n°373 - Points Critiques - novembre/décembre 2017

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N°373 - 4,00 €

NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2017

Bimestriel de l’UNION DES PROGRESSISTES JUIFS DE BELGIQUE

UPJB

OCTOBRE 17-17


UPJB Bimestriel de l’Union des progressistes juifs de Belgique (ne paraît pas en juillet et en août)

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UNION DES PROGRESSISTES JUIFS DE BELGIQUE

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de gauche, d’égalité, de justice et d’émancipation. Vous

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Jacques Aron, Marianne De Muylder, Anne Grauwels, Jeremy Grosman, Judith Lachterman, Daniel Liebmann, Antonin Moriau, Françoise Nice, Tessa Parzenczewski, Elias Preszow, Henri Wajnblum, Gérard Weissenstein

Ont également collaboré à ce numéro

Galia De Backer, Debarati Guha, Amir Haberkorn, Amira Hass, Irène Kaufer, Michèle Liebman, Gilles Maufroy, Isabelle Stengers, Leïla Vander Ghinst Lachterman

Illustrations

Couverture, illustrations : Gecko Photos p.42: Milena De Coster

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Éditorial ANNE GRAUWELS

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’il faut en croire Charles Michel notre Premier ministre, un spectre hante toujours l’Europe et en particulier la Wallonie: le spectre du communisme. Aujourd’hui chez nous, il prend la forme d’un parti réformiste certes radical mais non plus révolutionnaire, le PTB.

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et la promotion des valeurs démocratiques d’égalité, de solidarité, de justice sociale et, en particulier, de combattre toutes formes de racisme; de contribuer à la lutte en faveur d’une politique d’asile et d’immigration à visage humain ; de contribuer à la lutte pour la paix dans le monde et, en particulier, au combat pour un règlement juste du conflit israélo-palestinien qui garantisse la sécurité et la souveraineté des deux peuples dans l’égalité.

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Mais que reste-t-il de la révolution et du communisme cent ans après la révolution d’octobre? Une révolution qui ne déboucherait pas sur le totalitarisme, est-ce possible? Une question lancinante pour ceux et celles qui continuent à se poser la question d’une alternative au capitalisme. Si la révolution d’octobre - avec ses péripéties, ses débats, ses espoirs et ses désillusions - reste une abstraction pour la jeune

génération, elle a marqué profondément le rapport à la politique et au monde des générations d’après-guerre et de mai 68, et, parmi eux, en particulier des Juifs. Il y eut ceux qui, venant des shtetls à l’Est, se sont engagés corps et âme dans les combats antifascistes qui ont marqué le siècle dernier: d’abord aux côtés des brigades rouges d’Espagne, ensuite dans la Résistance au nazisme. Pour les militants juifs, le Parti Communiste fut non seulement l’espoir d’un monde meilleur sans exploitation et sans racisme mais également une famille se substituant à leurs parents disparus. Le paradis soviétique, on y croyait dur comme fer. Mais les crimes et l’antisémitisme de Staline, étalés au grand jour lors du fameux Rapport Khrouchtchev, ont fini par avoir raison de leurs illusions. Ensuite il y eut mai 68 ou la tentative de réinventer la révolution, tout en revenant aux «fondamentaux». Aujourd’hui, malgré la défaite de ces révolutions qui ont marqué le XXème siècle, la quête d’un monde plus humain n’a pas cessé d’engendrer de nouvelles luttes et de nouvelles pistes de réflexion. Dans ce numéro nous sondons ce qu’il reste de cet élan parmi les Juifs progressistes. Plusieurs générations témoignent … En plus des articles consacrés à cet anniversaire d’octobre 17, vous trouverez, disséminés dans ce numéro, quelques « fragments » où des lecteurs nous livrent ce qui constitue pour eux la plus belle citation révolutionnaire. Où la politique croise l’intime …

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Que reste-t-il de nos amours ? JUDITH LACHTERMAN

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ans les années 30, parmi les Juifs qui ont fui l’Europe de l’Est, sa misère et son antisémitisme, bon nombre se réclamaient du communisme. En Belgique, ils occupaient une place considérable dans la « rue juive » et, après la Seconde Guerre Mondiale, ils ont été les initiateurs d’un important mouvement de sa reconstruction. Parmi eux, les fondateurs de Solidarité juive, l’ancêtre de l’Upjb. Que reste-t-il de cet héritage idéologique? Judith Lachterman s’est entretenue avec Alain Lapiower, auteur d’une histoire très fouillée de cette vie juive de l’après-guerre, Antonin Moriau, le coordinateur du mouvement de jeunesse de l’UPJB, et Daniel Liebmann, coordinateur de l’UPJBadultes.

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« Le communisme à l’Upjb, c’est une affaire tortueuse. Nous avons reçu en héritage un mouvement communiste traversé de profondes dissensions et de conflits» explique Alain Lapiower. « Cette question du communisme est redevenue actuelle avec les nombreux mouvements en Europe qui se réclament, si pas de cette appellation, du moins de cet héritage. Ce retour en force de l’extrême-gauche montre que les questions soulevées par les mouvements communistes sont restées jusqu’à ce jour sans réponse. Faire le projet d’une nouvelle société est plus que jamais d’actualité. Mais la gauche subit toujours les séquelles du

désastre qu’a été le stalinisme, et aussi de l’échec de la Révolution d’Octobre». Selon Alain Lapiower, plus personne n’ose employer les mots « communiste » et « marxiste ». « Si tu fais la Révolution de manière autoritaire, tu vas vers une société autoritaire » «On te regarde de travers comme si tu étais fou... tout ce qui s’est passé en Union soviétique - ou encore tout ce qui ne s’y est pas passé, tout ce qui aurait dû naitre de la Révolution et a été détourné, dévoyé - porte la suspicion sur tout mouvement de gauche. Mon regard sur le mouvement communiste était très critique en 1985, quand j’ai écrit mon livre, plus que si je l’avais écrit aujourd’hui. Je réglais un compte, j’étais encore proche de ma période d’engagement politique. Le fonctionnement de ces groupes communistes était profondément antidémocratique. On n’essayait pas de se rencontrer, on ne s’intéressait pas à l’opinion de l’autre. Or si tu fais la Révolution de manière autoritaire, tu vas vers une société autoritaire ». A l’origine de ce renoncement au communisme, il y a évidemment de nombreuses déceptions et un deuil souvent douloureux de lendemains qui ne chantent plus. « Il n’y avait pas que moi, toute une partie de ma génération était un peu comme ça dans les années 80, il y avait une sorte d’écœurement, une douloureuse claque à encaisser. J’ai relativisé cela en faisant

Lénine aux puces © Anne Grauwels

des recherches historiques, j’ai réalisé que cette claque n’était tout de même pas comparable à celle que nos parents avaient prise quand ils se sont rendu compte de ce qu’était devenu leur idéal. » Si nous vivons mieux aujourd’hui qu’il y a cinquante ans, certaines questions sont effectivement restées en suspens. Démocratie et égalité sociale stagnent tristement, voire même régressent. Et Alain Lapiower de s’interroger: « Si le communisme n’est plus la réponse appropriée, quelles options nous restet-il. Aujourd’hui, les mêmes questions d’égalité sociale et culturelle se posent et manifestement la façon dont le com-

munisme y a répondu n’est pas bonne… Mais nous restons avec ces questions. » « Il n’y a plus de croyance dans un idéal auquel les ‘masses désaliénées’ devraient se rattacher » Pour Antonin Moriau, ceux qui fréquentent le mouvement sont conscients d’être à contre-courant du propos dominant: « Nos jeunes n’ont pas le sentiment d’appartenir à quelque chose qui les dépasse, le bien commun. S’ils ont des remises en causes, elles sont individualisées. Ils veulent sortir du modèle de consommation et d’exploitation de notre planète mais à un niveau individuel. Ils veulent construire

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quelque chose qui est moins inspiré par les révolutions communistes que par le fantasme d’une vie pré-moderne, d’avant le capitalisme ».

se débarrasser de la voiture demanderait un changement radical ! Mais grâce à qui ? Cette fois-ci, il n’y aura pas d’Armée Rouge… ».

Pour beaucoup de jeunes et de moins jeunes d’aujourd’hui, comme ce fut le cas après 68, ce retour à une vie d’avant l’ère industrielle est le signe d’une profonde déception. Ils ne pensent plus « la lutte » comme une prise de pouvoir et s’inscrivent dans des petites collectivités qui ne luttent pas pour le « bien commun » mais qui cherchent à échapper au système sans le modifier en profondeur. « Dans ces mouvements, selon Antonin Moriau, on ne croit pas à un idéal auquel les masses « désaliénées » pourraient se rattacher ». Alain Lapiower a visité une de ces collectivités en Catalogne. Il en est sorti très troublé: « Ces communautés sont beaucoup plus réalistes et efficaces que ce que nous avions mis en œuvre dans les années 70, elles perdurent 10, 20 ans, elles sont intergénérationnelles, elles sont inscrites dans l’économie et organisent chaque année des rencontres avec toutes les communautés de la région pour discuter des possibilités de développement du mouvement et parler politique d’une autre façon. »

Mais l’attachement au communisme des membres de l’Upjb et de son ancêtre, Solidarité juive, aux lendemains de la guerre, n’était pas qu’idéologique, il était aussi sentimental. « Les anciens, considéraient qu’ils devaient leur survie aux communistes. Ils avaient construit ou reconstruit leur vie dans ce milieu communiste quasi familial… Ils ne pouvaient pas entendre ce que Staline avait fait aux Juifs », rappelle Alain Lapiower.1 Ce sont les dirigeants qui se sont éloignés du communisme, notamment après le XXe Congrès du Parti communiste (en 1956) et les révélations du rapport Khrouchtchev, notamment celles concernant l’attitude de Staline vis-à-vis des Juifs. Un ancien témoigne: «Nous avons compris alors que Staline était un grand salopard qui n’avait pas beaucoup à envier à Hitler… C’était une très grande déception. Tout le monde y croyait. L’Armée rouge avait été si importante et quand les Chœurs de l’Armée rouge venaient à Bruxelles, c’était toute une histoire … »

« Nous avons compris que Staline était un grand salopard »

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Daniel Liebmann observe qu’après la Guerre 40-45, les Juifs pensaient que la catastrophe était derrière eux et que, hélas, aujourdhui, cette idée n’est plus tout à fait d’actualité… « Aujourd’hui, tant sur le plan du racisme que de l’écologie, la situation est catastrophique… Pour faire bouger les choses, il faudrait un changement de rapport de force radical. Même

Une histoire en forme de creux dans une association mosaïque où les questions comptent plus que les réponses, le communisme des membres de l’Upjb est une affaire personnelle dans une association où on est Juif comme on veut et communiste si l’on veut bien encore …

(1) Alain Lapiower: «Libres enfants du ghetto» Editions Points Critiques/Rue des usines, Bruxelles 1989 (Il reste quelques exemplaires à l’UPJB)

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Fragment d’une révolution - 1 AMIR HABERKORN

«

Sans les masses, les chefs n’existent pas » Ce qui me frappe, au-delà de cette interHannah Arendt prétation simpliste et très cadrée idéologi-

En ces temps sombres, commémorer la Révolution d’octobre 1917 passe presque obligatoirement par une dénonciation de ses dirigeants. Cet événement est lu et analysé comme, au mieux, une crise politique qui a abouti en une prise de pouvoir par des dirigeants politiques et qui s’est transformée immédiatement après en dictature. Et par conséquent, les analyses pointent ces mêmes dirigeants comme responsables de la guerre civile qui s’en est suivie. Lénine, Trotski et d’autres, parmi lesquels Staline, seraient les organisateurs d’un coup d’Etat et les artisans de 60 ans de malheur en l’Union Soviétique. Ainsi la Révolution d’octobre 1917, un évènement majeur dans l’histoire mondiale, est résumée en un coup d’Etat et ne possède donc aucune légitimité.

quement, c’est de considérer les masses, le peuple, comme un troupeau de suivistes, qui au fond ne forme qu’un décor lointain, certes réel, mais sans intérêt pour - et impuissant par rapport à - ce qui se déroule sous ses yeux. Cette constatation souligne fortement le mépris que ces analyses portent aux masses qui, de leur point de vue, ne peuvent être qu’amorphes, évidemment. En plus, ce décodage « historique » ne prend pas en compte le fait essentiel qu’aucun - et je souligne bien aucun - évènement politique d’envergure, ni en bien ni en mal, ne se produit sans la présence des masses comme acteur premier. C’est ce que Hannah Arendt a voulu démontrer quand elle a écrit « Sans les masses, les chefs n’existent pas ».

Le bolchevik vu par Koustodiev en 1920

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Les avant-gardes: des lendemains qui chantent à la terreur FRANÇOISE NICE ET TESSA PARZENCZEWSKI

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l est de bon ton, ces jours-ci, de présenter Lénine comme le chef d’une secte millénariste, auteur d’un coup d’état réussi, ouvrant l’épisode totalitaire soviétique. En abordant l’histoire de cette façon, on néglige les approches historiques récentes, on évacue les faits, la dynamique insurrectionnelle et l’utopie en acte. Et cette utopie, décrite ci-dessous par Françoise Nice, on la retrouve dans les expressions artistiques qui ont accompagné la Révolution et les années de guerre civile… avant de sombrer dans la normalisation stalinienne, ces années 30 que Tessa Parzenczewski dénonce comme étant celles du « Temps de la terreur ».

LA REVOLUTION EN CHANTANT Françoise Nice

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1917-1991, le mur est tombé, circulez, il n’y a rien à voir, Lénine est le grand frère de Staline, moins borné, mais sectaire et colérique… En créant la police politique dès décembre 1917, en interdisant la plupart des journaux, en dissolvant l’assemblée constituante à peine élue, le jeune pouvoir révolutionnaire aurait directement montré la voie au stalinisme. Cette approche est fausse, la Révolution d’Octobre a engendré une intense vie culturelle bouleversant la « culture dominante ».

de guerre » en fera autant sinon plus: les estimations varient de 3 à 8 millions. De 1918 à 1922, l’Armée rouge constituée en hâte par Trotski combat les armées « blanches » parfois soutenues par l’étranger, des soulèvements nationaux (Ukraine, Caucase), des bandes armées « vertes » dans les campagnes et réprime en 1921 l’insurrection des marins de Kronstadt. C’est aussi une guerre de classes contre tous les « les gens d’autrefois », les « bourgouoï », les nobles, les patrons, le clergé.

A bas l’ancien monde, vive la Révolution

Dans ce chaos, environ cent mille Juifs sont tués lors de centaines de pogroms. Au printemps 1918, l’Armée rouge y est impliquée à deux reprises. Les soldats coupables sont exécutés ou sévèrement réprimés. Après quoi, l’Armée rouge apparait comme le meilleur défenseur des Juifs.

La période 1917-1922 est marquée par une grande effervescence créatrice. Les lieux, les contenus, les formes changent, de nouveaux médias - le cinéma et les affiches- sont utilisés par le jeune pouvoir et ses activistes enthousiastes, exaltés. Et cela, dans un contexte de grande violence, de pénuries et rationnements, où le typhus et la faim font des ravages. Entre 1914 et 1917, la guerre fait 3,3 millions de morts, le « communisme

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l’avant-garde foisonne d’audace, d’accents nouveaux, en poésie, en musique, en peinture. En 1913, le manifeste « Gifle au goût du public » proclame qu’il faut « jeter Pouchkine, Dostoïevski, Tolstoï et Cie par-dessus bord du navire de la modernité » … et du haut des gratteciels regarder avec mépris l’insignifiance des Balmont, Blok, Bounine, Brioussov, Gorki… La tentation de la « table rase » existe, Lénine la combattra, en affirmant, fin 1920, que « le marxisme a conquis une importance historique mondiale comme idéologie du prolétariat révolutionnaire, parce qu’il n’a pas du tout rejeté les plus précieuses conquêtes de l’époque bourgeoise, mais au contraire a assimilé, retravaillé tout ce qu’il y avait de valable dans le développement plus que millénaire de la pensée et de la culture humaine ».

Un à trois millions de Russes fuient leur pays, dont une bonne partie de l’intelligentsia. D’autres restent, et parfois se rallient à la Révolution. Depuis le début du siècle,

Propagandistes ou « compagnons de route », les artistes sont nombreux à répondre à la main tendue d’Anatoli Lounatcharski, le premier commissaire du peuple chargé de l’instruction et de la culture avec Nadejda Kroupskaïa, l’épouse de Lénine. Il est l’un des fondateurs du Proletkult, ce mouvement de démocratisation et d’émancipation par l’art. A travers tout le pays, malgré la guerre civile et les pénuries, des centaines d’ateliers voient le jour, où tous, hommes et femmes, ouvriers et employés s’initient à une pratique artistique. En 1917, la démocratie directe s’invente dans les soviets autogestionnaires, la révolution culturelle prend le relais. Elle ouvre de nouveaux espaces d’expression. Les frontières entre les arts éclatent, à la recherche d’un art total exprimant la victoire du prolétariat. Il s’agit tout d’abord de sortir de l’arriération un pays où trois quarts

9 A.M. Rodtchenko - Le Cuirassé Potemkine - Moscou 1925


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ANNÉES 30, LE TEMPS DE LA TERREUR de la population n’est pas ou peu alphabétisée. Début 1918, l’instruction devient obligatoire, gratuite et mixte. Peu après, les personnes lettrées se voient obligées de participer à des campagnes d’alphabétisation, parallèlement à l’instituteur, qui pour Lénine, « doit être placé plus haut qu’il ne l’a jamais été et ne le sera jamais » . Le pouvoir communiste est le premier, dans l’histoire, à avoir compris, comme le dira Trotski, que « ce n’est pas par la terreur qu’on fait des armées … pour notre armée, le ciment le plus fort ce furent les idées d’Octobre ». L’Armée rouge dispose aussi de clubs culturels.

niste tente de ramener dans le giron du Narkompros (le ministère de la culture) le mouvement du Proletkult trop autonome à ses yeux. La reprise en main d’une sphère artistique effervescente, où les combats de chapelle entre artistes prolétariens et modernistes sont extrêmement sectaires, interviendra à la toute fin des années Vingt. Après la

Emanciper culturellement le prolétariat Eduquer, promouvoir les objectifs politiques du jeune pouvoir, inventer une nouvelle société égalitaire dans la foi du progrès industriel, cette politique globale n’était pas tombée du ciel. Lounatcharski, son beau-frère Alexandre Bogdanov et Lénine avaient beaucoup écrit à propos de l’émancipation culturelle du prolétariat. Pour Bogdanov, une nouvelle culture allait surgir avec l’industrialisation, l’ouvrier devant sa machine s’extirpant des croyances rurales irrationnelles. Lénine combattit cette approche idéaliste. En matière d’arts, il était traditionnaliste. C’est ce qu’il confia à la féministe et révolutionnaire allemande Clara Zetkin: « J’ai l’audace de me déclarer «barbare». Je ne peux pas considérer les œuvres de l’expressionnisme, du futurisme, du cubisme et autres — ismes — comme des manifestations supérieures du genre artistique. Je ne les comprends pas. Ils ne me donnent aucune joie ». 10

Pour Lénine, l’instruction passe avant l’essor des arts. Fin 1920, le Parti commu-

Tessa Parzenczewski Parmi les victimes du stalinisme, les poètes, romanciers, peintres, hommes de théâtre occupent une place de choix. Au pire, exécutés, déportés, au mieux réduits au silence. Certains, et non des moindres, prirent le chemin de l’exil: Chagall, Kandinsky. Dès les années 30, toute la vie culturelle est mise sous surveillance. Installé dans les hautes sphères, Jdanov dicte sa loi. Et ce sera le réalisme socialiste pour tous. Toute l’effervescence créatrice des années 20, qualifiée par Jdanov de honte pour l’Union Soviétique, est mise sous le boisseau. Les œuvres ensevelies dans les caves des musées et leurs auteurs mis au pas ou traqués. Malevitch, arrêté quelques semaines, abandonne la radicalité de sa quête suprématiste et retourne à la figuration, mais ne rend pas les armes. Dans des toiles aux couleurs éclatantes, toujours très construites, ses paysans aux visages aveugles symbolisent-ils le sort fait aux koulaks? Nul ne le sait, mais l’art est toujours au rendez-vous. Parfois, comme un pied-de-nez, un minuscule carré noir figure au bas du tableau. Ce même carré noir arboré sur son corbillard, lors de ses funérailles en 1935.

Photomontage 1924- G Klutsis

révolution en chantant (la Marseillaise, la Varsovienne, l’Internationale) viendra le temps d’écrire, composer, sculpter l’épopée de la Révolution. Avec Saint Lénine, puis Staline en guise d’icônes. La Révolution dévorera ses enfants. Mais les bases d’une éducation générale de haut niveau ont été posées, y compris dans le domaine des arts.

Tatline, communiste fervent, qui abandonna ses contre-reliefs novateurs inspirés par le cubisme, pour se lancer dans la conception audacieuse d’objets destinés à tous avec une inventivité rare, Tatline qui créa le monument à la 3ème Internationale, une gigantesque spirale habitable, et aussi une étrange machine volante, du Panamarenko avant la lettre, Tatline vit son espace de création se rétrécir graduellement et ne dut sa survie qu’à des travaux alimentaires. Il mourut en 1953 dans une institution pour artistes nécessiteux.

Ceux qui s’adaptèrent et les autres ... El Lissitzky et Rodtchenko, toujours convaincus? S’adaptèrent. El Lissitzky agença les scénographies des pavillons soviétiques pour des expositions internationales, notamment à Leipzig, Dresde et Paris, entre 1930 et 1939 et Rodtchenko, auteur déjà en 1921 de tableaux monochromes et graphiste remarquable, devint le photographe de la revue «L’Urss en construction» où il captait surtout les cérémonies officielles, tout en gardant son style d’origine caractérisé par l’utilisation de l’oblique. Dans le domaine théâtral, une figure s’impose. Meyerhold qui chamboula les règles anciennes des dispositifs scéniques, rejeta le psychologisme et donna autant d’importance à la gestuelle qu’à la parole. Il monta notamment une pièce de Maïakovski dans des décors de Malévitch. Son théâtre fut qualifié d’étranger au peuple soviétique et hostile au monde soviétique. Il fut fermé en 1938. En 1939, Meyerhold est arrêté, torturé et finalement fusillé en février 1940. Et du côté des écrivains, des poètes? Maïakovski qui rassemblait des foules pour écouter ses poèmes aux rythmes heurtés, quasi syncopés, qui disaient la nouvelle société dans une forme Couverure de De Ceci de Maïakovski. 1923

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nouvelle, fut lui aussi accusé d’hermétisme, ce à quoi il répondit: «La compréhension des masses est le résultat de notre lutte et non la chemise dans laquelle naissent les livres chanceux d’un quelconque génie littéraire. Il faut savoir organiser la compréhension d’un livre». Maïakovski se suicida en 1930. Nul ne peut dire si la période noire qui s’annonçait y a joué un rôle. Il y eut aussi ceux qui furent interdits de publication. Les poèmes d’Akhmatova ne furent édités en Union Soviétique qu’en 1966. Et que dire de Babel et de Mandelstam? Auteur de «La cavalerie rouge» et des «Contes d’Odessa», Isaac Babel se tut pendant les années trente. Il fut arrêté et exécuté en 1940. Voici ce qu’en dit Erri De Luca: «On l’a fusillé à Moscou le 27 janvier 1940, sans lieu de sépulture. Il avait quarante-cinq ans, ce qu’il a écrit me suffit pour le considérer comme le meilleur écrivain russe du 20e siècle. Ce qu’il n’a pas pu écrire ne me manque pas. En revanche, je suis peiné par le désespoir d’un homme doté d’un puits d’encre où tremper sa plume qui lui fut scellé d’un bout de plomb dans le cerveau». Le calvaire de Mandelstam Des livres ont été consacrés au long calvaire d’Ossip Mandelstam. Ce poète majeur fut persécuté et traqué tout au long de ces années de terreur. Il ne s’agissait pas seulement de ne pas être publié, mais même de ne pas écrire, car des indics fouillaient les domiciles pour trouver des textes suspects. C’est ainsi que Nadejda Mandelstam a mémorisé les poèmes de son mari et les a sauvés de l’oubli. Ne pas publier, ne

12 «Têtes de paysans», Kasimir Malevitch (vers 1930)

pas écrire, et vivre dans un dénuement total. Dans une lettre adressée à son frère, Mandelstam écrit: «On m’a tout supprimé: le droit à la vie, au travail, aux soins. Je suis réduit à l’état d’un chien, d’une bête. Je suis une ombre. Je n’existe pas. Je n’ai qu’un seul droit: mourir. On nous pousse, ma femme et moi au suicide». Mandelstam fut arrêté deux fois, la deuxième, en 1938, fut la bonne, il n’en revint pas. «C’est le siècle chien-loup qui sur moi s’est jeté/Mais pas de sang de loup dans mes veines…». Plus tard, au début des années 50, tombèrent sous les balles staliniennes des poètes et écrivains yiddish. Peretz Markish bien sûr, mais qui connaît Dovid Bergelson, écrivain discret et mélancolique, exécuté en 1952 et Der Nister, conteur du fantastique, mort au goulag en 1950 ? Certes avec des conséquences moins tragiques, le réalisme socialiste fit des ravages dans les partis frères. Dans les années 50/60, sévissait aux «Lettres françaises» dirigées par Aragon, un critique qui toutes les semaines vilipendait l’art abstrait, au «Drapeau Rouge», en Belgique, cela dura plus longtemps, jusqu’au creux des années 80… En 1979, au Centre Pompidou, l’exposition «Paris-Moscou» remit en lumière les œuvres occultées des années 20 et ce dans tous les domaines: peinture, sculpture, architecture, design, graphisme, stylisme… Et ce fut un éblouissement. Une revanche, mais pleine d’amertume.

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Fragment d’une révolution - 2 -

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L’histoire tourmentée des partis communistes israéliens

DANIEL LIEBMANN

«

Où veux-tu en venir avec les souffrances particulières des Juifs ? Pour moi, les malheureuses victimes des plantations d’hévéas dans la région du Putumayo, les nègres d’Afrique dont les Européens se renvoient les corps comme on joue au ballon, me touchent tout autant. Te souviens-tu du récit de la campagne de Von Trotha dans le Kalahari, que l’on trouve dans l’ouvrage du Grand état-major ? « Et les râles des agonisants, les cris de ceux que la soif avait rendus fous retentissaient dans le silence sublime de cette immensité ». Ce « silence sublime de l’immensité » où tant de cris se perdent, il éclate dans ma poitrine si fort qu’il ne saurait y avoir dans mon cœur un petit recoin spécial pour le ghetto : je me sens chez moi dans le vaste monde partout où il y a des nuages, des oiseaux et des larmes ». Rosa Luxemburg Lettre à Mathilde Wurm, 16 février 1917. (1)

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Ce fragment d’une lettre de prison de Rosa Luxemburg est traversé par un souffle révolutionnaire et internationaliste intact, « innocent » serait-on tenté de dire si on ignorait la pensée stratégique à laquelle se rattachait son auteure. Pourquoi « avoir dans [son] cœur un petit recoin spécial pour le ghetto », alors que d’ici peu l’Armée Rouge mettra fin aux pogroms orchestrés par le régime tsariste et que bientôt, libérée comme bien d’autres dirigeants ouvriers des geôles du Kaiser, une théoricienne et militante socialiste juive et polonaise sera à la tête de la Révolution allemande, deuxième étape vers le basculement vers un monde nouveau pour qui l’antisémitisme appartiendra à la préhistoire au même titre que l’exploitation du travail par le capital ?

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Vraiment Mathilde, « où veux-tu en venir » ? N’entends-tu pas les « râles des agonisants » du monde colonisé - en particulier ceux des victimes de la campagne Von Trotha en Namibie, la tribu des Hereros contre laquelle ce général allemand lançait un ordre d’extermination (Vernichtstungbefehl): « N’épargnez aucun homme, aucune femme, aucun enfant, tuez-les tous » ? Les historiens d’aujourd’hui découvrent à peine que l’armée allemande avait procédé, en 1907 dans le désert du Kalahari, au premier génocide du XX ème siècle (meutre de masse par la soif)... Dix ans plus tard, pour illustrer l’incongruité à ses yeux d’une empathie particulière envers les Juifs, Rosa Luxemburg répondait que, s’il y a bien des Damnés sur cette Terre, c’est « tout autant » (elle n’a pas écrit « plus ») du côté des cibles africaines de ce Vernichtstungbefehl qu’ils se trouvent. Certains diront « haine de soi ». Il s’agit au contraire d’un amour inconditionnel pour l’humanité, au risque de se perdre. Militer c’est avant tout, écrivait Daniel Bensaïd, « être loyal envers les inconnus ». A un siècle de distance, les nuages, les oiseaux et les larmes définissent toujours notre vaste monde, notre « chez nous » à tou.te.s...

(1) Lire aussi Norman Geras: «Les marxistes face à l’holocauste: Trosky, Deutscher, Mandel « in Gilbert Achar (éd), Le marxisme d’Ernest Mandel PUF 1999, pp. 171-93.

HENRI WAJNBLUM

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uverture aux arabes palestiniens, amour-haine avec l’URSS, relations complexes avec le sionisme… l’histoire du communisme israélien reflète les contradictions du pays …

à, eux aussi, former un État, sur les bases du Plan de partage de la Palestine voté à l’ONU. Il fait alors partie du mouvement communiste mondial et défend fermement l’Union Soviétique. Son électorat est juif et arabe et sa direction y est paritaire.

En fait, il est inexact de parler des partis communistes israéliens. Il y eut en effet d’abord le parti communiste de Palestine créé dès 1920, dans la foulée de la révolution d’octobre, par des dissidents du parti sioniste d’extrême gauche Poale Tsion Smol (littéralement : travailleurs de Sion gauche). Il a donc une origine sioniste. Mais dans les années 1920, sous l’influence de Moscou, il prend une orientation antisioniste et s’ouvre largement aux Arabes palestiniens d’extrême-gauche. Il sera, dans les années 1920-1940, le seul parti politique juif et arabe. À cette époque, il milite pour un État judéo-arabe unitaire en Palestine mandataire.

Maki a eu quatre sièges dans la première Knesset (Parlement israélien), et entre trois et six sièges à chaque Knesset jusqu’en 1965.

C’est en 1948 que le Parti communiste d’Israël (connu sous le nom de Maki, acronyme pour Miflaga Komunistit Yisraelit – parti communiste israélien) a été créé à partir des restes du parti communiste de Palestine, dans les frontières du nouvel État d’Israël. Dès 1949, avec la détérioration des relations entre les Soviétiques et l’État d’Israël -dont l’existence avait, au départ, été soutenue par l’URSS- le Parti Communiste d’Israël évolue vers une position « antisioniste » (dans le sens où il n’adhère pas à la construction de l’État d’Israël comme État juif bien qu’il en reconnaisse l’existence). Le parti affirme le droit des Palestiniens

LE MAPAM

Mais il n’y a pas que le Maki qui est étroitement lié à Moscou, il y a aussi le Mapam (en hébreu : Mifleget HaPoalim HaMeuhedet - Parti unifié des ouvriers), un parti sioniste d’extrême gauche et à l’idéologie marxiste. Le Mapam naît en janvier 1948 dans la Palestine mandataire, il constitue alors l’aile gauche du mouvement kibboutzique. À l’origine, le Mapam est créé par des petits partis de l’extrême gauche sioniste qui militaient pour un État Judéo-Arabe. Mais il accepte le Plan de partage de la Palestine de 1947. Son « programme d’unité » de janvier 1948 précise de façon assez contradictoire : « Le parti, tout en restant fondamentalement hostile au principe du partage territorial, participera avec toutes ses forces à l’édification de l’État juif et à sa défense. » Le Mapam est le deuxième plus grand parti politique en Israël aux élections de 1949, avec presque 15 % des voix, derrière le Parti travailliste, et ce statut est préservé jusqu’au milieu des années 1950. Il a alors

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Focus

une orientation idéologique clairement alignée sur Moscou, avec une ligne politique stalinienne forte. À compter du début des années 1950, l’URSS lance une violente campagne antisioniste. En 1952, des communistes juifs sont accusés de « sionisme » pendant le procès de Prague. Puis en 1953, des médecins juifs sont mis en cause dans le « complot des blouses blanches ». Ces évolutions secouent fortement les partisans du stalinisme. En 1954, l’aile droite du parti, Akhdut HaAvoda (Union du travail), quitte le Mapam, refusant l’alignement sur l’URSS. DU MAPAM AU MAKI

En 1955, le Mapam, dirigé par Ya’akov Hazan, subit un revers électoral, passant de 12,5 % à 7,3 % des suffrages. Il décide alors de prendre ses distances avec l’URSS, mais reste positionné comme le parti sioniste le plus à gauche du pays. La même année, l’aile gauche du parti critique l’éloignement d’avec l’Union Soviétique. Sous la direction de Moshe Sneh, ancien chef d’État-major de la Haganah (Défense en hébreu) - qui était une organisation paramilitaire sioniste créée en 1920 et intégrée en 1948 dans l’armée israélienne -, elle rejoint le Maki où elle renforce la tendance juive la plus favorable au sionisme, même si elle ne s’en réclame plus officiellement. LA SCISSION DES ANNÉES 60

À compter du début des années 1960, le parti vit une grave crise dans laquelle s’affrontent deux tendances… 16

La première est essentiellement juive et défend une position pro-israélienne. Elle

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critique en particulier les appels à la destruction d’Israël de certains alliés arabes de l’Union soviétique. Elle est dirigée par Chmouel Mikounis et Moshe Sneh, tous deux juifs. La seconde est à majorité arabe, avec une minorité juive. Elle est nettement plus critique à l’égard d’Israël et du sionisme, et plus pro-soviétique. Elle est dirigée par Meir Vilner (Juif) et Tawfik Toubi (Palestinien). S’en suit une scission… Le Rakah (en hébreu : Rechima Komounisti Hadacha - nouvelle liste communiste) est formé en 1965. Le parti attire surtout un électorat arabe, mais parvient quand même à conserver une frange d’électorat juif. On estimait dans les années 1990 que 80 % de l’électorat du Rakah était palestinien et 20 % juif. La direction est toujours paritaire. Rakah apparait de plus en plus comme un des porte-paroles de la communauté arabe israélienne. Mais dans le même temps, sa direction judéo-arabe signifie clairement qu’il refuse de devenir un simple parti nationaliste arabe. Il milite donc pour une société judéo-arabe, où Israël, sans être remis en cause, ne serait plus un État spécifiquement « juif », mais bien juif et arabe. Il milite aussi pour les droits des réfugiés palestiniens et pour la création d’un État palestinien en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza.

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J’ai presque été un espion communiste … GÉRARD WEISSENSTEIN

C

ses convictions communistes. Quand j’ai eu 21 ans, elle m’a invité à la rejoindre à Malmö et de là à nous rendre ensemble … à Berlin-Est.

C’est une histoire des années 70, longtemps avant la chute du mur de Berlin…

Malmö d’abord. Chez elle, elle me montre un minuscule appareil photo (un Minolta?) : ”Cet appareil sera pour toi quand je ne serai plus là, ne l’oublie surtout pas”.

omme beaucoup de rescapés des camps, ma tante était une communiste convaincue… mais je n’ai su qu’à la fin de sa vie jusqu’où ses convictions l’avaient conduite...

Ma tante Hélène, viennoise, vivait depuis la fin de la guerre à Malmö en Suède où elle occupait le poste envié de Consul honoraire d’Autriche. Rescapée des camps, elle était particulièrement active au sein du Comité Auschwitz : dès les années 60, elle parcourait le monde pour raconter l’irracontable. Elle venait parfois à Bruxelles saluer son frère, mon père. Quand j’ai eu 6 ans, étonné devant ces chiffres sur son bras, elle m’a dit que c’était son numéro de téléphone. Quand j’ai eu 14 ans, livres et documents à l’appui, elle m’a longuement expliqué la réalité des camps, ce qu’elle y avait vécu et

Berlin-Est ensuite. J’y fais la connaissance de “ses amis” qui nous reçoivent comme des rois: voiture avec chauffeur, resto gibier… Je bénéficie d’un guide qui me montre les réalisations du régime: réseau remarquablement maillé des transports en commun, priorité à l’industrie lourde, planification économique… Suit un entretien en tête à tête: “Ta tante nous est très précieuse, elle travaille pour le bien de l’humanité, pour le progrès et la libération des peuples. Quand elle voyage pour le Comité Auschwitz, c’est aussi pour nous qu’elle le fait, elle crée des contacts, elle fait circuler de l’information. Ta tante nous a parlé de ton engagement

Ma tante à l’oeuvre pour le bien de l’humanité

Ses résultats électoraux sont bien supérieurs à ceux de l’ancien Maki d’après la scission de 1965. Il a en effet récupéré l’essentiel de l’électorat communiste d’avant 1965. À partir de 1977, le Rakah est devenu Hadash, Front démocratique pour la paix et l’égalité. Aux élections de 2015, il s’est présenté au sein de La liste arabe unie qui a recueilli 14 sièges à la Knesset (près de 14%

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Focus

politique. Tu es étudiant en journalisme, bientôt tu travailleras dans un journal, tu vis à Bruxelles, tu pourrais te rapprocher de la Communauté européenne, peut-être en rencontrer une secrétaire (je vous jure, je n’invente rien…), tout cela pourrait nous être utile, ta tante souhaite que tu apportes ta contribution à notre combat “. Me voilà donc doté d’une tante espionne… qui souhaite que je lui succède… Je me voyais Tintin, on me propose 007… je l’avoue j’ai hésité ... jusqu’au moment où “mes amis” m’ont demandé, comme premier travail, de leur envoyer un topo sur l’extrême-gauche belge, tendances, organisations et effectifs. Trop pour moi qui fricotais à l’époque du côté de la mouvance trotskiste … Quelques mois plus tard, ma tante espionne meurt (la nuit de son retour d’une cure de rajeunissement en Roumanie - cela non plus ne s’invente pas). Elle vivait seule, ce sont ses voisins qui alertent la police, celle-ci constate que le décès remonte à quelques jours. Ma mère et moi, seuls héritiers, nous nous rendons à Malmö pour organiser les funérailles. Chez elle, je cherche le Minolta… Je retourne l’appartement… Introuvable. Dans ma boîte aux lettres, à Bruxelles, m’ attend une lettre de Hans, mon ”ami” allemand. Il souhaite me rencontrer. S’en suit

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quelques semaines plus tard une véritable scène de film d’espionnage : devant mes yeux effarés, dans son imper gris, col relevé, Hans arpente le boulevard Anspach, se retourne sans cesse, comme un espion espionné. Il veut me parler, mais dans un endroit bruyant et fréquenté. Ok. Condoléances d’usage, puis il revient à la charge: Ta tante aurait tant voulu que tu lui succèdes. Je reste dubitatif, ni oui, ni non, l’attrait de l’aventure… Enfin, il en vient au fait: Où est l’appareil photo? Tu l’as bien récupéré ? Et bien non, pas vu, pas trouvé. Hans est déçu et, je le vois bien, il ne me croit qu’à moitié. Gérard, cet appareil est important pour nous, ta tante l’utilisait pour photographier des documents au consulat et ailleurs, et nous savons qu’il contenait au moment du décès un film qui nous était destiné. Je ne peux que réaffirmer mon impuissance à les aider mais je sens bien que je ne suis pas tout à fait convaincant, jusqu’au moment où l’évidence nous apparaît : l’appartement de ma tante a été passé au peigne fin par quelque service suédois avant mon arrivée… Ainsi prit fin mon expérience de quasi espion communiste. Il m’arrive de le regretter, la vie manque parfois de relief …

Fragment d’une révolution - 3 LEÏLA VANDER GHINST LACHTERMAN

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Il est très difficile à une femme d’agir en égale de l’homme tant que cette égalité n’est pas universellement reconnue et concrètement réalisée. » Simone de Beauvoir

Tant qu’on m’appellera « salope », qu’on m’apprendra à l’école que la femme est frustrée de ne pas avoir de pénis, que j’aurai peur de sortir dans la rue, qu’on me foutra la main au cul et qu’on me dira que les baskets c’est pour les mecs, je continuerai de croire dans la révolution féministe.

OCT 17-17

1917: Lectures à contre-courant ELIAS PRESZOW

Suite à une note de lecture consacrée à son dernier livre « Les pingouins de l’universel », j’avais invité Ivan Segré à participer à ce dossier consacré au centenaire de la révolution russe. Quelque part, dans un coin de ma tête, il y avait «Octobre 17», de Daniel Bensaïd : un retour critique sur la révolution russe, avec notamment l’article «Lénine ou la politique du temps brisé». On peut y lire : «Marcel Liebman signale que, dans «L’État et la Révolution» (de Lénine ndlr), les partis perdent leur fonction au profit d’une démocratie directe qui n’est plus tout à fait un État séparé. Contrairement aux espérances révolutionnaires initiales, avec la contre-révolution bureaucratique, l’étatisation de la société l’emportera cependant sur la socialisation de l’État». Je lui demandais : « Si d’aventure tu avais des pistes pour repenser la spécificité de ce «temps brisé» dans une perspective « juive progressiste », ta plume serait la plus que bienvenue pour chatouiller nos colonnes.» Malheureusement Ivan Segré, débordé, ne peut contribuer à ce numéro, et nous ne saurons jamais ce qu’il pense du temps brisé. Et donc? Que faire ? Briser ce qu’il faut, une fois pour toutes, un point c’est tout: et, la souffrance, la prendre sur soi ! Quoi ? Tu ne comprends pas ? Tu comprendras plus tard... La liberté et le pouvoir, et surtout le pouvoir ! Sur toutes ces créatures tremblantes, sur toute la fourmilière ! Voilà le but». Voilà ce qu’en dit Dostoïevski dans «Crimes et châtiments».

N’arrivant pas à remettre la main sur mon exemplaire annoté, je ne peux être plus précis sur le contexte qui donne sens à cette citation recopiée au dos de la couverture du recueil d’articles de Bensaïd, lui qui écrivait en 2007 dans «L’Etat, la Démocratie, et la Révolution: Retour sur Lénine et 1917»: «Si le tissu des rapports de pouvoir est à défaire, et s’il s’agit là d’un processus de longue haleine, la machinerie du pouvoir d’Etat reste à briser». Comment lire ces articles? Les lignes dansent devant mes yeux. C’est là où le regard d’un Segré nous manque. Je n’ai pas l’œil de l’historien, et ces textes appellent d’une manière ou d’une autre à la remise en cause autant qu’à l’action. Que décidons-nous de conserver en mémoire, et à quelle fin? Ouvrons John Reed et replongeons-nous dans le feu des événements de 1917, décrits magistralement par ce journaliste américain dans «Dix jours qui ébranlèrent le monde». Prenons le chapitre dans lequel il décrit la chute du gouvernement provisoire le 7 novembre 1917: «Nous arrivâmes enfin à la chambre d’or et de malachite, aux tentures de brocart cramoisi, où les ministres avaient siégé tout le jour précédent et toute la nuit et où ils avaient été livrés aux gardes rouges par les huissiers. La longue table recouverte de serge verte était encore telle qu’ils l’avaient quittée lors de leur arrestation. Devant chaque siège vide il y avait un encrier, une plume et des feuilles de papier sur lesquelles avaient été jetés en hâte des plans d’action. Ceux-ci avaient été d’ailleurs

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biffés pour la plupart, leur inutilité devenant évidente et le bas des feuilles était couvert de vagues dessins géométriques, griffonnés machinalement par les ministres, tandis qu’ils écoutaient sans espoir les projets chimériques que présentaient l’un après l’autre leurs collègues. J’ai ramassé l’une de ces feuilles où l’on peut lire, de la main de Konovalov, la phrase suivante : « Le Gouvernement Provisoire demande à toutes les classes de soutenir le Gouvernement… » Au milieu de ces citations, entouré, presque noyé par ces textes qui relatent des épisodes à ce point éloignés, racontés et anaylsés dans une langue qu’on n’emploie plus aujourd’hui, il est difficile de ne pas se sentir décalé. Qu’est-ce que la révolution ? Qu’est-elle pour nous : un jeu d’enfant, une mauvaise plaisanterie, un objectif illusoire, une espérance vaine ? Je me sens démuni devant ces interrogations, un émiettement, une fêlure en rapport avec les temps qui sont les nôtres. Que faire, et comment ? Vers qui, vers quoi se tourner ?

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Qu’en dit Simone de Beauvoir dans «Les Mandarins» (1954), son roman sur l’engagement des intellectuels de gauche au sortir de la seconde Guerre mondiale ? Henri, un des héros du livre qui ressemble tellement à Camus, est en prise avec lui-même, balançant entre l’euphorie de l’après-guerre, et une lucidité proche de l’effroi sur ce que réserve l’avenir: «Il se rendait compte que jamais il ne l’avait sérieusement mise en question; les tares, les abus de l’U.R.S.S, il les connaissait (…) Quoi qu’il fit, il aurait tort: tort s’il divulguait une vérité tronquée, tort s’il dissimulait, fût-elle tronquée, une vérité. Il descendit sur la berge. Si le mal est partout, il n’y a aucune issue, ni pour

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l’humanité, ni pour soi-même. Est-ce qu’il faudra en arriver à penser ça? Il s’assit et regarda avec hébétude couler l’eau».

La révolution en chantant

Que voyons-nous aujourd’hui, en 2017, de la Russie d’il y a cent ans, à l’heure de la révolution? Comment voir le monde avec des yeux qui ne se sont ouverts qu’après la chute du mur ? Le temps craque, les imaginaires se brisent. L’espérance de justice, d’égalité, de liberté et de solidarité a-t-elle des encore des chances de résister aux chaos capitaliste, au désastre organisé, à l’absence d’alternative? En allant puiser à quelles mémoires? Pour une part infime, à laquelle il faut tenir, cela dépend aussi de nos lectures, de ce que nous en faisons... de notre désir, plus ou moins hébété, de regarder l’eau couler sous les ponts, et de réapprendre à nous déplacer à contre-courant... en nous souvenant peut-être des premiers vers d’un poème de Mandelstam datant de mai 1918, «le Crépuscule de la Liberté», qu’il me reste à apprendre par coeur:

La révolution russe a cent ans ! Mais cent ans, c’est quoi sur la ligne du temps ? A peine un millimètre… où se bousculent quatre générations. Et aujourd’hui, si je parle de 1917 à mes enfants, ils me regardent comme si je venais d’une autre planète. Moi, j’ai grandi dans le souvenir de cette révolution. J’y ai baigné avec mon père qui l’a si bien décrite: Bolchéviks et Menchéviks, Tsar déchu sous la révolte du peuple affamé, guidé par Lénine et Trotski.

Célébrons, frères, le crépuscule de la liberté, La grande année crépusculaire; Dans les eaux bouillonnantes de la nuit Est plongée la pesante forêt de nasses. Tu te lèves sur de ténébreuses années, Ô soleil, juge, peuple!

Textes cités: D. Bensaïd, Octobre 17, La révolution trahie, Édition lignes J. Reed, Dix jours qui ébranlèrent le monde, Mercure de France, S. de Beauvoir, Les Mandarins, Folio, O. Mandelstam, Tristia, Gallimard

MICHÈLE LIEBMAN

L’homme veut avoir du pain oui ! Il veut avoir du pain tous les jours Du pain et pas de mots ronflants Du pain et pas de discours Depuis mon enfance, les chants révolutionnaires résonnent régulièrement dans ma tête. A l’époque où nous les chantions en colonies ou au camp de l’UJJ, les mots avaient peu de sens dans ma petite tête d’enfant. Juste une musique énergique et nos cœurs pour les entonner à pleine voix avec mes copains. Que ce soient ceux qui parlaient du pain pour tous ou ceux qui parlaient du Vietnam, du Chili et d’autres images du monde en lutte, je ne sentais que l’exaltation de la musique collective. Les images se collaient sur ces paroles fortes et je voyais défiler l’Armée Rouges, les Viêt-Cong ou encore le peuple de Paris sur les barricades. J’appartenais à ces hommes et femmes chantant pour la Liberté, la Solidarité, la Paix. Dans ces luttes, je ne voyais que l’espoir et la fraternité, les zones d’ombres, je ne les ai découvertes que bien plus tard. Nos chansonniers, recopiés patiemment à la main, objets précieux, même vénérés pour moi, regorgeaient de ces mélodies issues du monde entier et plus particulièrement des chants de Partisans qui s’étaient battus pour nous.

La chorale de l’UPJB

Cet été, avec la chorale de l’UPJB, nous avons participé à une rencontre de chorales révolutionnaires (cela existe, oui !) qui se déroule depuis une dizaine d’années, rassemblant des chorales venues des quatre coins de France, d’Italie et d’Angleterre. J’ai constaté combien ces chants de mon enfance sont connus et partagés et cela m’a impressionnée. A travers les années et les langues, l’inspiration reste la même, les chansons respirent l’humanité, la fraternité, la solidarité. La chorale de l’UPJB, « Rue de la Victoire » fêtera bientôt ses 10 ans d’existence et c’est au sein de celle-ci que nous faisons perdurer ce patrimoine musical un peu désuet parfois mais riche d’une émotion qui nous fait tous et toutes vibrer. La forge aux lueurs du matin s’éveille et bientôt le foyer s’allume … Victoire c’est toi le plus fort ... Marchez et Marchez formez vous pour la lutte C’est la jeune garde qui descend sur le pavé …2

1 « Le Front des travailleurs », Eisler/Brecht 2 Extraits de chansons chantées à l’UJJ

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Focus

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Fragment d’une révolution - 4 Pas capable d’articuler ma proximité et mon éloignement par rapport à ce que suscite « Révolution » sur un mode audible…

#l’AGENDA de l’upjb

ISABELLE STENGERS

Agenda actualisé sur le site www.upjb.be

Fragment d’une révolution - 5GILLES MAUFROY

«

Marx a dit que les révolutions sont la locomotive de l’histoire mondiale. Peut-être que les choses se présentent autrement. Il se peut que les révolutions soient l’acte par lequel l’humanité qui voyage dans le train tire les freins d’urgence » Walter Benjamin (1)

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n siècle après la Révolution russe, il reste étonnamment encore et toujours des aspirant.e.s révolutionnaires. Le capitalisme, quant à lui, a tenu le coup… pour l’instant. A quel prix ? L’humanité n’a jamais connu de telles inégalités, et chaque mois les indicateurs du désastre écologique se multiplient. Mais inlassablement, tels Sisyphe, on repart à l’assaut contre l’exploitation et l’oppression: l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient ressentent encore le séisme révolutionnaire qui les secoue depuis 2011. En réaction, les monstres contre-révolutionnaires ne manquent pas : d’Assad à Daesh, en passant par Poutine, Trump, les pasdarans d’Iran ou les pétromonarchies du Golfe. Les répliques du séisme ont été ressenties dans le monde entier avec les mouvements d’occupation de places de la Puerta del Sol à Nuit Debout. Ainsi, l’histoire continue.

L

a révolution, celle qui doit permettre de libérer l’humanité de l’emprise du capital, du patriarcat et du racisme, est aujourd’hui souvent plus difficile à imaginer que les dystopies et les cauchemars apocalyptiques. Les révolutions bourgeoises nous ont mené.e.s sur ce train fou du capitalisme. Nous n’avons jamais possédé autant de connaissances et de capacités à créer, comme à détruire. L’humanité de ce siècle se retrouve à nouveau face à ce choix : arrêter et faire bifurquer ce train, ou risquer le suicide collectif. C’est pourquoi il n’y a pas, à mon sens, d’alternative désirable à la lutte révolutionnaire. De défaite en défaite, jusqu’à la victoire finale.

(1) Walter Benjamin, GS, I, 3, p. 1232. Il s’agit d’une des notes préparatoires des «Thèses sur le concept d’histoire.» qui n’apparaît pas dans les versions finales du document. Le passage de Marx auquel se réfère Benjamin figure dans Luttes de classes en France (1850) : « Die Revolutionen sind die Lokomotiven der Geschichte » (le mot « mondial » ne figure pas dans le texte de Marx).

03.11<20H15

17.11<20H 15

CINE CLUB

LES MURS ET LA PEUR

‘LA COMMISSAIRE’ DE ALEXANDRE IAKOVLEVITCH ASKOLDOV

Conférence illustrée de Gaël Turine Gaël Turine nous parlera de son travail photographique autour de deux murs de séparation méconnus: les murs indiens et péruviens. Gaël Turine est l’auteur de plusieurs monographies dont la dernière en collaboration avec Laurent Gaudé, «En bas la ville», consacré à Haïti… Introduction par Judith Lachterman

«La Commissaire» est sans doute l’unique film dans l’histoire du cinéma soviétique à aborder les rapports entre judéité et révolution. C’est entre autres pour cette raison qu’il est resté interdit pendant vingt ans. Le film, réalisé en 1967, est basé sur «Dans la ville de Berditchev», un récit de Vassili Grossman publié en 1934. Vavilova, commissaire de l’armée rouge, est enceinte. Pour qu’elle puisse accoucher, elle est placée dans une famille juive en 1920 au moment où l’Ukraine... est déchirée par la guerre civile, l’invasion polonaise et les pogroms. Le réalisateur Alexandre Iakovlevitch Askoldov est né en 1932. «La Commissaire» est son premier et dernier film de fiction. Il a ensuite été interdit ... Introduction par Françoise Nice

24.11<20H15 UN JUIF DE MAUVAISE FOI

Rencontre avec Jean-Christophe Attias A vingt ans, Jean-Christophe Attias, né d’une mère catholique et d’un père juif, tranche le débat intérieur qui l’agite depuis l’enfance et se convertit au judaïsme orthodoxe. Quaranteans plus tard, il revient sur cet itinéraire. Sur ce qui s’est passé jusqu’à ce choix et après. Il est toujours juif, certes. Mais un juif «de mauvaise foi» qui, après avoir goûté les joies d’une pratique rigoriste, savoure celles de la transgression (voir article dans ce numéro page 29). Introduction par Henri Wajnblum

A l’UPJB - 61 rue de la Victoire à 1060 Bruxelles, Métro : Parvis de Saint-Gilles ou Hôtel des Monnaies

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L’UPJB PROPOSE 8.11 AU 25.11<20.30 Atelier théâtre Jean Vilar / Théâtre Blocry / Louvain La Neuve CLARA HASKIL: PRELUDE ET FUGUE

Texte et mise en scène : Serge Kribus. Avec Anaïs Marty. Création du Rideau: Max Lapiower. Clara Haskil naît à Bucarest en 1895 dans une famille juive. Elle part à 7 ans étudier le piano à Vienne. Quand la jeune femme joue à Lausanne, Bruxelles ou Londres, le public se lève, les orchestres applaudissent, les chefs s’inclinent. Pourtant quelque chose ne fonctionne pas. Aucun agent ne mise sur la pianiste modeste au trac maladif et à la santé fragile. Paris l’ignore, deux conflits mondiaux feront le reste. Clara Haskil mettra une vie entière avant d’atteindre enfin, en 1950, une notoriété et un succès mondial. Elle décède à Bruxelles, dix ans plus tard. Tarif préférentiel pour les membres de l’UPJB. /renseignements et réservations: www.atjv.be/Clara-Haskil Lire aussi l’article d’Elias Preszow sur le site de l’UPJB : www.upjb.be

10.11<20.00 Atelier Marcel Hastir, 51 rue du Commerce à 1000/Bruxelles CHANSONS EN SCENE

Un concert de Gérard Weissenstein et Pascal Chardome II

Un voyage à travers la chanson française à texte, la chanson-poésie, la chanson émotion. Nougaro, Gainsbourg, Ferré, Semal … A l’Atelier Marcel Hastir: artiste peintre et résistant, qui vécu de 1935 à sa mort (105 ans) rue du Commerce, dans ce lieu mythique tout autant atelier d’artiste que salle de conférence ou de concert. Parmi ses invités une certaine Barbara en 1954...

09.11 < 15.00

DU 8.12 AU 04.02.2018

LES SIONISTES DE MA FAMILLE

Au Centre Wallonie-Bruxelles 127-129 rue Saint-Martin 75004 Paris - M° Rambuteau *

Conférence de Jacques Aron

Exposition : *L’INTIME & LE MONDE * Marianne Berenhaut | Sarah Kaliski | Arié Mandelbaum

#l’AGENDA dU CLUB Agenda actualisé sur le site www.upjb.be

« Dans la famille de ma mère, les «Lewin», certains membres et non des moindres se sont engagés dans le mouvement sioniste, pour le salut spirituel et matériel des Juifs. Je traiterai de leur destin et de leur influence sur leur entourage ». Jacques Aron est architecte et essayiste.

16.11 < 15.00

‘L’Intime & Le Monde’ met en lumière une sélection d’œuvres de trois plasticiens contemporains bruxellois : une installatrice, Marianne Berenhaut et deux peintres, Sarah Kaliski et Arié Mandelbaum. Par-delà leurs singularités, ils partagent des traits communs manifestes dans leur rapport au monde, leur imaginaire, leur biographie et leur quête respective. Ils jouent tous trois des incessants allers-retours de l’intime des corps souffrants et désirants aux horreurs infligées par l’Histoire. Inauguration: jeudi 7 décembre de 18 à 20h - Visite commentée à 17h par les commissaires Gérard Preszow et Lucie Duckerts-Antoine

LA RÉVOLUTION RUSSE DANS LA LITTÉRATURE

Conférence de Laurent Vogel A l’occasion du Centenaire de la révolution russe, ce chercheur racontera comment elle a bouleversé la littérature. Elle est apparue comme sujet mais elle a aussi poussé des écrivains à chercher un langage et des formes nouvelles. Cette conférence traitera de trois livres: «Viktor Vavitch» de Boris Jitkov, «Cavalerie Rouge» d’Isaac Babel et «La Famille Machber» de Der Nistor. Trois livres que le stalinisme a cherché à anéantir tant le rappel de ce qu’avait réellement été la révolution lui était insupportable.

23.11 < 15.00 LES ÉCLATS ET FRACAS DE LA CRÉATION MUSICALE SOVIÉTIQUE :

Conférence musicale de Françoise Nice Françoise Nice, historienne et journaliste, partira du feuilleton ‘1917, la bande-son d’une révolution’ qu’elle a écrit et réalisé pour Musiq3 cet été. Une saga qui permet de retrouver les principales oeuvres et compositeurs entre 1917 et 1991. La série s’intéresse aussi aux conditions dans lesquelles les musiciens soviétiques ont pu, ou pas, créer et laisser un vaste patrimoine musical, entre contrôle, censure, rivalités, délation, exils. Les 9 épisodes sont à écouter en podcast via le site de Musiq3 III


Voir 30.11 < 15.00 LA SITUATION EN SYRIE

Conférence de Gilles Maufroy Gilles Maufroy est diplômé en sciences politiques-relations internationales. Il est animateur formateur en éducation permanente au CIEP (centre d’information et d’éducation populaire). Il a cofondé le comité BDSULB et le groupe des Jeunes anticapitalistes (JAC), et il a participé à l’organisation des activités de Solidarité avec la révolution syrienne depuis 2012, notamment avec le comité Action-Syrie.

07.12 < 15.00 LE YIDDISH EN CHANTANT-4ÈME

Conférence chantée par Jacques Dunkelman et Willy Estersohn. Il suffit de chanter ensemble pour être envahi d’un plaisir profond, jouissif et parfois difficilement explicable. On ne se sent pas seul mais faisant partie d’un collectif. Quand on recherche tant soit peu ses racines, la chanson Yiddish répond parfaitement à cette démarche. Alors, n’hésitons plus, même si nous ne connaissons que quelques mots de cette langue de nos pères. Chantons et découvrons des morceaux de la vie de nos ancêtres.

14.12 < 15.00 L’UNIVERS, POURQUOI ? COMMENT ?

Conférence de Edgard Gunzig

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Physicien, professeur honoraire à l’ULB de physique théorique, ses travaux ont porté sur le vide quantique et sur l’inflation cosmique, dont il a été un des précurseurs. Il a aussi fait partie de la section Hans de l’USJJ, totem « Otarie », et il a co-écrit avec Elisa Brune sa vie tumultueuse dans le livre « Relations d’incertitude » et « Que faisiez-vous avant le Big-Bang ? ». Son sujet: la nature et la structure de l’univers. Que recouvrent des concepts comme: matière cachée, énergie noire, rayonnement cosmologique primordial, rapports entre vide quantique et univers ainsi que transition de l’un à l’autre …

21.12 < 15.00 JUDAISME ET POLITESSE DU LIT

Conférence de Thomas Gergely. Romaniste de formation, Thomas Gergely est professeur de l’Université Libre de Bruxelles et directeur de l’Institut d’Etudes du Judaïsme (IEJ) où il enseigne ainsi qu’au département de philosophie, l’histoire et la culture juive. Ses travaux, livres et articles, traitent de rhétorique, de stylistique, d’histoire juive, de philosophie religieuse et envisagent régulièrement les rapports du judaïsme avec le monde occidental chrétien. Son sujet aujourd’hui : ce que disent les textes bibliques des rabbins rédigés il y a plus de 2000 ans, de la sexualité et des relations entre hommes et femmes.

A l’UPJB - 61 rue de la Victoire à 1060 Bruxelles chaque jeudi à 15h00 Métro : Parvis de Saint-Gilles ou Hôtel des Monnaies

A propos de «Animal Farm – Theater im Menschenpark» Quand le théâtre contemporain revisite la révolution GALIA DE BACKER

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alia De Backer a étudié l’Histoire à Bruxelles et à Berlin. Aujourd’hui, elle fait du théâtre… en pays germanophone. Galia joue Chica dans «La ferme aux animaux» d’Orwell revisité par Felix Ensslin (ouioui Enslinn, c’est bien le fils de Gudrun Enslinn de la Fraction Armée Rouge, la RAF). Galia est descendue de la scène pour nous écrire ce papier et se poser la question de ce qu’est pour elle la Révolution (avec un grand R).

Du haut de mes 26 ans, je trouve que 100 ans, c’est énorme. À vrai dire, le vingtième siècle précédant la dissolution de l’Union Soviétique, la mort de Gainsbourg et la Guerre du Golfe (et incidemment, ma naissance), m’apparaît comme un invraisemblable capharnaüm à la chronologie distendue. Certaines décennies se raccordent à des images, de la musique, des livres dans une avalanche d’associations, tandis que d’autres se présentent plus comme une masse brumeuse de laquelle émergent des dates/événements plus ou moins bien accrochés au socle du temps. Dans ces conditions, une étape entre 1917 et 2017, une sorte de relais ne me semble pas de trop pour approcher l’anniversaire dont il s’agit dans ce numéro. Il y a quelques semaines a eu lieu à SaintVith la première de «Animal Farm – Theater im Menschenpark» (La Ferme des animaux – Théâtre dans le parc humain). La compagnie germanophone belge Agora, en collaboration avec Felix Ensslin, a monté, comme le sous-titre de la pièce l’indique,

non pas une adaptation, mais une discussion avec «La Ferme» de George Orwell (Auseinanderstzung mit George Orwells Farm). C’est-à-dire qu’il ne s’agit pas de rejouer la Guerre Froide et ses enjeux, ni de revenir sur le potentiel échec de la Révolution d’octobre, mais de comprendre la question que soulève Orwell dans son texte et de la transposer à la situation actuelle. Pour moi, cette démarche de travail fait de «La Ferme des animaux» un « relais » idéal entre ’17 et ’17. De quoi scinder la centaine, éviter le plongeon dans le flou du siècle, rebondir entre les 17 et atterrir à pieds joints ici/maintenant. Descendre de la scène, coucher sur le papier. Voilà une autre affaire. Prendre un pas de recul, écrire. Ou justement, mettre les pieds dans le plat, s’aventurer encore plus avant dans une histoire aux degrés infinis d’approche, d’analyse, de compréhension. Chica écrit son mémoire sur les groupes révolutionnaires dans des contextes communaux – Galia écrit pour l’UPJB un article sur la pièce dans laquelle elle joue. Les deux ont mon âge, mon visage, ma voix. Comment sommes-nous soudain devenues trois ? FlashBack Orwell publie en 1945 ce court roman que l’on trouve encore aujourd’hui au programme des écoles secondaires belges. Avant cette date, Orwell avait rencontré des obstacles de taille quant à la publication de «La Ferme des animaux». Il s’était heurté à une censure diffuse qui marmonnait : « Ce que vous disiez était peut-être vrai, mais c’était « inopportun » et cela « faisait le jeu » de

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tel ou tel intérêt réactionnaire. » Certes, il comparait les dirigeants russes à des cochons, mais quel était le fond de son propos ? Dans ce récit allégorique, Orwell décrit les dérives du stalinisme, et de cette manière, sauve le socialisme démocrate. Il ouvre en quelque sorte à d’autres possibles, ceux que la lecture de l’Histoire devine souvent si mal. BackToNow À partir de là, Felix Ensslin s’est demandé comment rendre actuelle la proposition d’Orwell. Dans «Animal Farm – Theater im Menschenpark», un groupe de révolutionnaires « traditionnels » - ils ont vécu ’68, la chute du mur, la floraison des Mc Do - sont placés dans une Maßnahme (mesure – dispositif scientifique d’expérimentation). Le personnage du chat, peu présent chez Orwell, est une scientifique responsable de cette expérience. Elle se considère comme la nouvelle révolutionnaire, loin des idéaux déchus du siècle passé (égalité, liberté, solidarité,…). Les vieux jeu veulent encore et toujours améliorer l’Homme tandis que la nouvelle vague veut surmonter les failles de l’humanité à l’aide de l’optimisation scientifique (génétique, physique, biologie, ...).

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Ensslin dit du chat: « La plupart du temps, le chat de «Animal Farm» est lu comme un représentant de la mafia russe pendant la révolution russe, donc pour ceux qui se comportent toujours de manière égoïste, indépendamment de l’organisation politique de la société. Je me suis posé deux questions à ce sujet. Premièrement : le chat est-il si unidimensionnel ? Ne se pose-t-il pas plus l’épineuse question de la place que chacun peut trouver, en fonction de sa nature et de ses besoins, lors de changements fondamentaux ? Et deuxièmement, je me suis demandé où il existait encore une réelle capacité d’action qui ferait son chemin indépendamment des

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composantes politiques actuelles. C’est suivant ce fil que je suis arrivé à la science. Dans le rôle du chat, nous avons lié les deux aspects de la question. » Jubilé Où est passé la Révolution, depuis ses défaites? Qui en sont les héritiers ? Sous quelle forme, derrière quel masque fera-t-elle son apparition dans le futur ? Dans la Maßnahme, le groupe d’anciens révolutionnaires se réunit une fois de plus. Au même endroit, à la même heure, le même jour de la semaine. Cette fois-ci, ils ont quelque chose à fêter : c’est le centenaire de la Révolution d’octobre. Jones a préparé le coup, mais ça ne prend pas tout à fait… « Squealer – (…) Il faut qu’on se prépare pour la fête ! Jones – Je ne vois rien. Elle n’est pas encore là. Boxer/Benjamin – Elle est toujours là. Polly – Elle, oui, mais l’autre, tu sais bien. Je ne la vois pas. Jones – Elle ne peut pas être là, c’est une idée. (…) Benjamin – Elle vient, elle est venue, elle viendra. Comme toujours. » Le chat, du haut de sa tour d’observation, se délecte de l’attachement à l’Histoire qu’ont les membres du groupe. Jones, descendant du fermier de «La Ferme» d’Orwell se débat entre ses ambitions en politique communale et sa volonté intangible de « faire les choses bien » ! Squealer, petit-fils de cochon, surfe sur la vague. Il a compris qu’on n’en était plus à fonder des partis et à brandir des bannières. Il préfère inscrire l’exigence de la Révolution dans le concret du corps : il fait du body-building. Polly, dont les ancêtres avaient refusé de donner leurs œufs, surveille avec zèle les droits des femmes et leur statut au sein du groupe. Boxer, qui aurait préféré avoir Benjamin comme ancêtre plutôt que cette caricature de bon

Animal-Farm-2017 ©-Willi-Filz

prolétaire, a vécu la vraie Révolution chez elle, en Amérique du Sud. Même si elle les regarde ne rien comprendre à tout ça, elle est tout de même attachée à son rendez-vous hebdomadaire qui la renvoie à sa condition de révolutionnaire immigrée. Chica a débarqué dans le groupe il y a plus ou moins un an, elle a écrit son mémoire sur les groupes révolutionnaires dans des contextes communaux. Elle les trouve vraiment cool, presque vintage. Chacun(e) d’entre eux entretient un rapport particulier à la Grande Histoire et à son propre parcours. Chacun(e) est un acteur/trice qui passe la parole à son personnage, un personnage qui prend puis rend un corps : dehors – dedans – dehors – dedans – … Il y a toujours comme une

respiration entre les niveaux (de lecture, de jeu, de rythme), de quoi faire quelques pas de côté pour regarder le tout. Puis être attiré par une autre chose. Tout aussi importante. Le groupe se lie, explose, se recompose, fond, s’agglomère à nouveau, forme une image, appelle un souvenir, se dissout, répète. L’équilibre n’est jamais parfait, il est parfois. Encore, encore, encore. 1917. Encore. Pas la même chose, bien sûr. Un souvenir plus ou moins précis d’un moment non vécu. Un moment qui sort de la brume historique, qui est rappelé de par chez nous, de par chez vous. Quant à son utilisation ? Every tool is a weapon if you hold it right.

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Israël - Palestine

sous-tend toutes les démolitions et confiscations ainsi que les interdictions de bâtir, d’élever du bétail et d’irriguer les champs. Tous ceux qui planifient et appliquent cette lente politique d’expulsion pensent déjà à la grande expulsion, cette fois vers la Jordanie. Et que ferez-vous alors ? Vous publierez des condamnations tout en envoyant des réservoirs d’eau et des tentes aux personnes qui auront été expulsées ?

Israël|Palestine © David Mckee via shutterstock.com

En Belgique ... Le 24 août, le ministre belge des Affaires étrangères, Didier Reynders, et le vice-Premier ministre et ministre de la Coopération au développement, Alexander De Croo, publiaient une condamnation officielle de la confiscation des caravanes devant servir de classes pour les quatre premières années primaires dans le village

Condamner l’occupation israélienne ne suffit pas. AMIRA HASS

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ne fois n’est pas coutume, c’est à Amira Hass, journaliste au Ha’Aretz, que nous laissons la parole dans l’intégralité de cette chronique. Une parole forte qui s’adresse (Ha’Aretz du 8 septembre dernier, traduction Dominique Vidal) à nos responsables politiques européens pour leur dire que le temps des remontrances n’est plus de mise, mais qu’il est plus qu’urgent de passer aux actes avant qu’il soit trop tard et que la grande expulsion des Palestiniens commence. H.W.

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Aux Pays-Bas, à la Belgique et à la France: Il ne suffit pas de condamner uniquement par des mots la politique de destruction menée par Israël, qui détruit des infrastructures et des habitations financées avec l’argent de vos contribuables. C’est une bonne chose que vous soyez en colère, mais le tempo de l’accumulation de votre colère est de loin inférieur au rythme effréné et dangereux des bulldozers de l’Admi-

nistration civile et des Forces de défense des colonies en Cisjordanie. Vos condamnations sont perçues comme dénuées d’urgence. Vous devez entreprendre des actions réelles. Oui, des sanctions ouvertes et déclarées, qui emprunteront la voie d’une sévérité accrue. Des sanctions douloureuses. Ce peut être la dernière chance de faire bouger l’Israélien moyen, y compris les hommes d’affaires, les touristes, les juges, les universitaires, les fermiers et les consommateurs de football étranger, DE LES FAIRE SORTIR de leur indifférence et de leur complaisance criminelle. Chantage affectif Cessez de vous effrayer du chantage affectif israélien. Israël met en jeu le souvenir de nos familles assassinées en Europe afin d’accélérer l’expulsion des Palestiniens de l’ensemble du territoire cisjordanien et de les déporter dans les enclaves de l’Autorité palestinienne. Telle est l’intention qui

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Israël - Palestine

palestinien de Jubbet Adh-Dhib, ainsi que la confiscation des panneaux solaires destinés à l’école du camp de Bédouins d’Abu Nuwwar. Les Belges faisaient remarquer qu’ils étaient de ceux qui avaient financé ces équipements. « [La Belgique] continuera à travailler avec ses partenaires, comme par le passé, afin de demander aux autorités israéliennes de mettre un terme à ces démolitions », peut-on lire dans la déclaration du ministre des Affaires étrangères. ... aux Pays-Bas L’un de ces partenaires n’est autre que les Pays-Bas, dont le Parlement a consacré pas mal de temps à discuter des démolitions commises par les Israéliens, plus de temps, quoi qu’il en soit, que n’en a consacré la Knesset. Voici ce que les ministres du cabinet hollandais ont rapporté le mois dernier aux parlementaires hollandais à propos de la confiscation des panneaux solaires de Jubbet Adh-Dhib en juin : « Le Premier ministre Benjamin Netanyahou a promis par courrier de restituer les panneaux solaires aux Pays-Bas. » Le cabinet du Premier ministre n’a ni confirmé ni dénié ce rapport.

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Après la confiscation, le village a été condamné à ne recevoir que deux heures d’électricité par jour, produite par un générateur. Ces vingt dernières années, le village a soumis au moins quatre requêtes à l’Administration civile pour être raccordé au réseau d’électricité et toutes ces requêtes ont été rejetées. L’expérience enseigne qu’Israël ne donne pas de permis – ou si peu – de construction dans la Zone C (qui couvre environ 60 pour 100 de la Cisjordanie). La tentative des Hollandais pour recevoir un permis de l’Administration

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civile pour un seul projet – un cas test, donc – n’a pas abouti à des résultats positifs. En tant que force occupante, Israël n’a pas le droit de détruire ou de confisquer des propriétés, excepté par nécessité de temps de guerre. ... en France La France, elle aussi, a annoncé fièrement qu’elle était une partenaire dans la construction humanitaire en Zone C et à Abu Nuwwar. La France a, elle aussi, condamné les récentes démolitions et a demandé qu’on lui renvoie les équipements confisqués. En six mois, Israël a détruit 259 structures palestiniennes en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, explique la condamnation émise par la France. Au cours de la même période, le gouvernement israélien a approuvé la construction de plus de 10 000 unités de logement dans les colonies – trois fois plus que pour toute l’année précédente. Ainsi donc, la destruction des communautés palestiniennes, l’évacuation de la famille Shamasneh de sa maison à Jérusalem et les plans du ministre de la Défense Avigdor Lieberman visant à démolir Sussia et Khan al-Akhmar représentent l’autre face de la médaille de la construction de colonies. Voilà comment Israël applique une expulsion graduelle. Sans sanctions, il n’a rien à craindre et sa foi dans sa capacité à appliquer le plan est solide. Qui donc sait mieux que vous, et que votre voisin allemand en particulier, à quoi mènent les plans d’expulsion limitée, et quelle disposition d’esprit criminelle ils mettent en place dans la société qui planifie ce genre de chose ?

Jean-Christophe Attias, un Juif de mauvaise foi. TESSA PARZENCZEWSKI

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e mère catholique et de père juif venu d’Algérie, demi-goy, demi-juif et… baptisé, «tissé de laine et de lin», Jean-Christophe Attias décide à l’âge de vingt ans de devenir juif à part entière. Et il ne fera pas les choses à moitié. C’est cet itinéraire qu’il nous raconte, à partir de son dernier repas de goy: boudin noir, porc et sang, un comble! Jusqu’au jour où il revêt la panoplie complète du juif orthodoxe et en adopte tous les commandements qu’il suivra à la lettre, d’une manière scrupuleuse. Une sorte de carcan choisi, comme pour affirmer avec force sa nouvelle identité. Cela nous vaut des pages pleines d’humour sur la cacherout imposée à la cuisine familiale lors de ses retours au foyer, et aussi, dans le registre de l’autodérision, quelques instantanés des apparitions de cette silhouette insolite dans le paysage de sa province natale. Mais rien n’est simple. Que faire du prénom qui fleure bon le christianisme? Il s’en choisira un nouveau pour le temps de la synagogue: Yaacov. Et Dieu dans tout ça? Attias n’élude pas. Une conviction: Dieu n’existe pas. Mais après cette affirmation, plusieurs considérations sur la prière et une foule de questions et de sensations diffuses, ouvrent tout un champ de doutes. Et le doute irrigue tout le récit, comme une fragilité, une incertitude chronique. Mais Dieu qui n’existe pas a accompli un miracle, une rencontre. A la suite d’une série de coïncidences, Esther Benbassa fait irruption dans la vie d’Attias. Et irruption est le mot, lorsqu’on songe à cette personnalité flamboyante. Leurs parcours universitaires sont quasi parallèles. Lui, historien du judaïsme médiéval et hébraïsant de haut vol, elle, spécialiste du judaïsme contemporain et du monde séfarade. Esther, à la triple identité, turque, israélienne et française, l’entraînera dans son monde familial,

à l’exubérance orientale. A son contact, Attias deviendra juif autrement, plus librement, en se débarrassant des contraintes mais jeûnant toujours à Yom Kippour. Dans leurs écrits respectifs, tous deux explorent le judaïsme, interrogeant le passé et l’aujourd’hui. Ensemble, retirés dans une maison au bord d’une mer menaçante, dans un lieu nommé Ault, dans la Somme, ils écriront à quatre mains des livres où Histoire et politique se conjuguent, et c’est dans une langue magnifique qu’Attias évoque, à partir de ce lieu perdu, toute une géographie rêveuse qui brasse mythes et identités. Juif diasporique, comme il s’affirme, il assume avec Esther Benbassa, souvent à contre-courant, leur dénonciation constante de l’injustice faite aux Palestiniens. Juif dans les marges. «Les marges? Va pour les marges. Je m’y suis toujours trouvé à l’aise. Ma voie, tortueuse, fut dès l’abord toute tracée. Le judaïsme, oui, chaque jour de ma vie, mais jamais le judaïsme du centre, toujours le judaïsme en ses périphéries. Et en mouvement. Le commentaire plutôt que le texte commenté. La tentation de la transgression plutôt que l’illusion de la stricte observance. Le récit plutôt que le traité. La poésie plutôt que la prose.» Un parcours où les souvenirs naviguent entre imaginaire et réel, où l’humour, l’ironie et même le sarcasme côtoient des séquences poétiques. Un récit de vie qui va à la rencontre du lecteur avec des questions plein les pages.

Un juif de mauvaise foi. JC Lattès. 407p. 20,90€ L’auteur présentera «Un juif de mauvaise foi» à l’Upjb le 24 novembre à 20h15 (voir agenda).

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Voyage au pays du collage et des collagistes (3) JACQUES ARON

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acques Aron cède volontiers à la passion du collage. Il en a fait l’aveu dans les deux numéros précédents de Points Critiques (n° 371 et 372) en entamant sa dérive à partir de « l’Agneau mystique » des frères Van Eyck. De dérive en délire, il poursuit ici ce voyage dans l’imaginaire.

plus aisé de mesurer son extraordinaire descendance, parfois bâtarde, à la restauration de laquelle j’ai décidé de m’associer de cent manières et sans façon. J’y célébrerai entre autres la prodigieuse souplesse d’adaptation de l’institution qui a le mieux traversé les époques, malgré ses nombreux schismes: le catholicisme

ment le témoin lors du dernier festival rock de la saison côtière, qui connaît le même succès que le célèbre Bal yiddish de la capitale. Aussitôt les Van Eyck ont repris leurs ciseaux à huile et leur colle à base d’œufs au Fipronil. L’un d’eux en serait mort, les historiens hésitent encore sur les circonstances de sa disparition prématurée.

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Maintenant que vous avez bien en tête cette icône de la chrétienté au faîte de sa gloire et de sa stabilité – l’Agneau mystique des frères Van Eyck –, il vous sera

romain. Et même si son État s’est rétréci et si ses Suisses sont un peu démodés, elle est encore debout et fait recette dans les grandes occasions. J’en ai été récem-

Dans cette folle ambiance, sous les feux des projecteurs et dans les décibels déchaînés des orgues électro-acoustiques, les Dieux ont perdu pour un soir leurs poses hiératiques et, recyclés par le célèbre Salomon’s Band, les psaumes envahissaient la plage à un rythme endiablé – si j’ose ainsi m’exprimer. C’est qu’aucune religion, jamais, n’a pu se passer du diable, les plus savants théologiens ayant développé à ce sujet les interpréta-

tions les plus audacieuses sur les relations tumultueuses des forces du Bien et du Mal. Luther lui a jeté son encrier à la tête – apparemment sans l’atteindre, ce qui le poussa à s’en prendre plutôt aux Juifs –, Calvin le vit comme un instrument entre les mains de Dieu ; ce dont Pascal tira la juste conclusion que l’on sait : « L’homme n’est ni ange ni bête, mais le malheur veut que celui qui veut faire l’ange fait la bête ». Mais, assez philosophé ! Le collage a cet insigne mérite de condenser en un coup de ciseaux numériques – le fameux coup de dés du hasard – des centaines de lourds traités, dont ma tablette androïde est à présent saturée. Le collage est la forme d’art la plus révélatrice de notre temps

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Causerie sur la révolution

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IRÈNE KAUFER

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ais si, j’ai très bien compris la consigne. Vous vouliez qu’on vous parle de quoi ? Si je peux me permettre, c’est votre sujet qui cloche. « La révolution, et après ? » Après, ben c’est pareil qu’avant, puisqu’il s’agit de roter. Non, je ne suis pas grossier, j’ai pris mes renseignements, vous savez, j’ai regardé sur Google, Wikipedia, c’est écrit là : « Révolution : rotation d’un corps autour de son axe central ou bien autour d’un autre corps ». La Terre, elle arrête pas de révolutionner, sur elle-même, autour du

soleil, des fois elle tourne tellement vite qu’elle s’échauffe climatiquement et que ça fait fondre la glace aux pôles. Oui, j’ai vu ça sur Facebook. Mais au final, c’est toujours pareil, on s’engueule, on baise, on se fait la guerre, à part les écolos et les ours blancs, qui voit la différence... ? On tourne, on tourne, c’est comme Macron, il a appelé son bouquin « Révolution », normal, à force de tourner autour de luimême.

e m’éloigne du sujet ? C’est quoi, le sujet ? Ah oui, la révolution comme changement, agitation, lendemains qui chantent. Du neuf, du jamais vu, comme le dernier iPhone... oh pardon, pas de placement de produit, c’est vrai, vous l’avez mis dans les consignes. N’empêche, le dernier modèle... ça c’est révolutionnaire. Bon d’accord, je change d’exemple : comme ces bagnoles avec des options que mon père il aurait même pas osé rêver, des qui se garent toutes seules ou qui vont bientôt pouvoir voler. Ou comme des lessives que ma mère aurait bien voulu connaître, qui enlèvent les taches de choco et qui repassent en même temps. Quoi, c’est stéréotypé, mon père et sa bagnole, ma mère et sa lessive ? C’était comme ça avant, et si vous voulez mon avis, c’était pas plus mal. Au moins on savait à quoi s’en tenir. Aujourd’hui, tout est tellement pareil que quand on drague une fille, on risque de se retrouver pédé avant même de s’en rendre compte.

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e m’éloigne du sujet ? Pas du tout. Vous vouliez une révolution, en voilà une. Les mecs en danseurs étoiles et les filles en camionneuses. Oh je sais que vous, ça vous plaît, les filles qui jouent au rugby ou les planches à langer dans les toilettes pour hommes. Vous nous bassinez les oreilles avec ça mais nous, on ne marche pas, et ça vous embête. Je vous ai entendue l’autre jour avec le prof de géo, après votre cours sur les cinq sexes – ben oui, l’inflation est partout, maintenant on est passés de deux sexes à cinq, qui dit mieux – je vous ai entendue soupirer, « ces jeunes, des fois, qu’est-ce qu’ils peuvent être réac ! » Et alors, réac, avec des parents comme vous, c’est pas révolutionnaire, peut-être ?

Le Cuirassé Potemkine - S. Eisenstein - 1925

Ah, mais vous voulez qu’on parle d’histoire ! De vieilleries qui n’intéressent plus personne, genre mai 68, ce truc que les mammys et les papys racontent au coin du feu ? Le bon vieux temps où ils balançaient des pavés sur les flics, comme l’autre là, qui les embrasse maintenant, votre idole, comment il s’appelle déjà... ?

Q

uoi, il y a cent ans, 1917... ? Je parie que même vous, vous n’étiez pas née, c’est dire si c’est loin. Et tant qu’on y est dans la préhistoire, pourquoi pas, allez je prends une date au hasard, 1789? Une date qui me dit quelque chose, d’ailleurs, c’est pas la chute du mur de Berlin... ?

C

e que ça signifie, 1917, pour nous les jeunes... ? Déjà que c’était en Russie, comment vous voulez qu’on imagine la vie sans smartphone, sans Instagram, sans bons jeux vidéo... ? Les gens devaient s’emmerder, alors ils ont commencé à faire du grabuge, normal. Par exemple ils s’amusaient à jeter des poussettes du haut des escaliers, comme dans le film, vous connaissez sûrement, celui d’Einstein je crois. Et est-ce que Marx, ça nous dit encore quelque chose... ? Un beau salaud, si vous voulez mon avis, il ouvre des magasins, il ferme des magasins, je vois pas très bien ce qu’il apporte comme plus-value... Vous parlez bien de Marx&Spencer... ?

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e m’éloigne encore du sujet ? Vous savez quoi ? L’année prochaine, je retourne en cours de religion. C’est pas que ça m’intéresse, mais au moins, faut pas se prendre la tête, même pas besoin de se poser des questions que les réponses sont déjà là.

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! ‫ייִ דיש ? ייִ דיש‬

Yiddish ? Yiddish !

‫רוע־ּפלאץ‬ ַ ‫מײן‬ ַ mayn rue-plats - Le lieu où je repose HENRI WAJNBLUM

‫נטאנען שּפריצן‬ ַ ‫ֿפא‬ ָ ‫ניט זוך מיך ווּו‬

‫ניט זוך מיך ווּו די מירטן גרינען‬

shpritsn fontanen vu mikh zukh nit

grinen mirtn di vu mikh zukh nit

shats mayn nit dortn mikh gefinst

shats mayn nit dortn mikh gefinst

kritsn tseyner, rinen trern vu

mashinen bay velkn lebns vu

plats-rue mayn iz dortn

plats-rue mayn iz dortn

‫שאץ‬ ַ ‫דארטן ניט מייַ ן‬ ָ ‫געֿפינסט מיך‬

‫ווּו טרערן רינען ציינער קריצן ‏‬ ‫רוע־ּפלאץ‬ ַ ‫דארטן איז מייַ ן‬ ָ

‫ווארער ליבעאון ליב ‏‬ ַ ‫סטו מיך מיט‬

‫שאץ‬ ַ ‫דארטן ניט מייַ ן‏‬ ָ ‫געֿפינסט מיך‬

‫מאשינען‏‬ ַ ַ‫ווּו לעבנס וועלקן ביי‬ ‫רוע־ּפלאץ‏‬ ַ ‫דארטן איז מייַ ן‬ ָ

‫ניט זוך מיך ווּו די ֿפייגל זינגען‏‬

libe varer mit mikh libstu un

zingen feygl di vu mikh zukh nit

shats guter mayn mir tsu kum to

shats mayn, nit dortn mikh gefinst

tribe dos harts mayn oyf hayter un

klingen keytn vu ikh bin shklaf a

‫שאץ‏‬ ַ ‫טא קום צו מיר מייַ ן גוטער‬ ָ

‫דאס טריבע‬ ָ ‫הארץ‬ ַ ‫און הייַ טער אויף מייַ ן‬ ‫רוע־ּפלאץ‬ ַ ‫מאך מיר זיס מייַ ן‬ ַ ‫און‬

plats-rue mayn zis mir makh un

‫דארטן ניט מ‬ ָ ‫שאץגעֿפינסט מיך‬ ַ ‫ייַ ן‬

‫שקלאף בין איך ווּו קייטן קלינגען‬ ַ ‫ַא‬ ‫רוע־ּפלאץ‬ ַ ‫דארטן איז מייַ ן‬ ָ

plats-rue mayn iz dortn

Ne me cherche pas où les myrtes verdissent Tu ne me trouveras pas là, mon bien-aimé Là où les vies se fanent près des machines C’est là le lieu où je repose. Ne me cherche pas où les oiseaux chantent Tu ne me trouveras pas là, mon bien-aimé Une esclave je suis, là où les chaînes claquent C’est là le lieu où je repose. Ne me cherche pas où les fontaines jaillissent Tu ne me trouveras pas là, mon bien-aimé Là où les larmes coulent, où les dents grincent C’est là le lieu où je repose. Et si tu m’aimes d’un véritable amour Alors viens à moi, mon cher bien-aimé Et console mon cœur du chagrin Et adoucis pour moi le lieu où je repose.

Morris Rosenfeld Morris Rosenfeld est né en 1862 à Boksze, Pologne russe. Tailleur, éditeur, poète, il grandit à Boksze, Suwalki, puis Varsovie. En 1886, il s’installe à New York où il travaille dans des «ateliers de misère» (sweatshop). Il fréquente un club anarchiste. Il écrit des articles et des essais, publie dans plusieurs journaux, et magazines littéraires yiddish. Parallèlement à ces activités, il écrit des poèmes, qui décrivent entre autres la vie et les conditions de travail difficile des ouvriers dans les ateliers.

La mélodie

Il meurt à New York en 1923, après une fin de vie difficile, isolée et amère, marquée par des conflits avec d’autres écrivains et des éditeurs.

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Vie de l’UPJB

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Lire

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Outre-Mère, un roman de Dominique Costermans

Mon amie Dorette

GÉRARD WEISSENSTEIN

DEBARATI GUHA

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n premier roman. Une quête d’identité à travers un secret de famille. Une femme dont l’enfance a été gâchée par la guerre et un père indigne, et qui a choisi de se taire et d’oublier

Au cœur du roman - appelons-le comme cela puisque l’auteur laisse planer le doute sur son caractère autobiographique: le silence, le non-dit autour d’un tabou familial. Un tabou né de la guerre 40-45. Le grand-père de la narratrice, Charles Morgenstern, a été évacué de l’histoire familiale parce que, bien que juif, il s’est enrôlé dans l’armée allemande, a travaillé pour la Gestapo, a livré des juifs et dénoncé des résistants… La mère de la narratrice, fille de Morgenstern et abandonnée par lui et par sa mère, traverse la guerre en enfant cachée pour être ensuite adoptée. Elle choisit ensuite le silence, le mensonge et la dissimulation, sans doute pour survivre à ses blessures.

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Quelques lignes suffisent donc à résumer l’intrigue. En effet, si celle-ci structure le roman, elle n’est que le prétexte du livre. Le « vrai » sujet, c’est la prise de conscience d’un mystère familial par la narratrice encore enfant, puis sa longue quête - son enquête - vers le dévoilement du mystère, et avec ce dévoilement la mise à jour de ses racines. Avec toutes les interrogations éthiques et relationnelles posées par sa démarche. Comment la narratrice peut-elle concilier son respect pour sa mère - qui a choisi de cacher l’histoire de sa jeunesse et de son père - et sa propre aspiration à connaître ses racines et donc l’histoire dont elle est porteuse ? Comment va-t-elle vivre le dévoilement de ses origines juives, elle qui a été élevée dans la religion catholique ? Comment intégrer cette nouvelle judaïté quand, simultanément, elle apprend que son grand-père, s’il était juif, fut aussi collaborateur… Dominique Costermans a choisi d’alterner dans son récit les parties écrites au « je » - elle s’implique alors directement dans la quête d’identité - et des parties où le « je » cède la place à « Lucie », le nom donné à l’héroïne, donnant ainsi une distance à l’intrigue, qui apparaît alors comme proche d’une enquête journalistique… Un procédé stylistique qui permet au lecteur de reprendre son souffle entre les scènes « mère-fille » souvent chargées de tension et d’émotion contenues.

Dominique Costermans: Outre-Mère. Editions Luce Wilquin, 176 pages, 17€

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orette Szyster nous a quittés en août 17 après une longue maladie comme l’on a coutume de dire. Elle faisait partie d’une de ces familles emblématiques qui ont fait l’histoire de l’actuelle UPJB . Ses parents, Boris et Henriette, arrivés en Belgique au début des années 30, s’engagent très vite dans la mouvance communiste. En 1936, Henriette donne naissance à des jumeaux, Jo et Dorette. En 1939, au moment où éclate la guerre, ils font partie du noyau de la Sol et rentrent au Parti. Ils feront de la résistance au Front de l’Indépendance.

Boris s’occupe du journal Ounzer Kamf, le journal communiste en langue yiddish. A la Libération, les parents occupent des postesclefs à Solidarité Juive (ancêtre de l’UPJB). Dorette a épousé Jackie Schiffmann, rencontré dans les colonies de la SOL, et le couple fera tout naturellement partie de la future UPJB, jusqu’à aujourd’hui. Ils eurent deux enfants Anne et Serge et cinq petits-enfants. A tous, nous adressons notre plus profonde sympathie. Nous publions ici un témoignage d’une de ses meilleures amies.

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Vie de l’UPJB

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’ai fait la connaissance de Dorette lors de ma première visite à Bruxelles en 1977. Jolie, vive, ne mâchant pas ses mots, elle ressemblait à une starlette des comédies françaises, mince, blonde et souriante, foulard autour du cou. Au cours des années, j’appris à mieux la connaître. Entrant dans sa famille par mon mariage, Dorette m’a très vite adoptée et j’ai rapidement découvert que sa personnalité comportait deux facettes distinctes.

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’était une personne attentionnée, pleine de sollicitude et de délicatesse vis-à-vis de la famille. Ce lien familial est resté solide jusqu’à sa mort. Il plongeait ses racines dans la profonde amitié entre le père de Dorette et celui de mon mari. Ils avaient émigré ensemble de Vilna à Gand. Ensemble aussi, ils avaient traversé les épreuves de la guerre. Ensuite, chacun se maria et eut des enfants, Dorette et Jo pour l’un, Marc et André pour l’autre. Cette amitié se transmit jusqu’aujourd’hui aux générations suivantes.

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orette avait un caractère bien trempé. Elle savait ce qu’elle voulait et était prête à défendre ses positions. Elle assurait une protection inébranlable à ceux qu’elle aimait. Elle m’invita un jour à l’UPJB pour y parler de l’épidémie d’Ebola. Elle animait la séance. A l’heure des questions, quand celles-ci me confortaient ou demandaient des éclaircissements, le regard de Dorette, approuvant mes réponses, exprimait l’empathie et elle hochait vigoureusement la tête. Mais que fuse une question du genre « Mais vous avez affirmé ceci au début et ensuite vous avez prétendu

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Vie de l’UPJB

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Sarabande carnavalesque le contraire » et le regard de Dorette transperçait le malheureux intervenant: enseignante elle savait comment maitriser une classe… La voix du participant découragé sombrait lentement dans un murmure avant même que je puisse répondre. Dorette passait ensuite la parole à celui ou celle qui, tremblant, osait encore intervenir.

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ien que conservatrice dans ses habitudes alimentaires et ses voyages, Dorette était universaliste, faisant preuve d’une tolérance et d’une ouverture d’esprit irréprochables envers toutes les cultures : acceptation de la diversité culturelle et des sociétés métissées, tolérance envers les choix individuels. Ses idées, elle les exprimait avec conviction.

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lle incarnait le poème de Rabindranath Tagore : «Certes j’ai parcouru le monde pour voir les montagnes de l’Atlas et les déserts du Sahara. Mais je ne pouvais pas voir l’univers qui se reflétait dans la goutte de rosée sur le brin d’herbe devant ma porte. » A l’image du poète, Dorette n’avait pas besoin de parcourir le monde. Elle voyait, devant sa porte, l’univers dans une goutte de rosée…

(1): Voir Alain Lapiower: Libres enfants du ghetto. Préface de José Gotovitch, Editions Points Critiques-Rue des Usines, Bruxelles, 1989, pp218-219 ainsi que l’article de Judith Lachterman dans ce numéro «Que reste-t-il de nos amours?»

ANTONIN MORIAU - COORDINATEUR DE L’UPJB JEUNES

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etour en arrière. Camp d’été 2017. Dernière journée d’activités. Il est quatorze heures, fin du repas. Soudain une chanson résonne dans le réfectoire: Carmina Burana. Aussitôt, l’excitation gagne le groupe des enfants qui ont compris, des cris fusent, on scrute les entrées. La porte d’entrée de la cuisine s’ouvre, les Sachems débarquent, masqués de blancs, vêtus de noir. Ils s’emparent des moniteurs et les amènent dans une salle à l’écart. Certains restent avec les enfants et d’autres, à l’extérieur, préparent le lieu de la cérémonie.

à plusieurs événements qui rythment la vie des camps: la Veillée pour le côté spectacle, le Grand Jeu, pour l’immersion dans un jeu de rôle et les épreuves... A travers ces épreuves, une double idée qui peut sembler paradoxale. Elles sont infligées par les Sachems aux «vermisseaux» pour les punir de cette autorité qu’ils exercent sur les enfants, pour venger ceux-ci. Mais en même temps elles sont rites de passage, acceptation des «vermisseaux» dans la communauté des Sachems, et du même coup reconnaissance de ce qu’ils ont pu apporter au mouvement de jeunesse.

La cérémonie, c’est la totémisation, une pratique qui appartient au mouvement de jeunesse de l’UPJB depuis la fin des années quarante mais dont les éléments principaux ont résisté au temps et aux bouleversements de l’histoire. «Suspendue entre le défoulement grossier et la divagation poétique, elle s’inscrit comme un dérapage «fellinien» du terre à terre social. (Un) univers parallèle (qui) porte la particularité d’une opacité curieuse qui confine cette pratique hors de tout contrôle formalisé. Aucun document, aucune décision, aucun vote, aucune discussion ne régit son évolution.» 1

A l’issue des épreuves, les Sachems donnent «un nom d’animal et un adjectif appropriés qui marquent et figent l’image de la personne, définissent son caractère visible mais aussi attirent l’attention de l’ensemble du collectif sur sa présence et son entrée fantasmatique dans le cercle.» 2

Les enfants sont amenés par les Sachems en face d’une bâche déployée sur l’herbe. Une fois ceux-ci installés, les «vermisseaux» - les moniteurs en attente d’être totémisés sont amenés de part et d’autre de la bâche par les Sachems qui les accompagnent. Déguisés en gladiateur, ils vont devoir s’affronter ou s’entraider dans des épreuves inspirées des jeux du cirque romain. La totémisation emprunte son déroulement

C’est ainsi que cette année, Altaïca complice, Argali authentique, Aonyx clair-obscur, Chikaree crescendo, Kwata contre-courant, Baribal magnétique, Ocelot solaire, Madoqua de fer et de velours, Ameiva fantasque, Guariba cosmique, Guanaco loufoque et Lybica sans-détour sont venus agrandir avec fierté la communauté des Sachems, devenus membres et garants de la transmission de cette «sarabande carnavalesque qui se vi(t). Pour ou contre? Peu importe. Elle ne s’institue ni ne se supprime. Elle est là.» 3

1 Alain Lapiower, Libres enfants du ghetto 2 Ibid. 3 Ibid

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Regards sur le camps d’été 2017

Cycle nouveau

MILENA DE COSTER

ANTONIN MORIAU

CARTE DE VISITE

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Vie de l’UPJB - Jeunes

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Vie de l’UPJB - Jeunes

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L’UPJB Jeunes est le mouvement de jeunesse de l’Union des progressistes juifs de Belgique. Elle organise des activités pour tous les enfants de 6 à 15 ans dans une perspective juive laïque, de gauche et diasporiste. Attachée aux valeurs de l’organisation mère, l’UPJB Jeunes veille à transmettre les

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ui dit septembre, dit rentrée. le mouvement de jeunesse n’y a pas dérogé . Le samedi 23 septembre, on se retrouve, parents, enfants, monos, au Bois de la Cambre.

valeurs de solidarité, d’ouverture à l’autre, de justice sociale et de liberté, d’engagement politique et de responsabilité individuelle et collective. Chaque samedi, l’UPJB Jeunes accueille vos enfants au 61 rue de la Victoire, 1060 Bruxelles (Saint-Gilles) de 14h30 à 18h. En fonction de leur âge, ils sont répartis entre cinq

Lors d’une sorte de Mastermind géant, les enfants doivent, après des épreuves, proposer des compositions des équipes moniteurs/trices, jusqu’à ce qu’ils découvrent la bonne. Ensuite, on prend tous ensemble le non moins traditionnel goûter…

groupes différents. BIENVENUS (les enfants nés en 2010-2011) Chikaree (Louise):

0485 74 98 11

Madoqua (Ava):

0484 32 50 26

Ameiva (Mortimer):

0483 65 71 31

Ilan: 0475 74 09 91

Mais qui dit rentrée dit aussi début d’unnouveau cycle En effet, une bonne partie de l’équipe monitrice de l’année précédente est partie vivre d’autres aventures après de belles années comme enfants puis comme moniteurs. On les reverra certainement bientôt entre les murs de l’UPJB ou lors des camps. Ceux qui restent sont rejoints par le groupe des Janus Korczak, qui deviennent moniteurs. Ils sont nombreux, plein d’énergie et à l’UPJB depuis qu’ils sont tout petits.

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Qui dit nouveau groupe de moniteurs, dit aussi nouveau groupe d’enfants. En effet, ce samedi, on célèbre la création d’un nouveau groupe de Bienvenus, qui accueillera les enfants nés en 2010 et 2011, et on souhaite la bienvenue aux enfants qui le composent déjà. Ils sont une dizaine. Ce sont les frères et sœurs de..., ou des amis de..., ou encore des enfants dont les parents sont attirés par la pédagogie de l’UPJBjeunes, un mouvement de jeunesse juif de gauche qui revendique un engagement de solidarité, d’égalité et de justice sociale et tente de le susciter chez les enfants qui le fréquentent à travers ses activités.

SALVADOR ALLENDE (les enfants nés en 2008-2009) Ines:

0470 24 37 07

Ethel:

0488 94 65 49

Sam:

0489 81 65 88

Theo:

0474 45 11 10

SEMIRA ADAMU (les enfants nés en 2006-2007) Argali (Pablo) :

0487 10 36 39

Lena:

0471 28 19 94

Elsa:

0470 53 83 33

Adèle:

0483 11 42 04

Mathieu:

0491 54 45 14

JULIANO MER-KHAMIS (les enfants nés en 2004-2005) Ocelot (Ketura) :

0485 20 46 13

Guanaco (Edgar) :

0479 95 93 02

Kwata (Jérémie) :

0485 14 45 70

Yeliz:

0471 45 39 89

MAREK EDELMAN (les enfants nés en 2002-2003) Lybica (Zoé):

0489 10 10 44

Baribal (Wali):

0479 02 77 73

Rebecca:

0483 02 64 67

Achille:

0485 65 15 57

INFORMATIONS ET INSCRIPTIONS Gecko (Antonin)

0486 75 90 53


Focus : OCTOBRE 17-17

ÉDITORIAL 3 ANNE GRAUWELS

FOCUS Que reste-t-il de nos amours JUDITH LACHTERMAN 4 Fragment d’une révolution - 1 - AMIR HABERKORN 7 Les avant-gardes: des lendemains qui chantent à la terreur FRANÇOISE NICE ET TESSA PARZENCZEWSKI 8 Fragment d’une révolution - 2 - DANIEL LIEBMANN 14 L’histoire tourmentée des partis communistes isréaliens HENRI WAJNBLUM 15 J’ai presque été un espion communiste ... GÉRARD WEISSENSTEIN 17 Fragment d’une révolution - 3 - LEÏLA VANDER GHINST LACHTERMAN 18 1917: Lecture à contre courant ELIAS PRESZOW 19 La révolution en chantant MICHÈLE LIEBMAN 21 Fragment d’une révolution - 4 - ISABELLE STENGERS 22 Fragment d’une révolution - 5 - GILLES MAUFROY 22

AGENDA VOIR A propos de «Animal Farm - Theater im Menschenpark» ISRAËL-PALESTINE Condamner l’occupation israélienne ne suffit pas LIRE Jean-Christohe Attias, un Juif de mauvaise foi VOIR Voyages au pays du collage et des collagistes (3) BD FICTION Causerie sur la révolution

Editeur responsable : Anne Grauwels, rue de la Victoire 61, B-1060

YIDDISH ? YIDDISH ! ‫רוע־ּפלאץ‬ ַ ‫מײן‬ ַ Mayn rue-plats - Le lieu où je repose LIRE Outre-mère, un roman de Dominique Costermans VIE DE L’UPJB Mon amie Dorette UPJB JEUNES Sarabande carnavalesque Regards sur le camps d’été 2017 Cycle nouveau

I - IV GALIA DE BACKER 23

AMIRA HASS 26

TESSA PARZENCZEWSKI 29

JACQUES ARON 30

GECKO 32

IRÈNE KAUFER 34

HENRI WAJNBLUM 36

GÉRARD WEISSENSTEIN 38

DEBARATI GUHA 39

ANTONIN MORIAU 41 MELINA DECOSTER 42 ANTONIN MORIAU 43

Plus d’actualité, plus de contenus, l’intégralité des interviews, l’agenda mis à jour, ... sur www.upjb.be

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