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CHRONIQUE
MA CRISE À MOI
— Par Agnès Boukri — Photo Pascal Bastien
A U P AY S D E C H E E T A
— Hier après midi, j’ai surpris une bribe de conversation
téléphonique entre mon fils et son meilleur ami, Albert. Il lui disait : « Moi, la famille de ma mère, comparée à celle de mon père, c’est comme si tu mettais des singes avec des humains. » Sur le coup, je n’ai rien dit, légèrement vexée… Je suis partie méditer dans la cuisine… Mes yeux se sont posés sur les bananes du marché achetées le matin même. Je ne sais pas ce qui m’a pris d’en acheter une dizaine – certainement la flemme de les détacher les unes des autres et puis, je trouvais ça joli, une petite “grappe” de bananes. J’ai pensé ensuite à mes manières. Pas toujours très élégantes, il est vrai, mais bon, je n’ai jamais épouillé personne. Les chimpanzés adorent exhiber leurs parties génitales. Non, ça ne peut pas être ça non plus. Bref, il faut que je me fasse à l’idée d’être une guenon sans raison. Et d’élargir le débat à : pourquoi l’autre me voit‐il d’une façon si différente de ce que je suis ? C’est souvent arrangeant d’avoir des idées toutes faites sur son prochain ; ça permet de ne pas penser à soi et à son gros derrière qui traîne par terre.
ZUT ! 14
Moi-même suis très forte pour décider que les autres sont des abrutis finis. J’ai ainsi créé le vide autour de moi. Les cancans n’atteignent plus mes oreilles poilues de guenon. J’apprécie d’autant plus de manger mes bananes que je les savoure en pleine conscience*. C’est peut‐être ça mon côté simiesque. Chercher ma vérité et gratter mon cul rouge et pelé sans me soucier du jugement des humains. *La pleine conscience consiste à ramener son attention sur l’instant présent. Par exemple, lorsque vous mangez une banane, vous pensez à la banane et à rien d’autre. Lorsque vous vous lavez les pieds, vous pensez à vos pieds et à rien d’autre, lorsque vous dansez le boogiewoogie, vous pensez au boogie‐woogie et à rien d’autre et ainsi de suite…