’urbanisme, il faut être architecte pour intégrer et mettre en place les dispositifs architecturaux d’un plan urbain. La conception du Village se situe dans cette médiation disciplinaire.
Je parlerais d’un urbanisme déclencheur que seul un architecte peut mettre en œuvre. C’est dans cette articulation que peuvent être préfigurés des objets de grande échelle, comme cherche à le montrer ce livre.
FP : Les fictions d’aménagement sont des pièces décisives dans la représentation que l’on se fait des dimensions d’un site.
DP : Les récits que nous imaginons sont des outils pour comprendre le « terrain de jeu » qui est le nôtre. Le fait, par exemple, d’« inonder » la vallée de l’Orne est un geste de géographe. La vallée est le pendant du plateau où s’est implanté Unimétal. Elle a un rôle dans le récit général et dans la façon de spécifier le site. Notre manuel d’urbanisme montre de quelle façon s’élabore la figure globale d’un projet. On ne peut pas se lancer dans la programmation de centaines de logements sans les avoir préfigurés, surtout dans l’étroitesse des délais qui sont imposés pour le chantier du Village. À ceux qui vont construire ce parc immobilier, il faut transmettre des gabarits, définir des volumes et des positions afin qu’ils puissent développer leurs architectures et leurs paysages dans une pluralité libre. C’est un urbanisme véritablement créatif.
FP : Plus que la valorisation d’un foncier et d’un bâti, plus que la réhabilitation d’espaces, l’enjeu du Village est le renouvellement d’un site. Il ne s’agit pas de le réinitialiser, de procéder à un reset en partant de la page blanche mais de le réinscrire au sein d’un territoire de liaisons et dans une autre syntaxe. Cette réactivation, je la vois comme un travail de ré-accolement du lieu à son histoire, à sa topographie, à sa grande géographie, à ses paysages. On peut dire, alors, que tel qu’en lui-même, l’urbanisme architectural le change.
DP : L’esprit de la candidature olympique était de faire de la Seine le fil conducteur, l’élément fédérateur des différents projets. Le Village en est l’une des principales révélations. Il n’y avait plus aucun rapport avec le fleuve. Tout était bétonné. Où était la Seine ? L’entaille de la RD1 a coupé ses berges de l’ensemble du complexe bâti perpendiculairement au fleuve. C’est encore toujours le cas, hélas.
La topographie, elle aussi, était devenue illisible. L’infrastructure industrielle avait aplani le relief. Elle l’avait gommé. Nous l’avons fait ré-affleurer.
De la gare-colline de Saint-Denis–Pleyel que l’architecte Kengo Kuma est en train de construire jusqu’aux bords de Seine, il y a un dénivelé d’une quinzaine de mètres. Cette déclivité constitue le terrain naturel. Ce sont les retrouvailles avec le fleuve et le sol originel. On « descend » vers la Seine. J’ai donc travaillé des perspectives invitantes, en pente douce, comme le mail Finot qui est un des éléments majeurs du plan urbain, avec sa forme étagée, évasée et végétalisée. De même avec l’allée de Seine. Le travail mis en place a donc visé l’apaisement. Pour redessiner ce territoire, il a fallu reconfigurer le foncier.
FP : Le Village répare un lien disloqué en s’ouvrant sur le grand paysage fluvial. C’est un important enjeu métropolitain. Réanimer le fleuve dans tout l’imaginaire francilien. Épanouir sa visibilité et son
accessibilité. Agrémenter ses rives. Revivifier une urbanité de contact pour le bonheur des habitants. Le choix de faire défiler les athlètes sur la Seine pour la cérémonie d’ouverture est tout un symbole. Le Village Olympique exauce, d’une certaine façon, la réconciliation entre infrastructures, paysage et architecture.
DP : L’Île-de-France dispose d’un très riche système hydrographique : fleuve, rivières, canaux, lacs, bassins. C’est un formidable atout pour la métropole du Grand Paris. Une ressource pour son identité, sa culture, son économie. On compte plus de soixante ports marchands et de plaisance. Si l’on pense la métropole durable, on ne peut que déplorer le gâchis de plusieurs secteurs de rives, par mésintelligence de la géographie, par une mauvaise culture de la ville et du territoire. Souvent on ne comprend pas les continuités paysagères. Il y a un extraordinaire potentiel de mutations dans ces deux cents kilomètres de Seine, de Marne, d’Oise, d’Yonne et dans les canaux au long desquels se concentrent l’activité et l’habitat en Île-de-France.
FP : Parmi les fictions présentées dans le livre, on voit les îlots d’habitation et d’activité transposer l’image de grands vaisseaux urbains, aux amarres.
DP : Je voulais absolument retisser et multiplier les liens perpendiculaires au fleuve. Il ne s’agit pas ici de morphologie, de formes mais de l’inscription d’une architecture qui soit capable de puiser dans une géographie préexistante
que nous venons révéler. Tout ceci se nourrit d’éléments de programmes et aussi de recherches en performances environnementales. Il était important d’être têtu sur le tracé des lieux parce qu’il procédait d’un autre plus ancien.
Un réseau a alors commencé à se développer, à s’incarner à travers ces îlots conduisant au bord de l’eau.
FP : La trame paysagère du Village des Athlètes est faite de deux grandes perpendiculaires à la Seine et de deux parallèles qui viennent renforcer la continuité urbaine avec au sud-ouest le vieux Saint-Ouen et son parc des Docks, et à l’est le quartier Pleyel. Le tracé du Village répercute les anciennes trames industrielles du site. On peut aussi corréler le gabarit des îlots au bâti industriel qui architecturait l’endroit au 20e siècle.
DP : La mission confiée visait à transformer une friche industrielle en un nouveau quartier à cheval entre les communes de Saint-Denis et Saint-Ouen. La localisation est intéressante car elle engage l’ensemble d’une région. Elle parle d’histoire puisque sur cet ancien site industriel, on trouve des grandes infrastructures et des architectures intéressantes parfaitement préservées, telles que la Halle Maxwell et l’actuelle Cité du cinéma.
FP : Si l’industrie électrique s’est implantée dans ce secteur de Saint-Ouen / Saint-
Denis, c’est pour tirer parti du fleuve en tant qu’outil logistique de transport de matériaux et de marchandises. Et ce, dès les années 1830 puisque c’est à cette époque que sont construits les docks de Saint-Ouen. Des grues de chargement occupaient les quais où venaient s’amarrer les péniches. Le patrimoine industriel, lié au fleuve de façon organique, a donc commandé une lecture spécifique du site.
DP : Dans un plan d’aménagement, il y a une ressource : le déjà-là avec le bâti subsistant, les tracés, le contexte dans toutes ses composantes. Il s’agit de « faire avec » et ne rien laisser à l’abandon.
C’est l’ensemble d’un territoire qui est ici intéressé par le projet, réaffecté et célébré. L’autre source est la ville programmatique, c’està-dire la programmation du site en vue de son évolution.
Dans sa première étape d’existence, le Village va accueillir près de 14 500 athlètes avec les accompagnateurs. Dès l’étape de conception urbaine, l’objectif a été de préfigurer simultanément un quartier mixte qui ne sera pas reclus dans son périmètre mais connecté à son environnement immédiat, prêt à l’accueil de la famille olympique.
FP : Cette réceptivité du Village à sa propre mutation en quartier métropolitain est un projet rare, presque inédit dans l’histoire des villages olympiques.
DP : L’intention est qu’il se dissolve, à terme, dans la substance urbaine, qu’il y participe et qu’il l’entraîne, la nourrisse pour s’inscrire dans le territoire, comme une greffe sans rejet.
FP : Composer avec un « déjà-là », construire la ville sur la ville, c’est métaboliser certains éléments d’identité – visibles ou effacés – à l’intérieur d’une forme et d’une langue qui vont les reconcevoir sans paraphrase. C’est ici un jeu d’écart à l’intérieur d’un système d’accords. De ce « déjà-là » racinaire vont se déduire des événements architecturaux et des aménagements urbains qui sont, en quelque sorte, autant de devenirs prélevés en lui. Réaffecter un lieu, c’est le recharger d’affects liés à de nouveaux usages.
DP : On ne peut dialoguer avec un site que si l’on porte une vision critique. C’est alors seulement que le travail peut commencer. De cette attitude, on décide tout ! Un propos architectural et urbanistique, s’il est sincère, est une action critique.
FP : La Bibliothèque Nationale de France compte parmi vos réalisations les plus emblématiques. Ce projet, que vous avez conduit à partir de 1988, alla de pair avec un grand plan d’aménagement urbain dans la partie Est de Paris, de la gare d’Austerlitz jusqu’au périphérique.
DP : Oui, ce sont plus de 2,5 kilomètres de rives qui se sont révélées au fur et à mesure.
Il n’y avait jusque-là que le réseau ferré, des entrepôts, des terrains vagues, etc. Il s’agit ici d’une politique publique de rééquilibrage de la capitale entre l’Est et l’Ouest. L’accord politique passé entre le maire de Paris, Jacques Chirac et le Président de la République, François Mitterrand, a abouti à la cession d’un terrain municipal afin que s’y construise la future grande Bibliothèque et s’y développe autour un grand quartier en rive de Seine. Près d’un quart du parcours du fleuve, dans l’enceinte de la capitale, n’était alors pas du tout urbanisé.
FP : À la même époque, vous travailliez sur les questions d’intégration urbaine et de métropolité dans deux autres villes : Nantes, entre 1992 et 1995, puis Bordeaux. Leurs problématiques sont à la croisée de celles de la BnF et du Village.
DP : Pour Jean-Marc Ayrault, jeune maire de Nantes, apparaît la nécessité d’un redéploiement de la ville. Le projet naît d’une lecture critique qui part à la reconquête des îles. Nantes est à l’époque une ville traumatisée par la fermeture des chantiers navals. Des milliers d’emplois ont été détruits. Les terrains sont à la dérive. L’objectif sera ici de régénérer l’Île de Nantes, futur cœur moderne de la ville, en l’inscrivant dans une vision stratégique en termes d’urbanisme : compléter la ville historique en la projetant dans sa dimension métropolitaine.
Nantes,
France
Concours, projet lauréat 1992, mission d’aménagement 1992-1999
Dans le but de définir une démarche et une conception urbaine capables d’orienter le devenir de l’île SainteAnne, face au centre historique de la ville et en tête de l’estuaire de la Loire, M. Jean Marc Ayrault, députémaire de Nantes, a décidé de lancer une mission d’étude. L’étude exploratoire vise, en premier lieu, à réunir et organiser les principes de référence qui permettront d’orienter les débats et les réflexions que suscite un tel sujet. Cette approche prospective porte en effet sur un très important territoire et sur des enjeux particulièrement significatifs pour la ville et son fleuve. Les propositions qui sont formulées s’appuient : sur une analyse globale des données historiques et géographiques, sur la mesure du site et sur plusieurs aspects de son paysage. Elles sont également nourries par l’examen des études antérieures et par l’audition des représentants des institutions concernées, des entreprises et des associations d’habitants en présence. L’objectif profond poursuivi ici est d’initier une démarche urbanistique progressive et vivante, ouverte aux apports de l’avenir et exigeante sur les valeurs culturelles et sociales qui guideront les transformations futures.
Aménagement des Deux
Rives de la Garonne
Bordeaux, France
Consultation projet lauréat 1992 mission d’aménagement 1992-1999
Concept de l’aménagement urbain des deux rives de la Garonne, développement du centre-ville de la rive droite par la reconquête de friches industrielles (400 ha). Constitution d’une base de données (études, entretiens); analyse urbaine (histoire et géographie); projet urbain: 12 séquences d’intervention le long de la Garonne; élaboration
du schéma directeur du terrain d’études (Communauté urbaine de Bordeaux).
Élaboration du plan d’occupation des sols des différents secteurs (Ville de Bordeaux). Cette étude a donné lieu à une exposition publique inaugurée par Jacques Delmas, maire de Bordeaux en 1994 à Arc en rêve, Centre d’Architecture.
Ainsi, de nouvelles aires périphériques seront appelées à transformer l’entité urbaine et le mode de gouvernance.
FP : Plusieurs des études d’aménagement que vous avez conduites interrogent la synergie entre fleuve et redéploiement métropolitain, dans des configurations urbaines qui ne sont pas sans rappeler celle du Village Olympique. Vous articulez aménagement et optimisation des rives et des paysages, valorisation du patrimoine industriel et écologie urbaine comme dans projet pilote « Bordeaux des deux rives » qui intervient sur un site comparable à celui de Nantes, avec des enjeux similaires.
DP : À Bordeaux, il s’agissait de reconquérir près de 500 hectares de friches industrielles en rive droite. Le schéma directeur imaginé aura pour objectif d’organiser un vis-à-vis par rapport à la cité de pierres en rive gauche. Comme à Nantes, la ville est appelée à se déployer sur des terres nouvelles, voire s’achever, d’une certaine façon. L’enjeu métropolitain est au cœur de la problématique. Intégration et redimensionnement. Ce programme est au travail dans l’ensemble des métropoles françaises, dans la diversité de leur géographie. On notera que gouvernances sont plus claires, plus démocratiques et citoyennes, que celle du Grand Paris qui fonctionne péniblement.
FP : A Nantes et Bordeaux, la commande publique a émané d’une gouvernance véritablement planificatrice à laquelle est toujours suspendu le devenir du Village
des Athlètes, son accomplissement en quartier mixte et durable. Les études d’aménagement méthodisent le travail de renouvellement d’aires urbaines en mal d’intégration territoriale, ou en déshérence.
DP : L’urbanisme engage l’ensemble des dispositifs passés, présents et à venir pouvant être mis en place afin d’augmenter les possibilités d’échanges sur un territoire commun. On peut le voir comme un processus de création d’un objet sans cesse renouvelé. C’est une géographie qui se bâtit aussi autour de réseaux de mobilité, d’intensités diverses et variées.
À titre d’exemple, le Grand Paris Express est une infrastructure qui va accompagner plus de cent stations nouvelles qui vont sortir de terre. Un réseau de bus, de métro, de tramway et de vélos vont baliser la carte de la métropole, créant un nouveau tissu racinaire.
On est là dans quelque chose de tout à fait inédit. L’essor du Village profitera de la future gare de Saint-Denis–Pleyel. L’urbanisme s’intéresse aux espaces entre les choses plus qu’aux choses elles-mêmes.
FP : Pour que tout se tienne, en architecture comme en urbanisme, l’espacement et son positionnement exact est le point essentiel. DP : L’urban planning est politique. Il parle de l’espacement. C’est la programmation du plan. Il relève donc de la commande, encore faut-il qu’il y ait planification.
Exposition “Metro! Le grand Paris en mouvement”
Paris, France
Exposition à la Cité de l’architecture et du patrimoine, novembre 2023 – juin 2024
Dominique Perrault est, aux côtés de Francis Rambert, cocommissaire de cette exposition « Métro ! Le Grand Paris en mouvement » présentée, du 8 novembre 2023 au 2 juin 2024, à la Cité de l’architecture et du Patrimoine. Consacrée au Grand Paris Express, cette exposition révèlera aux visiteurs
l’un des plus importants projets d’infrastructure et d’architecture du monde. Tous les arts, de l’illustration au cinéma, y sont convoqués pour raconter, par le prisme du métropolitain, la construction du Grand Paris ainsi que la transformation de ce territoire à l’heure de la transition écologique.
L’Urban design, lui, est plus proche de nous. Il va mettre en place des stratégies urbaines, la présence de la nature, les dispositifs complémentaires à ce qui existe, soit pour les renforcer, soit pour produire des réponses à des usages nouveaux. Comment tisser du lien ? Comment relier de façon durable ?
FP : Parmi vos projets et réalisations, passés et présents, plusieurs sont olympiques. Je pense au Vélodrome et à la Piscine de Berlin qui candidatait alors aux Jeux d’été de l’an 2000. Le terrain choisi se trouvait à l’intersection de réseaux et de tissus urbains. L’enjeu était de réussir la jonction de ces systèmes soudant l’Est et l’Ouest.
DP : Les programmes architecturaux ne sont pas en soi générateurs d’urbanité. Une planification est indispensable pour en superviser la disposition. Ce fut le cas à Berlin. Les deux ouvrages olympiques que vous citez, dans le quartier de Prenzlauer Berg, ont participé d’un plan de métropolisation volontariste dans ce secteur de la capitale, célébrant la chute du Mur et l’unification.
FP : Rappel. En 2007, Madrid brigue l’organisation des Jeux d’été de 2016. Vous remportez sur concours la construction du futur Centre olympique de Tennis, dont le chantier s’achèvera en mai 2009 : la Caja mágica, la Boîte magique. L’attention
au paysage va guider ce projet autant que celui, tout aussi spectaculaire, du VeloPark pour Londres, 2012. En juillet 2016, vous participez au concours international en vue de la réalisation de la future patinoire olympique de Pékin pour les Jeux d’hiver 2022. L’ouvrage représente une opportunité urbaine exceptionnelle puisque l’enjeu est de créer une nouvelle porte d’entrée du Parc forestier de la capitale chinoise à l’axe central de la ville. C’est un paysage que vous concevez, plus qu’un nouvel objet architectural. Un des objectifs de cet équipement sportif est aussi de stimuler la vie sociale de la ville en ce lieu, au-delà des Jeux. On le sait, depuis Barcelone 1992, les Jeux olympiques sont vus comme des accélérateurs de transformations urbaines, de développements métropolitains.
Les Jeux impulsent un aménagement du territoire qui entre dans leur héritage.
DP : Il faut préciser ici que l’échéance olympique n’est pas le temps de la ville.
C’est seulement plusieurs années après l’extinction de la flamme que l’on peut évaluer la réussite de ce genre de programmes, leur organicité territoriale.
Dans l’histoire des Jeux, les villages olympiques ont toujours étés conçus comme des ensembles destinés à revenir, presque tels quels, après le départ des athlètes, dans le lot commun de l’immobilier.
Vélodrome et piscine olympique
Berlin, Allemagne
Concours international, projet lauréat 1992, achèvement vélodrome novembre 1997 / piscine novembre 1999
Ce projet est lié à la réunification des deux Allemagnes et à la candidature d’une ville en instance de devenir capitale, Berlin, pour les Jeux Olympiques
de l’an 2000. Le terrain choisi se trouve à l’intersection de réseaux et de tissus urbains. Pour réussir la jonction de ces systèmes, les deux bâtiments qui abriteront le vélodrome et la piscine olympique disparaissent. Dès lors, la question de la forme étant évacuée, le projet a pu traiter d’autres préoccupations. L’idée urbaine, c’est de créer un espace vert d’une assez belle échelle et au sein de cet espace vert, d’implanter... appelons ça des bâtiments. Il y a à Berlin le gisement d’un mélange
entre nature et architecture. Et ce mélange est une forme de travail que l’on peut développer sur la ville. L’idée a été de créer un verger. C’est à dire de planter des pommiers. Lorsque l’on s’approche de ce verger, on découvre, incrustées dans le sol, saillantes d’à peu près un mètre de hauteur, deux tables… L’une ronde, l’autre rectangulaire, nappées d’un tissu métallique qui vibrent avec la lumière du soleil et s’apparentent plus à des pièces d’eau qu’à des bâtiments.
Lu Jia Zui District financier de Pudong
Shanghai, Chine
Concours international, 1992-1993 – gagné plan urbanisme
Une attitude iconographique forte à Lujiazui concentre les immeubles de bureaux en deux bandes étroites de gratte-ciels, formant une forme en L qui reflète la courbe du Huangpu. Le projet met en valeur l’ancien Bund de la rive ouest, embrassant la courbure du Huangpu dans son modernisme rectiligne.
Programme : – développement urbain (analyse urbaine, schémas de développement urbain) – aménagement des berges de la rivière Pu Dong – développement d’un nouveau centre d’affaires de la ville de Shanghai.
Exposition “Metropolis”,
Biennale d’architecture de Venise
Venise, Italie
Pavillon français de la Biennale d’Architecture de Venise, 2010
En 2010, Dominique Perrault est désigné commissaire du Pavillon français de la 12e Biennale d’Architecture de Venise. En choisissant pour thème Metropolis, Dominique Perrault propose une réflexion et une lecture qui fondent et nourrissent la genèse de la métropole du XXIe siècle. D’abord, en mettant en lumière le basculement de la Ville (unité urbaine, espace défini, forme
édifiée) en Métropole, territoire alternant les pleins et les vides. Ensuite, en démontrant que le vide est un espace qui relie bien plus qu’il ne sépare ; et qui apparaît comme le matériau de construction de la métropole. Enfin, en illustrant son propos au travers de 5 territoires urbains en pleine mutation, lesquels offrent un fantastique catalogue de « possibles ».
Notre démarche sur le site de Saint-Ouen/Saint-Denis est très sensiblement différente puisque c’est dès la phase de conception que le programme organise sa réversibilité en quartier métropolitain. On entre ici dans le temps long de l’urbanisme.
FP : À l’inverse des villages Potemkine en panne d’urbanité qui ont caractérisé plusieurs chantiers olympiques du passé, c’est ici un quartier-référent du Grand Paris qui s’anticipe. Les mutations du département de Seine-Saint-Denis font de lui un des projets de territoire les plus remarquables. Sa fortune dépendra, dans cette aire géographique, de la capacité des pouvoirs publics à enrayer la pauvreté, la déshérence et les inégalités ségrégatives. Ce sont là des questions où le Grand Paris joue une bonne part de son destin.
DP : Absolument. Que ce soit en investissement ou en fonctionnement, 80% du financement public de la Solideo, au titre de maître d’ouvrage-aménageur, sont fléchés vers la Seine-Saint-Denis. C’est dans ce département que se concentrent 47 des 64 ouvrages olympiques, construits, supervisés ou rénovés.
FP : Le Village des Athlètes est exemplaire à plus d’un titre. La réversibilité est sa performance, et la métropolité, son continuum, sa grande dimension.
DP : La commande du Village était très claire : livrer un site circonstanciel, pour l’accueil des athlètes, en visant la phase Héritage. L’enveloppe des bâtiments restera la même, mais c’est tout le fonctionnement intérieur des logements sportifs, leur aménagement, leur structuration cellulaire qui vont être redessinés afin de créer des appartements, des studios, des bureaux et des lieux mixtes d’activités.
Nous avons réussi à mettre en œuvre une véritable souplesse avec une structure urbaine adaptable et réceptive sans investissements exorbitants. Le Village réversible est l’héritage des Jeux mais je dirais aussi que c’est toute la question de la réversibilité en architecture et en urbanisme qui y entre aussi. Elle participe à l’avenir de nos villes. Elle est attendue en bout de piste.
FP : C’est en août 2018 que l’agence que vous dirigez a été lauréate du concours de maîtrise d’œuvre du Village Oympique et Paralympique. La cadence a été plus que soutenue. En moins de deux ans, il a fallu mettre en place un ensemble architectural et urbanistique aux dimensions hors norme.
DP : Ce passage de la conception à l’opérationnel s’est pratiquement opéré en continu. On est passé du plan à la construction du plan en réunissant, autour de la table, architectes, paysagistes,
ingénieurs, entrepreneurs, investisseurs et promoteurs.
FP : La mission a consisté à installer dans le plan d’urbanisme le travail des dix-neuf agences retenues pour la construction du Village sur les communes de Saint-Ouen–Saint-Denis. Il s’agissait à cette étape du projet de définir les espaces publics, les quatre grands îlots d’habitation et d’activité, de réfléchir à l’adaptabilité programmatique du bâti en phase olympique et à sa réversibilité en phase Héritage. L’étape-clef a été celle du dépôt des vingt-sept permis de construire, dressés en avril-juin 2020. Des permis à double état inventés par l’établissement public territorial de Plaine Commune afin de sécuriser les investisseurs privés en permettant, au moyen d’une seule et unique autorisation, de construire un village olympique et de projeter celui-ci, simultanément et aussitôt, dans sa mutation en quartier de ville.
DP : Les dépôts des permis de construire étaient le carrefour à partir duquel tout le monde devait se retrouver. Tous ceux qui allaient bâtir ce quartier, tous les porteurs de projets devaient être au rendez-vous pour mettre en place le processus de fabrication du quartier, de construction d’équipements. Le rôle de concepteur du quartier s’arrêtait là.
FP : Avez-vous pu craindre une hétérogénéité des projets architecturaux, en quelque sorte, un syndrome « exposition universelle » avec des bâtiments conçus comme autant de pavillons d’agences ?
Quelle était la marge de manœuvre dont
vous disposiez afin que chacun participe d’un projet urbain global ?
DP : Non, le plan-guide d’aménagement présentait une vision tracée très claire, avec cette image de grands bâtiments pareils à des vaisseaux organisés perpendiculairement au fleuve.
Pour chaque grand bateau, pour chaque grand bâtiment, il y avait un capitaine, un architecte, qui avait en charge l’harmonisation et la cohésion de l’équipe et de l’îlot. Cohésion et cohérence.
Ces grands îlots étaient donc un élément fédérateur tout comme les socles de rez-de-chaussée qui allaient conditionner, installer et créer, finalement, une forme de pied d’immeubles. C’est ainsi que tout a pu fonctionner et cela sans nuire au caractère spécifique de chaque ensemble.
FP : Pour qu’une synergie d’équipe puisse assurer la cohésion des ouvrages pluriels, vous avez pris l’initiative de créer un atelier d’urbanisme et d’architecture.
DP : Cette plateforme a été un lieu qui permettait à tous les acteurs de se réunir et de se concerter. Cet atelier pouvait être efficace non seulement dans la conduite du programme de construction du Village mais pour les communes elles-mêmes. Il pourrait leur être légué comme un héritage à double détente. Je pense ici à Plaine Commune. Cet atelier a existé parce que nous y tenions et parce qu’il était nécessaire. Dans l’urgence,
chaque agence, chaque architecte, chaque porteur se consacre à son projet propre, sans connaître ce qui se faisait « de l’autre côté de la rue ». Ce que chacun imaginait, construisait, ne pouvait pas se réduire à l’échelle d’un bâtiment.
J’ai donc créé cet atelier d’urbanisme « à mille mains » afin que les architectes viennent avec leurs maquettes, discutent leurs projets, afin aussi que nous ayons des réunions ensemble à quarante. Notre rôle était de porter cette vision d’ensemble, de favoriser son partage, afin que chacun puisse venir la nourrir de façon itérative. Ce fut là une expérience tout à fait unique.
FP : Cet atelier a donné lieu à une méthodologie que traduit aussi parfaitement votre manuel d’urbanisme à travers son matériau visuel. Une manière de percevoir, de concevoir et de procéder. Le Village des Athlètes est actuellement le principal chantier mono-site de France. Je le conçois volontiers comme un double case study. Il est d’une part un quartier-pilote mixte et innovateur où se projette l’habitabilité future des métropoles. Il est aussi un projet-type d’urbanisme en butte aux lacunes et aux antilogies de la commande, aux déficiences en matière de planification, de mécanismes de gouvernance, de culture urbaine. En cela, le Village produit un effet révélateur d’enclaves, ce qui n’est pas la moindre part de son héritage. À ces empêchements, vous
m’avez dit un jour qu’il fallait remédier au pied de biche. On comprend la nécessité d’un travail de désincarcération en matière de politique d’aménagement. Au-delà du Village, il s’agit de désentraver la fabrique de la ville et de la métropole.
DP : Ce quartier permet de refonder un certain nombre d’éléments, d’avoir une espèce de mise à jour. Il oblige de faire encore un pas, ou un pas de côté, dans notre interrogation des liens territoriaux, antidote d’une politique de zoning.
FP : La notion de tension est cruciale dans votre lecture urbanistique du territoire. La dialectique, les polarités, les connexions. Faire territoire, c’est susciter des structures tensives et des intensifications. Vous avez élaboré en 2013 un Atlas des 100 tensions métropolitaines. 100 exemples d’écosystèmes urbains qui pourraient gagner en autonomie. 100 interventions en vue d’un Grand Paris cohésif et solidaire. Ne peut-on aussi concevoir le Village Olympique comme un « Hôtel Métropole » dont la vocation serait de devenir un catalyseur de métropolité et d’urbanité. Dans le masterplan que vous avez conçu pour l’aménagement de Hangang District dont nous avons déjà parlé – je précise qu’il vous a valu de sortir lauréat du concours international lancé en 2020 par la ville de Handan –, vous parlez d’une méthodologie transposable à d’autres sites et à d’autres contextes. Parmi les quatre
Paris, France
Atelier International du Grand Paris, 2012
Dominique Perrault est membre du conseil scientifique de l’AIGP depuis 2012. La proposition du dispositif de « l’Hôtel Métropole » est le fruit de diverses réflexions sur la métropole : l’affirmation que la métropole n’est pas une ville, l’analyse de l’habiter, la mise en tension de ce qui est déjà là et l’ambition d’élaborer un dispositif qui peut accompagner le fait
métropolitain à la fois avec urgence et précaution. « L’hôtel Métropole » est un dispositif minimal du point de vue des moyens, qui s’accommode des fonciers existants, dans l’attente de leur éventuelle mutation, permettant de tester la potentialité d’un tissu, d’essayer d’infiltrer en douceur une urbanité, plutôt que d’imposer a priori un modèle de ville.
grands principes d’intervention de ce plan directeur, je note le développement de programmes mixtes connectés et flexibles s’appuyant sur ce concept précisément d’Hôtel Métropole. Ce qui m’a intéressé dans ce dispositif urbanistique est l’idée de générer à travers lui un écosystème, infiltrer une urbanité en douceur plutôt que d’imposer a priori un modèle de ville. Soyons précis : l’Hôtel Métropole est un lieu de résidence temporaire de populations aux profils variés : étudiants, chercheurs étrangers, nouvelles familles, touristes d’affaires, travailleurs mobiles.
Le Village Olympique, de fait, s’y apparente à travers l’accueil d’athlètes internationaux et de leurs équipes d’accompagnement.
Vous définissez aussi l’Hôtel Métropole comme un incubateur d’urbanité et une stratégie de résilience pour l’ensemble de la communauté d’Île-de-France à travers une opération de tissage d’un réseau. Notamment, comment inventer un quartier avec ses espaces publics ?. Ils représentent près de la moitié du futur quartier métropolitain qu’est le Village Olympique.
Le résident est l’interprète des lieux. C’est lui qui les performe, les déclenche. L’urbaniste rend disponible une œuvre ouverte, disponible à des devenirs possibles, et dotée, pour autant, d’une spécificité, d’une logique constructive qui fait sa cohérence.
Disons que ses structures sont à la fois complètes et inachevées. Sans définition ultime. Le tissu urbain réagit comme un organisme à l’action de l’interprète.
DP : Pour obtenir cette disponibilité du plan, cette interprétation de la carte, il convient d’aller « au-delà » de la question de l’aménagement stricto sensu.
Le manuel d’urbanisme a le souhait de faire état de la multiplicité et de la liberté des expressions qu’élabore un projet de quartier.
Ce dépassement du sujet, que l’on nomme le « double », nourrit toutes les réflexions et les représentations de l’œuvre créatrice que sous-tend un travail de master-plan.
Cette nouvelle carte posant le nouveau quartier dans son aire, ne peut être lue qu’au travers du processus qui l’a fait naître. C’est d’une épiphanie dont il est question dans Un Village et son Double. Dans ce manuel à l’usage de tous, les pages manquantes ou oubliées pourront être complétées par d’autres ; ne pas penser en termes d’achèvement, dans la mesure où le processus n’a pas vocation à s’arrêter, mais bien au contraire, à s’amplifier. De nouvelles populations et générations viendront s’inscrire dans la métropole multipolaire.
Plan Directeur du district de Hangang
Handan, Chine
Concours international sur invitation, projet lauréat 2020
L’étude menée par Dominique Perrault développe une stratégie de développement urbain à la fois adaptée et flexible. Le territoire concerné, qui représente environ un quart de la superficie de la ville historique, est composé d’éléments bâtis très hétérogènes et d’un important patrimoine industriel. Cet héritage a formé le point de départ du projet urbain, tout comme la réalité géographique du site qui a guidé le processus de conception et le mode de fonctionnement du nouveau quartier. La proposition ne cherche
pas à uniformiser, mais au contraire à faire coexister et interagir une variété d’éléments pour composer un nouveau territoire cohérent. Le projet met avant tout en évidence l’aspect urbain du patrimoine industriel : la réhabilitation et la réutilisation des anciennes voies de circulation du site notamment, définissent un nouveau réseau pour le quartier. L’étude a particulièrement mis l’accent sur la faisabilité et le phasage de l’aménagement du secteur, ainsi que sur les stratégies de dépollution des sols.
Village Olympique
Kitzbühel, Autriche
Concours international, septembre 1997
Candidature pour les Jeux Olympiques d’Hiver 2006. Le principe d’aménagement consiste à organiser autour de chaque bâtiment un espace publique, comme une place, une esplanade, un mail. Ce souci d’accompagner chacune des réalisations par un aménagement urbain donne de la qualité au site durant la période des Jeux Olympiques mais trace, aussi, les lignes de composition urbaines pour le quartier après les Jeux.
Ce lieu de rassemblement pourra être utilisé pour les événements et manifestations prévus autour des compétitions sportives. De même, pour offrir un cadre paysagé agréable pour chacun des sites, on plantera des arbres suivant des formes géométriques comme pour faire « pousser » la ville avec ses îlots de bâtiments autour de l’équipement sportif et de son esplanade. (Extrait du texte de concours 1997)
La proposition Le Village des Athlètes
Un Village et son Double
Manuel d’urbanisme pour les Jeux Olympique et Paralympiques Paris2024
Auteur du livre
Dominique PERRAULT
Auteurs des textes
Dominique PERRAULT
Frédéric PROT
Coordination éditoriale
Marga GIBERT
Ramon PRAT
David AGUDO
Marie BODENES
Tulio CATHALA
Kariane JEAUROND
Gaëlle LAURIOT-PREVOST
Edition
Actar Publishers
Conception graphique
Ramon PRAT
Marga GIBERT
Corrections et relectures
Rina KENOVIC
Traduction
Gammon SHARPLEY
Impression et reliure
Arlequin, Barcelona
Tous droits réservés
© édition : Actar Publishers
© textes : Dominique Perrault Architecte, Adagp © conception, dessins, illustrations et photographies : Leurs auteurs
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ISBN : 978-1-63840-136-0
Date de publication : Avril 2024
Imaginer le Village des Athlètes des Jeux de Paris 2024, entre 2018 et 2020, aura signifié, pour Dominique Perrault, concevoir un quartier réversible, capable d’offrir temporairement un accueil d’exception aux sportifs mais, avant toute chose, mener une réflexion urbaine de long terme ayant pour objectif la création d’un quartier durable et connecté au Grand Paris, théâtre de transformations sans précédent.
L’avenir de ce quartier est au-delà de lui-même. Il constitue l’héritage des olympiades.