19.07.21
Territoires insolites Unusual territories
Evgeny Kissin © Félix Broede
C’est à la découverte d’un programme inédit qu’Evgeny Kissin convie ce soir son public : accents passionnés de l’intense Sonate pour piano N°1 de Berg, pièces du méconnu Khrennikov, accords jazzy des Trois préludes de Gershwin. Alban Berg dédie sa Sonate pour piano N° 1 à Hélène Nahowski, sa future épouse : la dédicace est rajoutée à la main sur un exemplaire de la première édition publiée à compte d’auteur en 1907-1908 : « Meiner Helene » (« À mon Hélène »). La tonalité de Si mineur renvoie à l’aimée : Si, désigné par la lettre H en allemand, est l’initiale de la jeune femme, tandis que la partition s’ouvre sur un motif où passent des réminiscences du Tristan et Iseut de Wagner. L’œuvre est brève, dense, en un mouvement, faite de contrastes émotionnels. En donnant à cette Sonate le N° 1 de son catalogue définitif, Berg en fait une l’affirmation inaugurale de son écriture. La partition est riche de l’héritage pianistique du compositeur : Beethoven, bien sûr, référence absolue en matière de sonates pour piano à l’orée du 20e siècle ; Sonate de Liszt en si mineur et en un mouvement, comme celle de Berg ; ou encore, Schoenberg, qui a été le professeur de Berg. « L’œuvre communique un sentiment de plénitude, disait Glenn Gould, et
donne l’impression qu’elle est faite d’une série de points culminants, suivis de moments de repos très calibrés ». Tikhon Khrennikov est surtout connu des historiens pour avoir été pendant plus de quarante ans le secrétaire général de l’Union des Compositeurs d’URSS. Son rôle reste controversé. Il a laissé une œuvre vaste, dans tous les genres et pour tous les effectifs. Les Trois Préludes de George Gershwin naissent de l’autre côté du globe, au milieu des années 20. Gershwin les joue pour la première fois lors d’un concert à l’Hôtel Roosevelt de New York. Une manière d’intermède. Le premier et le troisième, rapides et jazziques, encadrent page pleine de nostalgie, dans l’esprit du blues. Riches en invention mélodique, célèbres dès leur publication, ces Trois Préludes furent orchestrés par Schoenberg, ami de Gershwin. Frédéric Chopin vient clore le programme. « Chopin est le compositeur qui m’est le plus proche aujourd’hui », confie Evgeny Kissin dans son livre autobiographique Avant tout, sois loyal envers toi-même (Edition Le Passeur, 2018). Si on lui demande pourquoi, le pianiste répond simplement : « Sait-on pourquoi l’on aime ?». Laetitia Brancovan