Le Corbusier et la Cité Radieuse de Briey-en Forêt

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Le Corbusier et la Cité Radieuse de Briey-en-Forêt

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CIntroduction :

e livret a été initié par la ville de Val de Briey dans le cadre de la création du Modulor, un nouvel espace de rencontre et de médiation culturelle installé au pied de la Cité radieuse de Briey-en-Forêt immaginée par l’architecte Le Corbusier. C’est aussi le lieu à partir duquel les visites guidées du bâtiment prennent leur départ. Ce livret a pour vocation de complémenter ces visites en offrant quelques clefs d’introduction à l’œuvre de Le Corbusier, et la façon dont il pouvait provoquer d’étonnantes aventures humaines et collectives, dont témoigne cette Unité d’habitation Sommaire

On les appelle souvent Cités Radieuses, mais André Wogensky expliquait que d’après lui, le fait d’appeller les Unité d’habitation «Cités Radieuses» est une erreur. Cités Radieuses étant le nom que Le Corbusier donnait à des espaces paysagers regroupant plusieurs Unités d’habitations ainsi que les équipement collectifs de grandes échelles dédiés à la vie sociale : centre culturels, lieux de culte, stades ...

: Présentation de Le Corbusier 4 Présentation de quelques-un de ses collaborateurs parmi les plus connus 8 Les grands principes de son architecture 10 Cités Radieuses et Unités d’habitation 14 Aperçu des cinq Unités d’habitation existantes 16 Le projet de Cité Radieuse à Briey 20 Un chantier exemplaire 22 La vie mouvementée de l’Unité d’habitation de Briey 26 Une Unité d’habitation dans la forêt 30 Les lieux culturels actifs sur place : Le Modulor et La Première Rue 34 3

Le Corbusier

Charles-Edouard Jeanneret-Gris est né en Suisse en 1887 et prendra le pseudonyme de « Le Corbusier » en 1920. Il compte parmi les architectes les plus connus du XXe siècle. Sa notoriété dépasse le cercle des spécialistes pour atteindre le grand public à travers le monde. Il était franco-suisse et vécu la plus grande partie de sa vie à Paris. Il mourut en 1965, laissant derrière lui une œuvre particulièrement vaste et diversifiée.

Il était architecte, urbaniste, mais aussi designer, décorateur, peintre, sculpteur et auteur théoricien de l’art, de l’architecture et de la société de son temps. Très influent dans les débats de son époque, il faisait partie des principaux représentants du « mouvement moderne » (courant artistique d’avant-garde né en Europe au début du XXeme siècle à la suite des profonds bouleversements provoqués par la Révolution industrielle).

Son œuvre et sa pensée ont particulièrement influencé des générations d’architectes et d’urbanistes, elles sont aujourd’hui toujours très largement diffusées, encensées, mais aussi très décriées.

L’architecte - urbaniste

En rupture avec l’académisme de son temps, cet architecte de génie produisit des projets comme autant de manifestes destinés à expérimenter et démontrer ses idées. Il dessina de nombreuses villas, des logements collectifs, des bâtiments publics et des villes...

En 2016, dix-sept de ses réalisations réparties sur sept pays et trois continents ont été classées au Patrimoine Mondial de l’Unesco. Parmi les critères évoqués pour le classement, il est indiqué que « l’œuvre architecturale de Le Corbusier représente une création majeure du génie humain qui apporte une réponse exceptionnelle à certains enjeux fondamentaux de l’architecture et de la société au XXe siècle. »

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Le Corbusier en visite sur le chantier de l’Unité d’habitation de Briey-en-Forêt
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Photo : Jean-Pierre Bourrau

L’artiste

Le Corbusier était un artiste très prolifique. Il a produit une multitude de peintures, sculptures, dessins et collages, émaux, tapisseries, estampes...

En 1918, il fonda avec Amédée Ozenfant le mouvement artistique qu’ils nommèrent « Purisme », proposant un « ordre visuel » en réaction à la complexité du cubisme, dans une recherche d’équilibre entre tradition et avant-garde, modernité et nostalgie. Il s’en détachera plus tard, pour développer une sensibilité plus « brutaliste ».

Durant une très grande partie de sa vie, il a peint et sculpté le matin dans son atelier parisien alors qu’il dirigeait son agence d’architecture du 35 rue de Sèvres l’après-midi. Il expliquait que son travail de recherche et de production artistiques était très important pour nourrir son architecture. Il rêvait d’une « synthèse des arts majeurs », discipline où architecture, sculpture et peinture formeraient un tout.

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La bouteille de vin orange, 1922 © FLC/ADAGP

Le designer - plasticien

Il fit des recherches de design lui-même, par exemple pour la maison « Thonet », mais la plupart de ses designs les plus iconiques ont été produits en collaboration avec Charlotte Perriand et Pierre Jeanneret au sein de son agence de la rue de Sèvres. Il faudra attendre 1965, l’année du décès de Le Corbusier, pour que les meubles estampillés « Le Corbusier », très en avance sur leur temps, soient édités par le prestigieux éditeur de mobilier Cassina.

Il conçut aussi des gammes de couleurs et deux collections de papiers peints (Salubra I et II).

Le Corbusier utilisa ses expériences conjuguées de peintre et d’architecte pour proposer une gamme de papier-peint éditée par Salubra, avec un ingénieux système de sélection des teintes qu’il appela « Clavier de couleur ». Le but étant d’offrir à tous le contrôle des harmonies colorées et des ambiances du logis.

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Le passe-plat de La Cité Radieuse Le Corbusier de Briey-en-Forêt est une variante de celui dessiné par Charlotte Perriand pour la Cité Radieuse de Marseille.

L’homme de lettres

Le Corbusier fonda « L’Esprit Nouveau » en collaboration avec Amédée Ozenfant et Paul Dermée, une influente revue consacrée à l’esthétique de son temps, qui éditera 28 numéros de 1920 à 1925.

Il a écrit et composé des livres durant toute sa carrière. Il regroupait souvent dans ses ouvrages des articles et essais, qu’il écrivait pour des revues, ou encore les contenus des conférences qu’il donnait à travers le monde au cours de ses très nombreux voyages. Très attentif au graphisme et à la photographie, il développa une pratique de l’écrit souvent très liée aux images et à la qualité de la mise en page. Il signa 51 livres, du plus artistique au plus théorique, traitant des grands enjeux esthétiques et architecturaux de son époque.

Les collaborateurs de Le Corbusier

Tout au long de sa carrière, Le Corbusier a su s’entourer de personnalités de grand talent, employés, collaborateurs, ou co-signataires. Parmi les plus connus, on peut citer :

Pierre Jeanneret - (1896-1957) architecte, designer Cousin de Le Corbusier, et son plus proche collaborateur. Il faisait vivre l’agence de la rue de Sèvres et participa de façon décisive à la majorité de ses projets de design et d’architecture, de la conception initiale jusqu’à la réalisation.

André Wogenski - (1916-2004) architecte

Il commença sa carrière dans l’agence de la rue de Sèvres et sera successivement élève, assistant, chef d’atelier et architecte adjoint de Le Corbusier. Il dirigea l’exécution des Unités d’habitation de Marseille, de Rezé, de Briey-en-Forêt, et il achèvera celle de Firminy après la mort de Le Corbusier. Il créa sa propre agence en 1956.

Charlotte Perriand - (1903-1999) designer, architecte, photographe

Elle travailla dans l’agence de la rue de Sèvres dans les années 20 et 30. Ensuite, elle continuera de collaborer de façon ponctuelle avec Le Corbusier. Elle sera responsable de la création du mobilier intégré de la Cité Radieuse de Marseille. Elle est considérée comme une des designers les plus importantes du 20eme siècle.

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Iannis Xenakis - (1922-2001) compositeur, architecte et ingénieur

Il entra chez Le Corbusier en tant qu’ingénieur, où il conçut l’architecture d’une grande partie du Couvent de La Tourette (1957), dont les fameux « Pans de Verre Ondulatoires », ainsi que le Pavillon Philips pour l’exposition universelle de Bruxelles en 1958. Il aura aussi une carrière de musicien extrêmement novateur qui marquera son époque, en laissant derrière lui un très important héritage.

Jean Prouvé - (1901-1984) architecte, designer

Il est aujourd’hui reconnu comme un grand novateur du mobilier et de l’architecture du XXeme siècle, ainsi que pour ses recherches au profit de bâtiments préfabriqués économiques destinés au plus grand nombre. Ses ateliers étaient situés à Maxéville en Lorraine. Il collabora avec de nombreux designers et architectes dont Le Corbusier, dont il était proche. Il participa à l’aménagement des appartements de la Cité Radieuse de Marseille.

De la même façon que pour le passe-plat, l’escalier des appartements de l’Unité d’habitation de Briey est une variante de celui conçu par Jean Prouvé pour l’Unité d’habitation de Marseille.

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Photo : Vitale Design

Les grands principes de l’architecture de Le Corbusier

Passé et Modernité machiniste

Le Corbusier s’opposait à l’académisme de son temps. Ce qui ne veut pas dire qu’il rejetait l’architecture du passé. Ses voyages de jeunesse à travers l’Europe et autour de la Méditerranée, durant lesquels il produisit de très nombreux dessins d’étude de l’architecture ancienne et vernaculaire, imprégneront son travail durant toute sa vie. Dans son livre manifeste visionnaire « Vers une architecture » (1923), qui définit une part importante de sa conception de la Modernité, Le Corbusier, qui voulait marquer les esprits, a mis en avant des photographies illustrant la perfection visuelle de grandes architectures du passé, (le Parthénon d’Athènes, la façade de Notre Dame de Paris ...), pour l’associer à l’esthétique et l’efficacité fonctionnelle produite par l’ingénierie de son temps (avec des photos d’avions, de voitures ou d’aménagements de paquebots...).

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© FLC/ADAGP

Utopie moderniste et humaniste

Insistant sur l’influence de l’architecture sur la condition humaine, Le Corbusier rêvait d’une société capable d’organiser le bien-être pour tous :

« Il faut mettre l’homme au centre de notre construction, retrouver les rapports normaux entre l’homme et la nature.»

« La société moderne a cessé d’aimer. Il faut lui donner des raisons d’aimer. Participer à la vie = individus libres et actifs au milieu d’une collectivité disciplinée et productrice.»

La nature

Le Corbusier affirmait : « Les matériaux de l’urbanisme sont le soleil, l’espace, les arbres, l’acier et le ciment armé, dans cet ordre et dans cette hiérarchie. »

Dans son « Poème de l’angle droit » il évoque un « pacte de solidarité » entre l’homme et la nature.

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Pages extraites du poème de l’angle droit, 1955 © FLC/ADAGP

L’homme est la mesure de son cadre de vie : Le Modulor

Le Modulor est un système de mesures mathématiques, harmoniques, en accord avec les proportions du corps humain, créé par Le Corbusier, à partir du nombre d’or, proposé comme un outil de composition de l’espace permettant de faire une architecture de qualité, où l’on se sent bien. Utile autant à très grande échelle que pour dessiner les détails d’usage, il prend en compte les différentes positions du corps humain dans la vie quotidienne.

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Fresque de présentation des proportions du Modulor à l’échelle 1, au pied de l’Unité d’habitation de Briey-en-Forêt. Photo : Vitale Design

Les cinq points d’une architecture nouvelle

En 1927, Le Corbusier et Pierre Jeanneret énoncèrent « Les cinq points d’une architecture nouvelle », synthèse d’une nouvelle approche de la conception architecturale fixée par des principes de construction clairement définis.

Les pilotis, décollent l’habitation du sol transformant le rez-de-chaussée en un espace dégagé destiné aux circulations, supprimant les locaux obscurs et humides en ras de sol. La vue, les plans d’eau et les jardins passent sous le bâtiment.

Le toit-terrasse, signifie le renoncement au toit traditionnel en pente, il est rendu accessible et peut ainsi servir de solarium, de terrain de sport ou de piscine, ou encore de toit-jardin.

Le plan libre, les nouveaux matériaux (acier, béton...) permettent la suppression des murs porteurs grâce au soutien des dalles par des poteaux. Ce qui libère la conception des espaces, dont la disposition des cloisons et des pièces est rendue indépendante de la structure.

La fenêtre en bandeau, elle aussi, est rendue possible par la portance des dalles par les poteaux qui libère les façades de leurs fonctions porteuses.

La façade libre, avec les poteaux en retrait des façades, le plancher en porte-à-faux, la façade devient une peau mince de murs légers et de baies placées indépendamment de la structure.

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La célèbre Villa Savoye à Poissy (1931 - Patrimoine Mondial de l’Unesco), est considérée comme la parfaite illustration issue des recherches formelles sur la théorie des cinq points d’une architecture nouvelle. Photo : Paul Kozlowski © FLC/ADAGP

La genèse des Unités d’habitations

Depuis les années 20 Le Corbusier voulait créer des « cités-jardins verticales », synthèse entre les avantages de la maison individuelle (au contact de la nature) et ceux de la grande ville (avec ses commerces et ses équipements).

En 1936, lorsqu’il entre à l’agence de la rue de Sèvres, l’architecte André Wogenscky se voit confier les études sur le thème novateur de la Cité Radieuse. Il témoignera plus tard : « Depuis longtemps déjà, Le Corbusier s’intéressait à la question de l’habitation qu’il considérait comme le problème central de l’architecture. Il cherchait à concilier la vie communautaire et l’épanouissement individuel, au point qu’il aurait voulu des logis où chaque membre de la famille aurait pu avoir son coin personnel. Il se préoccupait d’assurer simultanément la protection de l’intimité familiale contre les promiscuités, les gênes, les bruits, et l’intégration de ce petit groupe qu’est la famille dans la vie de la société. C’est un peu cela qui est à l’origine du type de l’Unité d’habitation. À l’intérieur du logis on ne voit personne, on n’entend personne, mais dès qu’on franchit la porte on entre dans la vie sociale. C’est la même chose que dans un village, à la différence près qu’au lieu d’être étalée sur le sol, l’unité se développe dans les trois dimensions. Elle permet de libérer des jardins et des parcs, de mettre tout le monde à l’air et au soleil, de séparer les habitations des circulations. […] Toutes ces idées étaient déjà exprimées par Le Corbusier avant la guerre et, dès cette période, le principe même de l’Unité d’habitation était établi ».

Le Corbusier, coupe publié dans « La Ville Radieuse », 1935
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Le Corbusier, appartement montant, Unité d’habitation de Briey-en-Forêt

Cité Radieuse ou Unité d’habitation ?

On les appelle souvent Cités Radieuses, mais André Wogensky expliquait que d’après lui, appeler les Unités d’habitation « Cités Radieuses » est une erreur, car « Cités Radieuses » était le nom que Le Corbusier donnait à son concept d’espaces paysagers regroupant plusieurs Unités d’habitations ainsi que des équipements collectifs de grandes échelles dédiés à la vie sociale : centres culturels, lieux de culte, stades ...

Les principales caractéristiques originelles de l’Unité d’habitation de grandeur conforme

C’est un modèle de bâtiment de logements collectifs conçu avec le système métrique du Modulor. Voué à abriter 2000 à 2500 personnes, c’est la « grandeur conforme » définie par Le Corbusier permettant que le nombre de familles logées soit suffisant pour autoriser le fonctionnement de services communs.

Chaque niveau comporte trois étages avec des appartements traversants en duplex articulés autour d’un couloir central appelé « rue ».

L’orientation du bâtiment permet de laisser rentrer la lumière et des « brise-soleils » protègent des rayons forts en été.

Les appartements peuvent être de différentes tailles et bénéficient de mobiliers intégrés. Un des niveaux contient les services communs : commerces de proximité, bureaux, hôtel, restaurant, et le toit-terrasse est dédié aux équipements collectifs pour le bien-être : sport, solarium, belvédère..., et aussi pour les enfants : une garderie et une école maternelle.

L’ensemble qui apparait comme un bloc de béton brut adouci par des polychromies, est porté par des pilotis pour libérer le terrain.

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Le Corbusier, dessin publié dans « La Ville Radieuse », 1965

Les cinq Unités d’habitations

Marseille (13) - Cité Radieuse de Marseille

Construite de 1947 à 1952 / Longueur : 137 mètres / Largeur : 24 mètres

Hauteur : 56 mètres / 337 appartements du studio au type 6 7 rues, 18 niveaux + 2 paliers + le toit-terrasse et le gymnase

Classée Monument Historique et au Patrimoine Mondial de l’Unesco.

Cette première Unité d’habitation fut un immeuble expérimental soutenu par l’État français dans le cadre de la reconstruction d’après-guerre, ce qui, grâce à une certaine souplesse donnée aux financements et aux règlementations, lui permit de devenir l’Unité d’habitation qui correspondra le mieux aux volontés de Le Corbusier et ses collaborateurs, ceci malgré les virulentes oppositions à sa construction.

Rezé (44) - La Maison Radieuse

Construite de 1954 à 1955 / Longueur : 108 mètres / Largeur : 19 mètres

Hauteur : 52 mètres / 294 appartements, du studio au type 6 6 rues, 17 niveaux

Classée Monument Historique.

Cette deuxième Unité d’habitation, comme celle de Marseille, a été initiée dans le cadre de la reconstruction d’après-guerre. Jusqu’en 1970, elle peut être considérée comme l’accomplissement du concept du point de vue social : un système de location-coopérative permettait aux habitants de collaborer sur un même pied d’égalité au fonctionnement du bâtiment. À la construction, des contraintes budgétaires imposeront des compromis, la « rue marchande » fut annulée, alors que l’école maternelle sur le toit-terrasse put voir le jour.

Berlin (DE) - Das Corbusierhaus (La Maison du Corbusier)

Construite en 1957 / Longueur : 142 mètres / Largeur : 23 mètres

Hauteur : 58 mètres / 530 appartements, de 1 à 3 pièces 10 rues – 17 niveaux

Classée Monument Historique. Elle fut construite dans le cadre de l’exposition Internationale d’Architecture de Berlin de 1957. L’exécution fut confiée à un architecte allemand qui modifiera beaucoup les plans d’origine, à tel point que Le Corbusier ira jusqu’à renier la paternité du bâtiment. Il n’y eu pas de « rue marchande » (mais une auberge de jeunesse), ni d’aménagements sur le toit. Ce qui n’empêchera pas le succès du projet, ni la reconnaissance officielle concrétisée par l’inscription du bâtiment aux Monuments Historiques.

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Il sera repris tel quel par Le Corbusier pour présenter le projet de Briey-en-Forêt.

L’Unité d’habitation de Berlin est la seule qui n’a pas de brise-soleil sur les façades. C’est la raison pour laquelle Le Corbusier conçut pour elle une polychromie très différente des autres Unités.

LC - Rezé - rendu de projet
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LC - Marseille - rendu de projet Unité d’habitation de Briey-en-Forêt cinq ans après son achèvement
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LC - Rendu projet de l’Unité d’habitation de Firminy

Briey (54) - Cité Radieuse Le Corbusier

Construite de 1959 à 1960 / Longueur : 110 mètres / Largeur : 20 mètres

Hauteur : 56 mètres / 339 appartements, du studio au type 6

6 rues – 17 niveaux

La façade, la 1ère rue et un appartement témoin sont inscrits à l’inventaire des Monuments Historiques.

Cette unité a été projetée pour répondre à des besoins de logements liés à l’industrie sidérurgique, qui sera en crise peu de temps après. Ce qui aura des conséquences dramatiques pour le bâtiment (voir les pages suivantes). Cette Unité d’habitation isolée dans la forêt met particulièrement en valeur les qualités du rapport à la nature que recherchait Le Corbusier. Avec des proportions proches de celle de Rezé, elle aussi fut conçue dans un souci d’économie. Elle n’a pas de « rue marchande » intérieure ni d’école sur le toit-terrasse. Aujourd’hui, elle est la seule dont le béton brut en extérieur ait été recouvert d’un micro-mortier de protection pour maîtriser les coûts d’entretien de la façade.

Firminy (42) - Unité d’habitation Le Corbusier

Construite de 1965 à 1967 / Longueur : 130 mètres / Largeur : 21 mètres

Hauteur : 51 mètres / 414 appartements, du studio au type 6

7 rues, 17 niveaux

Classée Monument Historique.

Comme pour Briey, le projet est né d’un besoin de logements qui n’aura très vite plus cours. Ce qui posera des difficultés pour faire vivre le bâtiment. Le Corbusier se vit confier la conception d’une « Cité Radieuse » sur un terrain verdoyant. Sera construit un ensemble d’équipements composé de La Maison de la Culture (maintenant classée au Patrimoine Mondial de l’Unesco), d’un stade et d’une église, tous dessinés par Le Corbusier. Une seule des trois Unités d’habitation qui étaient prévues verra le jour. Même si l’enveloppe allouée au bâtiment fut restreinte, le projet est conséquent. Une école occupe les trois derniers niveaux et une partie du toit-terrasse qu’elle partage avec un théâtre, une salle de projection, des solariums et un jardin. Mais le centre commercial prévu au pied de l’immeuble fut déprogrammé.

Ces cinq Unités d’habitation ont commencé leur exploitation dans un cadre de loyers modérés ou d’accession à la propriété. Au fil du temps, elles devinrent toutes des copropriétés. Elles sont aujourd’hui occupées et leurs budgets sont équilibrés. Les témoignages des habitants prouvent que la qualité de vie qu’apportent les conceptions de Le Corbusier en contextes optimisés n’est plus à démontrer.

En 2002, les associations des habitants des cinq Unités se sont regroupées en créant la « Fédération Européenne Le Corbusier » pour unifier leurs expériences, mieux promouvoir et mieux défendre ce patrimoine exemplaire. Elle sera rejointe par l’association des habitants de la Cité Frugès à Pessac et par la Fondation Suisse à Paris.

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Le projet de Cité Radieuse à Briey

1950 - Probablement sous l’impulsion d’Eugène Claudius-Petit, Ministre de la Reconstruction et de Philippe Serre, conseiller général de Meurthe-et-Moselle, le docteur Pierre Giry, maire de Briey, crée un office intercommunal d’HLM (Habitation à Loyers Modérés) pour commander un projet de cité satellite lié au besoin de logements induit par l’arrivée massive d’ouvriers français et européens dans le bassin minier avec l’expansion des mines de fer et de l’industrie sidérurgique.

1952 - Le premier plan de cette cité satellite, confié à Georges-Henri Pingusson, prévoit la construction de trois immeubles et de maisons individuelles produisant au total 700 logements avec entre autres équipements un centre commercial, une école et une église.

1954 - Le Corbusier prend le relais. Il est en charge du plan masse de Briey-en-Forêt et d’une Unité d’habitation. Le Corbusier et Georges-Henri Pingusson collaborent au projet de la cité satellite dont le nombre de logements reste inchangé. Les maisons individuelles sont également conservées. Les équipements divers sont toujours d’actualité. En revanche, un immeuble sur les trois projetés précédemment, est remplacé par une Unité d’habitation. Le modèle de la Cité Radieuse de Briey est celui de la Maison Radieuse de Rezé, repris quasiment à l’identique avec quelques différences liées à des questions financières.

1956 - Le projet de cité satellite est terminé. Mais suite à différentes polémiques et confrontations idéologiques, le chantier ne débuta pas avant trois ans.

1959 - Début de la construction de l’Unité d’habitation. Élection du Maire Hubert Martin, dont un des arguments de campagne fut son hostilité à ce projet d’habitats collectifs et de cité satellite initié par son prédécesseur. La majorité des projets d’équipements seront ensuite progressivement annulés. Seuls le lotissement, l’école maternelle et l’école primaire conçus par Pingusson seront finalement construits.

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Un chantier exemplaire

« (...) le site s’organise d’abord en un vaste lieu de production. Les éléments de grues, acheminés par camion, sont montés en trois unités géantes : deux grues de 60 m, une grue de 70 m. Une centrale à béton, deux réserves à ciment d’une contenance de 30 tonnes et une bétonnière de 1300 litres sont mises en service. Des installations provisoires sont construites pour abriter des ateliers techniques ainsi que des baraquements pour loger 120 ouvriers (sur les 170 attendus sur le site). En mars 1959, la fouille de 110 m x 20 m est réalisée. Les fondations (des semelles de 2,25 m d’épaisseur représentant 2200 m3 de béton et 160 tonnes d’acier) sont coulées en mai. Les 53 pilotis sont achevés en juillet. S’engage ensuite, à un rythme accéléré, la construction des étages. Deux procédés sont employés : les refends et les planchers sont coulés en place dans des coffrages métalliques, tandis que les volées d’escalier et les garde-corps sont préfabriqués au sol dans des moules basculants à séchage rapide. Grâce aux banches métalliques et à la pervibration des bétons, qui donnent aux surfaces un aspect glacé, les murs peuvent recevoir directement les peintures. Les ferraillages et les tubes de chauffage, assemblés au sol, sont mis en place à la grue par panneaux de 100 m2. C’est bientôt un immeuble de 17 étages, qui s’élève à une hauteur de 50 m. 15000 m3 de béton sont entrés dans sa construction (13000 m3 de gravillons, 7000 m3 de sable, 5000 tonnes de ciment, 800 tonnes d’acier) pour un total de 85000 m2 de surfaces coffrées. Pour tenir les délais, le chantier fonctionne de 4h du matin à 10h du soir, en deux postes. L’enthousiasme règne au sein de l’équipe. On a le sentiment que s’accomplit ici un grand dessein moderne. (...) »

Joseph Abram, extrait de « Le Corbusier à Briey, histoire mouvementée d’une unité d’habitation ». Editions Jean-Michel Place.

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Les photos de la construction sont de Jean-Pierre Bourraux, l’ingénieur qui dirigea le chantier.
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Visite de Le Corbusier le 5 avril 1960 Démontage des installations
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Préfabrication des garde-corps des loggias

La vie mouvementée de l’Unité d’habitation de Briey

1960 - Tout début de la crise sidérurgique en Lorraine alors que le bâtiment est achevé à la fin de l’année.

1961 - Arrivé des premiers locataires. Accueil très positif du bâtiment.

1962 - Le bâtiment est habité en totalité et trois cents familles sont en attente. Mais le problème d’isolement de la cité satellite, accentué par le manque de voitures et de commerces de proximité va rapidement devenir un handicap pour l’Unité car contrairement à celle de Marseille, Briey n’a pas de rue commerçante ni encore d’école.

1963 - Le dépeuplement de l’Unité débute.

1965 - Interruption du chantier de la construction du centre commercial. Les habitants doivent lutter pour obtenir un magasin provisoire. Le centre commercial devient un chantier abandonné.

1966 - 59 appartements de la sixième rue réservés à des familles de l’armée américaine venants de la base aérienne d’Étain, située à 25 km de Briey, se vident soudain, car la France se retire de l’OTAN et les forces alliées quittent le territoire national. On comptera bientôt 30 % de logements vacants.

1967 - Faillite de l’office intercommunal d’HLM, la gestion du bâtiment est imposée à l’OPHLM de Meurthe-et-Moselle (Office Public d’Habitat et de l’Hébergement)).

1970 - Début de travaux d’amélioration et d’entretien qui dureront jusqu’en 1975.

1973 - L’immeuble se remplit à nouveau.

1977 - Après une embellie, l’accentuation de la crise de la sidérurgie et une politique favorisant les habitats individuels au niveau national provoquent une nouvelle chute, inexorable cette fois, du taux d’occupation.

1983 - Désaffectation du bâtiment par l’OPHLM : l’entrée est murée. La Cité Radieuse devient un vaisseau fantôme. Guy Vattier, le Maire successeur de Hubert Martin, qui s’oppose à la destruction du bâtiment va convaincre l’hôpital Maillot situé à proximité d’acheter le bâtiment pour un franc symbolique afin d’y créer une école d’infirmière. Le but étant de donner l’impulsion d’une complète réhabilitation. Mais l’OPHLM refuse de céder le bâtiment pour un franc symbolique.

1987 - Profitant de l’occasion du Centenaire de la Naissance de Le Corbusier, Guy Vattier donne une conférence de presse à Paris pour défendre son projet et s’en prend violemment à l’OPHLM, qu’il accuse de nourrir « une hostilité pathologique à Le Corbusier ». Il trouve les mots

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Cuisine et séjour Chambre des enfants avec tableau noir sur cloison coulissante
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Magasin provisoir au pied de l’immeuble

justes pour défendre le renouveau de la Cité Radieuse. Il obtient gain de cause, car suite à son intervention, le Ministre de l’Equipement Pierre Méhaignerie annonce officiellement la cession de la Cité Radieuse à l’hôpital Maillot pour le franc symbolique. Le mois suivant, un commando saccage 150 appartements pendant la nuit. L’enquête de police judiciaire de Nancy ne permettra pas d’identifier les auteurs. Ce qui n’empêchera pas les travaux de réhabilitation.

1988 - L’Unité d’habitation devient une copropriété. Les premiers acquéreurs s’installent.

1989 - Création de l’assocation La Première Rue, lieu culturel occupant les deux tiers du premier niveau, née du parrainage international d’une trentaine d’architectes et d’artistes pour contribuer à la valorisation et à l’étude immersive dans ce patrimoine.

1991 - La totalité des logements disponibles est vendue, dont un certain nombre à des anciens habitants.

1993 - Inscription de la façade, des pilotis, du hall, de la Première Rue et de sept logements à l’Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques. Un appartement témoin et des visites guidées sont ouverts au public.

2002 - Travaux de requalification et d’amélioration des abords de La Cité Radieuse par les architectes Bruno Reichlin et L’atelier VWA, Christina Woods et Craig Verzone.

2007 - Début d’une importante restauration des façades qui va durer 2 ans. Le béton brut en extérieur est recouvert d’un micro-mortier de protection pour maîtriser les coûts d’entretien de la façade.

2022 - La ville de Val de Briey crée l’espace « Modulor » dans l’ancien local à vélo au pied du bâtiment, entre autres activités, il abrite une « Micro-Folie », proposant du matériel high-tech d’interaction multimédia pour la découverte des chefs d’œuvres de l’Histoire de l’Art.

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Une Unité d’habitation dans la forêt

« On pense (le public) : Oui pour Marseille, car Marseille est une grande ville de 800 000 habitants et l’unité est située sur une grande avenue à la sortie de la ville. Oui pour Nantes, ville capitale de province de Bretagne ; et l’unité est située hors de la ville, de l’autre côté du fleuve dans une banlieue, à Rezé, qui est appelée, par sa configuration géographique et topographique à devenir l’un des éléments d’une cité linéaire industrielle au long de la Loire, de Nantes à Saint-Nazaire.

Mais pour Briey-en-Forêt, en Lorraine, on a tout de suite crié : Non. Car l’unité de Briey-en-Forêt est, comme son nom l’indique, située en pleine forêt domaniale… Des fenêtres de l’immeuble on verra la houle du feuillage et les horizons lorrains ; et, à quelques pas de là, on descendra dans un petit val délicieux, qu’une rivière anime ; on en fera un lac un jour* »

Le Corbusier

* Un lac, le Plan d’eau de la sangsue, a bien été formé sur le cours du Woigot, à proximité de La Cité Radieuse. Le projet, initié en 1962 fut achevé en 1972.

Cité Radieuse de Briey-en-Forêt
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Vue d’un appartement
6eme
de la
rue
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Photos : Vitale Design Sous les pilotis
Pilotis
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Façade Ouest Façade Est Galerie Blanche
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Photos : Vitale Design

Le Modulor

Le Modulor est un espace culturel créé en 2022 au pied de la Cité Radieuse Le Corbusier de Val de Briey. Il est le point de départ des visites guidées du bâtiment. Il abrite la Micro-Folie un dispositif, soutenu par le ministère de la Culture et accompagné par la Villette, permettant l’accès pour tous à un grand nombre d’œuvres fournies par 12 musées nationaux. Ce Musée numérique permet de découvrir, à côté de chez soi, les trésors des plus grandes institutions nationales et de tous les partenaires. Le dispositif facilite l’accès à la culture par le biais ludique de l’outil numérique. Lieu de convivialité et d’échanges sur l’art, la Micro-Folie permet de proposer des séances de médiation pour le public scolaire et des conférences pour un public large et varié.

Au sein de la Cité Radieuse Le Corbusier de Val de Briey, La Micro-Folie le Modulor trouve sa place au rez-de-chaussée de l’Unité d’habitation construite en 1960. C’est donc un lien étroit qui s’est créé avec l’association La Première Rue qui agit pour la protection et la valorisation de cette œuvre majeure du patrimoine architectural moderne.

Le Modulor - Micro-folie

tél. : 06 10 98 68 13

microfolie@valdebriey.fr

Association La Première Rue visites guidées et expositions

tél. : 03 82 20 28 55

lapremiererue@gmail.com

Micro-Folie en activité. Pour la création de cet espace, les élèves de l’EREA Hubert Martin de Val de Briey ont rénové les locaux et fabriqué le mobilier
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Photo : Vitale Design

L’association La Première Rue

L’association La Première Rue est née en 1989 du parrainage international d’une trentaine d’architectes et d’artistes qui ont voulu contribuer à la protection et à la valorisation de cette œuvre majeure du patrimoine architectural moderne : l’Unité d’habitation de Briey-en-Forêt, inaugurée en 1961.

L’association s’est fixée un double objectif : d’une part contribuer par des expositions, salons, conférences et visites guidées des lieux, au rayonnement de l’architecture moderne et, d’autre part, permettre aux scolaires, étudiants, architectes, chercheurs et au grand public de s’immerger dans l’œuvre de Le Corbusier, d’approfondir leurs études et d’enrichir leurs connaissances.

Pour ce faire, l’association dispose au premier étage de plusieurs appartements en « duplex » imbriqués de manière caractéristique autour d’un long couloir (inscrit à l’Inventaire des Monuments Historiques), que Le Corbusier assimilait à une ‘’rue’’ d’où le nom adopté par l’association.

Depuis 1991, La Première Rue accueille dans ses locaux d’importantes manifestations (expositions, conférences, séminaires...). Certaines de ces actions connaissent un écho international auprès des spécialistes, d’autres touchent un public régional, nombreux et diversifié.

Chaque année La Première Rue organise dans sa Galerie Blanche plusieurs expositions temporaires consacrées aux tendances de l’architecture contemporaine et aux arts plastiques.

La Galerie Blanche : exposition « The Belgian Connection » 2021
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Photo : Cyrille Lallement

Remerciements à la Fondation Le Corbusier pour son soutien et son aimable autorisation.

Tél. : 03 82 47 16 00 Fax : 03 82 47 16 46 www.valdebriey.fr

de Val de Briey
l’Hôtel
BRIEY
BRIEY
Mairie
1 place de
de ville
54150 VAL DE
Composition, rédaction, design graphique : Vitale Design www.vitale-design.com
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