


BIO : Graphiste, activiste, Shepard Fairey alias OBEY est devenu, avec sa campagne artistique « OBEY GIANT », l’un des artistes non conformistes le plus recherché et le plus provocateur au monde, modifiant le regard du public sur l’art et sa manière de considérer le paysage urbain. (…) [Suite p. 239]
Le titre de l’exposition, We Are Here, m’amuse beaucoup, car les street artists qui composent le “We” (nous) ont été “Here” (ici), à proprement parler, depuis au moins deux décennies. Cependant, ce n’est que récemment que ces mêmes artistes se trouvent “ici”, si l’on se tient à l’intérieur d’un musée. Dans notre cas, le musée en question est le Petit Palais, le summum du prestige et le refuge d’une pléthore d’œuvres d’art étonnantes datant du tournant du xxe siècle. Bien qu’ils soient désormais universellement vénérés, nombre de ces artistes, notamment les impressionnistes, furent initialement rejetés par l’establishment artistique et considérés comme des outsiders moins talentueux qui représentaient un affront aux goûts dominants de l’époque.
Les street artists ont rencontré une opposition similaire de la part du monde de l’art, bien que leur mouvement artistique ait eu un impact profond sur la culture au sens large en étant accessible, démocratique et déterminé à remodeler philosophiquement et visuellement le paysage urbain. Et quand un mouvement artistique parvient à réaliser des choses étonnantes sans soutien institutionnel, en quoi aurait-il besoin des musées ? Eh bien, la nature du pouvoir peut être sournoise. L’une des raisons pour lesquelles j’ai adopté le street art il y a 35 ans est précisément parce qu’il donne du pouvoir à ceux qui sont exclus des systèmes traditionnels ou qui trouvent que certains aspects de ces systèmes sont compromis. J’appartenais aux deux catégories et j’ai ainsi choisi d’apporter sans détour mon art aux gens. En contrepartie, j’ai été arrêté et condamné à de nombreuses amendes en raison de ma conviction à devoir déroger aux règles afin de contourner la bureaucratie et offrir l’art au public. Le street art est une source de pouvoir pour ceux qui n’ont souvent ni pouvoir ni voix au chapitre, mais qui ne se contentent pas pour autant de rester sur la touche. Prendre le pouvoir plutôt que de le demander poliment est autant une menace pour les autorités que pour ses gardiens. C’est là que réside le conflit, ou la lutte de pouvoir, entre le monde de l’art hiérarchisé et organisé, où les gardiens du pouvoir décident de qui peut y entrer et de ceux qui feront partie de l’élite de l’histoire de l’art, et entre les street artists, dont l’influence est largement reléguée à une mince histoire de la culture populaire. Dans cette dynamique de lutte pour le pouvoir, les street artists possèdent une arme : celle de la pertinence. Ils élargissent l’audience de l’art et, à terme, les galeries et les musées sont irrémédiablement en quête d’audience. De plus, les meilleurs street artists créent des chefs-d’œuvre non seulement sur les murs des villes, mais aussi sur des toiles qu’une galerie ou un musée peut aisément exposer sur ses murs intérieurs. Certains musées ont fini par comprendre qu’une lutte de pouvoir entre le street art et les beaux-arts n’était pas inéluctable, et que les deux pouvaient coexister en synchronicité en tant qu’œuvres issues d’artistes similaires, mais créées avec talent dans des contextes différents.
Lorsque Mehdi Ben Cheikh m’a proposé d’intégrer l’exposition We Are Here au Petit Palais, j’en ai été honoré, mais j’ai aussitôt pensé que cela permettrait surtout d’accréditer des artistes comme moi qui travaillent principalement dans la rue, mais que l’on considère comme suffisamment talentueux pour créer de l’art majeur dans n’importe quel contexte. Le terme de “street artist” est une étiquette intrinsèquement restrictive et je ne l’ai jamais accepté, car ma pratique artistique s’inspire d’une philosophie selon laquelle l’art devrait être partout, y compris dans les galeries et les musées. J’étais persuadé que la majorité des artistes invités s’adapteraient au Petit Palais avec la même ambition, la même compétence et la même sophistication technique qui leur permet de maîtriser les innombrables défis posés par l’environnement urbain chaotique. Lorsque j’ai vu l’exposition We Are Here installée, j’ai ressenti une immense fierté en constatant avec quelle beauté et quelle puissance le travail des artistes, qui fut démarré dans la rue, s’était intégré au Petit
Palais de manière tantôt harmonieuse, tantôt turbulente, mais toujours de façon percutante et digne d’être exposé aux côtés de maîtres incontestés. J’ai reçu une éducation artistique traditionnelle, mais j’ai appris à ne jamais sous-estimer ceux d’entre nous qui ont l’intelligence de la rue. Les galeries et les musées seraient bien avisés de faire de même, et de reconnaître We are here ! »
Shepard Fairey alias OBEY
BIO: Graphic designer and activist, Shepard Fairey aka OBEY has become, with his OBEY GIANT art campaign, one of the most sought-after and provocative non-conformist artists in the world, changing the public’s view of art and its way of considering the urban landscape. (…) [To be continued p.239]
We Are Here is an amusing show title to me because the ‘street’ artists who make up the exhibition have been here in the broader sense for at least two decades. However, only more recently have these artists been here, if one is standing inside a museum. In this case, the museum is the Petit Palais, the pinnacle of prestige and home to a plethora of amazing artworks from the turn of the 20th century. Though now universally revered, many of the artists, namely the Impressionists, within the collection of the Petit Palais, were initially rejected by the art establishment and considered less talented outsiders who were an affront to the prevailing tastes of the time.
Street artists have faced similar opposition from the art world despite the fact that their art movement has made a profound impact on broader culture by being accessible, democratic, and dedicated to philosophically and visually reshaping the urban landscape. When an art movement can achieve amazing things without institutional support, then who needs the museums? Well, the nature of power can be tricky. One of the reasons I embraced street art 35 years ago is precisely because it is empowering to those shut out of traditional systems or who find aspects of traditional systems compromised. I fell into both categories and chose to take my art straight to the people. As a result, I have been arrested and fined many times for my belief in bending the rules to bypass bureaucracy and bring art to the public. Street art is a source of power for those who often don’t have power or a voice, but aren’t content sitting on the sidelines. Taking power rather than asking for it politely is threatening to authorities and gatekeepers alike. There lies the conflict, or power struggle, between the hierarchical and curated art world where gatekeepers decide who gains entry and who ultimately becomes part of the elite canon of art history, and the street artists whose influence is largely relegated to lowly popular culture history. Within this power struggle dynamic the weapon street artists possess is relevance. Street artists expand the audience for art and ultimately the galleries and museums need an audience. Additionally, the best street artists make masterpieces not just on city walls but also on canvases that any gallery or museum is lucky to display on their interior walls. Some museums have finally realized that there doesn’t need to be a power struggle between street art and ‘fine art’: the two can exist in synchronicity as pieces by the same artists skillfully created for different contexts.
When Mehdi Ben Cheikh approached me about creating work for the We are Here exhibition at the Petit Palais, I was honored, but my second thought was that the show offered an opportunity to vindicate artists like me who work primarily in the street but are talented enough to make strong art for any context. ‘Street artist’ is an inherently limiting label and I’ve never embraced it because my art practice follows my philosophy that art should be everywhere, including galleries and museums. I imagined that many of the other artists in ‘We are Here’ would adapt to the Petit Palais with the same ambition, skill, and technical sophistication that makes them masters of the myriad challenges presented by the chaotic urban environment. When I saw the ‘We are Here’ show installed I felt a tremendous pride seeing how beautifully and powerfully the work of the artists who began in the streets integrated into the Petit Palais in ways that are sometimes harmonious and other times disruptive, but consistently compelling and worthy of display next to undisputed masters. I have a traditional art education, but I’ve learned to never underestimate those of us with street smarts. Galleries and museums would be wise to do the same and recognize that we are here!”
SWOON
Thalassa, 2024
Gravure sur linoléum imprimée sur polyester mylar et peinte à la main.
Galerie des grands formats – Petit Palais
Swoon est une artiste basée à Brooklyn, largement considérée comme étant la première femme à obtenir une reconnaissance à grande échelle dans le monde masculinisé de l’art urbain. Swoon a investi les rues de New York alors qu’elle fréquentait le Pratt Institute of Art en 1999, collant ses portraits en papier sur les côtés des bâtiments dans le but de rendre l’art et l’espace public de la ville plus accessibles.
Thalassa tire son nom de la mythologie grecque antique, puisant dans l’esprit de la mer. Elle fut présentée suite à une commande du New Orleans Museum of Art. « C’était quelques mois après la marée noire de Deepwater Horizon, explique l’artiste. Je suis originaire de Floride, et très attachée à l’océan. J’ai été choquée de la profonde tristesse que m’a causée cette catastrophe. » Pour trouver du réconfort, Swoon s’est alors tournée vers la déesse grecque de la mer qui, entre ses mains, surgit des eaux avec un regard triomphant sur son visage.
SWOON
“Thalassa”, 2024
Linoleum illustration printed on mylar and hand painted.
“Galerie des grands formats” – Petit Palais
Swoon is a Brooklyn-based artist widely known as the first woman to gain large-scale recognition in the maledominated world of street art. Swoon took to the streets of New York while attending the Pratt Institute of Art in 1999, pasting her paper portraits to the sides of buildings with the goal of making art and the public space of the city more accessible.
“Thalassa” takes its name from an ancient Greek mythological spirit of the sea. It was commissioned by the New Orleans Museum of Art. “It happened a few months after the Deepwater Horizon oil spill”, the artist explains. “I’m from Florida, and I have a deep connection to the ocean. I was shocked by the deep sadness that this disaster caused me.” For comfort, Swoon turned to the Greek goddess of the sea, who, in her hands, leaps from the water with a triumphant look on her face.