n°353 - Points Critiques - février 2015

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mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique février 2015 • numéro 353

à la une Il n’y a pas de mais... Bureau de dépôt: 1060 Bruxelles 6 - P008 166 - mensuel (sauf juillet et août)

gérard preszow

C

e vendredi 16 janvier : c’est quasi comique – ça vaudrait bien une caricature dans Charlie Hebdo – de voir deux flics en gilet pare-balles, mitraillette au poing devant la façade de l’UPJB. De quelle marque d’ailleurs la mitraillette  ? Uzi israélienne ? Ou la russo-soviétique Kalasznikov ? ou Kalach ? Comment l’écrire ?… cette dernière semble plutôt tendance, quelle que soit son orthographe. Les deux flics couvrent la maison UPJB pendant une conférence philosophique, plutôt radicalo-juive, du philosophe-gaucho-talmudiste Yvan Segré. D’abord je ne suis pas un expert ès balistique, ni du Talmud d’ailleurs. Ni en carica-

ture mais je vois bien ce que le trait minimal de Wolinski pourrait en faire, avec quelques nudités trémoussantes sur les pavés humides de la rue de la Victoire. De fait, ce n’est pas une surprise : le CA de l’UPJB a décidé de demander à la police d’être là – en faction –. On leur a soumis le calendrier de nos activités. Et on leur a dit « merci » d’être venus et d’avoir bravé le froid… Mimétisme parisien ou soumission à la Loi ? Fonction de l’État de protéger ses citoyens et, en particulier, ses minorités ou panique passagère ? De garantir, aussi, la démocratie. Prochains sujets de réflexion sur la tablette des débats à venir. En tout cas, une décision ferme et difficile de notre part. Les Juifs

BELGIQUE-BELGIE P.P. 1060 Bruxelles 6 1/1511

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sommaire

à la une

1 Il n’y a pas de mais.................................................................... Gérard Preszow

israël-palestine

4 Quand Netanyahou fait son marché électoral... à Paris........ Henri Wajnblum

lire

6 Les poèmes de Jo Dustin. Chronique du temps qui lasse : 1956-1993.......... ......................................................................................................Antonio Moyano 8 Les tribulations du diamantaire.......................................Tessa Parzenczewski

à la une

humeurs judéo-flamandes

9 Flip, flop .........................................................................................Anne Gielczyk

regarder

10 Georges Wolinski (1934-2015). Le bonheur de vivre..........Roland Baumann

réfléchir

12 Le sionisme dans tous ses états................................................... Jacques Aron

philosopher

14 Le manteau de Spinoza, Judaïsme et Révolution d’Ivan Segré........................ .....................................................................................................Jérémy Grosman

yiddish ? yiddish ! !‫יִידיש ? יִידיש‬ 16 Der tsveyer -La pièce à deux sous.............................................Willy Estersohn 18 activités 22 courrier [antisémitisme] ......................................... écrire 24 Du jeudi 8 janvier 2015 ............................................................... Elias Preszow vie de l’upjb

26 Les activités du club Sholem Aleichem ............................ Jacques Schiffmann

28 les agendas

Erratum Dans l’article de Gérard Preszow, « (Mauvais) état des lieux », paru dans Points critiques n° 352 de janvier 2015, p. 17, 2ème colonne, il faut lire « Ilan Halimi a mortellement succombé au délire d’un petit chef de bande... » et non « Ilan Halevi... ».

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sont visés comme Juifs ! Et l’UPJB – qu’on se le dise (mais est-ce bien prudent de le dire ?) – est le dernier lieu juif bruxellois qui n’a ni sas de sécurité, ni vigiles privés depuis les mesures prises – logiquement – par le Musée Juif de Belgique. Par ailleurs, nous ne bénéficions pas des informations de protection envoyées par le CCOJB (Comité de coordination des organisations juives de Belgique) qui, une fois pour toutes, devrait s’appeler Comité de coordination des organisations sionistes de Belgique… Il y a quelque chose d’irresponsable dans cette organisation interlocutrice de l’État à se présenter comme telle sans défendre Tous les Juifs ! Ceci dit, ne boudons pas la modération de Maurice Sosnowski, Président du CCOJB. Contrairement à Joël Rubinfeld, ci-devant président de la pseudo Ligue belge contre l’Antisémitisme, ex coprésident de l’ultradroitier Parti Populaire, qui mime ses mentors de la droite et extrême droite israélienne, Maurice Sosnowski s’est refusé à appeler les Juifs à fuir la Belgique pour s’exiler « en sécurité » en Israël. Une fois pour toutes, il conviendrait que les medias ne cèdent pas au chantage à l’antisémitisme en accordant à Rubinfeld plus de poids qu’il n’en a. Reconnaissons-lui, plus cyniquement, son art consommé de la communication. Le lendemain, samedi 14h15 : même topo mais réunion du mouvement de jeunesse. La police est

là (en mitraillettes et gilet pareballe à l’ouverture   ; avec des grand chiens de sinistre mémoire à la fermeture) et, à chaque fois que des enfants arrivent accompagnés de leurs parents, nous ouvrons la porte au compte-gouttes. Réactions des parents : « C’est nul ! » « C’est bien ! » « C’est pire que bien ! » Alors, qu’on se le dise : rien, aucune explication n’épuise ce que nous vivons aujourd’hui. Pas de Mais… Charlie Hebdo et son Islam-obsession, pas de Mais-lesFlics et les sans-papiers…, pas de Mais-les Juifs et… Rien. Aucun « mais » n’adoucira la mort de

ce qui ne saurait se justifier. Tuer renonce à parler, nie l’essence langagière de l’Humain. Tuer fait du corps de l’autre un corps de boucherie alors que l’humain est corps de parole et de possible dialogue. La mort est muette à jamais. Et nous pleurons les morts. Clairement, nous voilà entrés dans une autre ère. Pourquoi, d’ailleurs, l’Histoire s’arrêterait-elle ? Il est vrai qu’elle ne va pas vraiment vers où nous l’avons rêvée. Les jours passés ont été éprouvants. Nous n’avons pu nous empêcher de tout regarder, de tout lire. Nous sommes incrédules devant ce brelan d’assassinés : la rédaction de Charlie Hebdo, des flics tués froidement à bout portant, des Juifs parce que Juifs. Nous sommes fatigués, épuisés.

Entre sommeil fuyant et éveil réparateur. Nous voilà dans une soudaine urgence de repenser le monde et d’agir autrement. Ou tout simplement, d’agir avec nos petits moyens. Oui, un besoin d’action se lève en écho à l’opposition à la suffisance ultralibérale qui détruit le tissu social. Et, comme toujours à l’UPJB, il nous faut maintenir vives les contradictions, ne pas les réduire ou les rendre univoques pour nous rendre la vie plus facile. Oui, il y a un islamo-fascisme  ; comment nommer autrement les motivations de ces froids tueurs ? Mais aussi, oui, comme Juifs, nous éprouvons de la compassion et une solidarité active pour nos concitoyens de culture musulmane, victimes minoritaires des retombées racistes de ces actes barbares. Le 11 janvier, en participant à la manifestation bruxelloise sous notre logo à « l’étoile de David rouge », suscitant l’incompréhension de nombreux manifestants qui en appelaient à un unanimisme antiraciste sans banderole identitaire, nous voulions rappeler que l’antisémitisme n’a jamais cessé d’être à l’ordre du jour sous des formes changeantes. Et que, quoi qu’il en soit, nous avions à le rappeler ! n Je dédie ce texte à Lassana Bathily, employé de « l’Hyper cacher »: «Je n’ai pas caché des Juifs, j’ai caché des êtres humains innocents » GP

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israël-palestine Quand Netanyahou fait son marché électoral... à Paris Henri wajnblum

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ifficile de parler des p r oc h ain e s é l e ctions israéliennes, qui doivent se dérouler le 17 mars prochain, sans faire un détour par Paris. Binyamin Netanyahou se savait en perte de vitesse dans l’électorat, se voyant même contester la première place au Likoud lors des primaires qui s’y sont déroulées. Sachant aussi qu’il risquait de se faire damer le pion par la nouvelle alliance entre le parti travailliste de Yitzhak Herzog et le parti Hatnoua (le mouvement) de Tsipi Livni, il lui fallait tenter un gros coup. L’occasion lui en a été fournie par le meurtre des douze de Charlie Hebdo (caricaturistes, chroniqueurs, correcteur, sans oublier les deux policiers) et, surtout par le meurtre de quatre clients juifs du Hyper Casher de la Porte de Vincennes. N’ayant pas été invité à la grande manifestation du 11 janvier, il s’est carrément imposé à François Hollande. Les images ont fait le tour du monde d’un Netanyahou protégé par ses gardes du corps et jouant des coudes pour se retrouver au premier rang et, ensuite, faire sans arrêt de grands signes de la main vers on ne sait qui, comme s’il assistait à une parade. Face à ce coup de force, François Hollande s’est vu contraint d’inviter aussi Mahmoud Abbas dont la présence n’a pas eu l’heur de plaire à Pierre Mertens qui, dans une carte blanche intitulée « Une guerre totale » et pu-

bliée par Le Soir du 13 janvier, écrivait notamment : « (…) Mais ne nous montrons pas bégueule au terme de cette journée exceptionnelle. Journée de fraternisation, de mobilisation hors normes. On n’ergotera même pas trop sur la présence un peu obs-

s’est encore permis d’exhorter les Juifs français d’immigrer en Israël, leur « vraie patrie ». Bon, tournons cette page assez grotesque, qui aura sans nul doute permis au candidat à sa propre succession de glaner quelques votes supplémentaires, pour en

Netanyahou à la « parade »... Hollande se demande à qui il peut bien s’adresser

cène de Mahmoud Abbas, du Premier ministre turc et de quelques leaders africains et autres liberticides (…) ». D’un peu d’obscénité, c’est Pierre Mertens qui en a fait preuve en commettant ce bout de phrase. Car ne nous y trompons pas, parmi les liberticides qu’il évoque, il ne visait certainement pas Binyamin Netanyahou, Avigdor Lieberman et Naftali Bennet qui ont pourtant encore les mains rouges du sang de plus de deux mille Gazaouis tués au mois de juillet dernier. Et comme si sa simple présence n’était pas suffisante, Netanyahou

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venir aux prochaines élections israéliennes.

Une réforme de la loi électorale Le grand projet de Netanyahou, outre le fait de se présenter comme le seul garant de la sécurité d’Israël, est de procéder à une réforme de la loi électorale visant à limiter la possibilité de renverser le gouvernement et à garantir la formation de celui-ci au chef du parti ayant remporté le plus grand nombre de sièges. C’est assez cocasse… Netanyahou semble en effet oublier

que c’est lui qui a « renversé » le gouvernement en limogeant Tzipi Livni et Yaïr Lapid qui contestaient l’opportunité – l’opportunité, pas le principe – de faire voter une loi définissant Israël comme l’« État-nation du peuple juif » exclusivement… Oublier aussi que si son projet de réforme électorale avait été voté avant 2009, la Premier ministre aurait été Tzipi Livni dont le parti d’alors, Kadima (en avant) avait remporté le plus grand nombre de sièges. Ainsi que je l’écrivais plus haut, le leadership du Likoud pourrait fort bien être menacé par l’alliance entre le parti travailliste de Yitzhak Herzog et le parti Hatnoua de Tzipi Livni. Et il ne faut évidemment pas oublier Israel Beiteinou (Israël notre maison) d’Avigdor Liebermann et Habayit Hayehudi (Le foyer juif) de Naftali Bennet, les deux partis d’extrême droite qui sont loin d’avoir renoncé à l’idée de diriger le prochain gouvernement. Pour l’instant, les sondages sont assez contradictoires, les uns donnant le Likoud en tête et les autres l’alliance Herzog-Livni. Ils s’affineront certainement dans les semaines à venir. Mais qu’on ne s’y trompe pas… Que le prochain gouvernement soit dirigé par le même triumvirat Netayahou-Lieberman-Bennet auquel pourrait s’ajouter le parti ultra-orthodoxe Shass, ou qu’il le soit par le Likoud et la nouvelle alliance Herzog-Livni qui devraient eux-aussi trouver des partenaires pour gouverner car, et là les sondages sont formels, ils ne disposeront pas de la majorité requise de 61 sièges sur les 120 que compte la Knesset, la situation de la Palestine occupée ne s’en trouvera en rien modifiée. La colonisation et son corollaire, l’occupation, se poursuivront et s’intensifieront comme elles l’ont fait

sans discontinuer depuis 1967. À moins que… à moins que la communauté internationale en décide autrement. Or, elle n’en prend malheureusement pas le chemin.

Offensive diplomatique palestinienne On sait en effet que Mahmoud Abbas est allé devant le Conseil de Sécurité des Nations unies pour y présenter un projet de résolution prévoyant notamment un accord de paix d’ici un an et le retrait israélien des Territoires occupés avant fin 2017, ainsi que Jérusalem-Est comme capitale du nouvel État. Ce projet n’a recueilli que huit voix sur les neuf requises. L’abstention de la Grande-Bretagne a ainsi permis aux États-Unis, à leur grand soulagement, d’éviter d’user de leur droit de veto. Cela n’a pas empêché Avigdor Lieberman d’y aller de sa diatribe contre certains membres de l’Union Européenne… « le niveau de mensonges, de distorsions, d’inexactitudes et d’inventions dans les débats parlementaires en Europe représentent un nouveau chapitre dans les Protocoles des sages de Sion » ! Il a également comparé l’attitude de pays comme la Suède, qui a reconnu la Palestine, à l’abandon de la Tchécoslovaquie en 1938, à la veille des accords de Munich ! Excusez du peu… L’échec de l’initiative palestinienne – demander au Conseil de Sécurité d’exiger d’Israël qu’il mette fin à l’occupation d’ici la fin de 2017, quelle outrecuidance  ! quel danger pour la paix ! – a enfin amené l’Autorité Palestinienne à ratifier le statut de Rome et à demander l’adhésion de la Palestine à la Cour pénale internationale (CPI), ce qui sera fait dès le 1er avril prochain. Cette adhésion

lui permettra d’y poursuivre pour crimes de guerre de hauts responsables israéliens pour les actions menées à Gaza en juillet dernier et aussi fin 2008-début 2009. La réaction israélienne ne s’est pas faite attendre. Le gouvernement Netanyahou a aussitôt décidé de geler le transfert des taxes qu’il perçoit au nom de l’Autorité palestinienne, 106 millions d’euros pour le mois de décembre dernier et cela pourrait continuer. Quoi qu’il en dise, la possibilité dont disposera bientôt l’Autorité Palestinienne d’aller devant la CPI, est redoutée par Israël… Ne s’agite-t-il pas en effet comme un beau diable pour convaincre ses alliés de cesser de financer la CPI  ? « L’Autorité palestinienne à choisi la confrontation avec Israël. Nous ne laisserons pas les soldats et les officiers de l’armée être traînés devant la CPI à La Haye » a ainsi immédiatement réagi Netanyahou. Ajoutant que « ceux qui doivent être poursuivis sont les dirigeants de l’Autorité palestinienne, qui ont fait une alliance avec les criminels de guerre du Hamas » ! Le problème pour Israël, c’est qu’il ne peut traîner ni Mahmoud Abbas, ni quiconque d’autre devant la CPI puisqu’il n’en est pas membre… L’entourage du Premier ministre laisse dès lors entendre qu’Israël pourrait poursuivre Mahmoud Abbas, et d’autres personnalités palestiniennes dans l’État de New York, où ses chances d’obtenir une condamnation pour « terrorisme » sont dans le domaine du possible. Mais qui donc sera dupe ? Reste aujourd’hui à savoir si le président palestinien aura le courage, tant les pressions qu’il subit de la part des États-Unis sont fortes, de mettre ses menaces à exécution. Les semaines qui viennent nous le diront. n

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lire

est le mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique (ne paraît pas en juillet et en août)

Les poèmes de Jo Dustin. Chronique du temps qui lasse : 1956-1993

L’UPJB est soutenue par la Communauté française (Service de l’éducation permanente)

Antonio moyano

J

o Dustin était un homme aux multiples talents : chansonnier, des s i n ateur de presse, affichiste, critique d’art au Drapeau Rouge et au quotidien Le Soir, peintre tendance constructiv iste-abstrait-géométrique. Homme engagé et poète tout au long de sa vie. Il était né à Auderghem le 18 novembre 1936, il est décédé à Forest le 26 décembre 2011. En février 2013, le Centre d’art Rouge-Cloître lui consacre une rétrospective, et c’est là que je découvre deux poèmes de lui. Je demande à Tessa, sa compagne : ces deux poèmes sont superbes, y en a-t-il d’autres ? Oh oui, me dit-elle, t’as une idée de comment trouver un éditeur ? Et enfin le livre est là ! Et ici, même le colophon final fleure bon la poésie, écoutez plutôt : « Publié avec le soutien du Conseil régional de Provence Côtes d’Azur, Studio Mais je rêve, à Forcalquier, et imprimé par DFS+ à Aix-en-Provence. Au Coin de la rue de l’Enfer, 04230 Saint-Étienne-les-Orgues. » Ça ne s’invente pas ! Le plus ancien poème date de 1956, Jo avait 20 ans, il s’intitule Voici la chronique du temps qui lasse qui s’achève par : « Ô pouvoir conter l’histoire/d’une source retrouvée. » J’ai démarré ma lecture avec une question à deux sous : un peintre qui écrit des poèmes laisse-t-il beaucoup de taches de

couleurs dans son lexique ? J’ai trifouillé le livre en avant en arrière repérant teintes, nuances et

Jo Dustin. Photo Jean-Dominique Burton

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coloris et le verdict était clair : ici, pas le moindre déchet, tout est à vif, et le temps passé en jachère

n’a fait que les bonifier, on peut les lire et relire, ces poèmes résistent. Quand on songe qu’ils dormaient dans des tiroirs ! Tout poète toc-toc chez ses congénères avec un incroyable sans-gêne : Mon ami Pierrot, prête-moi ta plume, la rengaine est archiconnue. Et Jo Dustin, chez quels griots ou grands sachems va-t-il se réchauffer  ? : « Chaque samedi je m’en vais au parc aux chaises où volent, vivent et récitent les poètes trépassés. Je m’assieds sur un banc blanc et j’attends. Bientôt je reconnais le corbeau Victor à sa barbe carrée, le corbeau Max à son étoile jaune, le corbeau Guillaume à son turban de trépané. Mais hélas, bien qu’ils viennent dans ma main picorer la miette tendre, je ne comprends pas un mot à leurs croassements. » (p.56) Inquiétant, vous ne trouvez pas ? Pourquoi voit-il ces poètes en corbeaux, oiseaux de réputation de mauvais augure ? C’est une des qualités majeures de ces poèmes : ils nous surprennent sans répit, faisant valdinguer le ronron trop bien huilé de nos logiques. Malgré leur long séjour dans des cartons et des tiroirs, tous ces poèmes ont gardé un tonus incroyable. Et pourtant vous savez combien Dame Poésie est ingrate, c’est comme ces pullovers qu’on adorait mais qui à la longue deviennent flasques et fadasses, bref bien des poèmes deviennent lâches. Ou insipides. Je

l’affirme tout de go : ce n’est pas le cas ici, les poèmes de Jo Dustin ont encore du nerf ! La rage affleure à chaque poème, quelquefois avec une pointe d’ironie mais toujours avec une fière élégance. Et s’ils passent par la voix alors là, ils sont juteux et succulents  ! Chançards, ce livre vous offre cette aubaine : il est accompagné d’un CD où l’immense et mythique Monique Dorsel lit intégralement le livre. Oui, notre Monique Dorsel de toujours, la pythonisse de la rue d’Écosse. Ces 8 et 15 décembre, jours de grève, je suis parti à pieds au boulot, avec dans les oreilles La Dorsel lisant Jo Dustin. Croyez-moi, dehors, humidité, froidure et grisaille, mais non dedans ma tête ni dans mon cœur ! « Quand j’étais pomme d’api/Dans l’abri du carreleur Chose/J’écoutais la catastrophe mélangée au rosaire/La poussière fleurait l’avenir/Maintenant je regarde les oiseaux tombant/Dans les récipients inox de la consomme/Ma sœur me dit : pourquoi fais-tu de la politique ?/ Un dernier fourgon charitable vend un plein lot de Saint Martin/ La politique c’est sale… ça pue le rouge  !/Et tombent les pélicans, les autruches, les casoars/Dans les casseroles blindées. Sécurité baïonnette/L’histoire m’a vacciné… » n

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lire anne gielczyk

Les tribulations du diamantaire Flip, flop

tessa parzenczewski

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lle a vécu dans l’ombre mais a toujours écrit. Esther Kreitman, la sœur aînée d’Isaac Bashevis Singer et d’Israël Joshua Singer écrivait elle aussi en yiddish. (voir Points critiques n° 341 de décembre 2013). Petit à petit l’œuvre, ténue, remonte à la surface. Deux romans, un recueil de nouvelles. En 1944, paraît Le diamantaire, dans l’indifférence. Certains livres sont morts-nés. 70 ans se sont écoulés et aujourd’hui Gilles Rozier lui redonne vie, en français. En 1912, Esther Singer épouse Abraham Kreitman, tailleur de diamants, le couple s’installe à Anvers. En 1913, peu avant la guerre, ils émigrent à Londres, comme beaucoup d’autres Juifs du monde diamantaire. C’est ce monde qu’évoque Esther Kreitman. À grands traits incisifs, elle campe toute une mini-société et braque son objectif sans pitié sur une figure qui lui semble incarner la quintessence même du pouvoir et de l’arrogance que confère l’argent, le diamantaire Berman. Venu du shtetl, d’une pauvreté extrême, Guedalia Berman occupe le sommet de la pyramide du diamant, négociant. Aux étages inférieurs s’affairent, selon une hiérarchie rigide, tailleurs, polisseurs, cliveurs, et légèrement au-dessus, courtiers. L’auteure met à nu les codes et les ruses, toutes les stratégies sous-jacentes qui régissent les relations d’affaires. À la Bourse du diamant, les enveloppes s’ouvrent et circulent, les pierres précieuses, éclatantes,

passent de mains en mains, suspicions, marchandages. En bout de parcours, elles brillent aux oreilles, aux cous, aux doigts des épouses prospères. L’opulence démonstrative, les rapports de classe, l’arrogance des uns et l’obséquiosité des autres, Esther Kreitman ne laisse rien passer, mais au-delà du paysage social, elle isole quelques personnages,

les fait vivre, raconte leur histoire intime : Leybush, plongé dans la lecture de Marx, communiste déjà au shtetl, qui contre vents et marées, continue de créer de petits cercles pour prêcher la parole révolutionnaire, David, le fils de Berman, révolté contre son père et amoureux de la femme de Leybush, Jeannette, sa sœur, qui mène une vie libre, avorte, avant de rentrer dans le rang et d’épouser un vieux mais riche. Et la religion omniprésente, avec tous les signes extérieurs qu’il ne faut surtout pas abandonner sous peine

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d’exclusion. Puis des marieurs partout, pour vanter les dots. Et la femme dans tout ça ? Soumise, effacée, humiliée, comme l’a été Esther Kreitman depuis sa naissance, mise en nourrice et abandonnée dans son berceau sous une table, puis astreinte aux tâches domestiques mais luttant pied à pied pour conquérir les livres, écrire. Vivant dans des mondes parallèles, Juifs et Flamands ne semblent guère se fréquenter, mais l’auteure s’aventure parfois dans l’univers voisin, décrit la kermesse, la fête où tout est permis et où vivent les couleurs. Elle a longtemps été la sœur de…, aujourd’hui, on découvre finalement une écrivaine à part entière, au style très réaliste mais qui dans certains passages dépasse la description minutieuse pour passer carrément au registre expressionniste. Sensible aux inégalités, Esther Kreitman fustige, dénonce, jusqu’à évoquer, dans ces pages, la misère des mineurs noirs en Afrique du Sud, le premier chaînon du commerce du diamant. En 1944 ! Il n’y a pas d’échappatoire, de lumière dans ce récit dense, mais c’est dans cet univers plombé comme le ciel sur Londres, qu’a vécu Esther Kreitman : Une bâche grise qui ne ressemblait en rien à un ciel avait été comme tendue, si basse qu’on aurait pu craindre de s’y taper la tête. n Esther Kreitman Le diamantaire Editions Calmann-Lévy Traduit du yiddish par Gilles Rozier 436 p., 25,70 €

C

e matin de bonne heure, et comme je m’attelais – enfin – à la rédaction d e mes Humeurs, coup de sonnette. Qui vient m’embêter à cette heure-ci, bon sang ? J’ai un article à écrire et je suis déjà en retard ! C’est donc d’un « allo?! » qui ressemblait fort à un aboiement que j’ai répondu au parlophone. Deux étages plus bas, une voix douce et féminine me demande si j’ai quelques minutes à lui consacrer pour répondre à quelques questions concernant les événements des derniers jours et quelle en est l’influence sur ma vie. Une petite séance psy par parlophone ? Un sondage ? De porte à porte, bizarre. Et, qui êtes-vous ? m’enquérais-je. Je suis Isabelle. Enchantée, mais ce n’était pas le sens de ma question, au nom de quel organisme effectuezvous ce sondage ? Au nom de ji double vé point orgue. Oui, mais encore ? Suivit alors une phrase qui contenait « les saintes écritures ». Isabelle sortait du bois et moi, j’ai fait ce qu’elle essayait de parer depuis le début, j’ai coupé court d’un « non merci, ça ne m’intéresse pas du tout », une phrase qui se veut définitive et que je dégaine chaque fois qu’on veut me vendre quelque chose par téléphone. Sur quoi je m’en suis allée googeler ce JW.org. Et je suis tombée sur Jehovah Witnesses, c’était donc eux ! Fini donc les « Témoins de Jéhovah »,

désormais, c’est JW.org qui vient sonner à votre porte. Parce que les mots, ça compte. Prenons le mot « Charlie » par exemple. Est-ce que je suis Charlie ? Ça dépend. Disons que j’étais Charlie le soir du 7 janvier, place du Luxembourg, où je découvrais d’ailleurs les petites pancartes noires. Je l’étais encore à la manifestation du dimanche 11 janvier à Bruxelles et un peu moins après avoir vu les Netanyahu, Erdogan, Bouteflika, Ali Bongo, et autres prédateurs de la liberté de par le monde, manifester à Paris contre la barbarie et pour la liberté d’expression. Je suis et je ne suis pas Charlie. Je flipfloppe.

C

’est quoi « flipflopper » ? Flipflop, c’est le bruit que fait le commutateur quand vous allumez et éteignez la lumière. Flip, flop, flip, flop. C’est du néerlandais et ça veut dire, aller de l’un à l’autre, louvoyer. Ainsi Bart De Wever est d’avis que le CD&V, quand il propose un tax shift vers les revenus du capital, « flipfloppe » à gauche. Mais attention, la N-VA n’est pas le parti des riches, s’exclame-t-il quelques jours et quelques points de (dé) popularité plus tard. Et, oui, la N-VA est prête à envisager une réforme fiscale, car la N-VA, s’il faut en croire son nouveau slogan, est désormais « le moteur du progrès ». Flip,

flop. Geert Bourgeois (ministreprésident flamand, N-VA) est invité au Cercle de Lorraine. Il croit en « la force positive de l’élite », entendez, qu’elle soit flamande ou francophone. Applaudissements nourris d’un public (francophone) enthousiaste. D’ailleurs la N-VA apprend le français. Le Soir s’en étonne: « comment expliquer ce virage des nationalistes » ? « Virage », vraiment ?

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out ce flipflop, c’était avant Charlie. Depuis, Jan Jambon est parti en immersion exercer son français à Paris, avec la crème de la crème des décideurs européens, au cœur du pouvoir, celui de l’Intérieur et de la Sécurité. Le même Jan Jambon, à la radio flamande se félicite de l’issue de l’« opération de nettoyage» (opkuisactie) à Verviers , « ils ont fait de l’excellent travail, tout est rangé ». La N-VA a retrouvé ses marques. Bart De Wever, bourgmestre, fait venir les paras à Anvers, Bart De Wever, président, est de retour sur tous les plateaux télé de Flandre pour défendre une « répression juste ». Et Liesbeth Homans, ministre de l’Intérieur en Flandre, le clame haut et fort : la radicalisation et les discriminations, ça n’a rien à voir. O ​ n n’est pas le « moteur du progrès » pour rien. n

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regarder Georges Wolinski (1934-2015). Le bonheur de vivre roland baumann

L

Cabu et Wolinski. L’assassinat des vieux dessinateurs de Charlie Hebdo, « dernier vestige d’un temps révolu», marque la disparition d’ultimes protagonistes de cette grande époque du dessin engagé, née « dans la fureur joyeuse des années 1960 glissant vers 68 ». Cabu et Wolinski, ces «  clowns libertaires » qui « se moquaient du monde à coups de crayons »2, figures tutélaires de la grande tradition française d’un dessin humoristique et engagé, ancré dans la réalité de son temps et d’esprit résolument irrévérencieux, libertaire et laïque. Wolinski, le « doyen de Charlie Hebdo  », une «  mythologie française  » : «  Wolinski et ses dragueurs si joliment fourbes. Wolinski et ses amants drapés dans les plis des nuits À la manifestation bruxelloise du 11 janvier. blanches. Wolinski et Photo Jean-Pierre Gilissen ses petites nanas au pacotille, marquera-t-il le bas- pas si alerte. Les courbes des filles culement d’un monde et la fin de de Wolinski. Ces arrondis parl’angélisme contre le djihadisme ? faits, tout droit surgis des années Cet abominable attentat m’incite Pompidou. Comme on lui pardonà honorer la mémoire d’un grand nait tout ! Le grand écart entre humoriste juif qui, tout au long de Match et l’Huma, les pubs, tout ! »3. son oeuvre, « dessinait une utopie Pour Claude Cabanes, ancien rédu bonheur »1. dacteur en chef de L’Humanité : ’assassinat collectif perpétré le 7 janvier par les frères Kouachi, voyous sanguinaires agissant au nom d’un islamisme de

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« Dans les années 1970-1980, ses dessins à la une de L’Huma éclaboussaient le lecteur de leur drôlerie, de leur vérité, de leur bonté, parfois de leur cruauté comme un rayon de soleil. Il n’y avait pas homme plus libre que lui »4. Dans son récit graphique Pitié pour Wolinski (2010), le grand créateur évoque la première rencontre de ses parents au grand café du casino à Tunis, en février 1929. Sa maman, une « petite brune », travaille à l’époque dans la pâtisserie familiale. « Ziegfried Wolinsky » dont la famille «  avait une usine en Pologne » est parti à l’aventure, à 15 ans, en Allemagne et en France. Mousse sur un bateau de guerre russe, la révolution l’incite à jeter son sac à terre. Des Balkans en Palestine, puis au Maroc, l’élégant Juif polonais arrive à Tunis. Une fois marié, il monte une usine de ferronnerie d’art et décore le magasin de son beau-père. Les commandes affluent et «  fuyant les pogroms » toute la famille de Ziegfried débarque à Tunis. Vient la crise et en 1936, avec les lois sociales et les congés payés, l’industriel mis en difficulté, doit licencier une partie de son personnel. L’un des ouvriers congédiés, militant communiste, surgit dans son bureau et exige d’être réembauché. Il est armé. Une vieille coupure de presse relate les suites de cette confrontation : tombé sous les

balles de son ex-ouvrier, Ziegfried décède le lendemain. Et le parti communiste « fait venir un bâtonnier de France pour défendre l’assassin du patron ». Comme le remarque Wolinski après avoir décrit cet épisode tragique de sa toute petite enfance : « ça ne m’a pas empêché de dessiner dans L’Humanité, le journal du parti communiste ». Le petit Georges sera élevé par ses grands-parents maternels. La disparition tragique du père est en effet suivie du départ de la mère, déclarée tuberculeuse après la mort de Ziegfried et envoyée en sanatorium en France. Après la fin de la guerre, Georges rejoint sa mère à Briançon où elle s’est remariée. C’est à partir de 1958 qu’il publie ses dessins. Son entrée dans l’équipe de Hara-Kiri en 1960 marque le début de sa prodigieuse carrière de dessinateur de presse. Autofiction satirique, à la fois décapante

et très émouvante, Pitié pour Wolinski exprime l’amour de la vie de l’auteur, son goût pour l’autodérision, sa lucidité et sa profonde honnêteté, ainsi lorsqu’il se souvient de l’agonie de sa première épouse, décédée en 1966 des suites d’un accident de voiture : « à son enterrement, tous mes amis d’Hara Kiri étaient là : Cavanna, Choron, Gébé, Cabu, Reiser [...] etc... je pleurais. Je ne suis jamais retourné dans ce putain de cimetière ! Je déteste les enterrements. D’ailleurs, j’ai décidé de ne pas aller au mien ! » Je n’évoquerai pas ici ses grandes oeuvres, pas plus que je n’analyserai son style inimitable, associant avec truculence l’art séculaire de la gauloiserie à l’irrévérence libertaire. D’autres amateurs de son art, fins connaisseurs de son oeuvre le feront bien mieux que moi. Mais je me souviens avec nostalgie égrillarde des aventures érotiques délirantes de la si charmante Paulette dessinées par Pichard et dont il fut le scénariste pour le Charlie mensuel, ou encore de ses illustrations dans ce petit Kama Soutra 1970 à la couverture si emblématique d’une grande époque d’émancipation. Je le revois aussi en « conspirateur »

avec Cabu, Charon, Cavanna... dans L’an 015 (1973), ce film symbole des années de la « contestation » après Mai, dans lequel les protagonistes d’Hara-Kiri, fondateurs de Charlie Hebdo6 tiennent avec tant d’autodérision les petits rôles d’une clique de réactionnaires complotant pour le rétablissement du capitalisme et du port de la cravate ! n

Maurice Ulrich, « Wolinski savait dessiner le bonheur de vivre », L’Humanité, 8 janvier 2015, p. 13 2 Judith Perrignon, « Bande à part », M Le magazine du Monde, 17 janvier 2015, pp. 21-29. 3 Daniel Schneidermann, « Cabu et Wolinski, nos tours jumelles », Libération, 12 janvier 2015, p. 37. 4 L’Humanité, 8 janvier 2015, p. 13. 5 Film adapté de la bande dessinée de Gébé et réalisé par Jacques Doillon, Gébé, Alain Resnais et Jean Rouch. 6 Wolinski fut rédacteur en chef du « premier » Charlie-Hebdo en 1970-1981. 1

1979, Albin Michel (réédité par France Loisirs en 1982)

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réfléchir Le sionisme dans tous ses états jacques aron

S

’il est un domaine dans lequel se marque l’influence grandissante des hommes dans l’évolution générale des choses, aléatoire et imprévisible, c’est bien dans l’accélération des mutations sociales, avec son corollaire, un sentiment de l’accélération irréversible du temps et de l’urgence des rectifications à apporter au monde tel qu’il va. Il y a à peine plus de dix ans, je publiais ce que j’avais sous-titré « essai sur le destin d’Israël » : Le sionisme n’est pas le judaïsme1. Sous ce titre emprunté à la correspondance d’un militant sioniste, Hans Kohn, avec Martin Buber, je tentais une esquisse historique mettant en parallèle le développement de l’antisémitisme européen, et singulièrement allemand, avec sa réponse sioniste, pensée et voulue comme solution à une prétendue «  question juive  » issue de l’émancipation révolutionnaire. Débordant du débat interne aux communautés juives sur le réalisme ou les chances de succès de l’entreprise de « retour » à Sion, Kohn avait été parmi les premiers acteurs de terrain à pointer l’inéluctable montée du nationalisme arabe, puis palestinien, et à transférer en quelque sorte la question juive européenne sur une « question arabe  » au Proche-Orient, bien plus déterminante pour

l’avenir de cette région. Je concluais mon livre sur une note plus personnelle, fondée non seulement sur cette enquête historiquement documentée mais aussi sur une histoire familiale : « Je ne serai jamais sioniste. Mais mon admiration va, depuis que certains Juifs ont cru trouver dans cette voie un remède à l’oppression ou à la misère, à tous ceux parmi eux qui résistent opiniâtrement à la contagion de l’ethnocentrisme raciste de leurs pires persécuteurs. Ce combat-là peut et doit être mené partout. Ma judéité et ma solidarité avec d’autres Juifs ne reconnaissent que cette frontière.2 » Je persiste et signe. Il y eut dans ma famille des militants du sionisme politique laïque (au sens de la séparation revendiquée de la synagogue et de l’État en projet), et non des moindres. Ils doivent aujourd’hui se retourner dans leur tombe, si la rumeur devait leur parvenir de tout ce qui se dit et s’écrit au nom de leur doctrine – que, comme d’autres proches parents en leur temps, démocrates libéraux, socialistes ou communistes, je ne partage pas, mais que je peux encore comprendre dans les circonstances qu’ils ont connues. Tandis que je poursuivais la collecte de documents et de témoignages qui prendraient place

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dans mon essai, je visitai à deux reprises Israël. C’était bien avant les guerres du Liban ou les bombardements de Gaza, mais déjà la haine envers les Palestiniens était palpable. À Jérusalem, j’avais vu les ouvriers palestiniens qui venaient, encore nombreux, des Territoires gagner leur croûte en Israël et qui étaient identifiables à la plaque bleue de leurs véhicules, se faire traiter d’Hitler et autres noms d’oiseaux. Depuis lors, la colonisation ininterrompue des partisans du « Grand Israël » et le morcellement systématique d’un État palestinien théoriquement à naître ont créé une situation de plus en plus tendue et quasi insoluble. L’histoire passée ne s’écrit jamais qu’à partir du présent. Si j’avais dû écrire mon livre à l’heure actuelle, il me paraît évident que j’aurais davantage mis en valeur les ferments anciens de la colonisation radicale d’une droite politique et/ou religieuse, déjà inscrits dans les racines et l’histoire même du mouvement sioniste. Et la propagande israélienne qui martèle jour après jour son équivalence mensongère : antisionisme = antisémitisme m’aurait certainement incité à accorder plus de place à l’opposition juive interne à cette fuite devant le combat politique local que constituait le sionisme.

Avec ses inévitables compromis et ambiguïtés avec les pires ennemis des Juifs dans leurs pays respectifs. Le poids politique de ces colons sur la société civile israélienne est devenu le grand obstacle au déblocage d’un conflit qui s’enlise au surplus dans un courant religieux charriant l’irrationalité profonde de toutes les croisades. À côté du sionisme officiel porté par l’Agence juive, une officine paraétatique subventionnée pour soutenir une immigration qui se tarit, des activistes de terrain se revendiquent du projet sioniste, dont la version actualisée ne peut plus être comprise que comme un retour aux revendications les plus extrêmes : les frontières d’un Grand-Israël biblique. Début décembre, Le Soir3​ ouvrait ses colonnes aux discours

déments de la Sybille d’Efrat, qualifiée de « Belge » et de « dynamique Anversoise », une certaine Nadia Matar : « En 1947, on a accepté le cœur lourd la présence des Arabes », écrit cette ignorante exaltée née vingt ans après. Et celle qui prêche dans certaines synagogues américaines de pointer le nouvel ennemi commun d’Israël, de l’Europe et des États-Unis : la guerre de l’Islam contre le monde judéo-chrétien. Comment les propos de ces fous (et folles) du Dieu (des armées) peuvent-ils trouver chez nous écho à leurs divagations sur un « Occident » fabulé ? N’en sous-estimons pas l’impact à l’heure où se répand complaisamment une idéologie sournoise et vide – bien que relayée parfois avec talent et humour noir – du déclin, du suicide ou de la soumission d’une Europe décadente, sans projet et sans ambition. Comme toutes les identités absolues, cet « Occident » est absolument vide, et ne sert qu’à masquer sous son essence imaginaire les sociétés réelles et leurs différences internes. À chacune de ces identités fantasmées correspond un adversaire tout aussi fantasmé. Ce ressort puissant de toutes

les guerres passées et présentes au nom du Bien (nous) contre le Mal (eux), ne se combat pas à coup de discours moralisateurs. Quand, comme en Europe, les frontières physiques s’effacent, les frontières et clôtures mentales prennent davantage d’importance. Les alliances et les ponts qui se nouent contre ces fausses « solidarités » sournoisement insinuées dans les esprits sont déjà nombreux  ; ils sont l’enjeu majeur d’une autre Europe, d’un autre monde. D’abord plus égalitaire et plus solidaire économiquement et socialement. Sans complaisance pour toutes les plumes serviles de l’empoisonnement et de l’emprisonnement des consciences. La domination du «  marché  » (autre absolu désincarné) va aujourd’hui de pair avec la jouissance cynique du repli individualiste. L’absence d’alternative ne sert qu’un petit nombre de nantis – mais les sert encore bien. Ailleurs elle tue, chez nous elle exclut ; partout elle assombrit l’horizon. n

Didier Devillez Éditeur, Bruxelles, 2003, avec un avant-propos de Pierre Mertens. 2 Idem, p. 297. 3 Le Soir, 4 décembre 2014, p. 15 : Ludivine Ponciau, « C’est l’Islam contre nous et vous ». 1

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philosopher Le manteau de Spinoza, Judaïsme et Révolution d’Ivan Segré jérémy Grosman*

I

van Segré nous offre à lire deux étranges objets, parus coup sur coup aux éditions la Fabrique. Ces deux objets quasi inséparables, respectivement intitulés Le manteau de Spinoza (mai 2014) et Judaïsme et Révolution (octobre 2014), exigent et suscitent une lecture frénétique. Une écriture, d’abord, drôle et provocante habite les deux livres. Les longues chaînes de raisons qui tissent l’argument interdisent toute interruption. Ce fil ténu, irrémédiablement suivi, tient quelque chose de l’épopée, dont l’issue n’est pas à l’avance fixée. Le lecteur court, haletant, s’esclaffe lorsqu’un coup de force argumentatif surgit et parfois s’effraie de ne jamais arriver à destination. Une comédie dont les répliques sont des arguments, une épopée dont le héros est un raisonnement, la véritable force de ces livres est d’avoir fait de la philosophie une affaire publique, quelque chose dont tout le monde peut s’emparer : il n’est demandé au lecteur rien d’autre que de savoir lire. Quelle trajectoire trace donc ce double projectile ? Un de ses précédents livres, La réaction philosémite, entendait déconstruire un discours de haîne, véhiculé par un certain courant réactionnaire, duquel certains « intellectuels juifs » se faisaient porte-voix. Ivan Segré montrait alors le caractère essentiellement accidentel de la relation unissant, chez

ces gens là, réaction et judaïsme. Dans Le manteau de Spinoza, il propose de démontrer le lien qu’il est possible d’établir entre révolution et judaïsme. Prolongeant l’argument, son dernier livre affirme que judaïsme et révolution ne sont pas seulement « compatibles », mais qu’une lecture rigoureuse du texte biblique contient en elle une pensée de la révolution. Cette réflexion philosophique et talmudique en deux tomes s’inscrit dans un débat plus large de philosophie politique, qui se cristallise autour de la figure du « Juif Paul », Paul de Tarse. L’interprétation qu’en proposent A. Badiou, G. Agamben, S. Zizek serait, au sens d’Ivan Segré, « désastreuse, pour le judaïsme, comme pour la révolution, car elle abandonne à la Réaction la lettre mosaïque pourtant inouïe » (2014b:107). Avant de poursuivre dans cette direction, tentons d’esquisser les lignes de forces qui paraissent structurer chacun des deux livres. Le manteau de Spinoza se divise en deux parties. La première partie, intitulée : « Le philosophe, l’élection et la haine. Spinoza et les théoriciens ‘bourgeois’ » entreprend une discussion contradictoire, parfois virulente, mais jamais violente, avec Jean-Claude Milner, au sujet de sa thèse exposée dans Le sage trompeur. Libres raisonnements sur Spinoza et les Juifs (2013). En quelques mots, celui-ci soutient que Spinoza, organisant la disparition du nom

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« Juif », défendrait ainsi la nécessité d’une « persécution parfaite », des Juifs. Loin d’être contingente, cette divergence de lecture exprime, selon Ivan Segré, une divergence de pensée essentielle, qu’il caractérise au travers de l’opposition entre ce qu’il appelle un théoricien «  bourgeois  » et un théoricien « ouvrier » du nom « Juif ». La contradiction entre les deux se joue dans la relation que chacun entretiendrait à la Loi : « Le maître viole la lettre, l’esclave s’y assujettit, et vice-versa : ils sont l’envers et l’endroit d’une même nudité. Mais il est un troisième homme, qui vit sous la conduite de la connaissance » (2014a:98). La seconde partie du livre, intitulée « La Bible de Spinoza » se fixe précisément pour objectif de penser en direction de ce troisième homme. Au travers d’une longue discussion avec des auteurs comme Maïmonide, Spinoza et Strauss, Ivan Segré tente de penser un judaïsme qui ne se comprendrait pas comme une obéissance à la Loi, mais comme une exigence de connaissance, de philosophie. À un judaïsme pensé sur le mode de la soumission, se substituerait alors un judaïsme de l’émancipation. Poursuivant ce geste, Judaïsme et Révolution s’ouvre sur une définition précise des deux noms composant le titre : « Par ‘révolution’, nous l’avons dit, nous entendons une politique dont la finalité est la disparition de la domination

et de la servitude dans la structure même du social » (2014b:29). Moins définitoire, la première définition de «  judaïsme  », apparaît malgré tout comme stricte : « Par judaïsme, nous entendons un corpus de textes, ceux de la tradition rabbinique » (2014b : 30), ensuite, il nuance « Plus qu’un corpus défini [la Bible et le Talmud], délimité, la culture rabbinique désignerait un esprit, une démarche, une méthode, dont la finalité serait de susciter des dépassements, des franchissement, des rencontres » (2014b:31). Un peu plus bas, il poursuit et paraît envisager une autre relation possible au judaïsme : «  Un trait essentiel du judaïsme est sans doute, en termes subjectifs, le sentiment d’appartenance à une minorité, plus qu’à une religion ou une nation. » (2014b:31-32). Tout l’enjeu du livre est de faire de ce sentiment subjectif une «  détermination conceptuelle et agissante ». Mardochée, à qui Ivan Segré consacre une superbe lecture talmudique, en fournit la figure paradigmatique. Au livre d’Esther, Mardochée refuse de se prosterner face à Aman, conseiller d’Assuérus, roi d’un immense empire, Ivan Segré analyse : « Le Talmud interroge la généalogie exposée dans le verset. Elle pose problème : si Mardochée est appelé yehudi (juif ou judéen), c’est donc qu’il descend de la tribu de Yehuda, et non de la tribu de Benjamin. Le verset est contradictoire : ‘un homme juif (...) de la tribu de Benjamin’. Qu’est-ce à dire ? Rabbi Yohanan explique : ‘Il appartenait à la tribu de Benjamin et pourquoi l’appelle-t-on ‘juif’ ? Parce qu’il disait ´non´ à l’idolâtrie, or quiconque dit ´non´ à l’idolâtrie est appelé ´juif´, ainsi qu’il est écrit : ´il y avait des hommes juifs’, etc. (Daniel 3:12) [...] C’est que le Talmud est concis,

et que tout réside dans le très prosaïque : ‘etc.’ » (2014b:233). Je résume la suite. Aman n’est pas une idole, mais le représentant d’un roi, d’un imperium. Mardochée ne refuse donc pas tant l’idolâtrie, que d’obéir absolument à un commandement. C’est de ce nom « Juif », de cette détermination conceptuelle et agissante, universelle et révolutionnaire, qu’Ivan Segré nous propose d’hériter1.

Mais, une question s’impose, que gagnerait la révolution à hériter du judaïsme ? Il n’est pas sûr qu’une réponse complète soit présente dans les pages déjà écrites. Une piste claire paraît cependant avoir été indiquée, dans le dernier chapitre de son dernier livre. Il y écrit : « L’action révolutionnaire est pensée dans les termes de la politique telle qu’elle est née de l’Etat gréco-romain ». Cette politique est frappée du sceau de l’imperium de la lettre, i.e. de la soumission à la loi, prise littéralement. Or voilà le déplacement que Ivan Segré nous invite à penser : le passage

d’une loi impériale à une « éthique hors la loi » – le sous-titre même du Manteau de Spinoza. Et ce qui lui permet de problématiser ce passage, c’est le Talmud dont la Yeshiva fournit la métaphore : « Car un beth ha-midrash, une maison d’étude juive, c’est une vaste salle dans laquelle des dizaines d’élèves, réunis deux par deux, face à face, étudient les enseignements des maîtres d’Israël, c’est-à-dire raisonnent, disputent, hurlent, ruent, mais aussi dorment, mangent, rient, pleurent, chantent, dansent et apprennent tout ensemble, tous ensemble » (Prologue de Judaïsme et Révolution). Voilà le Talmud en acte. Dans l’empire grec (ou romain), les archontes avaient pour charge l’administration des lois écrites, archivées et surtout codifiées. Le Talmud, lui, uniquement oral à ses origines, n’existerait que comme source « disparaissante » toujours ravivée dans un débat raisonné contradictoire. Or, la condition de possibilité d’un tel débat réside précisément dans le « refus d’acquiescer à l’absoluïté littérale », elle relève d’une insoumission originaire à la Loi. Mais notre question semble insister : quelles conclusions la révolution pourrait-elle en tirer ? n

Détail d’importance concernant la portée de cet argumentaire, Ivan Segré note que ce passage constitue, dans le Talmud, le seul endroit, à sa connaissance, « qui porte explicitement sur la signification de ce nom : ‘juif’ » (2014b:232).

1

*Jérémy Grosman poursuit actuellement une thèse de doctorat à l’université de Namur. Ses recherches interrogent l’algorithme depuis une philosophie politique des techniques.

Ivan Segré a présenté ces deux ouvrages à l’UPJB le 26 janvier.

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! ‫יִידיש ? יִידיש‬

Yiddish ? Yiddish ! par willy estersohn

‫דער צװײער‬

Traduction Maman envoie son garçon aux commissions :/Ne te laisse pas pigeonner !/Rapporte pour deux sous de limonade,/Et pour deux sous de pétrole. Maman envoie son petit garçon en mission/Et ce n’est pas de la rigolade :/Une pièce de deux dans la main gauche,/Une pièce de deux dans la main droite. Oui, mais comment faire pour se rappeler/Ô, Dieu du ciel, Dieu fidèle,/ Que pour la droite est la limonade,/ Et pour la gauche – le pétrole ?

Der tsveyer La pièce à deux sous Nous retrouvons Miryam Ulinover (Lodz [Pologne], 1888 – Auschwitz, 1944) dont nous avons avons déjà publié ici deux poèmes. Dès l’âge de 15 ans, l’auteure rédige ses premiers poèmes en polonais, russe et allemand. C’est en 1922 que parait à Varsovie son recueil en yiddish Der bobes oytser (Le trésor de grand-mère). Ce recueil ainsi qu’une cinquantaine d’oeuvres dispersées ont été traduits en français par Batia Baum et publiés en 2003 par la Bibliothèque Medem (Paris), en édition bilingue, sous le titre Un bonjour du pays natal. Miryam Ulinover fut déportée alors qu’elle préparait la publication d’un deuxième recueil en yiddish. Le manuscrit ne sera jamais retrouvé.

Trad. Batia Baum

– ‫דאס בחורל‬ ָ ‫מאמע שיקט‬ ַ ‫די‬ bokherl dos

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remarques

‫ בחורל‬bokherl : diminutif de ‫ בחור‬bokher (hébr.) = garçon (les diminutifs des substantifs sont neutres). ‫ֿפרַײער‬ frayer = pigeon (dans le sens argotique : celui qui se fait plumer) ; ‫ פרַײ‬fray = libre, réjoui, non pratiquant. ‫ צװײער‬tsveyer = billet ou pièce de deux (le nom de la monnaie est sous-entendu). ‫ געלעכטער‬gelekhter = rire ; chose risible (‫ לַאכן‬lakhn = rire). ‫ גָאטעניו‬gotenyu (de ‫ גָאט‬got = Dieu) ; ‫ ניו‬nyu = suffixe marquant l’affection. ‫ געטרַײ‬getray = fidèle, dévoué. février 2015 * n°353 • page 17


activités club Sholem-Aleichem

vendredi 27 février à 20h15

Sauf indication contraire, les activités du club Sholem Aleichem se déroulent au local de l’UPJB tous les jeudi à 15h (Ouverture des portes à 14h30)

Le sionisme en questions

Jeudi 5 février

Conférence-débat avec

Projection du film de Roger Beeckmans, Une si longue histoire, celle des MENAS, les Mineurs Étrangers Non Accompagnés. Roger Beeckmans a été d’octobre 1956 à janvier 1994, cadreur, directeur photo, journaliste d’images et réalisateur à la RTBF. Depuis 1994 jusqu’aujourd’hui, il est réalisateur indépendant d’une série importante de documentaires produits avec image Création.com. De 1995 à 2001, il est réalisateur du magazine pour sourds et malentendants « Tu vois ce que je veux dire ». De 1975 à 1995, il est chargé de cours à l’INSAS sur les techniques de reportage et de 1996 à 2002 à l’Institut pour journalistes à Bruxelles. Très longue et riche carrière donc pour Roger Beeckmans, qui nous fera le plaisir d’être présent et de participer au débat qui suivra la projection.

Jeudi 12 février

Jacques Aron, architecte et essayiste nous revient, après sa conférence de décembre. La judéité allemande d’avant le génocide constitue sans doute la minorité la plus créative et productive du pays, alors qu’elle ne représente que 1% de sa population. Poursuivant l’exploration de ses manifestations méconnues, Jacques Aron s’attachera à la personnalité du Dr Felix Theilhaber (1884-1956), prix de l’hygiène raciale 1914 pour son livre : « Le préjudice porté à la race par l’ascension sociale et économique, démontré à l’exemple des Juifs berlinois ».

Jeudi 19 février

Relâche. Congé de Carnaval

Jeudi 26 février

Profil sociolinguistique de la communauté juive anversoise par Barbara Dickschen, philologue romane (VUB), chercheuse à la Fondation de la Mémoire contemporaine et collaboratrice scientifique du Centre Interdisciplinaire d’Etude des Religions et de la Laïcité (CIERL-ULB). « Implantée depuis fort longtemps et participant activement à sa vie socio-économique, la population juive d’Anvers n’a toutefois eu de cesse de cultiver le quant-à-soi communautaire et cette attitude s’exprime notamment dans ses choix linguistiques. Si des chiffres précis nous font défaut, force est de constater que le français, plus que le néerlandais, constitue pour la majorité des Juifs anversois la langue usuelle. Nous nous pencherons sur cette réalité linguistique à travers le prisme de l’enseignement organisé au sein de cette même communauté. Nous verrons que le choix de la langue de scolarisation fut au centre de débats parfois houleux, rendant compte de la relation particulière qui s’est établie peu à peu entre une minorité fonctionnant selon ses propres codes et son environnement direct. »

Au Service Social Juif, 68 avenue Ducpétiaux à 1060 Bruxelles samedi 28 février de 14h à 18h30 Activité ouverte à tous les rescapés du Génocide des Juifs et des Tutsis ainsi qu’à leurs descendants Transmission et Génocide : Quels effets pour les survivants du Génocide des Juifs et du Génocide des Tutsis par Adeline Fohn, psychologue clinicienne, docteur en psychologie-UCL Inscription obligatoire par téléphone au 02.538.81.80 ou par e.mail à : vlipszstadt@servicesocialjuif.be avant le 23 février

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Pierre Stambul L’interminable conflit israélo-palestinien est-il insoluble ? Pourquoi le type de compromis qui a pu être réalisé en Afrique du Sud ne se produit-il pas au Proche-Orient ? Pourquoi la colonisation estelle devenue le centre de la politique israélienne avec aujourd’hui plus de 10% de la population juive israélienne vivant au-delà de la « ligne verte » ? Pourquoi l’extrême droite la plus brutale et la plus raciste est-elle devenue si puissante en Israël ? Pourquoi le « complexe de Massada » (de la « citadelle assiégée ») fonctionne-t-il si bien en Israël et dans les communautés juives organisées? Selon Pierre Stambul, on ne peut répondre valablement à ces questions sans s’intéresser au sionisme. Cette idéologie ne peut être considérée comme « une question d’histoire devenue sans intérêt puisque l’État d’Israël existe ». Il considère au contraire que le projet sioniste est plus que jamais à l’œuvre. Peu de temps avant la fin de sa vie active (2006), Ariel Sharon affirmait encore : « la guerre de 1948 n’est pas finie ». Israël n’a pas de frontières claires et le projet de nier l’existence des Palestiniens, de les « transférer » au-delà du Jourdain ou d’en faire les « Indiens » du Proche-Orient parqués dans leurs réserves est plus que jamais à l’œuvre. Le sionisme se veut une réponse à l’antisémitisme. Mais, pour Pierre Stambul, il ne combat pas l’antisémitisme mais s’en nourrit. L’adhésion au projet sioniste a longtemps été minoritaire dans les communautés juives européennes. Comment l’expliquer ? Et pourquoi jouit-il, depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, du soutien de la majorité des Juifs européens et américains ? Comment expliquer aussi le soutien quasi sans faille dont bénéficie l’État d’Israël de la part des dirigeants européens et nord-américains malgré son comportement manifestement illégal du point de vue du Droit international ? Une paix durable, fondée sur l’égalité des droits de tous les habitants d’Israël-Palestine est-elle compatible avec le sionisme ? Pierre Stambul nous proposera des éléments de réponses à toutes ces questions. Puis son point de vue sera mis en débat. *Pierre Stambul, enseignant retraité, est co-président de l’Union Juive Française pour la Paix (UJFP), association membre du réseau des Juifs Européens pour une Paix Juste. Il est l’auteur de Israël/ Palestine, du refus d’être complice à l’engagement (Ed. Acratie, 2012) et de Le sionisme en questions, (Ed. Acratie, 2014). modérateur : Michel Staszewski Ligne verte : ligne de cessez-le-feu inscrite dans les conventions d’armistice de 1949 entre Israël et les Etats arabes voisins et séparant, après la ère guerre israélo-arabe et jusqu’à la guerre de juin 1967, le territoire sous souveraineté israélienne de la Cisjordanie et de Jérusalem-est, annexés par la Jordanie.

PAF: 6 €, 4 € pour les membres, tarif réduit: 2 €

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activités

dimanche 8 mars à 16h

dimanche 1er mars de 10h30 à 17h

Atelier créatif collectif Cet atelier propose de partager un moment créatif/récréatif. Nous terminerons la saison par une séance de mosaïque. En quelques heures, vous pouvez découvrir une technique et le plaisir de réaliser quelque chose selon votre idée... Matériel à apporter : support plat (plateau, assiette, sous plat,...), déchets de vaisselle, carrelage, boutons, coquillages, etc... Prochaines dates : 5 avril, 31 mai et 28 juin

Projection de de Fabio

Red Star Line

Wuytack et Daniel Cattier

en présence de Daniel Cattier Entre 1873 et 1934, la compagnie maritime belge Red Star Line a transporté plus de deux millions d’émigrants d’Anvers à New York. Ce qui fait de la Red Star Line une société unique, c’est qu’au cours de sa riche histoire, elle a essentiellement transporté des citoyens de l’Europe de l’Est vers les États-Unis, dont beaucoup étaient d’origine juive. À Ellis Island, l’île située face à New York qui accueillait à l’époque tous les émigrants, des enregistrements ont été conservés avec plus de 2000 interviews de personnes qui témoignent à propos du voyage le plus important de leur vie. Sur base de ces enregistrements sonores authentiques et au travers des témoignages des descendants de ces passagers de la Red Star Line installés aux États-Unis, nous revivons la destinée des émigrants. Nous découvrons pourquoi ces femmes et ces hommes ont tout quitté et comment ils ont essayé de se construire une nouvelle vie dans le Nouveau Monde.

Inscriptions : upjb2@skynet.be Renseignements : bettinabra@gmail.com

introduction : Amir Haberkorn

PAF: 10 € - Petite restauration prévue

PAF: 6 €, 4 € pour les membres, tarif réduit: 2 €

vendredi 20 mars à 20h15 vendredi 6 mars à 20h15 Jacob Israël de Haan Chronique sociale de la Palestine des années 20

Rencontre avec

Eric Monnier et Brigitte Exchaquet autour de leur livre

Retour à la vie

L’accueil en Suisse romande d’anciennes déportées françaises de la Résistance (1945-1947)

Assassiné par la Haganah à Jérusalem en juin 1924, Jacob Israël de Haan a écrit la meilleure chronique de la Palestine des premières années du mandat britannique sous la forme de près de 400 articles pour le quotidien d’Amsterdam Algemeen Handelsblad, complétés par des Quatrains. Ces textes décrivent avec talent, ironie et tendresse la vie quotidienne d’une société qui n’est pas encore clivée par l’affrontement de deux nationalismes antagonistes. Le parcours politique singulier de Jacob Israël de Haan (1881-1924) va du Parti ouvrier socialdémocrate des Pays-Bas à l’Agoudath Israël en passant par la défense des prisonniers en Russie tsariste et le sionisme religieux. Il a été un poète lyrique du peuple juif et du désir homosexuel, un romancier, un juriste, un chroniqueur dont la lecture reste indispensable pour comprendre l’histoire sociale de la Palestine de cette époque. Une anthologie de ses textes a été publiée en français en 2013 sous le titre De notre envoyé spécial à Jérusalem (André Versaille éditeur)

Entre l’été 1945 et le printemps 1947, environ 500 anciennes déportées, la plupart résistantes comme Charlotte Delbo mais aussi quelques Juives, telle Simone Veil, passent plusieurs mois de convalescence en Suisse romande. À l’initiative de Geneviève de Gaulle, de l’Association des déportées et internées de la Résistance (ADIR) et d’un comité d’aide en Suisse, neuf lieux accueillent ces revenantes de Ravensbrück ou d’Auschwitz. C’est cette page peu connue de l’histoire suisse et française mais aussi de l’après déportation que défriche ce livre. Par ailleurs, cet ouvrage retrace les destins de quelques unes de ces femmes, victimes de la barbarie nazie ou des personnes qui les accueillent pour les accompagner dans leur retour à la vie. Les auteurs tentent aussi d’appréhender comment ces rescapées de l’enfer étaient perçues à l’époque par la population et la presse d’un pays épargné par la guerre.

PAF: 6 €, 4 € pour les membres, tarif réduit: 2 €

PAF: 6 €, 4 € pour les membres, tarif réduit: 2 €

par

Laurent Vogel

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courrier [antisémitisme] Suite au dossier que Points critiques a consacré le mois passé à l’antisémitisme, nous avons reçu les courriers de Catherine Buhbinder et Jean-Marie Chauvier. Au premier de ces courriers, nous joignons une courte réponse de Gérard Preszow.

J

e suis sidérée par l’article de Gérard, « La haine du Juif » paru dans le Points critiques que je viens de recevoir. Gérard y relate un projet mené par des jeunes de l’UPJB (plus précisément le groupe des Zola auquel ma fille appartient), sur les mémoires croisées des origines migratoires des jeunes de l’UPJB et de ceux des jeunes de la maison des jeunes du centre ville « L’avenir Anneessens ». C’est une fois le projet terminé qu’on se rend compte (dixit l’article) qu’il y a eu un déséquilibre flagrant entre les jeunes de l’UPJB et les jeunes Maghrébins. Si on avait suivi les jeunes, on s’en serait rendu compte dès le départ ! Pour ma fille, Miléna, ce projet était dès le départ terriblement boiteux et elle s’est bien rendue compte qu’il y avait une dimension qui manquait. Ce pourquoi elle ne l’a pas suivi avec autant de sérieux et de passion que Gérard veut le croire et le présenter. Alors de deux choses l’une : soit on se débrouille, effectivement, pour trouver des jeunes qui sont prêts à y participer. Et je suis absolument convaincue, malgré tout ce que dit notre ami Mohamed Allouchi, que si on veut faire un véritable travail en ce sens, on les trouve ! C’est alors que l’on peut confronter réellement la question des immigrations pour nos communautés respectives et leur sens aujourd’hui. Soit, on ne se lance pas dans ce type de projet qui est beau sur papier, mais qui ne répond pas à la réalité ! Ce qui me pose question est la généralisation, qui en découle, que l’on semble faire, de

l’antisémitisme présumé des Maghrébins. De la même manière que les Juifs de l’UPJB sont très minoritaires et particuliers dans la communauté juive, les Maghrébins progressistes sont également minoritaires, mais ils existent ! Ce que dit Mohamed Allouchi sur l’antisémitisme me semble bien « connu ». Ce que j’aurais aimé entendre sont les nuances réelles que perçoivent et connaissent un ensemble d’autres Maghrébins, peut-être mieux intégrés en Belgique ou plus politisés. S’engager dans un véritable travail de rencontre des deux communautés n’est pas neuf à l’UPJB, c’est la posture et la mission que nous avons toujours suivie. Comme quoi, il me semble particulièrement difficile de faire un constat sur l’antisémitisme, car l’antisémitisme c’est d’abord un combat que nous menons en « travaillant » avec les autres. Qu’un jour, à l’occasion de ce travail, la porte se soit réellement refermée, je pense qu’il faudrait être très prudents pour l’affirmer. n Catherine Buhbinder

S

i Catherine Buhbinder a pu être « sidérée » à la lecture de mon entretien avec Mohamed Allouchi, je l’ai été, pour ma part, par ce qui m’y a incité. Quant au projet auquel il est fait référence, il n’est pas l’objet de la rencontre. Ceci dit, je me réjouirais que Catherine Buhbinder, enseignante, nous fasse part de son témoignage en la matière. n Gérard Preszow

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J

’ai lu le dossier sur l’antisémitisme, avec surprise d’abord (pourquoi ce sujet  ?) puis émotion (c’est donc vrai  ?), intérêt, désappointement. Et après la tragédie parisienne. Y a-t-il montée de l’antisémitisme ? Si vous le dites. Si tant de Juifs partent vers Israël. Si l’on ne peut se promener avec une kippa dans certains quartiers de Bruxelles. C’est horrible. Mais je ne le ressens pas. Je suis mal placé sans doute. Dans mon entourage, « blanc » ou « beur », je ne l’entends pas, cette voix de la haine. Ou rarement. À moins de confondre antisionisme et antisémitisme. Mais comment détecter la confusion sans verser dans le procès d’intention ? Sur un thème qui anime tant de passions ? Il y a effectivement une focalisation sur Israël-Palestine. Et il y a plus de morts en Ukraine orientale qu’à Gaza. Mais admettons que le Proche-Orient est un concentré du chaos guerrier, et que la « Terre sainte » des trois monothéismes n’y est pas pour rien. Quoique, avec Georges Corm, je crois qu’il ne faut pas confondre la nature des conflits avec leurs expressions idéologiques ou religieuses. Restons profanes ! Il n’y a pas de « clash des civilisations ». (laissons ça à Sarkozy) Par ailleurs, le rapprochement avec les années trente ne me paraît pas adéquat. Les Juifs ne sont pas victimes de discriminations, de brutalités, de théories racialistes ou éradicatrices faisant le lit du génocide nazi. Si de telles

tendances se font jour, ce sont les Arabes « musulmans » et les Rroms qui en font les frais. Cela dit sans exclure que la crise du système, comme dans les années trente, ne débouche sur une guerre mondiale et de nouveaux épisodes génocidaires. Où les attentats-prétextes (ou pas) ne manqueront pas. Et en sous-main, il y a ce révisionnisme, cette réhabilitation du fascisme que « l’Europe » tolère en Croatie, en Lettonie, en Ukraine... n’est-elle pas, outre les résurgences locales et l’opportunisme géostratégique des grandes puissances, le signe du retour de la croyance dans les inégalités humaines, de ce darwinisme social que le néolibéralisme ne professe pas moins que les fascistes de rite ancien ? Mais il y a les « islamistes »... les attentats de Paris, antijuif à la Porte de Vincennes, le témoignage choquant que vous publiez quant à la « haine du Juif » à Bruxelles. De cela j’ai eu l’écho, oui...or, ce phénomène ne touchait pas la première génération d’immigrés du Maroc, il touche les plus jeunes, qui ont grandi ici, comment l’expliquer ? Comment expliquer que la discussion à propos des Juifs était paisible il y a vingt ou trente ans et ne l’est plus ? Les réponses sont données  : c’est le comportement d’Israël, son colonialisme et ses crimes qui alimentent cette haine. Il faudrait y ajouter : le soutien à la politique israélienne des organisations juives, presque toutes, la complaisance de nos gouvernants et

des intellectuels de cour. Quel effet peuvent produire, croyez-vous, la présence de dirigeants israéliens ou d’un Bernard-Henri Lévy aux premiers rangs de ce que des journalistes appellent « la marée d’amour » du 11 janvier à Paris ? Et comment interpréter ce traitement sélectif de « l’humour » des caricatures racistes anti-musulmanes de Charlie, porté aux nues, par une pub monstrueuse, et d’un Dieudonné mis en garde à vue ? S’il faut une censure, qu’elle frappe tous les pêcheurs en eaux troubles sans exception, soit, mais qui aura le pouvoir dans la nouvelle Sainte Inquisition ? Quelqu’un a-t-il expliqué quelque part que ce Charlie , « réformé » par Val, un obsédé de l’islamisme, n’était plus le sympathique Charlie post-68 ? Au delà, il y a ces pays détruits, l’un après l’autre, par les expéditions de l’OTAN, largement soutenues par « la gauche » (sic) occidentale... et le Charlie de Val. Mais on aurait tort de ne pas regarder encore plus près de nous : ces « graines de terroristes » qui partent en Irak ou en Syrie (les pays d’où affluent aussi les nouveaux réfugiés), ils ont grandi chez nous, dans les banlieues françaises et des quartiers bruxellois. Que se passe-t-il là, dans leur vie quotidienne, leurs familles, leurs écoles, qui produise une telle désespérance, de tels choix suicidaires  ? Est-ce seulement l’effet des réseaux sociaux, ou des télés arabes qui les bombardent autrement que les nôtres ? Les médias jouent leur rôle, sans doute, mais il ne saurait surpasser celui des conditions de vie,

du manque de perspectives, de l’accablement du mépris. De quel droit, et surtout de quel lieu parlent-ils les donneurs de leçons, les accusateurs de « l’islamofascisme  », tapis dans leurs beaux quartiers, qui sont aussi les propagateurs des « guerres humanitaires » et des régimes austéritaires qui ravagent le monde du travail et les quartiers populaires ? Croit-on un seul instant que les mesures « sécuritaires », la stigmatisation des « jeunes », le climat totalitaire des grands médias audiovisuels dans le traitement de ces affaires (comme de beaucoup d’autres), les appels à « l’éducation» de ces musulmans ignorants (les petits Blancs sont-ils très savants  ?), a-t-on la naïveté de croire que cette mobilisation générale (sans parler de son agenda caché) va faire diminuer d’un seul petit degré la violence qui monte ? Non, car elle est la violence. Les Européens sont simplement choqués parce qu’elle arrive chez eux, cette guerre qu’ils croyaient pouvoir, « propre » ou sale, maintenir chez les « barbares », au loin ! Bien amicalement, et spécialement pour les jeunes UPJB qui ont tenté l’impossible autour de la place Anneessens ! Je leur souhaite comme aux jeunes qui ont « la haine du Juif » les issues de secours que je ne vois pas. Nous leur laissons en héritage un monde désastreux – la honte ! – mais ils sont peut-être mieux armés pour comprendre, et chercher. n Jean-Marie Chauvier

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écrire Du jeudi 8 janvier 2015 elias preszow

P

arle-t-on à partir d’un évènement comme on écrit à partir d’un bouquin ? Parle-t-on ? Écriton  ? Et lorsqu’il s’agit d’un homme, d’un homme qui a toujours préféré le « métier » à la « profession », que pouvons-nous tâcher d’exprimer ? C’est un silence au-dessus duquel on a du mal à passer, sur lequel on pose des mots avec soin, difficulté. François Maspero était à Bruxelles le Jeudi 8 Janvier 2015, lendemain de l’attentat sinistre, sanglant, terrible qui endeuille la France, et une certaine idée de l’humanité. Un personnage qui, tout au long de sa vie, a œuvré pour faire entendre la voix des autres, les idées des autres, et qui a, lui aussi, cédé à la passion de l’écriture : lorsqu’il s’agissait, seulement, modestement, de rendre compte des paysages, des paysages humains comme il aime à les appeler. Après avoir été écouter Serge Kribus réciter les pages qui comptent à ses yeux au Club Sholem Aleichem, ce premier jeudi de janvier, après avoir entendu son timbre émouvant – si spontané, si peu maniéré – pincer les cordes qui donnent du sens, pour lui, au mot « liberté », j’ai descendu la rue de la Victoire jusqu’à l’Université Populaire, pour voir, pour écouter, un Monsieur aux che-

veux blancs et à la pensée nette, sur qui Chris Marker avait réalisé, en son temps, un film  Les mots ont un sens. Quel est le sens des mots aujourd’hui  ? Aujourd’hui où il faut renoncer à trouver un sens à la langue, au langage, etc… Aujourd’hui, où peut-être même, il faut pouvoir accepter de l’avoir perdue à tout jamais, notre langue, de l’avoir donnée au chat (animal idolâtré par Marker), et de ne même plus songer à le chercher encore, le sens. Mais de trouver les vocables, les images, bref, la parole concrète, sensible pour traduire une détresse, une angoisse, et le désir de vivre. N’en est-il pas des évènements comme des livres, de certains moments de l’histoire qui nous apparaissent toujours à déchiffrer comme autant de lignes de tel chef d’œuvre à jamais intact en la mémoire ? Et des hommes qui s’émerveillent de les interpréter, de leur donner souffle, chair, esprit, à ces notes d’un alphabet qui, joué dans le bon rythme, sur le juste tempo, est la musique qui nous manquait. Au lendemain du crime abject, injustifiable, les bouquins, les paroles, les visages n’étaient pas en trop pour dire l’indicible, la colère. C’est pourquoi la question de l’accès à ce mouvement de libération qu’est la lecture est de part en part politique. Car

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cette action de lire, d’interpréter, de s’ouvrir au monde, à l’univers de signes, de significations, saturé de codes qu’est la culture, est bouchée de toute part, entravée. François Maspero porte si bien le titre d’ « armateur » : celui qui permet à un bateau de quitter le port, de s’en aller naviguer sur les mers dangereuses où l’attire le voyage ; mais aussi celui qui fournit les armes. Hier, avant-hier c’était la lutte, le combat – contre l’aliénation économique, sociale, coloniale, sexuelle… –, demain quelles seront nos guerres, nos conflits pour après-demain ? Comment affronter, en somme, le devenir de nos doutes lorsqu’ils sont déterminés à assumer l’espace dans lequel ils ont été moulés ? Lorsque la situation est intenable, précaire, effrayante, vers quel maître-artisan se tourner pour apprendre – lentement, patiemment – le geste qui donne confiance, assurance et beauté à une pratique dans laquelle nous sommes embarqués ? Il faut écrire, il faut parler, il faut penser. Les évènements nous y obligent, comme un bouquin qui murmure en souriant qu’il est l’heure de se redresser, de devenir un homme, d’habiter sa faiblesse d’aimer. n

Révérénce. Dessin de Raphaël Geffray

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vie de l’upjb Les activités du club Sholem Aleichem Jacques Schiffmann ​4 décembre. La religion à l’ère du Web par Cécile Vanderpelen-Diagre, docteure en histoire et membre du Centre interdisciplinaire d’étude des religions et de la laïcité (CIERL) de l’ULB. De quelle façon la religion prendelle place sur le Net, et quelles sont les dérives possibles  ? Le site de l’Observatoire des Religions et de la Laïcité (www.ore-la.org/) propose une revue de presse et des analyses de chercheurs sur l’actualité des religions et des convictions. État des lieux. La vision sur le net est diffractée et diffère de ce qu’on perçoit dans l’espace réel. Multiplicité des sites sans hiérarchie, visibilité en fonction de l’argent investi, beaucoup de petites religions nouvelles, tout se passe sur le Net. De fait, les églises se vident et il faut de plus en plus distinguer entre croyances, pratiques religieuses et vie sociale, qui ne se passent plus autant dans les lieux de culte. Internet est devenu un «  village-monde  » d’où l’intérêt positif pour le croyant qui peut faire des rencontres dans le monde entier ! Fini les paroisses locales, le lien avec les autorités religieuses s’élargit et on peut les mettre en question sur le Net, ce qui libère la parole avec des effets positifs surtout pour les femmes. Toutes les religions y sont disponibles, avec des infos et pratiques de tous ordres. Cette offre multiple n’est pas toujours avisée et le risque de liens avec des marabouts et charlatans est bien réel, mais impossible d’interdire ces sites pour combattre cette dangerosité. Qu’ont fait les religions du

Net  ? Toutes se sont adaptées. Elles ont ouvert des sites prosélytes et de propagande et tentent de capter les croyants en leur offrant des services tels qu’images, conseils, cours, films, textes, sermons, expériences spirituelles, rencontres (endogamiques), afin de pouvoir parler avec d’autres partout dans le monde, mais «  entre soi  ». Multiplication des sites télévangélistes ou cyber-évangélistes, réseautage via Facebook, campagnes de propagande touchant des millions de personnes, par exemple sur l’IVG ou la recherche sur les embryons. Conclusion. Il faut changer la façon d’étudier les religions. Les méthodes statistiques employées en Occident ne marchent plus pour toutes les religions. Internet confirme cela, ayant donné la parole à de nombreux sans-voix. 11 décembre. 1964-2014 : 50 ans d’immigration marocaine et turque, un survol par Henri Goldman, rédacteur en chef de la revue Politique. 70 ans déjà d’immigrations en Belgique, chacune se déroulant en 3 phases : la migration puis l’accueil et l’intégration, enfin l’inclusion, la phase la plus longue et la plus difficile. Début en 1944, il faut reconstruire et on manque de bras. 1948 : Immigration d’Italie pour le travail dans les mines, que ne veut plus faire le Belge. Fin en 1956 après la catastrophe de Bois du Casier. Suivent les immigrations espagnoles et grecques. 1964 : Accords avec le Maroc et la Turquie. Peu après débute aussi l’immigration illégale.

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1974 à1984 : Crise pétrolière en 1973, crise économique, chômage massif, arrêt de l’immigration légale. 1ère régularisation de 9000 sans-papiers en 1974. Inversion du solde migratoire, en raison du chômage et de l’arrêt de l’immigration légale, sauf exceptions : droit d’asile, visas étudiants, regroupement familial. Ce dernier étend l’immigration aux familles élargies, via de vrais ou faux mariages. C’est l’effet dit « push and pull  », le canal s’élargit via un marché migratoire tarifé, organisé (Internet) pour surtout les classes moyennes. L’intégration à la société belge se fait par le travail et la syndicalisation. Depuis 1984 : Migrations non organisées et forte augmentation des sans-papiers. Il y aura encore 42.000 sans-papiers régularisés en 2000 (50%). À la place de l’intégration se crée le phénomène des « diasporas multiples », connectées avec leurs communautés dans le monde. De 1984 à 1999, « discours de l’Europe forteress », qui est dans les faits une passoire ! En 1999, reprise économique, nouveau besoin de migrants. 1999 : « L’Immigration et l’Asile » sont transférés à l’Europe par le traité d’Amsterdam en 2001, suivi d’une directive sur l’immigration du travail. 2001 : L’attentat des TwinTowers à New-York et la lutte contre le terrorisme qui suit bouleversent la perception de l’immigration. Le monde est désormais divisé en « bons et mauvais ». L’islam est devenu le camp du mal. Les Marocains, Turcs, etc ne sont plus vus comme des travailleurs

immigrés mais comme des musulmans. Eux-mêmes, victimes de l’islamophobie se perçoivent autrement. Ayant souvent perdu leur identité turque ou marocaine, et même non-croyants, ils se revendiquent musulmans de culture. 2008-2009 : Le problème des surprimes. Crise économique et chômage, de grandes entreprises ferment, l’Europe en crise se blinde. Sarkozy préconise un pacte européen de lutte contre l’immigration illégale. D’où la création de l’agence Frontex, qui n’empêche pas l’afflux de migrants arrivant en bateau à Lampedusa, charriant jusqu’à aujourd’hui les images désolantes et souvent tragiques « d’envahissement ». 2013-2014 : Aujourd’hui, avec Daesch, la peur et les fantasmes déforment la perception des immigrés musulmans, même nés en Belgique, y compris dans la presse et les médias. Le problème du foulard des femmes est devenu la métaphore du choc des civilisations, et les opinions des politiques pas plus que celles des gens de droite ou de gauche, ne convergent vers un consensus. Il y a glissement d’un discours de type « raciste » vers celui d’un dénigrement de la culture de l’autre, vue comme élargissement de la religion. Cette belle synthèse d’Henri Goldman s’est terminée par le récit des tentatives des politiques belges de traiter les questions de l’interculturalité, qu’à regret, faute de place, je ne puis relayer ici. 18 décembre. 1914-1918 : Les Juifs entre tous les fronts par Jacques Aron, architecte et essayiste. La question juive en Allemagne aux 19ème et 20ème siècles, « Die Judenfrage », vaste domaine. Jacques Aron, expert incontes-

té, nous a brossé le tableau des complexes relations judéo-allemandes et de leurs rétroactes, que nous résumons ci-après. 1791 : Décret d’émancipation des Juifs français qui obtiennent tous les droits et devoirs des citoyens français. À partir de 1840 : « La question juive » est posée en Confédération germanique. Y-a-til place pour les Juifs du talmud dans un État germano-chrétien en formation ? 1869 : Les Juifs obtiennent l’égalité civile et politique, mais la société allemande résiste et refuse aux Juifs l’accès aux différentes fonctions dans l’administration, l’université et l’armée. 1871-1880 : Unification de l’Allemagne sous l’égide de la Prusse et industrialisation du IIème Reich, notamment grâce aux réparations de guerre. Y participent des industriels et banquiers juifs. Après le krach de 1873, naissent à partir de 1880 des petits partis nationalistes avec comme seul programme « l’antisémitisme » qui voudrait retirer aux Juifs les acquis de l’émancipation. Le terme est né à ce moment sur base d’une pseudoscience des races. 1893 : Aux élections, plusieurs de ces partis, ne s’entendant pas entre eux, envoient 16 députés au Reichstag où ils deviennent visibles, représentant seulement 4% des voix alors que les Juifs sont 1% de la population (550.000 personnes). 1893 : Les Juifs libéraux, pour se défendre, créent « l’Union Centrale des citoyens allemands de confession juive », active dans les domaines intellectuel, culturel et social, ce qui fera reculer l’antisémitisme politique jusqu’aux élections de 1912. Ascension sociale des Juifs dans les professions intellectuelles et financières, création par les Juifs de plusieurs Instituts scientifiques.

1897 : Congrès de Bâle, fondation d’un nationalisme juif, le sionisme, en réponse à l’antisémitisme. Ce mouvement politique imagine un état juif sur un territoire alors mythique. Les opposants juifs à ce rêve seront traités « d’antisionistes ». 1910 : Création de la « Fédération sioniste allemande  », bien perçue par certains pangermanistes car cela implique le départ des Juifs allemands. C’est l’option « Völkisch », la séparation des peuples, chacun chez soi. 1911 : Les Juifs qui ne se rallient pas au sionisme prônent l’assimilation, l’égalité de droit et de statut avec les Allemands, la sortie de leur isolement, mais sans abandon de leur judaïsme. On en trouve dans les différents partis, surtout chez les libéraux démocrates. 1912-1914 : Aux élections de 1912, le Parti socialiste (35%) s’oppose encore à la course aux armements. En 1914, les dirigeants juifs sont divisés, mais ils appellent les juifs à faire plus que leur devoir et à s’engager volontairement. 1914-1945. Jacques Aron nous reviendra le 12 février 2015 pour traiter plus en détail de la situation des Juifs allemands durant cette période. n Suite au compte-rendu de son intervention au Club le 13 novembre 2014 (voir Points critiques n° 352 de janvier 2015), Jean-Marie Chauvier tient à préciser ce qui suit : « L’important est de préciser le massacre des Polonais de Volhynie et l’emprisonnement par les Allemands de Bandera, leur allié indiscipliné ! Le premier fait est « oublié » par les nationalistes ukrainiens (mais pas par les Polonais !) le deuxième est mis en valeur par les mêmes, intéressés à la « réhabilitation » de leur chef historique. Dans les deux cas, ne pas mentionner ces faits peut être interprété comme une occultation volontaire de notre part. Voilà pourquoi... »

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agenda UPJB

Sauf indication contraire, toutes les activités annoncées se déroulent au local de l’UPJB, 61 rue de la Victoire à 1060 Bruxelles (Saint-Gilles)

vendredi 27 février à 20h15

Conférence-débat avec Pierre Stambul, membre de l’Union Juive Française pour la Paix (UJFP), autour de son livre Le sionisme en questions (voir page 19)

dimanche 1er mars de 10h30 à 17h

Atelier créatif collectif (voir page 20)

vendredi 6 mars à 20h15

Jacob Israël de Haan. Chronique sociale de la Palestine des années 20 par Laurent Vogel (voir page 20)

dimanche 8 mars à 16h

Projection de Red Star Line de Fabio Wuytack et Daniel Cattier. En présence de Daniel Cattier (voir page 21)

vendredi 20 mars à 20h15

Rencontre avec Eric Monnier et Brigitte Exchaquet autour de leur livre Retour à la vie (voir page 21)

club Sholem Aleichem Éditeur responsable : Henri Wajnblum / rue de la victoire 61 / B-1060 Bruxelles

Sauf indication contraire, les activités du club Sholem Aleichem se déroulent au local de l’UPJB tous les jeudi à 15h (Ouverture des portes à 14h30)

jeudi 5 février

Projection du film de Roger Beeckmans, Une si longue histoire, celle des MENAS, les Mineurs Étrangers Non Accompagnés (voir page 18)

La judéité allemande vue par Jacques Aron (voir page 18)

jeudi 12 février

jeudi 19 février Relâche

jeudi 26 février

Profil sociolinguistique de la communauté juive anversoise par Barbara Dickschen, chercheuse à la Fondation de la Mémoire contemporaine (voir page 18)

et aussi samedi 28 février de 14h à 18h30

Prix : 2 €

Au Service Social Juif. Activité ouverte à tous les rescapés du Génocide des Juifs et des Tutsis ainsi qu’à leurs descendants. Transmission et Génocide : Quels effets pour les survivants du Génocide des Juifs et du Génocide des Tutsis par Adeline Fohn (voir page 18)

Les agendas sont également en ligne sur le site www.upjb.be


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