guide exposition Tissage Rituel

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Centre Arc-en-Ciel / 9 place Gambetta - Liévin

Exposition visible du 15 mai au 05 juillet 2025

Commissariat Thierry Verbeke / résidence d’artiste associé en territoire

Espace Arc-en-Ciel / DRAC Hauts de France

Hélène Bertin, Marinette Cueco, Michel Dupuy, Fabiana Ex-Souza, Séverine Gallardo, Caroline Léger, Benoît Piet

À 30 km au sud de Clermont Ferrand se trouve le village de Vic-leComte autrefois connu pour ses nombreuses boutiques d’antiquités. C’est dans l’une d’elle que j’ai pu admirer il y a une vingtaine d’années, un grand ouvrage brodé. Le motif en était complexe et très coloré. De nombreux fils n’avaient pas été coupés et donnaient au personnage hirsute représenté une vigueur proche de l’art brut.

L’antiquaire me l’avait décrit comme étant une représentation de Saint Alexis (1) réalisé par une religieuse anonyme. Celle-ci avait trouvé selon lui un moyen à travers la broderie de continuer à prier mais cette fois de façon individuelle et silencieuse. La dimension importante de l’ensemble permettait d’envisager les nombreuses heures de travail liées à sa réalisation.

Je n’ai pas fait l’acquisition de cet objet mais son souvenir est resté dans ma mémoire. Depuis cette rencontre avec Saint Alexis, j’ai développé un intérêt pour la broderie, le tissage, le patchwork, et de façon plus générale pour les arts populaires et l’artisanat.

Nul doute que cet intérêt soit également partagé par les artistes de l’exposition Tissage Rituel. Chez eux cependant cette notion du tissage peut parfois être non conventionnelle. La nature, d’une manière étendue, leur fournit l’inspiration et la matière première de leurs œuvres. Celles-ci ne se contentent pas d’être reléguées aux cimaises des musées et des centres d’art, elles débordent du cadre classique de l’exposition, et échappent ainsi à une forme figée. Il ne s’agit pas d’un refus de l’institution mais plutôt d’une envie d’élargir la réception de l’œuvre en lui donnant plus de force par sa friction avec le monde. En existant avant, pendant et après l’exposition les œuvres se densifient, sont portées, intégrées à des moments de vie, par le truchement de rituels artistiques, poétiques, politiques et parfois même magiques.

Hélène Bertin

Si l’on frappe une plume bleue avec un marteau, l’air est écrasé et l’on peut voir le bleu disparaître, 2023

Plumes, 165 cm x 150 cm

Fabiana Ex-Souza, Plusieurs manteaux to Bispo, 2022

Film, 20’13’’

Plusieurs Manteaux to Bispo, présenté en première mondiale pour pour Tissage Rituel, est un film de Fabiana Ex-Souza qui rend hommage à l’artiste Arthur Bispo do Rosário (2). Il interroge l’histoire du Manto da apresentação (manteau de la présentation), vêtement funéraire que Bispo do Rosário avait conçu pour l’accompagner dans l’au-delà. Ce manteau, réalisé à la main par Bispo avec une grande minutie, devait être un moyen de passage spirituel, mais il est aujourd’hui exposé comme une œuvre d’art dans le circuit international de l’art.

En réponse à cette confiscation, Fabiana Ex-Souza crée un Manteau de la réparation, orné de graines destinées à germer, qui devient le centre de la narration du film. Par le biais d’une série de performances menées par Ex-Souza entre 2019 et 2022 — activation, veillée, élévation et cérémonie d’enterrement, Ex-Souza dévoile le processus de construction collective de ce manteau, insufflant une nouvelle vie à l’objet dans un geste de réappropriation et de guérison. Le film va ainsi au-delà de la simple reconstitution historique pour devenir une réflexion sur la décolonisation des pratiques artistiques. En revisitant l’œuvre de Bispo do Rosário, longtemps étiquetée « art brut » et souvent reléguée aux marges des discours artistiques traditionnels, Ex-Souza soulève la question de la restitution : comment rendre à l’art et à la mémoire ce qui a été pris, et comment réaffirmer leur valeur en dehors des cadres institutionnels ?

Si Fabiana Ex-Souza plante, Hélène Bertin pratique la cueillette. Cueillette de compétences d’abord, ses œuvres sont très souvent le résultat d’une collaboration avec des cultivatrices, des potières, des teinturières... Mais aussi cueillette de matières premières : cucurbitacées, herbes, bâtons... Pour l’exposition Tissage Rituel, elle propose un costume brodé de plumes qui renvoie à l’univers magique des contes. Réalisé en collaboration avec Lamia Talaï et Aline Cado ce travail a des statuts multiples. Il peut être considéré comme une œuvre mais également comme un vêtement dont la vocation est d’être porté par des conteurs ou des danseurs, comme ce fut le cas en 2023 avec Agnès Dauban pour un conte inédit sur le thème des oiseaux.

En parallèle à ce projet, Hélène Bertin nous propose également l’association de cruches en grés à des herbes des marais tressées. Selon l’orientation prise par les tresses, on peut parfois y voir un corps stylisé ou tout simplement l’idée d’eau qui s’échappe de contenants. Au delà de ce qui nous est montré, on perçoit dans ce travail l’interconnexion et la symbiose entre les différents éléments de son installation ainsi que la transmutation des matières. Nous sommes ici face à un cycle, celui de l’eau et de la terre nécessaire à la croissance des végétaux, qui trouve une forme nouvelle en devenant contenants pour un liquide figuré.

De glanage et de végétaux il est également question dans le travail de Caroline Léger. Ses créations sont souvent présentées dans la nature, là où elle trouve son inspiration et sa matière première. Pour Tissage Rituel, elle propose une version d’intérieur réalisée à l’aide de cupules de glands de chênes. Habituellement considérées comme des déchets, elles trouvent un nouveau statut après avoir été emballées individuellement dans du Lycra. En les reliant entre elles à l’aide de fils laissés apparents, elle crée d’étranges sculptures poilues, qui tiennent autant du règne animal que du végétal.

En dépit de leur présentation on ne peut plus classique sur un socle, on imagine facilement que ces objets pourraient faire partie d’un rituel ou d’une célébration magique en relation avec la nature.

Benoît Piet est comme il aime à se définir, un tisseur de lumières. Il y a quelques années, alors qu’il présente ses réalisations lors d’un festival, il fait la connaissance d’une femme chamane. Au contact de ses étoffes celle-ci se met à slamer. Réceptif au pouvoir des mots, Benoît commence un travail de commande à destination d’autres chamanes. Il réalise pour elles des tissages personnalisés, qui accompagnent les étapes de développement personnel et de guérison par le biais d’intentions. Plus qu’un souhait, les intentions sont comparables à une boussole interne qui guide celui ou celle qui les a posées. Benoît Piet les énonce en son fort intérieur, avant même l’ourdissage (3). Ces mots continuent à raisonner pendant le travail du tissage de la soie. Ils sont inclus, enfermés dans la trame du tissu. À la surface des étoles, il ajoute des motifs symboliques finement brodés, relatant des moments importants appartenant à la vie ou au monde des rêves. Une fois terminées, elles subissent un rite de célébration, elles sont séparées du métier à tisser,

Hélène Bertin

Contact 2024

Cruches en grés, herbes des marais tressées, dimensions variables,

Caroline Léger

Cupulae, 2016

Cupules de glands, lycra, fil 30 x 30 x 30 cm

Benoît Piet Étoles, 2020

Tissage en soie, dimensions variables,

Marinette Cueco Entrelacs, 2019 Joncs capités, 4 bris d’ardoise, 50 x 50 cm,

Michel Dupuy Super-poncho, 2025 Huitres trouées, fil métallique

reçoivent un premier bain pour les assouplir puis vient le temps d’accueil de l’étoffe. Le tisserand se sépare alors d’une partie de lui et la chamane récupère une partie d’elle. Les trois étoles de Benoît Piet présentées dans l’exposition ont été fabriquées pour son usage personnel. Elle sont comme la fin d’un cycle qui clôture un travail de commande réalisé pour d’autres précédemment.

C’est par l’apprentissage de la tapisserie et du tissage que Marinette Cueco a commencé sa carrière. À partir des années 70, elle applique ses connaissances techniques acquises précédemment à ce qu’elle nomme des « entrelacs ». Elle tisse, tresse, entrelace des végétaux en ajoutant parfois des fragments d’ardoise quelle ramasse lors de ses promenades dans la campagne Corrézienne. Il y a chez elle une volonté de ne pas jeter, de conserver, d’accumuler pour transformer.

Même si à ma connaissance elle n’a jamais fait mention de la tradition amérindienne des dreamcatchers, on ne peut s’empêcher de trouver certaines similitudes formelles entre son travail artistique et ces objets magiques qui protègent des mauvais rêves et des énergies négatives pendant le sommeil. Au-delà de cette similitude, ce qui rapproche certainement Marinette Cueco des peuples autochtones d’Amérique du Nord, c’est la grande connaissance et le respect qu’elle portait aux plantes et à la nature en général. Outre les deux entrelacs présents dans l’exposition , on découvrira également et pour la première fois un vêtement en végétaux réalisé à l’occasion de la naissance de son petit fils.

Michel Dupuy a longtemps officié en duo avec l’artiste Michel Dector. Adeptes de performances, ils organisent des visites guidées de l’espace urbain, au cours desquelles ils portent un regard d’expert mais néanmoins décalé et humoristique sur les signes et les petites choses qui nous entourent. Ils nous révèlent des formes qui échappent souvent à notre attention comme une pancarte, des traces de vandalisme, un slogan repeint ou une boutique vide... Pour l’exposition, Michel Dupuy nous présente en son nom propre un super-poncho constitué de 241 coquilles d’huitres trouées reliées entre elles par du fil métallique. Cet objet, est support à une performance lors de laquelle il s’interroge sur la raison de la présence de trous sur les coquilles mais également sur ce que recoupe ce mot d’une manière élargie.

Dans son travail, Séverine Gallardo utilise la technique du feutrage, du crochet et de la broderie. Elle réalise des parures de tête, présentées comme des sculptures en attente d’être portées. Cette possibilité de retour de la sculpture vers le vêtement est confirmée par des photos de personnes posant coiffées. Ses formes sont exubérantes, ornées de riches motifs faisant référence à la nature, l’architecture et à l’humain et semblent être en attente d’un décryptage. Ce qui est certain c’est qu’elles donnent à celles et ceux qui les portent une importance, une élévation et paradoxalement un ancrage au sol. Nous avons en les regardant l’impression d’avoir affaire à des chef.fe.s de clan, de tribu. Cette impression se vérifie quand on apprend que les modèles posant sur les photographies sont tous des membres de la famille de l’artiste.

(1) Selon la légende, Saint Alexis était un jeune patricien qui devint mendiant pour l’amour de Dieu. Il choisit le dénuement total en renonçant au mariage, aux biens terrestres et même à son identité. Après de longues années passées en Orient dans la mortification et la mendicité, il revint à Rome poursuivre jusqu’à sa mort sa double ascèse, incognito, devant le palais de ses parents.

(2) Arthur Bispo do Rosário est un artiste afro-brésilien né en 1911 et mort en 1989 à Rio de Janeiro. Son œuvre et son parcours sont marqués par une lutte silencieuse contre l’isolement et l’institutionnalisation. En 1938, Dieu lui apparaît, escorté de sept anges. Une mission divine lui est confiée : Il devra consacrer sa vie à répertorier, classer et représenter tous les objets et personnages de son quotidien pour les montrer à Dieu le jour de sa mort.. pendant plus de 50 ans il sera pensionnaire d’un hôpital psychiatrique de la banlieue nord de Rio, et développera un travail mystique.

(3) L’ourdissage est une opération préalable et préparatoire au tissage qui consiste à assembler les fils de chaînes parallèlement par portées, dans l’ordre qu’ils occuperont dans l’étoffe.

Séverine Gallardo, Chapelle La nuit, 2025

Couture à la main, feutrage à l’aiguille et au savon, broderies, tricots, crochet, appliques, perlages, 80 cm x 50 cm x 14 cm.

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