N° 44 - Septembre 2021

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patrimoine

La disparition des anciens métiers d’Anniviers Le meunier

L

e matin, quand je me lève, je peux simplement entrer dans une boulangerie et acheter du pain frais si j’en ai envie. Ce qui semble si facile aujourd’hui était jusqu’au milieu du XXème siècle une opération complexe, délicate et harassante dans les communautés de montagne.

Damien Zufferey (1884-1959) devant le moulin de Chandolin photo Charles-Henri Zufferey, extraite de notrehistoire.ch

rait stocker le grain et l’apporter au moulin en fonction des besoins. Le rôle du meunier était difficile et parfois même dangereux La plupart des moulins de la vallée appartenaient aux bourgeoisies et c’est donc elles qui choisissaient le meunier, pour une période de cinq ans. Dans certains villages, le meunier ne recevait pas de salaire et cette fonction était peu convoitée, mais dans d’autres, il obtenait une rémunération annuelle et une quantité de farine proportionnelle à la quantité de grain moulue. Il devait faire fonctionner les moulins trois à quatre fois par an durant un mois, même en hiver, et au moins les quinze premiers jours du mois de juin, les quinze derniers jours du mois d’octobre et vingt jours au mois de janvier. Le meunier restait au moulin durant toute la période

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de mouture, aussi longtemps qu’il le fallait. Il venait une semaine avant l’ouverture du four banal pour contrôler et réparer les installations, ainsi que pour boucharder, c’est-à-dire pour entretenir les rugosités des meules en écaillant délicatement la surface rocheuse au moyen de burins. En hiver, il devait même casser l’épaisse glace qui enserrait les pales, en descendant dans le « paradis »1, un espace sombre et glacial sous le moulin. Le rôle du meunier était central dans la vie du village, donc il devait être choisi avec soin. Comme l’explique François Salamin dans son ouvrage Les Moulins de St-Luc, « il fallait une personne consciencieuse et compétente : un travail négligé aurait provoqué des désagréments au village tout entier, puisqu’il s’agissait de fabriquer du pain à conserver plusieurs mois ». Son savoir-faire était plus complexe qu’il n’y parait : on pourrait penser que le moulin travaillait pour lui et qu’il lui suffi-

Le geste quotidien et banal d’acheter du pain est récent : auparavant, en Anniviers comme ailleurs, il fallait d’abord préparer la terre, semer les céréales, veiller sur elles, les arroser, les protéger des maladies et des ravageurs, les récolter, les faire sécher sur les balcons des raccards et battre le grain dans l’aire prévue à cet effet, puis l’entreposer dans des greniers à l’abri des souris et donc déjà construire ces greniers et façonner les grandes pierres plates rondes qui protègent le grain des rongeurs et de l’humidité. Mais le grain n’est pas encore le pain : il fallait ensuite le moudre pour le transformer en farine, puis fabriquer le pain et le cuire (et donc avoir construit un moulin, nommé un meunier, fabriqué un four, coupé des arbres, fendu des bûches, déplacé et rangé l’énorme quantité de bois nécessaire à la cuisson). Trois ou quatre fois par année, on allumait le four banal et chaque famille venait tour à tour cuire toute la quantité de pain dont elle avait besoin pour plusieurs mois. Autant dire qu’on coupait les derniers pains à la hache. Avant la cuisson, selon un ordre de passage précis établi à l’avance, les familles transportaient leur grain à dos de mulet du grenier jusqu’au moulin, pour le moudre avec l’aide du meunier. Le moulin et le four banal étaient ainsi indissociables. On ne fabriquait pas la farine trop longtemps à l’avance, car le grain se conservait mieux que la farine. On préfé-


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