Zut ! 12

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CHRONIQUE //

#11 Ma crise à moi

UNE CHOUCROUTE À OBSESSIONHEIM… Par Agnès Boukri // Photo Benoît Burger

//// Je ne comprends pas les gens qui m’entreprennent sur des sujets qui les passionnent sans se poser la question de savoir si ces sujets présentent un intérêt pour moi. C’est le cas d’Howard qui, rentrant des courses, me met sous le nez un paquet de choucroute garnie sous vide à 3,90€. Il me détaille son contenu, m’explique que c’est prévu pour une personne mais qu’il y en a pour deux. Que c’est vraiment une bonne affaire ; il y a même une petite patate au dessus du chou. C’est génial. Je fais mine de m’y intéresser… Je dis « elle est à l’eau la patate ? », en espérant qu’il va se rendre compte que je m’en tape complètement. Hé bien non : j’ai droit à un quart d’heure de dissertation sur la meilleure façon de réchauffer cette petite patate. Puis, j’essaie de me mettre dans sa peau (d’Howard, pas de la patate) et de me souvenir de toutes les fois où j’ai moi-même parlé avec passion de sujets saoulant. Mais la leçon sur la cuisson de la petite patate me distrait, impossible de me concentrer sur autre chose. Howard prend les enfants à parti. La choucroute sous vide entre les mains, il file dans leur chambre et c’est reparti pour une soutenance de thèse avec, en bonus, des recommandations sur la date limite de péremption (après-demain). Il est donc impératif de la manger à deux, demain à midi ou seul, mais en moins de deux jours. Voui, voui… manger une choucroute devient une expérience scientifique. Je m’en veux tellement de ne pas réussir à m’impliquer dans cette passion dévorante. J’essaie alors de coopérer : j’ouvre le frigo, pousse les yaourts au bifidus actif pour faire une place de choix à la choucroute – je suis prête à tout pour rendre Howard heureux –, je referme le frigo en poussant un ouf de soulagement. Enfin, la vie va commencer … mais c’est sans compter sur l’arrivée de ma fille passionnée par son master en Hautes études Européennes.

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Damned, je l’écoute me parler de l’économie du Lichtenstein. J’ai les yeux en boule de loto. Je pense au fond de moi : « Non, ce n’est pas possible, ce n’est pas ma fille, il y a certainement eu un échange à la maternité. » En l’écoutant, un désespoir lent mais certain s’installe en moi et fige ma bouche dans un sourire faux-cul repérable à 15 bornes. Le petit génie va-t-il capter que sa mère est en train de penser à son matelas Épeda multispires ? Howard s’approche de nous. Non, pitié, pas la choucroute… Je réussis à m’extirper discrètement de cette maison de fous et téléphone à mon ami Denis toujours friand de nouvelles de ma famille. Je me dis que je vais lui faire grâce des obsessions des deux cinglés et l’entreprends sur ma dernière création artistique : une mare aux canards installée sur la table de mon salon. Je n’ai pas le temps de finir mon exposé qu’il me répond : « t’es complètement à la masse, ça ne m’intéresse pas ce que tu me racontes là ! » I beg your pardon, Denis ? Comment ça, à la masse ? Pas intéressante, mon œuvre d’art ? Je retourne penaude à Obsessionheim. Au moins entre gens névrosés, on se comprend !


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