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Politique et urbanistique
Alors que les questions de santé jouent aujourd’hui un rôle majeur dans nos vies et nos villes, Volker Ziegler, architecte et enseignant à l’ENSAS, revient sur la façon dont le mouvement hygiéniste au 19e siècle a métamorphosé les grandes villes occidentales, et ce qu’on peut en retenir aujourd’hui.
Propos recueillis par Sylvia Dubost / rédaction ZAP
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Percement entre la rue du Fossé des Tanneurs et l’église Saint-Pierre-le-Vieux, sans date

Appartement du 7 place des Tanneurs, entre 1903 et 1912. Dans le cadre de l’opération « Grande Percée », la mairie de Strasbourg avait demandé un relevé photographique des maisons et appartements du quartier Saint-Pierre-le-Vieux, Fossé des Tanneurs, place Kléber, rue du Jeu-des-Enfants, qui seront démolis en vue de l’aménagement de la rue du 22 Novembre.
Les politiques hygiénistes et la ville
« À partir du 19e siècle, différents courants ont associé l’hygiène et la médecine au développement urbain, pour faire naître des villes où les gens soient moins malades. Leur développement très rapide au 19e siècle [avec la révolution industrielle, ndlr] y a créé une énorme densité ; on y lutte contre la tuberculose, le choléra, parfois jusque dans années 1950-1960. Il s’agit de remplacer les taudis par des logements aérés, avec de la lumière naturelle, des cours plantées, des rues en boulevard, en amenant l’eau potable et en la séparant des eaux usées : c’est ce qu’Haussmann a lancé à Paris. On équipe aussi les villes en bains municipaux et on supprime les remparts car beaucoup de villes sont encore fortifiées. L’exemple le plus flagrant est Barcelone, fortifiée jusqu’au 19e, où le plan d’extension Cerda, sur lequel on construit encore aujourd’hui, a multiplié la surface de la ville par 10. C’était tout un mouvement politique et urbanistique, social et philanthrope, qui dans chaque ville a apporté des résultats différents.»
Et à Strasbourg ?
«La Grande-Percée [de la rue du 22 Novembre jusqu’à la place de la Bourse, 1910-1960, ndlr] fut une opération de démolition dans le centreville où il avait encore des conditions d’habitat du Moyen-Âge, avec un grand nombre de logements sans fenêtre sur l’extérieur. Elle les a remplacés par des immeubles modernes, a permis d’installer des grands magasins, la circulation moderne. Les habitants ont été relogés, notamment dans la cité-jardin du Stockfeld, où des maisons et de petits collectifs avec des jardins généreux permettent une nourriture d’appoint. Cela nous ramène aujourd’hui à la question des petites villes et au fait de vivre à la campagne.»
Modernité et villes denses
«Le mouvement moderne [à partir des années 1920, ndlr] ne voulait plus de ville où l’espace au sol manquait, la solution était alors de construire en hauteur : des immeubles hauts et beaucoup d’espace entre eux. La densité au sol était moindre mais le nombre de planchers et d’habitants identique. Donc quand on parle de densité par rapport à la crise sanitaire, il faut voir de quoi on parle… Effectivement, les mégalopoles comme Paris, New York, Mumbai ont beaucoup de problèmes. Leur décentralisation serait peut-être une bonne voie, il faudrait notamment investir dans les périphéries, dans les équipements culturels, les transports, les espaces publics, pour attirer de l’emploi. Cela pose d’autres questions : quel sentiment d’appartenance à la ville si les gens ne vont plus au centre? Comment faire que la ville reste une espace politique, de rencontres sociales, qui ne soit pas la ville virtuelle? La question de la densité urbaine est encore ouverte.»
Faire société
«Il y avait un aspect social dans le mouvement hygiéniste. Aujourd’hui, il faudrait travailler à un métabolisme urbain solidaire. Là où j’habite, les réseaux de solidarité ont pris un envol important. Au début de la crise, on a aussi beaucoup parlé des personnes seules. L’habitat multigénérationnel qui se développe est intéressant dans ce cadre-là. Dans certaines villes en Allemagne, la municipalité modère la rencontre des groupes d’auto-promotion, pour que ce ne soient pas toujours les mêmes bobos qui se retrouvent et favoriser la mixité. Il y a aussi le modèle des coopératives, qui fonctionne bien en Suisse.»
Que peuvent les architectes ?
« Ils sont l’un des acteurs mais pas l’acteur clé : c’est le citoyen et le politique. Faire du logement est un travail noble, ça l’était pendant plusieurs décennies à partir du début du 20e siècle, ça doit le redevenir. Il ne faut plus être à la merci de la promotion immobilière.»