Vacance n°8

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N° 8 6 MOIS AUTOUR DU MONDE

V O YA G E U R S D U M O N D E

VA C A N C E

Lagos LE NIGERIA DU FUTUR

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AUTOMNE ~ HIVER 2019

voyageursdumonde.com

Six mois autour du monde Lagos / Californie / Venise / Rodrigues / Taroudant / Kiji 08/07/2019 16:37


{ VAC A N C E } Nom féminin, du latin “vacare” Moment de disponibilité, parenthèse de reconnexion au monde, invitation à marquer une pause dans la course au temps.

ICI TOUT TOURNE AUTOUR DE VOUS Dans un salon dédié, détendez-vous le temps d’un soin de beauté , * puis profitez du confort absolu d’un fauteuil-lit** tout en savourant des menus élaborés par de grands chefs étoilés français. CLASSE BUSINESS

France is in the air : La France est dans l’air. * Un soin Clarins au départ de Paris-Charles de Gaulle et Londres-Heathrow, un soin La Prairie au départ de New York-JFK. ** Sur une partie de la flotte long-courrier Boeing 777 et Boeing 787.

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citation

Make love, not war ”

Woodstock, 1969 Le festival a 50 ans .

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© P. Riverola/Voyageurs du Monde

Land-art naturel devant les résidences de Palm Springs. Lire pp. 72-87.

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édito

Voyageurs en transit Face à l’urgence climatique, peut-on encore s’autoriser à voyager ? De plus en plus populaire en Suède, le phénomène “flygskam” (la honte de prendre l’avion) traduit bien la nécessité de se responsabiliser et d’éveiller les consciences quant à l’impact sur l’environnement de nos façons de parcourir le monde. Derrière le beau rêve de papier, Vacance et Voyageurs du Monde croient en un autre avenir du voyage. Tout d’abord, en s’engageant à absorber 100 % des émissions de CO2 générées à chacun de nos voyages, grâce à des actions de reforestation – 4 000 arbres sont plantés par jour. Ensuite, en limitant l’avion aux voyages exceptionnels, dans tous les sens du terme : par exemple, vers Lagos qui, à travers une population pleine d’ingéniosité et une nouvelle génération inspirée, inscrit déjà le Nigeria dans le futur. Enfin, en privilégiant tant que possible le train, moins polluant, qui permet notamment de s’échapper vers la Carélie, région septentrionale de Russie figée dans un autre siècle… Des solutions concrètes pour accompagner la transition écologique et, surtout, garder le goût du voyage. Sans culpabilité. Jean-François Rial Président de Voyageurs du Monde

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Tips Un hôtel Orient-Express, du parmesan émilien, des collections d’art voyageuses… Sélection d’envies et d’idées pour esprits curieux. © F. Poidevin/Voyageurs du Monde

Vacance n° 8 — Automne-Hiver 2019

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Société À moins d’être la reine d’Angleterre, vous possédez un passeport. Récit de l’évolution de cet indispensable sésame. 28

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L’usage du monde Quelques fondamentaux pour surfer à l’aise sur la déferlante Sydney. 38 30

Style

À table

Au cœur de l’Écosse, l’hôtel The Fife Arms

Qu’est-ce qu’on mange demain ?

mêle luxe et art contemporain.

La recherche scientifique mitonne 42

déjà les aliments du futur…

Initiative

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Quand le leader de Magic System

Librairie

fait construire des écoles en Côte d’Ivoire.

La littérature arabe, entre conscience 46

critique aiguë et espoir.

Flash-back Star du cinéma latino-américain des années 40 à 70, María Félix a vécu

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sa vie comme un film. Portrait. 52

Rencontre Conversation sur le monde entre le père Bruno Horaist, curé de la paroisse de la Madeleine, à Paris, et le pdg de

© P. Woods

Voyageurs du Monde, Jean-François Rial.

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LE PALACE AVEC DEUX AILES Suite La Première : découvrez le confort absolu et un service cinq étoiles tout au long de votre voyage.

France is in the air : La France est dans l’air. Tous les Boeing 777 équipés d’une cabine La Première sont désormais réaménagés.

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© P. Riverola/Voyageurs du Monde

Vacance n° 8 — Automne-Hiver 2019

Six mois autour du monde 58

Septembre — Lagos Ville la plus peuplée du continent africain et capitale du Nigeria, Lagos est en route pour l’avenir.

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Octobre — Californie Joshua Tree, Palm Springs, le désert de Mojave, 29 Palms : une exploration vibrante et arty du “Golden State”.

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Novembre — Venise Pèlerinage stylistique, au cœur de la Sérénissime et du Lido, pour célébrer les 50 ans du chef-d’œuvre cinématographique de Visconti, © M. Salvaing/Voyageurs du Monde

Mort à Venise.

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Décembre — Rodrigues Sur les traces de l’auteur J. M. G. Le Clézio et du trésor de Rodrigues, petit caillou précieux au milieu de l’océan Indien.

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Janvier — Taroudant Des passionnés de nature et d’un Maroc © R. D’Agostin/Voyageurs du Monde

authentique y conçoivent résidences raffinées et jardins extraordinaires. 132

Février — Kiji Voyage dans le passé et découverte d’une île-paroisse, musée à ciel ouvert posé en terres polaires.

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Vacance n° 8 Automne-Hiver 2019 © Granamour Weems Collection/Alamy Stock Photo

Directeur de la publication Jean-François Rial Rédactrice en chef Nathalie Belloir Rédacteur en chef adjoint Raphaël Goubet Directeur artistique Olivier Romano assisté de Camille Nordin Responsable éditorial Baptiste Briand Rédacteurs Emmanuel Boutan, Faustine Poidevin

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Secrétaire de rédaction Stéphanie Damiot Coordinatrice fabrication Isabelle Sire

Cinéma

Iconographes Alix Aurore Pardo, Ludovic Jacôme, Daria Nikitina, Marie Champenois

Washington superstar ! Promenade cinéphile dans la ville qui a vu naître L’Exorciste et Taxi Driver.

Ont contribué à ce numéro Jean-Pascal Billaud, Adèle Carasso, Renato D’Agostin, Denis Dailleux/VU', Stéphane Deschamps, Raphaëlle Elkrief, Førtifem, Adrien Gombeaud, JR, Hugues Laurent, Letizia Le Fur, Simon Liberati, Marion Osmont, Pia Riverola, Matthieu Salvaing, Paolo Verzone/VU', Marion Vignal, John Von Sothen Photogravure : Cesar Graphic ; impression : Imprimerie Peau ; édition : septembre 2019.

© D. Dailleux/VU

Crédits photos : couverture, 4e de couverture : Hugues Laurent. Pp. 12-13, 1re ligne : A. Kurola/Artctic Treehouse Hotel ; Aksu/Levin Iglut ; Eleven Experience/ Deplar ; Aksu/Levin Iglut ; Per Lundström/Treehotel Mirrorcube ; 2e ligne : G. De Sandre/White Deer San Lorenzo Mountain Lodge ; Nicki Antognini/Riders Hotel ; Riffelhaus 1853/Zermat ; Per Lundström/Treehotel Mirrorcube ; Eleven Experience/Deplar ; 3e ligne : F. Larsson/Minaret ; Naturhotel Forsthofgut ; F. Larsson/Minaret ; Whitepod Hotel ; P. Lundström/ Treehotel Mirrorcube. Pp. 25, Gwengoat-iStock Unreleased/KLJ Photographic Ltd-Stock.adobe.com/ kokkai-iStock-Getty Images Plus/The Passport Index. Pp. 40/41, Sim Photography/Fife Arms.

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Les prix indiqués sont en vigueur à la date d’édition de Vacance n° 8, et susceptibles de modification. Se reporter aux conditions de vente et assurance sur voyageursdumonde.com Voyageurs du Monde S.A. au capital social de 3 691 510 €. 55, rue Sainte-Anne, 75 002 Paris. Tél. : 01 42 86 17 00 - RCS Paris 315459016. Immatriculation Atout France IM075100084. Assurance RCP : Allianz-N° 56039969. 1, cours Michelet - CS 30051 - 92 076 Paris-La Défense Cedex. Garantie financière : Atradius Credit Insurance NV - 44, avenue Georges-Pompidou, 92 596 Levallois-Perret Cedex.

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Portfolio Le photographe Denis Dailleux a parcouru le plus grand marché aux fleurs d’Asie, à Calcutta (Inde), et livre une série de natures mortes picturales.

“Voyageurs du Monde s’est engagée dans une gestion responsable de ses achats papiers en sélectionnant des papiers fabriqués à partir de fibres et de bois provenant de forêts gérées durablement. Le choix d’éditer notre brochure à l’imprimerie Peau, imprimeur écoresponsable, labellisé Imprim’Vert et certifié FSC, s’inscrit dans la continuité de notre engagement en matière de protection de l’environnement. Brochure imprimée avec des encres végétales.”

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Hôtels Les lobbies : nouvelles pièces maîtresses des concepts hôteliers.

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Un hôtel Orient-Express, des anniversaires immanquables à Johannesburg et au Sri Lanka, du parmesan émilien, des refuges en montagne de haute tenue, des collections d’art voyageuses… Sélection d’envies et d’idées pour esprits curieux. 8

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1. AGENT PROVOCATEUR

© G. Begotti/Gamma-Rapho/Camera Press

Peggy Guggenheim Femme libre, excentrique et art addict, Peggy Guggenheim fascine toujours, quarante ans après sa disparition. Figure de l’art moderne, elle a révélé au monde des génies (Calder, Pollock, Ernst, Kandinsky, Rothko…), laissant dans son sillage l’une des plus grandes collections d’art contemporain. Un trésor disséminé partout sur la planète, notamment entre les murs du palazzo Venier dei Leoni, à Venise, où elle vécut pendant trente ans et fut nommée citoyenne d’honneur. L’iconique musée Solomon R. Guggenheim, sur la Cinquième avenue de New York, abrite quant à lui l’ensemble des œuvres léguées par la collectionneuse à la fondation portant son nom. “Le garage de mon oncle”, comme Peggy désignait avec provocation le bâtiment en spirale de Frank Lloyd Wright, célèbre cet automne ses 60 ans d’existence. guggenheim.org

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2. DU TRAIN À LA SKYLINE

Bangkok Express L’Orient-Express poursuit sa voie. Cent trente-six ans après son premier voyage entre Paris et Constantinople, le palace roulant des années folles ravive la légende. Dépassant les frontières du rail, le sigle Orient-Express sera, à l’horizon 2030, estampillé aux murs d’une dizaine de nouveaux hôtels à travers le monde. Première escale début 2020, à Bangkok. Logé aux dix-huit premiers étages de la futuriste tour King Power Mahanakhon, au centre de la mégalopole, cet opus signé de l’architecte d’intérieur Tristan Auer, reprend tous les codes Art déco du mythique train : verrerie Lalique, marqueterie en acajou, cuirs précieux, donnant aux chambres l’esprit des wagonslits. En cuisine, David Thompson, chef de file de la nouvelle gastronomie thaïe, fait le lien entre deux époques. Enfin, le sommet de la plus haute tour du pays (314 mètres), coiffé d’un sky walk, une spectaculaire passerelle translucide, reçoit pour une séance de yoga en lévitation les passagers de cet Orient-Express immobile.

© R. Laprade

Voyageurs du Monde – Thaïlande 01 84 17 19 47

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LE GOÛT DE L’AUTRE

L’Émilie-Romagne

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“Le parmesan façonne le territoire autant que le territoire façonne le parmesan.” C’est un enfant du pays qui le dit. Massimo Bottura, pur produit d’Émilie-Romagne, né à Modène, chef-lieu de la région, est à la barre de l’Osteria Francescana, régulièrement nommé meilleur restaurant du monde. Une distinction que Bottura dédie à la richesse de cette région septentrionale d’Italie où coule également le plus fin nectar balsamique. Ce lien organique avec la campagne émilienne a d’ailleurs poussé cet insatiable artiste du bon goût à ouvrir au printemps dernier, avec sa femme Lara Gilmore, la Casa Maria Luigia, maison d’hôtes installée dans une villa typique du XVIIIe siècle. Une façon de relever un peu plus haut encore les couleurs de sa région natale.

© C. Ventrella/Getty Images/iStockphoto

casamarialuigia.com

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4. HÔTELS

Hors pistes 4

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Au cœur des montagnes, dix adresses d’altitude et de haute tenue, qui font rêver à des neiges éternelles.

Face aux sommets De la terrasse, des chambres, de la piscine, vous avez sur les montagnes des vues extraordinaires. Face au Cervin, revivez l’âge d’or de l’alpinisme au Riffelhaus (8). Au Naturhotel Forsthofgut (12), découvrez la glisse autrichienne sur les pentes de l’Asitz. Au creux des montagnes islandaises, installation au Deplar Farm (3, 10). Et en Nouvelle-Zélande, c’est face au mont Aspiring que l’on s’endort, au Minaret Station Alpine Lodge (11, 13).

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Les nouveaux refuges N’avoir qu’une paroi de verre transparent entre son lit et la Laponie finlandaise enneigée : expérience douillette et nature souveraine au Levin Iglut (2, 4). Choisir son nid cosy au Arctic Treehouse (1). Sillonner les vallées alpines du Tyrol orientale, et trouver refuge au White Deer (6), ferme d’alpage du XVIe siècle. La Suisse autrement, en tentes-igloos au Whitepod Eco-Luxury Hotel (14).

Dans la forêt Un nid d’oiseau, une cabane en bois, un cube de miroirs… Dans la série des hôtels extraordinaires, bienvenue au Treehotel (5, 9, 15) au cœur de la forêt, en Laponie suédoise. La nuit, les rennes sauvages passent sous les chambres perchées. Ajoutez à l’expérience des aurores boréales toute l'année ! En famille, partez pour les Alpes suisses et un séjour au Riders Hotel (7), de belles ouvertures sur la nature et du mobilier de créateurs.

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5. Lynette Yiadom-Boakye’s Elephant (2014).

TRUE COLORS

Née en 1977, à Londres, Lynette Yiadom-Boakye a été formée à la Royal Academy School. Elle est artiste peintre depuis ses 29 ans.

© A. Hall/© L. Yiadom-Boakye

Lynette Yiadom-Boakye Ses portraits de femmes élégantes, de danseurs, personnages enveloppés d’un flou intemporel, posant sur des fonds sourds, dégagent un air de déjà-vu. La maîtrise technique de cette artiste londonienne, jeune quadragénaire d’origine ghanéenne, rappelle effectivement les grands maîtres portraitistes de la fin du XIXe siècle : Degas, Manet, Walter Sickert ou encore John Singer Sargent. Inspiration revendiquée, mais relevée de deux différences fondamentales : les portraits instantanés de Lynette Yiadom-Boakye (l’artiste ne passe jamais plus d’une journée sur une toile) sont en réalité purement sortis de l’imagination de cette peintre également écrivaine ; ses “suggestions de personnes” ont la peau noire. Entre geste politique et conception de la normalité. “Nous sommes habitués à regarder des portraits de Blancs dans la peinture”, déclare l’artiste déjà nominée pour le Turner Prize en 2013 et récompensée en 2018 par le prestigieux Carnegie Prize. En mai prochain, la Tate Britain lui consacre une rétrospective rassemblant 80 de ses œuvres. tate.org.uk

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tips ABSORPTION CARBONE

Au pied de mon arbre

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D’après une étude publiée dans la revue Nature (2015), le nombre d’arbres sur la planète serait bien supérieur à toutes les estimations : 3 040 milliards. Mais ce chiffre, que l’on doit à une technologie de recensement très précise, n’efface toujours pas l’impact néfaste de l’activité humaine. Pour lutter contre le réchauffement climatique, la fondation Insolite BâtisseurPhilippe Romero soutient divers programmes de reforestation dans le monde, grâce auxquels 4 000 arbres sont replantés chaque jour.

Quasi oasis, de Sebastián Mejía, visible à l’exposition Nous les arbres, jusqu’au 10 novembre 2019, à la Fondation Cartier pour l’art contemporain.

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© S. Mejía

fondation-insolitebatisseurphilipperomero.com

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V O YA G E U R S E N I TA L I E

voyageursdumonde.com

© Claude Nori

M I L A N — P I É M O N T — D O LO M I T E S — V E N I S E TO SCAN E — ROM E — NAP LES E T S A BAI E POUILLES — CAL ABRE — SICILE — S ARDAIGNE

NOUVEAUX MONDES

Les éditions Voyageurs Polynésie, Grèce, Russie, Italie : ce quatuor ouvre le bal des nouvelles éditions de Voyageurs du Monde. Au total, c’est une trentaine d’ouvrages qui sont en préparation, et autant (voire plus) de destinations passées en revue à travers le prisme du voyage original que défend la maison. Esthétisme iconographique et sujets “magazine” (le retour du design soviétique, un panthéon de stars grecques…) livrent une vision du monde qui donne tout simplement envie de faire ses valises.

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À commander sur voyageursdumonde.com

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8. CENTENAIRE

Back to Bawa Enfoui dans une végétation tropicale débordante, bordé par un lac bleu cobalt, le domaine de Lunuganga, posé aux portes de Bentota, résume en dix hectares l’œuvre de Geoffrey Bawa. Cette ancienne plantation de caoutchouc, investie en 1947 par le SriLankais, est l’un des nombreux “cadeaux architecturaux” laissés par le père du modernisme tropical à son pays. Le Sri Lanka célèbre ainsi cette année le centenaire de Bawa à travers différents lieux conçus par l’ancien avocat devenu architecte qui a toujours défendu la place essentielle de l’environnement dans ses réalisations. Lunuganga est sans doute la plus achevée. Une composition en perpétuelle recréation, laboratoire de Bawa pendant un peu plus de cinquante ans. Un entremêlement de verre, de béton et de bois laissant éclore un pavillon principal et quatre bungalows où il est possible de séjourner. Le jardin, façonné par l’influence européenne de Bawa et son manifeste pour une nature tropicale libre, reste la pièce maîtresse. À l’occasion de cet anniversaire, il renoue avec sa fonction première de résidence artistique déjà pratiquée par le maître des lieux. Parmi les invités, l’architecte japonais Kengo Kuma ou bien encore les artistes Sarah Sze et Lee Mingwei s’y expriment sur les thèmes de la générosité, la perception, le voyage. Voyageurs du Monde propose une sélection d’hébergements signés Bawa… Une raison supplémentaire d’explorer le Sri Lanka, pays qui malgré ses blessures ne cesse de renaître.

bawa100.com Voyageurs du Monde – Sri Lanka 01 83 64 79 39

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© Geoffrey Bawa Trust/Voyageurs du Monde

Le Sri-Lankais Geoffrey Bawa, maître du modernisme tropical, a notamment façonné le domaine de Lunuganga, où il vécut dès 1947. Ouverte au public depuis sa mort en 2003, la propriété se fait aussi, à l’occasion du centenaire de l’architecte, résidence artistique.

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Prado Mercearia

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9. BISTRONOMIE

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© B. McMahon

© B. McMahon

Show devant ! La fast-food est périmée, vive la fast good food ! De Los Angeles à Paris, pousse une nouvelle forme de bistrots qui cultive l’art du bien-manger sur le pouce. Une tendance concoctée par une génération de chefs trentenaires (souvent hipsters), à l’image de Travis Lett aux commandes du Gjelina, épicentre californien du mouvement. Sous la barbe et le bun d’apparat, ces enfants du burger s’inscrivent dans une véritable démarche durable qui a conquis la planète food. Le concept ? Une cuisine rapide mais inventive, gourmande mais saine, élaborée à base de produits de grande qualité issus de petits producteurs locaux. Exemple chez António Galapito, à l’origine de Prado, à Lisbonne, où la pratique du farm-to-table est une évidence pour la planète et pour l’assiette, servie dans un cadre lui aussi très végétal. Même expérience au Brat, à Londres, où Tomos Parry grille au feu de bois turbots et agneaux purs Brexit. Formés à la haute gastronomie, ces toqués en baskets ont passé les codes à la moulinette : carte dépouillée, cuisine ouverte, salle minimaliste… L’essentiel est ailleurs. Par exemple, dans le verre biodynamique du Bar 51, à Tel-Aviv, ou dans les recettes des grands-mères orientales du savoureux Adar de Tamir Nahmias, à Paris. En bref, des néobistrots délicieusement responsables, qui souvent servent aussi à emporter et jouent les épiceries de produits fins. Tout bon !

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VOYAGE SPIRITUEL

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Gandhi à Joburg Le monde entier connaît sa silhouette frêle, enveloppée dans son dhoti. Moins celle du jeune avocat, devenu une figure tutélaire du XXe siècle, bouleversant le cours de l’histoire en guidant l’Inde vers l’indépendance. Éternellement reconnaissante, la nation indienne célèbre cette année les 150 ans de la naissance de Mohandas Karamchand Gandhi, né à Porbandar, dans l’actuel État du Gujarat, le 2 octobre 1869. Sa mémoire est également fêtée à l’échelle internationale à travers une conférence au siège de l’ONU, le 1er octobre. Parmi les pays les plus prompts à rendre hommage au père de la résistance passive, l’Afrique du Sud, où Gandhi passa vingt-et-un ans et où il établit les fondements de sa philosophie, la “satyagraha” (“force de la vérité”). À Johannesburg, la Satyagraha House est un musée installé au sein d’une demeure restaurée, dans laquelle vécut le futur Mahatma (“grande âme”) entre 1908 et 1909. Le lieu héberge également les voyageurs dans un esprit d’ascétisme confortable. Portes ouvertes et conférences s’y tiennent cet automne. satyagrahahouse.com

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© Gandhi Serve/Voyageurs du Monde © J. Mignot/Voyageurs du Monde

La Satyagraha House, à Johannesburg, où vécut Gandhi entre 1908 et 1909. Restaurée par Voyageurs du Monde, elle est aussi un musée et une maison d’hôtes empreinte de spiritualité.

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Passeport, s’il vous plaît À moins d’être la reine d’Angleterre, vous possédez un passeport. Document officiel permettant de voyager à l’international, ce petit livret de 125 x 88 mm est bien plus précieux que nous le pensons. Récit de son évolution, du Moyen Âge à nos jours.

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OM : BERGOGLIO. PRÉNOM : JORGE MARIO. NATIONALITÉ ? ARGENTINE. Dans un geste de normalisation de sa fonction très remarqué au début de son pontificat, le pape François décide de faire renouveler son passeport argentin et renonce au passeport diplomatique émis habituellement par le Saint-Siège. C’est ce même document officiel qui a fait parler encore un peu plus d’Alexandre Benalla, ancien collaborateur d’Emmanuel Macron. Licencié de l’Élysée en juillet 2018, l’ex“monsieur sécurité” avait continué d’utiliser ses deux passeports diplomatiques pendant plusieurs mois pour des voyages d’affaires en Afrique et en Israël… Avec sa couverture bleue et ses lettres dorées, il est un véritable sésame qui fait s’ouvrir toutes les bornes biométriques du monde comme par magie. Un coupe-file bien utile qui permet d’éviter le contrôle des douanes et de gagner du temps lors des procédures dans les aéroports et aux frontières, stipulant : “Nous, ministre des Affaires étrangères, requérons les autorités civiles et militaires de la République française et prions les autorités des pays amis et alliés de laisser passer librement le titulaire du présent passeport et de lui donner aide et protection”. De quoi faire rêver n’importe qui…

Du privilège à la discrimination Tous ceux qui s’agitent en retournant leurs tiroirs à sa recherche à quelques heures du décollage d’un avion, ou qui reviennent penaud de l’aéroport, passeport périmé sous le bras, peuvent difficilement se l’imaginer, mais fut une période où l’on pouvait passer les frontières comme on voulait. Une époque que regrette, dès le début des années 1940, l’écrivain autrichien Stefan Zweig, se remémorant avec nostalgie dans Le Monde d’hier – Souvenirs d’un Européen : “Je m’amuse toujours de l’étonnement des jeunes, quand je leur raconte qu’avant 1914 je voyageais en Inde et en Amérique sans posséder de passeport, sans même en avoir jamais vu un. (…) Il n’y avait pas de permis, pas de visas, pas de mesures tracassières, ces mêmes frontières qui, avec leurs douaniers, leur police, leurs postes de gendarmerie sont transformées en un système d’obstacles, ne représentaient rien que des lignes symboliques qu’on traversait avec autant d’insouciance que le méridien de Greenwich.” “En réalité, on trouve un système de passeports très tôt dans l’histoire, déjà au Moyen-Âge, nuance l’historien Vincent Denis, auteur d’Une histoire de l’identité – France 1715-1815 (Champ Vallon, 2008). À l’origine, il s’agit d’un acte par lequel les autorités protègent le porteur

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dudit document et qui lui confère le droit de passer et de circuler.” Après de nombreuses hésitations sous la Révolution, qui l’abolira avant de le rétablir, le passeport est généralisé lors de la Première Guerre mondiale. La France et d’autres pays européens mettent en place un contrôle des passeports étrangers aux frontières. “La Société des Nations va homogénéiser les passeports durant l’entre-deux-guerres, une commission spéciale organise plusieurs conférences internationales : il n’y a pas alors de consensus entre les délégations et certains membres proposent de supprimer ce titre jugé encombrant et portant atteinte aux libertés”, explique l’historien Ilsen About, docteur en histoire et coauteur avec Vincent Denis d’Histoire de l’identification des personnes (La Découverte, 2010). Pour maintenir l’illusion d’une protection des frontières, le document est définitivement imposé lors d’une conférence en 1926. Ce qui était un privilège accordé aux élites pour les protéger devient un objet de masse, souvent discriminant, entravant la liberté de circulation. “La plus grande nuisance de l’Europe”, “l’une des pires pestes que nous devons à la guerre”, écrivait alors le New York Times. Ce qui est sous-entendu alors, c’est que “sortir des frontières devient dès lors le privilège des ‘gens honnêtes’, explique Ilsen About. Les citoyens confient une partie d’eux-mêmes à la puissance publique, car ils souhaitent être protégés et reconnus. Mais, rapidement, une échelle entre les différents passeports prend forme et les migrants subissent le pouvoir des États qui compliquent l’émission des visas de départ ou font payer cher les visas d’arrivée.” Car bien au-delà de ce qui est décrié alors comme une “formalité pénible”, “la véritable nuisance du régime des passeports est éthique”, souligne Speranta Dumitru, maîtresse de conférences en science politique à l’université Paris-Descartes dans un article pu-

repères —

Combien faut-il investir de dollars pour obtenir un passeport ?

blié sur le site The Conversation. “Les passeports changent nos rapports aux étrangers. Ils instituent le soupçon systématique à la frontière. (…) Les gens doivent désormais prouver qu’ils sont respectables.” Citoyennetés bradées Un siècle plus tard, alors qu’il ne viendrait plus l’idée à aucun politique de proposer l’abolition des passeports, et que l’utopie du passeport Nansen (document d’identité qui, entre 1922 et 1945, permettait aux réfugiés apatrides à qui il était accordé de voyager librement) semble, à la lumière de la crise des migrants, s’éloigner chaque jour un peu plus, le passeport est devenu, tel un objet de collection, un bien ultradésirable et recherché. Outre le marché noir et celui très lucratif des passeports volés, les États se sont lancés dans une marchandisation des papiers d’identité. En octobre 2018, l’OCDE s’inquiétait de l’existence de “passeports dorés” et publiait un rapport ainsi qu’une liste de vingt nations impliquées, dont Malte, Chypre, la Colombie, Bahreïn, la Malaisie… Ces pays vendent des passeports contre des investissements. Investir 800 000 euros à Malte ou deux millions à Chypre et c’est le jackpot pour obtenir la citoyenneté européenne, la liberté de circuler, mais aussi l’accès aux activités économiques. Un marché qui existe depuis une trentaine d’années : en 1984, Saint-Christophe-et-Niévès, petit pays dans les Caraïbes, commença à “vendre” sa nationalité. Aujourd’hui, l’OCDE dénombre environ 90 pays proposant un passeport contre un investissement (lire cicontre). Le phénomène porte le nom d’“elite residency” et est à la citoyenneté ce que le SkyPriority est aux voyages en avion. Mieux qu’un yacht ou une écurie de voitures de sport, les passeports sont des trophées des super riches. Selon un sondage mené en 2017 par CS

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En Autriche Le Citizenship Act prévoit une clause spéciale pour “services rendus”. Soit une grosse somme investie.

En Turquie C’est la somme à verser dans une banque, et à ne pas toucher pendant trois ans, pour pouvoir avoir la nationalité.

À la Grenade Un petit coup de pouce à l’économie locale (Caraïbes) donne accès à un passeport et à ses 124 pays visitables sans visa.

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société

Le nouveau luxe ? Pouvoir jongler à sa guise entre ses deux, trois, voire quatre passeports.

Global Partners, 89 % des personnes interrogées voudraient bien un second passeport et 34 % ont récemment cherché à investir dans la citoyenneté. “Que la citoyenneté soit bradée de manière aussi ostentatoire est très récent, explique Vincent Denis. Cela renvoie à une forme très ancienne de la bourgeoisie, quand les bourgeois payaient pour être citoyens de telle ou telle ville.” Le nouveau luxe ? Pouvoir jongler à sa guise entre ses deux, trois, voire quatre passeports. Si des pays comme l’Allemagne sont réticents au cumul des nationalités, la France, elle, n’impose aucune limite théorique. Résultat : Gérard Depardieu tourne avec sept passeports, comme il le déclarait au Journal du dimanche en 2013 : “Je vais d’ailleurs demander celui de l'Algérie et d’autres encore. Ça m’éviterait de demander des visas, car je me considère, je vous le redis, comme un homme libre et un citoyen du monde.” Un vrai privilège en pleine crise des migrants.

il existait une hiérarchie entre les passeports des gens d’un même pays”, rappelle l’historien Vincent Denis. Un système qui perdure encore aujourd’hui en Russie, appelé la propiska. En Chine, le hukoua a été instauré dans les années 1950 et limite depuis la mobilité des ressortissants en les rattachant à leur lieu de naissance. Le but est de maîtriser les flux de population entre la ville et les campagnes, au détriment des ruraux. “Aujourd’hui, dans la grande majorité des pays, tous les citoyens ont le même passeport, poursuit Vincent Denis. Mais une nouvelle hiérarchie s’est créée à l’extérieur, entre les passeports des différents États.” Depuis une dizaine d’années, des classements annuels, appelés Henley Passport Index ou Passport Index d’Arton Capital, mesurent la “puissance” des différents passeports mondiaux. Autrement dit, le nombre de pays qu’ils permettent de visiter sans avoir besoin de visas. En 2018, le numéro 1 du classement était le Japon (suite à un accord signé avec la Birmanie), avec 190 pays possibles. Derrière lui, Singapour (avec 189 pays), suivi de la France ex æquo avec l’Allemagne et la Corée du Sud, permettant un “accès simple” à 188 pays. À l’autre bout du classement, des pays comme l’Irak et l’Afghanistan, dont les ressortissants peuvent visiter à peine 30 pays sans visas… Une hiérarchisation qui creuse un peu plus les disparités entre les peuples.

Un classement des meilleurs passeports Aujourd’hui, la seule personne vivante à ne pas avoir besoin de passeport pour voyager est la reine d’Angleterre. Pour tous les autres, c’est la condition sine qua non si l’on veut traverser les frontières. Un peu plus de trois ans après le vote en faveur du Brexit, les bureaux irlandais ont ainsi été submergés par les demandes de quelque 200 000 Britanniques et Irlandais du Nord (+ 22 % en 2018). Et pas moins de 543 personnes ont acquis la nationalité française au Royaume-Uni (des Britanniques pour 60 % d’entre eux). Objectif : s’assurer de conserver les privilèges de l’identité européenne… Un contexte qui traduit un état de fait : tout le monde est loin d’être logé à la même enseigne. “Dans le passé,

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La déferlante Sydney

© L. Laucht

Quelques fondamentaux pour adopter la “no worries attitude” locale et surfer avec fluidité en terres (et mers) australiennes.

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l’usage du monde

La seule chose dont il faut se méfier :

On ne loupe jamais le

BREAKY

LE SOLEIL

Petit-déj à base d’avocado toasts

À côté, la morsure des requins est une caresse Les billets de banque sont en Chaque semaine,

Une spécialité à tester ?

PLASTIQUE LA VÉGÉMITE (prononcez “védgémaillte”), une pâte à tartiner 100 % locale

La version australienne du déjeuner du dimanche ?

Beaucoup plus pratique pour aller surfer

70 touristes décident de prolonger leur visa

ou entre amis

SELFIES ont été inventés en Australie

Au restaurant, vous pouvez

BARBECUE dans un parc, en famille

À vos smartphones, les

“BRING YOUR OWN” bouteille de vin

La bande-son parfaite de votre voyage :

Vous prendrez bien une

SCHOONER ?

PARCELS

(425 ml, soit environ l’équivalent

Cinq jeunes Australiens aux chansons effervescentes et solaires

De novembre à février, c’est la saison du

CRICKET

d’une pinte de bière en France)

Le paradis des

SURFEURS

Ce sport national envahit tous les parcs et jardins du pays

(3 millions d’Australiens pratiquent ce sport)

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Qu’est-ce qu’on mange demain ? Au menu : steak synthétique, méli-mélo d’algues et poudre saveur profiteroles. Pour répondre aux enjeux liés à la croissance démographique mondiale et à la protection de l’environnement, la recherche scientifique mitonne déjà les aliments du futur. Prospective sur le contenu de nos assiettes d’ici 2050.

cultivées hors sol. L’explosion démographique (dix milliards de bouches à nourrir en 2050), la hausse de la demande en produits agricoles, la perte de biodiversité et la transition alimentaire mondiale obsèdent aussi bien les institutions internationales que les scientifiques et les cabinets d’innovations qui planchent sans relâche sur l’alimentation du futur. Difficile d’imaginer précisément à quoi ressembleront les Instagram de nos plats d’ici trente ans. Avant l’arrivée des GI américains en France, personne ne s’imaginait mâchouiller un morceau de gomme au goût chlorophylle, et manger des aliments surgelés industrialisés relevait certainement de la science-fiction jusqu’à la fin des années 1940. Un peu comme celle à l’œuvre dans les années 1960, quand on imaginait la nourriture du futur sous forme de sachets lyophilisés. Alors que le XIX e siècle nous a apporté les conserves et l’après-guerre les exhausteurs de goût, à quoi ressemblera l’alimentation de la fin du XXIe siècle ?

EUX TRANCHES DE PAIN MOELLEUSES CUISINÉES À PARTIR DE VERS DE FARINE ET DE PANAIS, un steak croquant à base de légumes et de betterave et de la salade hydroponique. Après avoir révolutionné l’aménagement d’intérieur avec une simple étagère bien connue sous le nom de Billy, Ikea entend bien faire de même avec la carte des fast-food grâce à sa recette de Bug Burger. Depuis 2015, au sein de Space10, son laboratoire d’innovation durable installé à Copenhague, l’entreprise suédoise réfléchit, entre autres sujets, aux tendances alimentaires qui constitueront nos assiettes du futur. En mars 2018, faisant écho à un rapport très inquiétant de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (plus connue sous le sigle FAO, pour Food and Agriculture Organization of the United Nations) quant à l’avenir de l’alimentation, l’enseigne dévoilait cinq plats susceptibles de répondre à la crise alimentaire mondiale, dont un hot dog à la spiruline, des boulettes aux insectes et des glaces aux herbes

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La mutation des aliments — Les carottes étaient des racines, souvent blanches ou pourpres. C’est au XVIe siècle, en croisant ces deux racines, qu’elle est devenue orange et plus intéressante pour la consommation.

Les aubergines, avant d’être domestiquées, ressemblaient à des citrons. Petites et jaunes, elles avaient des épines qui ont disparu avec la reproduction sélective. Puis, elles se sont allongées.

Les pêches étaient seize fois plus petites qu’elles ne le sont aujourd’hui. Bien plus juteuses, elles ressemblaient à de petites cerises et avaient le goût des lentilles.

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ADN et cerveau à tous les repas Comme si entre les végétariens, les flexitariens et les noglu, cela n’était pas déjà assez difficile de penser un menu qui convienne à tout le monde, les scientifiques vont plus loin en étudiant le concept de nutrition personnalisée. L’idée ? Utiliser la génétique et le séquençage du microbiome humain pour déterminer l’alimentation idéale pour la constitution de chaque individu. Aux États-Unis, de nombreuses start-up ont déjà investi le terrain, comme Habit de l’Américain Neil Grimmer. Grâce à un kit ADN et des échantillons sanguins, on détermine votre profil nutritionnel avant de vous proposer un programme personnalisé, assiettes idéales à l’appui pour manger ce dont votre corps a réellement besoin. “C’est une innovation exploitée par le marketing, explique Jean-Louis Rastoin, ingénieur à SupAgro. Elle se heurtera à un phénomène psychosocial de rejet de l’intellectualisation trop poussée de l'alimentation.” En plus de votre ADN, vos organes prendront leur part dans le débat. Bien que le ventre, et surtout l’intestin, soit considéré comme le “deuxième cerveau”, c’est au premier qu’il s’agira de faire davantage appel pour se nourrir. C’est le principe de la neurogastronomie, qui entend jouer sur la sensorialité pour changer les perceptions autour de l’alimentation. Les recherches ont commencé dans les années 2000. La nouveauté ? Plutôt que d’altérer le goût des aliments en les modifiant génétiquement, les chercheurs s’intéressent plutôt à modifier la perception que l’on en a. Ou comment donner à son cerveau l’impression de manger autre chose que ce qu’il est en train de mâcher. Objectif : réduire la consommation de viande, comme le propose Impossible Foods. Après avoir levé des fonds auprès des géants de la Silicon Valley, la société américaine, spécialisée dans les substituts de viande et de fromage fabriqués entièrement à partir de plantes, a mis au point un steak qui non seulement imite le goût de la viande, mais peu aussi saigner comme une pièce de bœuf peu cuit. Les restaurants du futur accorderont peut-être une place plus importante aux différents sens. Comme le Fat Duck, en Angleterre, qui proposait une assiette de la mer assortie des bruits qui vont avec, écume des vagues et cri des mouettes en prime.

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Viande d’insectes, de labos ou en poudre ?

INTERVIEW Jean-Louis Rastoin, ingénieur agronome, professeur émérite à Montpellier SupAgro, fondateur et conseiller scientifique de la chaîne Unesco en “Alimentations du monde”.

Les pistes sont vastes pour diversifier et satisfaire les besoins et plaisirs gustatifs… Notamment en matière de protéines animales. La viande, consommée en abondance dans certains pays, redevient peu à peu un produit de luxe. Ainsi, les insectes sont présentés comme la voie royale. Aussi riches en protéines, mais avec un élevage bien moins consommateur d’eau, ils sont déjà au menu dans de nombreux pays entomophages (Thaïlande, Japon…). Et si les Pays-Bas réfléchissent déjà sur la manière de légiférer sur la question des Insect Farms (l’élevage d’insectes), la France, en l’absence d’autorisation européenne claire, en interdit le commerce. “Il y a tout de même une question de tradition alimentaire qui fait que ces produits risquent assez peu de se retrouver dans les assiettes des Occidentaux, précise Jean-Louis Rastoin. Les insectes pourraient en revanche remplacer au moins partiellement le soja génétiquement modifié dans l'alimentation animale, ce qui est intéressant.” Autre solution pour répondre à une demande mondiale accrue (bien qu’en légère baisse dans quelques pays européens) de produits carnés : la viande conçue en laboratoires, dont les États-Unis ont autorisé la commercialisation fin 2018. Des start-up comme Memphis Meat (États-Unis), Mosa Meat (Pays-Bas) ou encore Aleph Farms (Israël) y travaillent et sont soutenus par les grands noms de l’agroalimentaire. Mais le steak in vitro, bien que plus éthique et supposément plus green, est surtout encore un produit inabordable : le premier, servi à Londres en 2013, coûtait 285 000 euros pour 142 grammes. Si la food tech s’inquiète surtout de l’avenir de notre planète et en particulier de notre consommation excessive de viande, un marché de niche s’intéresse plus volontiers au futur de nos habitudes alimentaires. Pauses-déjeuner qui raccourcissent, recherche d’efficacité, la nourriture en poudre a fait son apparition ailleurs qu’au rayon survivalisme. SoyLent, créé en 2013 par un informaticien, ou Feed, entreprise française qui levait quinze millions d’euros à l’été 2018, proposent de mélanger des poudres et de l’eau dans un shaker pour obtenir un repas complet, équilibré, vegan, sans OGM, sans lactose ni gluten. De quoi répondre au rêve de l’entrepreneur américain Elon Musk : “S’il y avait un moyen de ne pas manger et de pouvoir travailler plus, je ne mangerais plus. J’aimerais qu’il y ait un moyen d’engranger des éléments nutritifs sans avoir à prendre un repas.” Pour le moment, en ce qui nous concerne, nous allons reprendre du dessert.

Quels sont les grands enjeux liés à notre alimentation ? Il y a tout d’abord la santé. La qualité nutritionnelle de nos aliments est de plus en plus médiocre du fait de leur ultra-transformation industrielle. Selon l’OMS, la moitié de la mortalité mondiale serait imputable directement ou indirectement à nos aliments. Ensuite, notre façon de produire est à revoir, car elle n'est pas durable. Dégradation de la fertilité des sols et perte de biodiversité fragilisent la production agricole. L’industrie alimentaire et de la grande distribution ont un impact social et environnemental négatif. Enfin, il faut penser à la question du travail : la concentration et la financiarisation des entreprises mettent en péril les emplois, surtout dans l’agriculture – les exploitations familiales représentent plus d’un milliard de travailleurs dans le monde aujourd'hui….

Les cabinets d’innovations et les scientifiques imaginent déjà les aliments que nous mangerons dans trente ans. Quels sont les différents scénarios possibles ? En 2050, nous serons dix milliards. D’ici là, deux scénarios sont envisagés. Le premier, dit de “continuité”, consiste à considérer que des innovations issues d’une combinaison entre la science, la technologie et le marché nous permettront de résoudre les enjeux liés à l’alimentation, sans remettre en question le modèle industriel de production et consommation de masse. Le scénario 2 prône au contraire un recours aux innovations biomimétiques, à l’agroécologie, à la bioéconomie circulaire, aux réseaux de PME, aux circuits courts, à l’économie sociale et solidaire et à la consommation responsable.

Selon vous, lequel est le plus réaliste ? Je pense qu’il s’agira d’une combinaison des deux. Un schéma proche de l’agro-industrie continuera d’approvisionner les mégalopoles qui représenteront en 2050 le tiers des habitants de la planète. Des ajustements seront faits pour respecter a minima les impératifs de la durabilité. Pour les deux tiers de la population mondiale vivant en zones rurales et dans des villes de moins d’un million d’habitants, des “systèmes alimentaires territorialisés” (scénario 2) pourraient être progressivement mis en place, sous réserve de politiques alimentaires volontaristes.

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Règlements de contes orientaux Guerres, patriarcat, place de la femme, révolutions… La littérature arabe livre des récits porteurs d’une conscience critique aiguë, mais aussi d’espoir. Une sélection des libraires Voyageurs du Monde.

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librairie

Anthologie des femmes poètes du monde arabe

La Bibliothèque enchantée

Collectif (divers pays) – Le Temps des Cerises

de Mohammad Rabie (Égypte) – Actes Sud

Qui sont les femmes arabes ? Cette compilation d’une cinquantaine de textes de femmes poètes fournit plusieurs réponses. Car ce recueil, qui bouscule quelque peu les clichés, met en lumière des femmes arabes désirantes, libres, modernes, habitées d’un feu intérieur. Et cela depuis toujours. La preuve avec les vers d’Al-Khansa, grande poétesse bédouine du VIIe siècle ; de Rabia alAdawiyya, ancienne prostituée connue pour ses chants d’amour à Dieu (VIIIe) ; de Wallada, princesse andalouse (XIe)… Malgré les siècles, une poésie résolument contemporaine.

Récompensé du premier prix littéraire du Sawiris Cultural Award en Égypte en 2011, le roman de Mohammad Rabie nous est enfin parvenu traduit en français. Né au Caire en 1978, l’auteur nous conduit au cœur de sa ville à travers les yeux de Chaher, jeune fonctionnaire au ministère des Biens de mainmorte, intrigué par une mystérieuse bibliothèque menacée de destruction au profit de la modernité d’une ligne de métro. Au contact du vieux cryptologue Sayyid, il va découvrir plusieurs traductions de textes fondateurs gardés jusqu’ici précieusement, dans un pays qui rase ses lieux de savoir. Un livre enchanteur.

Bye Bye Babylone : Beyrouth 1975-1979

Chronique d’un décalage

de Lamia Ziadé (Liban) – P.O.L

d’Azza Filali (Tunisie) – Elyzad

À travers ce roman graphique aux illustrations pop, l’auteure retrace ses souvenirs de petite fille à la veille d’un conflit qui va durer quinze ans (19751990). Lamia Ziadé a 7 ans à l’époque et nous raconte son enfance passée sous les bombes, entre rêve d’Occident et AK47. Paru chez Denoël en 2010 et rapidement épuisé, ce récit touchant est enfin réédité. Aujourd’hui âgée de 51 ans, la Franco-Libanaise, installée à Paris depuis ses 18 ans, expose ses dessins dans de nombreuses galeries.

La folie, comme une autre manière d’éprouver le réel… Avant d’écrire des livres, Azza Filali, 67 ans, était professeur de gastro-entérologie à Tunis. Détentrice d’un master en philosophie depuis 2009, elle peuple ses romans de personnages vecteurs de réflexions existentielles… Ainsi, dans Chronique d’un décalage, aborde-t-elle la folie à travers Samia, enseignante. Malgré une écriture un peu sage, un puissant texte – acte identitaire s’il en est – sur les ressorts profonds de l’être.

Dix-neuf femmes : les Syriennes racontent

Tu reviendras

de Samar Yazbek (Syrie) – Stock Écrivaine et journaliste née en 1970 à Jableh, en Syrie, Samar Yazbek s’est interrogée sur le rôle des femmes dans la révolution syrienne depuis 2011. Minutieusement, elle a collecté les témoignages de 19 d’entre elles. Toutes dressent un constat implacable : la nécessité d’agir contre un régime dictatorial et une société qui fait d’elles des cibles sous prétexte de les protéger. Des expériences personnelles qui font toute la puissance de cet ouvrage.

de Brahim Metiba (Algérie) – Elyzad Le héros revient au pays après dix ans d’absence. Il avait fui l’Algérie suite à l’annonce de son homosexualité. Comment retrouver les siens, sans passer à côter de ses émotions ? Confronter les souvenirs et la réalité. Les textes d’autofiction de Brahim Metiba, né en 1977, semblent entretenir un lien de parenté avec ceux de Jean-Luc Lagarce (Juste la fin du monde, 1990 ; Le Pays lointain, 1995…) ou de Didier Eribon (Retour à Reims, 2009). Face à l’inextricable équation, son écriture vise juste et libère.

Le Livre des reines de Joumana Haddad (Liban) – Éditions Jacqueline Chambon Depuis plusieurs ouvrages (J’ai tué Schéhérazade, 2010 , Superman est arabe, 2013…), la poétesse et essayiste libanaise invite les femmes à s’émanciper des traditions patriarcales et liberticides. Saga familiale sur quatre générations, à travers quatre portraits de femmes fortes, Le Livre des reines enfonce le clou. Avec verve et ténacité, elle donne à voir un autre modèle de femme arabe, libre, épanouie, cultivée, qui lutte contre le destin avec dignité. Née en 1970 à Beyrouth, Joumana Haddad a fondé Jasad (“Le Corps”) en 2008, première revue érotique du monde arabe, et dirige également les pages culturelles d’An-Nahar, principal quotidien du pays.

N’appelle pas, il n’y a personne de Youssef Fadel (Maroc) – Actes Sud À 25 ans, passer huit mois en prison pour une pièce de théâtre (La Guerre, en 1974) peut forger le caractère… Quarante-cinq ans plus tard, la fibre contestataire de Youssef Fadel reste intacte. Récompensé du plus prestigieux prix littéraire marocain (le prix du Maroc du livre) pour Un oiseau bleu et rare vole avec moi (2017), l’auteur et dramaturge nous gratifie à nouveau d’un texte dense et subtil. Entre espoir et résignation, le récit d’une rencontre passionnelle contrariée entre un homme et une femme – en creux, le portrait peu flatteur de la société marocaine actuelle.

La librairie Voyageurs Un passage obligé ! On y trouve tout pour préparer son voyage. Cartes géographiques, atlas, guides, livres photo, littérature d’aventure, polar, bd… Nos libraires passionnés sont là pour vous orienter et vous conseiller. 48, rue Sainte-Anne, Paris IIe

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Sur les murs de la “Drawing Room”, un tartan créé par la designeuse Araminta Campbell et un Mousquetaire de Pablo Picasso. Au plafond, une fresque réalisée par l’artiste chinois Zhang Enli.

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Sous le ciel impétueux du parc national des Cairngorms, en Écosse, s’élève The Fife Arms. Cet ancien relais de poste bâti au XIXe siècle par le duc de Fife, dans le village de Braemar, connaît un second souffle grâce à l’un des couples les plus influents du monde de l’art contemporain.

Scottish spirit U CŒUR DES HIGHLANDS BATTUS PAR LES VENTS FROIDS ET RECOUVERTS DE BRUYÈRES, se cache le village de Braemar. Quatre cents habitants, deux hôtels centenaires, un boucher, une galerie d’art et quelques minuscules cottages en granit, cheminées fumantes sur les toits et rideaux en tartan accrochés aux fenêtres. C’est dans ce village que Manuela et Iwan Wirth, discret power couple derrière la galerie d’art contemporain Hauser & Wirth, ont décidé d’acheter et rénover The Fife Arms. Pour l’atteindre, il faut traverser d’immenses forêts de pins, longer le cours de la River Dee et tenter d’apercevoir la tour crénelée du château de Balmoral, repaire de la famille royale depuis que la reine Victoria est tombée sous le charme de ces contrées lointaines et sauvages. Cette terre, la reine Elizabeth se l’est aussi appropriée. Les aficionados de la série The Crown reconnaîtront d’ailleurs ces lieux où notre héroïne royale s’échappe et retrouve un peu de sa liberté entre deux engueulades avec le prince Philip. Il est vrai que nous sommes ici à l’abri des hordes de touristes, et aussi très loin du tumulte de la vie citadine. C’est dans cette campagne que l’on découvre ce sentiment paradoxal : se sentir ancré dans le vrai tout en échappant à la réalité.

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Notre “Ghillie”, concierge en kilt et chaussettes de laine, nous attend sur le parking enneigé du Fife Arms. Caché contre sa jambe, un poignard aux armes de son clan. Il nous accueille avec un franc et cordial accent du nord, à la fois rocailleux comme les montagnes environnantes, doux et rafraîchissant comme les intonations gaéliques. C’est en sa compagnie que nous découvrons le Fife Arms. Chefs-d’œuvre, convivialié et âme des lieux Dès l’entrée, il nous présente fièrement le croquis d’un cerf, réalisé au fusain par Son Altesse Royale la reine Victoria. Un peu plus loin, nous apercevons une toile de Lucian Freud et un des légendaires mousquetaires de Pablo Picasso. Comme il est exceptionnel de pouvoir vivre quelques jours en compagnie de tels chefsd’œuvre ! C’est autre chose d’observer une toile de Francis Picabia en sirotant un whisky plutôt que de l’entrapercevoir sur les murs aseptisés d’une galerie d’art… À ces trésors de l’histoire et de l’art se mêlent à l’heure du thé le crépitement du feu dans les imposantes cheminées, le tintement des tasses délicates sur leurs soucoupes et les pages du livre que l’on feuillette confortablement installé sous un plaid en tweed.

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style Papiers peints d’époque, mobilier chiné, étoffes soyeuses, toiles de maîtres, le Fife Arms cultive une élégance raffinée, mêlant art et histoire.

S’il y a dans ce lieu une chaleur et une convivialité surprenantes pour un hôtel qui n’a ouvert ses portes que depuis quelques mois au moment de notre visite, la raison en est simple : le Fife Arms est le cœur du village de Braemar depuis 1856. Manuela et Iwan ont tout de suite senti que les habitants avaient donné une âme à ce lieu et ont souhaité que la communauté y conserve sa place. Lors de la rénovation, les deux galeristes ont commissionné de nombreux artisans, ouvriers, et artistes originaires de Braemar, des personnes à forte connexion avec le lieu. C’est ainsi que l’on découvre, faisant face à une araignée de Louise Bourgeois, un lustre monumental en bois de cerfs créé par Gareth Guy, artisan et habitant du village. Au Flying Stag, le très typique pub de l’hôtel, les autochtones bénéficient d’un prix d’ami, 6 pounds le déjeuner, et leurs 400 portraits, réalisés par le peintre Gedeon Summerfield, sont d’ailleurs accrochés aux murs. On s’amuse à observer cette joyeuse compagnie, escortée de chiens et enfants, dégustant un délicieux fish & chips ou une pinte de bière locale, jouant à qui trouvera l’effigie d’untel en premier.

imaginé une carte autour de la cuisson au feu de bois (mention spéciale pour ses langoustines). Jeunes et anciens, locaux et étrangers, trouvent ainsi leur place au sein de cette petite communauté, et les convives sont les éphémères témoins de cette rare et touchante osmose. Dans cette volonté de partage, notre Ghillie nous annonce que nous allons passer notre dimanche avec Katy Fennema. Écossaise pure souche, Katy et sa famille vivent à Braemar depuis toujours. À bord de son 4x4 aux sièges chauffants, Katy sillonne les landes du parc des Cairngorms. À chaque virage, une anecdote, elle connaît tous les chemins de traverse, toutes les rivalités entre clans (ces potins séculaires que l’on se raconte de génération en génération), nous montre les meilleurs spots pour observer ces rares écureuils rouges qui habitent les bois des environs, elle nous parle de gin et de whisky, de l’indépendance écossaise et de l’impact des Wirth sur la région. Ce couple qui a décidé de redonner vie au Fife Arms a en fait insufflé un vent de nouveauté et de fraîcheur à l’ensemble du village de Braemar. Attachant et douillet, on quitte ce lieu comme l’on quitterait une maison de famille enfant, nostalgique, avec déjà l’envie d’y revenir.

Un mixologiste italien et un chef norvégien Tous les dimanches soir, place à la chorale dans l’un des riches salons. Les habitants se mêlent à Marco Fante, le mixologiste italien qui revisite les classiques dans un bar aux couleurs rosées. Magnus Burstedt vient lui aussi d’arriver, c’est le chef norvégien qui a

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Vitrine festive d’actions sociales, le Festival des musiques urbaines d’Anoumabo (Femua) cartonne. Porté par A’Salfo, leader de Magic System, ses recettes permettent entre autres de bâtir des écoles en Côte d’Ivoire.

L’école, c’est Magic ’SALFO, LE CHANTEUR-LEADER DE MAGIC SYSTEM, est sur la scène du Femua kids, dans le quartier d’Anoumabo. Pas avec son groupe, mais seul face à une foule collée-serrée de milliers de gamins, auxquels il dispense quelques messages éducatifs (“Les garçons ne doivent pas frapper les filles, les filles doivent aller à l’école !”), avant de leur faire chanter en chœur les paroles de Magic in the Air. Et tout le monde lève les mains en l’air – “Allez allez allez”. Cette chanson a fait le tour du monde. Elle est devenue l’hymne officiel de l’équipe de France de foot lors de l’Euro 2016, puis de la Coupe du monde deux ans plus tard. Magic System l’a jouée en live en 2017 à Paris lors de l’investiture du nouveau Président français. Elle compte plus de 249 millions de vues sur YouTube (en mai 2019). Mais c’est ici, à Anoumabo, qu’elle prend tout son sens. Et plus particulièrement ses paroles : “On vient du ghetto/Pour aller plus haut.” Bordé par l’immense lagune Ébrié, Anoumabo est un quartier pauvre au sud d’Abidjan, où s’entassent des dizaines de milliers de personnes venues de toute l’Afrique. Les quatre musiciens de Magic System y ont grandi, avec pour premier public les habitants du quartier.

© P. Woods

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L’infatigable A’Salfo, chanteurleader de Magic System, dans l’une des écoles financées par la fondation Magic System.

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© P. Woods

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Concerts gratuits, zouglou et coupé-décalé : la foule s’ambiance au Femua, dont les soirées durent jusqu’au petit matin.

repères —

75 000 € 1 080 240 Le coût d’une école Magic System.

enfants scolarisés en primaire, en 2017, ne possèdaient pas d’acte de naissance.

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1 miLLION

salariés travaillent pour la fondation Magic System.

d’euros : c’est le budget du Femua pour l’année 2018.

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Le système Magic System, moins magique que pragmatique, est rodé.

Quand il décroche un énorme tube en 2001 (1er Gaou), le groupe quitte Anoumabo. Mais A’Salfo n’a jamais oublié qu’il venait du ghetto. En 2008, il décide d’offrir des maillots de foot aux jeunes d’un centre de formation. Et, pour marquer le coup, il organise un petit festival gratuit dans le quartier de son enfance. C’est la première édition du Festival des musiques urbaines d’Anoumabo (Femua), et le début d’un engagement sur le long terme, où les projets de développement avancent au rythme du zouglou et du coupé-décalé.

60 % des écoles primaires ivoiriennes n’ont pas de cantine.

Passer de 80 à 40 élèves par classe A’Salfo a toujours vu le Femua comme la vitrine festive d’actions sociales en faveur des habitants d’Anoumabo, puis d’ailleurs. Après avoir offert des lits médicalisés, des boîtes à pharmacie et des médicaments au centre de santé, le Femua passe à la vitesse supérieure en 2011, avec la construction de la première école primaire Magic System à Anoumabo. Quand il était petit, A’Salfo devait marcher quatre kilomètres pour aller à l’école, dans une classe de 80 élèves. “Parfois, on ne faisait qu’un devoir dans l’année, parce que l’enseignant avait trop de copies à corriger”, se souvient-il. Dans l’école Magic System, il y a seulement 40 élèves par classe, ainsi qu’une cantine et une bibliothèque, très souvent absentes des écoles publiques. Les sponsors du festival financent la construction d’une seconde école à Anoumabo en 2012. Quatre autres vont suivre à travers le pays. Les murs et l’équipement sont financés par la fondation Magic System (créée en 2014), puis les écoles sont remises officiellement à l’État de Côte-d’Ivoire, qui embauche le personnel et en assure le fonctionnement. Dans d’autres écoles, comme celle de Korhogo dans le nord du pays, la fondation fournit aussi de l’équipement et du mobilier. Ce n’est pas la première fois que des artistes ivoiriens financent des projets de développement. Avec son programme “Un concert, une école”, le reggaeman Tiken Jah Fakoly avait commencé à construire des écoles dès 2007. Mais selon Jean-Louis Boua, directeur exécutif de la fondation, les approches sont dif-

férentes : “D’autres artistes ont fait des choses, mais à une plus petite échelle, de façon isolée, moins structurée. Nous, nous médiatisons nos actions pour mobiliser les ressources et suivre les projets. Tout ce qui entre dans l’école nous intéresse. Avec nos partenaires, on y fait des actions de santé, comme des consultations d’ophtalmologie. Puis, des lunettes sont remises gracieusement à ceux qui ont des problèmes de vue.” La fondation a aussi ouvert en 2018 sa première maternité Magic System à Loulo, à la frontière avec le Mali. Faute de maternité locale, les femmes allaient accoucher au Mali, puis revenaient chez elles sans certificats de naissance, avec des bébés apatrides. “Une fondation à la dimension d’un État” Le système Magic System est moins magique que pragmatique, et il est rodé : quand un nouvel équipement est inauguré, il est accompagné d’un concert gratuit labellisé Femua, qui garantit la venue de la population, des médias et parfois d’un ou deux ministres. Toujours en présence de l’infatigable A’Salfo, orateur hors pair qui incarne le Femua et l’action de la fondation, de plus en plus incontournable et ambitieuse. Des centaines de bénévoles au sommet de l’État ivoirien, Magic System sait mobiliser toutes les énergies. Jean-Louis Boua rêve même “d’une fondation à la dimension d’un État, avec beaucoup plus de moyens… La fondation Magic System dit ce que la population attend des politiciens : développement, développement, développement !” Depuis 2018, le festival a quitté Anoumabo pour un site sportif, plus grand et mieux sécurisé, dans le quartier voisin de Marcory. En journée, des centaines de lycéens participent à des réunions d’information et de débats sur une thématique annuelle – l’émigration clandestine en 2018, genre et développement en 2019. Ainsi, la prochaine école Magic System sera construite à Bondoukou et sera réservée aux filles, dans une région où seulement 40 % d’entre elles sont scolarisées.

Par STÉPHANE DESCHAMPS

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© Lord Snowdon/Trunk Archive

La Doña de Mexico

Star incontournable du cinéma latino-américain des années 40 à 70, María Félix a vécu sa vie comme un film. Où l’extravagance avait le premier rôle. Portrait. 46

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© Carlos/Stock.adobe.com

Les couleurs d’Álamos, dans la province désertique de Sonora, où María Félix a passé son enfance.

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rien refuser, est une ancienne star du noir et blanc : María Félix, la diva du cinéma latinoaméricain des années 40-50. En 1975, elle a quitté le monde du cinéma depuis cinq ans, mais elle continue ce qu’elle a toujours fait : vivre sa vie comme un film. María Félix n’était pas née pour faire du cinéma, mais elle a grandi dans un décor de western, à Álamos dans la province désertique de Sonora, et pile en pleine révolution mexicaine. L’actrice a longtemps refusé de dire son âge, prétextant qu’elle était trop occupée à profiter de la vie pour compter les années. Mais on peut maintenant l’avouer : elle est née en 1914 (et morte en 2002). Si la guerre civile n’ébranle pas les splendeurs architecturales d’Álamos, elle forge le caractère de María. Neuvième d’une fratrie de douze enfants, la petite préfère grimper aux arbres et monter à cheval avec ses frères plutôt que jouer à la poupée avec ses sœurs. Un garçon manqué, dont les traits de madone insolente sous un déluge de cheveux noirs ne trompent pas. María Félix sera belle.

N 1975, UNE FEMME, DONT JEAN COCTEAU DISAIT “ELLE EST SI BELLE QU’ELLE FAIT MAL”, entre chez Cartier, au 13 rue de la Paix, à Paris. Elle connaît la maison : sept ans plus tôt, Cartier avait créé à sa demande un collier serpent de 57 centimètres de long, en écailles de diamants montées sur platine. Cette fois, elle vient avec un de ses animaux de compagnie, un bébé crocodile vivant, dont elle souhaite que le joaillier s’inspire pour façonner un autre collier unique. Les artistes de la maison Cartier doivent faire vite, avant que le reptile ne grandisse. Quelques mois plus tard, la commande est livrée, sous la forme d’un bijou articulé où s’enlacent deux crocodiles, l’un serti de plus de mille diamants et l’autre d’autant d’émeraudes, avec des cabochons de rubis pour les yeux. L’objet est entré dans la légende de Cartier, qui l’a racheté à la mort de sa cliente. Cette femme haute en couleur, à laquelle la maison Cartier ne pouvait décidément

María Félix en 1981, arborant, entre autres bijoux, le collier crocodiles commandé à la maison Cartier en 1975.

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À Mexico, devenue jeune femme, elle travaille comme assistante d’un chirurgien esthétique, qui la présente à ses clientes, commente son nez et ses oreilles pour leur montrer l’incarnation d’une beauté parfaite, en prétendant qu’elle est son œuvre. Dans la rue, on se retourne sur elle. Et c’est ainsi qu’un réalisateur la repère et lui propose de faire du cinéma. María Félix a déjà 28 ans quand sort le mélo musical El Peñon de las animas. Elle y donne la réplique à Jorge Negrete, star de la chanson mexicaine, qui la déteste parce qu’elle lui fait de l’ombre – ce qui ne les empêchera pas de se marier brièvement quelques années plus tard. Première apparition, rôle principal et gloire instantanée. À l’écran comme dans sa vie, María Félix ne se contentera jamais des seconds rôles. Mexico est alors le Hollywood du continent sud-américain, et María Félix en est sa star. Mais elle tourne le dos, qu’elle a cambré, à une carrière nord-américaine. Elle

ne parle pas anglais et refuse le formatage et l’allégeance à un studio hollywoodien. María Félix est libre. La beauté et le cinéma ne lui suffisent pas. Elle veut l’argent, les hommes et les hommes qui ont de l’argent. Des bijoux et des bisous. Et puis l’Europe, qu’elle accoste par l’Espagne en 1948. Elle fuit la fin de son mariage avec le chanteur Agustín Lara (qui lui avait pourtant composé le classique de la chanson bolero María Bonita), et peut-être aussi quelques scabreux scandales (la rumeur lui prête une liaison avec le président du Mexique). De sa poignée de films espagnols, on peut retenir La Corona negra (La Couronne noire, 1951), écrit par Jean Cocteau. Jean Marais, pressenti pour le rôle masculin, aurait été écarté du casting par María Félix – expliquant qu’ensemble, elle aurait eu l’air d’être l’acteur et lui l’actrice. C’est que la dame est masculine. Beauté violente, impériale, dominatrice, si belle qu’elle fait mâle. On l’appelle alors “la Doña”, en référence au film Doña Barbara (1943) et parce

Avec l’un de ses quatre maris, l’industriel français Alex Berger, en 1960.

© La Couronne noire/Bridgeman Images

La Corona negra (La Couronne noire, 1951) Sur l’affiche de ce film espagnol écrit par Jean Cocteau et réalisé par Luis Saslavsky, María Félix apparaît auprès de Rossano Brazzi. Ce dernier aurait été choisi au détriment du Français Jean Marais – María Félix d’expliquer qu’ensemble, elle aurait eu l’air d’être l’acteur et lui l’actrice…

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© Allan Grant/The LIFE Picture Collection

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© Allan Grant/The LIFE Picture Collection

Dans Juana Gallo, en 1961. María Félix y tient le rôle-titre de ce film qui dépeint une combattante et héroïne de la révolution mexicaine.

qu’elle a accédé à l’aristocratie du cinéma mondial. En 1954, María Félix se donne alors les moyens d’une carrière en France : elle apprend la langue, et à sourire. Elle jouera notamment avec Gabin dans French cancan de Jean Renoir, dans Les héros sont fatigués (1955) aux côtés d’Yves Montand et Curt Jürgens ou, pour clore en beauté la décennie, dans La fièvre monte à El Pao (1959) de Luis Buñuel, avec Gérard Philipe dans son dernier rôle.

s’occupe des écuries de l’homme d’affaires Alex Berger, qu’elle a épousé en 1956. Dans son dernier film en 1970, La Generala, ses yeux lancent des flammes. Sur les photos, élégante extravagante, un cigarillo aux lèvres, elle est encore plus captivante. María Félix aura tourné dans 47 films, mais le cinéma n’était peut-être qu’un prétexte à l’invention de son destin, de sa vie. Comme écrivait à son propos le prix Nobel de littérature 1990 Octavio Paz : “María est devenue son propre personnage.” Maîtresse femme et femme maîtresse, bisexuelle, indépendante, affranchie du patriarcat et du qu’endira-t-on, elle écrivait dans Todas mis guerras (“Toutes mes guerres”), autobiographie publiée en 1993 : “J’ai de l’énergie, je ne pense pas au passé, à mes parents, à mon fils, à mes maris. Je ne pense qu’à ce que je veux réaliser grâce à cette énergie qui ne m’abandonne jamais. J’ai tout aimé : les hommes, l’argent, les bijoux. Et aimer c’est faire la guerre.” María Félix la Mexicaine était une amazone.

Elle devient une Parisienne de luxe, qui partage sa vie entre le Mexique et son appartement de Neuilly-sur-Seine, fréquente les artistes, les aristocrates et les grands couturiers, collectionne les œuvres d’art – les peintres font son portrait –, devise philosophie avec Jean-Paul Sartre, vit une histoire d’amour avec Jean Cau, le secrétaire particulier de Sartre, puis une autre avec Frede, la directrice du cabaret parisien le Carroll’s où se montre et s’amuse la jet-set internationale. Le roi Faruk d’Égypte lui propose même – en vain – de lui offrir un diadème ayant appartenu à la reine Néfertiti contre une nuit d’amour. À Chantilly, cette éternelle amoureuse des chevaux (elle monte souvent dans ses films)

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© K. Viese/The Red Tree House

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Mexico, capitale du 7e art — Les cinéphiles ne seront sans doute pas insensibles au “travelling” proposé par Voyageurs du Monde à travers la ville. Des Studios Churubusco, centre névralgique de l’âge d’or du cinéma mexicain, où María Félix fit ses débuts, en passant par la Condesa – quartier ayant hébergé de nombreux tournages et acteurs –, vous logerez au Red Tree House (photo). Sur les pas de Luis Buñuel ou González Iñárritu, vous explorerez également le Roma d’Alfonso Cuarón.

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L’homme au foyer

Curé de la Madeleine, à Paris, le père Bruno Horaist veille sur une église à part. Imposante et mondaine en surface, discrète et bienveillante en sous-sol. Conversation au cœur d’un temple qui célèbre d’une même voix le rock et la solidarité.

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“Dans une époque que l’on imagine obnubilée par le matérialisme, constater que la solidarité a encore sa place est une idée très réconfortante.”

œuvre dédiée à la pauvreté. Lorsque j’ai réalisé que cela impliquait des voyages lointains, j’ai reculé, préférant devenir prêtre diocésain. Ordonné par le diocèse de Paris en 1984, à l’âge de 29 ans, j’ai passé dix ans à Saint-Paul, dix ans à Saint-Jacques-du-Haut-Pas, dix ans à SaintVincent-de-Paul, avant d’être ordonné à la Madeleine en 2013. Je suis donc un grand voyageur parisien.

Comment avez-vous appréhendé cette église ? Elle présente une organisation intérieure très particulière, liée à son histoire mouvementée. Elle s’apprivoise… La paroisse initialement située boulevard Malesherbes a été plusieurs fois agrandie et déplacée. Napoléon souhaitait en faire un temple à la gloire de la Grande Armée. À la fin de l’Empire, Louis-Philippe, après avoir envisagé d’en faire une gare ferroviaire, a redonné à la Madeleine sa vocation première. L’intérieur a gardé le plan de temple imaginé par Napoléon, très théâtral, et également un aspect expiatoire postrévolutionnaire. Tout cela la rend unique.

La vie paroissiale qu’elle abrite est elle aussi bien particulière. Une de vos messes, celle qui rend hommage au chanteur Johnny Hallyday, est devenue très populaire. Comment avez-vous accueilli cette ferveur ?

Jean-François Rial : Mon père, pouvez-vous retracer votre parcours ?

J’ai été le premier étonné. L’église a été désignée par l’Élysée pour recevoir l’enterrement du chanteur. Lors de la cérémonie, j’ai réalisé le nombre de personnes touchées par sa disparition. La seule chose que je pouvais faire pour les aider à surmonter leur peine et accompagner le deuil était de proposer une messe. Aujourd’hui, cet office, célébré chaque neuvième jour du mois, réunit plus d’un millier de participants. Des personnes viennent de la France entière, malgré des situations souvent précaires. La disparition rassemble. Nous l’avons observé, notamment lors de l’incendie de Notre-Dame : l’émotion suscitée à l’échelle planétaire était incroyable. Une telle communion dépasse la foi chrétienne, il s’agit de générosité, tout simplement.

Père Bruno Horaist : J’ai grandi sur la rive gauche, dans le VIe arrondissement, rue de la Paroisse, au sein d’une famille chrétienne, aux côtés de mes trois sœurs. Mes parents se sont toujours engagés. Mon père, dessinateur dans un atelier de tissus d’ameublement, était très actif auprès des conférences Saint-Vincent-de-Paul, un réseau de charité au service des personnes âgées. Ma mère enseignait le catéchisme. Passionnée de lecture, elle tenait une petite librairie dans l’église Saint-Germain-des-Prés. J’ai suivi une double éducation, à la fois paroissiale et dans l’enseignement public. Très tôt, j’ai eu la vocation de dédier ma vie à un idéal fort.

Êtes-vous un grand voyageur ?

Justement, parlez-nous d’une partie moins médiatisée de l’église, son foyer.

Mon père, pro-européen, nous emmenait tous les ans en Italie. Sienne, Florence… Nous visitions une à une les cinquante-deux salles du palais Pitti. Nous avons également exploré les grandes villes européennes : Londres, Prague, Stockholm, Rome. Après mon bac, j’ai souhaité m’engager chez les moines franciscains, convaincu par l’idée d’une

Le foyer de la Madeleine est une institution mise en place sous le Second Empire à la demande de l’impératrice Eugénie, femme de Napoléon III. À l’époque, Haussmann fait percer le boulevard Malesherbes et certains ouvriers n’ont pas de quoi déjeuner. On demande donc au curé de l’époque d’ouvrir les locaux situés sous l’église. Durant la

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Au Refettorio, dans les cryptes de l’église de la Madeleine, les précieux bénévoles servent environ cent repas par jour. Un projet solidaire fort qui permet de nourrir “les plus démunis, en leur offrant un lieu qui retisse le lien social”, approuve le père Horaist.

guerre de 14-18, l’abbé Turgis met le foyer à disposition des couturières des ateliers voisins, qui n’ont alors pas le droit d’entrée dans les bistrots qui sont réservés aux hommes, ainsi qu’aux crémières qui arrivaient gare SaintLazare pour livrer le lait. Durant Mai 68, l’aumônier militaire de l’époque ouvre les grilles aux étudiants désirant déjeuner dans le calme.

Aujourd’hui, le foyer poursuit-il ce rôle ? Effectivement, le foyer accueille plusieurs associations caritatives qui aident les personnes démunies. Parmi elles, Ozanam, qui offre un accueil de jour, avec la possibilité de se doucher, d’utiliser des lave-linge et un service de collations. Nous avons aussi un espace informatique, qui forme gracieusement les personnes qui le souhaitent, des ateliers d’initiation à la conversation française, toujours dans un ob-

jectif de réinsertion. Sous les escaliers de la rue Royale, nous mettons une salle d’exposition à disposition des artistes. Enfin, le foyer de la Madeleine abrite un restaurant associatif qui sert chaque jour des déjeuners aux personnes en difficulté. Depuis mars 2018, s’ajoute une œuvre que vous connaissez bien : le Refettorio, par le chef italien Massimo Bottura. Il s’agit cette fois d’un service du soir, toujours dans la crypte de l’église, habillée d’œuvres des artistes JR et Prune Nourry, dans un espace repensé par le designer Ramy Fischler. Les repas, servis par une équipe d’une centaine de bénévoles, sont concoctés par de grands chefs venus du monde entier, à partir d’aliments invendus destinés à être détruits. En une année, ce projet solidaire a permis d’économiser quinze tonnes de surplus alimentaire, en nourrissant les plus démunis, et en leur offrant un lieu qui retisse le lien social. Dans une époque que l’on imagine obnubilée par le matérialisme, constater que la solidarité a encore sa place est une idée très réconfortante.

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Six mois autour du monde

Lagos / Californie / Venise / Rodrigues / Taroudant / Kiji 57

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Aylo, kid de la pop nigériane, mixe afrobeat et r’n’b, métissant yoruba, igbo, argots américain, caribéen et congolais.

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Lagos en futurama

Ville la plus peuplée du continent africain, la capitale nigériane se vit à un rythme effréné. Les Lagotiens rivalisent d’ingéniosité pour survivre, quand la scène artistique questionne l’évolution de la société. Mémoire, religion, politique, genre… Lagos se prépare pour l’avenir.

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“Lagos fonctionne à l’énergie pure. Vivre ici, dans cette ville où rien ne marche, oblige à être créatif.” – Kunle Tejuosho

Vins natures et cuisine gourmande à La Mercerie, l’adresse marseillaise festive et créative de la pétillante Laura Vidal.

Kunle Tejuosho est le propriétaire d’une institution à Lagos, la librairie JazzHole. La créatrice Bubu Ogisi, I.AM.ISIGO, dans son showroom de Victoria Island.

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La chanteuse Falana. L’industrie musicale nigériane déferle sur le continent africain et aux États-Unis. Olu Okeowo (à gauche) a fait construire sa maison sur le modèle du château de Versailles. Il collectionne aussi les Rolls.

Vins natures et cuisine gourmande à La Mercerie, l’adresse marseillaise festive et créative de la pétillante Laura Vidal.

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difiée sur un ensemble d’îles d’une lagune ouverte sur l’Atlantique, Lagos n’était pas préparée à devenir la ville la plus peuplée du continent africain. Une mégalopole sans limites spatiales, dont l’augmentation de la population est si rapide qu’elle rend toute mesure instantanément obsolète. La ville aimante toujours plus de personnes, venues de tout le pays, des pays voisins, ou rentrées de Londres et New York. Quinze ? Vingt ? Vingtcinq millions d’habitants ? Aucun recensement fiable n’est possible. Sur le continent, le Lagos pauvre, des immeubles délabrés, d’autres qui poussent au hasard comme des mauvaises herbes ; sur les anciens marais asséchés, sur les îles gagnées sur l’océan, le Lagos riche, des villas sécurisées qui s’abritent derrière des portails monumentaux. Côté continent, côté îles, aucun espace n’est laissé vacant. Les autoroutes congestionnées de dizaines de kilomètres d’embouteillages et les ponts qui enjambent la lagune surplombent des marchés sauvages et des usines à ciel ouvert, des églises improvisées en chants gospel et des rassemblements sportifs. Sur les talus des voies de circulation automobile, sous les ponts aériens, sur les bas-côtés, vendeuses, coiffeurs, mécaniciens, tailleurs et autres petits entrepreneurs se bousculent sur quelques mètres carrés. L’architecte Rem Koolhaas, qui a mené des recherches sur la ville dans le cadre du séminaire Harvard Project, en a fait un cas d’école : Lagos “continue d’exister et maintient sa productivité malgré une absence totale des infrastructures, systèmes, organisations et aménagements qui définissent la notion de ville”. Selon lui, Lagos, “à l’avant-garde de la modernité mondialisante”, annonce “la situation future de Chicago, Londres ou Los Angeles”. Kunle Tejuosho, propriétaire de la librairie JazzHole, ne dit pas autre chose : “Lagos fonctionne à l’énergie pure. Vivre ici, dans cette ville où rien ne marche, oblige à être créatif. C’est pourquoi les Nigérians excellent dans tout ce qu’ils entreprennent, aux quatre coins de la planète : partout ailleurs, tout est tellement plus facile.” Il poursuit : “Ce qui vous semble compliqué, pour nous, Lagotiens, c’est juste une blague – ‘a joke’.” L’affirmation dit à la fois l’orgueil et l’esprit d’entreprise qui règnent ici, communs aux habitants des bidonvilles qui inventent mille métiers pour leur survie et aux îliens privilégiés initiateurs de start-ups. Les peintures murales le proclament en couleur : on est fier d’être lagotien.

et autant de vinyles, de Coltrane à Fela. Dans Americanah, son best-seller traduit dans plus de trente langues, l’écrivaine star des lettres nigérianes Chimamanda Ngozi Adichie rend un hommage appuyé à cette institution de la vie intellectuelle lagotienne, en y situant la scène de retrouvailles entre Ifemelu, de retour après quinze ans d’exil aux États-Unis, et son amant Obinze. À l’image de son héroïne, des milliers de “repat’s”, membres des diasporas britannique et américaine, quittent des situations enviables à Londres ou New York pour refaire leur vie dans le pays de tous les possibles. Parmi eux, Wura-Natasha Ogunji, plasticienne, a longtemps partagé son temps entre Austin (Texas) et Lagos, avant de s’installer durablement dans le pays de ses parents, avec l’ambition de “diversifier le paysage artistique et culturel”. Elle reçoit au Treehouse, dans un appartement au dernier étage d’un immeuble, espace lumineux où souffle la brise (un luxe à Lagos, où règnent lumière artificielle et air conditionné) qu’elle consacre à l’expérimentation, et où se pressent des étudiants de Berkeley venus la rencontrer. Elle entend promouvoir le travail d’artistes qui interrogent leur relation au territoire, et c’est là l’emplacement parfait, au centre de Lagos Island et de l’ancien quartier résidentiel britannique, Ikoyi, cœur historique de la ville. Par les larges baies vitrées, on observe la prison et les terrains de polo qui la jouxtent immédiatement ; plus loin, reliés par trois ponts, Victoria Island, où se mêlent quartiers d’affaires et résidences huppées, et Lekki, marécage infesté de moustiques il y a vingt ans, aujourd’hui cœur de la nouvelle bourgeoisie. “Des lieux alternatifs manquaient dans cette ville, où l’œuvre d’art est avant tout un produit à valeur marchande. Au Nigeria, les artistes créent ce que les collectionneurs veulent acheter”, déplore Wura-Natasha Ogunji. Car à Lagos, il y a de l’argent (le PIB de la ville est à lui seul supérieur à ceux du Cameroun, du Sénégal et de la Côte d’Ivoire réunis) : le vieil argent des familles qui prônent Murs érigés, quartiers fermés : Lagos, côté îles, se protège. La modeuse Deto Black (1) y voit une démonstration supplémentaire de la créativité de ses compatriotes. Elle instagramme en série ses selfies devant les portails monumentaux : “Le portail est la première chose que vous verrez quand vous rendrez visite à quelqu’un. Il est à l’image du propriétaire de la maison, et exhibe son esthétique.”

Des valeurs que l’art remet en perspective Dans un pays de lecteurs et d’écrivains, parmi lesquels le Nobel de littérature 1986 Wole Soyinka, JazzHole, la librairie de Kunle, est un repaire encombré de milliers de livres. Littérature nigériane classique et contemporaine – “la scène littéraire explose” –, littérature internationale, poésie, essais

Adebayo Oke-Lawal (2), styliste et créateur d’Orange Culture, brouille les pistes entre les genres.

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Lors d’un mariage, les convives portent des vêtements sur-mesure, aux couleurs choisies par les familles des futurs mariés. Ici, Ayomide Aborowa, dite “Mimi”, fixeuse pour Voyageurs du Monde, en essayage chez le couturier de son quartier.

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La plasticienne Wura-Natasha Ogunji au Treehouse, espace dédié à l’expérimentation artistique.

l’éducation anglaise, dont les enfants sont envoyés en pension au Royaume-Uni dès l’âge de 5 ans, et jouent au polo ; l’argent neuf des nouveaux riches qui font fructifier la rente pétrolière – le Nigeria est le premier producteur de pétrole du continent. “Le rôle des artistes est d’observer et d’élargir nos perspectives sur le monde”, insiste la plasticienne qui revendique une pratique artistique “ancrée”. Dans une ville qu’elle considère comme “la quintessence de la ville du futur”, elle s’interroge sur le rapport paradoxal au passé et à la mémoire. “Lors d’une de mes premières visites au Musée national pour y voir les têtes d’Ifé (sculptures de bronze de la civilisation Ifé, XIIe-XIVe siècles, d’une valeur inestimable – ndlr), j’ai été stupéfaite : deux de ces bronzes royaux, décrochés de leurs socles, gisaient, abandonnés dans leur vitrine. Cela ne semblait gêner personne. Pourtant, quand, lors d’une de mes performances, je fais marcher une femme masquée dans la rue, les passants changent de trottoir ou s’enfuient en courant, de peur d’être confrontés à un esprit !”

pentecôtistes rassemblent des dizaines de milliers de personnes en prières dirigées par des pasteurs millionnaires, dans des décors dignes des superproductions de Nollywood (l’industrie cinématographique locale). Là-bas, on prie pour chasser les démons, trouver un conjoint, guérir du cancer ou faire fortune. Les vêtements de Bubu, tout en superpositions, cachent ce qui est à voir, manière d’évoquer l’hypocrisie de la pratique religieuse de ses contemporains : “Au Nigeria, on revêt un uniforme une fois par semaine : le dimanche, tout le monde est tellement pur…” Adebayo Oke-Lawal, fondateur de la marque menswear Orange Culture, secoue aussi la scène lagotienne de la mode, explorant des tendances androgynes que la tradition nigériane réprouve : “J’ai voulu créer une marque qui glorifie l’homme dans sa douceur, sa vulnérabilité et son émotivité…” Dans un pays conservateur marqué à la fois par le christianisme, l’islam et meurtri au nord par les attaques de Boko Haram, faire défiler sur les podiums des hommes vêtus de jupe exige un certain courage. Sa première collection, en 2011, a déclenché les foudres. “Les réactions ont été franchement hostiles, j’ai failli tout arrêter.” Mais la reconnaissance internationale (il a été finaliste du prix LVMH) et le soutien de Naomi Campbell semblent avoir calmé les esprits. Son travail continue de faire bouger les lignes, en interrogeant les normes et la notion de genre. Aujourd’hui, on peut croiser dans la rue des hommes aux yeux maquillés de khôl et aux tenues explicitement gender fluid. Sans aucun doute, Lagos cultive la dissidence. Ce qui se vérifie aussi à travers le peu d’intérêt que les Lagotiens portent à la politique. Les élections présidentielles récentes ?

Une scène mode dissidente et gender fluid Bubu Ogisi, styliste et directrice artistique de I.AM.ISIGO, entend elle aussi questionner la société nigériane. Ses créations, des pièces oversized et texturées, créées dans des textiles en provenance du nord du pays, sont exposées dans son showroom de Victoria Island. Sa dernière collection interroge le rapport à la religion : “Je ne dénigre pas le christianisme, mais je remets en cause l’obligation et l’excès. Il y a dans cette ville plus d’églises que d’écoles !” Redeemed Christian Church of God, Christ Embassy… : les méga-églises

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La rue confirme que le style n’est pas ici l’affaire de quelques privilégiés…

Un non-sujet. Bubu Ogisi ignore la question – “toujours le même bonhomme…” Sa réaction reflète le sentiment ambiant : la ville enregistre un des plus faibles taux de participation du pays, seuls 20 % des électeurs se sont déplacés, mais peu de villes sur le continent peuvent se prévaloir d’autant de tolérance.

Moins bling et plus underground, le skate-shop WafflesNCream (WNC) dans le quartier de Victoria Island. Jomi Marcus-Bello s’est initié au skate adolescent, alors qu’il vivait à Leeds : “Quand je suis rentré à Lagos, j’ai pris ma planche avec moi.” Jomi refuse d’être photographié, il préfère mettre en avant une entreprise collective. Car autour de lui gravite une communauté : “Le skate n’est pas un simple sport, c’est une fraternité.” Pas de trottoirs, trop de voitures, des quartiers surpeuplés, d’autres clôturés, gardés par des officiers de sécurité, Lagos n’est pas adaptée à la glisse, et les kids de WNC cherchent sans cesse de nouveaux spots. Ils ont un graal : construire un skatepark. Une quête qu’ils mènent inlassablement depuis sept ans. Ils ont déjà rassemblé les fonds : “Lagos est la ville la plus peuplée d’Afrique. Celle qui abrite le plus de millionnaires sur le continent. C’est une ville fantastique. Lagos aura un jour son skatepark.” Au vu de leur détermination, gageons qu’ils parviendront bientôt à convaincre la ville tentaculaire de leur faire une place.

Mariages show-off et esprit skate En revanche, s’il est une chose que personne ne conteste, c’est le mariage. La scène n’en est pas l’église, mais l’hôtel de luxe. Chaque fin de semaine, du vendredi au dimanche soir, des milliers de personnes assistent à des cérémonies monstres, ajoutant des embouteillages aux embouteillages dans les quartiers huppés où ils ont lieu. Au Nigeria, on ne plaisante pas avec les noces – “Si vous n’êtes jamais allé à un mariage nigérian, vous n’êtes jamais allé à un mariage !”. Smokings, robes à paillettes, costumes et coiffes assortis, les tenues des convives sont confectionnées dans des textiles choisis par la famille de la mariée. La musique live fait danser jusqu’au petit matin, des présents onéreux sont offerts aux invités VIP (électroménager, écrans plats…). Instagram participe de la surenchère : c’est au couple qui affichera la fête la plus folle, la liste d’invités la plus longue, la pièce montée la plus haute pour épater la galerie. Mais personne ne critique la gabegie. Peut-être parce que ces cérémonies ostentatoires reflètent l’état d’esprit show-off d’une ville qui aime à s’exhiber.

Par MARION OSMONT Photos HUGUES LAURENT

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Entre un ollie et un slide sur sa planche, Daniel Ogbogu, membre du WafflesNCream (WNC), skate-shop, mais surtout communauté de skateurs solidaires bien décidée à faire bouger leur pays, chausse ses rollers.

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PARTIR À LAGOS carnet pratique

À votre arrivée Mimi, fixeuse Voyageurs du Monde

• Superficie : 1 171 km² • Population : entre 15 millions et 25 millions • Mers : golfe de Guinée/ océan Atlantique Sud • Pays frontaliers du Nigeria : Bénin, Niger, Tchad et Cameroun

Ayomide Aborowa, “Mimi”, a étudié et travaillé à Londres. De retour dans son Nigeria natal, elle fonde un magazine en ligne consacré au lifestyle et au voyage sur le continent africain, Irin Journal. Elle connaît tout et tout le monde – artistes, musiciens, journalistes... Elle a rejoint Voyageurs du Monde pour assurer notre service conciergerie à Lagos, joignable 24/7 via notre appli mobile.

3 lieux

Campos (quartier brésilien) Édifié au XIXe siècle par des maîtres d’œuvre brésiliens, esclaves affranchis rentrés au Nigeria. Ses balcons en fer forgé évoquent Salvador de Bahia.

Le Musée national du Nigeria On y va pour sa collection de sculptures en bronze ou en terre cuite d’Ifé. Leur splendeur fait oublier les faiblesses de la muséographie locale.

Sur place À voir Treehouse, à Ikoyi. Un bel espace, consacré à l’expérimentation artistique, à l’écart de l’agitation de la ville, fondé par la plasticienne Wura-Natasha Ogunji. Visiter une expo ou assister à une performance constitue toujours une découverte, en même temps qu’une belle respiration. À faire Danser… chez JazzHole, à Ikoyi. La plus pointue des librairies de la ville, pôle de la vie intellectuelle lagotienne depuis quarante ans, propose aussi des soirées jazz live dans une salle de concert intimiste. … ou chez Africa Shrine, à Ikeja. Salle de concerts culte, temple de l’afrobeat et lieu emblématique de la contre-culture politique et musicale fondée par Fela Kuti. Le Shrine s’enflamme les soirs

Focus littérature de concerts grâce à l’énergie explosive de Femi Kuti, le fils du “Black President”, saxophoniste virtuose et bête de scène. À table Nok by Alara, à Victoria Island. Au sein du conceptstore designé par l’architecte David Adjaye, au restaurant Nok, le chef sénégalais Pierre Thiam revisite avec audace les classiques de la gastronomie nigériane et ouest-africaine, comme il le fait dans ses adresses newyorkaises. Une assiette savoureuse, colorée et légère. On adore ! Shopping Showroom I.Am.Isigo, à Victoria Island. Des vêtements oversized aux coupes asymétriques et minimalistes créés dans des textiles en provenance du nord du pays, qui reflètent la belle énergie de Bubu Ogusi.

Le chiffre Chaque jour, depuis cinquante ans, 1 000 nouvelles personnes en moyenne s’installent dans la mégalopole.

Tarkwa Bay Plage artificielle non loin du port de Lagos, accessible seulement en bateau, qui rassemble une communauté de surfeurs, Nigérians et expats.

1 000

En voyage dans un pays de tradition littéraire tel que le Nigeria, le seul du continent à avoir vu un de ses écrivains, Wole Soyinka, récompensé du prix Nobel, difficile de choisir quel livre glisser dans sa valise. On conseille Americanah : vendu à plus de 500 000 exemplaires aux États-Unis, le roman a fait de Chimamanda Ngozi Adichie une star. L’auteure s’inspire de sa propre expérience pour raconter celle d’Ifemelu, qui quitte le Nigeria pour aller faire ses études à Philadelphie. Dressant un portrait féroce des États-Unis et de ses minorités noires, elle pointe au passage les contradictions des élites et de la diaspora nigériane. Un page-turner savoureux.

Inspirations

Dans l’énergie de Lagos Voyageurs du Monde vous invite à découvrir la plus grande ville du continent africain, une mégalopole résolument tournée vers l’avenir. Cinéma, littérature, design, mode : la scène artistique palpite et bouillonne. Lagos est aussi une ville festive. On y boit du champagne comme ailleurs de l’eau pétillante…

Dans les clubs, où règne un optimisme sans pareil, hommes et femmes rivalisent d’élégance, cultivant le swag jusqu’au petit matin. Un autre monde… De showrooms en studios Nollywood, à la rencontre des créateurs, designers, entrepreneurs qui font la ville, on découvre une énergie créatrice qui infuse bien au-delà des frontières du Nigeria. 5 jours à partir de 4 800 € Voyageurs du Monde 01 42 86 16 00 Des voyages zéro carbone Les émissions de CO2 générées à chacun de nos voyages sont absorbées à 100 % par des actions de reforestation.

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Les Joshua Trees, ou arbres de Josué, icônes du désert de Mojave.

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Joshua Tree ou la tentation du désert

Artistes et aventuriers de la vie y viennent en nombre. Terre puissante, le parc national de Joshua Tree vibre d’une énergie tellurique hors du commun. Exploration d’une autre Californie, de l’opulence rétro-moderniste de Palm Springs aux confins du désert de Mojave, en passant par 29 Palms. 73

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I

l y a des clichés dont on ne se lassera jamais. On a beau les avoir vus des centaines de fois en photos, sur les écrans, dans les pages des magazines, les avoir imaginés dans les romans, on reste saisi par la beauté de l’image : allées de palmiers gigantesques sur un fond de ciel azur, au loin des silhouettes de montagnes majestueuses et, au premier plan, un horizon d’architectures modernistes à l’esthétique fifties intacte. À Palm Springs, le moindre détail relève d’un casting idéal, d’un stylisme parfait. Les cactus et les oliviers qui bordent les villas sont tous taillés et disposés avec soin. Même les voitures devant les portes des garages ont l’air d’avoir été choisies pour matcher avec la palette de couleurs locales. La ville ne semble pas avoir pris une ride depuis les années 1950, époque où les premiers propriétaires commencèrent à échafauder ce rêve de villégiature pour esthètes en plein désert. Les maisons sont toutes fraîchement repeintes dans des teintes naturelles (ocre, vert olive ou sable) les fondant presque dans le paysage. Les jardins sont ciselés, tels de petits bijoux de design paysager. Les grandes portes d’entrée rectangulaires en forme de tablettes de chocolat aux couleurs pop sont devenues des vedettes d’Instagram. La “Pink Door”, au 1100 East Sierra Way, fait partie des stars locales. Les touristes et Californiennes en goguette viennent s’y photographier régulièrement. Palm Springs ne fait pas dans la demi-mesure. On y vient pour

fuir la jungle urbaine et oublier le monde le temps d’une parenthèse enchantée en Technicolor. Les Indiens ne s’y étaient pas trompés, eux qui les premiers s’y étaient installés pour profiter de ses sources aux vertus miraculeuses. Au fil du temps, la ville a attiré les stars d’Hollywood (Frank Sinatra, Elvis Presley, Marilyn Monroe et Steve McQueen y eurent chacun une maison), les riches retraités et les jeunes qui viennent siroter des cocktails dans les piscines d’hôtels, alanguis sur des bouées en forme de donuts ou de flamants roses. L’été, le thermomètre descend rarement en dessous de la barre des 40 °C, plongeant la ville et ses habitants dans un slow motion lascif et un brin décadent. Une nature en résistance Pour humer le parfum de l’Ouest profond, il faut quitter Palm Springs et son Low Desert (désert de basse altitude) et s’aventurer dans les terres, vers le nord, en direction de Joshua Tree. Une immense forêt d’éoliennes, parmi les plus grandes de la région, signale le départ vers un autre type d’expériences. Dans cette zone battue par les vents, où les tempêtes de sable sont légion, règne une ambiance un brin apocalyptique. Un épais nuage de poussière recouvre presque chaque jour la route – au point que le rectangle orange fluo signé de l’artiste Sterling Ruby pour la biennale d’art contemporain Desert X, qui présentait une série d’œuvres d’art in situ installées autour de la Coachella Valley de février à avril 2019, est à peine perceptible.

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À l’entrée des résidences de Palm Springs, les plantes forment à elles seules un paysage de land-art.

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De février à avril, les installations temporaires de Desert X, biennale d’art contemporain, sont visibles dans la vallée de Coachella. En haut, une œuvre du collectif danois Superflex ; en bas, le Western Flag de John Gerrard, situé à l’entrée de Palm Springs.

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L’artiste Ed Ruscha y possède une maison et n’hésite pas à acheter tous les terrains disponibles de la zone, de manière à éviter tout envahissement.

Une vingtaine de kilomètres plus loin, une autre sorte de végétation nous attend, marquée par la présence d’une espèce de yucca singulière : le Joshua Tree, ou arbre de Josué, ainsi baptisé par des mormons au XIXe siècle. Sa silhouette tordue et ses branches, comme des bras levés vers le ciel, lui donnent l’air de danser dans le vent. En 1987, le groupe de rock U2 a rendu cet arbre célèbre en intitulant son cinquième album The Joshua Tree. Une série de photos en noir et blanc du groupe dans la région acheva de populariser l’arbre du désert californien. Sa présence signale notre entrée dans le High Desert, situé entre 610 et 1 200 mètres d’altitude au-dessus du niveau de la mer. On vient du monde entier pour admirer sa concentration impressionnante dans cette partie du désert de Mojave classée parc national en 1994. À Joshua Tree, plus qu’ailleurs dans le sud-ouest américain, le spectacle de ces arbres atteint son apogée. Impossible de rester insensible à leur dégaine pleine de charme et d’imperfection, ni au symbole de résistance qu’ils représentent. Les Joshua trees peuvent en effet vivre entre deux cents et cinq cents ans et résister à la sécheresse et à des températures extrêmes (45 °C à l’ombre l’été). Au printemps, le désert prend un caractère plus amical. Surtout, au mois de mars et jusqu’en avril, lorsque la terre aride se met à se recouvrir de petites fleurs de toutes les couleurs. Ce moment appelé “super bloom” ne dure que quelques jours pendant lesquels les pierres de granit brûlées par le soleil cohabitent avec des pétales délicats. Le granit, c’est aussi l’élément qui symbolise le parc, célèbre pour ses immenses concrétions de magma solidifié vieilles de plusieurs millions d’années. Certaines roches évoquent des crânes, d’autres des arches. D’autres encore créent des constructions aux équilibres instables. Du pur land-art naturel. Les mordus d’escalade viennent s’accrocher à ces rochers, mais rien ne

sert d’être un pro pour grimper sur ces formations granitiques. Beaucoup sont accessibles à pied, à raison de quelques efforts. Une fois arrivé dans les hauteurs, le paysage découvre son immensité. “Certaines personnes pensent que le parc possède une énergie particulière, qu’on y est connecté au vortex, nous explique Ethan, guide local. Ce qui est sûr, c’est que ce type de lieu, loin de toutes civilisations et avec une telle intensité d’éléments, nous repositionne par rapport au monde.” L’invasion des hipsters Pendant les années 1970, l’endroit était très fréquenté par les hippies et les artistes qui venaient s’y ressourcer et s’y inspirer. Depuis quelques années, à nouveau, le parc et la région redeviennent des lieux de retraite. La fréquentation du parc a d’ailleurs triplé en dix ans, passant de 1 à 3 millions de visiteurs par an. Ce qui n’est pas sans avoir un impact sur ce fragile écosystème, connu pour être la zone la plus sèche de Californie. La région entière attire une nouvelle population : les hipsters de Los Angeles en quête de nature et de dépaysement. Le Pappy & Harriet’s, le bar-restaurant aux allures de saloon de cow-boy de Pioneertown, est même devenu le point de ralliement de toute une nouvelle communauté éclectique et de plus en plus branchée. Ce nouveau QG est installé dans le Pioneertown Palace, un des décors de cinéma créé par les fondateurs de Pioneertown en 1946. L’idée est venue de deux acteurs d’Hollywood qui rêvaient de construire une petite ville à la fois pour y tourner des westerns et pour en faire une destination touristique. Le résultat bluffe encore : on traverse le village à pied par une route principale en terre battue bordée de petites maisons étroites en bois – ce qui n’est autre qu’un effet d’optique pour accentuer la taille des hommes et

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En route vers 29 Palms, oasis du désert, pour rendre visite à la créatrice Lili Tanner. Sa terrasse au pied des montagnes (page de droite), avec une vue à 180 degrés sur le High Desert, est un lieu de halte idéal où sentir les vibrations de la nature.

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De nombreux artistes et makers ont fait le choix de travailler en pleine nature, connectés à la terre qu’ils subliment de leurs mains. des chevaux sur la pellicule. La petite église, l’atelier du ferronnier, du céramiste, la salle de bal, le saloon, la poste, tout y est. Sauf la population – quasi inexistante en dehors des heures et des jours d’ouverture de Pappy & Harriet’s qui concentre toute l’agitation. Chaque fin de semaine, les groupes locaux défilent sur la petite scène pendant que les tablées dégustent des ribs (travers de porc) cuits au feu de bois. Les stars de la musique de passage n’hésitent pas à prendre le micro ou à improviser avec leurs guitares. Les lundis soir, la soirée “openmic” invite les amateurs à monter sur scène le temps de quelques morceaux. Folk, rock, country, les chanteurs et groupes s’enchaînent dans une atmosphère de Far West hors du temps. Rançon du succès, il faut en moyenne attendre plus de deux heures pour avoir une table. Dans la région, les restaurants les plus populaires rencontrent le même problème, n’arrivant pas à faire face à l’affluence. Et comme tout le monde n’est pas près d’ouvrir à l’année un commerce dans le désert, les bonnes adresses restent peu nombreuses et très sollicitées. Une terre de renouveau “Il faut une certaine maturité pour vivre dans cette région. Le désert nous confronte à nous-mêmes, à nos envies, nos projets, nos limites. Il s’agit de s’adapter à l’environnement, sinon c’est lui qui vous mettra dehors. En revanche, quand on s’y fixe, c’est le lieu idéal pour se révéler à soi-même”, témoigne Lili Tanner qui y a posé ses valises il y a dixhuit ans après avoir vécu en Suisse d’où elle est originaire, puis à Los Angeles. Tombée amoureuse de la région lors d’un court séjour pour visiter le parc de Joshua Tree, elle a trouvé une maison des années 1950 au pied des montagnes, près de 29 Palms, où elle vit en compagnie des oiseaux et des jackrabbits (des lièvres).

Cette ancienne critique d’art et d’architecture et scénariste pour le cinéma mène désormais une vie d’artisan. Elle crée des bijoux en bronze et des sacs en cuir dans l’atelier attenant à sa maison. Ses créations connaissent un certain succès à la fois sur internet, sur les marchés de créateurs locaux et dans les boutiques de Palm Springs. Parce qu’elle aime recevoir et échanger, elle a aussi depuis quelque temps ouvert les portes de sa maison et accueille ses hôtes dans un studio indépendant. Un de ses derniers invités n’était autre que l’Irlandais Steve Averill, directeur artistique qui a conçu toutes les pochettes d’albums de U2. Il n’était pas revenu là depuis cette fameuse séance photo avec le groupe il y a un peu plus de trente ans. Il y a des lieux qui appellent au retour ou qui s’imposent d’eux-mêmes comme des points d’arrivée. Joshua Tree est de ceux-là. Emmanuel et Kiloo, deux Français citadins, ont roulé leur bosse un peu partout dans le monde avant de poser leurs bagages il y a trois ans au nord de Pioneertown, dans un no man’s land de nature sauvage appelé Wonderland of Rocks. Autour de leur propriété, des petites collines de rochers aux rondeurs affables, une terre ocre, des Joshua trees… Aucune construction n’est visible à 360 degrés. Un paysage de maquis, digne des plus beaux westerns grandeur nature. Bientôt, ils mettront en place des stages d’initiation à la permaculture et s’attèleront à la construction d’un nouveau potager. Ici, la relation directe avec la nature prime sur tout le reste. Quoi de plus beau que la pureté du ciel pour toit et les rochers granitiques à perte de vue comme décor quotidien ? Ce site fait partie de la région du désert de Mojave et des montagnes de San Bernardino, désigné en 2016 par le Président Obama comme “monument national Sand to Snow” (du sable à la neige). L’artiste américain Ed Ruscha, dont les toiles s’arrachent sur le marché de l’art contemporain, compte parmi ses grands protec-

Lilli Tanner (1), créatrice de bijoux et de sacs, installée à 29 Palms depuis 2001 ; à Pionneer town (2 & 3), le vrai-faux village de cow-boys, où se trouve le bar-restaurant Pappy & Harriet’s, rendez-vous du week-end des hipsters de L. A. ; les roches granitiques aux formes sculpturales du parc de Joshua Tree (4).

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Design vintage dans le quartier des antiquaires de Sunny Dunes, à Palm Springs.

teurs. Il y possède une maison et n’hésite pas à acheter tous les terrains disponibles de la zone, de manière à éviter tout envahissement. Matrice inspirante et solaire Arthur et Joanna ont quant à eux quitté leur Pologne natale en quête de soleil. Le hasard de la vie les a fait visiter ce morceau de Californie. Ils ont aussitôt ressenti sa beauté et sa quiétude, comme venues du fond des âges. Depuis 2015, ils façonnent les collections de leur studio Dust Ceramics au milieu du désert, ouvrant régulièrement les portes de leur maison-atelier aux visiteurs, notamment pour des formations de céramique. De nombreux artistes et makers ont, comme eux, fait ce choix, de travailler en pleine nature, connectés à la terre qu’ils subliment de leurs mains. L’Américain Jonathan Cross, qui expose dans des galeries de Los Angeles et de New York, partage ainsi sa semaine entre Pasadena, où vit sa famille, et 29 Palms. Son studio et ses fours à bois traditionnels se trouvent près de la route principale. Toute sa production d’objets et de sculptures en céramique est cuite dans ces grands fours (cinq jours de cuissons au cours desquels les fours doivent être alimentés en permanence). L’artiste utilise un argile ocre local, nommé Corona, mélangé à des cendres de bois. Les formes géométriques et anguleuses de ses créations ne sont pas sans rappeler les granits cassés et brûlés par l’érosion que l’on trouve au pied des montagnes toutes proches. Pour Jonathan

Cross, ce lieu s’est imposé à lui comme sa terre d’inspiration, sa matrice. C’est aussi l’histoire de Claire et Niki, un couple de trentenaires lookées et souriantes qui rêvaient d’ouvrir ensemble un restaurant. Elles se sont promenées dans la région et ont trouvé un lieu le long de la Old Woman Springs Road, près de Landers. Elles ont capté la beauté du paysage, l’énergie des lieux, l’ouverture d’esprit et de cœur des habitants et, en 2015, ont inauguré La Copine. Leur table est rapidement devenue la plus réputée de la région. Aucune réservation possible, mais une file d’attente qui ne désemplit pas. Les clients patientent, ravis, sur la terrasse de l’entrée, un verre de vin à la main. À l’intérieur, ces deux passionnées servent une cuisine qu’elle nomme “New American”, majoritairement végétarienne et essentiellement locale, faite d’un mélange d’inspirations françaises, américaines et asiatiques. On s’y régale de chou kale, d’épices, de fromage de chèvre à la lavande… Et on en ressort avec une autre saveur américaine sur les papilles. Quelque chose de solaire, de pétillant, de terrien, d’authentique et de singulier. Comme ce désert californien de tous les possibles.

Par MARION VIGNAL Photos PIA RIVEROLA

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PARTIR EN CALIFORNIE carnet pratique

À votre arrivée Christophe, concierge Voyageurs du Monde

• Superficie : 423 970 km² • Population : 39 557 045 (en 2018), soit 93,30 habitants/km2 • Littoral : 5 000 km (baies comprises) • Point culminant : mont Whitney (4 421 m)

Répartie entre côtes Est et Ouest, la team conciergerie (francophone) de Voyageurs du Monde est rodée aux demandes de dernière minute : modifier un vol, réserver au pied levé une visite privée, trouver un bon médecin, une baby-sitter… Mais sa mission ne s’arrête pas là : dotée d’un bon carnet d’adresses, elle vous ouvre les pistes d’une Californie selon vos envies.

3 lieux

Salton Sea Paysage lunaire de petites plages fossilisées par le sel et sensation de bout du monde sur le plus grand lac de Californie.

Wonderland Une des plus belles randonnées du parc national de Joshua Tree. Au début du sentier, se trouvent les ruines d’un ancien ranch de chercheurs d’or.

Sur place À faire Pionneer town. Ce village miniature de cow-boys créé pour le cinéma se découvre à pied, de préférence le week-end, quand les ateliers des artisans logés dans les petites maisons en bois sont ouverts. À l’entrée, au Pappy & Harriet’s, l’épicentre de la vie nocturne locale, on peut écouter de la musique live et déguster le meilleur barbecue dans une ambiance festive de saloon. Dormir Chez Lili Tanner. Une maison typique des années 1950 sur les hauteurs de 29 Palms. C’est là que Lili Tanner, créatrice inspirée et inspirante de bijoux et de sacs, accueille ses hôtes. Déco rétrobohème et mobilier vintage dans le jardin. Un lieu hors du temps, idéal pour ressentir l’âme de ce désert californien. À réserver via Voyageurs du Monde.

Sunnylands Cette villa des années 1950, typique de l’esthétique de Palm Springs, fut le lieu de rendez-vous des grands de ce monde. Chose rare, on peut la visiter.

Focus Integratron The Saguaro Palm Springs Resort. C’est l’hôtel le plus “color block” de Palm Springs et l’un des plus conseillés pour les fans de pool party et d’ambiance clubbing. On y vient en bande d’amis siroter des cocktails dans des bouées en forme de donuts ou pour chanter au karaoké du restaurant mexicain. Amateurs de calme s’abstenir. Shopping Iconic Atomic. Cette boutique du quartier des antiquaires de Sunny Dunes, est un paradis pour les aficionados de déco vintage et des fifties. On y déambule sur plusieurs étages dans des pièces thématisées selon des couleurs ou des inspirations. À lire Palm Springs, 1960 de Robert Doisneau, texte de Jean-Paul Dubois (photo, Flammarion).

Le chiffre En millions, c’est le nombre de visiteurs du parc national de Joshua Tree en une année, soit trois fois plus qu’il y a dix ans. Mais ce succès grandissant tend à fragiliser l’écosystème du désert…

Avec sa forme d’igloo et son histoire rocambolesque, l’Integratron fait partie des ovnis de la région. Posé en plein désert de Mojave, cet édifice en bois est connu pour avoir été imaginé dans les années 1950 par George Van Tassel, un scientifique persuadé d’être en contact avec des extraterrestres. Il choisit l’emplacement en raison de la présence d’un vortex magnétique et se mit à y développer des expériences pour rajeunir les cellules humaines. Aujourd’hui, on y réserve tout simplement sa place (bien à l’avance) pour un “bain sonore” : une séance de relaxation accompagnée par la vibration du cristal et du quartz, roches aux bienfaits thérapeutiques.

Inspirations

Entre les lignes Voyageurs du Monde vous propose d’aborder les États-Unis sous divers angles, telle l’architecture. Du revival de Downtown L. A., au Palm Springs de Richard Neutra et autres archis stars… : un beau voyage en perspective, avec le désert de Joshua Tree en toile de fond. 10 jours à partir de 4 000 €.

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Travelling Ă Venise

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Film magistral du cinéaste italien Luchino Visconti, Mort à Venise, adaptation d’une nouvelle de Thomas Mann écrite en 1912, célèbre ses 50 ans. L’occasion d’une déambulation contemplative pour Simon Liberati, prix Femina avec Jayne Mansfield 1967. L’écrivain revient sur les pas du sublime Tadzio, ange de la mort et incarnation du désir contrarié de Gustav von Aschenbach, personnage principal vieillissant. Ce dernier, fasciné par le jeune homme, n’aura de cesse de le voir en rêve, de le suivre à travers les rues et sur la plage du Lido, où il mourra. Ultra cinégénique, la cité des Doges inspire – Mann et Visconti le savaient. Rarement une œuvre aura aussi bien incarné un lieu. Tout, à Venise, semble tiré d’un décor de cinéma : le Lido, nimbé de brume sous le soleil d’hiver ; la lagune, sombre et mystérieuse ; le Grand Hôtel des Bains, où logeaient Tadzio et Aschenbach, aujourd’hui abandonné… Tout s’accorde pour imprégner l’atmosphère d’une mélancolie diffuse, imprimer la rétine de souvenirs instantanés. Simon Liberati nous guide dans ce pèlerinage stylistique au cœur de la Sérénissime.

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Œuvre d’Antonio Canova (détail)/Museo Correr

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n 1970, après le triomphe des Damnés, Luchino Visconti, qui rêvait de Proust, tourne Mort à Venise, d’après la nouvelle éponyme du Suisse Thomas Mann. L’adaptation est d’une fidélité sidérante. Seule différence, le professeur Gustav von Aschenbach, héros écrivain chez Mann, devient musicien et reflet d’un autre Gustav, le compositeur Mahler. Je retourne aujourd’hui sur les traces de Dirk Bogarde, de Silvana Mangano et de Björn Andrésen – le merveilleux Tadzio, ange de la mort d’Aschenbach-Mahler. Depuis 1970, le monde a profondément changé, autant qu’entre 1912, date où fut écrite la nouvelle, et le tournage du film. Je vis dans ce “futur ignoble” que prédisait Visconti, marxiste ambigu. Venise est toujours aussi bizarrement statique. La lagune ne l’a pas englouti. La grisaille qui la baigne ce matin se lève

bientôt pour laisser place, comme dans la nouvelle de Mann, à un soleil apollinien. Le vaporetto numero 1 qui me conduit au Lido passe devant l’Arsenal. Voilà cinquante ans que les figurants déguisés en bersaglieri couraient sur le quai, mimant ceux à l’exercice dans la nouvelle de 1912. Sublime début sur l’Adagietto de la Symphonie n° 5 de Mahler : ambiguïté faite science, confusion du ciel, des émanations de la fumée du bateau à vapeur. “C’est au dernier instant, lorsqu’il n’est plus temps, que vient en nous l’idée de méditer” : la phrase prononcée par Dirk Bogarde à la fin du film pourrait ouvrir cette longue méditation sur la beauté et la mort. Visconti faillit mettre en exergue deux vers d’August von Platen, un poète allemand qu’admirait Mann : “Wer die Schönheit angeschaut mit Augen/Ist dem Tode schon anheimigegeben” (“Celui dont les yeux ont vu la Beauté/À la mort dès lors est prédestiné”).

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L’Osakien Tadao Ando, architecte star et grand admirateur de Le Corbusier, qu’il a découvert par hasard chez un bouquiniste.

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“Rio della Verona, quartier San Marco, je déjeune dans une cantine de gondoliers. Aucun touriste, mais des calamars roboratifs.”

Irréel Lido, tel un plateau de cinéma Rare licence du réaliste Visconti : la fumée noire de l’Esmeralda amenant le voyageur de Trieste, après son farniente raté sur l’île de Pula (encombrée de rochers et de la petite bourgeoisie autrichienne), s’arrête entre San Giorgio et la Sérénissime à quelques centaines de mètres de la place Saint-Marc. C’est là qu’Aschenbach monte dans la gondole mystérieuse “d’un noir de cercueil” qui l’emmène contre sa volonté au Lido. Jamais Vénitien n’a vu un bateau mouiller là, mais ce n’est pas important. Ce qui l’est, c’est le flou et le flux de la nouvelle de Thomas Mann que l’Italien respecte. Visconti est un obsessionnel, comme ont pu l’être Erich von Stroheim, Josef von Sternberg ou Stanley Kubrick. Il colle au texte de Mann tel un chef d’orchestre à une partition. Les marmonnements du gondolier de 1912 sont impeccablement restitués en 1970 à tel point que la nouvelle que j’ai relue pour la première fois depuis quarante ans et le film revu ce matin se mêlent et forment un puzzle affectif d’où émerge la rive du Lido. Irréel Lido qui sous ce soleil d’hiver semble avoir été vidé de ses figurants, tel un plateau de cinéma dont les décors seraient restés plantés. Pour arriver au Grand Hôtel des Bains, il suffit de suivre la rue transversale, une artère de ville d’eau qui me fait penser à Deauville ou Arcachon. Les villas sont splendides et tristes, d’autres plus modestes. L’été, les Vénitiens louent des cabines sur cette grande plage éteinte, qui maintenant m’évoque très clairement Cabourg, la Balbec de Proust. Impossible de ne pas penser à À l’ombre des jeunes filles en fleurs durant la longue et subtile séquence d’installation du professeur Ashenbach dans sa chambre du troisième étage, la 308 si ma mémoire est bonne. C’est le prélude avant l’apparition de l’ange de la mort, Tadzio (diminutif de Thaddée), dans la salle à manger de l’hô-

tel. Les jeunes filles de Balbec sont des blousons noirs à côté de cet ange fragile en costume marin. “La pâleur, la grâce sévère de son visage encadré de boucles blondes comme le miel, son nez droit, une bouche aimable, une gravité charmante et quasi divine, tout cela faisait songer à la statuaire grecque (…). Les ciseaux n’avaient jamais touché sa splendide chevelure dont les boucles, comme celles du Tireur d’épine, coulaient sur le front et plus bas encore sur la nuque…” Une insinuante mélancolie Fermé le Grand Hôtel des Bains, depuis des années, fermé le parc où Aschenbach humait les parfums du soir, fermées les cabines… La lourde façade semble avoir toujours été abandonnée. Le film de Visconti, avec son mobilier liberty trop neuf, donne trop l’impression d’un décor. Certaines scènes de dîners ou de hall ont d’ailleurs été reconstituées à Cinecitta, à Rome. Mort à Venise, avec ses zooms et ses flash-backs surannés, arrive trop tard dans la vie du réalisateur. Elle volera le succès dont il rêvait pour À la recherche du temps perdu (film qu’il n’a pas tourné, mais pour lequel il avait écrit le scénario d’après l’œuvre de Marcel Proust). Le meilleur reste les séquences de contemplation musicale, qui composent un film dans le film. Le réalisateur devient Malher. Métaphore appuyée au moment de la mort d’Aschenbach par la présence visible d’un appareil photo à chambre. Comme si la caméra était dans le champ : le corps céleste de Tadzio de venir la heurter et le réalisateur d’en mourir sur son siège. Voilà ce que le philosophe Gilles Deleuze a appelé le “trop tard” chez le réalisateur italien. Souvent, dans ses films, apparaît le moment où intervient “l’idée ou plutôt la révélation que quelque chose vient, alors qu’il n’est plus temps”. Le Guépard, Sandra ou Violence et Passion abondent de cette matière. Le temps écoulé qui a fendu le pied du diable.

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Au Lido, il est toujours trop tard. L’insinuante mélancolie du site, la couleur terre du sable (la plage est plus éloignée de l’hôtel que dans le film), les rues vides… sont celles du Temps perdu. Il faut s’asseoir près du Palais des festivals (fermé lui aussi) et des boutiques qui n’existent qu’une semaine par an, non loin des coupoles mauresques de l’Excelsior, et rouvrir la nouvelle pour mieux voir Tadzio, maintenant qu’il a disparu à jamais dans le soleil. “Aschenbach, plus encore que la veille, fut frappé d’étonnement et presque épouvanté de la beauté vraiment divine de ce jeune mortel. Le garçon portait aujourd’hui une légère blouse de cotonnade rayée bleu et blanc, qu’un liseré de soie rouge sur la poitrine et autour du cou séparait d’un simple col blanc tout droit. Mais sur ce col, d’ailleurs peu élégant et n’allant guère avec l’ensemble du costume, la tête, comme une fleur épanouie, reposait avec un charme incomparable – une tête d’Éros aux reflets jaunes de marbre de Paros, les sourcils gravement dessinés, les tempes et les oreilles couvertes par la chevelure sombre et soyeuse dont les boucles s’élançaient à angle droit vers le front.” Pour conjurer le mauvais sort – à force de fendre l’eau de la lagune, on finit par casser le miroir du ciel –, je ramasse un morceau de bois flotté. Noirâtre, inodore, lisse comme cette plage sans vie où personne ne vient à cette heure. À l’ombre blanche de la Salute Interruption du pèlerinage. Je fais une escale au cimetière de San Michele, carré orthodoxe, pour visiter la tombe d’un impresario fougueux mort à Venise. Serge de Diaghilev. Touché de voir que les danseuses accrochent toujours leurs chaussons usés sur la tombe du maître des Ballets russes. Visconti/Diaghilev : il y a une parenté. On siffle la fermeture. La nuit tombe sur le cimetière et j’attends le bateau de Murano, seul devant les croix, comme Aschenbach au cimetière de Munich (dans le prologue oublié de la nouvelle). Rio della Verona, quartier San Marco, je déjeune dans une cantine de gondoliers. Aucun touriste, mais des calamars roboratifs. On parle fort autour de moi, on boit sec, les biscoteaux roulent sous les tricots rayés. C’est là, près de ce petit canal transversal du Grand Canal, qu’Aschenbach suit Tadzio et ses sœurs. Après une heure de contemplation au Lido, Visconti aborde la ville par des plans plus serrés, jamais touristiques. Une arcade, un porche lépreux, un pont… Les très grands esthètes aiment les fragments, les choses triviales, les petits pans de mur jaunâtres qui se reflètent dans l’émeraude trouble d’un rio. Ni peinture ni plissé Fortuny, seuls un candélabre en épi et quelques bougies pour signifier la messe à San Marco. Visconti colle à Mann qui colle à son sujet : le chevalier, la mort, le diable. Je retrouve une interview du vrai Tadzio, le jeune aristocrate polonais qui fascina l’écrivain alors qu’il était en vacances en famille à Venise. Wladyslaw Moes disait se reconnaître, sa

famille et lui-même, “dépeints trait pour trait”, dans la nouvelle. Même dans la Pologne communiste, le baron Moes resta un homme élégant jusqu’à la fin de sa vie. Il s’étonna cependant toujours que son image littéraire, faite de jeunesse, de beauté, et marquée par l’Antiquité grecque, ait pu susciter une telle fascination. En cherchant l’emplacement du guichet de la Banca Commerciale Italiana où Aschenbach apprend la vérité sur le choléra, je ne peux m’empêcher de penser que la fascination a à voir avec la sorcellerie. Quelque chose s’est passé sur la mer vers 1912. Le réveil du Grand Dieu Pan. Albertine à Cabourg et Tadzio à Venise appartiennent à la même race de créatures intermédiaires. Juste avant que la guerre de 1914 ne précipite le monde dans le chaos, deux écrivains de premier plan décrivent à peu de chose près la même étrange rencontre. Avec une morbidezza ultra décadente chez l’Allemand Mann, de façon plus trouble, plus moderne et avec une profondeur d’abîme plus extravagante chez le Français Proust. Sur ces idées, je rentre dormir à l’ombre blanche de la Salute. Demain, j’irai voir le ghetto juif et le puits où Aschenbach s’effondre, terrassé par une première charge du mal. Réveil, sacristie de la Salute. Un sacristain jeune et difforme comme on n’en voit qu’ici. Merveilleux Tintoret… Noces de Cana, mise en abyme de blondeurs alignées comme à la parade. Puis, vaporetto (le traducteur français de Mann parle de “bateau-mouche”) jusqu’à l’arrêt San Marcuola. Promenade matinale sur ces lieux si sombres éclairés par les flammes dans l’avant-dernier chapitre du film. Le cauchemar s’est transformé en une douce féerie : le Campiello del Remer et son vieux puits près du Cannaregio, les ruelles du ghetto… Au loin, derrière les fondamente nuove, les montagnes bleutées. “Cortina d’Ampezzo est à deux heures, me dit un jeune Vénitien. Oubliez toutes ces histoires romantiques sur Venise… Ici, tout a changé depuis quelques années. La Biennale a donné une vie nouvelle… La ville se réveille.” Au moment de rentrer, je tombe sur la plaque que je cherchais depuis bien longtemps, à quelques mètres de la collection Peggy Guggenheim : “En questa casa antica dei Dario, Henri de Régnier, poeta di Francia, venezianamente visse e scrisse, anni 1899-1901.” Henri de Régnier, frère maladif de Thomas Mann, a une vision de Venise très proche de celle de l’Allemand. Quelques nouvelles et un joli recueil de souvenirs, L’Altana ou la Vie vénitienne, que je conseille d’emmener en excursion. C’est un bon guide des sortilèges galants, avec moins de précision et plus de sfumato que Mann et Visconti.

Par SIMON LIBERATI Photos RENATO D’AGOSTIN

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Œuvre de Giovanni De Min (détail)/Gallerie dell’Accademia


Œuvre d’Antonio Corradini (détail)/Palais des Doges

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Museo Correr (détail)

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Palais des Doges (dĂŠtail)

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Œuvre d’Antonio Canova (détail)/Museo Correr

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Basilique Saint-Marc (intérieur, détail)

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PARTIR À VENISE carnet pratique

À votre arrivée Federica, concierge Voyageurs du Monde Federica est vénitienne. Fine connaisseuse de toute l’Italie du Nord et de sa culture, elle est l’interlocutrice idéale et privilégiée pour découvrir Venise sous un regard d’initié. À la demande, elle vous aiguille vers sa trattoria préférée, vous réserve un billet coupe-file pour la Collection Peggy Guggenheim, ou vos entrées au Palais Grassi…

3 lieux

Lido Rempart naturel de la ville, l’île du Lido est le théâtre principal de Mort à Venise. La plage perpétue une ambiance surannée, particulièrement sous la brume hivernale.

• Superficie : 414,6 km² • Population : 51 298 (en 2019), soit 123,72 habitants/km2 • Mer : Adriatique • Point culminant : campanile de San Marco (98,5 m)

San Giorgio Maggiore Face à la place Saint-Marc, l’île abrite une basilique du XVIe siècle, un monastère et la fondation Cini. Une bulle tranquille sur la Cité des Doges.

Sur place À voir La Fenice. Incontournable, le célèbre théâtre mérite une soirée, ne serait-ce que pour admirer son architecture néoclassique. Verdi y a donné la première de la Traviata, Stravinsky et Prokofiev ont composé spécialement pour elle, et Visconti y a tourné. Votre conseiller (ou la conciergerie Voyageurs du Monde) peut réserver vos billets. À table Osteria alle Testiere. Un “bacaro” vénitien typique du quartier San Marco. Neuf tables en bois et une cuisine de la lagune à se damner, confectionnée en fonction de l’arrivage. À suivre… Sur les pas d’une Vénitienne cinéphile, parcourez la Sérénissime avec en fil conducteur Mort à Venise. Le Grand Hôtel des Bains et la plage de l’Excelsior, mais aussi d’autres lieux de tournage dont le ponte Storto de San Aponal, le pont du Ghetto et le Campo San Boldo.

Le chiffre L’année de sa sortie, Mort à Venise a reçu à Cannes le prix spécial du 25e anniversaire du Festival.

À lire La Mort à Venise de Thomas Mann. Nouvelle publiée en 1912 par l’écrivain allemand. À écouter La Symphonie n° 5 de Mahler, colonne vertébrale du film de Visconti et sans doute sa plus belle utilisation cinématographique. Dormir Hôtel Excelsior. Son grand décor mauresque est indissociable du Lido. D’un côté, les embarcadères ; de l’autre, la plage et ses tentes de bain. Dans les chambres, confort moelleux et décoration orientale stylisée. Shopping Attilio Codognato. À deux pas de la place Saint-Marc, le joaillier Codognato, adoré par les stars des sixties à aujourd’hui, confectionne depuis plus de 150 ans des bijoux vanités. On raconte que durant le tournage de Mort à Venise, Visconti achetait une pièce par jour.

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Campo San Boldo Son petit pont et le puits du XVIIIe siècle, reconnaissables entre mille, apparaissent dans Mort à Venise. L’arrivée par l’eau du rio San Boldo rajoute à la scène.

Focus Il Palazzo Experimental Au centre du film Mort à Venise, le Grand Hôtel des Bains, chef-d’œuvre de l’Art Nouveau tombé en désuétude, a largement contribué à la notoriété de l’île du Lido, faisant réaliser au monde entier que Venise ne s’arrêtait pas à la place Saint-Marc. Un siècle plus tard, Il Palazzo Experimental tente de renouveler l’expérience en investissant le sud du Dorsoduro, quartier résidentiel et universitaire de la Sérénissime. Installé dans un palais du XVIIe siècle, l’hôtel, décoré par la Française Dorothée Meilichzon, propose à sa façon un Venise en marge de Venise.

Inspirations

Venise avec les bambini Venise est une découverte pour tous les ados, la plage du Lido en été, les canaux embrumés en hiver, les secrets du palais des Doges… Voyageurs du Monde propose aux familles un Venise sur mesure : ateliers, grand appartement, visites personnalisées… 4 jours à partir de 900 €

L’amour à Venise Arrivée en bateau-taxi, nuit en palazzo au pied de la Salute, dîner romantique et soirée à la Fenice : un Venise amoureux à personnaliser à l’envi d’expériences purement vénitiennes. 3 jours à partir de 1 300 €.

Voyageurs du Monde 01 84 17 46 76 Des voyages zéro carbone Les émissions de CO2 générées à chacun de nos voyages sont absorbées à 100 % par des actions de reforestation.

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Le trĂŠsor de Rodrigues

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Jean-Marie Gustave Le Clézio publie Le Chercheur d’or en 1985. Issu d’une famille bretonne émigrée à Maurice au XVIIIe siècle, l’écrivain y retrace la quête folle et vaine d’un homme lancé à la recherche d’un trésor enfoui dans l’île de Rodrigues. Cette histoire est celle de son grand-père, Léon, un homme ruiné qui n’avait plus que l’espoir de retrouver l’or des pirates pour se refaire. Un an plus tard, J. M. G. Le Clézio livre le récit de sa propre enquête dans Voyage à Rodrigues, sur les traces de son grand-père et des lieux où pourrait se nicher le fameux butin. Deux textes qui interrogent le passé, celui d’une famille, mais aussi d’une île. Autrefois déserte, caillou parmi d’autres dans l’océan Indien, Rodrigues s’est peuplée au fil des ambitions, des rêves et des tragédies : marins bretons, esclaves africains, marchands indiens, négociants chinois… Tous, à leur façon, sont les descendants de chercheurs d’or. Et si sans le savoir, en arrivant à Rodrigues, le véritable trésor se trouvait déjà sous leurs yeux. Rodrigues même.

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outes les îles sont des rêves. Elles apparaissent à l’avant des navires ou sous les ailes des avions. Puis, elles s’effacent à l’horizon des sillons ou des nuages. Parenthèses sur l’océan, forcément, elles cachent des trésors. Voilà du moins ce que pensait Léon en abordant Rodrigues aux alentours de 1910. Il arrivait de la voisine Maurice, d’un autre monde de maisons, de chemins de fer, de thé et de canne à sucre. Pour une raison obscure, Léon Le Clézio avait perdu Euréka, le magnifique domaine de son père posé en pleine jungle. Ses espoirs reposaient désormais sur une carte au trésor. Il en était persuadé, quelque part à Rodrigues, se cachait la fortune du pirate Olivier Levasseur, plus connu sous le nom de La Buse. Léon devait passer trente ans à traquer l’or de La Buse sur les rives de Rodrigues. De cette obsession, son petit-fils, Jean-Marie Gustave, a tiré deux de ses plus beaux romans, Le Chercheur d’or et Voyage à Rodrigues. Deux livres qui sont aussi, à leur façon, des cartes de Rodrigues. Au XXIe siècle, l’île paraît s’étirer en s’éveillant de siècles d’isolement. À la surface des cartes, rien n’a changé. Le plan de Rodrigues indique de rares routes escarpées, des pistes cahoteuses, des criques isolées et, au loin, des nuées d’îlots déserts. Cependant, du côté de Grand Baie, un monument officiel salue l’arrivée de la fibre optique. Depuis novembre 2018, un pont virtuel relie Rodrigues au monde. Pour l’heure, l’île du Voyage de Le Clézio n’a pas beaucoup changé : “Il y a le vide du ciel, l’appel de la

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mer, les oiseaux, les lames des vacoas, cette ivresse de la pierre brûlée, de la mer et du vent qui forment Rodrigues.” Une terre jaillie d’un volcan, dont nul ne sait précisément situer le cratère. Et si Léon avait raison ? Rodrigues nous cache peut-être quelque chose… Le jardin de Jeanne d’Arc Pendant des années, sans jamais se lasser, Léon a labouré le village d’Anse aux Anglais. Ici, les gens ont de curieux prénoms. Depuis la plage, une petite allée étroite nous conduit chez Jeanne d’Arc. Au fond de son jardin, au pied d’un vieux tamarinier, s’ouvre l’œuvre de Léon : “Le trou attire les moustiques, soupire Jeanne d’Arc. Et puis, pour les enfants du quartier, voyez-vous, c’était un peu dangereux.” Alors, Jeanne d’Arc a rebouché les espoirs de Léon comme elle a pu, avec des branchages et un inextricable fouillis de broussailles. À Anse aux Anglais, nombreux vivent face aux trous du pauvre prospecteur. Celui de Jeanne d’Arc est le plus impressionnant, le puits sur lequel Léon a compté pour reconquérir Euréka. Toute sa vie, Jeanne d’Arc a toujours connu ce tombeau d’un rêve enfoui. Elle se souvient aussi des visites du petit-fils, l’écrivain Jean-Marie Gustave. Il ne manquait jamais de prendre des nouvelles de la grand-mère. Elle est morte récemment, juste avant ses 100 ans. J.M.G. s’asseyait à l’ombre du tamarinier, à la place de son grand-père, comme pour mieux éprouver sa solitude. Et il écrivait. C’est donc ici, dans le jardin de Jeanne d’Arc, au bord du gouffre de

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© Louis Monier/Bridgeman Images

L’écrivain J.M.G. Le Clézio, en 1989, en explorateur de ses propres racines.

À Sheila, l’influence omanaise se reflète dans l’architecture.

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“Le chercheur de chimère laisse son ombre après lui.” – J.M.G. Le Clézio, Voyage à Rodrigues Léon, que sont nés Le Chercheur d’or et Voyage à Rodrigues. Oui, c’est ici, face à la fosse, peut-être, que sont montés ces mots : “Dans la vallée, on entend le bruit de la mer, le vent, les cris des enfants au loin, de l’autre côté des plantations de cocos. On voit le ciel, les nuages, on est libre de penser à autre chose, d’oublier. Mais ici, l’on est enfermé dans sa propre folie, tourné vers la pierre, vers le stérile, l’infranchissable.” Au bout de la rue, au-dessus de la rivière, l’écrivain a inauguré une plaque en avril 2018. Dans le marbre, il est gravé cet extrait du Voyage : “Il y a un hors du temps, ici, à Rodrigues, qui effraie et tente à la fois, et il me semble que c’est bien le seul lieu du monde où je puisse penser à mon grand-père comme à quelqu’un de vivant. Visibles encore, comme s’ils dataient de la veille, les coups de pioche qu’il a donnés sur la paroi du ravin, au fond du cul-de-sac, à droite et à gauche.” Et si le trésor se trouvait là, sous la cuisine ou dans le potager de Jeanne d’Arc ? Jeanne d’Arc éclate de rire et fait vigoureusement non des deux mains. Ce serait pour elle la pire des nouvelles : “Si je trouvais le trésor, j’appellerais la police, s’exclame-telle. De toute façon, cet or n’est pas à moi.” Elle ajoute : “Ce trésor ne nous concerne pas. C’est une affaire d’étrangers.” Entre mythe et superstition Plus tard, tandis que le soleil décline sur la plage du Fumier, quelques Rodriguais discutent sous les filaos en regardant le kaléidoscope de l’océan valser du turquoise à l’orange. De rares baigneurs roulent leurs serviettes et referment leurs livres. Quelques biquettes s’attardent entre les rochers sombres. Un oiseau pressé file au ras de l’eau. Au loin, la houle berce les barques des pêcheurs et les vagues se brisent comme du cristal sur la barrière de corail. Dans ce paysage, un homme, un seul, ne fixe que ses pieds. Le touriste arpente la plage d’un pas de compas. En cette fin de journée, arc-bouté sur son détecteur de métaux, à la recherche de pièces oubliées et bijoux égarés, il semble passer l’aspirateur. “Je ne sais même pas où s’achète ce genre d’instrument, s’amuse un gars du coin. Ici personne n’aurait l’idée d’utiliser une telle machine !” Dans Le Chercheur d’or, Léon rebaptisé Alexis rencontre Ouma, une belle “manaf ”, descendante des “nègres

marrons”, ces esclaves en fuite ou révoltés qui ont peuplé la petite île. “Je lui parle de la cachette que j’ai trouvée sous les pierres de basalte, des signes qui indiquent ces pierres et ce ravin, mais je suis véhément et confus, et elle doit croire que je suis fou. Pour elle, le trésor ne compte pas, elle méprise l’or comme tous les manafs.” Le Chercheur d’or raconte aussi une incompréhension. Celle d’un homme qui aura mis toute une vie à réaliser que son trésor se trouvait sous ses yeux : dans le rire d’Ouma, la beauté de ce monde, la douceur et l’équilibre qui l’entouraient à Rodrigues. Au-dessus de la mer, les étoiles brillent maintenant très nettes. Le lendemain, la pluie tombe tiède sur Anse Ally. Au bar du Tekoma, Noël Allas, l’historien de l’île, allume une cigarette. “Le mythe du trésor date de 1761, explique-t-il. Les Anglais ont attaqué la flotte française, les Français se sont réfugiés dans la montagne et les Rodriguais ont pensé qu’ils avaient caché leur fortune quelque part. On ne disait pas ‘le trésor’ mais ‘l’or des Français’.” L’histoire ricoche à travers les âges. En 1901, on tire des câbles téléphoniques de l’Afrique du Sud vers l’Australie. Rodrigues sert de relais. Comme les cyclones et les marées secouent les câbles, on les arrime de chaînes scellées aux rochers. Aussitôt, le bruit se répand : ces chaînes mèneraient au trésor. “Les étrangers tentaient d’appliquer à leur recherche une logique mathématique. Par exemple, ils imaginaient que le trésor devait se trouver au sommet d’un triangle formé par trois points sur l’île, selon un angle de 45 degrés entre la plage de Trou d’argent, Anse aux Anglais et l’île de l’Hermitage. Le Rodriguais, lui, pensait que s’il méritait le trésor, il lui apparaîtrait en rêve. L’étranger a fouillé l’île méthodiquement, le Rodriguais a suivi sa superstition.” Finalement, aucune des deux méthodes n’est plus recommandable, puisque personne n’a jamais rien trouvé. Noël éclate de rire en chassant la fumée d’un geste de la main : “Exactement !” Puis, il ajoute : “Pour le petit peuple de Rodrigues, si personne n’a trouvé le trésor, c’est que personne n’était digne de le trouver.” Nous parlons encore en regardant la pluie teinter l’océan de gris. Comment Ouma aurait-elle pu comprendre l’obsession du chercheur d’or ? Jusqu’au début des années 1970, à

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Dans la pénombre d’une chambre calme ou sous un tamarinier, J.M.G. Le Clézio s’asseyait là où s’asseyait son grand-père, comme pour mieux éprouver sa solitude. Puis, il écrivait.

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Rodrigues : d’un côté de l’océan, une nature indomptée. De l’autre, un gazon ordonné.

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Rodrigues, il n’y avait même pas de banque. “On était riche de ce que l’on cultivait, pêchait ou élevait. Rodrigues n’était pas un endroit dans le monde. Rodrigues était le Monde. Pour ses habitants, au-delà de la mer, il n’y avait rien.” Puis, la télé par satellite est arrivée. Cette annéelà, se souvient Noël, Toni Braxton chantait Un-break My Heart. Du jour au lendemain, toutes les jeunes Rodriguaises ont découpé leur jupe au niveau des hanches pour aller à l’église habillées comme Toni.

vers Rodrigues, et que debout sur le pont, je sentais le navire bouger comme un animal, le passage sous l’étrave des lourdes vagues, le goût du sel sur mes lèvres, le silence, la mer.” À la fin du Voyage à Rodrigues, J.M.G. songe que le tamarinier d’Anse aux Anglais ne résistera pas au prochain cyclone. Il décrit Euréka, la maison que Léon entendait racheter grâce au trésor de La Buse, livrée aux pelleteuses et aux “promoteurs chinois”. Or, à Rodrigues, le tamarinier tient bon. Et à Maurice, Euréka est toujours là. La demeure est devenue un musée et un restaurant. Le temps d’une escale, en attendant l’avion du soir, on se promène sur la pelouse avant de déjeuner sur la terrasse. Il y a des chinoiseries dans les vitrines, des broderies sur les tables et un vieux parquet qui craque. L’ambition perdue de Léon représentait la face b de Rodrigues. D’un côté de l’océan, une nature indomptée. De l’autre, un gazon ordonné. Là-bas, le dénuement de la roche, le méli-mélo des branches, les criques azurées. Ici, un piano Pleyel, un gramophone, une salle de bains, un baquet. Puis, deux silhouettes au fond du jardin. Près du ravin, on a cru voir un grand-père raconter à son petit-fils des histoires d’îles au trésor. Les rêves d’un chercheur de chimères et d’un romancier mêlés.

Ne rien attendre, tracer sa vie Malgré tout, survit à Rodrigues une vraie tradition insulaire de l’autosuffisance. Ce que l’on trouve aura toujours moins de valeur que ce que l’on produit. Noël, qui vient de traduire Le Petit Prince en créole, cite ce proverbe : “Gâteau volé, pli bon que gâteau acheté. Mais emmbeng qui te la pêche ave de la main, pli bon qui nem carangue qui te gagne en cadeau.” En français continental : “Un gâteau volé est meilleur qu’un gâteau acheté. Un petit poisson pêché est meilleur qu’un gros poisson offert.” Ne rien attendre des autres, et soi-même “tracer sa vie” comme on dit ici. En début d’après-midi, le soleil a séché la forêt et nous sommes repartis. Le paysage ressuscite et quelques gouttes s’attardent encore sur la soie des toiles d’araignées. Du haut de la pointe Canon, on aperçoit Port Mathurin et le ponton sur lequel Jean-Marie Gustave aimait se promener lorsqu’il séjournait à Rodrigues. On dit que l’écrivain se tenait là, au bout du quai, sur ce trait d’union entre terre et mer. “Je crois que c’est hier, écrit-il dans Le Chercheur d’or, quand j’allais pour la première fois

Par ADRIEN GOMBEAUD Photos LETIZIA LE FUR

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Sur la terrasse de l’Euréka, le magnifique domaine qui appartenait aux Le Clézio et que le grand-père de J.M.G. avait perdu pour une raison obscure. Posé en pleine jungle sur la voisine Maurice, la demeure est devenue un musée et un restaurant où flâner avant de regagner l’aéroport.

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PARTIR À RODRIGUES carnet pratique

À votre arrivée Yasine, concierge Voyageurs du Monde • Superficie : 110 km² • Population : 42 000 (en 2017), soit 382 habitants/km2 • Océan : Indien • Point culminant : mont Limon (398 m)

Après des études en France, Yasine a retrouvé son île natale. Aujourd’hui, il assure le service conciergerie de Voyageurs du Monde, vous assistant tout au long de votre voyage dans les Mascareignes. Ce concierge hors pair vous recommande le meilleur des tables locales, réserve un bateau privé ou un soin dans les plus beaux spas, déniche un guide au pied levé, et vous propose des expériences adaptées à vos goûts.

3 lieux

Pointe Canon Une vue panoramique sur Port Mathurin, un canon qui n’a jamais servi et des Rodriguais qui viennent se promener et bavarder en fin de journée.

La Résidence Construite à Port Mathurin en 1873, cette jolie maison coloniale en bois blanc fut la demeure des gouverneurs jusqu’au début du XXe siècle.

Sur place À faire Marché de Port Mathurin, à Rodrigues. Les mercredi et samedi, la grande halle s’anime dès l’aurore. Les Rodriguais s’y bousculent devant des étals de fruits colorés et de poissons frais. Puis, vers 7 heures, direction le port pour un café. L’île aux Cocos Cette réserve naturelle préservée, qui rend un tiers de la surface de l’île inaccessible aux visiteurs, s’atteint en pirogue. À l’observation des oiseaux rares, on ajoute un pique-nique sur le sable et une balade aquatique. À voir Maison Euréka, à Maurice. Sur un domaine de 25 hectares, cette maison de planteurs bâtie en 1836 fut la propriété de la famille Le Clézio pendant six générations.

À table Chez Tonio. Ambiance paillote et langoustes grillées, sur fond de lagon décontracté… Dormir Tekoma. La plus chic adresse de Rodrigues. Quinze villas avec terrasses posées dans un jardin, face à une plage quasi déserte. Service impeccable et club de plongée sur place. Shopping Atelier des Frères Léopold. Une petite entreprise de vannerie familiale où l’on tisse à la main des paniers en feuilles de vacoa, de vétiver ou d’aloès. À lire Le Chercheur d’or (roman, Gallimard) et Voyage à Rodrigues (journal, Folio) de Jean-Marie Gustave Le Clézio.

Le chiffre C’est, en kilomètres carrés, la taille du lagon de Rodrigues – soit une surface deux fois supérieure à celle des terres émergées.

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Anse-Fumier Malgré son nom, elle est notre plage coup de cœur parmi toutes celles qui bordent l’île.

Focus la réserve François Leguat “Alors que le monde progresse, explique le gardien du temple Aurèle Anquetil, nous avons fait le choix de reculer.” La réserve François Leguat offre à ses visiteurs un voyage dans le temps : sur une parcelle de terre, on replante une végétation disparue depuis l’arrivée de l’homme sur l’île. Les tortues géantes qui peuvent peser jusqu’à 250 kilos et vivre plus d’un siècle seront sans doute l’une des plus belles rencontres de votre vie.

Inspirations

D’une île à l’autre L’île Maurice a plusieurs visages et Voyageurs du Monde s’intéresse au plus discret – sans bouder le lagon, mais toujours à travers une sélection d’adresses intimistes. Rodrigues, quintessence de l’île secrète, invite à explorer ses marchés, s’essayer au kitesurf ou égrainer les plages. 13 jours à partir de 3 400 €.

Rodrigues, avec un Like a local Vous rêvez de découvrir le(s) trésor(s) de Rodrigues ? Voyageurs du Monde vous accompagne grâce à des guides francophones qui s’adaptent à vos envies : balade culturelle, tyrolienne, observation des tortues… Rodrigues ne manque pas d’inspiration. Voyageurs du Monde 01 84 17 70 91 Des voyages zéro carbone Les émissions de CO2 générées à chacun de nos voyages sont absorbées à 100 % par des actions de reforestation.

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Vue plongeante sur la piscine du Bastion, résidence réanimée par le décorateur Christophe Decarpentrie et le designer Abel Naessens.

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Garden party à Taroudant

Entre le Haut et l’Anti-Atlas, Taroudant séduit paysagistes, décorateurs, artistes et passionnés d’un Maroc authentique. Garants fidèles d’une architecture traditionnelle, ils conçoivent des résidences raffinées et d’incroyables univers botaniques aux variétés capables de résister à l’assèchement progressif de la région. 117

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alousement gardée et préservée, Taroudant, qui plante ses remparts de 7,5 kilomètres jalonnés de tours et de bastions entre le HautAtlas et l’Anti-Atlas, est la nouvelle favorite des amoureux assidus du Maroc. Ses adeptes louent sa simplicité, savourent le calme de ses rues badigeonnées de rose poussière et de ses souks, aux antipodes du tumulte et des paillettes, où ils déambulent dans l’indifférence générale. Seule la place Assarag et ses cafés-restaurants ombragés s’animent le soir venu. À la carte de chaque enseigne : brochettes, taginesfrites et méchouia de légumes. Les plus grandes fêtes ont lieu généralement lors de matchs de football, au pied des remparts, sur lesquels les gamins grimpent pour jouer les supporters hurlants et chantants. Ville berbère depuis ses origines – les maisons de sa médina en pisé (construction en terre crue), presque austères, s’imbriquent derrière de hauts murs que patios et riads égayent de fleurs, d’arbres et d’eaux vives –, Taroudant est aujourd’hui autant un état d’esprit qu’une destination.

dans une ancienne oliveraie jadis exploitée en coopérative par les paysans, ils ont imaginé Dar al Hossoun. Ce lieu, à la fois résidence et bureau d’études, est devenu un garden lodge écoresponsable unique au Maroc, où chambres et suites aux lignes contemporaines, cachées derrière des murs en pisé, sont connectées à des patios cernés de toutes sortes de végétations expérimentales (près de 1 000 variétés de plantes). Partis s’installer au Mexique, Ossart et Maurières ont vendu la propriété – mobilier, collections et conseils amicaux compris – à Ollivier Verra, un ancien industriel français, affectueusement surnommé “Docteur Dolittle” pour ses incessants échanges avec une faune domestique foisonnante elle aussi. Tortue discrète, paons et crapauds tonitruants, chats et chiens ensommeillés, tout ce joli monde s’épanouit autour de deux bassins longilignes, et s’aventure sous les frondaisons touffues d’un profond jardin enfoui. D’autres ont également œuvré à ces mirages improbables, tel Marc Belli, directeur artistique et photographe parisien. Après avoir installé en 2011 son délicieux riad, DarZahia (du nom de son épouse et inspiratrice), au fond d’une impasse tranquille de la médina, il souhaite vivre et dormir en prise directe avec la nature… À quelques minutes à vélo, il investit une parcelle de 4 000 mètres carrés où il développe avec une fantaisie maîtrisée un jardin aux compositions dignes du Douanier Rousseau. Il y mêle le graphisme noueux des euphorbes aux bouquets de lances des cactus estompés par des nuages de graminées, et plante cinq pavillons sur pilotis et aux cloisons coulissantes en nattes de jonc, inspirés des maisons de thé japonaises. Un long couloir de natation-bassin d’irrigation bleu Majorelle tranche sur une trentaine de mètres le fouillis végétal et métamorphose le jardin de DarZahia en manifeste land-art. Séduit lui aussi, le décorateur belge Christophe Decarpentrie raconte comment il a redécouvert Taroudant fin 2001 : “Un caléchier merveilleux, que tout le monde appelait Moulay Omar, me montre des maisons à vendre. Je les déteste toutes. Je lui dis, cher Omar, j’aime la simplicité du bled, mais je n’aime pas m’isoler à la campagne. Trouvez-moi une ferme en bordure de la médina et d’où

Artisans de mirages ouvragés L’engouement d’architectes et paysagistes tels qu’Éric Ossart et Arnaud Maurières, qui arpentent la ville et ses alentours depuis la fin du siècle dernier, en dit long. Leur attachement pour ces lieux est l’occasion d’un hommage aux maçons, ces artisans de la terre crue, qu’ils ne manquent pas de souligner dans leur livre Maisons en terre (2012). Le savoir-faire du duo fait le bonheur des nouveaux arrivants qui, entre ville et campagne, font construire ou réhabiliter des demeures en terre, de la plus modeste à la plus grandiose (un palais pour Farah, l’ancienne impératrice d’Iran). Ossart et Maurières y déclinent le vocabulaire architectural vernaculaire des berbères et renouent les liens quasi charnels qui unissent ces derniers à la terre. Une terre aride qui pousse d’ailleurs les environs de Taroudant vers la désertification… Ainsi, pour faire face au réchauffement climatique et à la diminution des ressources en eau, Ossart et Maurières entourent leurs maisons de plantations “intelligentes”, et expérimentent les jardins de demain. Aux portes de la ville,

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Blouse blanche en gabardine de coton épais et élégance toute japonaise pour Yasuhiro Shiota, dans l’atelier parisien de la maison Aubercy.

Le dimanche, les rythmes effrénés des musiques de l’Houara résonnent dans l’oasis de Tiout.

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Les merveilleux décors délaissés de l’Hôtel Taroudant, ancien rendez-vous des expatriés.

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Le jardin de DarZahia, dont les cactus se reflètent dans un bassin-piscine bleu Majorelle.

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“Une certaine insouciance, une légèreté d’être, règne ici.” – Karl Morcher, propriétaire de la Tour des faucons

l’on voit les montagnes de l’Atlas.” La maison d’un cousin d’Omar remplit miraculeusement tous les critères. Christophe Decarpentrie y bâtit le Bastion, une première demeure réanimée par ses visions de pacha munificent. Suivront le Jardin, la Maison des Palmiers, le Petit Palais et la Berberie, élégante maison d’amis. “J’ai rêvé mon Maroc berbère. Pour m’y aider, j’avais à mes côtés mon ami et designer Abel Naessens, l’homme des détails raffinés et des proportions justes. C’est lui qui dessine tous les bâtiments et suit les chantiers.” Seule la Tour des faucons, de son ami Karl Morcher, reconstruite en 2004, peut rivaliser avec les démonstrations stylistiques de Decarpentrie. Son architecture berbère épurée aux proportions de palais minimaliste, imaginée par Hervé Pouzet des Isles, est une toile de fond parfaite pour une collection très personnelle de peintures et de meubles : Viallat ou Tal Coat, Survage, Mac’ Avoy voisinent avec des fauteuils d’Eugène Vallin de l’École de Nancy, une commode précieuse d’André Sornay et un canapé turquoise de Zanotta (1980). Karl Morcher explique : “J’ai laissé derrière moi une vie de manager dans une des plus grandes sociétés pharmaceutiques du monde pour vivre ici autre chose… Une certaine insouciance, une légèreté d’être, y règne.” Dialoguant avec cette traversée artistiques du XXe siècle sous influence berbère, il collectionne aussi les étonnantes sculptures en céramique de son amie Stephenie Bergman.

gieuse Saint Martins College of Art and Design en 1967, la jeune femme travaille alors le textile, avant de découvrir l’argile qui deviendra son matériau préféré. Artiste majeure, dont les wall drawings aux traits de céramique en relief développent le sens d’un déséquilibre maîtrisé, elle est collectionnée dans le monde entier. Mais, les plus étonnants assemblages de ses œuvres sont visibles chez ses amis de Taroudant, notamment dans l’impeccable demeure du décorateur et collectionneur de tapis François Gilles. Situé au cœur de la ville, Sidi Hussein est un ancien fondouk (un caravansérail pour marchands nomades), augmenté de trois parcelles, que François Gilles a restructuré durant quatre ans en compagnie de ses incontournables complices – encore eux –, Éric Ossart et Arnaud Maurières. Il s’installe en 2011 dans cette interprétation contemporaine d’une architecture berbère aux volumes habilement imbriqués qui permet à ses résidents de profiter de refuges très privés sur trois étages. Les terrasses ocres paysagées entourent la piscine et un superbe patio tapissé de bejmats émeraude (briquettes en terre cuite vernissée) accueille une grande table sertie d’un zellige orange (carrelage céramique). Aux murs et un peu partout brillent les inexhaustibles variations lumineuses des créations de Stephenie Bergman. Au-dessus de la cheminée, un miroir fragmenté démontre encore sa virtuosité créative.

Céramique, bejmat, zellige et virtuosité créative Devant la porte de sa ferme-atelier, non loin de la ville, les chèvres du voisin de Stephenie Bergman broutent de maigres arbustes. Tous ses murs, d’une architecture paysanne dépouillée jusqu’à l’épure, sont enduits d’un mélange de terre, de chaux, d’eau, et surtout de paille – dont les brins dorés accrochent la lumière faisant ressortir les céramiques ludiques qu’elle y insère. Venue à Taroudant en 2007 pour un projet, elle y passe depuis les deux tiers de son temps. Diplômée de la presti-

Les wall drawings en céramique de Stephenie Bergman (1) ; le salon de la Tour des faucons, propriété du collectionneur Karl Morcher (2) ; ceintures berbères chatoyantes chez l’artiste Odile Rosso (3) ; terrasses, claustra et murs de pisé pour la magnifique maison du décorateur François Gilles (4).

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Détente botanique entre la piscine et les somptueux jardins du garden lodge Dar al Hossoun.

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Sur la route de la Vallée des cédrats, à Tourght, les paysages spectaculaires défilent. Au sommet d’un ancien volcan entaillé par une carrière abandonnée de marbre travertin, de gigantesques blocs se télescopent avec le ciel. Désert surréaliste.

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Dans la galerie de la maison d’Arnaud et Jérôme, les portraits des deux derniers rois du Maroc veillent sur un décor néocolonial.

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Chez le décorateur François Gilles, dans le patio, bejmats émeraude au sol et table en zelliges font la fête aux oranges.

L’évidence berbère Dans la médina, la découverte du quartier populaire de Derb Akka réserve encore de belles surprises. Odile Rosso fut la première étrangère à s’y installer seule. La porte bleue de sa maison de poupée s’ouvre sur une petite cour fleurie. Tout, ici, porte les traces minutieuses des mains voletantes d’une artiste secrète vivant au cœur d’un jardin magique qu’elle a planté de roses et de géraniums, au-dessus desquels des fanions de prière tibétains flottent avec légèreté. Dans son atelier, elle transforme par petites touches colorées une vieille peau de bique en cape des mille et une nuits. Ses dessins d’une minutie extrême s’inscrivent dans des cercles énigmatiques et représentent, assure-telle, les états éphémères de son cerveau. Ses visiteurs repartent envoûtés, emportant avec eux quelques herbes bénéfiques, des vœux joyeux et les souhaits fantasques de cette fée-bonne copine. Dans leur maison de la Kasbah, Arnaud (paysagiste) et Jérôme (avocat) ont eux aussi adopté le mode de vie berbère. Comme une évidence. Depuis 2003, ils séjournent dans une demeure aux terrasses cernées par les palmes vernissées du jardin des remparts. À l’intérieur, ils ont retrouvé les charmes discrets d’un décor

néocolonial chinant meubles et objets modestes chez l’incontournable antiquaire du Haut-Atlas Lahoucine Lichir. De ses voyages, Arnaud ramène de nombreuses graines et boutures dont il surveille la croissance dans des pots de terre cuite soigneusement alignés – parfait contrepoint graphique aux touffes des palmiers qui frissonnent dans la brise. Ces amoureux de la nature, défiant la sécheresse menaçante – le Souss a surexploité les nappes phréatiques pour l’agriculture industrielle, et le ciel s’obstine à retenir son or bleue –, s’acharnent à recréer leurs visions fragmentées du jardin d’Éden, dans un Taroudant verdoyant qui devrait survivre grâce aux soins attentifs de ses habitants, roudanis d’origine ou d’adoption. Une certitude quasi mystique face à la beauté crue, comme la terre, de cet autre Maroc.

Par JEAN-PASCAL BILLAUD Photos MAT THIEU SALVAING

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FraÎcheur et confort d’un salon ouvert, sous les arches et les plafonds traditionnels du Dar al Hossoun.

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En terre crue, accroché aux pentes du Haut-Atlas, à quelques kilomètres de Taroudant, le plus grand rucher collectif du monde.

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Pour se réveiller au chant des nombreux oiseaux, les pavillons du jardin de DarZahia, imaginés par Marc Belli, s’ouvrent totalement sur la nature.

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PARTIR À TAROUDANT carnet pratique

À votre arrivée Aimy, concierge Voyageurs du Monde Basée à Marrakech depuis plusieurs années, Aimy connaît bien toute la région et maîtrise les subtilités de la communication marocaine. Cela permet d’ouvrir des portes, de conseiller la plus belle balade, de trouver sans hésiter les bons artisans. Discrète et disponible, elle distille une aide précieuse tout au long de votre voyage.

3 lieux

Vallée des cédrats Un canyon aux agrumes sacrés et sucrés. À explorer au rythme lent des muletiers du village isolé de Tamguinsift, situé au bout d’une route pleine de surprises.

• Superficie : 446 550 km² • Population : 35 481 848 (en 2019), soit 79,45 habitants/km2 • Littoral : 1 835 km • Point culminant : djebel Toubkal (4 167 m)

Oasis de Tiout Des champs verdoyants, alimentés par les sources de l’Anti-Atlas, s’étendent à l’ombre de palmiers centenaires dominés par une kasbah menacée de s’effriter.

Sur place À voir Le palais de Claudio Bravo. À trente minutes de Taroudant, le peintre chilien a installé dans les années 1970 un palais dont les patios reconstituent d’étonnants mondes miniatures (Italie, États-Unis, Cuba, Madagascar et Maroc. À faire Les villages berbères Perchés dans les hauteurs de l’Atlas, ils préservent le savoir-faire de l’architecture traditionnelle. Accompagné d’un spécialiste, c’est aussi l’occasion de chiner tapis, poteries, vanneries qui habillent les belles demeures de Taroudant. Dormir Dar al Hossoun. Un garden lodge aux architectures berbères dépouillées, environné de jardins extraordinaires.

DarZahia. Détails poétiques ou malins rendent la vie douce dans ce riad et sa table d’hôtes au cœur de la médina. Dans le jardin, à dix minutes à vélo de la maison, Marc Belli harmonise sommeil zen et découverte d’une nature métissée. Un duo gagnant. Shopping Galerie Lichir. Installé au n° 61 du souk el-Kebir, il sans doute l’antiquaire le plus représenté chez les expatriés. Lahoucine Lichir joue aussi les décorateurs d’intérieur dans des maisons qu’il a souvent lui-même dénichées. À lire Éloge de l’aridité : un autre jardin est possible d’Éric Ossart et Arnaud Maurières (beau livre, Éd. Plume de Carotte), Maisons en terre d’Éric Ossart et Arnaud Maurières, photos de Roland Beaufre (Éd. du Chêne).

Le chiffre À 2 ou 3 près, le nombre de variétés de plantes présentes dans l’espace botanique de l’hôtel Dar al Hossoun.

1 000

Rucher géant d’Inzerki Piqué au flanc d’une vallée fertile, le “plus grand rucher collectif du monde” empile sur six étages des milliers de ruches en pisé et en bois.

Focus sur les jardins Taroudant est un jardin. Ou plutôt un patchwork de jardins, arides ou luxuriants, publics ou privés. Dans cette seconde catégorie, on ne peut que succomber à la créativité hors pair d’Éric Ossart et Arnaud Maurières, à l’origine d’une trentaine d’espaces verts. Les deux plus célèbres restent Dar al Hossoun, jungle profuse, et Dar Igdad, savante savane. À expérimenter également : le patio du parc de l’église. Citronniers, pamplemoussiers, ficus géants invitent tout simplement à se poser à leur ombre.

Inspirations avant de grimper dans les hauteurs de l’Anti-Atlas pour rejoindre Taroudant. 10 jours à partir de 2 400 €. Voyageurs du Monde 01 84 17 21 68 Océan, kasbah et dunes Voyageurs du Monde propose une grande expérience du Sud marocain, loin des classiques. Partant des rivages de l’Atlantique, au cœur d’une réserve naturelle, passant par Mirleft et Guelmim,

Des voyages zéro carbone Les émissions de CO2 générées à chacun de nos voyages sont absorbées à 100 % par des actions de reforestation.

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Kiji, l’île sainte

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février — kiji

Dans le no man’s land de blanc et de gris de la république de Carélie, l’œil s’illumine dès l’apparition des coupoles argentées et des icônes colorées du pogost de Kiji. Considéré par les Caréliens comme la huitième merveille du monde, cet ensemble paroissial bâti entre les XVIIIe et XIXe siècles, constitué notamment de deux églises en bois, est unique en son genre. Un chef-d’œuvre architectural, une passerelle à la fois frontalière – la Finlande est toute proche – et temporelle. Car c’est aussi un voyage dans le passé qu’offrent Kiji et ses environs. Au gré d’une chevauchée sauvage motorisée, les isbas, désertées au siècle dernier et restaurées afin de faire revivre l’époque aux visiteurs, se dévoilent. Pour pénétrer dans ce musée à ciel ouvert posé en terres polaires, il aura fallu gagner Petrozavodsk, la capitale, à plus de mille kilomètres au nord de Moscou, et traverser l’Onega, un lac grand comme une mer. Ça n’est qu’ainsi que la magie opère.

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février — kiji Bâtie en 1764, sans un seul clou, l’église d’hiver (chauffée) du pogost de Kiji. Dédiée à l’Intercession de la Mère de Dieu, elle est surmontée de neuf dômes étincelants.

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a veille encore, dans une ancienne friche industrielle de l’île Vassilievski, au centre de Saint-Pétersbourg, une faune hipsterique, jupes courtes et barbes longues, se pressait pour voir les œuvres d’un artiste contemporain vénéré. Vingt-quatre heures plus tard, le monde russe moderne s’était évanoui. Quatre cents kilomètres plus au nord, Petrozavodsk, capitale de la République de Carélie, posée sur les rives du lac Onega, marque la frontière entre deux mondes : slave et européen (d’ici, Helsinki est plus proche que Moscou) mais aussi passé et présent. Fondée par Pierre le Grand en même temps que Saint-Pétersbourg, cette ancienne cité métallurgique est loin d’en avoir le charme. Son intérêt est ailleurs. Comme le rappellent les statues de Lénine, Pouchkine, Marx et Engels, Petrozavodsk est une passerelle vers la Russie d’antan. En été, hydroglisseurs et bateaux de croisière sillonnent le troisième plus grand lac d’Europe, naviguant entre des milliers d’îles couvertes de pins et de bouleaux. Parmi elles, une focalise particulièrement l’attention : Kiji. Ce pointillé terrien d’à peine sept kilomètres carrés abrite à l’extrémité sud un pogost (un enclos paroissial) qui réunit deux églises monumentales et un clocher octogonal, construits entièrement en bois. Pas un seul clou ne fut utilisé, selon la légende du père Castor qui, après avoir taillé l’édifice dans les sapins et les peupliers tremble, aurait jeté sa hache dans le lac. La version officielle reconnaît le savoir-faire des charpentiers de l’époque et confesse quelques clous dans la partie sommitale. Qu’importe, ce lieu de culte et de vie destiné à offrir refuge aux orthodoxes de la région, aux côtés des communautés païennes et chrétiennes, face à la rudesse du climat, reste un chef-d’œuvre architectural unique. L’église de la Transfiguration du Seigneur, érigée en 1714 sur les cendres d’une cathédrale frappée par la foudre ; l’église de l’Intercession de la Mère de Dieu, moins imposante, destinée autrefois à accueillir les fidèles durant l’hiver, construite à côté de celle de la Transfiguration en 1764 ; et le clocher actuel datant lui de 1863 sont désormais classés au patrimoine mondial de l’Unesco. Le pogost de Kiji est considéré par les Caréliens comme la huitième merveille du monde. À la belle saison, les visiteurs

débarquent par milliers, perches à selfie à la main, pour s’immortaliser sous les bulbes grisés des deux églises. Aujourd’hui, lorsque le lac gelé efface les contours de l’île, que les dômes se confondent avec les pins poudrés de blanc, Kiji devient le gardien d’un autre voyage. Sa population se résume alors à une poignée de bucheronscharpentiers missionnés pour la restauration des églises, quelques pêcheurs (au trou), et deux gardes fédéraux en charge de la sécurité du musée à ciel ouvert. Engoncés dans leurs uniformes, ils ont conservé le réflexe de procédure. Comme si l’ère soviétique à laquelle ces églises ont échappé, restait figée là, juste sous la glace. Au village de Vassilievo, chef-lieu de Kiji, certains anciens pensent d’ailleurs que le président en exercice se nomme toujours Brejnev (mort en 1982). Quelle différence au fond sur le prix de l’esturgeon soutiré au lac ; celui du gibier, des champignons et des airelles prélevés dans les sousbois ? Si le XIXe siècle est arrivé jusqu’à Petrozavodsk, il s’efface au fur et à mesure que l’on s’enfonce au nord… Kedrozero, bourgade abonnée aux températures négatives de décembre à mars, marque le point départ d’un raid à motoneige vers Kiji. Le jeune pilote local affiche sur son téléphone portable une photo de son acteur français préféré : Jean Marais. La machine file à la surface ondulée du lac, se glisse entre les futaies. Une chevauchée blanche et sauvage, ponctuée de “villages” réduits à quelques isbas abandonnées au siècle dernier, lorsque les fidèles délaissèrent les églises pour un emploi à Léningrad. Certaines de ces maisons en bois, aux façades finement travaillées, ont été reconstituées autour du pogost de Kiji. Les intérieurs racontent la vie sobre des fermiers orthodoxes et prouvent la relativité du confort dans le grand no man’s land blanc. Alors, s’abriter sous une nef de bois par -13 °C, voir son souffle s’élever vers des icônes colorées, imaginer les prières brisant le silence ouaté, et se sentir revigoré par la solitude poétique d’un lieu hors du temps.

Par BAP TISTE BRIAND Photos PAOLO VER ZONE/V U'

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Intérieur de l’église Saint-Nicolas Les crêtes du mont Kenya, omniprésentes le-Thaumaturge, chef-d’œuvre depuis chaque pièce en de l’Arijiju. bois du XVIIIe siècle, dans le village de Youjnii Dvor. Sur le parcours, Sennaya Gouba (3) et ses environs (4), que l’on traverse en motoneige.

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Dans l’église de l’Intercession de la Mère de Dieu, sur l’île de Kiji (1), où spectacles en costumes traditionnels et maisons reconstituées autour du pogost racontent la vie sobre des fermiers orthodoxes des siècles derniers (2).

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L’église de l’Intercession abrite une iconostase majeure composée de 102 représentations.

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2 Villages poudrés de blanc de Pegrema (1) et de Youjnii Dvor (2). Vue de l’église Saint-Nicolas-le-Thaumaturge, à Youjnii Dvor.

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Un temps à pêcher sur le lac Onega. À la basse saison, l’église de la Transfiguration du Seigneur (1714) fait peau neuve. Une restauration opérée selon des techniques ancestrales.

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Le marbre, extrait de la carrière de Ruskeala, a notamment servi à la construction de nombreux édifices de Saint-Pétersbourg.

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février — kiji

PARTIR À KIJI carnet pratique

À votre arrivée La conciergerie Voyageurs du Monde

• Superficie Carélie : 180 520 km² • Population : 629 875 (en 2016), soit 3,5 habitants/km2 • Lacs : 60 000 en Carélie, dont l’Onega et le Ladoga sont les plus grands d’Europe. • Température moyenne : 2,6 °C à Petrozavodsk

Installé à Saint-Pétersbourg et agissant sur tout le territoire, le service conciergerie Voyageurs du Monde répond in situ à vos demandes, des plus courantes aux plus personnalisées. Un relais bien utile lorsque vous quittez les pistes parcourues, comme ici dans la région de Kiji.

3 lieux

Pegrema Une escapade à motoneige au départ de Kedrozero permet de rallier certains villages abandonnés des alentours. Ambiance bout du monde garantie.

Youjnii Dvor Quelques isbas et une église (SaintNicolas, elle aussi bâtie entièrement en bois), le village offre une belle expérience de la Carélie profonde.

Sur place À faire Le bania. La version russe du bain à vapeur est un incontournable décontractant. Le rituel consiste à passer d’une étuve (en bois) à l’eau gelée du lac après s’être flagellé avec des branches de bouleau… À table La gastronomie carélienne. Dictée par l’environnement et inspirée par la proximité de la Finlande, la cuisine traditionnelle se compose de poissons, grillés ou en soupe (kalakeitto), de gibier, baies, champignons et galettes de seigle ou sarrasin fourrées. À lire De Paris à Astrakhan (Voyage en Russie) d’Alexandre Dumas (1859-1862, récit de voyage, Bartillat).

Dormir Belmond Grand Hotel Europe, à Saint-Pétersbourg. Palace indissociable de l’histoire de la cité. Il est particulièrement réputé pour son design intérieur et son bar à caviar. De bon goût avant la simplicité carélienne. Kijskaia Blagodat, à Ersnevo. Sur les bords du lac Onega, cette maison d’hôtes offre une vue panoramique sur les bulbes du pogost de Kiji. Adresse familiale (depuis quatre générations), avec chambres, mobilier en bois, cuisine locale et bania. À voir L’écomusée de Kiji. Créé en 1966, il réunit chapelles, maisons, moulins, et fermes (au total 68 édifices) reconstituant l’architecture et le mode de vie des Caréliens aux XVIIIe et XIXe siècles.

Le chiffre En mètres, c’est la hauteur de l’église de la Transfiguration, mesurée jusqu’à sa coupole sommitale. L’église est dotée de 22 coupoles au total. Une structure exceptionnelle qui vaut à l’ensemble de figurer au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1990.

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Carrière de Ruskeala Abandonnée lors de la chute de l’URSS, puis restaurée en 2007, elle est devenue l’un des rares pôles touristiques de la région.

Focus Petrozavodsk La capitale de la république de Carélie, située à plus de mille kilomètres au nord de Moscou, borde le lac Onega. Son destin, impulsé par Pierre le Grand, puis Catherine la Grande, fut d’abord industriel– en témoignent les anciennes fonderies qui alimentèrent divers conflits. Plus paisibles, les rives du lac et les demeures néoclassiques qui ont inspiré entre autres voyageurs le poète Alexandre Pouchkine. Enfin, une population estudiantine et la proximité de la Finlande lui confèrent un aspect européen plutôt agréable.

Inspirations

La Carélie en hiver Voyageurs du Monde propose une pure expérience de la Carélie hivernale. Au départ de Saint-Pétersbourg, vous gagnez Petrozavodsk en train rapide (en cinq heures) avant de rejoindre Kedrozero.

À la saison froide, un raid à motoneige permet de rejoindre Kiji. Un guide vous initiera alors aux rudiments de la conduite sur glace. Une escapade blanche d’une journée qui permet d’explorer les villages et églises en toute liberté. 7 jours à partir de 2 800 €. Voyageurs du Monde 01 84 17 21 61 Des voyages zéro carbone Les émissions de CO2 générées à chacun de nos voyages sont absorbées à 100 % par des actions de reforestation.

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Robert Redford dans Les Hommes du Président d’Alan Pakula (1976). En arrière-plan, le Capitole, situé à Washington, D. C. Lire p. 152.

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WASHINGTON SUPERSTAR Au centre de la vie politique américaine, Washington s’est taillé depuis plusieurs décennies une place de choix sur grand écran. Promenade cinéphile dans la ville qui a vu naître L’Exorciste et Taxi Driver.

ertains surnomment Washington D. C. “le Hollywood de la Côte Est”. Il est vrai que les deux villes affichent de nombreuses similitudes. À Los Angeles, si tout tourne autour de l’industrie du divertissement, à Washington c’est la politique qui l’emporte. Les politiciens y sont traités comme des stars de cinéma, et lobbyistes, avocats et journalistes font office d’agents, de managers et de chroniqueurs mondains. De plus, le potentiel cinématographique de Washington n’est plus à démontrer. La ville a en effet servi de toile de fond à beaucoup de grands classiques du septième art.

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Revenir sur les lieux de scènes cultes offre au visiteur la possibilité de vivre une sorte de pèlerinage en se fondant dans les décors de leurs films ou séries préférés (cf. House of Cards, bien qu’elle ait été essentiellement tournée en studio près de Baltimore). Cela constitue donc un excellent prétexte pour réserver de ce pas son prochain billet en direction des États-Unis. Mais pas d’inquiétude : le climat politique actuel, les frasques de Trump et les présidentielles de 2020 devraient inspirer encore longtemps scénaristes et réalisateurs, et continuer à faire de D. C. le théâtre d’intrigues hâletantes. To be continued…

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Jodie Foster, alors âgée de 12 ans, incarne Iris, une prostituée mineure que le personnage joué par Robert De Niro sauvera des griffes de son proxénète.

© Granamour Weems Collection/Alamy Stock Photo

Travis Bickle (Robert De Niro) aurait inspiré John Hinckley Jr. dans sa tentative d’assassinat du Président Reagan, en 1981.

FILM

Taxi Driver (1976) de Martin Scorsese Taxi Driver raconte l’histoire de Travis Bickle (Robert De Niro), chauffeur de taxi new-yorkais à qui des insomnies chroniques font peu à peu perdre pied. Travis rencontre une femme qui travaille sur une campagne électorale (Cybill Shepherd), son obsession pour elle le mènera à fomenter l’assassinat du candidat à la présidentielle.

Où dormir ? WASHINGTON HILTON HOTEL Scène de la tentative d’assassinat du Président Reagan 1919 Connecticut Ave NW Washington, D. C. 20009 Personne n’était plus fan du film que John Hinckley Jr, un ermite psychopathe vivant aux environs de Washington, obsédé par

l’actrice Jodie Foster (qui jouait dans le film). Déterminé à attirer l’attention de Jodie Foster et à gagner son affection, Hinckley s’inspira du personnage de De Niro et tira sur le Président de l’époque, Ronald Reagan. Le 30 mars 1981, il se rendit au Hilton de Washington où le Président faisait une allocution. Alors que Reagan regagnait le cortège motorisé devant l’hôtel, Hinckley lui tira dessus, le blessant ainsi que trois autres personnes. Il fut jugé innocent en raison de sa condition mentale. Aujourd’hui, une plaque rappelle l’endroit où l’incident s’est produit. Où manger ? THE RIGGSBY (à l’intérieur de l’hôtel Kimpton Carlyle) 1731 New Hampshire Ave NW Washington, D. C. 20009 Situé au sous-sol de l’hôtel Art déco Carlyle, dans le quartier de Dupont Circle, avec son

entrée en forme de serrure géante, le Riggsby est un restaurant à l’ancienne, ambiance feutrée, banquettes circulaires et cuisine traditionnelle américaine concoctée par le chef de renom Michael Schlow. On y conspire à voix basse en sirotant des cocktails – le cadre se prête parfaitement aux cachotteries, scandales et autres assassinats. Lecture conseillée Avant de vous y rendre, vous pourriez lire Rawhide Down: The Near Assassination of Ronald Reagan de Del Quentin Wilber (en anglais, non traduit en français, 2011). C’est l’ouvrage de référence sur la tentative d’assassinat du président Reagan. Tout y est, l’état mental de John Hinckley Jr, la façon dont Ronald Reagan a failli succomber (la balle est passée à un centimètre du cœur), et le rôle du film de Martin Scorsese dans les événements qui ont marqué la présidence Reagan.

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Pentagon Papers (2017) de Steven Spielberg Les Pentagon Papers désignent une étude classée top secret, commandée par le département de la Défense situé dans le Pentagone. Le film décrit l’histoire des relations politiques et militaires entre le Vietnam et les États-Unis, de 1945 à 1967. En 1971, Daniel Ellsberg, un employé au Pentagone, rend publics des rapports secrets accablants pour le gouvernement en les donnant au Washington Post et au New York Times. D’abord accusé de complot, d’espionnage et de vol de documents appartenant à l’État, il vit ces poursuites abandonnées après que les journalistes enquêtant sur le scandale du Watergate eurent découvert que des membres de l’administration Nixon avaient ordonné à des agents de discréditer Ellsberg par des moyens illégaux. Le film, mettant en scène Meryl Streep et Tom Hanks, se concentre sur un groupe d’employés du Washington Post dans un bras de fer avec le gouvernement fédéral pour publier les documents. À visiter LE PENTAGONE

de Martin Luther King, aboutissant aux accords sur les droits civiques (Civil Rights Act). Le film biographique All the Way (slogan de campagne de Johnson pour l’élection présidentielle de 1964), avec Bryan Cranston (Breaking Bad), relate entre autres cet épisode. Les cinéphiles se rappelleront aussi sûrement que le Pentagone servit de décor au film No Way Out (Sens unique, 1987), avec Kevin Costner. Le lieutenant qu’il incarne devient la proie d’une chasse à l’homme orchestrée par Gene Hackman, dans le rôle du secrétaire de la Défense, qui essaie de couvrir un meurtre.

Où manger ? ISLAND TIME BAR AND GRILL George Washington Memorial Pkwy Arlington, Virginia 22202 À côté de l’île et de son petit bois, se trouve la Columbia Island Marina, minuscule marina qui accueille le Island Time Bar & Grill. On peut s’y régaler d’une guédille au homard (un pain façon hot-dog rempli d’herbes, mayo et de homard émietté) dans le patio, à l’ombre du Pentagone.

Meryl Streep et Tom Hanks, respectivement première femme directrice de la publication, et rédacteur en chef du Washington Post, cherchant à faire éclater un scandale d’État.

© Entertainment Pictures/Alamy Stock Photo

Il est possible d’organiser une découverte du Pentagone, mais il faut réserver quatorze jours à l’avance pour des raisons de sécurité. Vous aurez droit à une visite privée du siège de la Défense américaine, et pourrez arpenterer les mêmes couloirs qu’Ellsberg. Le Pentagone est le plus grand bâtiment administratif du monde, alors prévoyez de bonnes chaussures : vous marcherez beaucoup. À l’extérieur, on peut aussi voir le mémorial érigé en l’honneur des 184 personnes tuées par le crash du vol 77 d’American Airlines lors de la tristement célèbre attaque terroriste du 11 septembre 2001. En sortant du Pentagone, on peut traverser une passerelle reliant le parking du bâtiment au Lyndon Baines Johnson Memorial Grove (attention, le parking est gigantesque alors n’oubliez pas de noter votre position. Il existe aussi des navettes). Le mémorial est une île minuscule sur le Potomac où Lyndon Baines Johnson, 36e Président des États-Unis, se promenait souvent, en compagnie de sa femme, Lady Bird, pour échapper à Washington et réfléchir à ses décisions politiques. L’une de ces décisions fut d’ailleurs inspirée par le discours

Vous reconnaissez sûrement cette image, celle de l’affiche de L’Exorciste, et vous tremblez déjà de peur en revoyant la maison des MacNeil dans le quartier de Georgetown.

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L’Exorciste (1974) de William Friedkin Dans L’Exorciste, William Friedkin met en scène une adolescente de 12 ans possédée par le démon que sa mère tente de sauver en faisant appel à deux prêtres exorcistes. Adapté d’un best-seller écrit par William Blatty, le film est devenu culte, considéré par beaucoup comme la meilleure œuvre d’horreur de tous les temps.

l’escalier, lui, qui court le long de la maison et plonge vers le fleuve Potomac et le C&O Canal, reste accessible. Oppressantes et fatigantes, les “marches de l’Exorciste” (75 au total), comme on les appelle, doivent leur notoriété à la scène finale dans laquelle le personnage principal (le père Damian Karras) est tué. Une plaque commémorative a été apposée par la ville au pied de l’escalier en 2015.

À visiter LA MAISON DES MACNEIL ET “LES MARCHES DE L’EXORCISTE” 3600 Prospect Street, Washington, D. C. 20007

Où manger ? THE TOMBS 1226 36th Street NW, Washington, D. C. 20007

Bien que L’Exorciste soit inspiré d’un fait réel subvenu à Saint-Louis dans les années 1940, Friedkin situe l’action au cœur du quartier de Georgetown, à Washington D. C. La maison des McNeil, qui servit de décor, est toujours debout. C’est une propriété privée, et à ce titre il n’est pas permis de la visiter. Mais

Une fois les marches parcourues, offrez-vous un repas roboratif au restaurant The Tombs, au bout de la rue, dans une maison de style géorgien du milieu du XVIII e siècle. The Tombs possède sa propre histoire cinématographique. Il apparaît dans St. Elmo’s Fire (1985) qui met en scène la vie d’une bande de jeunes gens. Le film marque les

débuts de Demi Moore et Rob Lowe. On l’a souvent considéré comme le précurseur de la série Friends – à l’instar du Central Perk de Rachel, Ross et les autres, The Tombs était le QG des personnages principaux. En 2016, deux millions de dollars ont été investis dans la rénovation du lieu, son charme et sa beauté originels ont été préservés, y compris l’immense collection d’illustrations tirées des Vanity Fair et Harper’s Weekly du XIXe siècle et les vieilles affiches de propagande de l’armée qui ornent les murs. The Tombs sert aussi de repaire à plusieurs équipes d’aviron de l’université de Georgetown et l’établissement est connu pour accueillir des soirées poésie, diverses sociétés secrètes, sans parler des fans de L’Exorciste. Lecture conseillée L’Exorciste de William Blatty, paru en 1971. Et aussi Easy Riders, Raging Bulls (1998) de Peter Biskind, qui décrit une des périodes les plus marquantes de l’histoire du cinéma et le tournage de L’Exorciste.

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Les Hommes du Président (1976) d’Alan Pakula Bien qu’il ait 43 ans, Les Hommes du Président d’Alan Pakula, avec Robert Redford et Dustin Hoffman, demeure un des meilleurs films qui existent sur le journalisme d’enquête et le complot politique. Au centre de l’intrigue, les journalistes du Washington Post, Bob Woodward et Carl Bernstein, et leur travail pour faire éclater le scandale du Watergate, en 1972. Plus qu’une toile de fond, Washington y est filmée comme un personnage à part entière.

Où dormir ? WATERGATE HOTEL Le nom du Watergate est tellement synonyme de scandale politique qu’on en oublie que c’est aussi celui d’un somptueux hôtel 5 étoiles sur les rives du fleuve Potomac, downtown Washington. Construit dans les années 1960 par l’architecte italien Luigi Moretti, le Watergate rappelle un de ces projecteurs à diapositives Kodak Carousel datant de la même époque. Blancs et circulaires, ses balcons font penser à une dentition.

En 1972, des agents du Président Richard Nixon y avaient loué une chambre pour coordonner l’effraction des locaux du Parti démocrate à Washington, situés dans l’immeuble voisin. Non seulement, leur plan échoua, mais l’enquête qui fut ouverte sur les raisons de leur présence dans l’établissement obligea Nixon à démissionner. Après un rafraîchissement de façade par le designer industriel Ron Arad et un relooking complet de l’intérieur – uniformes compris, redessinés par Janie Bryant, la costumière de la série Mad Men –, le Watergate Hotel n’a

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Dustin Hoffman et Robert Redford sont Carl Bernstein et Bob Woodward, les journalistes du Washington Post ayant révélé l’affaire du Watergate.

rien perdu de son charme rétro, tout en collant aux exigences de l’“urban resort” qu’il est devenu. On y trouve un spa, une piscine, deux restaurants, un toit panoramique dominant le Potomac, sans oublier un élégant bar à whisky aux murs incurvés le long desquels s’alignent des bouteilles. Des vélos sont à disposition des clients qui voudraient parcourir le centre-ville ou les berges du fleuve jusqu’à Georgetown pour admirer le coucher de soleil. Au Watergate, on n’essaie pas de dissimuler le scandale passé. Les chanceux peuvent dorénavant réserver la fameuse chambre 214 depuis laquelle les agents de Nixon espion-

nèrent les membres du Parti démocrate et où ils furent arrêtés. La “Scandal Room” a été décorée avec la collaboration de Lyn Paolo, costumière de la série Scandal sur ABC. Elle propose tout ce que l’on peut trouver dans une chambre du Watergate, un lit king size, une salle de bains avec douche et baignoire, différentes vues du Potomac, une terrasse privée… Ses murs ont la particularité d’être recouverts de coupures de journaux, de photos et d’autres souvenirs de la période Watergate. On y trouve aussi des jumelles, une machine à écrire, un magnétophone à bandes et une collection de livres évoquant l’esprit des années 1970. Si les commentaires d’un initié vous intéressent, Zacharia Powers, un des concierges de l’accueil, sera ravi de vous faire visiter la chambre (si elle est libre) en vous retraçant le déroulement de cette nuit fatidique. Rassurez-vous si vous décidez de louer la chambre du scandale : aucun micro n’y a été dissimulé – la direction assure qu’elle n’est pas surveillée.

Où manger ? POST PUB 1422 L St NW, Washington, D. C. 20005

© Marka/Alamy Stock Photo

Pendant des décennies, les locaux du Washington Post se trouvaient en face du bar-restaurant le Post Pub, que de nombreux journalistes surnommaient à l’époque, “le vrai bureau”. Les reporters travaillaient depuis les boxes en cuir et recevaient leurs coups de fil au bar, avant de traverser pour rendre leurs papiers à temps pour le bouclage. La nuit, le Post Pub accueillait aussi les équipes qui imprimaient le journal, livré le matin. L’histoire voudrait que ce soit au Post Pub que Bernstein et Woodward aient rassemblé et comparé leurs notes, écrit leurs articles et rencontré “Deep Throat”, l’informateur du FBI qui les aida à révéler l’affaire du Watergate. Propriété du même patron depuis les années 1960, le pub propose une large sélection d’alcools et sert toujours la traditionnelle cuisine de brasserie américaine : hamburgers, travers de porc, sandwiches et salade César. Et les boxes en cuir sont encore là, prêts à vous raconter leur histoire.

Lecture conseillée Les Hommes du Président de Carl Bernstein et Bob Woodward, publié en 1974.

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Lincoln (2012) de Steven Spielberg Abraham Lincoln est considéré par beaucoup comme le père fondateur de l’Amérique moderne et l’un de ses meilleurs présidents. Dans son film, Steven Spielberg a voulu capturer les quatre derniers mois de sa vie et sa bataille pour conserver l’unité du pays en proie à la guerre civile, tout en assurant l’adoption du XIIIe amendement de la Constitution interdisant l’esclavage.

À visiter THÉÂTRE FORD 511 10th St NW, Washington, D. C. 20004

© AF archive/Alamy Stock Photo

Le Théâtre Ford existe depuis plus de centcinquante ans. C’est là que l’acteur John Wilkes Booth tua Abraham Lincoln alors qu’il assistait à une pièce. On y trouve un musée retraçant l’histoire de ce dernier, et des visites décrivant le contexte de l’événement. À chaque printemps et au début de l’été, la pièce One Destiny (“Un destin”) est jouée. Elle dure trente minutes et relate l’assassinat du Président Lincoln. Un programme appelé “History on Foot” (“L’histoire à pied”) propose une visite guidée par un acteur jouant le rôle du capitaine de police chargé de l’enquête à l’époque. Le tour commence au théâtre et se termine à la Maison-Blanche.

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Daniel Day-Lewis interprète le 16e Président des États-Unis dans le film de Steven Spielberg. Abraham Lincoln est particulièrement célébré à Washington : la statue qui le représente assis et pensif, au Lincoln Memorial, taillée dans 28 blocs de marbre et faisant 6 mètres sur 6, est monumentale.

À visiter (suite) LINCOLN MEMORIAL 2 Lincoln Memorial Circle, NW, Washington, D. C. 20037 On ne peut s’intéresser à Lincoln sans visiter le mémorial qui porte son nom : un monument néoclassique flanqué de colonnes doriques dédié au 16e Président des États-Unis. Le mémorial est devenu un lieu culte pour les représentants du mouvement des droits civiques depuis le célèbre discours de Martin Luther King (“I have a dream…”) qu’il fit au pied de la gigantesque statue de Lincoln. Le révérend King avait choisi le moment (1963) et le lieu pour qu’ils coïncident avec le centième anniversaire de la Proclamation d’émancipation par laquelle Abraham Lincoln abolit l’esclavage aux États-Unis en invoquant le XIIIe amendement. Le Lincoln Memorial accueille ses visiteurs gratuitement 365 jours par an. Ouvert jusqu’à 22 heures, il est tout indiqué pour une promenade nocturne. Il se trouve sur le flanc ouest du National Mall, au pied d’un bassin immense appelé The Reflecting Pool

– le Washington Monument s’y reflète d’un côté et le mémorial de l’autre. Le lieu est notamment célèbre grâce à la scène du film Forrest Gump, quand Forrest aperçoit sa très chère amie Jenny dans la foule alors qu’il prononce un discours depuis une tribune au pied du mémorial.

agriculteurs locaux de la baie de Chesapeake. Le nom du restaurant est inspiré des signataires de la Constitution américaine qui proclamaient que la survie d’une démocratie dépendait de “quatre domaines” cruciaux : l’exécutif, le législatif, le judiciaire et la presse libre.

Où manger ? FOURTH ESTATE RESTAURANT 529 14th St NW, Washington, D. C. 20045

OLD EBBITT GRILL 675 15th St NW, Washington, D. C. 20005

Non loin du Théâtre Ford se trouve le restaurant Fourth Estate, à l’intérieur du National Press Club (organisation nationale réunissant des journalistes professionnels de presse écrite), où se déroule des repas, des conférences et des réunions de journalistes. L’emblème du club est la chouette, qui évoque la sagesse, la conscience et les nuits passées à travailler. Bien que le club ne soit ouvert qu’aux membres, le Fourth Estate, lui, accueille du public. La chef Susan Delbert y réalise une très bonne cuisine américaine, avec des produits frais, goûteux et bio issus de la production de petits

Fondé en 1856, le Old Ebbitt Grill était le pub préféré des présidents – y compris de Ulysses S. Grant, de Grover Cleveland et de Theodore Roosevelt… C’était aussi le bar favori de Frank Horrigan, interprété par Clint Eastwood, agent secret rongé par la culpabilité et poursuivi par un assassin joué par John Malkovich, dans le film Dans la ligne de mire (1993) du réalisateur allemand Wolfgang Petersen.

Par JOHN VON SOTHEN

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Le plus grand marché aux fleurs d’Asie pousse à Calcutta, en Inde. Le photographe Denis Dailleux a parcouru le Mallick Ghat Flower Market et récolté une série de natures mortes aux airs picturaux.

n connaît ses images magnétiques de l’Égypte. Ces visages d’un autre temps, capturés dans les quartiers populaires du Caire, ville de cœur de Denis Dailleux depuis bientôt vingt ans. Une dévotion qui souvent masque de ce portraitiste discret une première vie dans laquelle il était… fleuriste. Sa rencontre avec l’Inde, au détour d’une commande pour le magazine Newsweek, a tissé le lien entre les deux métiers de Denis Dailleux, séduit par le rapport que le peuple indien entretient avec les fleurs à travers l’hindouisme. Germe alors l’idée d’un nouveau projet : photographier les ouvriers du Mallick Ghat Flower Market de Calcutta, petites mains qui chaque matin, dès l’aurore, préparent ces montagnes de tubéreuses, de roses, d’hibiscus destinées à fleurir les offrandes faites aux dieux. Finalement, le photographe détourne son cadre habituel pour y planter des natures mortes qui, à leur manière, racontent l’Inde. “Depuis longtemps, je souhaitais travailler sur l’Inde, mais je me l’interdisais car la similitude avec l’Égypte est grande. Les fleurs m’ont permis de m’en éloigner un peu”, conclut le fleuristephotographe.

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© Photos Denis Dailleux/VU'

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SAVOIR FAIRE SON ENTRÉE

n desk, trois troncs qui dépassent, peutêtre un bouquet de fleurs pour égayer la scène. Des spots qui éclairent le comptoir et la lumière bleue des ordinateurs qui réfléchissent sur des murs ocre. Longtemps, les lobbies d’hôtels ont été de simples caisses enregistreuses des allées et venues des voyageurs. “Il n’était que la zone du check-in et du check-out, constate l’architecte Jean-Philippe Nuel. Récemment, sa fonction a complètement muté. Le lobby est devenu un hybride, où l’on doit pouvoir rencontrer des gens, échanger, se restaurer, prendre un verre…” Un vrai lieu de vie. Peutêtre pour revenir à sa fonction originelle ? Dans l’histoire américaine, on raconte que c’est dans le lobby de l’hôtel Willard à Washington, où le Président Grant avait ses habitudes, que différents groupes de pressions venaient le solliciter pour obtenir ses faveurs, leur valant l’étiquette de “sacrés lobbyistes”. Pour réinvestir cette zone, les architectes, hôteliers et décorateurs inventent d’autres façons d’accueillir leurs clients, mais aussi les passants et les voisins. Car c’est là que réside le véritable enjeu de ces lobbies nouvelle génération, dans cette volonté de s’ouvrir au quartier. “Il fallait casser cette barrière naturelle qui existait, surtout en France, pour entrer dans un hôtel. C’est déjà le cas depuis longtemps à Londres ou au Moyen-Orient… Il faut avoir la sensation de pénétrer dans un lieu, non dans un hôtel. Tout le monde est gagnant : les hôteliers qui peuvent proposer autre chose que des nuitées, et les clients qui se voient vivre une expérience complète au sein d’un même lieu”, poursuit l’architecte. Un bar en guise de réception, des façades plus attirantes, un concept-store en interface avec la rue… Plus besoin de chercher le meilleur spot autour de l’hôtel où vous avez posé vos valises : il se trouve dans le lobby.

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Longtemps replié sur lui-même, associé aux seules formalités du check-in/check-out, le lobby se réinvente en lieu de vie à part entière. Reléguant la chambre au second plan, il est devenu la pièce maîtresse des nouveaux concepts hôteliers.

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© La Purificadora

Ultra lumineux, le lobby à ciel ouvert de l’hôtel La Purificadora, à Puebla (Mexique), est aussi traversé par un cours d’eau et un escalier en pierre volcanique.

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S’ouvrir sur le quartier

© Praktik Bakery

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Praktik Bakery Barcelone – Espagne

© The Hoxton

Ici, pour joindre l’utile à l’agréable, le lobby se trouve au beau milieu de ce qui se trouve être l’une des meilleures boulangeries de Barcelone. Une fois passées les vitrines de pâtisseries et les effluves de pain chaud, la réception et les ascenseurs qui mènent aux chambres (en étage) se cachent entre deux “pa de fruits secs” (leur spécialité). Le matin, c’est dans la salle attenante que le petit-déjeuner est servi, avec des produits venant directement du four du boulanger, installé à quelques mètres de là. (1)

The Hoxton

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Amsterdam – Pays-Bas L’une de ces cinq maisons traditionnelles du canal Herengracht était, dit-on, celle du maire de la ville, au XVIIe siècle. Aujourd’hui, pas de garde du corps hagard, de portier désagréable ou de voiturier intimidant. Seulement une porte, que l’on pousse comme celle d’un immeuble. Accessible à tous, et surtout aux passants et voisins venus prendre un café avec leur ordinateur portable sous le bras, le lobby du Hoxton est également doté d’un restaurant avec cuisine ouverte, devenu le repaire des amoureux du quartier. (2)

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NoMad Los Angeles – États-Unis

© B. Linero

À l’angle de la 7th et d’Olive Street, cet ancien hall de la Bank of Italy, installé à l’intérieur d’un building historique des années 1920, le Giannini Place, est récemment devenu le lobby du NoMad L. A. Au programme : un restaurant, mais surtout une “Library”, sorte de cabinet de curiosités designé par l’architecte français Jacques Garcia, où prendre un cocktail sous l’œil envieux des bêtes empaillées au mur.

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© Le Collatéral

En mettre plein la vue

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Le Collatéral L’immensité des volumes, le choix des perspectives, l’incroyable escalier métallique : rien ne laisse imaginer que cette nouvelle adresse arlésienne n’abrite que quatre chambres (de 40 mètres carrés chacune, toutefois). Un minimalisme presque brut pour cette maison d’hôtes, ancienne église désacralisée sous la Révolution, qui se pare aujourd’hui des atours d’un musée d’art contemporain, dont les clients sont accueillis avec bienveillance par les sculptures de lumière du maître des lieux, Philippe Schiepan. (1)

TWA Hotel

Aman

New York – États-Unis

Tokyo – Japon

Cela faisait une vingtaine d’années que le terminal de la compagnie américaine TWA de l’aéroport JFK était abandonné. Depuis le mois de mai 2019, il accueille un hôtel de luxe dont les 512 chambres donnent sur le tarmac. Les clients (et passagers) peuvent attendre leur vol dans un lobby grand de 20 000 mètres carrés, aux parois de verre et aux couleurs de la TWA, qui ressemble à s’y méprendre à un hall d’aéroport (version classe Affaires), abritant notamment le Paris Café du chef Jean-Georges Vongerichten. (2)

Situé au 33e étage de l’Otemachi Tower, gratte-ciel surplombant les jardins du Palais impérial, le lobby de l’hôtel Aman impressionne par ses dimensions gigantesques et par une esthétique du dépouillement chère aux Tokyoïtes. Un plafond haut de trente mètres, un jardin intérieur, des rochers japonais, un arbre trônant au milieu de plans d’eau : on se croirait dans le jardin d’un temple. Calme et silencieux, un véritable sanctuaire en plein cœur du quartier des affaires. (3)

© D. Mitchell

© Le Collatéral

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© Aman Resorts

Arles – France

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© Sir Adam Hotel

Mélanger les genres

Sir Adam Hotel Amsterdam – Pays-Bas Les propriétaires du Sir Adam Hotel d’Amsterdam ont créé un terme, celui de “living lobby”. Le desk, pour le check-in, est renvoyé à l’étage de la mezzanine, à peine visible. Personne ne veut voir ça. Ici, le vrai sujet, c’est le hall d’entrée qui héberge, lui, un restaurant de burgers, une terrasse et un bar qui propose des DJset à chaque fin de semaine.

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The Rose Hotel

© The Rose Hotel

Los Angeles – États-Unis

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Planque pour surfers de Venice Beach, que l’on doit au photographe de mode Glen Luchford et au portraitiste Doug Bruce, le Rose Hotel parvient à condenser tout le lifestyle californien dès son entrée. Un desk en bois brut, un tapis en jute et, surtout, cette immense table communale où les clients sont invités à prendre, au choix, leur petit-déjeuner le matin ou un jus vert à toute heure de la journée.

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Faire du neuf avec du vieux

© The Jaffa

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© The Waterhouse

© The Waterhouse

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The Warehouse Hotel Robertson Quay – Singapour Un bar, un desk et d’immenses portes vitrées qui mènent sur l’eau – en l’occurrence, au bord de la rivière Singapour. Dans le hall principal de ce trio de bâtiments, autrefois entrepôts d’épices, le mur de briques a été conservé, les immenses treillis ont simplement été repeints en noir et les roues et les poulies savamment mises en scène. Le lieu abrite également un bar à cocktails. (5)

The Waterhouse © The Jaffa

Shanghai – Chine 4

Dans cet ancien entrepôt, connu pour avoir été un bâtiment de l’armée japonaise durant la Seconde Guerre mondiale, les murs en béton de l’immense lobby rectangulaire aux faux airs de hangar sont d’origine. Les colonnes et les poutres en acier ont été ajoutées par les architectes Neri & Hu, par souci d’anachronisme. Anachronisme qui se poursuit, quelques étages plus haut, sur le rooftop, surplombant le fleuve Huangpu. (1 & 2)

The Jaffa

© The Warehouse Hotel

Tel-Aviv – Jérusalem Il aura fallu peu de temps à cet ancien couvent et hôpital du XIXe siècle situé à Jaffa, au sud de Tel-Aviv, pour se faire une place au rang des hôtels les plus en vue de la région. Et si son ouverture a été maintes fois reportée, c’est que les architectes ont dû s’improviser archéologues. En témoigne ce mur du XIIIe siècle, retrouvé au hasard des rénovations. Une pièce maîtresse de cet immense lobby, où il vous sera offert, entre autres loisirs, de jouer au sheshbesh – nom moyen-oriental du backgammon et véritable institution nationale. (3 & 4) 5

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© J. Soefer

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La Purificadora Puebla – Mexique

© La Purificadora

Il aurait été dommage de gâcher cette superbe vue sur le centre historique de Puebla, inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco. En conservant la façade d’origine et le portail voûté de cette ancienne usine de purification des eaux datant du XIXe siècle, les architectes ont opté pour un lobby à ciel ouvert, aujourd’hui traversé par un escalier en pierre volcanique et un cours d’eau. (2)

The Cape Cabo San Lucas – Mexique Un lobby de plain-pied surplombant le golfe de Californie qui se paie le luxe de crouler sous la déco locale et les vieilles planches de surf. Ici, rien ne vient obstruer la vue, qui peut être admirée toute la journée depuis le bar, implanté au cœur du lobby de ce palace installé à l’extrême-sud de la péninsule mexicaine. (1 & 3)

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© T.-H. Shelby

Prendre l’air

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© Singita Lebombo Lodge

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Singita Lebombo Lodge Parc national Kruger – Afrique du Sud Perdu au milieu des oiseaux rares et des acacias tortueux, le lobby en plein air de cet écolodge sud-africain, à la frontière du Mozambique, permet de commencer le safari avant même d’avoir quitté le campement. En plein centre du parc national Kruger, aux côtés de grands cubes d’aciers futuristes suspendus au-dessus de la rivière, ce lobby sous toits de chaume où trônent d’immenses banquettes blanches (et quelques œufs d’autruches) pourrait se révéler un point de vue de choix pour observer les big five africains (lion, léopard, éléphant, rhinocéros et buffle).

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{ VAC A N C E } Nom féminin, du latin “vacare” Moment de disponibilité, parenthèse de reconnexion au monde, invitation à marquer une pause dans la course au temps.

ICI TOUT TOURNE AUTOUR DE VOUS Dans un salon dédié, détendez-vous le temps d’un soin de beauté , * puis profitez du confort absolu d’un fauteuil-lit** tout en savourant des menus élaborés par de grands chefs étoilés français. CLASSE BUSINESS

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N° 8 6 MOIS AUTOUR DU MONDE

V O YA G E U R S D U M O N D E

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Lagos LE NIGERIA DU FUTUR

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AUTOMNE ~ HIVER 2019

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Six mois autour du monde Lagos / Californie / Venise / Rodrigues / Taroudant / Kiji 08/07/2019 16:37


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