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Les cinq Unités d’habitations

Marseille (13) - Cité Radieuse de Marseille

Construite de 1947 à 1952 / Longueur : 137 mètres / Largeur : 24 mètres

Hauteur : 56 mètres / 337 appartements du studio au type 6 7 rues, 18 niveaux + 2 paliers + le toit-terrasse et le gymnase

Classée Monument Historique et au Patrimoine Mondial de l’Unesco.

Cette première Unité d’habitation fut un immeuble expérimental soutenu par l’État français dans le cadre de la reconstruction d’après-guerre, ce qui, grâce à une certaine souplesse donnée aux financements et aux règlementations, lui permit de devenir l’Unité d’habitation qui correspondra le mieux aux volontés de Le Corbusier et ses collaborateurs, ceci malgré les virulentes oppositions à sa construction.

Rezé (44) - La Maison Radieuse

Construite de 1954 à 1955 / Longueur : 108 mètres / Largeur : 19 mètres

Hauteur : 52 mètres / 294 appartements, du studio au type 6 6 rues, 17 niveaux

Classée Monument Historique.

Cette deuxième Unité d’habitation, comme celle de Marseille, a été initiée dans le cadre de la reconstruction d’après-guerre. Jusqu’en 1970, elle peut être considérée comme l’accomplissement du concept du point de vue social : un système de location-coopérative permettait aux habitants de collaborer sur un même pied d’égalité au fonctionnement du bâtiment. À la construction, des contraintes budgétaires imposeront des compromis, la « rue marchande » fut annulée, alors que l’école maternelle sur le toit-terrasse put voir le jour.

Berlin (DE) - Das Corbusierhaus (La Maison du Corbusier)

Construite en 1957 / Longueur : 142 mètres / Largeur : 23 mètres

Hauteur : 58 mètres / 530 appartements, de 1 à 3 pièces 10 rues – 17 niveaux

Classée Monument Historique. Elle fut construite dans le cadre de l’exposition Internationale d’Architecture de Berlin de 1957. L’exécution fut confiée à un architecte allemand qui modifiera beaucoup les plans d’origine, à tel point que Le Corbusier ira jusqu’à renier la paternité du bâtiment. Il n’y eu pas de « rue marchande » (mais une auberge de jeunesse), ni d’aménagements sur le toit. Ce qui n’empêchera pas le succès du projet, ni la reconnaissance officielle concrétisée par l’inscription du bâtiment aux Monuments Historiques.

Il sera repris tel quel par Le Corbusier pour présenter le projet de Briey-en-Forêt.

L’Unité d’habitation de Berlin est la seule qui n’a pas de brise-soleil sur les façades. C’est la raison pour laquelle Le Corbusier conçut pour elle une polychromie très différente des autres Unités.

Briey (54) - Cité Radieuse Le Corbusier

Construite de 1959 à 1960 / Longueur : 110 mètres / Largeur : 20 mètres

Hauteur : 56 mètres / 339 appartements, du studio au type 6

6 rues – 17 niveaux

La façade, la 1ère rue et un appartement témoin sont inscrits à l’inventaire des Monuments Historiques.

Cette unité a été projetée pour répondre à des besoins de logements liés à l’industrie sidérurgique, qui sera en crise peu de temps après. Ce qui aura des conséquences dramatiques pour le bâtiment (voir les pages suivantes). Cette Unité d’habitation isolée dans la forêt met particulièrement en valeur les qualités du rapport à la nature que recherchait Le Corbusier. Avec des proportions proches de celle de Rezé, elle aussi fut conçue dans un souci d’économie. Elle n’a pas de « rue marchande » intérieure ni d’école sur le toit-terrasse. Aujourd’hui, elle est la seule dont le béton brut en extérieur ait été recouvert d’un micro-mortier de protection pour maîtriser les coûts d’entretien de la façade.

Firminy (42) - Unité d’habitation Le Corbusier

Construite de 1965 à 1967 / Longueur : 130 mètres / Largeur : 21 mètres

Hauteur : 51 mètres / 414 appartements, du studio au type 6

7 rues, 17 niveaux

Classée Monument Historique.

Comme pour Briey, le projet est né d’un besoin de logements qui n’aura très vite plus cours. Ce qui posera des difficultés pour faire vivre le bâtiment. Le Corbusier se vit confier la conception d’une « Cité Radieuse » sur un terrain verdoyant. Sera construit un ensemble d’équipements composé de La Maison de la Culture (maintenant classée au Patrimoine Mondial de l’Unesco), d’un stade et d’une église, tous dessinés par Le Corbusier. Une seule des trois Unités d’habitation qui étaient prévues verra le jour. Même si l’enveloppe allouée au bâtiment fut restreinte, le projet est conséquent. Une école occupe les trois derniers niveaux et une partie du toit-terrasse qu’elle partage avec un théâtre, une salle de projection, des solariums et un jardin. Mais le centre commercial prévu au pied de l’immeuble fut déprogrammé.

Ces cinq Unités d’habitation ont commencé leur exploitation dans un cadre de loyers modérés ou d’accession à la propriété. Au fil du temps, elles devinrent toutes des copropriétés. Elles sont aujourd’hui occupées et leurs budgets sont équilibrés. Les témoignages des habitants prouvent que la qualité de vie qu’apportent les conceptions de Le Corbusier en contextes optimisés n’est plus à démontrer.

En 2002, les associations des habitants des cinq Unités se sont regroupées en créant la « Fédération Européenne Le Corbusier » pour unifier leurs expériences, mieux promouvoir et mieux défendre ce patrimoine exemplaire. Elle sera rejointe par l’association des habitants de la Cité Frugès à Pessac et par la Fondation Suisse à Paris.

Le projet de Cité Radieuse à Briey

1950 - Probablement sous l’impulsion d’Eugène Claudius-Petit, Ministre de la Reconstruction et de Philippe Serre, conseiller général de Meurthe-et-Moselle, le docteur Pierre Giry, maire de Briey, crée un office intercommunal d’HLM (Habitation à Loyers Modérés) pour commander un projet de cité satellite lié au besoin de logements induit par l’arrivée massive d’ouvriers français et européens dans le bassin minier avec l’expansion des mines de fer et de l’industrie sidérurgique.

1952 - Le premier plan de cette cité satellite, confié à Georges-Henri Pingusson, prévoit la construction de trois immeubles et de maisons individuelles produisant au total 700 logements avec entre autres équipements un centre commercial, une école et une église.

1954 - Le Corbusier prend le relais. Il est en charge du plan masse de Briey-en-Forêt et d’une Unité d’habitation. Le Corbusier et Georges-Henri Pingusson collaborent au projet de la cité satellite dont le nombre de logements reste inchangé. Les maisons individuelles sont également conservées. Les équipements divers sont toujours d’actualité. En revanche, un immeuble sur les trois projetés précédemment, est remplacé par une Unité d’habitation. Le modèle de la Cité Radieuse de Briey est celui de la Maison Radieuse de Rezé, repris quasiment à l’identique avec quelques différences liées à des questions financières.

1956 - Le projet de cité satellite est terminé. Mais suite à différentes polémiques et confrontations idéologiques, le chantier ne débuta pas avant trois ans.

1959 - Début de la construction de l’Unité d’habitation. Élection du Maire Hubert Martin, dont un des arguments de campagne fut son hostilité à ce projet d’habitats collectifs et de cité satellite initié par son prédécesseur. La majorité des projets d’équipements seront ensuite progressivement annulés. Seuls le lotissement, l’école maternelle et l’école primaire conçus par Pingusson seront finalement construits.

Un chantier exemplaire

« (...) le site s’organise d’abord en un vaste lieu de production. Les éléments de grues, acheminés par camion, sont montés en trois unités géantes : deux grues de 60 m, une grue de 70 m. Une centrale à béton, deux réserves à ciment d’une contenance de 30 tonnes et une bétonnière de 1300 litres sont mises en service. Des installations provisoires sont construites pour abriter des ateliers techniques ainsi que des baraquements pour loger 120 ouvriers (sur les 170 attendus sur le site). En mars 1959, la fouille de 110 m x 20 m est réalisée. Les fondations (des semelles de 2,25 m d’épaisseur représentant 2200 m3 de béton et 160 tonnes d’acier) sont coulées en mai. Les 53 pilotis sont achevés en juillet. S’engage ensuite, à un rythme accéléré, la construction des étages. Deux procédés sont employés : les refends et les planchers sont coulés en place dans des coffrages métalliques, tandis que les volées d’escalier et les garde-corps sont préfabriqués au sol dans des moules basculants à séchage rapide. Grâce aux banches métalliques et à la pervibration des bétons, qui donnent aux surfaces un aspect glacé, les murs peuvent recevoir directement les peintures. Les ferraillages et les tubes de chauffage, assemblés au sol, sont mis en place à la grue par panneaux de 100 m2. C’est bientôt un immeuble de 17 étages, qui s’élève à une hauteur de 50 m. 15000 m3 de béton sont entrés dans sa construction (13000 m3 de gravillons, 7000 m3 de sable, 5000 tonnes de ciment, 800 tonnes d’acier) pour un total de 85000 m2 de surfaces coffrées. Pour tenir les délais, le chantier fonctionne de 4h du matin à 10h du soir, en deux postes. L’enthousiasme règne au sein de l’équipe. On a le sentiment que s’accomplit ici un grand dessein moderne. (...) »

Joseph Abram, extrait de « Le Corbusier à Briey, histoire mouvementée d’une unité d’habitation ». Editions Jean-Michel Place.

La vie mouvementée de l’Unité d’habitation de Briey

1960 - Tout début de la crise sidérurgique en Lorraine alors que le bâtiment est achevé à la fin de l’année.

1961 - Arrivé des premiers locataires. Accueil très positif du bâtiment.

1962 - Le bâtiment est habité en totalité et trois cents familles sont en attente. Mais le problème d’isolement de la cité satellite, accentué par le manque de voitures et de commerces de proximité va rapidement devenir un handicap pour l’Unité car contrairement à celle de Marseille, Briey n’a pas de rue commerçante ni encore d’école.

1963 - Le dépeuplement de l’Unité débute.

1965 - Interruption du chantier de la construction du centre commercial. Les habitants doivent lutter pour obtenir un magasin provisoire. Le centre commercial devient un chantier abandonné.

1966 - 59 appartements de la sixième rue réservés à des familles de l’armée américaine venants de la base aérienne d’Étain, située à 25 km de Briey, se vident soudain, car la France se retire de l’OTAN et les forces alliées quittent le territoire national. On comptera bientôt 30 % de logements vacants.

1967 - Faillite de l’office intercommunal d’HLM, la gestion du bâtiment est imposée à l’OPHLM de Meurthe-et-Moselle (Office Public d’Habitat et de l’Hébergement)).

1970 - Début de travaux d’amélioration et d’entretien qui dureront jusqu’en 1975.

1973 - L’immeuble se remplit à nouveau.

1977 - Après une embellie, l’accentuation de la crise de la sidérurgie et une politique favorisant les habitats individuels au niveau national provoquent une nouvelle chute, inexorable cette fois, du taux d’occupation.

1983 - Désaffectation du bâtiment par l’OPHLM : l’entrée est murée. La Cité Radieuse devient un vaisseau fantôme. Guy Vattier, le Maire successeur de Hubert Martin, qui s’oppose à la destruction du bâtiment va convaincre l’hôpital Maillot situé à proximité d’acheter le bâtiment pour un franc symbolique afin d’y créer une école d’infirmière. Le but étant de donner l’impulsion d’une complète réhabilitation. Mais l’OPHLM refuse de céder le bâtiment pour un franc symbolique.

1987 - Profitant de l’occasion du Centenaire de la Naissance de Le Corbusier, Guy Vattier donne une conférence de presse à Paris pour défendre son projet et s’en prend violemment à l’OPHLM, qu’il accuse de nourrir « une hostilité pathologique à Le Corbusier ». Il trouve les mots justes pour défendre le renouveau de la Cité Radieuse. Il obtient gain de cause, car suite à son intervention, le Ministre de l’Equipement Pierre Méhaignerie annonce officiellement la cession de la Cité Radieuse à l’hôpital Maillot pour le franc symbolique. Le mois suivant, un commando saccage 150 appartements pendant la nuit. L’enquête de police judiciaire de Nancy ne permettra pas d’identifier les auteurs. Ce qui n’empêchera pas les travaux de réhabilitation.

1988 - L’Unité d’habitation devient une copropriété. Les premiers acquéreurs s’installent.

1989 - Création de l’assocation La Première Rue, lieu culturel occupant les deux tiers du premier niveau, née du parrainage international d’une trentaine d’architectes et d’artistes pour contribuer à la valorisation et à l’étude immersive dans ce patrimoine.

1991 - La totalité des logements disponibles est vendue, dont un certain nombre à des anciens habitants.

1993 - Inscription de la façade, des pilotis, du hall, de la Première Rue et de sept logements à l’Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques. Un appartement témoin et des visites guidées sont ouverts au public.

2002 - Travaux de requalification et d’amélioration des abords de La Cité Radieuse par les architectes Bruno Reichlin et L’atelier VWA, Christina Woods et Craig Verzone.

2007 - Début d’une importante restauration des façades qui va durer 2 ans. Le béton brut en extérieur est recouvert d’un micro-mortier de protection pour maîtriser les coûts d’entretien de la façade.

2022 - La ville de Val de Briey crée l’espace « Modulor » dans l’ancien local à vélo au pied du bâtiment, entre autres activités, il abrite une « Micro-Folie », proposant du matériel high-tech d’interaction multimédia pour la découverte des chefs d’œuvres de l’Histoire de l’Art.

Une Unité d’habitation dans la forêt

« On pense (le public) : Oui pour Marseille, car Marseille est une grande ville de 800 000 habitants et l’unité est située sur une grande avenue à la sortie de la ville. Oui pour Nantes, ville capitale de province de Bretagne ; et l’unité est située hors de la ville, de l’autre côté du fleuve dans une banlieue, à Rezé, qui est appelée, par sa configuration géographique et topographique à devenir l’un des éléments d’une cité linéaire industrielle au long de la Loire, de Nantes à Saint-Nazaire.

Mais pour Briey-en-Forêt, en Lorraine, on a tout de suite crié : Non. Car l’unité de Briey-en-Forêt est, comme son nom l’indique, située en pleine forêt domaniale… Des fenêtres de l’immeuble on verra la houle du feuillage et les horizons lorrains ; et, à quelques pas de là, on descendra dans un petit val délicieux, qu’une rivière anime ; on en fera un lac un jour* »

Le Corbusier

* Un lac, le Plan d’eau de la sangsue, a bien été formé sur le cours du Woigot, à proximité de La Cité Radieuse. Le projet, initié en 1962 fut achevé en 1972.

Le Modulor

Le Modulor est un espace culturel créé en 2022 au pied de la Cité Radieuse Le Corbusier de Val de Briey. Il est le point de départ des visites guidées du bâtiment. Il abrite la Micro-Folie un dispositif, soutenu par le ministère de la Culture et accompagné par la Villette, permettant l’accès pour tous à un grand nombre d’œuvres fournies par 12 musées nationaux. Ce Musée numérique permet de découvrir, à côté de chez soi, les trésors des plus grandes institutions nationales et de tous les partenaires. Le dispositif facilite l’accès à la culture par le biais ludique de l’outil numérique. Lieu de convivialité et d’échanges sur l’art, la Micro-Folie permet de proposer des séances de médiation pour le public scolaire et des conférences pour un public large et varié.

Au sein de la Cité Radieuse Le Corbusier de Val de Briey, La Micro-Folie le Modulor trouve sa place au rez-de-chaussée de l’Unité d’habitation construite en 1960. C’est donc un lien étroit qui s’est créé avec l’association La Première Rue qui agit pour la protection et la valorisation de cette œuvre majeure du patrimoine architectural moderne.

Le Modulor - Micro-folie tél. : 06 10 98 68 13 microfolie@valdebriey.fr

Association La Première Rue visites guidées et expositions tél. : 03 82 20 28 55 lapremiererue@gmail.com

L’association La Première Rue

L’association La Première Rue est née en 1989 du parrainage international d’une trentaine d’architectes et d’artistes qui ont voulu contribuer à la protection et à la valorisation de cette œuvre majeure du patrimoine architectural moderne : l’Unité d’habitation de Briey-en-Forêt, inaugurée en 1961.

L’association s’est fixée un double objectif : d’une part contribuer par des expositions, salons, conférences et visites guidées des lieux, au rayonnement de l’architecture moderne et, d’autre part, permettre aux scolaires, étudiants, architectes, chercheurs et au grand public de s’immerger dans l’œuvre de Le Corbusier, d’approfondir leurs études et d’enrichir leurs connaissances.

Pour ce faire, l’association dispose au premier étage de plusieurs appartements en « duplex » imbriqués de manière caractéristique autour d’un long couloir (inscrit à l’Inventaire des Monuments Historiques), que Le Corbusier assimilait à une ‘’rue’’ d’où le nom adopté par l’association.

Depuis 1991, La Première Rue accueille dans ses locaux d’importantes manifestations (expositions, conférences, séminaires...). Certaines de ces actions connaissent un écho international auprès des spécialistes, d’autres touchent un public régional, nombreux et diversifié.

Chaque année La Première Rue organise dans sa Galerie Blanche plusieurs expositions temporaires consacrées aux tendances de l’architecture contemporaine et aux arts plastiques.