DESIGN
Pierre Bindreiff et Sébastien Geissert, les deux designers strasbourgeois de V8, ont d’ailleurs trouvé une parade aux assiettes posées sur une table : avec Entrée plat dessert (prototype en plâtre et porcelaine en cours d’étude), la table est aussi l’assiette. Ils cassent les codes en offrant une proposition ludique, entre vaisselle et mobilier, où les contenants permettent une nouvelle façon de se nourrir en relation avec la chronologie du repas : debout, assis, affalé ! Mais ceci est donc du design et non du design culinaire ! La séparation entre art, design, design culinaire et cuisine est bien mince… Trouver de nouvelles sensations ou rituels est au centre des questionnements de tous ces jeunes créateurs. Strasbourgeoise et inventive, la designer culinaire Emmanuelle Benoit fait aussi partie de ces têtes chercheuses qui défriche les terrains de l’alimentaire avec raffinement et humour… Avec Pain à main, elle réinvente le transport et la forme d’une miche de pain. En lui donnant la forme d'un sac, elle lui apporte du sens et évite l’usage d’emballage. Pour son Millefeuille constructiviste, créé à l’occasion de la réouverture de la salle de l’Aubette en 2009, elle s’est inspirée de l’œuvre de Théo Van Doesburg pour une superposition ludique de sucettes et de bouchées pâtissières à déguster-déconstruire. Et le beau étant toujours associé au bon, elle avait collaboré pour ce projet avec la pâtisserie Ziegler. Diplômée d'histoire de l'art, de multimedia et de design à l'École supérieure des arts décoratifs de Strasbourg, cette passionnée de cuisine intervient aussi comme pédagogue et analyste-consultante en image de produits et espaces alimentaires : une pluridisciplinarité qu’elle peut conjuguer à l’envi depuis qu’elle s’est spécialisée dans le design culinaire. « J'imagine chacune de mes créations comme un univers polysensoriel miniature. Métaphores poétiques et allégories gourmandes de l'ensemble des saveurs de la vie, elles deviennent des invitations à « goûter » le monde. » Une bien jolie image de gourmandise… Le design culinaire dessine avec fantaisie un futur plutôt euphorisant et propose un voyage gustatif complémentaire à l’art et à la gastronomie. Chic ! Manger devient un jeu et le paysage qui s’offre à nous est plus qu’appétissant ! V8 designers, Entrée plat dessert, prototype en plâtre et porcelaine
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GOÛTEZ-MOI ÇA, C'EST DE L'ART !
et non du design culinaire
Difficile d’occulter l’influence de l’art contemporain sur le design culinaire. Même si ce dernier n’a pas la vocation de créer une œuvre, il doit beaucoup au Eat Art (inventé dans les années 60 par Daniel Spoerri), décliné depuis en Food art. Sophie Calle, qui marie si bien la fiction à la réalité, et son « régime chromatique » ont également ouvert des portes. Les trompe-l’œil de l’artiste belge Wim Delvoye, qui réalise en charcuterie un sol de marbre marqueté plus vrai que nature, ne sont finalement pas très éloignés des sablés bicolores de la designer culinaire Sonia Verguet, qui joue avec le graphisme et l’illusion d’une traditionnelle nappe alsacienne à carreaux ! Le regard sur l’aliment de plasticiennes comme Natacha Lesueur ou Sarah Illenberger interroge notre rapport à la nourriture, leur humour et leur poésie suscitant plutôt de l’attirance que de rejet… contrairement au Meat Art, qui recouvre crûment les corps de viande. Les exemples les plus marquants ? La célèbre Butcher Cover des Beatles en 1964 – pochette finalement censurée montrant les Fab Four hilares entourés de fragments de viande… et de poupées ! –, la pochette d’All Wrapped Up du groupe punk Undertones en 1983, l’artiste Jana Starbak qui fit entrer une robe de viande dans un musée et, plus récemment, Lady Gaga photographiée en trikini par Terry Richardson pour le Vogue Japan ou portant sa robe de viande façon carpaccio aux MTV Video Music Awards 2010…