Les travaux et les jours

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Paru dans L’Espace géographique, tome 38, 2009, n° 1, p. 73-82.

Les travaux et les jours Histoire naturelle et histoire humaine par Augustin BERQUE École des hautes études en sciences sociales / CNRS berque@ehess.fr

Résumé – L’être humain tend à ne pas voir le travail qui s’accomplit dans son milieu. On développe la logique sociale de cette forclusion en montrant comment l’idéal de l’habitation au sein de la nature a été produit par la classe de loisir (Veblen). Ici, « la nature » (comme représentation) en est venue à détruire la nature (comme fait écologique). Ce paradoxe de l’histoire humaine prend son origine dans le rapport du vivant à son environnement, i.e. dans l’évolution. Abstract – Human beings tend to overlook the work which is accomplished in their environment. The social logic of this phenomenon is illustrated by showing how the ideal of the detached house close to nature was produced by the leisure class (Veblen). Here, “nature” (as a representation) has come to destroy nature (as an ecological fact). This paradox of human history proceeds from the relation of living organisms to their environment, i.e. from evolution. Mots clefs : ÉCOUMÈNE, ÉVOLUTION, HISTOIRE, MONDE, NATURE, TEMPS, TRAVAIL. Key words : ECUMENE, EVOLUTION, HISTORY, NATURE, TIME, WORK, WORLD.

Introduction « Les travaux et les jours », titre emprunté à Hésiode, symbolise ici la relation problématique de l’écoulement du temps avec le travail. Un article antérieur (Berque 2005) avait argumenté la notion de forclusion du travail médial. Pour ce qui nous concernera, cela signifie que l’être humain, moderne en particulier, tend à ne pas voir le travail qui s’accomplit dans son corps médial, c’est-à-dire dans son milieu (Berque 2000), en considérant l’effet de ce travail comme naturel. Le présent article montrera d’abord la logique sociale de cette forclusion 1 dans son rapport à l’habitat, plus particulièrement cet habitat insoutenable qu’est l’urbain diffus2. Habiter au sein de « la nature », ce qui en est la motivation principale, est en Rappelons que forclusion est étymologiquement formé des deux éléments foris (dehors) et claudere (fermer). Forclore, c’est mettre dehors et fermer la porte (cf. l’anglais lock out). La forclusion du corps médial, réduit en objets externes, est inhérente au topos ontologique moderne (Berque 2000, 2007). 2 Examiné ailleurs (Berque 2002, Berque et al. 2006) d’un autre point de vue. « Insoutenable » est ici entendu au triple sens de : non durable écologiquement (détérioration de la biosphère), injustifiable éthiquement (aggravation des inégalités), et inacceptable esthétiquement (dégradation des paysages). 1


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