n°304 - Points Critiques - mars 2010

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mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique mars 2010 • numéro 304

éditorial Boycott, Désinvestissement, Sanctions

Bureau de dépôt: 1060 Bruxelles 6 - mensuel (sauf juillet et août)

LE COMITÉ DE L’UPJB

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juillet 2004. Saisie par l’Assemblée générale des Nations Unies, en date du 8 décembre 2003, sur les conséquences juridiques de l’édification d’un mur en territoire palestinien occupé, la Cour internationale de justice (CIJ), siégeant à La Haye, rend un avis d’une parfaite limpidité… 1) L’édification du mur qu’Israël, puissance occupante, est en train de construire dans le territoire palestinien occupé, y compris à l’intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est, et le régime qui lui est associé, sont contraires au droit international ; 2) Israël est dans l’obligation de mettre un terme aux violations du droit international dont

il est l’auteur; il est tenu de cesser immédiatement les travaux d’édification du mur qu’il est en train de construire dans le territoire palestinien occupé, y compris à l’intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est, de démanteler immédiatement l’ouvrage situé dans ce territoire et d’abroger immédiatement ou de priver immédiatement d’effet l’ensemble des actes législatifs et réglementaires qui s’y rapportent ; 3) Israël est dans l’obligation de réparer tous les dommages causés par la construction du mur dans le territoire palestinien occupé, y compris à l’intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est ; 4) Tous les Etats sont dans l’obligation de ne pas reconnaître la situation illicite découlant

BELGIQUE-BELGIE P.P. 1060 Bruxelles 6 1/1511

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sommaire éditorial 1 Boycott, Désinvestissement, Sanctions ............................ Le Comité de l’UPJB 4 Fédération « Juifs Européens pour une paix Juste » ........................................... 7 Appel au Conseil de sécurité pour qu’il adopte le rapport Goldstone ............

communautés

8 Veillée d’armes au CCOJB.......................................................... Henri Goldman

europes

10 Ukraine : la défaite orange ..............................................Jean-Marie Chauvier

lire

12 Surgie de l’oubli, l’oeuvre littéraire de Veza Canetti ...Tessa Parzenczewski

regarder

13 Un Homme sérieux ! ................................................................ Carine Bratzlavsy

diasporas

14 Zyd ! Graffitis et mémoire des Juifs en Pologne ....... ......... Roland Baumann

écrire

16 Stefan, Tabita, Asmir et Jasmin ....... ................................ Chantal Casterman

à l’upjb

18 Une soirée surréaliste..................................................................Françoise Nice

hommage 20 Daniel Bensaïd............................................................................Amir Haberkorn

réfléchir

22 Un pays où les minarets ne sont pas cachère ......................... Jacques Aron

yiddish ? yiddish !

! widYi ? widYi

24 Farfroyrene yidn - Juifs gelés ...................................................Willy Estersohn 26 Le poète et sa langue ......................................................................Alain Mihály

humeurs judéo-flamandes

28 To be or not to be. That is the question.....................................Anne Gielczyk

le regard 30 Un dysfonctionnement ordinaire de la justice ....................... Léon Liebmann

cultes et laïcité

32 Religion et politique, liaison dangereuse ? ........................ Caroline Sägesser 34

activités upjb jeunes

36 « Heureux comme un enfant qui peint » ................................ Noémie Schonker

écouter

38 Vies héroïques ................................................................................................ Noé 40

les agendas

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éditorial ➜ de la construction du mur et de ne pas prêter aide ou assistance au maintien de la situation créée par cette construction; tous les Etats parties à la quatrième convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, du 12 août 1949, ont en outre l’obligation, dans le respect de la Charte des Nations Unies et du droit international, de faire respecter par Israël le droit international humanitaire incorporé dans cette convention ; 5) L’Organisation des Nations Unies, et spécialement l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité, doivent, en tenant dûment compte du présent avis consultatif, examiner quelles nouvelles mesures doivent être prises afin de mettre un terme à la situation illicite découlant de la construction du mur et du régime qui lui est associé. Comme il fallait s’y attendre, cet avis du principal organe judiciaire de l’Organisation des Nations Unies a immédiatement été condamné par Israël, celui-ci allant jusqu’à affirmer qu’il s’agissait là d’une « journée noire», non pas pour Israël, mais pour la Cour et pour le système judiciaire international !

9 JUILLET 2005 Un an jour pour jour après la publication de l’avis de la CIJ, face à la poursuite obstinée par Israël de la construction du mur et de la colonisation des territoires palestiniens occupés ainsi qu’à l’inertie de la « Communauté internationale », une centaine d’ONG, représentant la société civile palestinienne, lançaient un appel à la société civile internationale pour qu’une campagne de boycott, de


désinvestissement et de sanctions (BDS) soit menée contre Israël jusqu’à ce que celui-ci « applique le Droit International ». Cette campagne se menait plus ou moins à un train de sénateur et faisait relativement peu parler d’elle jusqu’à l’offensive meurtrière d’Israël contre la bande de Gaza (27 décembre 2008-18 janvier 2009) qui fit quelque 1.400 morts palestiniens dont une majorité de civils. Cette offensive a eu pour effet de faire basculer un large pan de l’opinion publique mondiale, dont de nombreux Juifs qui se cantonnaient jusque là dans un silence embarrassé, dans une critique radicale de la politique israélienne, et de relancer la campagne BDS soutenue par une bonne partie du camp de la paix israélien.

L’UPJB PREND POSITION L’UPJB ne pouvait pas faire l’impasse sur le délicat débat BDS. Aussi, une Assemblée générale sur ce thème fut-elle convoquée pour le 17 janvier dernier afin de déterminer une position qui serait défendue à l’Assemblée générale annuelle de la Fédération « Juifs Européens pour une Paix Juste » (JEPJ) dont notre organisation est un des membres fondateurs. Cette AG des JEPJ était programmée les 30 et 31 janvier à Paris. Après un débat de grande qualité, durant lequel différentes sensibilités s’exprimèrent, l’Assemblée générale décida l’adhésion de l’UPJB à la campagne BDS. Nous tenons à préciser, pour autant que cela soit encore nécessaire, que notre adhésion vise la politique d’occupation et d’expansion israélienne et n’est en aucune manière dirigée contre l’État d’Israël lui-même, dont nous défendons le droit de vivre en paix et en sécurité aux côtés d’un État palestinien indépendant, viable et en sécurité lui aussi.

Elle est par contre bel et bien dirigée contre les responsables politiques et militaires israéliens qui se sont rendus coupables de crimes de guerre, et peut-être contre l’humanité. Nous nous basons ici sur le rapport Goldstone à l’égard duquel Israël met tout en œuvre pour qu’il ne soit pas endossé par le Conseil de Sécurité de l’ONU et transmis ensuite au Tribunal pénal international. Notre adhésion à la campagne BDS est aussi dirigée contre les entreprises qui, directement ou indirectement, contribuent à perpétuer l’occupation par leurs relations commerciales avec, ou par leurs investissements dans des entreprises israéliennes actives dans la construction du mur et dans la colonisation des territoires palestiniens occupés. Elle n’est bien sûr pas dirigée contre les Israéliens en tant qu’individus, mais contre les Israéliens qui, dans leur fonction, acceptent de représenter à l’étranger l’État d’Israël ou d’être parrainés par lui et s’en font dès lors, qu’ils le veuillent ou non, les porte-parole. Même s’il devait s’agir d’intellectuels, d’universitaires, de réalisateurs ou d’artistes. Nous pensons que le moment est venu de traduire notre opposition au gouvernement israélien et à ses politiques en actions efficaces et non-violentes. Si la campagne BDS peut sembler de prime abord, avoir un impact surtout symbolique, ce sont de telles actions qui permettront de mobiliser une base citoyenne qui, à son tour, fera pression sur les gouvernements européens, sur l’Union européenne, sur la société et sur le gouvernement israéliens. A titre d’exemple de l’efficacité que peut avoir la campagne BDS… Il y a quelques mois, la société française Veolia Transport s’est retirée du projet de tramway léger qui vise à relier les colonies

israéliennes construites sur le territoire palestinien occupé à la ville de Jérusalem. Chat échaudé craint en effet l’eau froide… Veolia Transport a difficilement digéré la perte d’un contrat de transport urbain de 2 milliards d’euros à Stockholm à cause du tramway israélien. Jusqu’à la veille de sa décision, le conseil municipal avait en effet été inondé de milliers de pétitions lui demandant d’écarter Veolia. Les élus suédois ont fini par céder à cette pression de l’opinion. Le transporteur français a donc préféré se retirer du « projet tramway » plutôt que de risquer de se voir évincé d’autres marchés internationaux. Nous avons conscience cependant que certaines des actions menées contre la politique israélienne peuvent avoir un caractère outrancier, voire même antisémite comme cela s’est déjà produit. C’est la raison pour laquelle, si l’UPJB adhère résolument à l’ensemble de la campagne BDS, c’est seule et en toute liberté qu’elle décidera des actions qu’elle mènera dans ce cadre, de celles qu’elle mènera de concert avec d’autres associations, de celles auxquelles elle ne s’associera pas et, le cas échéant, de celles qu’elle dénoncera. Comme déjà dit, les 30 et 31 janvier la Fédération « Juifs Européens pour une Paix Juste » tenait son Assemblée générale annuelle, consacrée en majeure partie à la campagne BDS. C’est forts de la décision de l’Assemblée générale de l’UPJB du 17 janvier que ses délégués y ont défendu la position que nous venons d’exposer. Cette AG des JEPJ s’est conclue, entre autres, par l’adoption d’une résolution sur la campagne BDS et d’un appel à soutenir Richard Goldstone et le rapport qui porte son nom. Nous vous livrons ces deux textes dans les pages qui suivent. ■

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➜ Fédération « Juifs Européens pour une Paix juste » 2010 Pas de soutien à l’occupation israélienne ! Pour la défense du droit international et des droits de l’homme :

Boycott, Désinvestissement et Sanctions contre Israël

Depuis 43 ans, les territoires palestiniens occupés connaissent des confiscations massives de territoires et de ressources hydrauliques, des barrages routiers, le bouclage et des couvre-feux, des exécutions extra-judiciaires et des punitions collectives, au mépris du droit international. L’oppression, la ségrégation et l’humiliation, les démolitions de maisons, la construction du Mur d’annexion en Cisjordanie et le blocus et la guerre à Gaza, rythment la vie du peuple palestinien occupé. Depuis toutes ces années, le gouvernement israélien s’arroge le droit de contrevenir au droit international, à la Charte des Nations unies, à la Déclaration universelle des Droits de l’homme et à la quatrième Convention de Genève et d’ignorer les décisions de la Cour internationale de Justice, et ce, avec l’acceptation tacite d’une grande partie de la communauté internationale. Face à ces violations du droit international, ni les Nations unies ni la communauté internationale n’ont réussi à adopter des sanctions efficaces contre Israël. C’est donc à la société civile, à travers toute l’Europe, qu’il est fait appel pour arrêter cette politique du « deux poids, deux mesures » et de tolérance à l’égard d’Israël pratiquée par les gouvernements européens. L’Assemblée générale annuelle des Juifs européens pour une

paix juste (JEPJ) de 2010 Rappelle que : Les principes de la Charte des Nations unies exigent l’établissement d’une paix juste et durable entre Israël et le futur État palestinien ; Tous les membres des Nations unies sont tenus d’agir en accord avec la Charte, dont l’article 2 (*) ; La sauvegarde d’un système international de Justice et le maintien de son autorité sur la communauté internationale imposent de contraindre Israël à mettre fin à l’occupation ; L’État d’Israël est un État fort, qui occupe le territoire d’un autre peuple ; il est membre à part entière de la communauté internationale et ses actions et ses politiques doivent répondre aux normes internationalement reconnues, comme celles de toutes les autres nations ; toute autre approche de l’État d’Israël est discriminatoire, parce qu’elle considère, sans justification, qu’Israël est différent des autres pays. Pour toutes ces raisons, les JEPJ considèrent que l’occupation israélienne du territoire palestinien est une question qui concerne toute la communauté internationale. Nous avons tous intérêt à la voir se terminer. Nous refusons d’accepter l’aveuglement des soi-disant superpuissances, l’indolence des Nations unies, l’apathie du Quartet, et l’in-

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différence des États du MoyenOrient et de la Méditerranée ; Nous refusons de rester silencieux lorsque l’occupant, Israël, prétend parler au nom des Juifs du monde entier et agir en mémoire de nos ancêtres, dont beaucoup ont été victimes du génocide nazi, et dans le soi-disant intérêt de toutes les victimes de l’antisémitisme et du racisme ; Nous refusons d’être les témoins passifs d’une politique qui a déjà fait beaucoup trop de victimes, causé d’insupportables destructions et infligé des souffrances constantes. En tant que citoyens européens, convaincus que les droits de l’homme constituent le socle politique de l’action de la société civile européenne, nous partageons la responsabilité du rétablissement de la paix et de la justice avec nos amis et nos organisations sœurs en Israël, en Palestine, et dans tous les autres pays. Nous sommes résolus à prendre une position ferme contre l’occupation israélienne des territoires palestiniens : nous refusons la logique de la haine qui pourrait se terminer en catastrophe tant pour les Palestiniens que pour les Israéliens. Nous sommes convaincus que les leaders israéliens, tout comme la société civile israélienne, ont la possibilité de modifier cette situation intolérable, mais qu’ils sont


réticents ou hostiles à agir. Aussi est-il impossible de mettre fin à l’occupation sans pression extérieure. Des pressions internationales, non violentes mais efficaces, comme la campagne BDS, en soutien avec la lutte palestinienne contre l’occupation, est un moyen crucial pour sortir de l’impasse. La réunion annuelle des JEPJ de 2010 a pris note : • de « l’Appel au Boycott, désinvestissements et sanctions contre Israël jusqu’à ce qu’il observe le droit international et respecte les droits de l’Homme » lancé par des représentants de la société civile palestinienne en mai 2005 ; • de l’initiative de Bilbao du 31 octobre 2008 appelant à « une prise de conscience afin de mettre en œuvre la campagne globale de Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) contre Israël, sur base de l’appel BDS de la société civile palestinienne de 2005, d’une façon graduelle et réaliste qui tient compte du contexte et des possibilités ». Avec, entre autres buts, l’objectif explicite de demander le respect de l’avis de la cour de Justice internationale de 2004, condamnant le tracé du Mur et l’établissement de colonies en territoire occupé ; • que de nombreuses organisations israéliennes opposées à l’occupation ont rejoint la campagne Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS), parmi lesquelles : la coalition des femmes pour la paix (New Profile, Woman in Black, Bat Shalom, The Fifth Mother, Machsom Watch, Noga, NELED, TANDI, WILPF, Bat Tzafon), l’ICAHD (Comité israélien contre les démolitions de maisons), les Anarchistes contre le Mur, Matzpen (Israel/International), l’AIC (Centre d’information alternative), qui participent tous

au mouvement « Boycott de l’intérieur » ; • que de nombreuses organisations juives se sont jointes à la campagne BDS, dont : Not In Our Name (NION - Canada), Palestinian and Jewish Unity (PAJU - Canada), Judar För Israelisk Palestinsk Fred (JIPF - Sweden), Union Juive Francaise pour la Paix (UJFP - France), Jüdische Stimme für einen gerechten Frieden in Nahost (Austria), Union des Progressistes Juifs de Belgique (UPJB - Belgique), Rete ‘Ebrei Contro l’Occupazione (Italy), Jüdische Stimme für einen gerechten Frieden in Nahost (Germany)...; • que des personnalités éminentes, issues tant du monde académique que du monde culturel, en Israël, en Palestine et dans le monde, ont appelé à des actions BDS dans la coopération académique et culturelle,

propriées de sanctions BDS dans le cadre de leur situation nationale ou locale, en tenant compte du fait que l’appel au boycott des produits en provenance des territoires occupés lancé il y a longtemps par Gush Shalom et d’autres groupes est également une forme de BDS ; • qu’il n’y a rien d’antisémite dans l’application de sanctions BDS à l’égard d’Israël. Au contraire, nous entreprenons ce type d’action avec la conviction que le maintien de l’occupation est dommageable pour le peuple israélien et susceptible de mettre en danger les Juifs à travers le monde. Aussi, la Fédération des Juifs européens pour une paix juste (JEPJ) se joint à la campagne Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS). Actions suggérées

Les JEPJ déclarent donc : • que les JEPJ reconnaissent la valeur de l’appel BDS lancé par la société civile palestinienne en tant qu’outil non-violent dans sa lutte contre l’occupation ; • que les JEPJ rejoignent l’appel afin de faire pression sur le parlement européen et sur chaque gouvernement européen pour qu’ils remplissent leurs obligations à l’égard du droit international et des droits de l’homme ; • que la décision des JEPJ de se joindre au mouvement BDS constitue un soutien moral au camp de la paix progressiste en Israël qui a déjà largement rejoint le BDS et une impulsion à un plus vaste soutien international qui fera du BDS un outil efficace ; • que les situations dans les différents pays de l’Europe sont diverses, aussi les différents groupes nationaux du JEPJ devront-ils décider des formes les plus ap-

1. Un ensemble d’actions interconnectées visant la machinerie de l’occupation et le complexe militaro-industriel d’Israël qui lui est lié est le plus approprié. Nous travaillerons avec d’autres organisations actives dans ce secteur afin d’inclure dans nos activités des actions dirigées contre : • La vente d’armes et de composants d’armement à Israël ; • La vente et l’entretien d’équipement utilisé pour l’occupation ; • L’entrainement et les tests de personnel militaire israélien ou d’armement israéliens sur toute partie du territoire de l’UE ; • L’entrainement et le conseil de forces européennes de police ou militaires par Israël; • La coopération d’entreprises publiques ou privées avec des organisations ou des entreprises israéliennes qui produisent de l’équipement ou des systèmes militaires ou de sécurité.

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➜ 2. Le désinvestissement des entreprises qui soutiennent l’occupation israélienne, directement ou indirectement. Nous travaillerons avec des groupes locaux, palestiniens et israéliens, pour identifier les cibles, parmi lesquelles les entreprises qui sont impliquées dans la construction du Mur ou la destruction des maisons et du territoire palestiniens. 3. Faire campagne pour convaincre les importateurs, les grossistes et les détaillants de ne pas vendre des produits israéliens qui contribuent à l’occupation. Soutenir le boycott de tels produits par les consommateurs en publiant sur le site du JEPJ une liste consolidée en collaboration avec des organisations israéliennes qui luttent contre l’occupation, des organisations palestiniennes et des groupes de solidarité locaux. 4. Créer un réseau avec d’autres groupes pour rechercher et mettre à jour les informations et organiser la campagne de boycott des investissements et de la consommation. Ceci pourrait aider à résorber la fragmentation des campagnes politiques de solidarité avec le peuple palestinien. 5. La plupart des institutions académiques et culturelles israéliennes sont contrôlées par l’État, et la grande majorité des intellectuels et des membres du corps académique israéliens ont soit contribué directement au maintien, à la défense ou à la justification des politiques d’occupation israéliennes, soit ils en ont été les complices par leur silence. Nous

appelons les membres du monde académique et les travailleurs du secteur culturel israéliens à se distancer de l’occupation et de la destruction par Israël des infrastructures culturelles et de l’enseignement en Palestine s’ils veulent éviter un possible boycott. 6. Nous appelons à un examen des dons collectés au sein des organisations et des communautés juives. Nous publierons et condamnerons toute organisation qui contribuerait au maintien de l’occupation en appelant à des donations. Nous agirons contre ces activités et diffuserons de possibles alternatives. Nous appelons à des donations et à un soutien en faveur d’institutions et d’organisations qui sont activement opposées à l’occupation. Le moment est venu de traduire notre opposition au gouvernement israélien et à ses politiques en actions efficaces et non-violentes, telle la campagne « boycott, désinvestissement et sanctions contre Israël (BDS) ». Si cette campagne peut sembler, de prime abord, avoir un impact surtout symbolique, ce sont de telles actions qui permettront de mobiliser une base citoyenne qui, à son tour, fera pression sur les gouvernements européens, sur l’Union européenne, sur la société et sur le gouvernement israéliens. Traduit de l’anglais par Caroline Sägesser

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(*) Article 2 de la Charte des Nations unies: L’Organisation des Nations unies et ses Membres, dans la poursuite des buts énoncés à l’Article 1, doivent agir conformément aux principes suivants : 1. L’Organisation est fondée sur le principe de l’égalité souveraine de tous ses Membres. 2. Les Membres de l’Organisation, afin d’assurer à tous la jouissance des droits et avantages résultant de leur qualité de Membre, doivent remplir de bonne foi les obligations qu’ils ont assumées aux termes de la présente Charte. 3. Les Membres de l’Organisation règlent leurs différends internationaux par des moyens pacifiques, de telle manière que la paix et la sécurité internationales ainsi que la justice ne soient pas mises en danger. 4. Les Membres de l’Organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations unies. 5. Les Membres de l’Organisation donnent à celle-ci pleine assistance dans toute action entreprise par elle conformément aux dispositions de la présente Charte et s’abstiennent de prêter assistance à un État contre lequel l’Organisation entreprend une action préventive ou coercitive. 6. L’Organisation fait en sorte que les États qui ne sont pas Membres des Nations Unies agissent conformément à ces principes dans la mesure nécessaire au maintien de la paix et de la sécurité internationales. 7. Aucune disposition de la présente Charte n’autorise les Nations unies à intervenir dans des affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d’un État ni n’oblige les Membres à soumettre des affaires de ce genre à une procédure de règlement aux termes de la présente Charte; toutefois, ce principe ne porte en rien atteinte à l’application des mesures de coercition prévues au Chapitre VII.


Fédération « Juifs Européens pour une Paix Juste » Appel au Conseil de sécurité des Nations unies pour qu’il adopte le rapport Goldstone

Le 27 décembre 2008, Israël lançait une offensive contre la bande de Gaza, déjà soumise à un blocus et à une crise alimentaire. L’opération Plomb durci, qui pris fin la 18 janvier 2009, provoqua des destructions massives et le massacre de 1.400 personnes parmi lesquelles 313 enfants. En conséquence, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies chargea Richard Goldstone de mener des investigations afin de déterminer si des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité avaient été commis durant l’opération israélienne. Le juge Goldstone et sa commission conclurent que des crimes de guerre avaient effectivement été commis et peut-être aussi des crimes contre l’humanité. Dès la remise de ses conclusions par la Commission Goldstone, Israël et ses puissants appuis, prétendant parler au nom du monde juif dans son ensemble, lancèrent une campagne de dénigrement du rapport et de diffamation du juge Goldstone lui-même, un Juif sioniste pourtant affirmé. Nous louons quant à nous l’honnêteté, la minutie et le courage de la Commission Goldstone, et condamnons fermement les allégations d’Israël selon lesquelles le juge Goldstone et son rapport seraient antisémites. Nous estimons qu’il est de notre devoir moral, en tant que Juifs, de demander qu’Israël ait à rendre des comptes pour l’opération qu’il a menée à Gaza et pour la manière dont il a traité la population de Gaza. Le blocus de Gaza est illégal et nous, la douzaine d’organisations juives, issues de neuf pays européens et affiliées à la Fédération « Juifs Européens pour une Paix Juste » réunie en Congrès à Paris, affirmons notre soutien au rapport Goldstone. Nous appelons à ce qu’une suite soit donnée à ses recommandations et demandons au Conseil de sécurité de l’ONU d’agir en conséquence. Alors qu’Israël menace à nouveau d’envahir la bande de Gaza, nous appelons les Juifs et les organisations juives à travers le monde à nous rejoindre pour refuser l’impitoyable punition collective infligée à la population de Gaza. Nous appelons au respect du droit international et à la levée du siège de Gaza. Congrès des « Juifs Européens pour une Paix Juste » Paris, le 30 janvier 2010 Traduit de l’anglais par Henri Wajnblum

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communautés Veillée d’armes au CCOJB HENRI GOLDMAN

L

e 9 mars sera élu le nouveau président du CCOJB. Moins d’un mois avant cette date, aucune campagne électorale n’a vraiment démarré. Quel contraste avec le psychodrame qui avait débouché en 2007 sur l’élection de Joël Rubinfeld. Celle-ci avait provoqué une véritable tempête dans le microcosme que constitue cette institution. Le CCOJB est une « organisation » un peu surfaite. Déjà, le « B » (pour Belgique) est présomptueux, puisque que les Juifs anversois ont leur propre coupole, le Forum. Sa structure interne donne le même poids à des organisations comptant des centaines de membres et à des groupuscules, aux communautés cultuelles et aux institutions de bienfaisance, aux écoles juives et aux sections belges des partis politiques israéliens. Bien entendu, l’UPJB, qui refuse l’israélo-centrisme, n’en fait pas partie, pas plus que Dor Hashalom. En fait, la seule fonction du CCOJB est d’assurer une représentation consensuelle de la Communauté juive face aux autorités belges. Et c’est précisément la crise de cette fonction qui a débouché sur l’élection de Rubinfeld. Cette fonction s’est accomplie pendant ses quarante ans d’existence dans un climat de lune de

miel avec les autorités belges, qui ont longtemps caressé la communauté juive dans le sens du poil. Ce qui facilitait ces liens étroits, c’est le très large soutien donné par la Belgique - au même titre que tous les États européens - à l’État d’Israël quels que soient ses gouvernements. Pendant longtemps, ce que d’aucuns appellent « double allégeance » (vis-àvis de la Belgique et d’Israël) était très facile à vive puisque ses deux faces se superposaient naturellement. Les choses ont changé à partir des années 90 (avec l’assassinat de Yitzhak Rabin fin 1995 comme point d’inflexion), pour des raisons externes et internes. Externes : la politique israélienne est de plus en plus brutale, elle s’appuie sur une opinion publique que les démocrates européens ont de plus en plus de mal à suivre tandis qu’à l’inverse, l’autorité palestinienne se civilise et incarne l’élément modéré sincèrement en recherche d’un compromis honorable. Interne : la montée en puissance d’un électorat belge d’origine arabe fait réfléchir les partis politiques aux conséquences d’un alignement systématique sur les positions israéliennes. En 2001, Philippe Markiewicz est porté à la présidence du CCOJB. Il est issu de la Commu-

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nauté israélite de Bruxelles (soit la « Grande » synagogue de la rue de la Régence) et représente la version libérale du judaïsme consistorial. Dans un climat où la solidarité inconditionnelle avec Israël heurte de plus en plus les réflexes démocratiques du monde politique belge, il n’hésitera jamais, par conviction profonde mais aussi pour rester en phase avec ce monde politique, à endosser une posture pacifiste qui a pu sonner aux oreilles de l’Ambassade comme une critique feutrée mais ferme du refus d’Israël de toute ouverture de paix. En 2007, son bilan est jugé désastreux par toute une aile radicale de la communauté pour qui, en cas de désaccord entre la Belgique et Israël, il ne faut plus tergiverser : c’est la fidélité à l’État du peuple juif qui doit l’emporter sans hésiter. Puisque la Belgique prend ses distances avec Israël, que certains envisagent même de juger Sharon au nom de la loi belge de compétence universelle, que les partis belges s’aplatissent devant le loi du nombre et la quête du vote arabe, les Juifs doivent resserrer les rangs autour de leur État comme de bons soldats, sans marchander leur soutien. C’est ce que prônait Joël Rubinfeld, par ailleurs président du think tank néo-conservateur Atlantis Institu-


Joël Rubinfeld (à droite) et le premier ministre Yves Leterme à la commémoration du 70ème anniversaire de la Nuit de Cristal en novembre 2008. Photo Detlev Schilke

te, qui avait créé les Amitiés belgo-israéliennes sur cette ligne. Opposé dans un dernier face à face à Norbert Cigé, qui se présentait comme un continuateur de la « ligne Markiewicz », la victoire de Rubinfeld traduisait la radicalisation de la fraction majoritaire du noyau communautaire juif, qui se confirme encore aujourd’hui dans la sympathie affichée par Radio Judaïca pour le nouveau Parti Populaire de Mischaël Modrikamen. Sous la présidence de Rubinfeld, ce qui devait arriver arriva : le CCOJB perdit sa légendaire réserve un peu courtisane vis-à-vis des autorités belges et ses relations se tendirent avec le Parti socialiste qui fut longtemps une des cibles les mieux investies de son lobbying. Ce qui lui fut amèrement reproché par ses opposants. Au moment d’achever son mandat, Rubinfeld n’aura pas apaisé les tensions nées de son élection. Il s’en est plaint amèrement dans son bilan (publié sur le site du

CCOJB ) : « Je ne peux pas ne pas regretter ce que nous aurions pu accomplir de plus dans ce combat difficile que nous menons contre la résurgence de l’antisémitisme et pour affirmer sereinement et sans complexe notre place dans notre pays. (...) Ce n’est un mystère pour personne : certains membres de notre Conseil d’administration ne se sont jamais fait une raison du dernier verdict des urnes. Et je ne doute pas un instant du fait que les dividendes de notre action auraient été plus importants qu’ils ne le sont si ces démocrates à géométrie variable avaient plus eu le souci des intérêts menacés de notre communauté que celui de soigner leurs ego blessés. » Ambiance... 2010 refermera-t-il la parenthèse Rubinfeld ? Un seul candidat s’est déclaré à ce jour : le médecin et professeur à l’ULB Maurice Sosnowski. Son programme : selon la présentation qu’en a fait Nicolas Zomersztajn dans Regards, il veut

avant tout réconcilier les 95% de Juifs qui sont d’accord sur l’essentiel : la solidarité avec Israël, pas autrement définie, la lutte contre l’antisémitisme et, là c’est plus original, un engagement radical en faveur d’une certaine forme « dure » de laïcité (indépendamment de ce qu’on peut en penser, est-ce bien le rôle du CCOJB de se profiler sur ce terrain ?) Si aucun candidat sérieux ne lui est opposé, c’est que les frères ennemis du CCLJ et du Cercle Ben Gourion se seront entendus sur sa candidature. Dans ce cas, la parenthèse Rubinfeld sera refermée. Faudra-t-il s’en réjouir ? ■

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europe Ukraine : la défaite orange et l’échec d’une « stratégie du refoulement » JEAN-MARIE CHAUVIER

B

asculement politique et géostratégique: en Ukraine, aux présidentielles, le camp orangiste est défait. Pas plus qu’en 2004, ce n’est une « révolution », où la couleur blanc-bleue du probable nouveau président Viktor Ianoukovitch se substituerait à celle, orange, du président sortant Viktor Iouchtchenko. Mais c’est un tournant politique, dans un pays en proie à une crise économique et sociale extrême. Et l’échec d’une certaine « stratégie de la tension » . Les spectaculaires réhabilitations de nationalistes radicaux, fascistes et collabos nazis survivront-elles au départ de Viktor Iouchtchenko qui les a promues ou couvertes ?1 Avec plus de 48% des voix au second tour des présidentielles, le 7 février, le leader du Parti des Régions, Viktor Ianoukovitch, l’emporte de peu sur la dite « Égérie » (on dit aussi : « icône ») de la dite « Révolution orange » Ioulia Timochenko - 45%. Si on y ajoute qu’au premier tour, le président actuel et leader orangiste Viktor Iouchtchenko, principal activiste de l’adhésion ukrainienne à l’OTAN et de la réhabilitation des mouvements nationaux-fascistes des années 30-40 fut éliminé avec moins de 6%, on peut conclure à une défaite de l’orangisme et de ses soutiens ultranationalistes et occidentaux. L’écart de 3% entre les deux gagnants est cependant trop faible que pour parler de « nette victoire » de Ianoukovitch, que la presse occidentale s’obstine à

disqualifier et à présenter, caricaturalement, comme « la revanche » du « pro-russe », de l’Est russophone contre l’Ouest ukraïnophone.

IANOUKOVITCH FAIT UNE PERCÉE À L’OUEST Ianoukovitch et son Parti remportent leurs plus grands succès dans les régions à majorité russophone de l’Est et du Sud : 90% à Donetsk (Donbass), 88% à Lugansk, 71% à Kharkov, 71% à Zaporoje, 73% à Odessa, 79% à Simferopol (Crimée), 84% à Sebastopol. Le leader « régionaliste » avait reçu l’appui du Parti communiste et d’autres formations de gauche, en très net recul au premier tour. Mais Ianoukovitch remporte également de substantiels succès dans l’Ouest ukraïnophone : 36% à Jitomir, 24% à Vinnitsa, 18% à Rovno, 41% en Transcarpatie (région multiethnique) où il avait gagné au premier tour. C’est seulement dans les régions de Galicie (Lvov, Ternopol, Ivano-Frankovsk), traditionnels bastions du nationalisme radical antirusse et antisémite, que ses scores sont les plus faibles : inférieurs à 10%.2

ET IOULIA OBTIENT ÉGALEMENT DES SUCCÈS À L’EST Une remarque symétrique s’impose pour les résultats de Ioulia Timochenko. Majoritaire à l’Ouest (de 85 à 88% dans les régions galiciennes, 81% à Lutsk, 76% à Rovno, 71% à Vinnitsa, mais seulement 51% en

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Transcarpatie), elle remporte également des succès remarquables à l’Est (29% à Dniepropetrovsk - la région originaire de Ioulia 34% à Kherson, 22% à Kharkov). La ville de Kiev se partage entre 65% pour Ioulia et 25% pour Viktor Ianoukovitch, alors que cette capitale est très majoritairement russophone. Ces résultats montrent qu’il faut relativiser le clivage Est-Ouest et russophone-ukraïnophone dont nous sommes coutumiers en Occident. (Russes et Ukrainiens savent très bien qu’il en va autrement !) Les Ukrainiens ont fait un vote encore partiellement motivé par les différences Est-Ouest et linguistiques (les russophones obtiendront peut-être la reconnaissance du russe comme deuxième langue officielle) mais surtout déterminé par la situation économique et sociale désastreuse du pays, la faillite de la « stratégie Iouchtchenko » et sans doute l’envie de normaliser les relations avec la Russie.

L’ÉCHEC DE LA STRATÉGIE DE « ZBIG » On a bien remarqué que, contrairement à 2004, ni les ÉtatsUnis, ni l’Union européenne ne se sont engagés spectaculairement ni n’ont mobilisé leur puissance médiatique pour appuyer l’un ou l’autre candidat « orange ». L’OSCE a reconnu sans tarder la validité des résultats. Le Kremlin lui-même s’est montré réservé quoique réjoui : heureux de voir gagner Ianoukovitch, il était prêt à reconnaître sa rivale, avec la-


quelle les relations se sont améliorées. C’est que le rapport des forces mondial s’est sensiblement modifié. Ce qui est mis en échec, c’est toute la « stratégie de la tension » et du « refoulement de la Russie » qu’avaient mis en œuvre les concepteurs de la « révolution orange », Zbigniew Brzezinski (« Zbig ») Madeleine Albright, Vaclav Havel, Georges Soros et les puissantes fondations américaines (dont NED) qui continuent de financer un vaste réseau d’ONG en Ukraine comme dans le reste de l’exURSS pour y promouvoir les « révolutions démocratiques ». Les États-Unis, très affaiblis sur d’autres fronts, en Irak et en Afghanistan, se sont abstenus cette fois d’intervenir via leurs fondations et ONG pour « mobiliser » des « orangistes » profondément désemparés. Ils paraissent momentanément hors course. Et le projet OTAN est provisoirement remisé. La mainmise sur la Crimée, position clé stratégique pour la maîtrise de la Mer Noire et du « Grand Moyen Orient » s’avère pour l’heure chimérique : la Russie a montré, face à l’attaque géorgienne d’août 2008, ce dont elle était capable. En cas d’ « otanisation » de l’Ukraine, la Crimée à majorité russe demanderait son rattachement à la Russie. C’est Moscou qui « freine » le séparatisme criméen et non la population locale. L’Administration Obama, bien que toujours « conseillée » par Zbigniew Brzezinski, a sensiblement modifié sa politique envers la Russie, dont les « services » sont indispensables dans la crise en Iran et pour la poursuite de la guerre en Afghanistan. D’une façon plus générale, la crise économique mondiale, ses conséquences fâcheuses pour les États-Unis et dramatiques pour l’Ukraine, ne permettent plus de

jouer à la « révolution démocratique » en ex-URSS.

L’UNION EUROPÉENNE PRIVILÉGIÉE ET DIVISÉE C’est l’Union Européenne qui apparaît désormais comme l’interlocutrice occidentale privilégiée. Une interlocutrice certes divisée, avec un pôle favorable à la coopération avec la Russie, où l’Allemagne occupe une position en flèche, et un autre pôle incarné par la Pologne, l’ancien président tchèque Havel et les milieux intellectuels et médiatiques français qui semblent être « en retard d’une guerre américaine », ou plus proches de ce que tenta Bush que de ce que peut Obama. Ianoukovitch, indépendamment de sa personnalité, peu charismatique, représente de fait la majorité du grand capital industriel de l’Ukraine, intéressé tant par les investissements occidentaux que par le resserrement des liens avec la Russie et la réalisation d’une zone commerciale commune des républiques slaves et du Kazakhstan. C’est sur cette double ouverture, vers l’UE et vers l’ensemble Russie-Biélorussie-Ukraine-Kazakhstan, que va se jouer le débat postélectoral. Le 1er janvier 2012 entrera en vigueur l’Espace économique commun Russie-Biélorussie-Kazakhstan impliquant la liberté de circulation des capitaux et des travailleurs. L’Ukraine est invitée à s’y joindre ou, du moins, à s’en rapprocher. Les Russes insistent sur « l’intérêt pour l’Europe » d’encourager la formation de ce nouveau « marché commun » opérant une sorte de trait d’union entre les parties orientales (principalement la Chine) et occidentale (Union européenne) de l’Eurasie. Les enjeux géostratégiques restent ce qu’ils étaient : maîtrise des ressources, principalement des bassins pétroliers de la Caspien-

ne et de Sibérie, contrôle et développement des corridors énergétiques, contrôle de la mer Noire, association ou dissociation entre la Russie et l’Ukraine. Indirectement, le tournant ukrainien est un nouveau signe du « retour de la Russie » sur la scène internationale et, singulièrement, dans l’espace voisin « post-soviétique » où elle cherche, sans état d’âme, à faire jouer tant les dures « lois du Marché » (dans le commerce avec les anciennes républiques soviétiques) que les vieilles recettes de la politique de force. Reste qu’on ne voit pas très bien quelles solutions peut apporter le nouveau président ukrainien à la crise économique et sociale très profonde dans laquelle se débattent les citoyens, lassés des querelles politiques et électorales. Les perspectives sont rien moins que riantes. Des politiques d’austérité et un régime présidentiel renforcé ne sont pas à exclure. ■ Pour rappel : Simon Peltioura, l’Organisation des Nationalistes Ukrainiens (OUN) et son chef Stepan Bandera, son lieutenant Roman Choukhevitch, successivement commandant du bataillon « Nachtigall » (Wehrmacht), de la Schutzmannshaft 201 (Polizei) et de l’Armée des Insurgés (OUNUPA). Célébration, aussi, de la Waffen SS « Galitchin » (Galizien). 2 C’est dans ces régions, notamment, que sont réhabilitées et célébrées la Division Waffen SS « Galitchina » et les armées de Bandera, avec le soutien actif du président Iouchtchenko. 1

Autres éclairages de Jean-Marie Chauvier sur l’Ukraine Sur la révolution orange : « Les multiples pièces de l’échiquier ukrainien », Le Monde diplomatique, janvier 2005 Sur les réhabilitations des nationalismes radicaux et collaborateurs nazis en Ukraine : « Comment les nationalistes ukrainiens réécrivent l’Histoire » et « L’OUN, l’Allemagne nazie et le génocide », Le Monde diplomatique, août 2007 ; « Ukraine et réhabilitations. Pour éviter simplismes et malentendus », Points Critiques, mai 2008 Sur la célébration en 2009 de la Waffen SS « Galitchina » (Galizien), www.resistances. be/ukraine.html

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lire Surgie de l’oubli, l’oeuvre littéraire de Veza Canetti TESSA PARZENCZEWSKI

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n écrivain peut en cacher un autre. Qui ne connaît Elias Canetti, prix Nobel de littérature en 1981, auteur d’essais, de pièces de théâtre, et d’une remarquable autobiographie qui nous restitue un itinéraire personnel nourri de langues multiples, de rencontres littéraires dans la Vienne de l’entre deux guerres, mais aussi confronté à l’implacable montée du régime nazi. Mais qui connaît Veza Canetti ? Née Venetiana TaubnerCalderon en 1897, à Vienne, d’un père juif hongrois et d’une mère sépharade, elle épouse Elias Canetti en 1934. Passionnée depuis toujours de littérature, Veza Canetti s’engage à son tour dans l’écriture. Dès le début des années 30, elle publie régulièrement des nouvelles dans la revue du parti socialiste Arbeiter Zeitung dont les pages littéraires comportaient des textes de Maxime Gorki, Isaac Babel, Joseph Roth… mais la revue ne survivra pas à la défaite des socialistes et Veza arrêtera de publier. En novembre 1938, après des mois de brimades, les Canetti parviendront à quitter l’Autriche, pour Paris d’abord, et pour Londres ensuite. C’est au cœur des événements, en 1939, que Veza Canetti rédige son roman Les tortues. Un roman autobiographique, seuls les noms ont été modi-

fiés, qui évoque les six derniers mois vécus en Autriche. Dès la première page, le lecteur est happé, plongé dans le vif du sujet, sans préliminaires : en rentrant chez elle, Eva aperçoit, flottant sur son balcon, le sinistre drapeau. L’ennemi est déjà dans la place. Petit à petit, l’espace est grignoté, le SA autrichien s’empare des meubles, repousse le couple dans une seule chambre avant l’expulsion finale. Les croix gammées prolifèrent, comme des métastases d’un cancer généralisé, jusque sur les carapaces des tortues, gravées par un « artiste » zélé. Objets touristiques ! Des prédateurs obtus sévissent et pourchassent les « cheveux noirs ». Et comme le dit Andreas, « Je reviens de la battue, et le gibier c’était moi. » Le récit se déroule, ponctué de séquences révélatrices où l’angoisse est à son comble et nous ne sommes qu’en 1938… Dans un appartement vide, une vieille dame époussette des meubles imaginaires, Monsieur Ferbelbaum erre à la recherche d’une halte amie, dans une Vienne hérissée de cohortes brunes et les synagogues brûlent…

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D’une plume souvent ironique, à la limite du sarcasme, Veza Canetti campe avec une précision impitoyable les petits chefs avides et fanatisés mais évoque aussi avec finesse et émotion le désarroi et l’incrédulité qui submergent peu à peu les futurs exilés. Décédée en 1963 à Londres, Veza Canetti n’a jamais vu un de ses livres édités. Ce n’est qu’au début des années 90 que ses livres paraissent en Allemagne et seront édités plus tard en France. Les tortues n’a été publié qu’en 1999 en Allemagne. ■ Les tortues Veza Canetti Traduit de l’allemand par Léa Marcou Éditions Joëlle Losfeld 255 p., 24 EURO


regarder Un Homme sérieux ! CARINE BRATZLAVSKY

I

l se dit qu’à l’inverse de chez Woody, chez les frères, pas les Dardenne, les Coen, il n’y a rien à jeter. On leur attribue au moins une demi-douzaine de chefs-d’œuvres. Cités de mémoire : Barton Fink, Fargo, The Big Lebowski, No Country for Old Men, etc... Et voilà que débarque, dans notre steppe profonde, ce Serious man, professeur de physique, dans une petite ville du Midwest dans les années 60, dont la vie va s’effilocher dès le moment où il apprendra que sa femme veut le quitter le plus naturellement de son monde quotidien. C’est un homme intelligent dans son travail, c’est autre chose dans sa vie privée. Bien des hommes peuvent, de façon soudaine, être confrontés à ce genre de situation et aux réactions en chaîne qui s’ensuivent, isn’t it ? Voilà cet homme, brillant professeur, homme-enfant, soudain dévoré d’angoisses dès qu’il s’agit de sa propre vie. Totalement soumis aux autres hommes autour de lui, vivant la confrontation comme autant d’humiliations directes. Rabbins (même s’ils en prennent pour leur grade au passage), avocats, supérieur hiérarchique, rival conjugal, tous le renvoient à son complexe d’homme, habité la nuit de rêves tragiques et de voisins sanguinaires. Est-il un idiot, un loser, un demeuré du réel ? Un schlimazel de romans de Sholem Aleykhem pour qui la malchance est une fatalité à laquelle il ne

peut échapper ? À moins qu’il ne soit plutôt le shlemil, malchanceux à cause de sa propre maladresse, celui qui renverse sa soupe sur le shlimazl ? Car, vous l’aurez compris, notre Larry Gopnik est juif. Et tant désireux d’être un mentsh. Mais n’estil pas surtout, au fond, un homme ordinaire, de bonne volonté, comme vous et moi tâchant de s’en sortir avec sérieux mais butant chaque fois sur de nouveaux et cruels obstacles qui ne sont pas qu’existentiels ? Car il y a de l’innocence chez ce personnage où tout est questionnement et désir d’apprentissage, tiraillé entre ses origines et son présent. Énigme. Et le film les multiplie, les énigmes. Il s’achève sur une énigme en forme de sombre prémonition, commence par une énigme en forme de prologue en noir et blanc inspiré du cinéma yiddish des années 30, situé quelque part en Europe orientale, dialogué en yiddish, à mi-chemin entre conte traditionnel et film gore. Véritable jubilation biblique sur le tragique de la condition humaine avec fantômes, revenants, dibbouk, que croire ? Qu’il n’y a plus de lien avec la parole des morts ? Et que la disparition de ce yiddishland perclus de superstitions médiévales est la cause centrale de l’ennui existentiel et de la monotonie de la civilisation des États-Unis d’Amérique dans les années 60 ? Que le paysage des années de jeunesse juive

de nos Coen, nimbé de volutes de cannabis, accompagne une déprime abyssale teintée d’absurde, de cocasserie, de drôlerie incontrôlable qui ne fait que rarement oublier les peurs profondes malgré les révolutions culturelles des sixties ? Les peurs liées à l’incertitude identitaire et la perte des repères ? Il est frappant que A Serious Man sorte en même temps que Gainsbourg (vie héroïque) de Joann Sfar et peu après La Famille Wolberg d’Axelle Ropert, pas encore sorti chez nous, deux autres films qui, de façon centrale ou périphérique, traitent de la condition juive sécularisée. Dans une époque rongée par la montée des communautarismes et le retour de la religion, où des politiques tentent de nous embrouiller avec de sombres questions d’identité nationale, ces films justement très identitaires semblent nous dire que le bagage culturel dont on hérite, et même s’il mute et doit muter d’une génération à l’autre est un atout, une richesse qui se construit et se transforme au long d’une vie. Et c’est là tout le talent des Coen capables, dans l’enchaînement de tableaux drôles et tragiques, d’emporter le rire d’un public qui ne connaîtrait ni la culture juive ni la culture US des années 60, sur cette réplique assassine : « - And what happened to the goy ? - The goy ? Who cares ? » ■

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diasporas Zyd ! Graffitis et mémoire des Juifs en Pologne ROLAND BAUMANN

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ors du forum international organisé à Cracovie, à l’occasion du 65ème anniversaire de la libération d’Auschwitz, le président du Congrès juif européen, Moshe Kantor dénonçait les propos antisémites d’un évêque polonais ainsi que des graffitis néonazis (« Jude raus ») peints sur le centre communautaire juif de Wroclaw et soulignait la nécessité de consacrer plus d’efforts à l’enseignement et aux commémorations de la Shoa en Pologne. C’est le 27 janvier, Journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de l’Holocauste, qu’a démarré le projet singulier d’un artiste qui veut contribuer à inscrire le souvenir du monde juif anéanti dans la mémoire collective polonaise. Incitant ses concitoyens à agir individuellement et à prendre en charge des fragments de mémoires juives, en faisant partager leurs souvenirs de « voisins » juifs disparus, Rafal Betlejewski veut aussi en finir avec les connotations négatives et antisémites du mot « Juif » (zyd) dans la langue polonaise, en particulier lorsqu’il s’inscrit sur des murs. Et surtout, cet artiste polonais veut parler de l’absence des Juifs dans les paysages de la Pologne contemporaine et affirmer en public son regret de cette disparition. En 2004, Rafal réalisait une série de grandes affiches représentant des vétérans de l’insurrection de Varsovie en 1944. Sur chacune de ces « oeuvres patriotiques », le

portrait photographique d’un insurgé, accompagné de sa biographie, interpellait le passant, lui demandant si lui aussi aurait participé à l’insurrection. Ce projet, créé pour le soixantième anniversaire de l’insurrection dont le pouvoir communiste tenta d’effacer la mémoire, fut un succès médiatique et personnel pour Betlejewski, lui permettant de rencontrer ces anciens insurgés, « des gens merveilleux ». Mais, son projet actuel est associé au souvenir d’un épisode infamant de l’histoire nationale et l’artiste dialogue cette fois en l’absence de ses sujets, les Juifs polonais. Rafal se définit comme un polonais ordinaire, éduqué dans l’humour antisémite et le mépris du Juif, que la tradition populaire associe au communisme et aux théories du complot mondial. Il se souvient d’avoir participé à un voyage scolaire à Auschwitz où seule la mémoire de la martyrologie nationale leur était transmise. Choqué par les révélations qui accompagnèrent le débat public déclenché autour du pogrom de Jedwabne suite à la sortie de l’édition polonaise du livre Les voisins de Jan Gross (2000), Rafal a aussi été bouleversé par le journal de Calel Perechodnik, retraçant l’extermination des Juifs d’Otwock, près de Varsovie. Précisons que le témoignage de ce policier juif du ghetto a été traduit en français (Suis-je un meurtrier ?, 1998), mais qu’une nouvelle édition polonaise (Spowied� : « Con-

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fession », 2004) est plus fidèle au manuscrit, en particulier lorsque Perechodnik y dénonce l’indifférence et l’antisémitisme des habitants d’Otwock, face à l’extermination des Juifs.

TU ME MANQUES, JUIF ! Teskni� za Toba, zydzie ! (« Tu me manques, Juif ! ») est un projet indépendant mené dans toute la Pologne. Comme l’explique Rafal Betlejewski : « J’exprime ma nostalgie des Juifs polonais, dont je veux me souvenir, nom par nom. Ils étaient ici, mais ils ont disparu. Je recherche des souvenirs, des photographies et des vestiges de leur présence. Je veux en savoir plus à propos de leur monde, vaste et mystérieux. Je crois que pour un Polonais c’est comme sonder l’inconscient : la source de peurs, de phobies mais aussi de rêves merveilleux. Polonais, je veux comprendre ce qui gît aux tréfonds de mon oubli, découvrir l’étendue de tout ce qui a été éradiqué par une série d’actes politiques et culturels. Aidez-moi ! Connaissez-vous, ou bien, vous souvenez-vous d’un Juif, que je pourrais nommer ? Avez-vous des photos que vous souhaitez faire partager ? Créons ensemble le Livre polonais du Souvenir ! » Lancé le 27 janvier pour une durée d’un an, ce projet artistique, documenté au quotidien sur le site Internet www.tesknie.com (en polonais, avec traduction anglaise des textes de présentation du projet), comporte trois volets.


le saches ! »

DÉTOURNEMENT ET RÉAPPROPRIATION DU PASSÉ

Tu me manques, Juif ! Gare d’Otwock. Photo www.tesknie.com

Il s’agit tout d’abord pour l’artiste d’exprimer ses émotions et d’inciter d’autres Polonais à faire de même via le site Web. Ensuite, d’afficher des photographies faites sur des lieux où les Juifs étaient jadis présents. Chaque photo (prise par Rafal ou un de ses correspondants) montre la personne qui se souvient, posant à côté d’une chaise vide sur laquelle est placée une kipa. Cette chaise occupe symboliquement l’espace, vide depuis la disparition des Juifs. Ce vide demeure, douloureux et béant. Enfin, troisième partie du projet, l’exclamation « Tu me manques, Juif ! » est peinte sur les murs de villes polonaises, par Rafal, ou un de ses émules. Graffiti dont le tracé grossier évoque d’emblée les paroles de haine antisémite qu’on voit souvent sur les murs en Pologne. L’artiste commente : Vu les connotations péjoratives du mot « Zyd », peindre ce terme sur un mur dans une expression de regret déroute beaucoup de gens. Elle incite aussi à déconstruire nos perceptions négatives, à se réapproprier un mot devenu propre au vocabulaire antisémite. Rafal précise que son action s’inspire de tous ceux qui, tel Jan Gross, ont le courage de confronter les Polonais aux pages obscures de leur histoire. Les

réactions positives au projet suggèrent à l’artiste que l’opinion polonaise est enfin disposée à parler de ce qu’elle ressent à propos de la disparition des Juifs. Rafal n’est pas pour autant un militant du dialogue judéo-polonais et n’entend pas changer l’attitude des gens par ses actions. Mais, il attend qu’on le contacte pour faire des photos et les exposer sur le site Web du projet. En octobre dernier à Varsovie, Rafal a peint sur un grand mur dans le quartier de Wola et deux jours après le mot « Zyd » a été effacé, le reste de l’inscription restant intact. Ces réactions anonymes aux graffitis sont photographiées et mises en ligne sur tesknie.com. Mais, toujours dans la capitale, lorsqu’il peignait à Powisle, Rafal a été arrêté par la police et accusé d’antisémitisme ! Lors de son interrogatoire, un policier s’est exclamé : « Si les Juifs te manquent alors fous le camp en Israël ! » Ce qu’il a fait, marquant son passage sur le mur d’un restaurant à Tel Aviv et signant de l’alias « Polak », son texte (en anglais) : « Tu me manques juif ! Tu me manques en Pologne dans toutes ces bourgades et grandes villes où tu as laissé un vide, dans l’espace et dans mon coeur. Je voulais que tu

Judyta Nekanda-Trepka travaille pour la communauté juive de Varsovie, et soutient le travail de Rafal Betlejewski : « Ce projet est né du débat sur les relations judéo-polonaises auquel il apporte une contribution originale du côté polonais. Dans la langue de tous les jours, le mot « Zyd » est chargé de connotations négatives et toute la force du projet réside dans ce paradoxe. Rafal ne cherche pas à échapper au passé. Il détourne le répertoire des graffitis antisémites pour en faire une expression affectueuse de nostalgie et de respect. En tant que Juive polonaise je suis intriguée par cet artiste qui, comme la plupart des Polonais de sa génération, nés sous le communisme, a été éduqué dans l’oubli et la dénégation du passé juif de la nation. Tout comme lui, de plus en plus de jeunes, entrevoient à quel point la culture juive polonaise, qu’on a voulu effacer des mémoires, se trouvait au coeur de l’héritage national ! » Parcourant les pages du site web associé au projet, découvrant les localités pour lesquelles des gens témoignent (le plus souvent en polonais, parfois en anglais), envoient textes, photos d’archives, évoquant des célébrités de l’histoire juive polonaise, mais aussi des souvenirs intimes, souvent liés à leur enfance, on découvre une profusion de souvenirs émouvants. Et le travail de mémoire suscité par ce projet artistique original montre à quel point les mentalités changent en Pologne, où, du côté des institutions comme à la base, s’élabore un véritable dialogue avec le passé. ■

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écrire Stefan, Tabita, Asmir et Jasmin CHANTAL CASTERMAN

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ela se passe à Roubaix, rue d’Alger. De quand date le collège où j’enseigne depuis l’année passée ? Je l’ignore, mais il est extrêmement vétuste ; la première fois que j’ai parcouru le long couloir central aveugle, j’ai pensé à une prison : depuis des années, on parle de le rénover, mais rien ne vient. Il se situe en ZEP, c’est-à-dire en Zone d’éducation prioritaire, et il est vrai qu’on s’y bouscule beaucoup. Dans les classes, les élèves sont français, mais portent des prénoms qui viennent d’ailleurs et parlent un français un peu différent de celui que je parle. Chaque semaine, j’y retrouve ma classe, composée d’Élèves nouvellement arrivés (ENA). Il s’agit d’adolescents (entre 11 et 16 ans) tout juste arrivés de l’étranger, et ne parlant pas du tout ou très peu le français. À leur arrivée, on les évalue le plus précisément possible, de façon à repérer leur niveau scolaire dans leur langue d’origine, ainsi que leur niveau de français. Ils sont ensuite inscrits dans une classe ordinaire, en fonction de leur âge et de leur niveau scolaire. Par ailleurs, ils sont retirés de leurs cours quelques heures par semaine pour travailler la langue française dans la Classe d’accueil, la CLA : ma classe. Dans la cour du collège, quand les élèves se rangent, certains,

plus étrangers que les autres, se regroupent pour aller en classe d’accueil : — T’es CLA, toi ? Parmi eux, j’ai rencontré quatre adolescents dont j’ignore toujours quel a été le parcours. Tout ce que je sais, c’est que Stefan, Tabita, Asmir et Jasmin ne sont jamais allés à l’école. Ils ne savent ni lire, ni écrire dans leur langue d’origine. Ces élèves-là portent un nom, eux aussi : NSA, Non scolarisés auparavant. Quand nous avons commencé à travailler ensemble, j’ignorais qu’ils étaient roms. Je n’y avais tout simplement pas pensé. Romanichels, Tziganes, Gitans ? Je voudrais faire leur portrait, mais je sais peu de choses d’eux. Je les connais pourtant depuis plus d’un an, mais il savaient à peine dire bonjour. Douze ans, les cheveux noirs et courts, Stefan est Roumain. Un visage d’enfant, quelques cicatrices. Un blouson façon cuir noir. Dans ma classe, il aime faire des blagues. Au début, je travaillais avec des cartes imagées : on apprenait à parler avant d’apprendre à lire. À la fin du cours, Stefan me regardait, triomphant : il sortait les cartes, une par une, de son blouson de cuir. Il me les rendait. Stefan, c’est le système D. Il entre et sort du collège quand il

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veut - je ne sais pas comment il fait, mais il échappe au contrôle des surveillants. Pour lire et écrire, même chose : il se débrouille, et plutôt bien. Mais tout doit aller vite, et tout doit avoir du sens tout de suite. Les cahiers de Stefan n’existent pas : ça démarre plutôt bien, puis ça se termine en queue de boudin. Sa grande sœur, Tabita. a quinze ans. De longs cheveux noirs, noués derrière la tête. Un beau visage clair et tranquille. Jeans et petit tee-shirt près du corps. Depuis les soldes, une veste bleu marine type caban, cintrée. Tabita est la coqueluche des garçons, mais elle n’a pas d’amoureux : c’est une princesse. Aujourd’hui, Tabita déchiffre le français, mais tout doucement : elle a peur de se tromper. Quand la phrase est finie, elle s’étonne : ça veut dire quelque chose ! Je lui ai demandé s’il y avait des livres chez elle. Elle en a un : la Bible, en roumain. Et maintenant, elle la lit, m’a-t-elle dit : elle sait donc lire le roumain, dorénavant. Cette Bible, c’est l’exemplaire de son père, qui parle la « langue des anges » : il est celui qu’on écoute lors des cérémonies. Un jour, le père de Tabita l’a emmenée à la messe, à Bruxelles : il y avait beaucoup de gitans, ils ont chanté longtemps. Comme Stefan, Tabita aime rire : elle adore les gags de Bou-


Camp rom de Scampia Napoli 2005. Photo Francesco Paraggio. www.flickr.com

le et Bill. Elle aime venir à l’école, recopier des textes, tenir son cahier : elle écrit d’une écriture régulière et trace avec soin les tableaux. Souvent, elle croit qu’elle ne comprend pas ou qu’elle n’y parviendra pas, mais elle progresse. À la maison - une vraie maison à Roubaix -, c’est elle qui aide la famille. Parfois, elle m’annonce fièrement qu’elle sera absente pour accompagner sa mère à la mairie ou chez le médecin. L’année passée, ses parents sont partis en Roumanie pendant quelques semaines - quelques mois ? Tabita s’est occupée de tout le monde. Asmir et Jasmin sont frères, bosniaques tous les deux. Jasmin est né en Bosnie, Asmir en Allemagne, mais il ne sait pas où. En France depuis 2002, disent-ils, mais où ? Quand ils sont arrivés au collège, l’an passé, ils ne connaissaient que quelques mots de français. Ils avaient treize et quinze ans, et ne tenaient pas en place. Ils jouaient les idiots, parlaient fort. Jasmin envoyait des cris dans la classe, se levait pour se mettre à la fenêtre. Il étouffait ? Ils refusaient de parler, d’écouter, d’écrire. Aujourd’hui, c’est encore eux

qui décident s’ils participent ou non à l’activité proposée - comment leur imposer ? Puis, Asmir y a cru : je voulais vraiment leur apprendre, j’avais le temps, je ne me contenterais pas de les occuper - peut-être est-ce plutôt ce que j’ai pensé, moi. Il m’a fait confiance, ou il a eu confiance, ou il a voulu y croire. Et Asmir a commencé à se concentrer, à enregistrer tout ce qui passait. Et il y en a des choses qui passent, quand il faut tout apprendre d’une langue : les sons, les graphies, les mots, les phrases, les textes, les verbes, le présent, le passé, le je, le vous… Un jour, il a lu son premier texte, une petite page. Il a commencé, a enchaîné sans difficulté, jusqu’au bout. Il lève la tête, surpris : — Ça va vite ! Oui, quand on sait lire, ça va vite, ça peut aller très vite ! Asmir est épatant de vivacité, de précision. Mais lui aussi hésite sans cesse : non, il n’a pas compris, non, c’est trop difficile. Asmir a quatorze ans cette année ; il a une dent cassée. Au printemps passé, en quelques semaines,

quelque chose a changé : il avait acheté une nouvelle chemise et se coiffait différemment. Il porte toujours cette chemise blanche, avec des surpiqûres noires en arabesques, et il coiffe ses cheveux noirs en boucles gominées qui lui entourent le visage. C’est à ce moment-là que j’ai compris qu’ils étaient Roms, tous les quatre. Asmir continue d’apprendre, et reste toujours comme en retrait : sa vie est ailleurs. Jasmin est le plus âgé, et il est à fendre le cœur. Grand, brun, nerveux, il n’a pas cessé, l’année dernière, de ne pas vouloir. Enfermé sur lui même, sans pouvoir s’exprimer. Les règles absurdes du collège lui ont été insupportables : quel sens peut avoir l’école pour celui qui n’y apprend rien ? Aujourd’hui, calme ou rageur, il perd son temps entre nos quatre murs. Il faudrait être plus disponible et plus juste dans ce qu’on lui propose. Stefan, Tabita, Asmir et Jasmin sont des êtres délicats1. ■ 1

1. Agréable et fin, subtil. 2. Fragile. 3. Compliqué. 4. Sensible.

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à l’upjb Quand y’a pas débat, y’a encore débat (une soirée surréaliste) FRANÇOISE NICE

N

eige et doigts glacés au sortir du métro. Au 61, rue de la Victoire, quatre personnes (dont deux organisatrices)... Oïe ! ça va être la cata, y’aura personne, ou que des anciens attachés à leurs souvenirs pour écouter le philosophe Alain Brossat nous parler du Yiddishland révolutionnaire. Sur le mur du local, Sonia Goldman, Maggy Volman, Sarah Goldberg et Yvonne Jospa sourient en sépia. 20h10 : on cherche encore le conférencier. 20h30 : il est là, mais à voir son visage fermé, on se dit qu’y’a malaise… Entre-temps, les deux pelés trois tondus sont devenus une foule chaleureuse et vibrante de curiosité, trois générations mêlées, avec plein de jeunes et de visages inconnus. Y’a pas assez de chaises.�Bien vu, y’a malaise. Maniant l’éloquence et les concepts avec le brio de l’école française de philosophie, Alain Brossat confesse scrupuleusement … qu’il n’a pas envie de parler de ce livre. Un livre qui appartient à une autre époque de sa vie, il y a 25 ans, quand, jeune soixantehuitard s’étant frotté tout au plus à quelque barricade parisienne, il était parti en Israël avec Sylvie Klingberg à la rencontre de ces hommes et ces femmes, - mais qui donc ? - à peine trois noms furent cités -, qui ont cru et se sont battus au nom de la liberté, de la justice, de la dignité humaine, et pour l’avènement de leur utopie

communiste. Oui mais, explique le philosophe de l’Université de Paris 8, membre du comité de rédaction de la revue Lignes, sympathisant anarchiste et auteur de nombreux livres et articles (cfr. Wikipédia), le concept de révolution n’appartient plus à notre époque. �Pause. Je ne vais pas mettre 40 minutes, mais - cher lecteur, sois clément -, quelque 6000 signes quand même pour te narrer cette soirée surréaliste. �Donc, on a changé d’époque... après la chute du Mur de Berlin. Et moi le philosophe de 2010, qui m’applique à sonder le corps de la société occidentale « démocratique » pour en diagnostiquer les nouvelles pathologies (voir Bouffon imperator, voir Le grand dégoût culturel), moi qui développe une radicalité critique dans l’élaboration de ma pensée, moi qui me suis nourri aux écrits de Walter Benjamin, Hannah Harendt, Michel Foucault, Giorgio Agamben, Alain Badiou e.a, je ne parle que… de mon inconfort personnel face à ce livre commis en 83 et que les Éditions Syllepse se sont fait le caprice de republier. � Au nom de qui, Au nom de quoi ? � Donc cet ouvrage n’est plus lisible. Ah bon... Ca peine, ça se traîne. Avec toutefois quelques belles volutes de pensée instantanée. Faudrait trouver une piste pour conclure. À côté du micro, Michka sourit, on devine son em-

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barras. À l’UPJB, on est polis.�Ce fut un beau moment d’ « analyse », dira Alexandre W., avec l’ironie perspicace et théâtrale qui est la sienne.�Que retenir en substance ? Sont-ce les grandes Causes, les héros ou les auteurs qui sont morts ? Morts morts ou morts vivants ?��Au nom de quoi ? Toute empathie du chercheur à son objet, à ses sources, est elle fatalement suspecte et stérile ? C’est ce qu’on nous bassine souvent, dans les citadelles du Savoir et de l’Information. C’est bizarre quand même, la critique philosophique appliquée à l’historiographie : de l’art d’envoyer soi-même son œuvre au pilon... Toute pensée froide, dénuée d’affects peut-elle accoucher d’autre chose que d’avortons ? Toute pensée liée à un engagement contingent, voire à une idéologie peut-elle n’accoucher que de monstres ?�Au nom de qui ?�L’autocritique du philosophe de 2010 condamnant le militanthistorien du début des années 80, pour joliment tournée qu’elle fut, ne nous aura rien livré de la geste des hommes et des femmes qui Juifs antifascistes, bundistes ou sionistes, anarchistes, marxistes trotstkystes ou communistes, risquèrent leur vie à combattre le nazisme, s’appuyant ou réfutant à des degrés divers sur le discours et la politique de l’URSS stalinienne. Adhérents et parfois victimes.�RIEN. Au mur, Sonia, Maggy, Sarah et


Première édition en 1983 aux Éditions Balland

Yvonne sourient encore de l’élan de leurs combats dont nous revendiquons tête et cœur l’héritage. Elles en ont vu d’autres. Si l’histoire est devenue incompréhensible, parce que l’auteur a changé ou perdu son latin, l’histoire est-elle pour autant devenue inénarrable ? Il ne resterait selon Brossat que la piètre « petite musique culturelle » du Yiddishland, Il a beau jeu, après, le philosophe, de critiquer le « tout mémoriel », le « tout compassionnel », le « devoir de mémoire » (forcément suspects ?) et le « martyrologe ». Sauf qu’il y a contribué ce soir -là. Pourtant, quand les frontières entre mémoire et histoire sont de

plus en plus floues et sensibles à la fois, quand la liberté de la fiction revisite le passé au risque de malmener la vérité historique, pourquoi condamner des travaux anciens ? Rediffusé sur Arte, le documentaire Shoah de Claude Lanzmann prend une nouvelle force, et il serait passionnant d’analyser des films comme L’armée du crime de Robert Guediguian, trop lisse selon Télérama ou le - selon moi - trop saignant et très douteux Inglorious Basterds de Quentin Tarantino. Allez les jeunes, si le philosophe académique exécute l’historien amateur - à quelle aune normative ? -, allez les moins jeunes,

ça vaut le coup d’écouter encore et encore votre « petite musique culturelle » du Yiddishland révolutionnaire, ça vaut la peine d’aller chercher dans les vies et témoignages de ces héros réduits au silence par leur ancien portevoix, ce que vous y cherchez, sans doute de quoi renforcer vos engagements d’aujourd’hui. De nourrir vos mythes en les déconstruisant/reconstruisant. De revisiter leurs « valeurs » (même si le philosophe n’aime pas ce mot-là non plus.) D’approfondir et d’étayer les notions abstraites d’utopie et concrètes de résistance. Pour les plus obstinés, les plus aventureux, il reste même quelques amphis où s’appuyer des cours de critique historique. Ou d’autres rendezvous de l’ « Upij ». Quand y’a pas débat, y’a encore débat. Et c’est ça que j’aime tant à l’UPJB. Je ne me suis pas attardée. J’ai peut-être eu tort. Dehors, les doigts regèlent aussi sec. Mais j’ai la tête en feu sous le bonnet. Help, comme m’ont manqué l’agacement ou la salubre colère qui eussent sans doute saisi José Gotovitch ou Maxime Steinberg ce soir-là. Ou une franche rigolade après ce pastiche involontaire de la petite pièce de Tchekhov, Les méfaits du tabac*. ■ P.S : Qui veut bien me prêter son exemplaire du Yiddishland révolutionnaire ? *membres.multimania.fr/fcollard/tchekhov. html

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hommage Daniel Bensaïd AMIR HABERKORN

L

a mort de Daniel Bensaïd, tout en sachant qu’il était gravement malade, m’a/ nous a frappé de plein fouet. Je fais partie des gens pour qui Bensaïd était devenu un proche par la pensée et l’action. Ses interventions, aussi bien au niveau politique que philosophique, m’étaient devenues si familières et tellement nécessaires. Depuis sa mort, j’ai pu me rendre compte à quel point je n’étais pas le seul que Bensaïd a influencé. Pour comprendre l’impact qu’un Bensaïd a eu sur toute une génération se réclamant de la pensée marxiste - ce qui est mon cas - il faut commencer par situer l’époque où Bensaïd a commencé sa vie politique. Fondateur de la LCR (Ligue communiste révolutionnaire) avec entre autres Alain Krivine, il s’est d’abord distingué comme militant politique à une époque où se dire trotskiste en France n’était pas une évidence. Très rapidement, c’est le penseur et plus tard le philosophe qui a pris le pas sur son image de militant. C’est là qu’il a pu donner toute sa mesure. En effet, dès le début, on a vu apparaître un penseur dénué de tout dogmatisme, décidé à constamment revisiter les « vérités établies », sachant tous les dangers d’une pensée marxiste « fossili-

Daniel Bensaïd en février 2008 lors d’un colloque consacré à Pierre Naville et qui s’est tenu à l’Université libre de Bruxelles

sée » et osant à chaque fois remettre en question la légitimité des affirmations marxistes. Déjà dans son premier livre La révolution et le pouvoir (Éditions Stock, 1976), il écrit : « Ce livre amorce donc plusieurs combats de front, change de ton et de rythme, semble hésiter parfois entre plusieurs cibles : l’État, la libido, le goulag, les conseils ouvriers, le militantisme (…) », et

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plus loin, on lit : « À plusieurs reprises enfin est abordée (effleurée) au passage la crise de conscience (de confiance) du militant contraint de s’interroger sur le type de pouvoir qui est au bout du chemin (…) ». Et ces interrogations ne le lâcheront plus. Il est clair pour lui, fidèle à l’analyse marxiste, que le fil rouge qui relie l’histoire, notre histoire, depuis deux siècles au moins, c’est bien « la circu-


lation du Capital ». C’est ce capital qui « en dernière instance » met en place toutes les pièces du puzzle pour comprendre notre société et il soutient donc par ailleurs l’affirmation de Marx sur la réalité de « la lutte des classes » comme moteur de l’histoire et sur la nécessité de remplacer un système capitaliste mortifère. Mais il n’a jamais en même temps nié l’importance d’autres lieux d’affrontement qui peuvent grandement influencer les événements, que ce soit la lutte féministe, ou la réalité nationale, ou encore le soupir et les plaintes des minorités opprimées. Et c’est ainsi qu’on voit Bensaïd rencontrer Jeanne d’Arc en qui il veut voir une jeune révoltée et hérétique entrée en résistance. Il invente ainsi un dialogue complice où s’entremêlent politique et philosophie, foi et hérésie et il souligne que la mémoire est pour lui

un enjeu politique d’importance (Jeanne de guerre lasse, Gallimard, 1991). L’autre mot clef de Bensaïd est la notion de résistance. Il nous entraîne là dans un débat permanent qui a pour but essentiel d’affirmer qu’il ne faut jamais abandonner la lutte pour les opprimés, et toujours se situer du côté des exploités. Si, comme il l’écrit, il n’est de certain que la lutte, abandonner serait la pire des solutions. C’est ainsi qu’il nous présente un Walter Benjamin en Sentinelle messianique (Plon, 1990), nous rappelant la primauté du politique sur l’histoire. Tout en débattant avec Hannah Ahrendt et tant d’autres intellectuels, sur tous les sujets en relation avec les problèmes politiques de ce monde dans, par exemple, Éloge de la politique profane (Albin Michel, 2008), il n’oublie pas de nous montrer une lecture vivifiante et actuelle de

Karl Marx dans, entre autres, son Marx l’intempestif (Fayard, 1995). Mais Bensaïd était de ceux dont l’honnêteté intellectuelle montrait aussi la douleur de nos défaites et de nos incertitudes, douleur qu’il nous livre dans un livre magnifique Une lente impatience (Stock, 2004) où sa grandeur se révèle entièrement. Cet homme nous avait habitué depuis si longtemps à une sorte de dialogue toujours ouvert, suggérant toujours des pistes pour nous montrer que la victoire même incertaine reste toujours de l’ordre des possibilités. C’est à cet homme aujourd’hui que l’on doit dire adieu. S’il est banal de dire de quelqu’un qu’il ou elle sera irremplaçable, s’agissant de Daniel Bensaïd, il sera très, très difficile de le remplacer. ■

« Rien n’est moins sûr que le sens de l’histoire. La permanence de la catstrophe ne désarme pas face à la permanence de la révolution. Les moyens de conjurer son imminence ne sont pas toujours trouvés. Heine et Benjamin ont su percevoir, à un siècle de distance, les énergies de la contre-révolution à l’oeuvre dans les virtualités de l’histoire. La défaite ressassée se nourrit d’elle-même : cercle vicieux, ronde captive d’une cour de prison, tourniquet endiablé de marchandises, rotation du capital, qui reproduit les rapports de production et le fétichisme qui les scelle. Puisque la continuité l’emporte sur les interruptions, il faut « fonder le concept de progrès sur l’idée de catastrophe... Le sauvetage s’accroche à la petite faille de la catstrophe continuelle » (W. Benjamin, Charles Baudelaire, Payot, p.242). Le progrès authentique n’est concevable qu’à condition de trahir son temps ordinaire, pour passer, avec armes et bagages, du côté de l’exception, de la prise d’armes. La « petite faille de la catastrophe », dans laquelle il peut encore espérer se faufiler, c’est toujours la même porte étroite, par laquelle nous avons vu se glisser le Messie. La catastrophe n’est jamais sûre. On a toujours raison de se révolter. » Daniel Bensaïd, Walter Benjamin. Sentinelle messianique, Plon 1990, pp. 97-98.

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réfléchir Un pays où les minarets ne sont pas cachère JACQUES ARON

L

a Suisse, ce pays proche et mal connu, nous réserve encore quelques surprises. Elle s’interroge à présent sur le fait de savoir si toute matière peut être soumise à la « votation », au referendum populaire version helvétique. Une juridiction spéciale devrait peut-être se prononcer au préalable sur la recevabilité de la question. Celle-ci n’est-elle parfois qu’un cadeau inespéré à la « majorité silencieuse », toujours prompte à l’exclusion ? La vox populi s’étant clairement exprimée, l’abattage rituel y fut interdit dès 18941, et les boucheries juives qui ont pignon sur rue n’y débitent depuis qu’une viande « impure ». Une fédération démocratique n’est pas nécessairement tolérante envers ses minorités (confessionnelles ou autres) ; ses communautés juives non plus. Dans la tradition germanique, il existe dans ce pays des communautés juives unitaires d’esprit libéral, regroupées en association depuis 1904, trente ans après la reconnaissance officielle assez tardive de l’égalité civile aux citoyens juifs. Et des communautés orthodoxes ayant fait dissidence dans l’entre-deux-guer-

res. Les mêmes débats que nous connaissons bien les agitent et les divisent. Aussi n’ai-je pas résisté à la tentation de vous traduire les propos pas si courants de Yves Kugelman, surtout si l’on sait que sa liberté de ton et d’esprit est celle du rédacteur en chef du principal hebdomadaire juif de langue allemande, Tachles, ayant son siège à Zurich. Seul le manque de place nous empêche d’en donner l’intégralité.

IL NE ME MANQUE QUE LA FOI… L’assimilation serait, depuis la Shoa - avec les mariages mixtes ou la multiplication des orientations religieuses -, le plus grand péril pour le maintien du judaïsme ; voilà la mise en garde lancée par des fonctionnaires des communautés, des pédagogues orthodoxes, des parents inquiets ou endoctrinés. La sécularisation des sociétés occidentales achèverait de la sorte tout ce que les antisémites réunis n’ont pas réussi jusqu’à présent : le naufrage du peuple d’Israël. Comme remède, on nous prêche l’idéologie de l’identité juive. Des nationalistes qui veulent étatiser le judaïsme,

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des institutions et leurs fonctionnaires, les lobbys juifs de l’Identité célèbrent un véritable carnaval des Juifs : chacun est sommé d’enfiler un costume juif imposé. Au lieu d’une éducation à la liberté, à l’autonomie et à la responsabilité, ce sont l’endoctrinement, l’idéologisation et la cléricalisation qui sont à l’ordre du jour. Dieu, la religion et le nationalisme sont assénés aux enfants, dans des écoles juives, des cours de religion et des mouvements de jeunesse, d’une manière dogmatique, unilatérale et véhémente qui pénètre profondément l’âme de l’enfant comme de prétendues vérités absolues. […] Beaucoup en sortent adultes en proie à de douloureuses réflexions sur soi, déboussolés intellectuellement et à peine moins émotionnellement. Les conséquences en sont la mauvaise conscience, l’angoisse, une perte de confiance et le poids de la charge de l’histoire, dans son interprétation fausse et consciemment instrumentalisée.

EXCLUSION En conséquence, les communautés unitaires s’orientent depuis des décennies toujours plus


Herzl : Bâlois, merci pour votre congrès et votre fidélité à Israël. “Les sionistes ont toujours su comment sésuire les Juifs suisses ; publicité du Keren Hayesod, 2005, (Fonds de financement de l’Agence juive repris en 1948 par l’État d’Israël).”

selon l’orthodoxie. Sans raison, leurs rabbins reprennent les positions du rabbinat central israélien en matière de cacherout, de conversion ou de politique familiale. La masse des membres qui ne vit pas ainsi doit s’y rallier, sous peine d’être stigmatisée. Les conséquences en sont la ghettoïsation vis-à-vis de l’extérieur et l’exclusion à l’intérieur. Et les responsables s’étonnent ensuite que tant de Juifs et de Juives soient inactifs dans les communautés ou n’en soient plus membres. S’y ajoute le fait que la grande majorité des Juifs des pays occidentaux est sécularisée. Leur judaïsme ne se définit pas par rapport à la religion, les lois halachiques ne sont pas suivies, ni volontairement respectées dans le cadre de la tradition. Les Juifs mangent de la viande non cachère, contrac-

tent des alliances mixtes et beaucoup ne sont même plus membres des communautés.

ASSIMILATION ? […] Car le judaïsme est plus qu’une simple croyance ou un dogme, plus que l’interprétation littérale des sources. Le judaïsme est civilisation, culture, éthique, histoire - un monde universel issu de l’idée juive. La sécularisation, vue de la sorte, est une possibilité de vivre le judaïsme, même le plus authentique, car il n’inclut ni n’exclut la foi. Il la privatise. […] De tels Juifs ne sont pas assimilés ; ils se sont séparés de la religion, ce qui leur a permis de comprendre et de vivre leur judaïsme.

AUTODÉTERMINATION L’expérience traumatisante de la Shoa a conduit en Europe à

un judaïsme qui n’est plus défini par des esprits libres, mais par des politiciens, des fonctionnaires, des philosémites et des rabbins. Au lieu de développer le judaïsme et de le vivre de façon pluraliste, le judaïsme est cléricalisé et régresse en-deçà de la modernité. Car l’appréhension négative du judaïsme séculier est en fin de compte une attaque des Lumières, qui avait aussi constitué une étape marquante dans l’histoire juive. […] L’identité juive n’est pas un label d’uniformité, pas une infusion de sang juif, pas une doctrine dogmatique. Ce ne sont pas les fondamentalistes qui préservent le judaïsme, mais précisément les Juifs séculiers et les autres Juifs qu’ils excluent. Les fondamentalistes congèlent le judaïsme ; les individualistes le développent. Il se transformera encore. Ceux qui veulent empêcher cela, ne le sauvent pas, ils l’étouffent. Le judaïsme ne sombrera pas à cause de la liberté, mais de la fuite devant elle. ■ (reproduit dans le Jüdische Allgemeine, n°50/10 décembre 2009, Berlin) 1

Après trois ans d’une campagne antisémite voilée en protection des animaux.

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Yiddish ? Yiddish ! PAR WILLY ESTERSOHN

NdYi eneriurfr=f farfroyrene yidn Juifs gelés Nous avons déjà publié des textes d’Avrom Sutzkever, ce grand poète, traduit en trente langues, qui vient de disparaître. Un article lui est consacré dans ce numéro de Points critiques. Le poème (écrit en juillet 1944) que nous vous présentons cette fois-ci - du moins en partie, par manque de place - a la particularité d’avoir été lu devant un public berlinois le jour même de la mort de l’auteur. C’était au cours d’un spectacle monté, entre autres, par la comédienne israélienne Hadass Calderon qui n’est autre qu’une des petites-filles de Sutzkever. La traduction française que nous vous proposons est celle de Charles Dobzynski. Elle figure dans Le Miroir d’un peuple, Anthologie de la poésie yiddish, édit. Gallimard Poésie.

reh= zib tcuzr=f Ntiut iilrel= b]h’c aher biz farzukht toytn alerley kh’hob .rem NrednVuu tin reniik Niuw Cim Nek’s Nuj mer vundern nit

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s=g = Fiuj Jih rekilui red Nij dniq= r]n gas a oyf hits yuliker der in atsind nor : Seguwm tl=f=b’s iuu ts]rf = Cim tl=f=b meshugas

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! widYi ? widYi TRADUCTION LITTÉRAIRE DE CHARLES DOBZYNSKI J’ai connu jusqu’ici des morts de toutes sortes,/Je ne suis point surpris des masques qu’elles portent./ Pourtant dans ce juillet si chaud, en pleine rue,/Comme un vent de folie un froid m’a parcouru./Elles viennent vers moi les dépouilles bleuies/Des Juifs gelés en rangs dans la neige éblouie./Des sédiments marbrés s’étendent sur ma peau,/Et s’arrêtent soudain la lumière et les mots,/Et du vieillard gelé mon corps prend l’inertie,/Qui ne peut libérer de la glace sa vie.

Avrom Sutzkever vu par Chagall qui signe en yiddish

Avrom Sutzkever

REMARQUES b]h’c kh’hob = b]h Cij ikh hob = j’ai. Ncuzr=f farzukhn = goûter à, essayer, endurer. Nek’s s’ken = Nek se es ken = il (neutre) peut (comme dans « il peut pleuvoir »). ilui yuli = juillet ; rekilui yuliker = (adj.) de juillet. Nl=f=b bafaln = agresser, envahir. Seguwm meshugas (hébr.) = folie. Niibeg gebeyn = squelette, dépouille (Niib beyn = os). kYiinw shneyik = neigeux, enneigé (iinw shney = neige). lmrim mirml = marbre ; renlmrim mirmlner = marbré. zUrg grayz = vieillard. xuL koyekh (hébr.) = force.

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yiddish Le poète et sa langue ALAIN MIHÁLY

A

vrom Sutzkever est mort le matin du 20 janvier dernier à TelAviv. Presque centenaire, il n’écrivait plus depuis le milieu des années nonante. Il faut prendre la mesure de cette nouvelle dans toutes ses dimensions. Et avant tout dans celle de l’énorme hiatus qu’illustrent ces deux extraits de presse, le premier, repris presque in extenso du Soir : « Poésie. Avrom Sutzkever était un des grand poètes yiddish du XXè siècle. Un lecteur nous en fait la remarque : vous n’avez pas jugé digne de consacrer une ligne pour saluer le décès d’Avrom Sutzkever, le 19 janvier. Que ce lecteur nous excuse : cela nous avait échappé […] » et le second, d’un long article, paru dans l’hebdomadaire yiddish Forverts1 : « Des années durant, le monde yiddish a su que le poète vilnois Avrom Sutzkever […] allait recevoir un jour le prix Nobel de littérature. Et chaque année qui passait, nous étions affligés. Comment cela était-il possible ! Le plus grand des poètes yiddish, notre Shakespeare dont le nom, la prose et la poésie ainsi que les descriptions de sa vie dans le ghetto de Vilna ou dans les forêts en tant que partisan auraient dû résonner aux oreilles du monde ». Il s’agit moins d’une différence que d’une absence de perception. Avrom Sutzkever était, toutes langues juives confondues, l’un des plus grands écrivains (juifs) du siècle et (considérant que la littérature juive moderne naît à la fin du XIXè siècle) de tous les temps

mais il incarnait aussi au plus fort ce que le yiddish ne « peut » pas être dans le monde (juif) contemporain, une langue de « culture » à l’égale des autres. D’où ce « bruit » sans ondes sonores, ce déphasage entre l’importance de l’homme et de son œuvre et ce sentiment diffus qu’un géant disparaît dans un anonymat relatif2. Avec le cantonnement de plus en plus affirmé, tant institutionnel que « populaire » du yiddish à des fonctions minorées (dont la folklorisation est la marque), le souvenir et la conscience de la langue de culture se sont presque effacés. Y a-t-il une école juive dans le monde - hors les trois ou quatre écoles où « du » yiddish subsiste - où le nom du poète, sans parler de celui des autres grands de la littérature juive en yiddish, soit mentionné, si ce n’est pour présenter ces derniers comme les témoins d’un « shtetl » caricaturé. Le Juif moyen, « normal », et l’honnête homme non-Juif devraient se retrouver dans cette « heureuse » formule du Soir : « Cela nous avait échappé ». Non pas seulement la mort de Sutzkever mais une présence au monde. Jusqu’à ces funérailles, relatées dans la presse yiddish et dans le Haaretz, parfaite illustration de ce que le spectre des « rapports au yiddish » se décline du mépris revendiqué au refoulement en passant par toutes les modalités du désintérêt. Aux funérailles de Sutzkever, combattant du ghetto de Vilna et partisan dans les forêts, le Musée des Combattants du Ghetto (Beyt Lokhamey haGe-

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taot) ne s’est pas fait représenter. À celle du témoin au procès de Nuremberg3, le Yad vaShem en charge de la mémoire du judéocide, omit de se rendre. À celle du récipiendaire, en 1985, du très gouvernemental « Prix Israël », pas de représentant du ministère de la culture ou du parlement, de l’Union des écrivains israéliens (hébraïques s’entend) et ironie supplémentaire, de la très virtuelle « Instance nationale pour le yiddish », instituée en 1993 par une loi votée à la Knesset, maigre paravent du rejet des cultures « périphériques ». Et aucune déclaration officielle. Seuls les gouvernements lituanien (représenté aux funérailles - le parlement lituanien observa lui une minute de silence) et le gouvernement français par l’intermédiaire de son ministre des Affaires étrangères (et non de la culture...) se sont exprimés. Avrom Sutzkever, comme Marek Edelman dans un tout autre registre, ne « passait » pas en Israël. Mais, Itskhok Luden4 le fait remarquer, des funérailles officielles (« cérémonial militaire, orchestre et chœur ») furent réservées par l’État polonais à Marek Edelman, héros juif varsovien. Pourtant, Sutzkever, héros littéraire juif vilnois avait choisi Israël - où le syndicat Histadrut finança (comme solde de tout compte ?) la revue littéraire Di goldene keyt qu’il dirigea jusqu’à sa fin de parution en 1995. Sutzkever ne se voyait, après le désastre, vivre que dans la seule société juive encore à ses yeux possible ;


Avrom Sutzkever (à droite) et le poète et partisan Shmerke Kaczerginski dans le ghetto de Vilna le 20 juillet 1943

il se serait sinon « perdu lui-même comme Juif »5. Comme l’écrit Rachel Ertel dans son livre consacré à La poésie yiddish de l’anéantissement6 : «Pour les poètes rescapés […], tous cernés par le silence, la parole était un impératif catégorique de leur être, comme pour tout créateur. mais elle leur était en outre imposée, arrachée même avec violence par la tyrannie des morts et des vivants. Tout ce qui a été produit en yiddish pendant et après l’anéantissement parle de façon directe ou oblique de l’anéantissement ». Sutzkever fut le poète du ghetto, de la désolation ultime et de la résistance mais son univers propre dépasse ces dimensions. De même que son oeuvre ne se réduit pas à sa biographie, une oeuvre où il projetait en fusion les strates de l’histoire juive (comme dans sa mise en scène de la transmutation en « balles » des « plombs » de l’imprimerie Rom). À Sutzkever, le jeune poète moderniste aux tendances panthéistes (son premier recueil est publié en 1937, il est membre du groupe Yung Vilne) il était reproché de fuir la réalité, de s’évader dans la contemplation d’une nature qui l’avait profondément marqué lors de l’exil familial en Sibérie pendant la première guerre mondiale. Son modernisme, nous dit Ra-

chel Ertel, « refusant les oripeaux idéologiques, était d’ordre purement interne. Comme Charles Baudelaire, il voulait à l’époque, dans une prosodie de facture classique, faire exploser l’œuvre de l’intérieur, refusant les proclamations tonitruantes qui se disaient commencements absolus faisant du « passé ta-

ble rase » »6. Et l’on entend à nouveau, écrit Luden, « dans la presse en hébreu et dans le public que le yiddish est agonisant ». Le très bel article paru dans Le Monde2 se conclut par ces mots : « Avrom Sutzkever fut l’un des grands poètes de la Yiddishkeyt. Et, parmi eux, le dernier témoin d’un monde englouti ». Un écrivain yiddish qui disparaît est donc toujours le dernier... Un jour proche, de la génération née avant-guerre, le dernier auteur disparaîtra. Et bien sûr aussi, le monde juif d’Europe de l’Est a été « englouti ». Mais à répéter cette image, on donne à penser de la culture yiddish moderne qu’elle n’est plus de ce monde. Comme pour lui faire écho, l’éditorial du Forward8 en date du 20 janvier (pure coïncidence) s’intitule « Taking Hebrew seriously », un mot d’ordre qu’aucun yiddishisant ne critiquerait n’était son absolu exclusivisme. À Paris, la deuxième livraison de la revue littéraire yiddish Gilgulim vient de paraître9. À Bruxelles, on joue dans un centre communautaire une pièce évidemment comique et traduite en yiddish qui s’intitule « Cinglé, cinglé ». Interviewée, sa metteuse en scène explique que « le yiddish a […] des termes qui n’existent dans aucune autre langue »10… Une chorale apprend le canoni-

que Chant des partisans du poète Hirsh Glik mais en retranche les mots « trop difficiles à prononcer », une association prend le nom de « nouilles » et le chroniqueur « psy » d’un mensuel, le pseudonyme de « docteur geignement »11. Le poète (hébreu) et éditeur israélien Dory Manor nous le dit : « Il est très difficile de séparer la poésie de Sutzkever de ce que les gens pensent du yiddish et de la yiddishkeyt. Il est impossible d’extirper ces préjugés. Ils mettent le yiddish en relation avec une sorte de « shmalts du shtetl », avec le défaitisme et la mentalité de l’exil. La poésie de Sutzkever n’a rien à voir avec cela. Il n’y a aucun lien entre elle et ce folkore mielleux »12. ■ 1 Le Soir, 01/02/2010 ; Myriem Shmulevitsh-Hofman, « Sutskever hot zikh nisht dervart », Forverts, 05/02/2010. 2 Le Monde du 29/01/2010. 3 On lui a refusé le droit de s’exprimer en yiddish, il témoigne debout « comme s’il avait été question de réciter le kaddish pour les disparus » et reste d’abord silencieux pendant onze secondes. 4 « Avrom Sutskever un Medines-Yisroel », Forverts, 29/01/2010. Yitskhok Luden est le rédacteur en chef du mensuel bundiste tel-avivien Lebns-Fragn. 5 C’est par cette expression que Ruth R. Wisse traduit le néologisme fargoyt, forgé par Sutzkever (littéralement « transformé en Goy »), « Abraham Sutzkever : In memoriam », www.jewishideasdaily, 22/01/2010. 6 Rachel Ertel, Dans la langue de personne. Poésie yiddish de l’anéantissement, Seuil, 1993. 7 Dans son introduction « Avrom Sutzkever : écrire pour briser la vitre du temps » à Où gîtent les étoiles. Œuvres en vers et en prose, traduites du yiddish par Charles Dobzynski, Rachel Ertel et le collectif de traducteurs de l’université Paris VII, Seuil, 1988, pp.7-32. 8 Le principal journal juif américain est le surgeon anglophone et main stream du plus grand quotidien yiddish new-yorkais d’avant-guerre Forverts (actuellement hebdomadaire). 9 www.gilgulim.org 10 Regards 704, 19/01/2010. 11 En yiddish bien sûr. 12 Haaretz, 28/01/2010

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ANNE GIELCZYK

To be or not to be. That is the question

D

ésolée, désolée les amis de vous avoir fait faux-bond le mois dernier. Pourquoi je n’ai pas écrit ? Ben, ça ne vous arrive jamais d’être surmenés, vous ? Non mais. C’est bon pour une fois, mais faut pas non plus que ça devienne une habitude ? J’en prends bonne note les amis et d’ailleurs me voilà. Et je m’empresse de vous dire qu’à Points Critiques, ce n’est pas parce qu’on n’est pas payés qu’on n’est pas des pros. Ah, vous ne saviez pas ? ! Eh bien sachez que non seulement, on n’est pas payés, mais en plus on paie notre abonnement, et pour couronner le tout, on se fait engueuler ! Dix ans les amis que je me décarcasse pour vous, que je vous sacrifie un week-end par mois pour apporter un peu de légèreté dans vos vies de forçats et tout ça gratis en voor niks comme on dit chez nous. C’estil pas beau ça, ce don de soi, cet altruisme, ce désintéressement, cet art pour l’art ? Enfin, je me console avec l’idée qu’on n’est pas tout seuls, qu’il y en d’autres et pas des moindres qui donnent de leur personne pour la bonne cause. Prenez mon compatriote Arno par exemple, qui offre l’image de son visage buriné (aux poches légèrement photoshopées quand même) pour lancer la nouvelle Lancia, alors que lui, il n’a même pas de voiture ! Même que ça lui « brise

le cœur ». On peut dire qu’il a le sens de l’à propos notre Georges Clooney local. On ferme Opel à Anvers, et lui, il fait de la pub pour une voiture italienne. Putain, putain, c’est vachement bien, nous sommes quand même tous des Européens ? Sauf, qu’en l’occurrence, à Anvers on trouve ça vachement moche.

E

st-ce le début de la fin de la Flandre prospère ? Voilà une question qui est sur toutes les lèvres francophones, non sans un malin plaisir à peine dissimulé : « La fin du miracle flamand », « La wallonisation hante la Flandre » peut-on lire dans la presse francophone. La « wallonisation », un mot à la mode en Flandre d’après Le Soir (3 février), qui voudrait dire bureaucratisation et chômage galopants. Il est vrai que depuis que ça va plus mal en Flandre, les mentalités changent : le gouvernement Peeters s’est rangé résolument aux côtés de la lutte syndicale à Opel. Kris Peeters, qui avant de devenir ministre-président du gouvernement flamand a dirigé pendant dix ans l’UNIZO, l’organisation patronale des petites et moyennes entreprises, vient de découvrir les vertus d’un certain keynésianisme car « si nous laissons faire le marché nous perdons du temps » (De Tijd 9 janvier) et comme j’ai déjà

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eu l’occasion de vous le dire, selon Keynes : « in the long run we’re all dead », si on attend, on est morts. Il n’est pas le seul, l’économiste libéral et professeur à l’université de Louvain, Paul De Grauwe, que les lecteurs les plus attentifs d’entre vous auront rencontré ces derniers temps dans les médias francophones, revient sur sa foi inébranlable en la main invisible du marché dans une interview désormais célèbre « De bekering van professor Paul De Grauwe » (« La conversion du professeur Paul de Grauwe », De Standaard du 31 octobre 2009). Cet éminent professeur s’est mis à lire Keynes et vient de découvrir que la « sécurité sociale est bonne pour la stabilité de notre régime économique ». Il vaut mieux tard que jamais dirais-je. Paul De Grauwe continue de s’afficher comme Open VLD et je ne sais pas si ça en dit long sur le Keynésianisme ou sur le libéralisme, ou sur les deux. Mais peut-être s’agit-il tout simplement d’une adaptation aux fluctuations du marché assortie d’un certain opportunisme ? Il n’y a qu’à voir le MR qui vient de se repositionner au centre tout en niant au PP de Modrikamen le droit de se positionner à droite. On ratisse de plus en plus large chez les libéraux. Voilà-t-il pas que Guy Verhofstadt dénonce dans une carte blanche publiée dans Le Monde le débat français sur l’identité nationale où


l’« absurde se dispute (selon lui) au grotesque » (« Il y a quelque chose de pourri en République française », Le Monde du 12 février). Je rêve ou quoi, cet homme fait quand même partie du même parti que notre Eric Besson nationale, Annemie Turtelboom ? ! On en perdrait le Nord franchement.

S

ur la question de « la sécurité à Bruxelles » par contre, les avis sont plus tranchés nord-sud. Vous n’imaginez pas le nombre de Flamands qui ont un avis sur la question et qui scandent à l’unisson « No-go-zo-ne, Zé-ro to-lé-ran-ce », alors qu’ils n’ont jamais mis les pieds à la place Lemmens. Bart De Wever, y a été lui, à Cureghem. « Pour sentir la température ?» lui demande le journaliste (De Morgen, 13 février) - « Non, pour aller manger. Il y a là un restaurant fantastique « La Paix » (sic) ». Une brasserie 4 étoiles en face des abattoirs où toute Bruxelloise que je suis, je n’ai toujours pas mis les pieds ni d’ailleurs les ketjes maroxellois de Cureghem sauf peut-être pour faire la vaisselle, mais Bart Dewever en a vu assez pour nous dire qu’à Kuregem, le mot « Belge est une insulte » et il ajoute finement que les petites frappes du coin (« de jonge boefjes ») ont au moins ça en commun avec les nationalistes flamands. S’il avait lu l’excellent

reportage de Colette Braeckman dans Le Soir (2 février), il saurait qu’on peut aussi se faire traiter de « Flamand », ou de « Blond » et que ça n’a rien d’élogieux. Le « Blond » étant celui qui essaie de s’en sortir en travaillant bien à l’école. En lisant ce reportage, je me suis rendu compte à quel point j’ignorais tout de ce quartier situé à cinq minutes de chez moi. Et pas seulement parce que je n’ai aucune raison d’y aller (mon Bruxelles n’est pas le leur) mais parce qu’eux non plus ne sortent jamais de leur périmètre. Ces jeunes traversent rarement le canal ou le boulevard du Midi et quand ils le font, ils ne vont pas plus loin que la Bourse ou City 21. No go zone en effet : une prison en plein air en quelque sorte. En prison, les visiteurs n’ont accès qu’au parloir comme Colette Braeckman et ceux qui y pénètrent y vont pour des raisons professionnelles (policiers et assistants sociaux). Prison géographique et prison mentale dont seulement quelques talents courageux arrivent à s’évader. Ils sont nés au mauvais moment, au moment où l’ascenseur social s’est arrêté, où les inégalités sociales ont repris de plus belle. Ils sont coincés entre le Canal et le boulevard du Midi et les « Belges » n’ont rien à leur offrir. Enfin si, il y en un, Claude Demelenne. Il va nous « sécuriser Bruxelles, avec les

Flamands » (Le Soir 5 février).

U

ne analyse en 9 points : la violence existe et est majeure, elle est le fait de jeunes arabo-musulmans (pas maghrébins, arabo-musulmans, pour bien marquer la différence ethnique et religieuse). Ceuxci sont racistes anti-blancs, antisémites, anti-flics (on se demande pourquoi), manipulés par des mafias et les islamistes. Quant aux travailleurs sociaux, ils ne sont pas « vraiment sociaux », ils sont ambigus. Il faut en finir avec l’impunité, la « culture de l’excuse », le discours « victimaire d’une certaine gauche » qui met tout sur le chômage et les discriminations. Pour « un homme de gauche et de sensibilité socialiste » (dixit Le Soir), c’est tout à fait surprenant. « C’est un réflèxe de peur incompréhensible. (…) c’est moins l’islam qui pose problème que le manque de formation et le chômage ». Ce n’est pas moi qui le dit, c’est toujours Guy Verhofstadt ! Serait-il lui aussi « contaminé par le discours victimaire d’une certaine gauche » ? Oui, décidément il y a quelque chose de pourri au royaume de Belgique. ■ Lire le très intéressant ouvrage sur Bruxelles de Eric Corijn et Eefje Vloeberghs : Bruxelles !, VUBpress, 2009. 1

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LE

DE LÉON LIEBMANN

Un dysfonctionnement ordinaire de la justice démonté par sa victime

«

Comment priver un enfant de son père. Un dysfonctionnement ordinaire de la justice ». C’est sous ce titre que Marcello Sereno (nom d’emprunt) a écrit un ouvrage à tous égards extraordinaire qui par son originalité échappe à toute catégorisation forcément réductrice. C’est d’abord et avant tout le récit des « mauvais procès » faits à l’auteur à l’instigation de son ex-compagne qui avait quitté leur domicile en emmenant leur fillette alors âgée d’à peine un an et dont elle obtint presque aussitôt la garde exclusive. Deux procédures bien distinctes mais étroitement apparentées en découlèrent et s’étendirent sur plus de onze ans, la première relative à l’attribution de l’autorité parentale, du droit de garde et du droit de visite et l’autre consécutive à une plainte de la mère dirigée contre le père de l’enfant et tendant à le faire condamner pénalement pour atteintes à la pudeur et viols. Dans son excellente préface, le philosophe François Ost s’appuie sur l’analyse de l’auteur pour se livrer à une critique systématique des « spécialistes » qui ont épaulé les accusateurs, allant jusqu’à déformer les faits pour leur faire dire ce qu’ils tenaient d’emblée pour la vérité. L’auteur retrace d’abord avec beaucoup de minutie le déroulement, fertile en

rebondissements, des deux procédures judiciaires engagées contre lui. Il réserve à la seconde partie de son livre ses commentaires juridiques et psycho-sociologiques, tous étayés par des citations empruntées aux documents contenus dans les deux dossiers. Il laisse les derniers mots à deux experts réputés : Yves-Hiram Haesevoets, psychothérapeute, et Paul-Henri Mambourg, pédopsychiatre, qui consacrent leurs réflexions au travail accompli par leurs confrères désignés par les juridictions compétentes pour les éclairer sur les faits controversés et la personnalité des principaux protagonistes de ce drame familial.

L

e point de départ des tribulations judiciaires du père de l’enfant prétendument agressée sexuellement tient en un très bref dialogue entre ce père et sa fille tenu le 18 janvier 2001. Je le cite : « - Maman ne veut pas que j’aille chez toi, parce que tu as fait des lichettes sur ma prune Qu’est-ce que tu racontes ma chérie ? - C’est vrai ». Le seul tort que reconnaît ce père ahuri, c’est de ne pas avoir accordé suffisamment d’importance à ce que lui avait alors dit sa fille : elle lui avait parlé en souriant et, se sachant innocent, il avait cru à une sorte de plaisanterie sans conséquence.

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Il n’en fut, hélas, rien et « l’affaire numéro un », qui était du ressort du Tribunal de la jeunesse, démarra à l’initiative de la mère dans la quinzaine suivante. Tout au long de la procédure, la fillette maintint son accusation en y ajoutant une précision d’ordre chronologique : ce genre d’agression sexuelle avait débuté peu après la séparation de ses parents, intervenue en juin 1997. Il se serait donc, à l’en croire, prolongé pendant plus de trois ans et demi avant d’être pour la première fois évoqué par l’enfant et invoqué par sa mère ! La caractéristique essentielle des deux procès est l’alternance quasi-mathématique de succès et d’échecs remportés tour à tour par l’accusation et par la défense et débouchant sur un épilogue à la fois sévère et mitigé. Sur le plan pénal, condamnation du père à un an d’emprisonnement, assortie d’un sursis de trois ans, pour des attentats à la pudeur ; par contre l’inculpation pour des faits de viol ne fut pas retenue, pas plus en appel qu’en première instance, le tribunal correctionnel l’ayant déjà écartée d’emblée. Le tribunal de la jeunesse a, lui aussi, fait preuve d’une certaine modération tout en déboutant pour l’essentiel le père, dont la condamnation pénale pesait lourdement sur sa « réputation » : maintien de l’autorité parentale du père et de la mère ; droit de garde entièrement dévolu


à celle-ci ; droit de visite du père très chichement attribué (quelques heures par mois) et très strictement encadré et réglementé. Je me suis jusqu’ici abstenu de commenter le travail accompli par la justice dans ces deux affaires qui pourraient, au vu de ces seules décisions, paraître à la fois graves pour le père mais banales car conformes à une jurisprudence très majoritaire accordant plus de crédit aux paroles de l’enfant et de la mère qu’aux dénégations du père. Faute de pouvoir être exhaustif, je ne relèverai que les traits les plus saillants et les plus significatifs de ce que l’auteur, non sans ironie, appelle « un dysfonctionnement ordinaire de la justice ».

P

remière critique : les juridictions saisies de ces affaires (tribunal de la jeunesse, tribunal correctionnel et cour d’appel) ont adopté sans réserve les assertions et les conclusions émises par les psychologues dont les rapports leur furent soumis sans même remarquer qu’une d’entre elles était intervenue, tantôt successivement et tantôt simultanément, en tant que fonctionnaire dans un service d’aide à la jeunesse, comme psychothérapeute et enfin comme principal expert judiciaire dans les deux affaires précitées. C’est pourtant elle qui fut la plus écoutée et la plus suivie par les magistrats « compétents ». Deuxième « dysfonctionnement » : cette psychologue, à coup sûr bien intentionnée, conclut, dès sa première intervention et avant même d’avoir rencontré le « suspect », à sa culpabilité

évidente. Elle alla jusqu’à lui faire explicitement le reproche de ne pas lui avoir avoué ce dont il était accusé. Au rebours de certaines décisions prises par les juridictions de première instance, toutes les décisions définitives prises au degré d’appel suivirent toutes les assertions de cette femme.

T

roisième critique : ce suivisme systématique et délibéré est d’autant plus étonnant et décevant qu’il accrédite et entérine un tissu d’invraisemblances. La plus criante est la suivante : comment peut-on sérieusement tenir pour établi un comportement aussi répétitif qu’immoral qui aurait duré plus de trois ans et demi sans être porté à la connaissance de la mère et qui n’a donné lieu à l’intentement d’une procédure pénale gravissime que si longtemps après leur prétendu accomplissement. D’ailleurs, comme l’observe l’auteur, un enfant en bas âge ne peut se rappeler avec autant de précision des actes répugnants qui l’auraient heurté à l’époque où il n’était encore qu’un bébé. Quatrième et dernière critique : si tant de professionnels de la justice se sont à ce point fourvoyés, ce ne peut être que parce que leur trop rapide « préjugé » procédait d’un préjugé fort répandu dans ce genre d’affaires, à savoir que dans les couples séparés où la mère a obtenu le droit de garde, ses accusations dénonciatrices d’un comportement indigne dans le chef du père et reproduites par l’enfant ont été jugées sincères et véridiques même si elles défient toute vraisemblance ! Deux observations encore avant de conclure : l’auteur a donné

des noms d’emprunt à toutes les personnes qui, à quelque titre que ce soit, sont intervenues dans le déroulement de cette double saga judiciaire et cela à commencer par sa fille et par ses parents. Il voulait ainsi empêcher l’identification de sa fille par ceux que le moindre indice pourrait la faire découvrir. Il souhaite simplement qu’un jour, pas trop lointain (elle aura bientôt 14 ans), elle pourra prendre connaissance de cette partie si controversée de son histoire et de l’éclairage que lui aura donné son père. Seconde observation : ce livre est, d’un bout à l’autre, écrit de façon remarquable. Indépendamment de ses qualités proprement littéraires, il multiplie les coups de sonde les plus hardis et les plus éclairants dans le fonctionnement de la justice de notre pays et cela sans exagération ni parti pris. Puisse-t-il, comme il le mérite, contribuer à ce que la vérité judiciaire se confonde enfin avec la vérité « tout court ». À ce propos, ce livre prend le contre-pied de l’abondante littérature, tant journalistique que livresque, relative à la vie judiciaire : dans la plupart des cas, les noms reproduits le sont correctement mais les propos, les intentions et les actes qui y sont rapportés s’écartent trop souvent de la vérité. C’est tout le contraire chez l’auteur qui ne raconte que des choses vraies et pouvant être vérifiées, seuls les noms des personnages étant inventés. Lisez plutôt ce genre d’ouvrages : vous ne perdrez rien au change. ■ Comment priver un enfant de son père. Un dysfonctionnement ordinaire de la justice Marcello Sereno Editions Jeunesse et droit, 2009 384 p., 22 EURO

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cultes et laïcité Religion et politique, liaison dangereuse ? CAROLINE SÄGESSER

J

’emprunte ce titre à un ouvrage collectif paru sous la direction de Thomas Ferenczi en 20031. Dans ce livre, les auteurs analysaient le retour de la religion au sein du discours et de l’action politique, dans le monde islamique après la révolution iranienne de 1979, en Israël depuis la guerre des Six jours, et dans une Europe occidentale où l’expression de valeurs chrétiennes jouirait d’un regain de légitimité. C’est cette dernière dimension de la problématique qui nous intéresse, suite à la publication par Le Soir (3031 janvier) d’une interview-fleuve du co-président d’Écolo, Jean-Michel Javaux, dans laquelle il s’est longuement exprimé sur sa foi catholique. L’interview a été réalisée suite aux résultats d’un hit-parade des catholiques les plus influents organisé par le quotidien, qu’on a connu mieux inspiré. Il est vrai que la nomination d’André Léonard à la tête de l’archidiocèse de Malines-Bruxelles a déclenché un intérêt médiatique d’une ampleur surprenante, qui s’est traduit par la publication de nombreux articles de qualité très inégale sur le monde catholique. Subitement, le catholicisme a semblé acquérir une valeur marchande exceptionnelle, tant et si bien qu’il a paru naturel de publier cette liste des catholiques les plus influents,

sans demander leur avis aux intéressés. On comprend mal pourquoi une telle démarche a été jugée immédiatement acceptable, alors que publier, par exemple, la liste des Juifs ou des francs-maçons les plus influents ne l’aurait certainement pas été. Le classement des cathos les plus influents ayant été établi, sans autre base que l’impression subjective des vingt observateurs « avisés » sollicités, Le Soir a choisi de mettre en évidence la présence de Jean-Michel Javaux à la treizième place. Sans doute la femme et l’homme qui le précédaient dans le tiercé des personnalités politiques ontelles été jugées moins intéressantes… Loin de se formaliser de cette exposition publique de ses intimes convictions, Jean-Michel Javaux a expliqué l’importance de la foi dans sa vie, avec une candeur qui a suscité le respect de la rédactrice en chef du quotidien, et qui a permis au Soir de jouer à fond la carte people, en mettant en exergue une information aussi vitale que l’achat d’un test de grossesse dans une pharmacie de Lourdes ! L’interview a également suscité le légitime courroux d’autres personnalités politiques dont, au passage, Javaux exposait ou interrogeait les convictions religieuses : faute lourde... Elle a provoqué également des remous au sein de son parti : Josy Dubié

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a estimé (sur les ondes de la RTBF et dans La Libre Belgique du 3 février) que l’interview était « maladroite » et qu’elle risquait d’accréditer l’idée, fausse, qu’il y aurait au sein d’Écolo une majorité de « calotins ». Le coming out du coprésident d’Écolo suscite une double question ; d’une part, est-il légitime pour un homme politique d’exprimer publiquement ses convictions religieuses ? D’autre part, la ligne d’un parti comme Écolo, qui prétend avoir transcendé le clivage philosophique, est-elle tenable, et qu’impose-t-elle en termes d’ouverture ou de réserve de ses mandataires en la matière ?

UN DISCOURS RELIGIEUX ? Bien sûr, il ne peut être question d’interdire à quiconque, personnalité politique y compris, d’exprimer ou de vivre sa foi religieuse ; c’est une liberté fondamentale. Mais on peut se demander s’il est souhaitable qu’il le fasse… Pour Javaux, c’est clairement « oui » : il critique des catholiques, dont il connaît la foi, qui s’abstiennent de communier lors d’une messe ayant un caractère semi-public. Il me paraît au contraire évident que ceux qui souhaitent ainsi maintenir leurs convictions dans le domaine privé ont parfaitement ce droit. Mais, fautil le recommander ? L’expression


publique des convictions n’auraitelle pas le mérite de la clarté ? Ne permet-elle pas aux cathos qui le souhaitent de voter pour des cathos, et inversement aux laïques de porter leur choix vers ceux qui partagent leur valeurs laïques ? Peut-être. Mais, et les positionnements des uns et des autres à l’occasion de la promotion d’André Léonard l’ont bien montré : il n’y a plus des valeurs cathos d’une part et des valeurs laïques de l’autre. D’un côté comme de l’autre, on peut s’accorder autour d’un projet progressiste (ou écologique). Ce qui ne veut pas dire que le clivage philosophique ait complètement disparu : il s’est émoussé, mais il n’est pas dépassé. Il s’exprime moins sur le contenu de valeurs morales absolues que sur le positionnement face à des structures et des politiques que la Belgique a hérités de ce clivage séculaire : qu’en est-il de l’approfondissement de la laïcité de l’État ? De la régulation des inscriptions scolaires afin de garantir davantage de mixité et d’égalité ? De l’attitude globale face au réseau d’enseignement catholique, et en matière d’organisation et de

financement de cours de religions dans les écoles officielles ? Du positionnement lors de l’adoption de législations comme l’euthanasie ou le mariage gay ? De la réforme du système de financement des cultes ? C’est sur base du contenu d’un programme qu’il faut juger de l’engagement d’un homme ou d’un parti, et non sur son appartenance à une Église. On ne voit donc pas très bien ce que peut apporter l’étalage public de convictions religieuses qui peuvent aliéner ceux qui ne les partagent pas ou jeter la suspicion sur l’engagement progressiste d’un homme qui, soyons de bon compte, n’est pas du tout le défenseur des valeurs prônées par Benoît XVI.

ÉCOLO, DEUXIÈME PARTI « CATHO » ? L’appartenance des responsables et mandataires à l’Église, ou à un mouvement laïque (ou à rien du tout) ne devant pas déterminer l’engagement du parti, comment peut-on positionner Écolo sur l’axe philosophique ? Sur certains points, Écolo est proche des positions laïques. Cela a été le cas dans les dossiers éthiques, comme l’ouverture du mariage puis de l’adoption aux homosexuels. C’est le cas actuellement en matière de cours de religion et de morale : Écolo est favorable à leur remplacement par un cours de philosophie. Idem en matière de financement des cultes : sans en remettre en cause le principe (mais qui le fait encore aujourd’hui ?) Écolo se déclare favorable à une répartition des moyens en fonction des préférences exprimées par la population. En revanche, en matière d’approfondissement de la laïcité politique et en particulier d’interdiction des signes religieux au sein de la fonction publique, Écolo est plutôt partisan

du statu quo en matière de principes constitutionnels, et de la liberté des agents du service public de se vêtir comme ils le souhaitent, sans tenir compte de la neutralité attendue par l’usager. Il en va de même en matière d’accommodements dits raisonnables, en milieu scolaire ou hospitalier, où Écolo est plutôt favorable à des aménagements respectueux des convictions religieuses des citoyens. Après le CdH, c’est Écolo qui se montre le meilleur défenseur du réseau libre d’enseignement. Notons enfin qu’à l’approche des dernières élections, le RAPPEL (Réseau d’action pour la promotion d’un État laïque) avait adressé aux différents candidats un questionnaire afin d’examiner le degré de leur engagement en faveur de la laïcité, au sens politique. Le résultat en avait été sans appel pour Écolo, dont la position officielle était la moins laïque de tous les partis politiques ! Notons qu’au niveau des réponses individuelles, c’est chez Écolo qu’il y avait le plus grand écart entre les candidats les plus attachés à la laïcité et ceux qui en étaient le plus éloignés2. Écolo réussit-il à transcender le clivage philosophique comme il le prétend, à le rendre non pertinent ? Oui et non. Oui, parce que l’ensemble de son programme ne permet pas de le classer dans un camp ni dans l’autre. Non, parce que prises isolément, ses prises de position seront jugées à cette aune-là également, et que pour ceux qui sont indéfectiblement attachés à la défense de la laïcité, Écolo ne passera pas le test. ■ 1

T. Ferenczi (dir.), Religion et politique. Une liaison dangereuse ? Bruxelles, éd. Complexe, 2003. 2 Les résultats de cette enquête peuvent être consultés sur le site du Rappel : www. le-rappel.be.

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activités vendredi 5 mars à 20h15 L’histoire méconnue de l’antisionisme juif Conférence-débat avec

Jacques Aron, auteur, entre autres, de Le sionisme n’est pas le judaïsme, essai sur le destin d’Israël À partir de 1791, la perspective de l’émancipation des Juifs d’Europe semblait avoir éteint le rêve religieux ancestral du retour, surtout après l’échec du « messie » Sabbataï Tsevi (1626-1676). De grandes organisations s’étaient formées pour défendre l’octroi des droits civils aux citoyens juifs de tous les États (congrès de Berlin, 1878). L’assassinat du tsar en 1881, les pogroms et l’émigration massive qui suivirent déstabilisèrent les communautés les mieux intégrées et entraînèrent l’établissement de colonies de peuplement en Palestine. À partir de 1897, le sionisme politique, avec l’appui d’une fraction des autorités rabbiniques, s’insinua dans le jeu diplomatique des grandes puissances en Orient. En réaction, différents courants antisionistes se formèrent pour des raisons religieuses, sociales, politiques et culturelles très diverses. La conférence abordera avant tout l’attitude des communautés allemandes, dont la minorité sioniste tenta d’arracher la direction à la majorité de tendance libérale réformée. Une lutte interne en pleine ascension du nazisme. PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO

vendredi 19 mars à 20h15 Ni putes ni soumises Conférence-débat avec

Jamila Si M’Hammed,

médecin-psychiatre et présidente du comité belge de « Ni Putes, ni Soumises » Jamila Si M’Hammed viendra nous parler de cette association qui a pour objectif de promouvoir « l’égalité, la mixité et la laïcité ». La situation économique, sociale et politique des femmes continue à poser problème dans de nombreux pays. Même dans nos états démocratiques et malgré de nombreuses avancées, il reste beaucoup à faire. Nous apprendrons comment et pourquoi cette association est née et quelle est son mode de fonctionnement et sa stratégie. PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO

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vendredi 26 mars dès 19h Soucieux de continuer à organiser des soirées où jeunes et moins jeunes se retrouvent autour d’un bouillon maison et d’activités ludiques et conviviales, nous vous convions à une

Soirée « jeux de société » Rejoignez-nous avec votre plaisir de jouer ... et votre envie de gagner... ou votre rââââge de vaincre. Nous fournissons, outre le bouillon (au prix de 3 EURO), les cartes, les scrabble, les boggle, les pictionnary, et des tas d’autres jeux qui seront mis à la disposition et au choix de chacun. Parlez-en autour de vous et venez nombreux. Nous vous informons aussi, dès à présent, que nous comptons organiser en juin un cabaret et que nous lançons donc un appel, dès à présent, à tous ceux désireux d’y participer (chanson, théâtre, arts visuels, musique ...). La personne de contact est Jacques Ravedovitz (02.344.04.86 – jacques.ravedovitz@skynet.be)

vendredi 23 avril à 20h15 Mon combat de résistant en France Conférence-débat avec

Georges Schnek

ancien président du Consistoire israélite de Belgique, professeur honoraire de l’ULB Georges Schnek, réfugié dès 1940, avec ses parents, dans le sud-ouest de la France, s’est engagé dans l’Organisation Juive de Combat (OJC), dès septembre 1942, à Toulouse d’abord et puis, surtout, à Grenoble. Il devient le responsable régional de l’OJC, chargé d’organiser des réseaux de faux-papiers et l’organisation de passages d’enfants juifs vers la Suisse, ainsi que des futurs combattants vers l’Espagne. En 1943, il devient chef régional de l’OJC pour la Savoie, la Haute Savoie et l’Isère. Il met sur pied le Comité d’Action et de Défense de la Jeunesse Juive en collaboration avec les jeunesses communistes et les jeunesses bundistes. Il participe à la libération de Grenoble en juillet 1944. Pour son action, il obtiendra les distinctions suivantes : Médaille de la Résistance, Chevalier de la Légion d’Honneur. À la Libération, il entreprend des études de chimie, avant de reprendre ses activités au sein de la communauté juive à Bruxelles avec en septembre 1945 notamment, la création de l’Union des étudiants juifs. Georges Schnek a été fait baron pour services rendus à la Belgique. PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO

Bienvenue à Elea C’est le 14 décembre dernier qu’Elea Gudanski a poussé son premier cri. Nous lui souhaitons la bienvenue dans le monde. Toutes nos affectueuses félicitations à l’heureuse maman, Laurie, ainsi qu’aux non moins heureux grands-parents Pelosie et Marco, aux tante et oncle Mira et Lenny, et, last but not least, à l’arrière-grand-maman Rosa.

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UPJB Jeunes « Heureux comme un enfant qui peint » NOÉMIE SCHONKER

C

ette phrase a été écrite par un certain Arno Stern* que j’ai bien failli confondre avec celui mis à l’honneur au Musée juif de Belgique du 13 novembre 2009 au 21 février 2010. Le premier, né à Kassel en 1924, est éducateur et développe le concept d’«Éducation Créatrice », pratique pédagogique permettant à l’individu de se réaliser parmi les autres et non contre les autres. Ce concept, fort intéressant ma foi, ajouté à l’homonymie a participé à ma confusion. « Notre » Arno Stern, celui que les Korczak et les Zola ont découvert au Musée juif un après-midi de janvier est un peintre juif, né à Lodz en 1888. L’après-midi a commencé par une visite guidée, animée par Christian Israel, qui leur a fait

Portrait d’Elsa

découvrir les différents styles du peintre à travers une série d’autoportraits pour explorer ensuite le leur à l’aide de différentes techniques. Tracés carbones ou colorés, secs ou mouillés se sont déployés, face au miroir, sur le papier… se prolongeant parfois sur les murs des couloirs du musée, sous le regard de la monitrice gênée de « ses » petits indisciplinés. Mais, que les monos, et les parents, se rassurent, nos Arno Stern d’un jour ont ravi l’animateur, satisfait du déroulement et du résultat des ateliers… Le musée veut encore bien de nous et cela tombe bien car cette activité n’était, je l’espère, qu’une première rencontre avec ce lieu aux mille richesses et aux précieuses ressources.

« HEUREUX COMME UN JEUNE QUI DISCUTE » Nous avons fait une autre rencontre ce mois-ci, d’un autre style, avec un autre groupe et dans une autre institution de la rue juive bruxelloise… En effet, à l’occasion de son 50e anniversaire, le CCLJ organisait une table ronde pour les 15-25 ans intitulée « ProcheOrient : Paix maintenant ! Comprendre, dialoguer et vivre ensemble [ici] ». La rencontre s’annonçait fort intéressante : David Susskind, président d’honneur

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du CCLJ, expliquerait l’évolution et la position actuelle du CCLJ sur la question, Eli Barnavi, ancien ambassadeur d’Israël, professeur à l’Université de Tel-Aviv, celle d’Israël et Bishara Kader, professeur à l’Université catholique de Louvain et directeur du Centre d’étude et de recherche sur le monde arabe contemporain (CERMAC), celle des Palestiniens. Après, la parole serait laissée au public. Pour ne pas débattre qu’entre personnes du même avis, les jeunes de l’UPJB ainsi que des jeunes de maisons de quartier avaient été invités pour qu’un vrai débat puisse avoir lieu et c’est dans cette optique que les Mala ont accepté l’invitation et qu’ils s’étaient quelque peu préparés avant de s’y rendre. Lors d’une petite réunion préalable, Michka et Marca leur apportèrent des précisions sur la position de l’UPJB, leur firent un bref rappel des principes de droit international qui la sous-tend et que nous défendons afin de les mettre en rapport avec les arguments que nos « détracteurs » nous opposent en général. Nous voulions également faire le point, entre nous d’abord, sur la question du « vivre ensemble en Belgique ». Cela dit, les jeunes ne s’y sont pas rendus avec une mission, une position officielle à défendre ou toute autre prétention de ce genre. C’était juste l’occasion de se confronter à d’autres, de partager des vécus différents et d’apprendre, certainement, pleins de choses. Pas obligés d’y prendre la parole, pas obligés d’être un expert pour la prendre... Même si nous en avons tiré quelques enseignements, nous sommes rentrés dé-


Carte de visite L’UPJB Jeunes est le mouvement de jeunesse de l’Union des progressistes juifs de Belgique. Elle organise des activités pour tous les enfants de 6 à 15 ans dans une perspective juive laïque, de gauche et diasporiste. Attachée aux valeurs de l’organisation mère, l’UPJB jeunes veille à transmettre les valeurs de solidarité, d’ouverture à l’autre, de justice sociale et de liberté, d’engagement politique et de responsabilité individuelle et collective.

çus de la rencontre. David Susskind était absent, aucun jeune des maisons de quartier ne s’était déplacé et les deux intervenants ont davantage prôné le consensus, entre eux et avec le public, que débattu des questions sensibles. Soucieux, semble-t-il, de prouver à l’auditoire qu’un Israélien et un Palestinien pouvaient discuter ensemble, en hommes « civilisés » qu’ils sont, ils se sont contentés de répondre « mollement » aux questions du médiateur. Par ailleurs, le débat annoncé s’est finalement réduit à une demi-heure de questions-réponses à l’adresse des « experts », M. Barnavi refusant qu’il en soit autrement mais n’hésitant pas à répondre à une question embarrassante d’un de nos jeunes en stigmatisant l’UPJB pour qui, « de toute façon, tout sioniste a un couteau entre les dents »… Nous espérions, vous l’aurez compris, un peu plus de nuances, un peu plus d’échanges. Nos jeunes, friands de discussions, sont en demande de vrai débat, sans tabou et osant aborder les « questions qui fâchent ». Nous en aurons l’occasion, j’en suis sûre, et vu l’intelligence des questions et l’intérêt manifesté par les jeunes de l’UPJB, de la JJL et de l’Hashomer présents ce jour-là, il sera, à n’en pas douter, de qualité ! ■ *Arno Stern, Peter Lindbergh, Heureux comme un enfant qui peint, Éditions du Rocher, 1995

Chaque samedi, l’UPJB Jeunes accueille vos enfants au 61 rue de la Victoire, 1060 Bruxelles (Saint-Gilles) de 14h30 à 18h. En fonction de leur âge, ils sont répartis entre cinq groupes différents.

Bienvenus pour les enfants de 6 ans ou qui entrent en

Les 1ère primaire Moniteurs :

Shana : 0476/74.42.64

Volodia : 0497/26.98.91 Les

Janus Korczak pour les enfants de 8 à 9 ans

Moniteurs : Max : 0479/30.75.71 Mona : 0474/42.37.74 Les

Émile Zola pour les enfants de 10 à11 ans

Moniteurs : Fanny : 0474/63.76.73 Lucas : 0476/56.72.37

Les

Yvonne Jospa

pour les enfants de 12 à 13 ans

Moniteurs : Cyril : 0474/26.59.09 Ivan : 0474/35.96.77 Félicia : 0472/62.06.95 Les

Mala Zimetbaum

pour les enfants de 14 à 16 ans

Moniteurs : Alice : 0476/01.95.22 Théo : 0485/02.37.27

Informations : Noémie Schonker - noschon@yahoo.fr - 0485/37.85.24

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écouter Vies héroïques NOÉ

C

’est vrai, on en parle partout. Mais ma surprise fut tellement grande à l’UGC Toison d’or, que je ne pouvais pas résister à vous parler du chef d’œuvre de Joann Sfar ! Entre le petit Lucien (Ginsburg) insistant pour porter l’étoile jaune avant tout le monde et Gainsbarre chantant la Marseillaise devant un troupeau de paras, tout y est. Ses femmes, ses parents (dialogue en russe autour de matzos et de cornichons), ses enfants, l’amour, l’alcool. Tout, même ce à quoi on ne s’attend pas. Car Sfar a réussi à introduire une part de magie dans son film qui est plus un conte qu’un simple biopic.�Si certaines personnes trouvent le film plat et académique, moi en revanche, je le trouve rythmé de manière originale grâce à un jeu d’acteur surprenant et époustouflant : Éric Elmosnino est tellement crédible que, pour se rappeler la vrai gueule de Gainsbourg, on en arrive à devoir faire des efforts ; Philippe Katerine (pas le belge, le français) en un Boris Vian plein d’humour, est une grande réussite, et Laetitia Casta en Brigitte Bardot est presque mieux que l’originale ! Côté chanson, le respect de ne pas les avoir coupées est à saluer. En effet, les chansons et duos réarangés sont mis en écoute en entier !

Serge Gainsbourg (vie héroïque)

Elmosnino est tellement bien dans son rôle que sa voix prête à confusion. Mais de là à acheter la bande originale du film, présenté sous forme de double CD, faut pas charrier, rien ni personne ne peut rivaliser avec le vrai, le seul, l’unique Serge Gainsbourg !

VAYA CON DIOS AU VARIA LE 22 JANVIER 2010 Beaucoup de femmes et de néerlandophones dans ce petit espace chaud qu’est le théatre Varia pour assister au nouveau spectacle de Dani Klein. Après s’être arrêtée (sans tambours ni trompettes) au 61, rue de la Victoire, il y a un an, pour rendre visite aux Indiens que l’UPJB accueillait, elle à posé ses valises à Bruxelles, sa ville d’origine. Salle comble, le 22 janvier dernier, pour un groupe qui, en un

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peu plus de vingt ans, a écoulé 10 millions d’albums. C’est agréablement surpris que j’ai eu la chance d’assister, ce soir-là, à un excellent concert. Dani Klein, entourée de six musiciens qui, tout en étant chacun très bon, n’ont pas joué les virtuoses, a vite réussi à établir une belle ambiance, que ce soit par les paroles de son nouvel album (« Comme on est venu », entièrement en français pour la première fois), sa présence scénique, ses mots entre les morceaux, sa voix à peine cassée, ses tacles au grand seigneur Léonard, aux religions ou, par son hommage à Sémira Adamu. Entre les tubes (les fameux « Neh Nah Nah Nah », « Johnny », ou encore « Puerto Rico » ) et les airs moins connus, l’équilibre est parfait. Alors, conseil d’ami, si Dani passe près de chez vous avec sa bande de musicos, ou même si le dernier album, bien que contenant de très belle choses comme « La pirogue de l’Exode » ou « Les voiliers sauvages de nos vies »,


est le mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique (ne paraît pas en juillet et en août)

vous a un peu refroidis par ses arrangements parfois trop mous, ne loupez cette nouvelle tournée sous aucun prétexte !

« T’AS VOULU PARTIR AILLEURS »

ses, et son engagement d’écorché qui faisait vibrer un public réduit à une garde rapprochée qui, comme moi, avait sûrement eu une bonne poignée de frissons en écoutant son dernier album « Rentrer au port », ce public qui l’a soutenu jusqu’au bout, jusqu’à un dernier concert à l’Olympia peu de temps avant son départ. Je me souviens avoir découvert Mano Solo, fils du dessinateur Cabu, à un camp d’été avec l’UPJB, il y a deux ou trois ans. Chaque année, il y a toujours quelques morceaux qui tournent en boucle dans nos chambres. « Moi j’y crois » en faisait partie.

QU’ON NE L’ENTERRE PAS TROP VITE ! « Des fleurs pour Salinger », tube du groupe Indochine, enregistré en 1990, témoignait de l’impact Enterré un peu vite par les grands médias, sauf le jour de sa mort, of course, Mano Solo, chanteur depuis le début des années 90, dessinateur, peintre, atteint du SIDA, est décédé à l’âge de 46 ans suite à plusieurs ruptures d’anévrismes « Et les gens m’aiment parce que je suis seul, et les gens m’aiment parce que j’ai mal, et les gens m’aiment parce que je meurs à leur place », chantait-il dans « Janvier », l’une de ses plus belles chansons. Qui mieux que Mano, lui-même, savait parler de lui ?�Personne, j’imagine. C’est peut-être pour ça qu’on en parlait très peu. C’est sa voix à moitié brisée, jamais loin de la fausse note, son désespoir à la limite du larmoyant sans jamais être pittoresque, sa vision parfois pessimiste des cho-

L’UPJB est membre de la Fédération des Juifs européens pour une paix juste (www.ejjp.org) et est soutenue par la Communauté française (Service de l’éducation permanente) Secrétariat et rédaction : rue de la Victoire 61 B-1060 Bruxelles tél + 32 2 537 82 45 fax + 32 2 534 66 96 courriel upjb2@skynet.be www.upjb.be Comité de rédaction : Henri Wajnblum (rédacteur en chef), Alain Mihály (secrétaire de rédaction), Anne Gielczyk, Carine Bratzlavsky, Jacques Aron, Willy Estersohn, Sender Wajnberg, Caroline Sägesser, Tessa Parzenczewski Ont également collaboré à ce numéro : Roland Baumann Chantal Casterman Jean-Marie Chauvier Henri Goldman Amir Haberkorn Léon Liebmann Françoise Nice Noé Noémie Schonker Conception de la maquette Henri Goldman Seuls les éditoriaux engagent l’UPJB.

que L’Attrape-cœurs de Jerome David Salinger eut sur une certaine jeunesse. Moi, j’ai plutôt accroché aux Nouvelles de celui qui n’en donnait plus depuis près de cinquante ans… Le mythique J.D. Salinger est mort le 27 janvier dernier à l’âge de 91 ans. ■

Abonnement annuel 18 EURO Abonnement de soutien 30 EURO Devenir membre de l’UPJB Les membres de l’UPJB reçoivent automatiquement le mensuel. Pour s’affilier: établir un ordre permanent à l’ordre de l’UPJB (CCP 000-0743528-23). Montant minimal mensuel: 10 EURO pour un isolé, 15 EURO pour un couple. Ces montants sont réduits de moitié pour les personnes disposant de bas revenus.

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agenda UPJB Sauf indication contraire, toutes les activités annoncées se déroulent au local de l’UPJB, 61 rue de la Victoire à 1060 Bruxelles (Saint-Gilles)

vendredi 5 mars à 20h15

L’histoire méconnue de l’antisionisme juif. Conférence-débat avec Jacques Aron, auteur L’histoire (voir page 34)

vendredi 19 mars à 20h15

Ni putes ni soumises. Conférence-débat avec Jamila Si M’Hammed, médecin-pyschiatre et présidente du Comité belde de « Ni putes ni soumises » (voir page 34)

vendredi 26 mars dès 19h

Soirée « jeux de société » (voir page 35)

vendredi 23 avril à 20h15

Mon combat de résistant en France. Conférence-débat avec Georges Schnek, ancien président du Consistoire israélite israéli de Belgique (voir page 35)

club Sholem Aleichem Sauf indication contraire, les activités du club Sholem Aleichem se déroulent au local de l’UPJB tous les jeudi à 15h (Ouverture des portes à 14h30)

jeudi 4 mars

« La participation des Juifs communistes de Belgique à la guerre d’Espagne » par Jo Szyster

jeudi 11 mars

« Chant choral au service de la cause palestinienne » par Cathy Meyer

Éditeur responsable : Henri Wajnblum / rue de la victoire 61 / B-1060 Bruxelles

jeudi 18 mars

À la suite de la conférence du 14 janvier dernier, Marco Schetgen, médecin généraliste et professeur à l’ULB, prolongera le débat sur la médecine généraliste et sa place dans notre société

jeudi 25 mars

L’actualité belge et internationale, commentée par Léon Liebmann, magistrat honoraire

jeudi 1er avril

« L’aide laïque aux justiciables (détenus, victimes et leurs familles) » par Amelia Kalb, présidente du SLAJ (Service laïque d’Aide aux Justiciables)

et aussi Infor-Femmes, 23 av. Clémenceau, 1070 Anderlecht / Dans le cadre de la Journée mondiale des femmes. Témoignages sur la résistance des femmes d’hier et d’aujourd’hui. Du 3 au 31 mars. Exposition « Femmes en résistance ». En collaboration avec l’UPJB et le Musée de la Résistance. Du lundi au vendredi de 9h à 16h. 8 mars à 10h. Vidéos : témoignages sur la résistance des femmes d’hier et d’aujourd’hui, suivi d’une table de discussion et d’un petit-déjeuner Espace Maurice Carême (salle T. Owen), 3-7 rue du Chapelain, 1070 Anderlecht. 4 mars à 14h. Rencontre-conférence avec Maddy Tiembe (AFEDE, Association des femmes pour le développement) qui parlera de la résistance des femmes dans le cadre du conflit au Congo Les agendas sont également en ligne sur le site www.upjb.be


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