LUNDI 18 JUIN 2018
RÉGION FAITS DIVERS
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LES QUATRE SUSPECTS INCARCÉRÉS
L’enquête est désormais dirigée par un juge d’instruction du pôle criminel de Reims.
Un bouquet de fleurs a été déposé sur le lieu de l’assassinat de Mourad.
Quatre Vitryats ont participé au guet-apens : trois majeurs âgés de 24 à 38 ans, et un mineur âgé de 17 ans. Deux des trois majeurs ont des antécédents judiciaires. Ils ont déjà été condamnés pour des faits d’atteintes aux personnes, d’atteintes aux biens, pour des infractions routières, des infractions économiques et financières et des infractions à la législation sur les produits stupéfiants. Un majeur et le mineur n’ont jamais été condamnés. Deux des trois majeurs, dont Saïd Lebbar, ont été mis en examen des chefs d’assassinat et tentative d’assassinat. Le troisième majeur et le mineur ont été mis en examen des chefs de complicité d’assassinat et de complicité de tentative d’assassinat. Les quatre mis en cause, qui ont demandé un délai pour préparer leur défense, ont été provisoirement incarcérés par le juge des libertés et de la détention, dans l’attente du débat sur leur éventuel placement en détention provisoire qui devra intervenir dans un délai maximum de quatre jours. Qu’encourent-ils ? La réclusion criminelle à perpétuité pour les trois majeurs ; une peine de 20 ans de réclusion criminelle pour le mineur, sauf si l’excuse d’une minorité n’était pas retenue. Dans ce cas, il encourrait jusqu’à 30 ans de réclusion criminelle.
LES AUTRES POINTS Un ténor du barreau pour l’auteur des coups de feu ? Mourad, 35 ans, était célibataire et n’avait pas d’enfant. inscriptions suivantes : « Repose en paix », « On t’aime », et « Pour Mourad, notre frère ». Dans le convoi, jeunes et anciens, femmes et hommes, se mélangent. En silence. Jusqu’à l’arrivée sur les lieux du drame. « Nous avons tous grandi ici. Nous sommes tous frères », crie alors l’un des proches, avant de réciter une prière. Un bouquet de fleurs est déposé près du lampadaire, à l’angle de la rue du 11Novembre-1918 et du 8-Mai-1945, lieu où Mourad a été froidement abattu, quelques jours avant son 36e anniversaire. « Il avait une grande gueule, mais un grand cœur », déclare un cousin. Célibataire et sans enfant, le Vitryat faisait partie d’une famille de treize frères et sœurs. « Il travaillait dans le BTP, raconte Karima. Il avait participé à l’installation des échafaudages de la collégiale de Vitry-le-François. » Pour la jeune femme, Mourad était « une belle personne ».
DES HABITANTS S’ADRESSENT AU MAIRE Ayant souhaité gardé l’anonymat, l’un des occupants de l’établissement et service d’aide par le travail (ESAT) du Meix-Tiercelin, abondait en son sens. « J’aimais bien Mourad, dit-il, expliquant qu’il était arrivé à plusieurs reprises que le Vitryat remplace leur chauffeur de bus. « Il était adorable, toujours souriant. Il
blaguait souvent, et ne disait jamais un mot plus haut que l’autre. Je ne comprends pas ce qui a pu se passer. C’est vraiment dommage. » ..................................................................
“Ses tueurs ne l’aimaient pas. Ils avaient peur de lui, car il était influent” Pour les habitants de Rome-SaintCharles, Mourad était « un frère », respecté et écouté. Notamment quand il s’opposait à la vente de drogue dans les rues du quartier. « C’est pour ça qu’il est mort. Ses tueurs ne l’aimaient pas. Ils avaient peur de lui, car il était influent. Il y avait déjà eu des embrouilles, des coups avaient été échangés. Cela ne l’empêchait pas de dire tout haut ce que les autres pensaient tout bas. Mais là, il s’est fait massacrer. » Les faits ont été d’une violence inouïe. De quoi choquer les habitants. Lesquels ont profité de la présence du premier magistrat de la commune, JeanPierre Bouquet, pour faire part de leur incompréhension. « Monsieur le maire, c’est vous le chef de la ville. Il faut jouer votre rôle ! » « Nous n’allons pas faire des marches blanches tous les dix ans. » « Il faut des renforts pour les vrais problèmes ». Des cris de colère que l’édile a écoutés, patiemment,
sans faire de grandes promesses. « Si je suis ici, c’est d’abord pour vous témoigner notre peine. Nous sommes des hommes avant tout, même si chacun est différent. Il faut essayer d’organiser des choses pour que l’on se respecte, s’écoute et vive ensemble », a-til répondu à l’assemblée, avant de prendre congé pour se rendre au domicile de la famille Chegrouche afin d’échanger. Dans la rue, l’esprit de justice prédominait. « Il faut une peine exemplaire. Témoignez. Continuez à témoigner. Les vendeurs de poudre, on n’en veut plus. »
“LA HAINE ENGENDRE LA HAINE” Recluse chez sa maman, la sœur de Saïd Lebbar, Samira, qui est venue de Marseille pour fêter un anniversaire en famille, est atterrée. « Nous ne faisons que recevoir des menaces, ditelle, nous sommes tous accusés d’être des assassins. » Glissant que la victime n’était pas « un ange », elle défend farouchement l’honneur de son frère, « connu pour avoir fait de bonnes choses sur Vitry-le-François », et notamment pour les enfants. « On accuse Saïd alors qu’il n’a pas encore été jugé. C’est écœurant. » Et de conclure en craignant que « la haine engendre la haine. Pendant la marche blanche, l’un de mes frères a été coursé avec un couteau ».
SOPHIE BRACQUEMART et JEAN-MARIE CORNUAILLE
Lors de la marche blanche, couraient les rumeurs les plus folles. Un exemple : l’auteur des coups de feu aurait souhaité engager Maître Éric Dupont-Moretti, le célèbre avocat pénaliste. « Celui qui a tué Mourad n’a été arrêté qu’à dix heures, le lendemain du meurtre. Soit douze heures après les faits. Il a eu le temps de rassembler de l’argent et d’appeler Dupont-Moretti. » Mauvaise pioche. C’est l’avocat rémois Maître Mourad Benkoussa qui défendra ses intérêts.
La famille Chegrouche appelle au calme Durant tout le week-end, la tension a été à son maximum à RomeSaint-Charles. Lors de la marche blanche, la famille Chegrouche a de nouveau fait appel au calme et à la non-violence. « Si on reste calme, c’est juste pour eux », ont fait savoir plusieurs habitants, lors de l’échange avec Jean-Pierre Bouquet.
Un infirmier a prodigué les premiers secours Vendredi soir, les pompiers ont dû attendre que les gendarmes sécurisent le secteur pour intervenir. En attendant leur arrivée, ce sont des jeunes du quartier qui ont prodigué les premiers soins à Mourad et son frère, Abdelhakim, blessé dans le pli de l’aine. Un infirmier a pris les choses en main avant de passer le relais aux secours.
Trois années “noires” 1992 : des émeutes urbaines éclatent à la suite du décès d’un cyclomotoriste vitryat. Ne portant pas de casque, ce dernier avait lourdement chuté après qu’un policier s’est dressé en travers de son chemin pour l’arrêter. Il était décédé sur le coup. 2008 : Mohamed Dib est tué d’une balle en plein front, le 14 juin, dans le quartier du Hamois. S’ensuit une nuit d’émeutes, au cours de laquelle le quartier Rome-Saint-Charles sombre dans le chaos. 2018 : la fête de l’Aïd-el-Fitr tourne court après le meurtre de Mourad Chegrouche. Pas d’émeutes, mais une situation particulièrement électrique.