Zone d possible
NumĂ©roâââ06 Gratuit / 09.2022
â architecture
Ăcole nationale supĂ©rieure dâarchitecture de Strasbourg Architecture en transitions # 2
Directeur de la publication Philippe Cieren
Coordination de projet Frédérique Jeanroy
Contributeurs Ăric Albisser
Dominique Gauzin-MĂŒller
MylĂšne Bourgeteau
Remerciements à Gauthier Bolle, Philippe Cieren, Emmanuel Dufrasnes, Xavier Nachbrand, François Nowakowski, Frédéric Rossano, Thierry Rey, Emmanuelle Rombach.
Une publication réalisée par chicmedias
Rédaction en chef Sylvia Dubost
Direction artistique et mise en page Mickaël Dard
Rédacteurs
Emmanuel Dosda Sylvia Dubost
Corinne Maix
Photographes
Pascal Bastien Jésus s.Baptista
Illustration couverture
Laura Ancona
Ce magazine est Ă©ditĂ© par lâĂcole nationale supĂ©rieure dâarchitecture de Strasbourg 6-8, boulevard du prĂ©sident Wilson BP1003
67068 Strasbourg cedex www.strasbourg.archi.fr
Tirage : 4000 ex DépÎt légal : septembre 2022 ISSN : 2646-8336
Impression : Ott imprimeurs
Diffusion : Novéa
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RĂ©trospective La vie de lâĂ©cole
Architectures en transitions #2
08 Lectures dâespaces
Prendre de la hauteur, et observer la ville depuis la plateforme de la cathédrale.
12 Tribune.
Manifeste pour une frugalitĂ© heureuse et crĂ©ative, par Dominique Gauzin-MĂŒller, Alain Bornarel et Philippe Madec.
16 Regards.
Quelques rĂ©alisations exemplaires, choisies et commentĂ©es par les enseignants de lâĂ©cole.
20 Sur le métier.
RĂ©emploi, mode dâemploi : une conversation entre Ă©tudiants et professionnels.
26
Perspectives.
Pour Frédéric Rossano, le port de Strasbourg pourrait bien détenir les clés du futur de la ville.
30
Travaux dâĂ©cole.
Des expĂ©rimentations audacieuses qui inventent lâarchitecture du futur.
44 Tribune.
Prolonger les Ă©tudes supĂ©rieures⊠par Ăric Albisser.
46
Perspectives.
Pour enseigner les transitions aux élÚves, les pédagogies doivent elles aussi évoluer.
50
Dans lâatelier.
Des Ă©lĂšves se frottent Ă lâexercice du mĂ©tier dâarchitecture en milieu rural.
56
Pour aller plus loin Une bibliographie commentée.
58 Agenda
Par Philippe Cieren, directeur de lâĂcole nationale supĂ©rieure dâarchitecture de Strasbourg
Force est de constater que les rĂ©ponses actuelles aux changements majeurs que nous vivons visent Ă les accompagner. Ils relĂšvent le plus souvent dâinterventions modifiant des systĂšmes de production devenus obsolĂštes, dans le sens dâen diminuer leurs effets. La question de leur pertinence au regard des conditions actuelles et celle des limites de leurs capacitĂ©s Ă produire des effets adaptĂ©s ne sont jamais rĂ©ellement Ă©valuĂ©es. La rĂ©alitĂ© est que sans remise en cause de ces modĂšles et du principe de croissance, rien de vraiment efficace Ă terme ne verra le jour et cela nâaidera pas Ă un changement des comportements. Dans cette rĂ©volution en marche, les architectes doivent impĂ©rativement faire partie des acteurs principaux des mutations Ă mettre en Ćuvre, dans la mesure oĂč les projets quâils rĂ©alisent sont indispensables, dĂ©terminent le cadre de vie et impactent la trilogie sol-Ă©nergie-matĂ©riaux. Ce sont notamment les modes dâamĂ©nagement, les systĂšmes de production, les fonctionnements, les matĂ©riaux et lâĂ©conomie des projets quâil va falloir transformer. Avoir peur est-il un moteur dâaction ? Malheureusement, le mode de pensĂ©e et dâaction en vigueur, basĂ© sur la restriction (somme toute Ă©quivalente Ă un ralentissement sans remise en cause des systĂšmes), est associĂ© Ă un discours alarmiste rĂ©current. Ce couple forme un ensemble de nature anxiogĂšne qui ne favorise pas les innovations et ne suscite pas lâenthousiasme. La prise en compte de nouveaux usages adaptĂ©s aux contraintes Ă venir est probablement un des grands absents des dĂ©bats institutionnels sur le sujet. LâintĂ©rĂȘt dâintroduire ces valeurs comme principal moteur du progrĂšs en lieu et place de considĂ©rations techniques Ă©quivaudrait Ă passer dâune vision basĂ©e sur la croissance Ă une autre conditionnĂ©e par le bien-ĂȘtre (mieux au lieu de plus) tout en faisant du rĂ©sultat technique une consĂ©quence positive au lieu dâun objectif restrictif⊠Lâeffet est bien plus positif. Et les futurs architectes dans tout ça ? Il y a dans les Ă©coles dâarchitecture environ 20 000 Ă©tudiants. Dâune part, câest insuffisant au regard des enjeux, dâautre part, on va devoir adapter lâenseignement Ă leur prodiguer. Sâil est Ă©videmment fondamental de conserver lâenseignement du projet qui donne aux architectes la capacitĂ© unique de comprendre, concevoir et rĂ©aliser des espaces complexes, lâenvironnement de cet enseignement devra rapidement permettre dây intĂ©grer tous les questionnements du monde Ă venir de façon Ă leur donner les moyens de faire Ă©voluer notre cadre de vie. Mais, surtout, nâoublions pas nos Ă©tudiants et faisons leur confiance. La centaine de Projets de Fin dâĂtudes, cette annĂ©e Ă Strasbourg, atteste de la vigueur de leurs questionnements sur ces sujets ainsi que dâune maturitĂ© et dâun niveau de prĂ©occupation Ă©levĂ© sur lâavenir du monde. Donnons Ă plus encore les bonnes mĂ©thode s, ils trouveront les solutions !
Combien dâarchitectes et pour quoi faire ?
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LA VIE DE LâĂCOLE
ANNIVERSAIRE
Partenariat Strasbourg-Shanghai
Le double master franco-chinois fĂȘte ses dix ans. Ce diplĂŽme international permet aux Ă©tudiants de lâENSAS et de la Tongji Uni versity de Shanghai de croiser leurs regards et leurs approches des mĂ©tiers dâarchitecte et dâurbaniste, de la sociĂ©tĂ© dans laquelle ils exercent et de ses bouleversements. Ici comme lĂ -bas, il est aujourdâhui crucial de revoir les modes de vie, de dĂ©placement, de production, de rĂ©inventer les infrastructures, de repenser le sens et lâorganisation de nos architectures, de nos villes et de nos terri toires. Des questions communes, abordĂ©es avec dâautres grilles de lecture et outils, qui peuvent (souvent) aboutir Ă des rĂ©ponses diffĂ©rentes. Câest dans cet Ă©cart que se rĂ©gĂ© nĂšrent ou se rĂ©interrogent les pratiques et les points de vue, comme le montre lâexposition virtuelle City and mobility in transition. Urba nity in the making, qui prĂ©sente une sĂ©lection de projets et de travaux de recherches issus de ce double master franco-chinois, de la Chaire partenariale dans laquelle il sâinscrit ou des Ă©changes qui lâaccompagnent. Une mise en miroir passionnante et stimulante.
Commissariat scientifique : Andreea Grigorovschi, maĂźtresse de confĂ©rences Ă lâENSAS, avec la complicitĂ© de Fan Lang et de Marie FruiquiĂšre
Suivez-nous sur Facebook et Instagram pour connaĂźtre les dates de lâexposition
Photo : Guillaume Cridli, extrait de MĂ©andre mĂ©tropolitain. Mise en scĂšne dâune dualitĂ©, Projet de Fin dâĂtudes 2015
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RĂCOMPENSE
Dominique Coulon mĂ©daille dâOr de lâAcadĂ©mie dâarchitecture
Chaque annĂ©e, lâAcadĂ©mie dâarchitecture rĂ©compense des acteurs du monde de lâarchitecture, des mĂ©tiers dâart et du bĂątiment, quâils soient praticiens, enseignants ou chercheurs. Le 7 septembre 2022, 40 prix et rĂ©compenses ont ainsi Ă©tĂ© remis par la Ministre de la culture, Madame Rima Abdul Malak. La mĂ©daille dâOr a Ă©tĂ© attribuĂ©e Ă Dominique Coulon, architecte et enseignant Ă lâENSAS, pour son inlassable recherche de « la poĂ©sie des lieux et de lâespace », « une Ć uvre remarquable, profondĂ©ment sensible, caractĂ©risĂ©e par une recherche singuliĂšre autant quâun sens minutieux du dĂ©tail. »
Portrait : David Romero-Uzeda
En bas : MédiathÚque à Porto-Vecchio
Photo : Eugeni Pons
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RECHERCHE
Un mémoire sur les lieux de lutte
Dâici 2035, CigĂ©o, Centre de stockage industriel gĂ©ologique, doit stocker les dĂ©chets les plus dangereux de la filiĂšre nuclĂ©aire française. Depuis les annĂ©es 1990 et le choix du village de Bure pour accueillir le site, le projet fait lâobjet dâune vive contestation. Lucie Dubois a fait de cette lutte le sujet de son mĂ©moire de master, soutenu en 2022 et dirigĂ© par Mireille Dietschy et Barbara Morovich. Sâopposer au stockage des dĂ©chets nuclĂ©aires Ă Bure. Du conflit dâamĂ©nagement aux utopies Ă©copratiques (le titre du mĂ©moire) montre comment les espaces de contestation Ă©cologiste permettent de dĂ©velopper des modes de vie mais aussi de nouvelles dynamiques territoriales, qui peuvent sâavĂ©rer de vraies alternatives.
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LâĂCOLE
ĂDITION
RĂ©alisĂ© Ă lâoccasion du centenaire de lâĂ©cole, cet ouvrage accompagne lâexposition prĂ©sentĂ©e au printemps 2022 aux Archives de la Ville et de lâEuromĂ©tropole. Il interroge lâempreinte de lâĂ©cole dans le dĂ©veloppement architectural et urbain de la rĂ©gion, en Ă©clairant les trajectoires des architectes, enseignants et Ă©lĂšves, leurs projets et rĂ©alisations. De lâintroduction de lâArt dĂ©co jusquâĂ celle des tendances contemporaines, en passant par les reconstructions dâaprĂšsguerres, la construction des grands ensembles et des Ă©quipements publics ou religieux, se fait jour une modernitĂ© attentive aux paysages locaux. La premiĂšre partie du livre croise les enjeux de la crĂ©ation architecturale en Alsace et de la formation des architectes Ă Strasbourg depuis le dĂ©but du 20 e siĂšcle. La seconde, organisĂ©e en quatre chapitres chronologiques, restitue la diversitĂ© des documents exposĂ©s, accompagnĂ©s de notices historiques
dĂ©taillĂ©es. ConfrontĂ©s Ă de fortes injonctions nationales, les acteurs de lâĂ©cole ont toujours tĂ©moignĂ© dâune ferme volontĂ© dâadapter leurs Ćuvres au contexte rĂ©gional tout en sâouvrant Ă de nouvelles influences.
Sous la direction de Gauthier Bolle, Amandine Diener et Nicolas Lefort, avec la collaboration de CĂ©cile RiviĂšre, Ăditions Lieux dits, 22âŹ
LâĂcole dâarchitecture de Strasbourg, une douce modernitĂ© en Alsace
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DâARCHITECTURE DE STRASBOURG une douce modernitĂ© en Alsace sous la direction de Gauthier Bolle, Amandine Diener et Nicolas Lefort avec la collaboration de CĂ©cile RiviĂšre [ 1921-2021 ] LâĂCOLE DâARCHITECTURE DE STRASBOURG une douce modernitĂ© en Alsace 1921-2021 22,00 ⏠accompagne le enseignants dâaprĂšsattentive lâĂ©cole qui Ă diversitĂ© les s'ouvrant
Quelles « transitions » notre ville a-t-elle dĂ©jĂ connu au fil de son histoire, et quelles traces ont-elles laissé ? Pour cette lecture dâespace, histoire de prendre de la hauteur, nous sommes montĂ©s sur la plateforme de la CathĂ©drale pour observer la ville de Strasbourg, son inscription dans le paysage et son Ă©volution dans le temps.
Voir loin
Par Sylvia Dubost â Photos Pascal Bastien
Observateurs
Philippe Cieren, architecte du patrimoine, directeur de lâENSAS Gauthier Bolle, architecte, maĂźtre de confĂ©rences en histoire et culture architecturale Ă lâENSAS
Prendre de la hauteur, câest voir plus loin dans lâespace et le temps. ApprĂ©hender les transformations de la ville au fil des dĂ©cen nies et des siĂšcles, voir comment la ville se reconstruit sur elle-mĂȘme, selon des logiques diffĂ©rentes voire opposĂ©es suivant les Ă©poques. Câest aussi changer de point de vue et de regard. Vue dâici, Ă 66m au-dessus du cĆur de la ville mĂ©diĂ©vale, Strasbourg dĂ©voile plus clairement son dessin et laisse supposer les desseins de ceux qui lâont construite.
quotidienne de la ville altĂšre manifestement la perception de la situation des bĂątiments et de leurs dimensions. (Ă noter que dâici, on ne peut regarder que vers le nord-est et le sud-ouest, les autres angles, vers la place de Haguenau ou la MĂ©diathĂšque Malraux, Ă©tant « empĂȘchĂ©es » par la maison des gar diens et la tour.)
Repérages
66m, ce nâest pas si haut, mais cela suffit pour bousculer les repĂšres. La pratique
« Une des premiĂšres choses que je fais Ă chaque fois que je visite une ville, câest de monter sur une tour », rapporte Philippe Cieren. Son dessin gĂ©nĂ©ral apparait en effet avec une clartĂ© inĂ©dite. Il commente : « Dâici, je vois dâabord des couvertures en tuiles : câest la ville dâavant le 19 e siĂšcle. Puis une bande dâardoise : ce sont les toits de la ville allemande. Et entre les tuiles et lâardoise, je vois les bandes dâarbres qui laissent deviner les bandes dâeau. » « Cela nous conduit Ă nous demander quelles interactions, quelles frictions existent entre ces bandes. », en chaĂźne Gauthier Bolle. De maniĂšre gĂ©nĂ©rale, « ce qui [le] frappe, câest la continuitĂ© visuelle dans la variĂ©té ». Philippe Cieren retient « une variĂ©tĂ© assez fondue »
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ARCHITECTURE EN TRANSITIONS âLECTURE DâESPACES
La ville mĂ©diĂ©vale et allemande Dans la partie mĂ©diĂ©vale, particuliĂšrement dense, on est frappĂ© par « lâorientation identique des bĂątiments », que relĂšve Philippe Cieren, surtout entre la cathĂ©drale et la place Gutenberg - rue du Vieux-MarchĂ©aux-Poissons. Ce nâest plus le cas dans certains quartiers plus tardifs, notamment au-delĂ de lâĂźle centrale. Dâici, on remarque immĂ©diatement les bĂątiments de la rue de la Division Leclerc, qui se dĂ©tachent par leur couleur et leurs dimensions. « Ces bĂątiments sociaux des annĂ©es 30 soulignent la structure de la ville mĂ©diĂ©vale », explique Gauthier Bolle. Ils lâĂ©pousent, pour ainsi dire. Cette artĂšre sâinscrit dans le projet de modernisation du centre historique, entre 1910 et 1960, oĂč des logements insalubres sont dĂ©truits pour laisser place Ă de grands axes. Les habitants sont relogĂ©s, notamment dans la citĂ©-jardin du Stockfeld, et ici, donc. « La rue de la Division Leclerc fait partie de la « GrandePercĂ©e », dans la continuitĂ© de la Rue du 22-Novembre, et sera prolongĂ©e jusquâĂ la place
de la Bourse dans les annĂ©es 60. Elle dĂ©montre une vision urbaine globale et intĂ©ressante, qui relie la citĂ© du Stockfeld, oĂč les habitants sont relogĂ©s, au centre-ville par le tramway [qui suit le mĂȘme trajet quâaujourdâhui, NDLR]. » Gauthier Bolle relĂšve ici la finesse de la couture entre le tissu ancien et rĂ©cent, qui sera selon lui moins finement travaillĂ©e dans la derniĂšre partie, rue de la 1Ă©re ArmĂ©e. « Pendant longtemps, il y a eu un architecte en chef Ă la ville, en lâoccurrence Paul Dopff pour la rue de la Division Leclerc, qui veillait Ă lâharmonie, Ă la qualitĂ© des transitions avec les bĂątiments de la Renaissance. » Cette fonction nâexiste plus Ă partir des annĂ©es 1970. « à partir de lĂ , le tempo de lâurbanisation devient plus politique. » Philippe Cieren dĂ©signe quant Ă lui des bĂątiments des annĂ©es 50, insĂ©rĂ©s dans le tissu mĂ©diĂ©val, qui remplacent ceux dĂ©truits pendant la 2e Guerre Mondiale , et note Ă quel point ces raccommodages sont discrets. Au nord, cĂŽtĂ© Homme de fer, oĂč lâon est plus loin de cathĂ©drale, la municipalitĂ© a adoptĂ©
La rue de la Division Leclerc (bùtiments blancs) entoure et souligne la ville médiévale
une autre attitude, « car on estimait que le bĂąti avait moins dâintĂ©rĂȘt ici ». Difficile de manquer la Tour Valentin-Sorg place de lâHomme de fer, construite en 1955 par Charles-Gustave Stoskopf, Ă qui lâon doit aussi le quartier de lâEsplanade et du Neuhof. Y sont relogĂ©s des habitants dont les logements avaient Ă©tĂ© en dommagĂ©s pendant la guerre. On fait remar quer le dĂ©samour dont elle est parfois lâobjet, et Gauthier Bolle de rappeler que Stoskopf avait justifiĂ© son geste par la prĂ©sence dâune tour mĂ©diĂ©vale Ă cet endroit, et que son pro jet ouvrait ici la possibilitĂ© dâun axe nord-sud (vers les Halles et au-delĂ ) qui prolonge la Grande-PercĂ©e.
La ceinture verte et au-delà « AprĂšs la 1Ăšre Guerre Mondiale, les terrains militaires ont Ă©tĂ© dĂ©classĂ©s », rappelle Gauthier Bolle. La ville peut ainsi sâĂ©tendre au-delĂ du glacis militaire, cette large bande non construite qui entourait la Citadelle de Vauban, dĂ©mantelĂ©e Ă partir de 1870.
Le glacis bien visible : il est dĂ©sormais Ceinture verte, et entoure la ville ancienne âmĂ©diĂ©vale et allemande. Dâici, on peut suivre son tracĂ© trĂšs peu interrompu : de lâOrangerie au Heyritz et au Parc de la Citadelle en passant par les remparts derriĂšre la gare. « CâĂ©tait presque une politique Ă©cologique Ă lâavance, note Gauthier Bolle. On y a construit quelques logements des Ă©quipements, mais on a essayĂ© de la conserver telle quelle. Ă cela sâajoute une politique trĂšs ambitieuse sur les jardins ouvriers, amplifiĂ©e par Jacques Peirotes. » « On voit trĂšs bien dâici Ă quel point la ville est verte, remarque Philippe Cieren, au-delĂ du centre trĂšs dense oĂč il y a trĂšs peu dâĂźlots verts. » Au-delĂ , la ville a progressivement intĂ©grĂ© les faubourgs. « Il y a vingt ans, on voyait beaucoup plus la coupure avec Neudorf, se souvient Gauthier Bolle. Le pont Wilson marquait vraiment une rupture, on passait au-dessus dâune ville quâon ne voyait pas. Aujourdâhui, on ne ressent plus la limite, alors quâau nord [de la place de Haguenau Ă lâOrangerie, NDLR], le glacis joue encore son rĂŽle. »
Le quartier de lâEsplanade rompt avec les gabarits des bĂątiments de la ville ancienne.
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Dâici, on voit nettement quâĂ partir des annĂ©es 60, les dimensions des nouvelles constructions contrastent fortement avec celles de la ville ancienne. On a explosĂ© les gabarits : le quartier de lâEsplanade et le centre commercial des Halles semblent, vu dâici, totalement dĂ©mesurĂ©s et sans lien avec le bĂąti ancien. Juste Ă cĂŽtĂ©, on aperçoit lâali gnements des logements construits au dĂ©but annĂ©es 50 rue du Jura, entre la Krutenau et lâEsplanade, « qui sont encore en continuitĂ© avec la ville ».
La ville de demain DĂšs lors, comment envisager la ville de demain ? « Strasbourg est clairement une ville de plaine, observe Philippe Cieren, dont on voit nettement les contours. Il nây a pas de limite phy sique Ă son extension, sauf le Rhin. Or, la raison commande de densifier : câest trĂšs contradictoire. Lâune des qualitĂ©s de Strasbourg, câest justement quâelle nâest pas trop dense. Mais il faut malheu reusement constater que tout espace non bĂąti est
affectableâŠÂ » Pour Gauthier Bolle, « il faut dĂ©velopper la ville en conservant ces qualitĂ©s, notamment ce lien avec la nature, qui fait partie dâun mode de vie. » « Il faut rĂ©tablir la continuitĂ© verte, confirme Philippe Cieren, et inventorier les dĂ©laissĂ©s. Bout Ă bout, cela fait beaucoup. Ce sont souvent de petits espaces, et cela demande une autre culture de construction. » DĂšs lors, que retirer de tout cela ? « Je vois lâintelligence du passĂ©, commente Gauthier Bolle, et je vou drais quâon ait la mĂȘme. » Et Philippe Cieren de conclure « Entre ici et le bout de la ville, il y a 600 Ă 700 ans. Sans doute quâon fera un peu de bĂȘtises, mais ça ira ! Ce qui se passera dans les cinquante prochaines annĂ©es est finalement assez mineurâŠÂ »
LâentrĂ©e dans Strasbourg par la M351, dans lâaxe de la CathĂ©drale. Ă droite, le ZĂ©nith, au premier plan, lâancien glacis militaire.
MANIFESTE POUR UNE FRUGALITĂ HEUREUSE ET CRĂATIVE
Le temps presse
Lâalarme sonne de tous cĂŽtĂ©s. Les rapports du GIEC confirment la responsabilitĂ© humaine dans le dĂ©rĂšglement global. Plus de 15 000 scientifiques lâaffirment : il « sera bientĂŽt trop tard pour dĂ©vier de notre trajectoire vouĂ©e Ă lâĂ©chec, et le temps presse ». LâONU dĂ©plore que les Ă©missions de gaz Ă effet de serre stagnent Ă 52 Gt annuels, alors quâil faudrait les limiter Ă 36, voire 24, pour rester en-dessous des 2 °C qui autorise raient un avenir apaisĂ©. La COP 23 affiche son impuissance : les engagements pris lors de la COP 21, en 2016, conduisent Ă une hausse de 3 Ă 3,5 °C.
Les menaces sâaccumulent
Au-delĂ des changements climatiques dus aux Ă©missions de gaz Ă effet de serre, les menaces sâaccumulent : dĂ©croissance accĂ©lĂ©rĂ©e de la biodiversitĂ©; rarĂ©faction de ressources Ă©puisables ; pollution accrue de lâair, des terres et des mers ; inĂ©galitĂ©s grandissantes face au partage des richesses et aux impacts du dĂ©rĂšglement global⊠La seule maĂźtrise de lâĂ©nergie ne suffira pas.
Des paroles et des actes
Les choix politiques nationaux sont-ils Ă la hau teur des enjeux ? Les gouvernements successifs annoncent des initiatives quâils finissent par reporter. Ainsi, lâobjectif des 50 % de nuclĂ©aire dans le mix Ă©lectrique est repoussĂ© aux calendes grecques, ruinant pour de nombreuses annĂ©es lâessor des Ă©nergies renouvelables. Depuis la crise financiĂšre de 2008, la visĂ©e environne
mentale nâest plus le dessein essentiel quâelle fut au dĂ©but de ce siĂšcle. La rĂ©vision Ă la baisse des engagements, lâannonce de mesures au budget notoirement insuffisant, comme pour la rĂ©no vation Ă©nergĂ©tique de lâexistant, et la mise Ă mal du financement du logement social lâattestent et inquiĂštent.
Un mode de dĂ©veloppement obsolĂšte Pourquoi refuser de voir lâavenir ? Sommesnous pour toujours pris au piĂšge dâun mode de dĂ©veloppement aveugle ? Comment peut-on favoriser une production accrue de biens sans voir lâĂ©puisement des ressources et les dĂ©rĂšglements planĂ©taires ? Comment peut-on avanta ger la prospĂ©ritĂ© de la finance sans voir enfler les inĂ©galitĂ©s et notre dette envers la nature ? Comment peut-on privilĂ©gier la compĂ©tition Ă©goĂŻste sans voir les solidaritĂ©s sâĂ©puiser et la gĂ© nĂ©rositĂ© sâĂ©touffer ? Ce mode de dĂ©veloppement dâun autre Ăąge paralyse la transition Ă©cologique et sociĂ©tale.
La bonne nouvelle Mais le monde change et des graines de pos sibles poussent sur toute la planĂšte. Une agri culture soucieuse des humains et de la nature sort de la marginalitĂ© et les circuits courts se dĂ©veloppent. Une Ă©conomie coopĂ©rative, sociale et solidaire prend place en dehors des secteurs marchands et de ceux qui sâautoproclament collaboratifs. Dans les esprits, lâusage partagĂ© prend le pas sur la possession, la mutualisation sur la privatisation, la sobriĂ©tĂ© sur le gaspillage. Un monde nouveau naĂźt.
Par Dominique Gauzin-MĂŒller (architecte-chercheuse, enseignante Ă lâENSAS), Alain Bornarel (ingĂ©nieur) et Philippe Madec (architecte et urbaniste)
012 TRIBUNES
Halle polyvalente dâAncy-Dornot.
Architecte : Christophe Aubertin, Studiolada
Photo : Julian Pierre ou Olivier Matthiotte
La lourde part des bĂątisseurs
Les professionnels du bĂątiment et de lâamĂ©na gement du territoire ne peuvent se soustraire Ă leur responsabilitĂ©. Leurs domaines dâaction Ă©mettent au moins 40 % des gaz Ă effet de serre pour les bĂątiments, et bien plus avec les dĂ©pla cements induits par les choix urbanistiques, telle la forte prĂ©fĂ©rence pour la construction neuve plutĂŽt que la rĂ©habilitation. Choix qui suppriment, tous les dix ans, lâĂ©quivalent de la surface dâun dĂ©partement en terres agricoles. Lâengagement collectif et individuel sâimpose.
Frugalité en énergie
Le monde du bĂątiment change aussi. Ă lâĂ©chelle du territoire, des projets de production dâĂ©ner gie renouvelable, locale et participative se dĂ©veloppent. Ă lâĂ©chelle du bĂątiment, on sait construire des Ă©difices sains et agrĂ©ables Ă vivre sans ventilation mĂ©canique ni climatisation, voire sans chauffage. GrĂące Ă la ventilation naturelle, au rafraĂźchissement passif, Ă la rĂ©cupĂ©ration des apports de chaleur gratuits et Ă lâinertie thermique, la conception bioclima tique permet de rĂ©duire au strict minimum les consommations dâĂ©nergie, tout en assurant un confort accru. Nous savons le faire et cela ne coĂ»te pas plus cher. Pourquoi ne pas gĂ©nĂ©raliser ces pratiques ?
Frugalité en matiÚre
Nous savons aussi nous passer de matĂ©riaux qui gaspillent les ressources. La construction en bois, longtemps limitĂ©e aux maisons individuelles, est mise en Ćuvre Ă prĂ©sent pour des Ă©quipements publics dâenvergure et des habitations collectives de plus de 20 Ă©tages. Les isolants biosourcĂ©s, marginaux il y a peu, reprĂ©sentent prĂšs de 10 % du marchĂ© et pro gressent de 10 % chaque annĂ©e. La terre crue, matiĂšre de nos patrimoines, sort du purgatoire dans lequel le 20e siĂšcle lâavait plongĂ©e. Toutes ces avancĂ©es consolident le dĂ©veloppement de filiĂšres et de savoir-faire locaux Ă lâĂ©chelle des territoires.
Frugalité en technicité
La frugalitĂ© en Ă©nergie, matiĂšres premiĂšres, entretien et maintenance induit des approches low-tech. Cela ne signifie pas une absence de technologie, mais le recours en prioritĂ© Ă des techniques pertinentes, adaptĂ©es, non pol luantes ni gaspilleuses, comme des appareils faciles Ă rĂ©parer, Ă recycler et Ă rĂ©employer. En rĂ©alisation comme en conception, la frugalitĂ© demande de lâinnovation, de lâinvention et de lâintelligence collective. La frugalitĂ© refuse lâhĂ©gĂ©monie de la vision techniciste du bĂątiment et maintient lâimplication des occupants.
Ce nâest pas le bĂątiment qui est intelligent, ce sont ses habitants.
Frugalité pour le territoire
Quâil soit implantĂ© en milieu urbain ou rural, le bĂątiment frugal se soucie de son contexte. Il reconnaĂźt les cultures, les lieux et y puise son inspiration. Il emploie avec soin le foncier et les ressources locales ; il respecte lâair, les sols, les eaux, la biodiversitĂ©, etc. Il est gĂ©nĂ©reux envers son territoire et attentif Ă ses habitants. Par son programme et ses choix constructifs, il favorise tout ce qui allĂšge son empreinte Ă©cologique, et tout ce qui le rend Ă©quitable et agrĂ©able Ă vivre.
Pour la frugalité
La transition Ă©cologique et la lutte contre les changements climatiques concourent Ă un usage prudent des ressources Ă©puisables et Ă la prĂ©servation des diversitĂ©s biologiques et culturelles pour une planĂšte meilleure Ă vivre. Le maintien des solutions architecturales urbanis tiques et techniques dâhier, ainsi que des modes actuels dâhabiter, de travailler, de sâalimenter et de se dĂ©placer, est incompatible avec la tĂąche qui incombe Ă nos gĂ©nĂ©rations : contenir puis Ă©radiquer les dĂ©rĂšglements globaux.
Le Manifeste pour une frugalitĂ© heureuse et crĂ©ative dans lâarchitecture et le mĂ©nagement des territoires urbains et ruraux a Ă©tĂ© lancĂ© en janvier 2018. Il a recueilli plus de 14 500 signatures dans 90 pays. Quarante groupes locaux ont Ă©tĂ© créés, dont un en Alsace.
à lire : Commune frugale - La révolution du ménagement, Actes Sud, mars 2022
Architecture frugale - 20 exemples inspirants dans le Grand Est, septembre 2021 www.frugalite.org
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015«âRien nâest plus fort quâune idĂ©e dont lâheure est venue.â» AttribuĂ© Ă Victor Hugo
Construire autrement demain est une Ă©vidence. Pour cela, les pistes sont nombreuses et parfois divergentes. Des enseignants de lâENSAS ont choisi et commentent des rĂ©alisations qui en esquissent quelques-unes.
Inspirations
Le choix de Thierry Rey
2226 - Immeuble de bureaux
Lieu : Lustenau (Autriche)
Architectes : agence Baumschlager Eberle Année : 2013
« 2226 dĂ©signe lâamplitude thermique Ă lâintĂ©rieur de ce bĂątiment qui nâa ni chauffage, ni climatisation : 22° est la tempĂ©rature la plus froide, 26 la plus chaude. Câest un concept dĂ©veloppĂ© par lâagence Baumschlager Eberle pour ses bureaux Ă Lustenau, dans le Vorarlberg en Autriche, oĂč sâexpĂ©rimentent tant de choses en matiĂšre de construction bois, dâĂ©conomies dâĂ©nergie, avec des agences pointues. Depuis, elle a dĂ©clinĂ© ce prototype de bĂątiment qui rĂ©gule les conforts dâĂ©tĂ© et dâhiver sans apport technique, notamment pour des logements. Aujourdâhui, on se pose la question dâun bĂątiment Ă©nergiquement efficient. Cet exemple est Ă©loquent, pour peu quâon soit prĂȘts Ă un certain nombre de choses. Câest
un bĂątiment extrĂȘmement compact, avec des murs de briques creuses de presque 80cm dâĂ©paisseur, de grandes hauteurs sous plafond. En hiver, on travaille sur son inertie, lâĂ©paisseur des murs et les apports internes de chaleur que sont les machines et des personnes. En Ă©tĂ©, on Ă©vite les apports externes de chaleur avec des systĂšmes de ventilation sans aĂ©raulique. Les ouvertures sont limitĂ©es mais de grande hauteur, elles sont trĂšs en creux pour gĂ©rer les apports solaires. Tout cela gĂ©nĂšre une certaine esthĂ©tique. Câest un bĂątiment trĂšs low tech qui nâest pas une non-architecture. Les petits dĂ©crochements qui travaillent Ă©lĂ©gamment la lumiĂšre, son cĂŽtĂ© trĂšs sculptural : on voit bien quâon ne renonce pas Ă lâarchitecture. Câest une autre maniĂšre de poser la question de la forme et de la matiĂšre.
LâidĂ©e nâest pas dâen faire un modĂšle, ce qui est intĂ©ressant ce sont les questions quâil pose. MĂȘme si les choses Ă©voluent, il reste beaucoup dâobstacles rĂšglementaires Ă la construction dâun tel bĂątiment. Des obligations sur la thermie, le renouvellement dâair, le facteur de lumiĂšre du jour, la surface vitrĂ©e⊠Il faut pouvoir faire autrement. Et trouver
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ARCHITECTURE EN TRANSITIONS âREGARDS
ââLe maĂźtre dâouvrage doit prendre des risques.ââ
dâautres modĂšles Ă©conomiques. Construire mieux câest souvent construire plus cher. Un mur de 80cm dâĂ©paisseur comme celuici coĂ»te plus cher quâun mur de 20cm avec un isolant. Mais le bĂątiment ne consommera quasiment pas dâĂ©nergie. Aujourdâhui, le modĂšle Ă©conomique dominant est celui de la rentabilitĂ© Ă court terme.
Le message Ă faire passer aux politiques, câest dâaccepter dâĂȘtre prospectif : on sait faire beaucoup de choses mais il faut crĂ©er des contextes favorables. Câest difficile dâavancer quand on veut des garanties sur tout, tout le temps. Le maĂźtre dâouvrage doit prendre des risques. Si on nâavance pas ensemble, on nây arrivera pas. »
Thierry Rey est architecte et maĂźtre de confĂ©rences en ThĂ©ories et pratiques de la conception architecturale et urbaine Ă lâENSAS. Il est prĂ©sident du conseil dâadministration de lâĂ©cole.
Photos : Eduard Hueber / archphoto © Baumschlager Eberle Architekten
ââConstruite par un bailleur social, câest la premiĂšre maison en impression 3D bĂ©ton en France. ââ
Visuels : @Plurial Novilia
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Le choix dâEmmanuel Dufrasnes
Béton imprimé 3D et éléments préfabriqués
Lieu Reims
Architecte agence Coste architectures Année 2022
« Construite par un bailleur social, câest la premiĂšre maison en impression 3D bĂ©ton en France. Une autre expĂ©rience Ă Nantes avait permis dâimprimer un coffrage avec un isolant de type polystyrĂšne pour ensuite y couler du bĂ©ton. Ici, on a imprimĂ© les murs en 3D avec un bĂ©ton spĂ©cial, qui doit ĂȘtre as sez fluide pour passer dans le robot et mĂȘme temps assez solide pour offrir la rĂ©sistance nĂ©cessaire. Un nouveau matĂ©riau pour la construction, câest lĂ que rĂ©side une partie de lâintĂ©rĂȘt industriel. Cette expĂ©rience montre que câest faisable, mais pas sans difficultĂ©s. Il faut savoir piloter le robot, et le coupler avec un logiciel de design paramĂ©trique. Cela coĂ»te beaucoup plus cher quâun bĂ©ton traditionnel, et la question des Ă©conomies dâĂ©chelle reste encore ouverte. Enfin, tout ne se plie pas Ă lâimpression 3D : on ne peut pas faire dâangles droits.
Le but de lâimpression 3D bĂ©ton est de construire plus rapidement, et donc moins cher, et de faire une Ă©conomie de matiĂšre, ce qui est un gain Ă©cologique. Dans une brique, on nâa pas besoin de toute la matiĂšre pour
porter, mais on ne sait pas faire de briques creuses. Ici, on met la matiĂšre juste oĂč il faut. Il faudra faire une analyse complĂšte du cycle de vie du bĂątiment pour voir sâil est effectivement plus Ă©cologique, et tant que la problĂ©matique du coĂ»t nâest pas rĂ©solue, cette expĂ©rience nâira pas trĂšs loin. Mais elle nous aura appris quelque chose de nouveau. On ne peut pas continuer Ă livrer des bĂątiments qui ne correspondent pas aux besoins de lâĂ©poque, qui sont beaucoup trop chers pour les gens, alors que les architectes font ce quâils peuvent. Les normes ne font quâaugmenter les coĂ»ts, les gens vont avoir des problĂšmes pour se loger. Câest notre modĂšle qui ne fonctionne pas. On ne sait pas oĂč est le chemin. Il faut essayer un peu tout pour en dĂ©couvrir de nouveaux. On va beaucoup se tromper mais on va apprendre. »
Maison Viliaprint
Emmanuel Dufrasnes est ingĂ©nieur et architecte, docteur et professeur en Sciences et techniques pour lâarchitecture Ă lâENSAS
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Remployer les matĂ©riaux dans la construction et la rĂ©novation : oui, mais comment ? MĂȘme si lâon adhĂšre au principe, sa mise en Ćuvre reste complexe. ZAP a invitĂ© deux Ă©tudiants de lâENSAS Ă interroger deux professionnels engagĂ©s dans cette pratique Ă©mergente dâĂ©conomie circulaire.
RĂ©emploi, mode dâemploi
Propos recueillis par Corinne Maix
Les participants
Xavier Nachbrand, architecte et enseignant Ă lâENSAS en sciences et techniques pour lâarchitecture Agnieszka Koziol, cofondatrice et cogĂ©rante de BOMA, les Bonnes MatiĂšres ThĂ©o Baranoff, Ă©tudiant en Master 2 Ă lâENSAS Armand Rambaud, diplĂŽmĂ© de lâENSAS en 2021, en formation HMONP (habilitation Ă la maĂźtrise dâĆuvre) Sur une proposition de Xavier Nachbrand
nous devons appuyer nos pratiques futures sur les questions de rĂ©emploi et de cycle de vie des bĂątiments. Lâenseignement doit former Ă ces questions les gĂ©nĂ©rations dâĂ©tu diants qui entrent Ă lâĂ©cole et qui sortiront diplĂŽmĂ©s dâici cinq ou six ans. Le nouveau programme de lâENSAS, prĂ©vu en 2023, sâorientera encore davantage vers les ques tions Ă©cologiques.
ThĂ©o Baranoff et Arthur Rambaud : Pourquoi la question du rĂ©emploi dans le bĂątiment est-elle aujourdâhui si urgente ? Agnieszka Koziol : Chaque annĂ©e, en France, le secteur du bĂątiment (hors travaux publics) gĂ©nĂšre 42 millions de tonnes de dĂ©chets ! Câest plus que lâensemble des dĂ©chets mĂ©na gers. Câest lâĂ©quivalent dâune rame entiĂšre de TGV, motrices comprises, qui est jetĂ©e chaque minute ! Il sâagit essentiellement de bĂ©ton, mais quand on dĂ©construit, on arrache tout, mĂȘme des matĂ©riaux en bon Ă©tat. Il faut que le rĂ©emploi sorte de son Ă©tat expĂ©rimen tal, seulement pratiquĂ© par des gens engagĂ©s ! Xavier Nachbrand : En tant quâarchitectes,
T.B et A.R. : Les Ă©tudiants veulent travailler diffĂ©remment, ils sont plus dans lâexpĂ©rimentation, mais il reste des barriĂšres au rĂ©emploi en architecture. Que penser de la thĂšse de Marie de Guillebon qui pose comme postulat prĂ©alable le dĂ©veloppement simultanĂ© de lâopĂ©rationnel, de la pĂ©dagogie et de la recherche sur le rĂ©emploi ?
X.N. : Câest vrai quâil faut de la pĂ©dagogie pour former les entreprises et les profes sionnels. Il faut aussi de la recherche et que tous les acteurs collaborent pour trouver de nouvelles techniques. Pour y parvenir, il faut dâabord y trouver du sens.
A.K. : En effet, il faut rĂ©ussir Ă emporter tout le monde : les ingĂ©nieurs, lâarchitecte, le
020ARCHITECTURE EN TRANSITIONSâSUR LE MĂTIER
bureau de contrĂŽle, le maitre dâouvrage et les entreprises. Il faut que tous soient sensibi lisĂ©s, formĂ©s et convaincus de lâintĂ©rĂȘt du rĂ©emploi.
X.N. : Sur le plan opĂ©rationnel, tous les acteurs doivent connaĂźtre la rĂšgle du jeu, car pratiquer de façon plus Ă©thique et plus Ă©colo gique, câest plus compliquĂ©, moins rentable. Le rĂ©emploi doit ĂȘtre une composante dĂšs la phase projet : comment prĂ©lever et comment rĂ©intĂ©grer ?
A.K. : Dâun point de vue Ă©conomique, le meilleur rĂ©emploi, câest le rĂ©emploi sur ses propres chantiers. Câest de lâĂ©conomie maline, mais on nâa pas encore tout Ă fait inventĂ© le modĂšle.
T.B et A.R. : Que dit la réglementation en matiÚre de réemploi ?
A.K. : Elle rend certaines choses impos sibles. Par exemple, un opĂ©rateur public ne peut revendre ses matĂ©riaux, car il deviendrait « fournisseur ». Nous travaillons avec eux pour quâils se constituent des stocks de matĂ©riaux rĂ©employables. Mais la loi peut aussi ĂȘtre un levier : depuis le 1er janvier 2022, elle impose aux bĂątiments de plus
de 1000 m 2 , dĂ©molis ou rĂ©novĂ©s de façon significative, un diagnostic Produit, MatĂ© riaux, Ă quipements, DĂ©chets (PMED). Cet inventaire crĂ©e une vraie porte dâentrĂ©e au rĂ©emploi.
X.N. : Cela mâĂ©voque les dĂ©buts de la rĂ©novation Ă©nergĂ©tique, qui est aujourdâhui devenu la norme⊠La rĂ©glementation et les labels vont transformer de la mĂȘme façon le rĂ©emploi, jusquâĂ devenir la norme. Autant y aller de façon volontaire, plutĂŽt que subie !
A.K. : Avec la RE 2020 [rÚglementation envi ronnementale, NDLR], chaque bùtiment est analysé selon son cycle de vie : sa naissance, sa vie et sa déconstruction. Elle comporte un levier trÚs porteur pour le réemploi, puisque tous les matériaux réutilisés valent zéro* !
* La RE comptabilise les déchets produits au cours de la vie du bùtiments, et les matériaux réemployés ne sont pas comptabilisés.
T.B et A.R. : Comment intĂ©grer les questions de traçabilitĂ© et dâassurance avec des matĂ©riaux sans DTU* ?
A.K. : BOMA est trÚs vigilant sur cette ques tion et nous avons une assurance responsa bilité civile sur nos matériaux. Ensuite, un
Construction dâun bar extĂ©rieur Ă lâOrĂ©e 85, Ă partir de matĂ©riaux rĂ©cupĂ©rĂ©s dans des bureaux Ă Illkirch-Graffenstaden â Photo : Abdesslam Mirdass
chantier avec du rĂ©emploi, câest beaucoup de rĂ©unions et de discussions avec les bureaux de contrĂŽle⊠Sur le second Ćuvre, les ver rous se lĂšvent sur quelques catĂ©gories de ma tĂ©riaux, comme les briques et le bois. LâidĂ©al est de structurer de petits protocoles : avec lâADEME [Agence de lâEnvironnement et de la MaĂźtrise de lâĂnergie , NDLR] par exemple, nous avons testĂ© les possibilitĂ©s de rĂ©emploi des six Ă huit portes dâun appartement dans le cas dâune dĂ©construction. Sur les projets privĂ©s, la plupart du temps il nây a pas de bureau de contrĂŽle, câest alors au maĂźtre dâouvrage de nĂ©gocier avec son assurance, de lui prouver que rĂ©utiliser une fa ĂŻence ne prĂ© sente aucun danger pour les futurs usagers du bĂątiment.
X.N. : En rĂ©employant un ou deux ma tĂ©riaux par chantier, on crĂ©e un « prĂ©cĂ© dent  ». Par exemple, si des portes coupefeu sont dĂ©posĂ©es dans un hĂŽpital pour ĂȘtre reposĂ©es dans un lycĂ©e , cela pourra servir de rĂ©fĂ©rence Ă dâautres projets simi laires.
* Document technique unifié, qui précise les conditions techniques de bonne exécution des ouvrages.
T.B et A.R. : Quelles sont les conditions de rĂ©ussite du rĂ©emploi dans lâarchitecture ?
X.N. : Lâagence Encore Heureux, qui a travaillĂ© sur la restructuration de la grande Halle de Colombelles avec un rĂ©emploi massif de matĂ©riaux, a créé un lot ZĂ©ro* de fournitures pour rĂ©pondre Ă cet appel dâoffre.
A.K. : Le lot ZĂ©ro est une bonne idĂ©e, si on a tous les acteurs sur place. Ăa veut dire que dans les cinq ans Ă venir, il faut que des filiĂšres spĂ©cialisĂ©es de rĂ©emploi soient structurĂ©es dans le bois, la cĂ©ra miqueâŠ
* Les appels dâoffres sont dĂ©coupĂ©s en lots, ici lâagence a créé un lot spĂ©cifique au rĂ©em ploi, qui nâexistait pas jusquâalors.
T.B et A.R. : Quels sont actuellement les acteurs et les ressources du réemploi ?
A.K. : Le syndicat du rĂ©emploi des matĂ©riaux de construction vient de se crĂ©er pour fĂ©dĂ©rer les acteurs dâun tout petit rĂ©seau. Sur le Grand Est, BOMA est le premier bureau dâĂ©tudes en Ă©conomie circulaire appliquĂ© au bĂątiment. Nous pouvons agir en maĂźtrise dâouvrage et maĂźtrise dâĆuvre. Nous vendons une prestation clĂ© en main qui facilite lâensemble du processus de rĂ©emploi, en dĂ©passant le rĂŽle classique de lâassistance Ă maitrise dâouvrage. Quand on sait par exemple que le bureau dâĂ©tudes Elan a estimĂ© que le Nouveau Programme de Renou vellement Urbain Ă Strasbourg allait gĂ©nĂ©rer lâĂ©quivalent de 2,5 fois le stade de la Meinau rempli de dĂ©chets. Comment les villes vontelle organiser leurs infrastructures pour traiter cette masse de dĂ©chets ?
NB : la ville de Strasbourg a créé un poste de ChargĂ© de mission BĂątiment circulaire. Il nâa pas rĂ©pondu Ă nos sollicitations pour participer Ă cet Ă©change.
T.B et A.R. : Est-ce quâon nâa pas perdu le savoir-faire de « dĂ©cortiquer » ces matĂ©riaux ?
A.K. : Non, mais ça demande des petites mains. Ăa revient, notamment grĂące Ă des entreprises dâinsertion ! Aujourdâhui, le plus vertueux Ă Strasbourg, câest dâenvoyer ses fenĂȘtres au RĂ©seau Origami, une entreprise adaptĂ©e, qui garantit 90 % de recyclage de chaque Ă©lĂ©ment ! La Brocante du BĂątiment le fait aussi depuis 20 ans, essentiellement sur ses propres chantiers. Des choses existent Ă petite Ă©chelle, il faut les systĂ©matiser.
T.B et A.R. : Doit-on encore construire avec du neuf, alors que les matĂ©riaux sont lĂ et que ce qui a Ă©tĂ© construit par lâhomme dĂ©passe ce que la nature a produit ?
X.N. : Depuis les Trente Glorieuses, on a pris lâhabitude de produire en masse et on a perdu lâhabitude du rĂ©emploi car notre sociĂ©tĂ© est
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dopĂ©e aux hydrocarbures. Or, il faut prendre conscience que dans un futur proche, nous allons regretter tous les matĂ©riaux mis Ă la benne. Une mesure visionnaire serait de taxer les matĂ©riaux et dĂ©taxer la main dâĆuvre.
T.B et A.R. : En tant quâĂ©tudiants, on croit que tout est tracĂ© dans ce mĂ©tier, mais on se rend vite compte quâil va falloir improviser et expĂ©rimenterâŠ
A.K. : Je dirais plutĂŽt anticiper... Câest une condition de rĂ©ussite du rĂ©emploi : ne pas perdre de temps et trouver les bons schĂ©mas dâorganisation. On peut aussi sâinspirer de la pyramide des modes de traitement de dĂ©chets : dâabord la prĂ©vention (ne pas dĂ©truire ce bĂątiment, ne pas changer ces toilettes), puis le rĂ©emploi, la rĂ©utilisation (en dĂ©tournant lâusage du produit) enfin le recyclage et la valorisation.
X.N. : LâexpĂ©rimentation est indispensable. Il faut tester le rĂ©emploi sur vos propres projets, travailler sur des chantiers collectifs et participatifs. Et avant toute chose, il y a la question de lâĂ©coconception. Travailler le plus possible avec des matĂ©riaux biosourcĂ©s, penser dĂšs le dĂ©part au dĂ©montage. Plusieurs laboratoires de recherche travaillent sur la dĂ©montabilitĂ© des matĂ©riaux et des projets.
T.B et A.R. : En tant que praticiens du réemploi, quel est votre sentiment sur cette pratique émergente ?
X.N. : Quand un garde-corps devient une boule de NoĂ«l et une paroi de cabine acous tique, câest gĂ©nial et câest une vraie fiertĂ©, cela donne du sens et une valeur ajoutĂ©e Ă notre pratique. Mais ce sont des chantiers chronophages, qui nous obligent Ă mener en
Prototypes de construction, Ă partir de terres excavĂ©es sur diffĂ©rents chantiers de constructions neuves â Photo : BOMA
parallĂšle des chantiers conventionnels. Je ressens une frustration de ne pas faire plus de rĂ©emploi, que le changement nâaille pas assez vite. Câest pourquoi je pense quâil faut sâengager et militer dans les instances profes sionnelles. Christine Leconte, prĂ©sidente du Conseil national de lâOrdre des architectes, milite dâailleurs fortement pour arrĂȘter de construire du neuf, pour rĂ©parer la ville. Le rĂ©emploi fournit du boulot dans toutes les filiĂšres, des emplois non dĂ©localisables, y compris pour des entreprises dâinsertion. En plus de sa valeur Ă©cologique, il a une valeur sociale.
A.K. : Les projets conventionnels quâon mĂšne avec Vinci, Eiffage ou Bouygues â plus Ă©loignĂ©s de nos convictions â nous permettent de faire exister les chantiers plus vertueux, plus expĂ©rimentaux et de faire avancer les mentalitĂ©s. Il faut faire avancer tout le monde en mĂȘme temps. Le rĂ©emploi est un sport de combat, ça fait du bien de voir dâautres personnes convaincues et enga gĂ©es dans la mĂȘme voie !
Pour aller plus loin
Dans sa thĂšse Vers une pratique du rĂ©emploi en architecture : expĂ©rimentations, outils, approches, citĂ© par les deux Ă©tudiants, Marie de Guillebon dĂ©finit le rĂ©emploi comme « une opĂ©ration de prĂ©vention contre lâextraction mas sive de matiĂšre ou le gaspillage de biens encore en Ă©tat dâusage. Au-delĂ dâune seule opĂ©ration technique, elle relĂšve dâune pratique autant citoyenne que professionnelle de gestion et de (re)connaissance de la matiĂšre. » Elle relĂšve que cette pratique, « moins dĂ©veloppĂ©e que le recy clage [âŠ] sâĂ©mancipe Ă grande vitesse et peine Ă sâinsĂ©rer dans le systĂšme de production normali sĂ© et standardisĂ© imputĂ© par le systĂšme industriel et socio-technique actuel. » Et livre lâanalyse suivante : « Cette notion de frugalitĂ© matĂ©rielle, imputĂ©e par le rĂ©emploi, suppose de changer le moteur de lâĂ©conomie matĂ©rielle et intellectuelle : le moteur serait celui de lâĂ©change de connais sances partagĂ©es Ă lâĂ©chelle locale et globale. Ce moteur est celui de la coopĂ©ration. »
Marie de Guillebon, Vers une pratique du réemploi en architecture : expérimentations, outils, approches, Université de Grenoble, 2019
Construction dâun bar extĂ©rieur Ă lâOrĂ©e 85, Ă partir de matĂ©riaux rĂ©cupĂ©rĂ©s dans des bureaux Ă Illkirch-Graffenstaden â Photo : Abdesslam Mirdass
025 «âLa pĂ©nurie est la mĂšre de lâinnovation sociale et technique.â» Yona Friedman, Lâarchitecture de survie. Une philosophie de la pauvretĂ© , 1978
Le Port de Strasbourg : ici se croisent des enjeux majeurs pour lâavenir de la ville. Ici, ils pourraient aussi se dĂ©nouer. Câest ce que rĂ©vĂšle « Strasbourg, mĂ©tropole portuaire : interfaces et interactions territoriales », programme de recherche POPSU MĂ©tropoles* menĂ© par une Ă©quipe pluridisciplinaire qui en a tirĂ© un portulan destinĂ© notamment aux Ă©lus et au Port Autonome de Strasbourg. Ă sa tĂȘte, FrĂ©dĂ©ric Rossano, paysagiste, urbaniste, enseignant-chercheur Ă lâENSAS.
Lâavenir par le Port
Propos recueillis par Sylvia Dubost
Le portique du terminal conteneur nord des Ports de Strasbourg
Photo Pascal Bastien
026ARCHITECTURE EN TRANSITIONSâPERSPECTIVES
Pourquoi vous ĂȘtre intĂ©ressĂ©s au port ?
POPSU est un programme national, qui sâassocie Ă une mĂ©tropole pour financer en partie le programme de recherche que cette ville choisit. Celle de Strasbourg a demandĂ© Ă des chercheurs de faire des propositions sur le thĂšme du port, un sujet qui nous intĂ©res sait beaucoup car il pose des questions de logistique, dâenvironnement, dâĂ©conomie, dâarchitecture et de paysage.
Lâeau est un sujet sur lequel je travaille depuis longtemps, pas seulement comme Ă©lĂ© ment naturel et dĂ©cor, aussi comme structure du territoire et support dâune activitĂ© Ă©co nomique. Le grand chantier de Strasbourg depuis 20 ans, câest dâaller vers le Rhin, or 60% des berges rhĂ©nanes sont occupĂ©e par le port. Ă Strasbourg, le Rhin, câest le port.
Aussi, dans cette logique de reconnecter la ville au fleuve, câest lui qui a les clĂ©s.
Quelle est la nature du portulan que vous avez réalisé ?
On ne fait pas de projets. Il sâagit de rĂ©vĂ©ler les enjeux, les ponts cruciaux pour le futur, les leviers dâaction, les tournants Ă ne pas louper. Un portulan Ă©tait un guide de navi gation pour les marins de la Renaissance. Pas juste une carte mais aussi des textes, des des sins et des annotations. On voulait une pu blication qui ne soit pas juste un gros rapport de recherche, mais qui regroupe diffĂ©rents supports : un livre, une sĂ©rie dâinterviews et un atlas. Câest un guide, un rĂ©vĂ©lateur, pour naviguer dans cette question complexe.
La ville-port de Strasbourg est-elle singuliÚre ?
On a observĂ© une quinzaine de mĂ©tropoles rhĂ©nanes, de BĂąle Ă Rotterdam, et la grande particularitĂ© de Strasbourg, si on regarde lâaire urbaine en incluant Kehl, câest que le port est au centre et non Ă la marge comme souvent. Cela met une pression sur le port : câest lĂ que passent tous les rĂ©seaux et câest lĂ quâon veut construire.
*POPSU
La Plateforme dâObservation des Projets et Stra tĂ©gies Urbaines croise scientifiques et acteurs de terrain pour mieux comprendre les enjeux et les Ă©volutions des villes et territoires. Elle produit et regroupe des savoirs sur ces sujets toujours complexes et les diffuse, Ă des fins dâaction. Le POPSU MĂ©tropoles examine lâinscription territo riale des mĂ©tropoles et les liens quâelles tissent Ă lâintĂ©rieur comme Ă lâextĂ©rieur de leurs frontiĂšres, dans un contexte de transitions, Ă travers le fil rouge « la mĂ©tropole et les autres » .
ââLe port est un creuset de solutions possibles aux enjeux actuels â
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Par ailleurs, le port est ouvert, ce qui est trĂšs rare. Ils sont souvent fermĂ©s par des barriĂšres. Ă Strasbourg, presque toutes les voies du port sont des voies publiques, cela implique quâil est visible pour les habitants, et que cela pose en permanence la question de la cohabitation. La 3e particularitĂ©, câest quâil est trĂšs rĂ©ticu lĂ©. Ce nâest pas juste une zone industrielle accrochĂ©e Ă un fleuve, mais tout un systĂšme hydrique, reliĂ© au canal de la Marne au Rhin et Ă un rĂ©seau de riviĂšres, soit 400km de cours dâeau dans lâEuromĂ©tropole.
Autre atout trĂšs fort, mĂȘme si ce nâest pas une particularité : câest un port multimodal [il connecte plusieurs modes de transport : fluvial, ferrĂ©, routier, NDLR].
Quels sont les enjeux qui se nouent ici ? Toutes ces particularitĂ©s sont des questions cruciales, oĂč on est Ă un moment-pivot. Sur la question de la cohabitation ville-port, la ZAC des Deux-Rives [les quartiers Citadelle, Starlette, Coop et Port du Rhin, NDLR] a créé une brĂšche urbaine dans le cordon industriel et les restrictions de transport [pour les camions
et les trains, NDLR] sont mal vĂ©cues par le port. Si le port veut assurer son accessibilitĂ©, et lâutilisation du transport fluvial, chaque dĂ©cision doit ĂȘtre pesĂ©e et un rapport de force sâinstalle avec les habitants.
On est aussi Ă un pivot dâun point de vue environnemental : le port est lâun des grands Ăźlots de chaleur car câest une surface minĂ©ralisĂ©e gigantesque. Sur 400km de forĂȘt rhĂ©nane, il y a une coupure : câest le port de Strasbourg, qui dissocie la forĂȘt de la Robertsau et celle du Neuhof. Ensuite, les transitions se jouent sur les sources dâĂ©nergie. Il y avait le port au charbon, aujourdâhui port aux pĂ©troles, qui alimente toute lâAlsace : ces grandes surfaces pourraient stocker voire produire de nouvelles Ă©nergies. Lâautre transition, câest le train. Il y a beaucoup de connexions eau-route, pas assez vers le fer. Beaucoup dâindustries installĂ©es sur le port nâutilisent ni eau ni fer. Or les infrastructures existent. Le PAS loue les terrains mais nâimpose rien. Il doit peut-ĂȘtre devenir contraignant⊠Le port est un creuset de solutions possibles aux enjeux actuels.
Le port dans la ville
Photo Frantisek Zvardon
Vous parlez dans le livre dâimaginaire commun autour du port : quel est-il ? quel est son rĂŽle ?
Dans les interviews, ce qui est ressorti, câest que les Strasbourgeois connaissent trop peu leur port. Beaucoup disent aussi quâils ne savent pas ce qui est riviĂšre, canal, quels sont les risques dâinondation, etc. Cette connaissance assez faible fait quâon ne sâidentifie pas comme ville-port. Du cĂŽtĂ© du PAS, il faut trouver une maniĂšre de mettre le port sur la carte mentale. Aujourdâhui, il y a une signalĂ©tique unifiĂ©e, des bateaux de Batorama font le tour du port : ça marche trĂšs bien mais câest encore confidentiel. Ce qui manque, câest une vision de Strasbourg comme ville dâeau.
En quoi lâavenir de la ville se joue-t-il ici ?
En termes dâĂ©conomie, câest clairement lĂ que ça se joue. Le scĂ©nario du pire serait que lâindustrie se dĂ©localise le long du GCO, on aurait Ă nouveau des industries le long dâune autoroute. Cela irait contre le sens de lâhistoire mĂȘme si la route est le moyen de transport favori des industries. Il faut rĂ©soudre ces questions logistiques dans les dix ans qui viennent. Pour cela, il faut montrer que la cohabitation est possible.
Le port peut-il ĂȘtre un accĂ©lĂ©rateur de transition ?
ComplĂštement. Il est mieux armĂ© quâune zone industrielle lambda, a de lâespace pour accueillir de nouvelles formes dâĂ©ner gie voire en produire. Pour faire de lâĂ©colo gie urbaine aussi. Lâagence TER Ă©tudie sâil est possible de recrĂ©er le corridor forestier via lâancien lit du petit Rhin [entre le bassin Vauban et la Coop. Lâagence dâurbanisme et de paysage TER a redessinĂ© le plan gĂ©nĂ©ral du projet urbain Deux-Rives, notamment les espaces verts et/ou publics, NDLR]
Au fil de vos recherches, quelles politiques portuaires avez-vous trouvé particuliÚrement inspirantes ?
Le port de Rotterdam est trĂšs en avance sur le multimodal, mais câest une exception car câest aussi un port maritime et le plus grand port dâEurope. Il impose aux entreprises un ratio de transport fluvial et ferrĂ© pour diminuer la part des poids lourds. Il y a dĂ©jĂ quinze ans, il a créé une voie de fret dĂ©diĂ©e parallĂšle au Rhin, ce qui lui donne une capacitĂ© de transport ferroviaire dĂ©cuplĂ©e. Elle leur donne aussi une voie de secours en pĂ©riode dâĂ©tiage (basses eaux) ou de crue, or on sait que le rĂ©gime des riviĂšres sera de plus en plus extrĂȘme, en hautes et basses eaux. Il y a des pĂ©riodes oĂč le Rhin nâest pas navigable car les bateaux raclent le fond ou touchent les ponts. Ă Strasbourg, le fret ferroviaire partage la voie avec le TER et TGV. Ă Rotterdam, le port est plus rĂ©silient face Ă ces situations. Strasbourg va probablement essayer dâaller vers ce modĂšle, plus flexible et plus Ă©cologique.
Dans ce numĂ©ro, lâidĂ©e de frugalitĂ© revient Ă plusieurs reprises. Quâen est-il dans vos recherches ? La frugalitĂ©, on ne lâa pas envisagĂ©e. Mais ce qui est intĂ©ressant, câest la question des courtes distances. On commence Ă lâexpĂ©ri menter Ă Strasbourg avec lâacheminement de marchandises du port Ă la plateforme quai des PĂȘcheurs puis au vĂ©lo, plutĂŽt que direc tement du port Ă la ville via des poids lourds. Le port en tant que systĂšme de distribution pourrait amĂ©liorer la vie des Strasbourgeois, mĂȘme si cela ne dĂ©pend pas que de lui.
â Ă lire
Antoine Beyer, Jean-Alain Héraud, Frédéric Rossano, Bruno Steiner, De la ville-port à la métropole fluviale. Un portulan pour Strasbourg, les Cahiers POPSU, éditions Autrement
FrĂ©dĂ©ric Rossano, La Part de lâeau. Vivre avec les crues en temps de changement climatique, Ă©ditions La Villette
LâAtlas de la MĂ©trople fluviale et portuaire est disponible sur issuu.com
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Le sujet des transitions prĂ©occupe naturellement les Ă©tudiants, et beaucoup le placent au cĆur de leur Projet de Fin dâĂtudes (PFE).
Ă la fois rĂ©alistes et libĂ©rĂ©s de certaines contraintes, ces travaux sont lâoccasion dâexpĂ©rimentations audacieuses et ambitieuses. Elles sont autant dâinspirations possibles pour lâavenir, tant elles interrogent Ă la fois les espaces, les mĂ©thodes, les matĂ©riaux et le mĂ©tier dâarchitecte. Voici quelques exemples de PFE soutenus Ă lâautomne 2021.
Architectes du futur
Par Sylvia Dubost
Mi blĂŽ do - Un activateur culturel pour le rayonnement dâune capitale mĂ©connue
Majoie Kpoviessi
Lieu Porto-Novo (Bénin) Direction Georges Heintz
Le programme
Avec la restitution par la France au BĂ©nin de 26 Ćuvres des trĂ©sors royaux dâAbomey, le gouvernement bĂ©ninois lance le programme BĂ©nin rĂ©vĂ©lĂ©, avec notamment la construction de quatre musĂ©es dans le pays. Majoie Kpoviessi sâest appuyĂ© sur le programme pour celui de la capitale PortoNovo, qui doit mettre en valeur lâidentitĂ© des ethnies prĂ©sentes dans la ville. « Cet Ă©quipement est aussi lâoccasion de rĂ©soudre les problĂ©matiques sociales et urbaines de la jeunesse.
Lâanalyse de Porto-Novo mâa conduit Ă ajouter des Ă©lĂ©ments au programme : un centre de documentation sur la construction en terre pour rĂ©pondre Ă la thĂ©matique de lâidentitĂ© culturelle et architecturale, un centre mĂ©dico-social et culturel pour les jeunes qui doivent aujourdâhui se dĂ©placer Ă Cotonou, et un embarcadĂšre pour amĂ©liorer le trafic vers Cotonou. » Le site est situĂ© au bord de la lagune qui rejoint la capitale Ă©conomique. Les deux villes peuvent ĂȘtre reliĂ©es en 45 minutes par la route « sâil nây a pas dâembouteillages, alors quâon mettrait 35 minutes en bateau Ă tout momentâŠÂ » LâembarcadĂšre sâaccompagne dâun centre nautique et dâun espace public accessible par tous les habitants, « oĂč les pĂȘcheurs peuvent vendre leur poisson, oĂč on pourrait jouer au foot, oĂč pourraient se tenir les danses des revenants. Ce serait une place pour la ville, ouverte toute la journĂ©e. PlutĂŽt quâun lieu maĂźtrisĂ© et sous contrĂŽle permanent, jâai imaginĂ© ce musĂ©e comme un activateur culturel, un lieu de dialogue avec la ville et ses habitants. »
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ARCHITECTURE EN TRANSITIONS âTRAVAUX DâĂCOLE
Le musĂ©e marque lâentrĂ©e de ville avec une architecture Ă la fois traditionnelle et contemporaine, et un vaste espace public. â¶ â· âž âč âș â» Un site avec plusieurs enjeux : politique, urbain et identitaire 1. Terrain vague 2. Lagune 3. Projet de musĂ©e 4. Pont dĂ©saffectĂ© 5. Route nationale vers Cotonou 6. BĂątiment gouvernemental inachevĂ©
Coupe dâun cĂŽne
1. Extracteur dâair chaud
2. Vitrage pour tamiser la lumiĂšre
3. Béton de latérite coulé sur place
4. Brise-soleil
5. FenĂȘtre Ă persienne
6. Flux dâair frais
7. VĂ©gĂ©tation pour crĂ©er de lâombre
8. Salle dâexposition au sous-sol
Une architecture située
Le bĂątiment est situĂ© en entrĂ©e de ville et apparaĂźt, avec sa terre rouge, comme un signal. « Mon travail de master portait sur lâidentitĂ© architecturale des villes africaines aprĂšs la dĂ©colonisation. La premiĂšre conclusion Ă©tait quâelles ont du mal Ă sâappuyer sur leurs identitĂ©s architecturales prĂ©-coloniales. Je voulais montrer quâon peut le faire. » La forme sâinspire du rĂ©cit fondateur de la ville de Hogbonou (ancien nom de Porto-Novo), qui se dĂ©ploie Ă partir dâune termitiĂšre jusquâĂ devenir royaume.
Les espaces de forme conique font rĂ©fĂ©rence Ă cet Ă©difice originel et sont reliĂ©s entre eux, comme dans une structure traditionnelle, oĂč la maison du chef est placĂ©e au centre de la cour oĂč se prennent les dĂ©cisions et se partagent les rĂ©coltes.
La couleur rouge provient de la terre de barre (ou latĂ©rite), « prĂ©sente partout sur le territoire. Elle fait partie de lâidentitĂ© architecturale de la ville. » Majoie Kpoviessi lâutilise pour remplacer le sable dans la fabrication du bĂ©ton. « Lâextraction du sable marin pour le bĂ©ton fait rĂ©trĂ©cir le littoral. Pour le prĂ©server, il Ă©tait important dâinnover. Le bĂ©ton de latĂ©rite, peu explorĂ© pourrait ĂȘtre intĂ©ressant pour les industriels. » Une partie du projet est en sous-sol, « et le volume de terre excavĂ© peut contribuer Ă la construction. LâidĂ©e est dâutiliser massivement ce quâon a.»
Une architecture bioclimatique
Le projet reprend dâautres mĂ©thodes tradi tionnelles, comme justement la construc tion en sous-sol et les murs trĂšs Ă©pais qui permettent lâinertie thermique. Les fenĂȘtres rĂ©duites sont orientĂ©es en fonction de lâen soleillement, Ă©quipĂ©es de brise-soleils, et la forme conique offre une ventilation naturelle par tirage dâair chaud, « comme dans une termitiĂšre ».
Conclusion
« Ce projet doit un peu faire Ă©cole. On peut ĂȘtre moderne en partant de notre histoire, notamment pour la construction de bĂątiments publics, qui peuvent informer la jeunesse. Si les pays afri cains veulent exister sur la scĂšne architecturale, il leur faut faire ce travail. »
Majoie Kpoviessi a obtenu pour ce projet le Premier prix Trophée béton en janvier 2022
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Lieu Longyearbyen (Svalbard) Direction Thierry Rey
Le site « Je voulais aborder la question des ressources : quâest-ce quâon va pouvoir construire et avec quoi ? Sachant que le secteur du bĂątiment Ă©met ÂŒ des gaz Ă effet de serre. Longyearbyen Ă©tait lâendroit parfait pour ce sujet. » La ville plus septentrionale du monde, sur lâĂźle du Spitz berg dans lâarchipel du Svalbard (NorvĂšge), dispose en effet de peu de ressources et dĂ©pend des matĂ©riaux et de la nourriture du
continent. FondĂ©e pour exploiter le charbon, elle accueille essentiellement des Ă©tudiants et des touristes depuis que la plupart des mines ont fermĂ©. « Les bĂątiments sont des constructions prĂ©fabriquĂ©es donc facilement dĂ©montables. Le permafrost fond anormalement vite Ă cause de lâaugmentation des tempĂ©ratures et des construc tions sâeffondrent. » Cela permet dâexpĂ©rimen ter dâautres maniĂšres de construire.
Composer avec lâexistant. RĂ©appropriation de la Taubenasentralen
Maria Pintz
1. Arrivée depuis de sensibilisation à Stockage. Ici, une extension permettra la culture en aquaponie.
La Taubenasentralen est un ancien centre dâacheminement au-dessus de la ville de Longyearbyen. La structure mĂ©tallique est conservĂ©e et mise Ă nu pour rĂ©vĂ©ler la qualitĂ© architecturale du lieu, Ă la forme singuliĂšre.
le port 2. Espaces dâexposition 3. Cuisine et cafĂ©tĂ©ria 4. Centre
lâaquaponie 5. Sauna 6.
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Une méthode
La compagnie qui exploite les mines a entamĂ© un travail dâinventaire des matĂ©riaux issus des constructions abandonnĂ©es. Lâorganisation de cette base pour optimiser son utilisation a Ă©tĂ© la premiĂšre phase, essentielle, du travail de Maria Pintz. « LâidĂ©e câest vraiment quâil puisse servir. Ce quâil faut dĂ©velopper aujourdâhui, câest lâaccĂšs aux banques de donnĂ©es de matĂ©riaux. Jâai classĂ© celle-ci par matĂ©riaux et textures, pour montrer que le rĂ©emploi offre aussi une palette de possibilitĂ©s, des matĂ©rialitĂ©s authentiques, qui ont dĂ©jĂ vĂ©cu. »
Le bĂątiment
La Taubenasentralen est un ancien centre dâacheminement, oĂč le charbon arrivait par wagon des diffĂ©rentes mines et Ă©tait redi rigĂ© vers le port ou vers la centrale pour le chauffage. Il est actuellement utilisĂ© pour des Ă©vĂ©nements culturels. Sa forme singu liĂšre rĂ©sulte des cheminements des wagons. « Je la trouvais trĂšs belle. Il y a des charpentes mĂ©talliques intĂ©ressantes, et un rail qui peut ĂȘtre rĂ©utilisĂ© pour accrocher des choses. Jâai dâabord voulu dĂ©nuder cette structure, la rĂ©vĂ©ler. » Maria y insĂšre de petits modules, construits Ă partir de matĂ©riaux piochĂ©s dans lâinven taire : cuisine-bar, jardin pĂ©dagogique et sauna. « Câest presque un bĂątiment communautaire, car il nây pas de lieu de rencontre au centre-ville. Il fait froid donc lâidĂ©e Ă©tait de crĂ©er une sorte de grand salon sur la ville. » Ces modules pourraient ĂȘtre construits pas les habitants. « Mon projet doit servir de labo ratoire du rĂ©emploi de maniĂšre gĂ©nĂ©rale. » Elle aussi imagine une extension avec serre en hydroponie, atelier et stockage Ă Ă©tage. « Ici, le rĂ©emploi a ses limites : lâextension utilise une nouvelle technologie de pilotis qui sâadapte au sol, en mouvement permanent Ă cause de fonte du permafrost. » Le tout pourra ĂȘtre dĂ©montĂ© et remontĂ© facilement.
Conclusion
« Je voulais Ă©laborer une mĂ©thode gĂ©nĂ©rale, des pistes pour le futur. On manque aujourdâhui de mĂ©thodologie quant Ă la question du rĂ©emploi. Ce projet a Ă©videmment un aspect Ă©cologique mais je trouvais aussi plus beaux des lieux porteurs dâhistoire, qui renouent avec le passĂ© sans ĂȘtre un musĂ©e. »
Classification par matériaux
1. Bois
Structure Second Ćuvre Mobilier
2. Acier
Structure Second Ćuvre Mobilier
Extrait de lâinventaire des matĂ©riaux issus des bĂątiments de Longyearbyen en rĂ©utilisables sur les chantiers.
Dans la cafĂ©tĂ©ria / cuisine, de larges ouvertures dĂ©coupent le paysage. La Taubenasentralen devient un espace communautaire, dans une ville oĂč il y a peu de lieux de rencontre.
Plan général et phases de développement du projet
1. Voie ferrée vers le port
2. Alpha du Centaure, premiÚre cité du site, dédiée à la recherche
3. VallĂ©e de CĂ©rĂšs, petites citĂ©s dĂ©diĂ©es Ă lâagriculture et Ă lâindustrie
4. CitĂ© dâOrion, dĂ©diĂ©e Ă lâobservation des astres lâhiver et au sport lâĂ©tĂ©
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Lieu Antarctique
Le point de dĂ©part « Notre parti-pris est radical : et si on nâarrivait pas Ă faire la transition ? Si notre planĂšte devenait invivable et lâAntarctique le seul lieu habitable ?
Ce projet est une bouĂ©e de sauvetage, une suite dâexpĂ©rimentations, une mise en situation, qui permet de tester des systĂšmes de dĂ©veloppement.
LâidĂ©e Ă©tait aussi de crĂ©er un rĂ©cit et nous lâavons prĂ©sentĂ© comme tel. » Il sâagit dâabord de rĂ©flĂ©chir Ă lâaccĂšs et Ă la maniĂšre de dĂ©velopper les infrastructures. Des recherches sur le climat, la gĂ©ographie et la gĂ©ologie permettent de dĂ©terminer les sites et les phases de dĂ©veloppement. LâĂ©quipe choisit une chaĂźne de cirques non loin de la mer de Ross, une situation relativement abritĂ©e et proche de la mer.
Les principes généraux
Les citĂ©s sont creusĂ©es dans la roche, la lumiĂšre apportĂ©e par le haut (ou par la face de la falaise). Chacune combine production et logements, avec une identitĂ© particuliĂšre. Elles sont reliĂ©es par des transports souterrains, qui forment avec les espaces de production un rĂ©seau nerveux central appelĂ© Biostructure. On y cultive notamment de la spiruline, algue particuliĂšrement nutritive. Les citĂ©s se dĂ©veloppent selon des principes de biomimĂ©tisme, et par Ă©tapes : dâabord le port et la ligne ferroviaire, puis Alpha du Centaure (la premiĂšre citĂ©), la vallĂ©e de CĂ©rĂšs et enfin la CitĂ© dâOrion.
Les structures sont en acier, toile, verre et bois. « Le coĂ»t Ă©nergĂ©tique est important mais une fois construites, les citĂ©s ne dĂ©gagent plus dâĂ©missions. » La toile est un matĂ©riau particuliĂšrement intĂ©ressant. « Lors dâune sortie dans lâespace, un astronaute encaisse des Ă©carts de tempĂ©rature de 300°C, protĂ©gĂ© par une simple toile. Câest un matĂ©riau lĂ©ger, solide, qui se manipule trĂšs bien et peut mĂȘme ĂȘtre translucide. » On utilise aussi des matĂ©riaux de rĂ©cupĂ©ration. « On rĂ©cupĂšre les wagons des manĂšges sur les cĂŽtes inondĂ©es. Et on rĂ©emploie des
Terra Incognita
Au-delĂ du 60e parallĂšle
Léo Duvernay, Colas Mornet, Justin Sargenti
Direction Anne Jauréguiberry, Volker Ziegler et Andreea Grigorovschi
Le port Sur la mer de Ross, câest le premier ensemble construit, qui permet dâacheminer les matĂ©riaux. La voie ferrĂ©e dessert les autres citĂ©s.
matĂ©riaux de lâaĂ©ronavale car ils sont taillĂ©s pour supporter les climats hostiles. »
Les logements sont rĂ©duits, pour optimiser lâespace. « Le minimum pour lâindividu, le maxi mum pour lâespace collectif. Nous crĂ©ons beaucoup de sous-espaces pour permettre lâintimitĂ©, que chacun trouve sa place ou sa façon de vivre. Nous ne voulions pas ĂȘtre dogmatiques mais crĂ©er des opportunitĂ©s. »
Les typologies des logements sont différentes pour chaque cité : 4 habitants pour Alpha,
8 pour Orion et 20 dans la vallĂ©e de CĂ©rĂšs. « Cela correspond Ă diffĂ©rentes maniĂšres de vivre en sociĂ©tĂ© [famille, colocation, communautĂ©, NDLR]. Il faut repenser tous nos rĂ©fĂ©rentiels, dans ce lieu oĂč lâon voit toute la galaxie tour ner sur elle-mĂȘme. » Des logements pour qui, dâailleurs ? On commence par des chercheurs, puis « tous les gens qui veulent venir sont les bienvenus, Ă condition de participer Ă la Biostructure. Câest une sociĂ©tĂ© ouverte, accueillante, qui fonctionne en harmonie. »
â Alpha du Centaure ArrivĂ©e vers la falaise et la façade des logements creusĂ©s dans la roche. En bas, la gare.
â Alpha du Centaure, coupe
1. Galeries avec espaces publics Réservoir de spiruline et accumulateur de chaleur Grande serre recouverte de toile pour la culture de spiruline Agora PÎle universitaire Vers la falaise et les logements
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2.
3.
4.
5.
6.
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Conclusion
« Câest un exercice thĂ©orique, qui nâa pas vocation Ă exister. Nous nous sommes libĂ©rĂ©s des contraintes pour imaginer lâarchitecture de lâaprĂšs. Et avons dĂ©veloppĂ© des idĂ©es qui pourraient ĂȘtre reprises et appliquĂ©es, comme le fait de travailler vers la profondeur pour crĂ©er des espaces abritĂ©s, utiliser le tissu comme matĂ©riau de construction, cultiver la spiruline dans des bassins qui descendent en spiraleâŠÂ » Des idĂ©es mues aussi par le dĂ©sir de redĂ©finir leur futur mĂ©tier. « Lâarchitecture a toujours Ă©tĂ© transdisciplinaire. Les Modernes lâont trop souvent rĂ©duite Ă un espace, Ă la plastique des choses. Pour sâen ressaisir, il faut repenser lâAbri, dans sa dimension climatique et Ă©nergĂ©tique. » CitĂ© dâOrion
La CitĂ© dâOrion Logements pour habitants de CĂ©rĂšs
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â La
1. Lieu dâobservation cĂ©leste et espace social. Il est recouvert de toile 2. Biostructure vivriĂšre 3. Biostructure pour production dâĂ©nergie et stockage 4. Transport vers les autres citĂ©s 5. Logements
6 Ă 8
â VallĂ©e
La place du village. Les coques abritent des logements pour une vingtaine de personnes. â¶ â· âž âč âș
Le Tiers atelier*
Vers une union climatique. La géographie du bassin versant du Rhin, une nouvelle forme de métropole
* Aymeric Bey â GaĂ«l Biache â Alice Brigand â Tom Coutant â Elise Dalmasso â Joris Le Calvez â TĂ©o Nicolas
Direction François-Frédéric Muller et JérÎme Villemard
Le projet en deux mots Sept Ă©tudiants (une gageure administrative !) pour un projet Ă lâĂ©chelle de lâEurope. Un travail collectif pour eux essentiel, « qui ouvre les possibles et nous raccroche Ă une rĂ©alitĂ© profes sionnelle : nous ne travaillerons jamais seuls. » En ces temps de confinement, le Tiers Ate lier est parti de son environnement immĂ© diat. « On a beaucoup regardĂ© le fossĂ© rhĂ©nan, ce quâon pourrait y faire. Cela nous a conduit Ă dĂ©zoomer au fur et Ă mesure. En nous intĂ©ressant aux enjeux climatiques, nous voulions aussi ap porter une vision Ă grande Ă©chelle. » Leur sujet porte alors sur lâensemble du Bassin versant du Rhin, 70 millions dâhabitants soit 16% de population europĂ©enne.
Le biorégionalisme
Le Tiers atelier sâappuie sur la thĂ©orie du biorĂ©gionalisme, qui dĂ©termine les territoires non plus Ă partir des frontiĂšres administra tives mais de leurs caractĂ©ristiques naturelles et culturelles. Il sâappuie pour Ă©laborer son projet sur plusieurs ensembles et sous-en sembles.
â ĂcorĂ©gion : ce sont les grands ensembles, les pays climatiques caractĂ©risĂ©s par leur gĂ©omorphologie, gĂ©ologie, climat, sols, ressources en eau, faune et flore. LâEurope se dĂ©coupe en six Ă©corĂ©gions : continentale,
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atlantique, borĂ©ale, arctique, mĂ©diterra nĂ©enne, montagnarde. Chacune est impactĂ©e de maniĂšre particuliĂšre par le changement climatique. Dans le projet du Tiers atelier, ces Ă©corĂ©gions sont les nouvelles frontiĂšres intĂ©rieures de lâEurope. Elles forment lâUnion climatique.
â GĂ©orĂ©gion : une Ă©chelle plus petite, dĂ©finie par une chaĂźne de montagne, un fleuve. Un bassin versant, comme celui du Rhin par exemple, est une gĂ©orĂ©gion, qui en lâoccur rence traverse plusieurs Ă©corĂ©gions.
â MorphorĂ©gion : Ă une Ă©chelle encore plus petite, « elle se dĂ©finit par lâactivitĂ© humaine qui sây est installĂ©e. Câest une zone de rencontre entre les Hommes et le territoire. Ce sont aussi des identitĂ©s. Pour les gens qui habitent le long du Rhin, lâidentitĂ© se forme aussi par le fleuve. »
Le Tiers atelier a identifiĂ© six morphorĂ© gions, qui sâarticulent en ce quâil appelle une gĂ©omĂ©tropole, « une forme particuliĂšre de mĂ© tropole, basĂ©e non plus uniquement sur lâactivitĂ© humaine et son implantation, mais prenant en compte les composantes climatiques et gĂ©ographiques. »
6 morphorégions, 6 enjeux, 6 projets
Le Tiers atelier sâappuie sur les initiatives suggĂ©rĂ©es par la Commission europĂ©enne dans le Pacte Vert pour lâEurope, en pro pose une application concrĂšte et reformule certains principes : « RĂ©flexion frugale de lâarchitecture, construction dâun imaginaire gĂ©ographique, mise en rĂ©sonnance des enjeux climatiques avec lâimaginaire collectif. »
1. Rhin alpin â aux sources du Rhin Quand les glaciers ne seront plusLa rĂ©habilitation des stations de sport dâhiver en parc protecteur
« Replanter des arbres est le moteur pour le projet. Cela permet de maintenir les sols, de protéger les villages et les habitations » et de maintenir une ac
Les six morphorégions
1. Rhin Alpin
2. Haut Rhin
3. Rhin Supérieur
4. Rhin Moyen
5. Rhin inférieur
6. Delta du Rhin
tivitĂ© Ă©conomique, en lâoccurrence lâagrofores terie et le dĂ©veloppement dâactivitĂ©s touristiques adaptĂ©es au nouveau climat. Dans ce parc de 20 000ha, le Tiers atelier imagine notamment une unitĂ© de production de bois associĂ©e Ă un centre pĂ©dagogique. Le bois est exportĂ© Ă lâĂ©chelle de la gĂ©omĂ©tropole par voie ferrĂ©e.
2. Haut Rhin â entre le lac de Constance et BĂąle
Vers une continuité du vivant - Un sentier de randonnée pour sensibiliser à la biodiversité
LâactivitĂ© humaine, notamment les nombreux barrages hydroĂ©lectriques, met Ă mal les cor ridors Ă©cologiques et des biotopes. Le Tiers atelier les reconstitue Ă travers un sentier de
â¶ â· âž âč âș â»
randonnĂ©e reliant des modules permettant de rĂ©implanter de la biodiversitĂ©. Les hĂ©berge ments pour les randonneurs, traitĂ©s de ma niĂšre Ă©cologique, sont aussi des lieux de vie au cĆur du village. Par ailleurs, « des espaces ouverts, installĂ©s le long du sentier, permettent de se peut se poser face aux Ă©lĂ©ments. Le sentier est vecteur de projet, il recrĂ©e le lien perdu entre la vie humaine et la biodiversitĂ©. »
â Rhin Alpin : Le bois de construction issu des nouvelles structures dâagroforesterie, implantĂ©es dans les anciennes stations de ski, est transportĂ© vers les villes de la gĂ©omĂ©tropole via le rĂ©seau de gĂ©omobilitĂ©s.
â Haut Rhin : Un nouveau sentier de randonnĂ©e relie BĂąle au lac de Constance. Les passages au-dessus du fleuve permettent aussi de reconstituer les couloirs Ă©cologiques.
4. Rhin moyen â de Mayence Ă DĂŒsseldorf « Câest la rĂ©gion qui nous a le plus question nĂ©s, on ne savait pas trop quoi y faireâŠÂ » Ce territoire Unesco, marquĂ© par un patrimoine historique important et aux paysages quelque peu musĂ©ifiĂ©s, devient ainsi le lieu de la premiĂšre assemblĂ©e de lâUnion climatique, avec dĂ©ambulation et dĂ©bats dans les rues de Coblence.
3. Rhin supĂ©rieur â entre BĂąle et Mayence
Un couloir mĂ©tropolitain - DĂ©part dâune gĂ©omobilitĂ©
La position centrale offre lâopportunitĂ© de mettre en place un rĂ©seau transport en commun fluvial. Ici, le moteur du projet est la crĂ©ation et la transformation de ports et de gares fluviales, notamment dans des lieux iso lĂ©s. La gare de Kehl est notamment Ă©tendue et rĂ©amĂ©nagĂ©e pour accueillir des pĂ©niches. Un campus agro-artisanal Ă Mannheim est connectĂ© Ă la ville avec un grand marchĂ© cou vert. Ce rĂ©seau se prolonge jusquâau delta. Par ailleurs, la centrale nuclĂ©aire de Biblis,
5. Rhin infĂ©rieur â la Ruhr Habiter un sol instableDensifier un territoire marquĂ© par lâexploitation miniĂšre « Ici, la crise Ă©conomique et sociale est forte et la crise climatique va accentuer les problĂšmes, notamment ceux liĂ©s Ă la qualitĂ© des logements. » Le Tiers atelier transforme une parcelle mi niĂšre en quartier mixte. Les infrastructures miniĂšres sont transformĂ©es en logement so ciaux, lieu de production et parc qui rappelle le passĂ© du lieu. Un rĂ©seau de train et de canaux fait le lien avec lâaxe de gĂ©omobilitĂ©s.
042 Ă lâarrĂȘt, devient le lieu symbolique pour installer le Parlement climatique. Elle com prend Ă©galement une mĂ©diathĂšque, un centre mĂ©dia, le siĂšge du GIECâŠ
6. Delta
Sâadapter Ă la montĂ©e des eauxUne coopĂ©rative agricole en milieu salĂ©
Le Tiers atelier propose ici la mise en rĂ©seau de fermes de taille modeste oĂč les techniques traditionnelles de culture en terre salĂ©e sont remises en Ćuvre. Ce rĂ©seau est lui aussi connectĂ© au rĂ©seau des gĂ©omobilitĂ©s pour le transport fluvial de la production.
En conclusion « Lâun des objectifs de ce projet Ă©tait de trouver des moyens de faire de la crise climatique un moteur de projet. Nous voulions revenir Ă la base de ce quâest lâarchitecture : des gens qui essayent de rĂ©flĂ©chir au bien commun et Ă une meilleure façon dâhabiter ensemble. Pour nous, ce projet est aussi le moyen de rĂ©vĂ©ler un territoire, de ra conter une histoire et de dĂ©cloisonner la discipline architecturale. »
Quelques définitions
Bassin versant
Un bassin versant ou bassin hydrographique est une portion de territoire dĂ©limitĂ©e par des lignes de crĂȘte et irriguĂ©e par un mĂȘme rĂ©seau hydrogra phique : une riviĂšre avec tous ses affluents.
Biorégionalisme
Ce courant de pensĂ©e nĂ© dans les annĂ©es 60 est bien dĂ©fini dans le texte fondateur de Peter Berg et Raymond Dasmann, Reinhabiting California (1977). La biogrĂ©gion fait « rĂ©fĂ©rence au contexte gĂ©ographique autant quâau contexte cognitif â Ă savoir aussi bien Ă un lieu quâaux idĂ©es qui ont Ă©tĂ© dĂ©veloppĂ©es Ă propos des maniĂšres de vivre en ce lieu ».
Rhin supĂ©rieur : la centrale nuclĂ©aire de Biblis, Ă lâarrĂȘt, accueille dĂ©sormais le parlement climatique
044 TRIBUNES Par Ăric Albisser Ăric Albisser est architecte et maĂźtre de confĂ©rences en ThĂ©ories et pratiques de la conception architecturale et urbaine Ă lâENSAS PROLONGER LES ĂTUDES SUPĂRIEURES POUR APPRENDRE Ă FAIRE ENSEMBLE
Le chaos climatique est indubitablement amorcĂ©, chacun a dĂ» le ressentir durant ce nouvel Ă©tĂ© de tous les extrĂȘmes. Le contrĂŽle des Ă©missions de gaz Ă effet de serre est une urgence absolue, prioritaire, vitale. Câest dĂ©montrĂ©, qui nâa pas compris ? Pour ĂȘtre au maximum dĂ©carbonĂ©es et sâadapter aux nouveaux alĂ©as environnementaux les pro ductions matĂ©rielles de lâhumanitĂ© â nour riture, bĂątiments, Ă©quipements â se doivent de muter, et en beautĂ© si ça nâest pas trop demander.
Toutes les pratiques de tous les acteurs sont Ă interroger, adapter, rediriger et Ă relier entre-elles, pour rĂ©pondre Ă la complexitĂ© holistique du dĂ©fi. Et sans aboutir Ă une four miliĂšre cyber-contrĂŽlĂ©e, sâil vous plait.
Toutes les Ă©coles sont aujourdâhui face Ă cette responsabilité : intĂ©grer fondamenta lement les prĂ©occupations Ă©cologiques et mĂ©sologiques. Dispenser aux Ă©tudiants des notions-clĂ©s pour comprendre les rapports au milieu de lâĂȘtre humain et de la matiĂšre. DĂ©velopper des postures collaboratives pour imaginer les outils dâune conception concer tĂ©e avec les autres acteurs. Pour savoir quoi faire concrĂštement, et comment, en tenant compte de tous les paramĂštres agissants. Mobiliser nos capacitĂ©s collaboratives, croi ser les enseignements au sein des ENSA et avec ceux dâautres Ă©coles, dâingĂ©nierie, gĂ©o graphie, botanique, hydraulique, Ă©conomie⊠Or, depuis la rĂ©forme LiMaDo en 2005, il a fallu intĂ©grer notions environnementales et outils numĂ©riques Ă un cursus raccourci dâune annĂ©e, tout en conservant au projet sa place essentielle sans exclure des enseigne ments dâautres champs. Un cursus extrĂȘ mement compact en a rĂ©sultĂ©, maillĂ© par un
rĂ©seau trĂšs dense de contrĂŽle continu, de plus en plus mal vĂ©cu par tous. Le rythme et la densitĂ© dâinformations Ă engrammer favo risent un engorgement intellectuel impropre Ă lâappropriation de notions complexes, Ă leur articulation et Ă la maturation de lâesprit critique.
Collaboration interdisciplinaire, expĂ©rimen tation concrĂšte et immersion sur site dans le jeu des acteurs sont les derniers flotteurs imaginĂ©s pour charger toujours davantage la barque de notions et relations Ă intĂ©grer. Des dĂ©marches qui sont impossibles Ă mener dans les derniers interstices de programmes surchargĂ©s. A minima, une annĂ©e dâactivi tĂ©s et dâexpĂ©rimentations « hors les murs » devrait ĂȘtre ajoutĂ©e au cursus, Ă bon compte pour les finances publiques, lâĂ©cole nây jouant que le rĂŽle de port dâattache. Plus ambitieux : dĂ©crĂ©ter une annĂ©e supplĂ© mentaire pour toutes les Ă©tudes supĂ©rieures de tous champs disciplinaires, pour crĂ©er un vaste espace acadĂ©mique de molĂ©cules pĂ©dagogiques multidisciplinaires inter-Ă©coles, ca pables de concentrer lâĂ©nergie des Ă©tudiants, enseignants et praticiens autour dâun objet commun : minimiser lâimpact humain sur le milieu, pour asseoir une civilisation cultivĂ©e, Ă©conome, dĂ©carbonĂ©e.
CoĂ»t mondial de cette rĂ©volution ? Un budget pour lâenseignement supĂ©rieur et la recherche (1,6% du PIB OCDE) majorĂ© au grand maximum de 20%. Soit 300 milliards pour 100 000 milliards de $ de PIB mondial. Ă comparer aux 2 000 milliards de dĂ©penses mondiales pour lâarmement en 2020⊠avant la guerre dâUkraine.
Ce texte a été rédigé en juillet 2021 et (trÚs peu) revu en août 2022
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Comment enseigner aujourdâhui pour permettre aux futurs architectes, au-delĂ des rĂ©ponses techniques, dâaborder la question complexe des transitions ? François Nowakowski, architecte et enseignant Ă lâENSAS, plaide pour de nouveaux modes de transmission, qui correspondent aussi Ă une conception diffĂ©rente du mĂ©tier dâarchitecte⊠et de la place de lâĂ©cole dans la CitĂ©.
Pédagogies en transition
Propos recueillis par Sylvia Dubost
Alors enseignant Ă lâENSA Lyon, François Nowakowski a accompagnĂ© des Ă©tudiants dans leur travail sur les futurs possibles de la vallĂ©e de la Ligne en ArdĂšche.
046ARCHITECTURE EN TRANSITIONSâPERSPECTIVES
Comment comprenez-vous le terme de « transition » ?
La transition renvoie Ă un processus de trans formation, que jâenvisage dâun point de vue Ă©conomique, politique, social et environne mental. Une des origines de la crise Ă©colo gique, qui nous amĂšne Ă parler de transition, câest lâessor du capitalisme, de lâindustrialisa tion, de lâĂ©conomie financiarisĂ©e. « LâĂ©cologie sans luttes des classes, câest du jardinage », disait le syndicaliste brĂ©silien Chico Mendes (19441988) : je suis convaincu quâon ne peut pas dĂ©connecter ces diffĂ©rentes dimensions.
Quelle est la position des Ă©tudiants par rapport Ă ces questions ? Beaucoup dâĂ©tudiantes et Ă©tudiants entrant en premiĂšre annĂ©e sont nĂ©s en 2003-2004. Le sommet de Copenhague, qui a commencĂ© Ă politiser les questions climatiques, a eu lieu en 2009. Le rapport du GIEC dĂ©montrant que les activitĂ©s humaines sont Ă la source du dĂ©rĂšglement climatique, date de 2014. Elles et ils ont grandi avec ces questions. Ce qui mâa frappĂ© lors de leurs entretiens dâadmission Ă lâENSAS, câest que neuf sur dix les ont men tionnĂ©es comme motivation. Cela nous oblige Ă rĂ©pondre Ă leurs attentes, et Ă celles de la sociĂ©tĂ© vis-Ă -vis des archi tectes pour contribuer Ă Â amĂ©liorer la vie des humains et de toute la biosphĂšre.
Comment sont-elles dâores et dĂ©jĂ intĂ©grĂ©es dans les enseignements ? Je peux en tout cas parler des miens. Dans lâatelier de 3e annĂ©e [LisiĂšres mĂ©tropolitaines en projet(s), NDLR], nous travaillons sur les notions dâadaptation et dâattĂ©nuation, Ă partir des rapports du GIEC. Il sâagit Ă la fois dâattĂ©nuer le dĂ©rĂšglement climatique et de sâadapter Ă ses consĂ©quences. Lâune dâelles, câest que certaines permanences sur lesquelles on pouvait sâappuyer dans la conception dâun projet urbain, comme le climat, nâen sont plus forcĂ©ment. Par exemple, les paramĂštres pour concevoir une architecture ou un urbanisme
bioclimatique vont se modifier. Un des changements absolument nĂ©cessaires, câest de rĂ©ussir Ă envisager que chaque Ă©difice ou quartier puisse Ă©voluer, de penser en termes de processus et non plus en termes dâobjet fini. Or, on constate que ce sont dâabord les objets ultra-finis qui produisent de la valeur im mobiliĂšre. Le risque, câest une dĂ©rive vers la technicisation accrue des bĂątiments qui dĂ©possĂšde les habitantes et habitants, et tous les acteurs du cadre bĂąti, de leur capacitĂ© Ă les faire Ă©voluer, Ă Â se les approprier. Il y a lĂ une dimension politique et dĂ©mocratique : selon moi, la transition ne peut se faire quâen retrouvant du pouvoir dâagir.
Quels seraient selon vous les principaux changements Ă apporter Ă lâenseignement ? Une des dimensions essentielles est le contact avec le terrain, de maniĂšre complexe : le sol, le bĂąti existant, les habitants... Je ne conçois pas la pĂ©dagogie sans interaction avec une situation concrĂšte. Lâimmersion dans un lieu de vie met les Ă©tudiantes et Ă©tudiants en situation de comprendre quâils et elles ne sont jamais tout seuls Ă agir quelque part. Cela les met en situation dâinteragir, de comprendre quâil y a des demandes, pas forcĂ©ment dâarchitecture dâailleurs, de les transposer en espaces, de confronter leur vision thĂ©orique Ă une complexitĂ©. Les enseignements en immersion que je pratique nĂ©cessitent que les Ă©coles soient en capacitĂ© dâentrer en contact avec les territoires. Câest en train de se structurer : des CAUE [Conseils dâarchitecture, dâurbanisme et dâenvironnement, NDLR], comme celui dâArdĂšche, ou la fĂ©dĂ©ration des Parcs naturels rĂ©gionaux sâefforcent de faciliter la rencontre entre Ă©tablissements dâenseignements supĂ©rieurs et territoires. Cela demande beaucoup dâimplication des enseignants, pour prendre contact, comprendre les attentes, voir celles auxquelles on peut rĂ©pondre. En ArdĂšche, nous avons rĂ©flĂ©chi durant trois ans
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*Le biorĂ©gionalisme est une approche Ă©cologique, sociale, Ă©conomique et culturelle qui propose de repenser les Ă©tablissements humains Ă partir des caractĂ©ristiques Ă©cologiques dâun territoire.
Quelle est la place du projet* dans cette transition des enseignements ? LâinterdisciplinaritĂ©, autour, avec, en lien avec la conception reste un impensĂ©. AprĂšs 1968,
les Ă©coles ont intĂ©grĂ© beaucoup de nouvelles disciplines, conduisant Ă un morcellement des enseignements. Les Ă©tudiants en Licence 3 doivent ainsi valider plus dâune quinzaine dâenseignements. Lâun des enjeux est de penser les articulations, par situation pĂ©da gogique (cours, atelier, travail dâimmersion, etc.), en croisant expĂ©rimentation et apports thĂ©oriques. Ma vision est celle dâun enseigne ment qui ne sĂ©pare pas la thĂ©orie de lâexpĂ©ri mentation : lâexpĂ©rimentation peut ĂȘtre source de connaissances.
* On appelle « enseignement de projet » la conception complĂšte par les Ă©tudiants dâun Ă©difice ou dâun quartier, Ă partir dâun existant ou pas. Cela implique la prise en compte dâun nombre important de paramĂštres et la mobilisa tion dâun grand nombre de connaissances et/ou de compĂ©tences.
Quelles compétences faudrait-il développer ?
Travailler en groupe, et avec dâautres, en dehors de lâĂ©cole. Il faut ĂȘtre conscient de ses compĂ©tences mais aussi de ses incompĂ©tences. On a beaucoup reprochĂ© aux architectes dâĂȘtre trop sĂ»r dâeuxmĂȘmes. Aujourdâhui, on voit aussi chez les jeunes le dĂ©sir dâĂȘtre au contact avec les habitants. Cela nĂ©cessite dâĂȘtre en capacitĂ© dâĂ©changer, de comprendre les milieux de vie, et de trouver une rĂ©ponse juste. Le but nâest pas de faire des architectes uniquement sachants, mais aussi, et avant
« Lâarchitecte doit rĂ©pondre Ă une demande ou ĂȘtre en capacitĂ© de poser des questions ? »
048 au devenir dâune vallĂ©e Ă partir de la notion de biorĂ©gion*. Et face Ă des Ă©lus en attente dâun projet de salle des fĂȘtes, nous avons dĂ» sans cesse rĂ©expliquer quâon nâest pas lĂ pour faire le travail des architectes mais pour apporter de la matiĂšre grise, en bousculant parfois les idĂ©es reçues, en posant des questions qui peuvent dĂ©ranger. Jâajouterais quâil est essentiel de rappeler aux Ă©tudiantes et Ă©tudiants quâils feront partie dâun systĂšme oĂč il existe des rapports de pouvoir et dâargent. La production immobiliĂšre, parfois totalement dĂ©connectĂ©e des besoins des gens, est centrale dans le capitalisme financiarisĂ©, comme lâa notamment dĂ©montrĂ© le gĂ©ographe marxiste David Harvey. Ceci nĂ©cessite dâintĂ©grer davantage les questions Ă©conomiques et politiques dans lâenseignement pour avoir conscience des leviers dâaction quâon a et quâon nâa pas. Une fois quâon sait que le secteur est la 1Ăšre source de dĂ©chets en France, cela doit nous alerter sur notre rĂŽle mais aussi sur celui des donneurs dâordre, promoteurs, ingĂ©nieurs, etc.
tout peut-ĂȘtre, « entendants ».
Ă la sortie des Ă©coles, on constate que prĂšs de la moitiĂ© des Ă©tudiant s exercent dans dâautres domaines que ceux de lâarchitecture. Notre enseignement permet ainsi dâamener dâautres mĂ©tiers Ă se poser ces questions. Si le diplĂŽmĂ© exerce dans une collectivitĂ©, il les intĂšgrera en amont de la commande. Cela fait partie des grands dĂ©bats dans les Ă©coles dâarchitecture. Ă quels mĂ©tiers forme-t-on ? Est-ce quâon Ă©largit consciemment notre enseignement Ă dâautres mĂ©tiers que celui dâarchitecte  ?
Quel serait alors le cĆur du mĂ©tier dâarchitecte ?
Lâexercice de la conception : la capacitĂ© Ă comprendre une situation, et Ă proposer une intervention en relation avec un milieu dans un espace-temps, câest-Ă -dire capable ensuite de se transformer, de sâajuster, dâĂȘtre appropriĂ© et rĂ©appropriĂ©.
Quels sont les principaux freins à ces changements ? les écueils ?
Il y a lĂ un dĂ©bat sous-jacent, qui constitue un frein, sur la maniĂšre dâenvisager le mĂ©tier. Est-ce que lâarchitecte doit rĂ©pondre de maniĂšre stricte Ă une demande, ou doit-il ĂȘtre en capacitĂ© de poser des questions, mettant en cause ce quâon attend de lui ? On met en avant le fait que les Ă©tudiants doivent trouver un mĂ©tier en sortant de lâĂ©cole. Mais la question est celle de notre rĂŽle social, pour apporter des rĂ©ponses aux enjeux Ă©cologiques en prise avec les milieux de vie.
Des Ă©tudiants de lâENSA Lyon ont travaillĂ© en immersion pendant trois ans dans la vallĂ©e de la Ligne en ArdĂšche.
Depuis la crise sanitaire, les petites villes et villages ont le vent en poupe. Si cette dynamique offre une solution bienvenue Ă lâĂ©talement urbain, les communes ne sont pas toujours armĂ©es pour y faire face. Pratiquer le mĂ©tier dâarchitecte en milieu rural, câest justement lâobjet de lâatelier Rural Studio de lâENSAS, dirigĂ© par Emmanuelle Rombach. Lâan passĂ©, les Ă©lĂšves y ont planchĂ© sur le dipĂŽle Bouxwiller-Ingwiller, et ont prĂ©sentĂ© aux reprĂ©sentants des pistes pour redynamiser les centre-bourgs.
En campagne
Par Emmanuel Dosda Photo Jésus s.Baptista
Emmanuel Rombach prĂ©sente aux Ă©lus des villes de Bouxwiller, Ingwiller et Ă lâĂ©quipe du Parc naturel rĂ©gional des Vosges du nord les intentions dâaction des Ă©lĂšves Ă Bouxwiller et Ingwiller.
050ARCHITECTURE EN TRANSITIONSâDANS LâATELIER
Il fait trĂšs chaud ce jeudi 19 mai dans la salle et dans les tĂȘtes des onze Ă©tudiant s de premiĂšre annĂ©e de Master. Ă lâoccasion dâun rendu intermĂ©diaire, elles et ils prĂ©sentent leurs projets Ă lâĂ©quipe du Parc naturel rĂ©gional des Vosges du nord et aux Ă©quipes techniques de Bouxwiller et Ingwiller. Ces deux communes ont Ă©tĂ© retenues dans le programme national « de revitalisation locale » Petites villes de demain, conduit par lâAgence nationale de la cohĂ©sion des territoires et lan cĂ© fin 2020 dans un contexte dâexode urbain liĂ© Ă la crise sanitaire. Un des objectifs est dâaider des communes de moins de 20 000 habitants Ă amĂ©liorer les conditions de vie des habitants et, dixit le texte de prĂ©sentation du programme, à « rĂ©pondre aux enjeux actuels et futurs, en faire des territoires dĂ©monstrateurs des solutions inventĂ©es au niveau local contri buant aux objectifs de dĂ©veloppement durable ». En clair revitaliser les centres-bourgs, « conforter leur statut de villes dynamiques, oĂč il fait bon vivre et respectueuses de lâenviron nement ». VoilĂ qui recoupe exactement les objectifs de lâatelier Rural Studio, initiĂ© il y a cinq ans par lâarchitecte Emmanuelle Rombach, qui propose de confronter les Ă©tudiants Ă la question de la ruralitĂ© aujourdâhui. Et Ă la pratique de lâarchitecture en milieu rural : « à lâimage du mĂ©decin de campagne, explique-t-elle, lâarchitecte sây fait tout ter rain, Ă la fois bĂątisseur, designer, urbaniste, conseiller pour des sujets Ă diffĂ©rentes Ă©chelles et pour des programmes variĂ©s. » Les ingĂ©nieurs Estelle Witt et Emmanuel Ballot sensibilisent les Ă©tudiants aux matĂ©riaux et techniques constructives, leur intĂ©gration harmonieuse Ă lâexistant et leurs performances techniques et environnementales.
Se frotter Ă la rĂ©alitĂ© de terrain et contrer le pĂ©riurbain Dans un premier temps, les Ă©lĂšves de lâENSAS ont arpentĂ© le dipĂŽle Bouxwiller avec des Ă©tudiants de Master de la FacultĂ© de GĂ©ographie de Strasbourg afin de dresser un diagnostic complet du territoire : architecture, urbanisme, paysage, sociologie, Ă©conomie, agronomie, environnement, amĂ©nagement du territoire⊠Elles et ils ont ensuite rencontrĂ© des responsables locaux pour pouvoir, ensemble, faire Ă©merger des problĂ©matiques et objectifs. LâidĂ©e nâest pas dâapporter des rĂ©ponses Ă des « commandes » dâĂ©lu s : « Nous ne faisons pas concurrence aux bureaux dâĂ©tudes », insiste Emmanuelle Rombach. Lâexercice impose nĂ©anmoins de se frotter Ă la rĂ©alitĂ© de terrain et aux volontĂ©s politiques tout en gardant un nĂ©cessaire recul et un regard frais. « Lâatelier offre la possibilitĂ© dâexpĂ©rimenter le lien entre recherche et terrain », rĂ©sume lâenseignante.
Composer avec lâhumain et construire pour demain
Ce jeudi, donc, ce sont justement leurs diagnostics et leurs pistes que prĂ©sentent les Ă©lĂšves, pour les tester avant de passer au dessin des projets. Lâexercice est ardu. Jennifer Casagrande (chargĂ©e de mission Petites Villes de demain pour le dipĂŽle), Jean-Christophe Brua (architecte responsable du patrimoine remarquable Ă Bouxwiller), JĂ©rĂŽme Thien (responsable pĂŽle technique de Bouxwiller) et Pascal Demoulin (architecte, chargĂ© de mission architecture et espaces publics du Parc naturel rĂ©gional des Vosges du nord) ne manquent pas de les
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â « Câest un vrai combat que de revaloriser un quartier paupĂ©risé ! » â, Jean-Christophe Brua (Bouxwiller) sâinterroge : « Ce projet risque dâĂȘtre complexe car il imbrique espaces publics et privĂ©s.
»
Deux communes, une entitĂ© Dans leurs analyses dĂ©taillĂ©es, les Ă©lĂšves ont pris en compte la rĂ©alitĂ© de Bouxwiller, trĂšs bien Ă©quipĂ©e en Ă©coles, gymnase, musĂ©e ou mĂȘme théùtre, mais peu dotĂ©e de transports en commun, contrairement Ă Ingwiller, bien desservie. Elles et ils ont imaginĂ© des flux, des connections, notamment en sâappuyant sur la piste cyclable entre les deux com munes. Peu empruntĂ©e, elle permettrait pourtant de diminuer la circulation automo bile et dâaccĂ©der aux transports en commun pour les plus longs trajets. Le projet dâAriane Rochette et de Tania Aoun cherche lui aussi Ă rapprocher les deux communes en crĂ©ant un espace com mun. Lâusine Staat de Bouxwiller, ancienne visserie / boulonnerie de 2 300 m 2 qui sert actuellement de lieu de stockage, est trans formĂ©e en marchĂ© couvert. LâidĂ©e sĂ©duit les partenaires, mĂȘme si Jean-Christophe Brua demande des prĂ©cisions : « Il faudra se questionner sur la qualitĂ© de ces bĂątiments. »« Il va falloir dĂ©finir les parties bĂąties que lâon garde ou non, rĂ©pond Ariane Rochette , prĂ©ciser ce programme que lâon souhaiterait modulable, pour y vendre des produits artisanaux ou organiser des Ă©vĂ©nements festifs. Il faudra voir comment intĂ© grer la Maison intergĂ©nĂ©rationnelle Ă proximitĂ©. Il faut que la halle sâouvre Ă toutes et tous. » « Je les encourage Ă se battre pour leurs idĂ©es, confiera plus tard Emmanuelle Rombach. Les Ă©lĂšves doivent faire preuve de pragmatisme, ĂȘtre attentifs aux contraintes, mais suivre leurs intuitions. »
ââRĂ©flĂ©chir Ă de nouvelles formes de ruralitĂ©, compatibles avec la vie connectĂ©e. â
052 dĂ©stabiliser avec questions et observations. Les vues aĂ©riennes, maquettes numĂ©riques et autres croquis dĂ©filent Ă lâĂ©cran et les remarques fusent. « Vous rĂ©interrogez la maniĂšre de vivre dans une ville moyenne ! », lance, enthousiaste, Pascal Demoulin quand les Ă©lĂšves Ă©voquent la revalorisation de lâartisan at Ă Ingwiller comme moteur de projet. Ils sâinspirent et dĂ©veloppent ici la dĂ©marche de Jacky Keiff, serrurier et mĂ©tallurgiste de la ville. LâĂ©vocation dâun cas similaire dâartisan de Bouxwiller amĂšne de lâeau au moulin des jeunes architectes qui imaginent rĂ©habiliter des espaces en friche en intĂ©grant des ateliers Ă lâhabitat. Avec toujours Ă lâesprit lâutilisation des matĂ©riaux locaux (pierre, torchis, boisâŠ), dans un souci dâharmonie et de soutien des filiĂšres locales. Jessica Grail et Charles HĂ©raude se sont ainsi concentrĂ©es sur la rue Schuler de Bouxwiller, perpendiculaire aux remparts de la ville. Il sâagit ici de revaloriser des parcelles de petits gabarits, des habitations de taille modeste disposant, de lâautre cĂŽtĂ© de la rue, de granges de 40 m 2 qui pourraient ĂȘtre restaurĂ©es pour crĂ©er des ateliers. Les dents creuses seraient utilisĂ©es pour crĂ©er des espaces verts, avec arbres fruitiers et plantes grimpantes. Si Pascal Demoulin se rĂ©jouit
En haut : DĂ©tail des intentions dâaction des Ă©lĂšves Ă Bouxwiller : mobilitĂ©, Ă©quipements, commerce, espaces publics
En bas : PrĂ©sentation intermĂ©diaire du travail des Ă©lĂšves aux Ă©lus des villes de Bouxwiller, Ingwiller et Ă lâĂ©quipe du Parc naturel rĂ©gional des Vosges du nord.
Imaginer un horizon rural Une fois finalisĂ©s, les projets des Ă©tudiants seront prĂ©sentĂ©s sur place, sous forme dâune exposition ouverte Ă tous. Ils seront matiĂšre Ă rĂ©flexion et discussion. Lâobjectif de cet atelier est avant tout dâimaginer un horizon rural pour des dâhabitant s sur un territoire qui manque parfois de lieux de vie. Et de donner quelques pistes pour, peut-ĂȘtre, rĂ©sister aux centres commerciaux pĂ©riphĂ©riques et au « tout voiture » ! Pour Emmanuelle Rombach, lâatelier Rural Studio permet de se projeter et de « rĂ©flĂ©chir Ă lâĂ©mergence de nouvelles formes de ruralitĂ©s, crĂ©atrices de dĂ©sir dâembrasser une vie Ă la campagne, dâopĂ©rer un retour Ă lâartisanat ou Ă lâagriculture compatible avec une existence connectĂ©e. » En les mettant en lien direct avec le terrain et ses acteurs, il interroge aussi leur mĂ©tier. « Il faut arrĂȘter avec lâidĂ©e de lâarchitecte roi du monde ou artiste : il doit composer avec lâhumain, ne pas ĂȘtre seulement maĂźtre dâĆuvre, mais force de proposition pour dessiner le monde rural de demain. »
Les Ă©lĂšves prĂ©sentent leurs projets finaux aux Ă©lus des villes de Bouxwiller, Ingwiller et Ă lâĂ©quipe du Parc naturel rĂ©gional des Vosges du nord.
Les Ă©lĂšves du Rural Studio : Tania Aoun, HĂ©lĂšne Bisch, Tiffany Bricout, LĂ©a Camp, Jessica Grail, Hanine Hassan Mohamed Hassib, Charles HĂ©raude, Sophie Herque, Ălodie Meyer, Ariane Rochette, LĂ©a Schmitt
055«âIl me semble que dans les Arts qui ne sont pas purement mĂ©caniques, il ne suffit pas que lâon sache travailler, il importe surtout que lâon apprenne Ă penser.â» AbbĂ© Laugier, Essai sur lâarchitecture, 1753
Repenser les matériaux
1 â Salma Samar Damluji, Viola Bertini, Hassan Fathy : earth & utopia Laurence King, 2018 Hassan Fathy est lâarchitecte Ă©gyptien le plus connu du 20 e siĂšcle. Il a adoptĂ© les formes, les techniques et les matĂ©riaux traditionnels dont il a, tout au long de sa carriĂšre, encouragĂ© lâutilisation pour amĂ©liorer les conditions de vie des populations rurales pauvres. Cet ouvrage richement illustrĂ© revient sur cet engagement.
Repenser les toits
2 â Carolina FoĂŻs, Christine Hoarau-Beauval, (RĂ©)investir les toits, Le Moniteur, 2020 Longtemps ignorĂ© ou cantonnĂ© Ă une fonction purement technique, le toit devient aujourdâhui terrain de sport, jardin, potager, cour dâĂ©cole, ressource dâĂ©nergie, de nature ou crĂ©ateur dâusages rĂ©crĂ©atifs et de valeurs. Cet ouvrage prĂ©sente des toits conçus par des architectes/paysagistes de renom (Bruno Mader, Gilles ClĂ©ment, Kengo Kuma), qui repoussent les limites des bĂątiments.
Repenser les techniques
3 â dâa DâArchitectures, no 286 âSimple, câest plus : une certaine tendance de lâarchitecture en France âDĂ©cembre 2020 Entreprendre de dĂ©finir le paysage architectural français semble une gageure. Toutefois, des rapprochements semblent pouvoir sâopĂ©rer autour dâune mĂȘme tendance : le « simple, câest plus ». Ce dossier tente de dresser un panorama de cette tendance en donnant la parole aux acteurs : Lacaton & Vassal, Dominique Lyon, Roberto Gargiani et Ăric Lapierre, AndrĂ© Kempe.
Repenser le recyclage
4 â dâa DâArchitectures, no 291 âLa filiĂšre du rĂ©emploi est-elle crĂ©dible ? â juillet-aoĂ»t 2021, P. 55-93
Le rĂ©emploi est une pratique encore largement anecdotique en France. Pourtant, depuis peu, les initiatives se multiplient et de nouveaux mĂ©tiers apparaissent. Ce dossier analyse dans le dĂ©tail cette filiĂšre qui devrait permettre au bĂątiment de consommer moins dâĂ©nergie grise.
Une bibliographie choisie et commentĂ©e par MylĂšne Bourgeteau, bibliothĂ©caire de lâENSAS*
056ARCHITECTURE EN TRANSITIONSâPOUR ALLER PLUS LOIN
* Jusquâen juin 2022
Repenser la formation
5 â RĂ©seau ENSAĂ©co, Le Livre vert, 2019
Les auteurs de ce livre vert veulent mettre en action la transition Ă©cologique dans lâenseignement et la recherche des Ă©coles dâarchitecture. Autour de 20 « mesures basculantes », il identifie des activitĂ©s pĂ©dagogiques liĂ©es Ă lâĂ©cologie et des pratiques vertueuses dĂ©jĂ Ă lâĆuvre dans les ENSA. Ces exemples deviennent ainsi autant de ressources pour les Ă©coles en transition. Ce livre se termine par des textes dâune dizaine dâarchitectes (Philippe Madec, Dominique Gauzin-MĂŒller, Nicolas Michelin) qui reflĂštent lâurgence de la situation.
Repenser la vie
6 â Ernest Callenbach, Ecotopia, 2018 RĂ©cit utopique publiĂ© en 1975, ce livre dĂ©crit le parcours initiatique dâun journa liste amĂ©ricain, William Weston, lancĂ© Ă la dĂ©couverte dâEcotopia, une sociĂ©tĂ© Ă©colo gique radicale qui a vu le jour sur la cĂŽte Ouest des Ătats-Unis suite Ă la sĂ©cession de la Californie, de lâOregon et de lâĂtat de Washington. Weston nous dĂ©crit tous les aspects de cette sociĂ©tĂ© qui cherche Ă tout prix Ă arriver Ă lâĂ©tat dâĂ©quilibre entre nature et sociĂ©tĂ©. Attention, une fois ce livre fini, vous nâaurez peut-ĂȘtre plus envie de quitter Ecotopia, vision dâune nouvelle voie pour le monde et la sociĂ©tĂ© de demain.
057 3 4 5 6 1 2
AGENDA
23.09 -> 31.10
JournĂ©es de lâarchitecture [Alsace-Bade-WĂŒrttemberg-Basel]
OrganisĂ© par la Maison EuropĂ©enne de lâarchitecture, le festival se penche cette annĂ©e sur le thĂšme des ressources. Parmi la plĂ©thorique programmation, on note les confĂ©rences de Gilles Perraudin (23.09, Briqueterie de Schiltigheim) et de Martin Rauch (07.10, Fonderie Mulhouse).
Programme complet : www.m-ea.eu
30.10
Screen City_Strasbourg [5e lieu]
Une impressionnante maquette de plùtre, un mapping vidéo et un environnement sonore qui lui donnent vie : Screen City interroge la ville et ses représentations à partir des data. Alessia Sanna a adapté sa piÚce pour la ville de Strasbourg en la baignant de la rumeur urbaine captée depuis le sommet de la Cathédrale.
14.10.22 -> 29.05.23
Pierre-Louis Faloci.
Une Ă©cologie du regard [CitĂ© de lâarchitecture & du patrimoine, Paris]
Lâexposition prĂ©sente une quinzaine de rĂ©alisations majeures du Grand Prix national de lâarchitecture 2018, et un parcours mĂȘlant architecture et cinĂ©ma. www.citedelarchitecture.fr
16.01.23
Centre Pompidou-Metz - Paper Tube Studio (PTS)
Les deux architectes du musĂ©e proposent ici un atelier, oĂč chacun peut prendre part Ă lâĂ©laboration dâune Ćuvre commune : une ville idĂ©ale faite de carton recyclable, qui occupera progressivement tout lâespace du PTS.
ïżœ ENSAS
27.09 -> 15.10
Strasbourg, territoires en transitions
Ă lâheure oĂč LâENSAS repense ses enseignements par le prisme des transitions, cette exposition restitue les recherches et projets dâatelier des Ă©tudiants, qui prĂ©parent nos territoires au changement climatique et Ă lâobsolescence de certains de leurs usages. Vernissage et visite commentĂ©e le 27.09 Ă 12h30 Avec le soutien de la Maison europĂ©enne de lâarchitecture - Rhin supĂ©rieur.
01.10
Architectes pour demain !
Quelle forme prendra le monde de demain ? De quelles matiÚres sera-t-il constitué ? Quels équilibres et quelle justice sociale porteront nos territoires ? Comment réinventer une cohabitation entre nature et habitat ? Quels acteurs seront les bùtisseurs du changement ? Cette table ronde réunit jeunes architectes et professionnels aguerris pour débattre du futur en transition.
24.10 | 18h30
Sous la douche, le ciel
Le film de Affi et Emir suit pendant cinq ans lâassociation bruxelloise DoucheFLUX dans ses efforts pour mettre en place des douches publiques. Un bĂątiment beau, fonctionnel, dâoĂč lâon sort la tĂȘte et lâesprit levĂ©s. Câest la chronique dâune lutte, qui interroge la possibilitĂ© dâimaginer une rĂ©alitĂ© diffĂ©rente et dâagir en tant que citoyen. ProposĂ© par lâassociation Le Lieu documentaire en lien avec les JournĂ©es de lâarchitecture.
Shigeru Ban et Jean de Castines, RĂȘver la ville idĂ©ale
058
Alsace Réseau des grandes architecture, loin
Va avec le réseau
Alsace Tech.
Challenges inter-écoles
Concours Innovons ensemble 14 octobre 2022 > mars 2023
Créathon Ville de demain 22 au 24 mars 2023
ConfĂ©rences et ateliers (DD&RS, design thinking, intelligence artificielleâŠ) Tout au long de lâannĂ©e
Ăcoles de printemps/dâĂ©tĂ© Intelligence artificielle du 24 au 27 avril 2023
Trinationale Die BrĂŒcke du 19 au 25 aoĂ»t 2023
M2 Management et administration des entreprises (Master 2 MAE Alsace Tech en accéléré) de septembre 2023 à janvier 2024
Forum stage & emploi (Forum Alsace Tech & Université de Strasbourg) 20 octobre 2022, à Strasbourg / du 21 au 28 octobre en ligne sur Seekube www.alsacetech.org sur
Tech
Ă©coles dâingĂ©nieurs,
art, design et management dâAlsace +
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Architecture en transitions #2 Crise climatique, Ă©nergĂ©tique, Ă©conomique, Ă©volution des modes de vie, des dĂ©sirs et des possibles : notre sociĂ©tĂ© connaĂźt et connaĂźtra des transformations majeures. Au cĆur du maelstrom, lâarchitecture est dans une situation stratĂ©gique et paradoxale : actrice dâun des secteurs les plus polluants, elle doit aussi imaginer les espaces pour la vie de demain. Ce 2e volet dâArchitecture en transition se penche sur ce qui aujourdâhui se rĂ©invente : la vision du mĂ©tier, les modes de construction et de conception, la pĂ©dagogie.
Zap / Zone dâarchitecture possible, magazine de lâĂcole nationale supĂ©rieure dâarchitecture de Strasbourg