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CHRONIQUE //

#11 Ce petit quelque chose

MON PETIT RAHAN

Par Emmanuel Abela

//// Je ne saurais plus dire si c’était dans Pif Gadget, mais j’ai le souvenir précis de ma première rencontre avec le personnage de Rahan. Dans Le Territoire des ombres, le « fils des âges farouches » est poursuivi par des adorateurs de la mort qui exhibent des crânes lumineux et qui, pense-t-il, cherchent à l’entraîner à leur suite. Quand on a huit ou neuf ans, ce récit qui pose la question du passage vers l’au-delà, de la vie, de la mort, de la réalité tangible et des croyances, tranche avec d’autres lectures. * Je n’échange pas tant avec mes camarades de classe à propos de Rahan. Tout au plus, les longs récits tardifs comme L’Île des mortsvivants ou La Vallée des tourments, présentés dans des versions à suivre dans Pif font-ils l’objet de commentaires et de suppositions de notre part. Peut-être le vit-on sur un mode plus personnel, voire plus exclusif, comme quelque chose de secret, à destination de quelques initiés peu enclins au partage. Une histoire de Rahan est précieuse, un recueil d’abord trimestriel, puis – Ô joie ! – bimestriel, ne se prête pas. Et pourtant, il y a matière à discuter, voire à rejouer les scènes des histoires mythiques : Les Longues crinières, Le Clan sauvage, Le Signe de la peur, Les Liens de vérité, Le Sorcier de la lune ronde, L’Île du clan perdu, Le Retour des Goraks, La Nuit des Wampas et, bien sûr, Le Monstre d’un autre temps, qui se termine par l’instant où Rahan achève le « Karaka ». Rien que les titres nous renseignent sur le soin apporté à l’écriture de la série ; ils révèlent quelque chose de la part d’enfance, et surtout d’émotion, qu’on peut toujours leur associer. * « Vous savez, les enfants, dans le monde, il y a deux types de personnes ! - Ah oui, monsieur, lesquelles ?

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- Ceux qui sont ma-té-ri-a-listes, comme vous et moi, et ceux qui ne le sont pas ! -… - Prenez ce crayon, ceux qui sont matérialistes voient un crayon, ils le touchent, ils savent qu’il existe. - Ah ? Et ceux qui ne sont pas « ma-té-ri-a-listes » ? - Eh ben, ils ne le voient pas ! -… - Nous, nous sommes matérialistes, nous savons ce qu’est la vie, mais les autres, qu’on appelle les « communistes », n’en savent rien ! » On pourrait croire que je force un peu le trait, et pourtant ce dialogue n’est pas une invention ; il s’agit d’un court échange entre un professeur de religion et ses élèves dans une école privée strasbourgeoise. Des amis m’ont relaté qu’ils cachaient à leurs parents que Pif était édité par le parti communiste français, d’autres m’ont rapporté qu’il n’y avait pas droit, d’autres enfin qu’ils n’avaient droit qu’à cela : la séparation entre les mondes existait bel et bien. Moi, je n’avais rien caché, je n’en savais rien. Mais il est vrai qu’à cette époque pas si lointaine où l’on me ressassait « Tu sais, à l’Est, ils n’ont pas de savon », ce personnage qui prônait les valeurs de tolérance et de loyauté auprès de « ceux qui marchent debout » – entendez les hommes ! – ne pouvait passer que pour un dangereux subversif. * Blutch nous le rappelle dans Le Petit Christian : dans Rahan, il y avait des filles ! Alona, Sonaya, Onoo, Orooa, Lonoo, Tanaou, Ohana, Maoni, Eloa…


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