n°352 - Points Critiques - janvier 2015

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mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique janvier 2015 • numéro 352

à la une Quel antisémitisme aujourd’hui ?

Bureau de dépôt: 1060 Bruxelles 6 - P008 166 - mensuel (sauf juillet et août)

Anne Grauwels

S

uite aux événements dramatiques de cette année 2014 – attentat au Musée juif de Bruxelles, rassemblement antisémite orchestré par l’ex-député Laurent Louis et son interdiction, l’agression de Gaza par l’armée israélien​ne cet été avec dans son sillage une remontée de la parole anti-juive venant des « quartiers », mais aussi dans la population « blanche », indiquant que « le crédit de sympathie » d’Israël (et donc des Juifs, car il y a amalgame) est épuisé – nous avons décidé d’aborder à l’UPJB la question de l’antisémitisme aujourd’hui. Une question que nous avions toujours laissée un peu de côté, estimant à tort ou à raison (cela fait partie du débat) qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter outre mesure des manifestations d’un antisémitsme qui avait toujours existé.

Certes, il se cachait parfois derrière un antisionisme exacerbé, mais la faute n’en incombait-elle pas à la politique d’Israël même, et à sa façon de parler au nom de tous les Juifs ? Il était dit que les principales victimes de discriminations et de racisme aujourd’hui chez nous, étaient les populations arabo-musulmanes immigrées. Elles le sont, mais depuis que la crise s’aggrave et que les inégalités se creusent, d’autres formes, tout aussi inquiétantes, refont surface, l’homophobie et, bien sûr, l’antisémitisme. Et tout cela dans un contexte qui fait fort penser aux funestes années ‘30. Un petit sondage parmi nos membres, dont vous trouverez les résultats ci-après dans notre dossier, confirme cette perception. Ce dossier est une introduction au débat (voir pages 4 à 21 ).

BELGIQUE-BELGIE P.P. 1060 Bruxelles 6 1/1511

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sommaire à la une 1 Quel antisémitisme aujourd’hui ?............................................... Anne Grauwels 2 Reconnaissance de l’État de Palestine. État des lieux......... Henri Wajnblum dossier antisémitisme..............................................................................

4 9 10 14 17 18

Un coup de sonde................................................................... Sharon Geczynski Humeurs anti-antisémites............................................................Anne Gielczyk Du mythe sémite à l’antisémitisme.............................................. Jacques Aron La haine du Juif........................................................................... Gérard Preszow (Mauvais) état des lieux............................................................. Gérard Preszow Combattre l’antisémitisme… oui, mais comment ?............Michel Staszewski

israël-palestine

22 Une priorité absolue : la reconnaissance de l’État de Palestine....................... ..................................................................................................... Henri Wajnblum

lire et regarder

26 Marcel Gotlib.............................................................................. Antonio Moyano

lire

28 Impostures, ambiguïtés. Les nouvelles d’Agnès Desarthe................................ .............................................................................................Tessa Parzenczewski

communauté(s)

29 Une autre voix juive en Flandre............... Anne Grauwels et Amir Haberkorn

réfléchir

30 Signes des temps, signe du temps............................................... Jacques Aron

mémoire(s)

32 Mickey, le judéocide et Breslau-la-juive...............................Roland Baumann 34 L’historien et la demande sociale.............................................Galia De Backer

yiddish ? yiddish ! !‫יִידיש ? יִידיש‬ 36 Bolshevikn – Bolcheviks.............................................................Willy Estersohn 38 activités vie de l’upjb

42 Les activités du club Sholem Aleichem ............................ Jacques Schiffmann

upjb jeunes

44 Un échange étonnant............................... Julie Demarez / Yoav Shemer-Kunz

écrire

46 Un certain recul ............................................................................. Elias Preszow

48 les agendas Les anciens numéros de Points critiques sont accessibles sur le site www.upjb.be à la rubrique « Points critiques en PDF ».

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à la une Reconnaissance de l’État de Palestine. État des lieux Henri wajnblum

L

a question de la reconnaissance de l’État de Palestine est plus que jamais à l’ordre du jour des agendas parlementaires belges et européens, surtout après que la Palestine a officiellement obtenu le statut de membre observateur à la Cour pénale internationale (CPI), le 8 décembre, lors d’un sommet réunissant les 122 membres de la cour, une étape vers un statut de membre permanent du tribunal. Et quoi qu’ils en disent, les responsables politiques israéliens sont dans leurs petits souliers. État des lieux… C’est la Suède qui est devenue le premier pays occidental de l’Union européenne à reconnaître officiellement la Palestine comme un État indépendant. « C’est un pas important qui confirme le droit des Palestiniens à l’autodétermination », a indiqué la ministre des Affaires étrangères, Margot Wallström… « Le gouvernement considère que les critères de droit international pour une reconnaissance de l’État de Palestine sont remplis » : un territoire, bien que sans frontières fixes, une population et un gouvernement… Aucun autre gouvernement n’a encore franchi le pas de la reconnaissance formelle comme l’a fait la Suède. Mais… Les Parlements britannique, espagnol, portugais et français (As-

semblée nationale et Sénat où la droite est pourtant majoritaire) ont, eux, voté une recommandation, non contraignante il est vrai, à leurs gouvernements respectifs pour la reconnaissance formelle de l’État de Palestine. L’Irlande pourrait bien devenir le deuxième pays d’Europe occidentale à franchir le pas à son tour. Le Parlement irlandais vient en effet lui aussi de demander à son gouvernement de «  reconnaître officiellement l’État de Palestine sur la base des frontières de 1967 et avec Jérusalem-Est comme capitale, comme stipulé par les résolutions des Nations Unies ». Là non plus, le gouvernement n’est pas tenu de se soumettre à la motion, mais le ministre irlandais des Affaires étrangères, Charlie Flanagan, a déclaré que Dublin soutenait la solution fondée sur l’existence de deux États. Bien que la motion ait été proposée par le parti d’opposition Sinn Fein, elle a obtenu le soutien de tous les partis du Parlement.

Et chez nous ? La Belgique pourrait bien suivre… Dans chacun de nos Parlements, une motion déposée par les partis d’opposition demande au gouvernement de reconnaître l’État de Palestine. Les Parlements wallon et bruxellois l’ont d’ailleurs déjà votée à l’instant où ces lignes étaient rédigées. À

quand la Région flamande ? Précisons tout de même que les Régions ne sont pas compétentes pour reconnaître des États, mais elles peuvent inviter les niveaux de pouvoir supérieurs (Belgique, Union européenne) à le faire. La surprise est venue des partis de la majorité fédérale, MR, VLD, CD&V et N-VA, se sont apparemment mis d’accord pour déposer une résolution allant dans le même sens. Dans le même sens ? Où est l’entourloupe ? Dans le libellé même de son projet de résolution tel qu’il a été révélé par la presse. Qu’on en juge… « La Chambre des représentants demande au gouvernement fédéral de reconnaître l’État palestinien comme État et sujet de droit international au moment qui sera jugé le plus opportun, en fonction notamment des éléments suivants : - L’impact positif de cette reconnaissance afin de relancer ou d’appuyer un processus politique inclusif de négociations entre Israël et la Palestine ; - L’évolution de la concertation entre les États-Membres de l’Union européenne et des efforts de l’UE pour soutenir le processus de paix en vue d’une solution définitive et globale respectant les aspirations légitimes de paix, sécurité et prospérité des peuples palestinien et israélien. - L’existence d’un gouvernement palestinien de plein exercice ayant autorité sur l’ensemble du territoire palestinien. En outre, les limites reconnues du territoire de l’État de Palestine seront les frontières de 1967, uniquement modifiée moyennant l’accord des deux parties ». Vous avez saisi ? Le gouvernement fédéral compte demander à la Chambre de lui demander

de reconnaître l’État de Palestine au moment où lui, gouvernement fédéral, le jugera le plus opportun ! Et compte tenu des conditions qu’il demande à la Chambre de lui poser, ce n’est pas demain la veille, puisqu’il faudrait qu’Israël accepte enfin de négocier sérieusement avec l’Autorité Palestinienne, et il est à des années lumières d’en prendre le chemin. Et que les États-Membres de L’Union européenne, et l’Union européenne elle-même se décident à sanctionner Israël pour les innombrables transgressions au droit international et aux résolutions des Nations unies. Tant qu’Israël continuera de jouir de l’impunité qui est la sienne, toute reconnaissance restera malheureusement lettre morte même si elle constituerait une avancée significative.

Dans la communauté juive… Ça bouge également dans la communauté juive, et nous ne pouvons que nous en réjouir. Le CCLJ a lui aussi envoyé un communiqué annonçant qu’il soutenait la reconnaissance de l’État de Palestine. Il faut sans doute y voir, et même certainement y voir l’effet de l’appel aux parlementaires lancé par Elie Barnavi, ainsi que par 800 autres intellectuels israéliens. Cela n’a pas empêché un nombre important de ses lecteurs de réagir avec beaucoup de violence et un flot d’injures à cette prise de position. Il y a décidément encore beaucoup de travail à faire pour que la majorité de la communauté juive comprenne enfin que c’est son soutien inconditionnel à la politique israélienne qui met Israël en danger. n

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dossier antisémitisme Un coup de sonde

cune valeur... si la personne interrogée n’est pas cadrée socialement.

sharon geczynski

Dans la perspective de ce dossier consacré à l’antisémitisme, il nous a semblé opportun d’interroger nos membres et les parents (non membres) des enfants de l’UPJB-Jeunes sur leur ressenti à cet égard. Ce sondage est volontairement synthétique et sommaire. Il n’affiche aucune ambition proprement scientifique, il a été conçu uniquement pour « prendre le pouls ». 82 personnes ont répondu à ce coup de sonde réalisé en ligne dans le courant du mois d’octobre. Merci à elles pour leur collaboration. Nous publions, à la suite des graphiques correspondant aux questions posées, un certain nombre de commentaires qui nous ont été adressés. Ils ne portent pas de signature étant donné que nous avons garanti la confidentialité en envoyant le questionnaire.

- Je compte parmi mes proches des travailleurs du Musée juif de Belgique ! - Je ne sais pas s’il y a une recrudescence de l’antisémitisme. Celui-ci a toujours existé dans notre société. Mais ce qui est certain, c’est qu’il y a une libération de la parole antisémite, comme si ce qui se passe au Proche-Orient donnait aux antisémites le droit d’exprimer à nouveau leurs sentiments. - Comme pour la plupart des membres de l’UPJB, ma judéité n’est pas affichée de manière visible. Donc je n’éprouve personnellement aucun sentiment d’insécurité. Par contre si je portais une kippa p.ex., je n’oserais certainement pas prendre le tram et passer par Lemonier ou prendre

le métro et passer par Simonis. Donc malgré mes réponses auquestionnaire, je pense que l’antisémitisme est un réel problème à Bruxelles. Je ne sais pas ce qu’il en est pour le reste de la Belgique, et je ne sais pas si il y a recrudescence. - Je pense néanmoins qu’il y a un risque que l’antisémitisme augmente, si la plupart des juifs institutionnels/médiatiques continuent de soutenir aveuglément la politique colonisatrice d’Israël et continuent à essayer de museler toute personne qui s’exprime contre cette politique. Je ne crois en tout cas pas du tout à l’existence d’une haine des juifs parce qu’ils sont juifs. Je pense que 99% de l’antisémitisme est corrélé ou bien aux actions d’Israël (et à l’amalgame entre Juif et Israé-

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lien) ou bien à l’attitude liberticide (liberté de pensée, de parole) de la communauté juive dans nos contrées. - « On » me dit que l’antisémitisme resurgit et je ne prends pas ceux qui le disent pour des menteurs. « On » me dit que les (des ?) étudiants juifs quittent l’ULB où l’antisémitisme serait quotidien et de plus en plus virulent mais mes petits-enfants qui y ont été où y sont encore, notamment celui qui y enseigne, ne m’en parlent pas... Alors : vrai ou intox ? - la recrudescence de l’antisémitisme, c’est avant tout une parole qui se libère, c-a-d qui existait déjà, mais se manifestait moins. - Ce genre de sondage n’a au-

- Ce « sondage » est très très très sommaire ! Ma réponse à la question 2 (non) donne une image complètement fausse de ma réalité et semble montrer « objectivement » que, n’ayant pas été personnellement touché par l’antisémitisme, mon sentiment exprimé aux réponses 1 et 3 (oui) serait de l’ordre du fantasme. Or, les signalements objectifs d’actes à caractère antisémite (publiés notamment sur le site antisémitisme.be) montrent sans ambiguïté qu’ils sont en augmentation ! La connaissance que j’en ai par les médias, les conférences, les conversations avec d’autres personnes, et le climat général de conversations banales — point n’est besoin de goûter à la casserole quand on en sent déjà l’odeur — sont assez clairs et pertinents pour valider mes réponses 1 et 3. - J’habite dans un quartier où la population musulmane est très présente. Il m’arrive de susciter la surprise de mes voisins quand ils apprennent que je suis juif. Ce qui provoque d’intéressants débats. Je constate alors qu’ils assimilent fortement Juif et sioniste. Il suffit généralement que je leur énonce ce que je pense du conflit israélo-palestinien pour qu’ils changent d’avis. Certains me vivent comme une anomalie. D’autres se souviennent du Maroc et de la concorde avec leurs voisins juifs de là-bas. Il me semble que le Juif dont ils parlent quand ils l’assimilent au sioniste, est un Juif inventé et qu’il suffit d’une

rencontre pour faire changer les points de vue. - Je ne suis pas sûre que l’antisémitisme soit vraiment en augmentation, il a toujours été présent, mais il s’exprime avec plus de désinvolture ces derniers temps ; la politique d’Israël n’est pas étrangère au phénomène, évidemment, et c’est bien dommage - J’ai un nom très connoté et suis parfois mal à l’aise de le donner à des Arabo-musulmans. C’est encore plus le cas en pleine guerre à Gaza. Je n’avais pas ce problème il y a 20 ans. Pour nuancer ma réponse négative concernant le sentiment d’insécurité, je pense que pour ceux qui ont besoin d’afficher leur judaïsme, cela ne doit pas être simple actuellement (ce qui n’est pas mon cas). Cela étant dit mes enfants ont reçu de leurs grands-parents un pendentif avec le Maguen David et je ne les autorise pas à le porter.

- Les questions ont été et les réponses seront influencées par un a priori idéologique, sauf peutêtre pour la réponse à la question 2, et encore... Puisque ce sondage n’a aucune prétention scientifique, j’espère qu’il n’y aura pas de conclusion. Pour préparer l’AG, il faut aussi disposer d’éléments objectifs tels que l’évolution du nombre de signalements de faits ou propos antisémites mais aussi racistes, homophobes,... sur les 5 dernières années. - N’étant pas d’origine juive, je parle comme observateur. Je me réfère aussi à la population d’origine européenne. En général, j’observe plutôt une montée des préjugés d’islamophobie. D’autre part, je vois plutôt une certaine recrudescence d’antisémitisme dans la population arabe et même chez les antisionistes, qui ont parfois de la peine à faire la distin ction entre Juifs, judaïcité et sionisme. Bien sûr, ce n’est que mon opinion personnelle.

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➜ - La parole s’est libérée par rapport aux Juifs. Ce qui n’était pas le cas autrefois. On a lu parfois des commentaires carrément anti-juifs lors d’interviews de participants à des manifestations de soutien aux Palestiniens. De plus, on fait l’amalgame entre Juifs et Israéliens. - J’habite un quartier « multiculturel » (turc, marocain, bulgare, polonais, etc.) avec deux mosquées dans ma rue, qui donne

ractère antisémite ou xénophobe. - La dernière opération israélienne à Gaza a rendu impossible une situation déjà difficile. Dans les quartiers populaires de Bruxelles, il est désormais dangereux de s’afficher comme Juif. Regardons les statistiques de fréquentation du cours de religion israélite : plus que quelques unités dans les écoles officielles de la capitale, les parents ont peur... Très minimaliste comme ques-

sommes ciblés par l’action de l’UPJB en faveur des Palestiniens. - Je pense que l’islamophobie est bien plus prégnante dans notre pays que l’antisémitisme. - Des amis ont été traités de « sale Juif ». Il y a quelques années cela se produisait plus rarement, du moins d’une façon plus anonyme. La voie est ouverte au racisme lorsque la crise économique sévit. - L’antisémitisme latent séculaire a toujours existé. On connait une «  recrudescence  » à chaque « crise » au Proche-Orient, a fortiori quand il s’agit d’un massacre aussi sanglant que celui de Gaza. Israël a tout fait pour que les gens fassent l’amalgame entre Juif et Israélien et c’est bien ce que fait une partie de la population la moins cultivée. C’est à nous de démentir ! Oui c’est la souris contre l’éléphant mais pour défendre mon idée du judaïsme et de son éthique je le ferai jusqu’à mon dernier jour !

dans la rue principale où il y a cinq à six églises évangélistes, deux bouchers halal, des épiceries et boulangeries turques, des cafés marocains, etc. Quelques rues plus loin commence le soi-disant quartier juif d’Anvers dont les habitants viennent souvent faire des achats dans mon quartier. Je n’y ai jamais été témoin de problèmes et encore moins d’incidents à ca-

tions ! Donnera peut-être une certaine « musique » pour le groupe de membres de l’UPJB, mais pas de paroles ! J’espère que le dossier creusera beaucoup plus, car même si je ne me sens pas personnellement insécurisé, l’aggravation de l’antisémitisme est patent, et nous devons être partie prenante et active pour le combattre, d’autant plus que nous

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- Il y a incontestablement une recrudescence de l’antisémitisme en Belgique comme dans les autres pays d’Europe. Mais cette recrudescence doit être mise en parallèle avec le discours révisionniste sur la collaboration, et surtout avec les propos haineux à l’égard des réfugiés, des migrants, des « étrangers » en général surtout lorsqu’ils sont pauvres et/ou sans emploi. Mais, pour le moment, si certains individus expriment un sentiment d’insécurité, celui-ci est encore très loin d’être général.

- Travail dans les quartiers populaires (Anderlecht). Dans les « quartiers », phénomène complexe et difficile à aborder avec le public (conflit israélo-palestinien, concurrence mémorielle, complotisme, « dieudonnisme », antisionisme, questions identitaires et ethnicisme, vision radicale de l’islam, etc.). Attention, les discours sionistes tenus par les Juifs de Belgique qui « clivent » et justifient de manière éhontée l’oppression des Palestiniens semblent représenter la voix « authentique » des juifs de Belgique (cf. députée MR Viviane Teitelbaum, etc.). L’autre voix est malheureusement inaudible dans les quartiers populaires. - Pour moi personnellement, rien n’a changé : je suis témoin de propos islamophobes qui sont plus virulents encore qu’avant, anti-Roms, de temps en temps anti-Black ; quand j’étais plus jeune, d’ostracisme envers les Flamands, le Flamand, des Flamands ; mais je n’ai jamais ouvertement été victime d’antisémitisme. Par contre, j’ai quelquefois entendu colporter des clichés sur l’avarice, le sens du commerce, l’intelligence supérieure des Juifs, etc. Dans les manifs qui rassemblent des jeunes issus de l’immigration maghrébine, après quelque échanges, la fraternisation est immédiate ! Parce que l’Europe connait une recrudescence de « l’anti-isme », de l’inconfort économique et de la peur de l’autre. Beaucoup des signes de cette recrudescence se situent hors du domaine des insultes et des agressions. Elle traverse l’humour, les repas, les thèmes d’actualités sélectionnés

par les médias, les titres de journaux... La paranoïa est un état d’esprit, un ressenti, un coktail d’émotions ; mais elle n’est pas toujours bonne conseillère. - Pour la première question, j’ai écrit « je ne sais pas » car il me semble qu’il y a une recrudescence de plusieurs formes de racisme, de xénophobie et de fascisme : par rapport aux étrangers en général, par rapport aux Juifs, par rapport aux homosexuels et autres encore. Pour la troisième question, je ne me sens pas réellement en insécurité... ceci dit quand j’entends et lis les dires de certains membres du gouvernement de droite/extrême droite, je commence quand même à m’inquiéter. Ce matin, j’ai entendu que le ministre de l’Intérieur, Mr Jambon, aurait une proposition pour compléter le manque d’effectifs dans la police : une milice privée !!!! Rien que ça !!! Hitler en 1933 avait mis en place les SA!!!

- J’ai répondu « je ne sais pas » à la première question car la perception est brouillée par des gens qui crient à l’antisémitisme dès qu’on combat Israël (voir par exemple le fantasme largement répandu dans la communauté juive officielle selon lequel on aurait crié « mort aux Juifs » dans les manifs de solidarité avec Gaza cet été). À cela s’ajoute que les mêmes milieux juifs, et c’est lié avec mon premier point, font tout pour que l’amalgame entre Juifs, Israéliens, sionistes, etc. apparaisse comme reflétant la réalité pour la majorité des Juifs eux-mêmes. Dès lors, il n’y a presque plus moyen de discerner le véritable antisémitisme (qui existe bien évidemment) des personnages troubles « anti-système » du genre de Souhail Chichah ou Jean Bricmont, que Points Critiques a vaillamment combattus  ! Plutôt que de dire qu’il y a une recrudescence de l’antisémitisme, ce dont je ne suis pas sûr,

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dossier antisémitisme ➜ je dirais que l’antisémitisme a gagné de nouveaux publics : d’une part un public arabe-musulman et d’autre part un public de gauche radicale. Dans « recrudescence », il y a un aspect numérique or nous parlons de très petits groupes. Le seul député antisémite en Belgique (Laurent Louis) n’a pas été réélu, le petit parti Egalité s’est auto-dissout après avoir exclu son porte-parole. On parle de phénomènes microscopiques en Belgique, même si bien entendu les vidéos de Dieudonné ont du succès bien au-delà des frontières françaises. Bref, mon « je ne sais pas » à la question est informé... Donner des réponses par oui ou non ne permet pas de nuancer celles-ci. Je pense que le racisme a augmenté et pas uniquement l’antisémitisme. - Quand on entend le prêcheur qowétien, l’attentat du Musée juif, la foire musulmane etc... la N-VA... on ne peut qu’éprouver un sentiment d’insécurité ! - J’étais dans l’arrière bâtiment (l’endroit où se déroulent les expositions d’art contemporain) lors de l’attentat au Musée Juif de Belgique. Oui, ceci est un acte antisémite, malgré cet acte abject, scandaleux, écœurant, je n’ ai aucune donnée ou ressenti pour affirmer la montée de l’antisémitisme en Belgique... - Je pense que l’islamophobie est beaucoup plus importante que l’antisémitisme en Belgique. Je travaille en contact avec de nombreux musulmans et je n’ai jamais eu de remarques antisémites. Par

contre, j’ai régulièrement entendu des remarques anti-musulmanes de la part d’usagers non musulmans. La parole est plus libérée aujourd’hui, les antisémites osent s’exprimer, mais de là à dire qu’ils sont plus nombreux ? Je n’en sais rien. La politique de l’État d’Israël est aussi un élément dont il faut tenir compte, évidemment. Tout Juif n’est pas israélien, ni nécessairement partisan de la politique israélienne, ni même sioniste, mais à entendre le ton du discours islamophobe, « arabophobe », tenu dans les réseaux sociaux par les sionistes purs et durs de la Diaspora, on ne peut que craindre une véritable recrudescence de l’antisémitisme chez de gens peu formés politiquement et faciles à manipuler. - 1. Il faut attendre le résultat du procès du tueur du Musée juif pour connaître ses motivations : antisémitisme ou anti-israélisme. 2. La politique israélienne dans les Territoires occupés et des inégalités de traitement entre citoyens juifs et palestiniens a comme effet potentiel un antisémitisme contre les Juifs de la diaspora. - Je n’ai jamais été victime de ce genre d’ostracisme, à moins qu’il ait été suffisamment caché pour que je ne l’interprète pas ainsi. Par contre, de l’islamophobie j’en rencontre très souvent, de l’anti-Tsigane, de l’anti-Flamand de temps en temps, bref de l’anti-pauvres !!! - L’antisémitisme se maintient/ croît un peu, surtout sous la forme d’un conspirationnisme très pré-

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sent sur internet et notamment autour de Laurent Louis, Dieudonné, Soral, etc., produit indirect de l’impunité d’Israël et du discours de son gouvernement. Besoin de luttes sociales et d’une vision anticapitaliste et internationaliste cohérente pour contrer ce poison. - La bêtise des uns et la politique d’amalgame des autres attisent un feu qui ne s’était jamais éteint. Je le vis dans les débats entre vifs ou par internet interposé. Quel que soit le milieu. Mon quartier bobo n’est pas exempt de cette bêtise ou l’anti-sionisme militant est l’arbre qui cache la forêt. - Il serait bon que l’ancien « jeu de quilles » ne remonte pas à la surface. Je considère que j’ai déjà donné, je ne donne plus, je crois que je n’ai plus la force. - On ne peut pas renvoyer tout antisionisme à de l’antisémitisme, mais on ne peut nier, dans certains milieux musulmans et/ou de gauche (de droite aussi d’ailleurs), qu’un vrai antisémitisme se cache derrière les larges épaules de l’antisionisme. n NDLR Jacques Aron nous a également adressé un texte en réaction à ce « coup de sonde », que nous ne pouvons publier pour des raisons de place. Ce texte sera accessible en ligne à l’adresse www.upjb.be rubrique « Points critiques »

Humeurs anti-antisémites anne gielczyk

C

ombien de fois ne me suis-je pas énervée, les amis, d’une blague sexiste, aux apparences innocentes, souvent accompagnée d’un rire gras et masculin. Et combien de fois ne m’at-on pas reproché mon « manque d’humour » (moi ? vous imaginez !) quand une remarque sur l’argent et le lobby juifs me faisait bondir au plafond. J’ai l’habitude de répondre que les blagues sur les Juifs, il n’y a que les Juifs qui sont autorisés à les raconter, en ajoutant : je rigole, bien sûr. Mais en fait, je ne rigole pas, vous l’aurez compris. Comme dirait Desproges, on peut rire de tout, mais pas avec tout le monde. Autodérision oui, racisme, non. Dans Parlons travail1, un recueil d’échanges entre Philip Roth et quelques-uns des plus grands auteurs du vingtième siècle, Mary Mc Carthy (écrivaine et grande amie de Hannah Arendt), à qui il a envoyé son dernier ouvrage La contrevie, lui reproche son « anti-antisémitisme virulent  ». Dans ce livre, le protagoniste, Nathan Zuckerman, accompagne son épouse Maria en Angleterre pour les fêtes. Confronté au snobisme mâtiné d’antisémitisme britannique, il rompt avec cette femme, qu’il aime pourtant. « Les chapitres anglais de La

contrevie ne choqueront peut-être pas les lecteurs juifs, mais moi ils m’ont agacée et dérangée », écrit Mary Mc Carthy en rappelant au passage que son (ex)mari juif, Philip Rahv, (ami de Philip Roth et non un de ses protagonistes, comme son nom pourrait le laisser supposer) avait l’habitude de dire à l’instar d’un personnage de La Contrevie, que « tous les non-Juifs sans exception sont antisémites ». On sent l’agacement de Mary Mc Carthy, un mouvement d’humeur, non pas anti-antisémite, ni antisémite d’ailleurs, mais anti-anti-antisémite. Vous me suivez ? Ceci dit, on comprend qu’être rangé d’office de par son appartenance – non-Juive – dans la catégorie des antisémites, ça a de quoi énerver. Alors cette question est-ce que tous les non-Juifs, sans exception, sont antisémites  ?-, simple boutade, autodérision, constat réaliste ou parano juive ? C’est que les voies de l’antisémitisme sont impénétrables. Car l’antisémitisme ne se limite pas aux non-Juifs. Il y a aussi des Juifs antisémites ! C’est là que l’histoire se complique. Car ces Juifs –qui ont la haine de soi – eh bien, ils font le jeu des antisémites. Prenez Jésus, le premier Juif antisémite, ça nous a valu 2000 ans d’antisémitisme virulent. On comprendra que dans ces circonstances, Nathan Zuckerman a quelques réti-

cences à fêter la naissance du petit Jésus. Mais, nous rétorque Mary Mc Carthy, Noël ne peut se réduire à la haine des Juifs et la crèche avec les anges, le bœuf et l’âne et l’étoile, lui plaisent bien nous ditelle, c’est bien plus plaisant que le Mur des Lamentations. Zuckerman n’a jamais dit le contraire, rétorque Philip Roth, mais c’est pourtant le sentiment de bien des Juifs face à ce folklore. Ce ne sont pas les opposants ​ aux Zwarte Piet, le sujet qui fâche aujourd’hui aux Pays-Bas, qui diront le contraire. En Flandre, le saint homme se fait dorénavant accompagner par un père fouettard de race blanche, mais dont le visage est recouvert de suie, ce qui explique sa couleur. Un vrai compromis à la Belge diront certains, la preuve que l’anti-anti-antiracisme est payant, dirais-je. n

Philip Roth, Shop Talk, 2001, éditions Gallimard, 2004 pour la traduction française.

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dossier antisémitisme Du mythe sémite à l’antisémitisme jacques aron

S

’il est un mot nouveau qui, après son adoption immédiate, a connu une fortune exceptionnelle dans son pays d’origine, une expansion immédiate chez ses voisins, un développement constant à travers le continent européen et une extension quasi mondiale, c’est bien ce néologisme jailli de la plume d’un publiciste allemand : antisémitisme. Imaginé en 1879, ce nom barbare a survécu à la mémoire de son auteur, Wilhelm Marr, rédacteur à l’époque d’un virulent pamphlet aux apparences défaitistes : « La victoire du judaïsme sur le germanisme, considérée d’un point de vue non confessionnel »1. Ce singulier mélange de notions d’origines théologique et ethnique, prétendument soustraites à l’interprétation religieuse, aurait dû suffire à dénoncer la confusion d’esprit du polémiste. Mais la politique, à l’heure où il s’agit pour la première fois en Allemagne de se rallier les suffrages populaires, n’est-elle pas précisément l’art de parler à une masse d’électeurs impréparés un langage fait de lieux communs quasi naturalisés par un tissu de mythes anciens dont la source paraît se perdre dans la nuit des temps. Quand l’ordre du monde vacille, l’ordre naturel comme l’ordre social, à quel pouvoir s’en prendre ? Si Dieu ne nous protège plus, si les autorités

de droit divin ont cessé d’être crédibles, à qui la faute ? Dans une société qui se dit chrétienne, malgré ses failles et ses divisions, à qui transférer le péché originel dont le Rédempteur a vainement tenté de nous sauver ? La réponse de Marr, l’incroyant, a l’avantage de l’aveuglante simplicité : « Il fallait finalement reconnaître sans détour que nous sommes les vaincus, les asservis. J’en ai fait l’aveu pour sortir enfin la Question juive du brouillard des abstractions et des visions partisanes. Oui, je suis convaincu d’avoir exprimé ce que des millions de Juifs pensent en silence : Le sémitisme est le maître du monde !  » Il existerait donc en ce monde une question spécifiquement juive, dont la solution serait la rédemption de la société moderne, dérèglée, déboussolée, dégénérée, une question centrale dont la solution durable – on dira bientôt finale – serait la mission prioritaire des responsables politiques désormais soumis à la sanction populaire. « Ne parlez pas de haine ni confessionnelle ni raciale. C’est la douleur d’un peuple opprimé qui s’exprime par ma plume, un peuple qui soupire aujourd’hui sous votre domination, comme vous avez soupiré sous la nôtre ; mais vous l’avez progressivement abattue. », poursuit notre au-

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teur, apparemment à la recherche d’une réponse libérée des préjugés, des passions, et empreinte d’objectivité. Et un historien de la Prusse et du IIe Reich nouveau qui vient de s’affirmer sous son égide, d’ajouter aussitôt : « Il a toujours existé un fossé entre le caractère occidental et le caractère sémite, depuis que Tacite dénonçait l’odium generis humani2 ; il y aura toujours des Juifs qui ne seront rien d’autre que des Orientaux parlant l’allemand ; il y aura toujours une culture spécifiquement juive qui trouve sa légitimité dans un pouvoir cosmopolite. »3

une dialectique mortifère Cent-trente-cinq ans nous séparent de ces textes et nous en connaissons la postérité. Ce n’est pas sur celle-ci que je voudrais revenir à nouveau, tant il existe d’ouvrages qui en ont traité, plus ou moins pertinemment, un débat auquel j’ai aussi eu l’occasion de prendre part. Malgré cette abondante littérature, des opinions sommaires subsistent encore, selon lesquelles l’antisémitisme décrirait une opposition, une animosité, une antipathie naturelle, trouvant son expression dans une différence essentielle au sein de l’espèce humaine. Je voudrais au contraire montrer que le clivage entre « Juifs » et « Non-Juifs »

n’est lui-même qu’un produit de l’histoire qui fait gravement obstacle, non seulement à la compréhension rationnelle du phénomène, mais aussi au dépassement d’une dialectique mortifère dans laquelle les acteurs philo- ou antisémites se renvoient en miroir des polémiques stériles, une argumentation qui les contraint à s’opposer ou à s’entendre, à se déchirer entre eux sur des bases également erronées. Leurs positions sont obligées de se croiser constamment, dans un incessant échange de rôles. À croire (ou feindre de croire) qu’une sous-espèce humaine s’est créée naturellement ou au cours d’une période assez longue pour en légitimer l’élection-sélection, une sous-espèce sémitique ou germanique – remplacez à volonté par d’autres qualificatifs selon vos préférences ou intérêts subjectifs –, on s’interdit de résoudre un problème absurde, qui n’a de « solution » que dans la disparition de la question elle-même.

les mythes nouveaux Je choisis donc délibérément de remonter le cours de l’histoire en amont de cette perverse invention des Sémites, qui a bien dû précéder celle de l’antisémitisme. Comprendre l’histoire, et non s’en servir arbitrairement, n’est possible qu’à ce prix. Aussi faut-il pour cela interroger au moins le demi-siècle qui précède l’apparition de l’antisémitisme et son contexte, un moment capital d’accélération de la production et des changements politiques et philosophiques concomitants dans trois grands pays européens qui, avec l’excroissance américaine qui leur échappe, vont dominer pour un temps l’histoire du monde : La Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne. Je parle grosso modo du siècle qui va de

1770 à 1870, date à laquelle surgit en fait le troisième des États nationaux cités, le plus tardif à s’unifier par-delà ses divisions religieuses et politiques antérieures. Pour la pseudo-question qui nous occupe, la césure capitale est marquée, comme un détail infime de l’histoire de la Révolution française, par le court décret de l’Assemblée nationale, le 27 septembre 1791, faisant des Juifs établis sur son territoire des citoyens de la nation française. Quelques lignes apparemment anodines, dont tous les adversaires de cette rupture politique avec l’Ancien Régime feront le symbole d’un changement inacceptable de l’ordre établi. Et plus les fondements de cet ordre sont irrationnels – c’est-à-dire basés sur des croyances qui ne sont a priori pas susceptibles de fonder un contrat social négocié –, plus ces adversaires de la « modernité » seront tentés de tenir les Juifs ainsi émancipés (libérés de la tutelle chrétienne), dispersés dans les trois nations et dans bien d’autres, pour leurs ennemis irréductibles, de l’intérieur comme de l’extérieur. Et c’est bien dans la génération d’hommes nés après ce bouleversement révolutionnaire, chez ces penseurs nés après le tournant du siècle, qu’il nous faudra chercher la source de ces mythes nouveaux capables de prendre le relai des anciens. Le 19e siècle européen étant ce siècle fondateur dont les présupposés vont s’étendre et souvent s’imposer ailleurs, il a été souvent et à juste titre nommé le siècle de l’Histoire. L’H majuscule n’ayant pour ambition que de s’élever au-dessus des histoires minuscules. Dans ce processus indescriptible de causalités innombrables, contradictoires et souvent aléatoires, on ne saurait citer que quelques acteurs emblématiques. Les trois figures majeures que je

retiens ont en commun de n’appartenir à aucune discipline établie, d’être des expérimentateurs largement autodidactes, des esprits hardis transcendant les limites des cultures auxquelles ils appartiennent et les frontières des trois nations rivales. Ce qui ne les empêche nullement d’hériter aussi d’idées reçues, de préjugés bien ancrés, et de se voir aussitôt entourés d’émules moins soucieux de démêler le vrai du faux, et d’apporter, souvent à leur corps défendant, les germes de toutes les ambiguïtés et équivoques qui entoureront le pur noyau conceptuel qu’il croyaient semer. Nous leur devons ainsi le meilleur et le pire. Mais nous ne sommes pas le tribunal chargé de juger des morts, ce à quoi d’ailleurs se refuse toute justice. La cause est éteinte, mais pas l’enseignement qu’on en peut tirer, et nous verrons en conclusion, s’il n’éclaire pas mieux que le rabâchage d’une «  haine éternelle du Juif  » notre présent et sa métamorphose des conditions historiques génératrices de conflits similaires « ethno-religieux » en d’autres lieux.

une génération Nos trois penseurs sont Charles Darwin, né en 1809, Joseph-Arthur, comte de Gobineau, né en 1816 et Ernest Renan, né en 1823, dont les idées audacieuses mais purement spéculatives vont occuper la scène internationale dans la seconde moitié du siècle. Leurs trois ouvrages essentiels, l’Essai sur l’inégalité des races humaines, publié par Gobineau entre 1853 et 1855, l’Histoire générale et le système comparé des langues sémitiques (1855) de Renan et L’origine des espèces ou les lois du progrès chez les êtres organisés4 de Darwin (1859) pourraient être groupés pour former la Bible moderne

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« Pour l’étude comparative des races humaines depuis longtemps disparues, le crâne est la partie du squelette la plus commode, la plus expressive et celle qui conserve avec une grande constance des formes typiques malgré la diversité infinie des traits individuels. Mais une autre caractéristique anatomique bien plus frappante distingue encore le Hittite, éminemment périssable, car elle n’est pas formée d’os mais de cartilage ; caractéristique que des images nous ont bien conservée et que nous pouvons encore observer aujourd’hui : le nez. Le soi-disant nez juif est un héritage hittite. » Houston Steward Chamberlain (1855-1927), Les fondements du 19e siècle (1899), 9e édition, F. Bruckmann, Munich, 1909, p. 427. [Chamberlain, qui passait à son époque pour le plus grand philosophe kantien, écrivit à Hitler une lettre enthousiaste le 7 octobre 1923. Les derniers membres de la famille d’​Hitler vivent aujourd’hui aux États-Unis sous le nom de Houston Stewart.]

destinée à prendre la place de son homologue antique. Ces hommes qui se voulaient des observateurs impartiaux ont en réalité fourni toute la matière de l’idéologie du capitalisme blanc, expansionniste et colonisateur : l’idée des races, inégales par nature, hiérarchisées et tendant par voie de sélection vers le progrès, vers la « civilisation » portée par ces peuples anglais, français et allemand, « Indo-Germains », nobles Aryens autoproclamés sel de la terre. Positivistes dans l’âme, ces véritables explorateurs de continents intellectuels vierges, vont appro-

visionner inconsciemment ces vastes supermarchés de l’esprit qui s’ouvrent partout en Europe, en débats relayés par le phénomène nouveau de la littérature et du journalisme de masse, sans parler de toutes les autres manifestations de la culture : la musique, l’opéra, la peinture, l’architecture, etc. « C’est alors que, d’inductions en inductions, j’ai dû me pénétrer de cette évidence, que la question ethnique domine tous les autres problèmes de l’histoire, en tient la clé, et que l’inégalité des races dont le concours forme une na-

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tion, suffit à expliquer tout l’enchaînement des destinées des peuples. […] Après avoir reconnu qu’il est des races fortes et qu’il en est de faibles, je me suis attaché à observer de préférence les premières, à démêler leurs aptitudes, et surtout à démonter la chaine de leurs généalogies. En suivant cette méthode, j’ai fini par me convaincre que tout ce qu’il y a de grand, de noble, de fécond sur la terre, en fait de créations humaines, la science, l’art, la civilisation, ramène l’observateur vers un point unique, n’est issu que d’un même germe, n’a résulté que d’une seule pensée, n’appartient qu’à une seule famille dont les différentes branches ont régné dans toutes les contrées policées de l’univers. »5 Avec Renan, nous avons affaire à un autre cas de figure. Ce grand linguiste n’a eu qu’un tort, s’imaginer (comme Gobineau ou Darwin par ailleurs) avoir trouvé par son savoir la cause première, si pas unique, de toute l’histoire : la langue, produit immédiat de la conscience humaine, dont se déduirait le caractère général des peuples. Là encore, la passion de la généalogie, de remonter aux origines (pourquoi pas jusqu’à Dieu ?) le conduit vers ces prétendues familles naturelles, dont il sait pertinemment qu’elles ne sont que pures hypothèses. « Les Sémites, en effet, sont sans contredit la race qui a conservé le souvenir le plus distinct de ses origines. La noblesse consistant uniquement chez eux à descendre en droite ligne du patriarche ou chef de tribu, nulle part on ne tient tant à ses généalogies, nulle part on n’en possède d’aussi lon-

gues et de si authentiques », écritil, tout en prenant la précaution de noter en préface : « Combien d’Israélites de nos jours, qui descendent en droite ligne des anciens habitants de la Palestine, n’ont rien du caractère sémitique, et ne sont plus que des hommes modernes, entraînés et assimilés par cette grande force supérieure aux races et destructive des originalités locales, qu’on appelle civilisation ! […] Si l’on veut que je me sois laissé dominer trop exclusivement par la considération des Sémites purs, nomades et monothéistes, et que j’aie trop effacé de mon tableau les Sémites païens, industriels, commerçants, je ne m’en défendrai pas, pourvu que l’on m’accorde que les premiers seuls nous ont laissé des monuments écrits, et que, seuls aussi, ils représentent pour nous l’histoire des langues, l’esprit sémitique. » On n’en finirait pas de dénombrer les contradictions de cet idéalisme désincarné (ou incarné dans le « sang sémitique »). Ô Darwin, que n’a-t-on fait de toi ? Déjà à son insu, la longue préface de sa traductrice française déformait complètement sa pensée. Son hypothèse féconde de la sélection naturelle de l’organisation physique des êtres vivants, appuyée par l’examen des restes fossiles, par l’embryologie, par la sélection artificielle opérée par l’homme, et par une observation rigoureuse de toutes les formes de vie, dérivait des périodes géologiques, des millions d’années écoulées vers la transposition de la « lutte pour la vie » aux conflits sociaux modernes de pouvoir. Sa théorie visait le processus de reproduction des êtres

sexués, dont rien n’est directement transposable aux configurations sociales. Il est vrai que Darwin, cédant aux théories malthusiennes, selon lesquelles «  il naît toujours plus d’individus qu’il n’en peut vivre », avait lui-même ouvert la porte à ces dérives.

histoire et fictions Si je rappelle ces conceptions, c’est qu’elles ont profondément imprégné les consciences et continuent à les façonner, que toute l’Europe a baigné dans cette foi nouvelle où les différentes figures de Dieu se sont effacées au profit des « lois naturelles », du plan caché de l’univers. Le hasard a voulu que les restes dispersés et souvent modifiés d’un petit peuple antique aient été élevées (ou rabaissées) en étalon de l’espèce, et ce à l’heure historique où se reformaient, dans la douleur et l’affrontement, les liens réels et fictifs des groupes humains les plus nombreux et les plus actifs. Juifs et Non-Juifs ont trempé dans ce même bain. Le malheur de l’humanité vient de la disparité dramatique entre ses six mille ans d’expérience historique et nos fictions et fixations identitaires. Et s’il y a une question à poser, face à cette prétendue persistance de l’antisémitisme, c’est bien celle de savoir si d’autres régions du globe ne traversent pas aujourd’hui une crise semblable, à qui notre vieux continent fournit, à côté de ses autres produits d’exportation, cette arme terroriste si efficace : l’ennemi absolu, le spectre du Juif. n

Marr, Wilhelm (1819-1904), Der Sieg des Judentums über das Germanentum, vom nicht confessionellen Standpunkt aus betrachtet, Rudolf Costenoble, Bern, 1879 (8e édition). Traduction : J.A. 2 Honte du genre humain. 3 Treitschke, Heinrich von (1834-1896), Unsere Aussichten (Nos perspectives), in « Preußische Jahrbücher » (Annales prussiennes), volume 44, Berlin, 15 novembre 1879. Traduction : J.A. 4 Selon le titre discutable de la traduction française de Clémence Royer en 1862. 5 Dédicace de l’essai de Gobineau à Georges V d’Angleterre, également roi de Hanovre à l’époque. La Prusse s’annexa ce royaume en 1866. 1

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dossier antisémitisme La haine du Juif gérard preszow

Le mercredi 12 novembre 2014 avait lieu à l’Espace Magh la présentation d’un projet mené conjointement pendant une année par la maison de jeunes du centreville « L’avenir Anneessens » et l’UPJB-Jeunes. Le projet prenait corps sous la forme de l’édition du numéro 8 du journal Le chant des rues consacré aux mémoires croisées des origines migratoires des uns et des autres. Une dizaine de jeunes de l’UPJB-jeunes témoignèrent avec sérieux et application de ce qu’ils avaient appris via ce projet et… un seul du côté de la maison de jeunes. Quand je m’interrogeai à haute voix sur cette disproportion, la réponse fusa, de but en blanc, comme un boulet de canon de la part de l’animateur principal, Mohamed Allouchi : « la haine du Juif ». Pour ne rien vous cacher, j’étais à la fois sonné et en même temps content de tomber sur quelqu’un qui n’avait pas sa langue en poche et qui parlait vrai. J’avais l’impression que ce projet basé sur la rencontre se clôturait par une nonrencontre délibérée et qu’il ne faisait, dès lors, que commencer ! Pour ma part, je me réjouissais à la perspective de rencontrer quelqu’un qui était prêt, de l’intérieur, à me dire le sentiment majoritaire de « ses » jeunes à l’égard des Juifs… pire encore, « du Juif ». Quelqu’un qui, sans langue de bois aucune, allait nous ramener de l’information de première main. Il faut dire que Mohamed Allouchi est non seulement animateur mais aussi comédien (notamment, dans « La vie, c’est comme un arbre », avec entre autres Mohamed Ouachen) et réalisateur. Pour la petite histoire, on avait fini par oublier que cette présentation se tenait sous les panneaux/dazibao de l’exposition « Simplement justes ! » (cf. Points critiques n°344, mars 2014) qui rend hommage aux Maghrébins sauveurs de Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale…

​Mohamed Allouchi : C’est clair que dans nos quartiers, les réactions vont de la réticence à la haine du Juif. J’ai rarement trouvé quelqu’un qui va dire «  les Juifs, c’est chouette ». J’en connais mais on les compte sur les doigts d’une main. Et pourquoi je n’ai pas peur de dire ça, c’est qu’avec ma conviction de musulman, on a un grand problème de société aujourd’hui : les gens qui ont la haine n’ont pas le savoir ; souvent ceux qui vont attaquer ou agresser sont des gens qui n’ont pas

d’autre code pour s’exprimer. Par exemple, ils vont défendre l’islam et si tu leur demandes s’ils connaissent l’islam, s’ils l’ont étudié – parce que l’islam c’est très vaste –, ils ne possèdent pas cette matière mais pourtant ils sont dans le jugement, dans l’insulte, dans l’attaque. Moi je pars du principe, et c’est comme ça que j’ai grandi : avant d’être un musulman, un Juif, un chrétien, un athée, on est un être humain, un citoyen. On ne doit pas toujours s’exprimer avec le flambeau

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de quelque chose. On peut ne pas être d’accord. Je vais te donner l’exemple des homosexuels… c’est plus facile d’être juif qu’homosexuel. J’ai parlé avec le président de la Gay Pride bruxelloise à cause des agressions dans le quartier – tu sais que le procès des assassins d’Ihsane Jarfi à Liège commence et qu’il y a tous ces débats qui reviennent… Il y a tous ces péchés dans l’islam : le vol, ne pas faire Ramadan, forniquer avant le mariage… pourquoi est-ce qu’on ne va pa-

lyncher celui qui se tape les filles dans les discothèques, mais les homos ? Ce genre de comportement va souvent de pair avec le niveau d’études. Les principes de base d’une citoyenneté ne sont pas acquis. C’est une des raisons pour lesquelles on n’a pas eu de jeunes participants d’origine musulmane sur ce projet : la majorité n’est pas intéressée d’avoir un projet avec des Juifs. C’est quoi un Juif pour eux ? M. A. : le problème, c’est qu’il y a des choses qui se passent dans nos lieux saints en ce moment à Jérusalem. Une des mosquées très sacrée pour les Musulmans est en train d’être investie par des gens qui ont d’autres projets – faire revenir un temple d’un autre temps – et ce genre de problème amène l’animosité. Israël a sur son drapeau l’étoile de David et il colonise et maintient le blocus sur Gaza : les gens associent la politique d’Israël à tous les Juifs. Il y a pourtant plein de Juifs qui sont contre, comme vous par exemple à l’UPJB, ou des musulmans qui sont ouverts à la cohabitation avec les Juifs, mais ce n’est pas ceuxlà qu’on voit. Les réseaux sociaux n’aident pas beaucoup. Tu n’arrêtes pas de voir des images de crimes ou d’injustices ou de meurtres qui se passent là-bas et ça alimente. Moi, mon ambition dans mon travail c’est de travailler au vivre ensemble. Encore une fois, j’insiste, en dehors qu’ils soient juifs ou musulmans ou homosexuels, il s’agit juste de vivre avec d’autres personnes. C’est ce que je disais au président de la Gay Pride : si je crois vraiment en l’islam, si je crois vraiment qu’un

Dieu va juger, que l’homosexualité est un grand péché, au lieu de vous attaquer, je devrais avoir pitié de vous. Si l’enfer vous attend, je devrais avoir de l’indulgence. Si on parle de religion, on n’a pas la capacité de lire dans les cœurs.

et on les aide et les stimule. Ici, c’est Serge Noël, président de la maison de jeunes, qui l’a proposé. Et puis on ne fonctionne pas de la même manière que vous. Vos jeunes se voient régulièrement, font des camps… les nôtres, gé-

On voit des comportements, on voit des actes mais on ne sait pas ce qu’ils pensent au fond d’eux dans leur cœur. C’est une des raisons pour lesquelles on n’a pas le droit de juger. L’être humain n’est pas juge.

néralement plus âgés, s’assemblent sur base d’un type d’activités : théâtre, hip hop…

Le projet « Mémoires croisées  », si je comprends bien, était basé sur la rencontre entre des jeunes ; or, au départ, il y a déjà un « désir » de non rencontre ? M.A. : Ce n’est pas un projet qui émanait des jeunes ; généralement les projets viennent d’eux

Je voudrais revenir à l’image du Juif ; il semble se confondre avec certains comportements des Juifs israéliens ? M.A. : Ça, c’est pour ceux qui tombent dans l’amalgame. Moi, je suis pour une responsabilité individuelle dans la collectivité. Ce n’est pas une communauté qui porte globalement ; déjà au sein de la communauté, on a des pratiques différentes. Voir le Juif comme le Juif, ça

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n’existe pas, c’est déjà faux. Le problème, c’est que ça va dans tous les sens. Par exemple, « les jeunes des quartiers  » sont «  les jeunes des quartiers » ! Désolé d’insister, mais j’aimerais comprendre l’importance de la chose. Je voudrais que tu me dises comment ça se passe. En l’occurrence, moi je suis juif culturellement et je suis radicalement athée… M.A. : nous on n’est pas à ce stade-là. Je rencontre beaucoup de Juifs qui se présentent comme ça… À Bruxelles, c’est la majorité… M.A. : Beaucoup de musulmans disent qu’ils ne sont pas pratiquants, mais jamais ils ne disent qu’ils ne sont pas croyants. C’est une nuance importante ! Je voudrais que tu m’ex-

pliques de l’intérieur comment ça se passe. S’il y a une telle aversion pour les Juifs dans une ville comme Bruxelles, ça rend le vivre ensemble pour le moins compliqué. M.A. : …même dégueulasse  ! Je te montre la vison de celui qui va détester le Juif. Comme je t’ai expliqué, la politique d’Israël est un grand grand grand facteur de ce comportement. Elle fait des choses flagrantes… les bombardements sur Gaza ; on dirait qu’ils ont tous les droits. « ils », c’est qui ? M.A. : l’État d’Israël. Ils sont appuyés par les États-Unis, par l’Angleterre, par la France. Dans les reportages, on voit des Premiers ministres qui se serrent les mains ; ils ont essayé d’entrer en Syrie avec Bachar el Assad, ça n’a pas été possible ; ils se servent des djihadistes pour entrer en Irak. Il y a des enjeux impéria-

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listes et géo-politiques. L’islam, pour le moment, est un alibi qui marche bien. Par rapport à ça, les jeunes voient que les Israéliens se croient tout permis, ils ont l’étoile sur eux, ils attaquent la mosquée el Aksa ; donc, en raccourci, c’est les Juifs. Après tu vas dans le show-biz. Si tu montres un spectacle avec un islam ouvert ; par exemple « Les monologues voilés » où des femmes parlent librement pour dénoncer la soumission de la femme ; tu vas montrer l’homosexualité, le fait de boire de l’alcool… tu seras accueilli plus facilement dans le monde artistique. Prenons l’exemple de Dieudonné. Je travaille avec des jeunes d’Evere, tous d’origine marocaine, la cité, le ghetto. Pour eux en tout cas, mais ils ne savent pas ce que c’est la cité, le ghetto. Ils sont bien à Germinal, Evere, petit village… bon, ils sont dans des blocs... Il y a des cités où ils sont au bazooka et ici… soit. Ils m’interpellent sur le conflit israélo-palestinien et puis ils me parlent de Dieudonné. Moi j’ai été voir le spectacle de Dieudonné, « Le Mur », avant qu’il ne soit censuré. Dieudonné me fait beaucoup rire ; je trouve qu’il est très bon. Et ça marche énormément avec les jeunes parce qu’il attaque l’État, la loi, tout ce avec quoi les jeunes ont un problème. L’antisystème, ça marche bien. En racontant le spectacle aux jeunes, j’ai imité la scène où il simule le fait de pisser sur le Mur… des Lamentations. Pendant le spectacle, toute la salle explose de rire. Pareil quand je raconte aux jeunes. Et je leur dis que ça, ça ne me fait pas rigoler. Si on rit d’un type qui pisse sur le Mur des Lamentations, demain on rira d’un type qui pisse sur la mosquée el Aksa

(Mauvais) état des lieux ou demain d’un type qui pisse sur une église. Moi, en tant que croyant, ça ne me plaît pas. Et en discutant avec les jeunes, finalement ils m’ont dit, c’est vrai, tu as raison. Ils peuvent comprendre quand on vient avec de l’info et de l’argumentation. Mais ce mélange de show-biz, de télé, de manière de voir l’islam… Cette injustice totale qu’il y a en Israël avec les colonies, ce drapeau israélien ; on sait que c’est un État juif puisque c’est ainsi qu’il se revendique… et bien ça se propage sur la planète. Est-ce qu’ils connaissent des Juifs, ces jeunes dont tu parles ? M.A. : Non  ! Ils connaissent même pas l’Islam. Je veux dire, est-ce qu’ils connaissent des personnes juives ? M.A. : D’où ils vont les connaître  ? S’ils connaissent un Juif, c’est par hasard et il ne va pas dire qu’il est juif. C’est triste… c’est malheureux. C’est dur, c’est décourageant. Je ne crois pas au « vivre ensemble » même si j’y travaille. Avec l’austérité, les pensions, la chasse aux chômeurs, le port du voile, les homosexuels… on se tape tous dedans entre pauvres et, pendant ce temps, les banques elles ramassent, on paie plus les intérêts de la dette que la dette et pendant ce temps on va se taper dessus pour les questions du voile. Mon prochain spectacle sera sur le « bouc émissairisme », un néologisme ! n

gérard preszow

S

ale temps pour les Juifs. Et plus encore, pour les Juifs diasporistes  ; ceux pour qui Israël n’est pas la Mecque, ceux qui ne se doivent pas de ponctuer chaque audace critique d’un « Israël, je t’aime ». La Shoah ne fait plus obstacle. Le tabou est tombé. L’antisémitisme traditionnel de l’extrême-droite se remet à vociférer ; on a pu entendre dans les rues de Paris des « Juif, rentre chez toi/ la France n’est pas à toi ». On a subi dans l’enceinte du Parlement fédéral belge les propos antisémites d’un ex-député. Oui, comment ne pas y penser ? Ca sent les années 30 avec son chômage, ses scandales, son déficit démocratique, l’amertume, le désespoir. Et « la colère » déviée vers les Juifs. Neuf dans le paysage, Internet n’est pas qu’un outil de savoir, il est aussi une machine à libérer les pulsions et à alimenter les haines. De retour de Djihad, Mehdi Nemmouche tue des Juifs à Bruxelles, Mohamed Merah tue des Juifs à Toulouse. À Sarcelles, des commerces appartenant à des Juifs et une synagogue sont partis en fumée. Dilemme, désormais : estil préférable d’avoir devant ses portes des policiers en faction ou des brigades volantes ? L’ex-comique Dieudonné met les rieurs – et ils sont jeunes et nombreux – de son côté en faisant monter sur scène un comparse en habit rayé et le négationniste Faurisson himself. Un opportunisme

postcolonial cherche à unir Blacks et Maghrébins aux dépens des Juifs sur l’air de « Shoahnanas ». Ilan Halevi a mortellement succombé au délire d’un petit chef de bande qui pensait se faire de l’argent en rançonnant la famille de ce jeune Juif «  fatalement  » riche. À Créteil, des Juifs sont volés et violés parce que Juifs. Pour témoigner de sa solidarité avec les Palestiniens pendant le carnage de Gaza, surtout ne pas confondre la manif du dimanche avec celle du samedi… au risque d’être entouré de « Mort aux Juifs ». Difficile par ailleurs de nier que ceux qui colonisent et bombardent sont Juifs. Dans le même temps, Israël se joue des symboles juifs, faisant de l’Étoile de David sa propriété exclusive. Au moment où il pense dénationaliser ses citoyens palestiniens, il agit comme s’il nationalisait les Juifs de la Diaspora avec l’assentiment unanime des institutions communautaires. Le sionisme se nourrit encore et toujours de l’antisémitisme, quand il ne l’alimente pas​. Les Juifs diasporistes sont amenés à frayer leur chemin entre ceux qui déguisent leur antisémitisme en antisionisme et ceux qui font de toute critique d’Israël un antisémitisme. Et ce, dans un temps où même nos intellos, qui faisaient notre fierté, ont viré de bord : Dany le Rouge a cédé sa place à Zemmour le pétainiste ! n

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dossier antisémitisme Combattre l’antisémitisme… oui, mais comment ? michel staszewski

D

ans le monde chrétien, les Juifs ont très longtemps été discriminés et persécutés en tant que membres du prétendu « peuple déicide », collectivement rendus responsables du martyr et de la mort de Jésus-Christ. Le Concile Vatican II (1962-1965) récusa enfin officiellement toute responsabilité collective des Juifs dans la mort du Christ et condamna clairement les persécutions antisémites. Depuis lors l’antijudaïsme chrétien est en forte diminution même si la conviction que « ce sont les Juifs qui ont tué Jésus » n’a pas complètement disparu. D’autre part, en Europe, du XVe au XVIIIe siècle, la plupart des monarques ne toléraient pas que certains de leurs sujets pratiquent une autre religion que la leur. Ce qui ne visait pas que les Juifs. La guerre de Trente  Ans (1618-1648), par exemple, vit s’entretuer en très grand nombre catholiques et protestants. Les libertés des cultes et d’opinion ont progressivement triomphé en Europe entre la fin du XVIIIe et la fin du XIXe siècle. Ce qui a mis fin aux persécutions religieuses. Mais pas au racisme « biologique » qui classait et hié-

rarchisait les populations humaines selon leur apparence physique. Cette forme de racisme, nécessaire pour justifier la domination et l’exploitation de populations extra-européennes par les colons européens, fut tout à fait courante et admise jusqu’à la fin de la période coloniale. Cette banalisation du racisme biologique a indéniablement favorisé la popularité de l’antisémitisme nazi. Aujourd’hui en Europe toute forme de racisme est officiellement hors-la-loi. Les préjugés racistes subsistent, mais ils sont plus d’ordre culturel que biologique. Quoique les glissements de l’un à l’autre ne soient pas rares.

L’antisémitisme d’ici et de maintenant Si, en Europe, les Juifs ne sont plus les principales cibles du racisme, ils restent victimes de préjugés tenaces. Voici ceux dont je peux témoigner (entre autres en tant qu’enseignant dans le secondaire) : • Les Juifs seraient fourbes (des menteurs cachant leurs véritables intentions). • Ils seraient tous (ou pour la plupart) riches. • Ils seraient puissants, non

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seulement du fait de leur richesse mais aussi parce qu’ils occuperaient de nombreux postes de pouvoir dans les domaines économique, politique et culturel (particulièrement dans les médias de masse) et qu’ils seraient solidaires les uns des autres. • Ils seraient tous inféodés à l’État d’Israël, dont ils auraient tous la nationalité. • L’État d’Israël dicterait sa politique aux États-Unis d’Amérique et, par ce moyen, dominerait le monde. Variante : la franc-maçonnerie, dominée par les Juifs, contrôlerait secrètement le monde. Ces convictions et leur expression peuvent déboucher sur de la violence, parfois extrême, comme cela a encore récemment été le cas en France et en Belgique. Cependant, malgré l’existence persistante de ces préjugés, contrairement au sort qui fut celui de la majorité des Juifs de Belgique avant la Deuxième Guerre mondiale, et contrairement à d’autres minorités (d’origines subsaharienne, maghrébine, rom,…), les Juifs de chez nous ne sont plus qu’exceptionnellement victimes de discriminations (à l’emploi, au logement,

à l’accès à certains clubs privés,…). Ceci s’explique sûrement en grande partie par le fait qu’ils sont devenus, dans leur majorité, moins repérables. Ils le sont moins car, étant majoritairement peu ou pas pratiquants, leur judaïsme est nettement moins apparent (pour les hommes, pas de port de kippa ou d’autres attributs religieux) ; et parce que, sauf exception, ils ne sont plus concentrés dans certains quartiers et certaines professions. Il n’en reste pas moins que je doute qu’il soit complètement sans risque aujourd’hui pour un Juif porteur d’attributs le rendant reconnaissable en tant que tel, de parcourir certaines rues de certains quartiers populaires de nos grandes villes. Cela n’est pas admissible.

Racisme et inégalité sociales Le monde socialement fracturé d’aujourd’hui favorise la peur de l’Autre et/ou le ressentiment, donc les comportements racistes. D’une part, la peur des nantis de perdre leurs privilèges entraîne chez beaucoup d’entre eux le développement d’un « racisme de classe » fait de condescendance, de mépris et de méfiance envers les démunis et donc envers les minorités ethniques et/ou religieuses dont les membres sont majoritairement socialement défavorisés. D’autre part, l’insécurité matérielle et les sentiments de frustration et d’humiliation ressentis par les victimes des inégalités peuvent non seulement générer en eux de l’agressivité envers les nantis mais également le développement de comportements racistes envers d’autres groupes socialement défavorisés. Ce que les partis d’extrême droite encouragent, souvent avec succès. Je suis convaincu que pour combattre efficacement le racisme, il

est indispensable de lutter contre les inégalités sociales. C’est dire que je ne crois pas à l’efficacité d’un antiracisme de droite. Mais le combat contre les préjugés et les discriminations ne peut être négligé au nom d’une priorité de la lutte contre les inégalités sociales. Il ne peut attendre une hypothétique fin des inégalités sociales car le racisme continue à générer non seulement de graves discriminations mais également son lot de morts, parfois innombrables.

Racisme : tolérance zéro ? Personne n’est raciste par nature. On ne naît pas raciste mais on peut le devenir. Ce mal nous menace tous, du simple fait que, depuis notre plus jeune âge, nous avons tous tendance à nous méfier de ce (ceux) que nous ne connaissons pas ou mal. Le fait de vouloir se tenir à distance de ceux qui nous paraissent trop différents de nous est un réflexe naturel de défense. Mais nous ne devenons racistes qu’à partir du moment où, du fait de nos peurs et de notre méconnaissance, nous nous mettons, à considérer des catégories humaines entières comme inférieures, malfaisantes ou les deux à la fois. Les propos ou les actes racistes s’appuient sur les convictions intimes de leurs auteurs. C’est pourquoi le combat antiraciste doit avant tout être pédagogique : il faut s’attaquer aux préjugés racistes plutôt que stigmatiser les personnes qui en sont porteuses en les considérant d’emblée comme des délinquants. Pour ce faire des méthodes éprouvées existent, pratiquées de longue date en milieu scolaire et dans le monde associatif ; il s’agit en substance de confronter les personnes porteuses de préjugés à

des réalités qui les démentent. Cela signifie-t-il qu’il faille renoncer à toute action répressive ? Certainement pas lorsqu’on a affaire à des passages à l’acte violents ou à des comportements discriminatoires. La loi belge du 30 Juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie (modifiée en 2007) constitue une base juridique solide pour combattre de tels agissements. Mais cette loi n’empêche pas que des institutions officielles prennent certaines mesures discriminatoires. Je pense tout particulièrement aux règlements qui interdisent dans l’exercice de certaines fonctions professionnelles ou, pour les élèves, dans les écoles, le port de vêtements marquant une appartenance religieuse. Le combat contre les discriminations ne vise donc pas seulement des individus mais aussi des institutions privées ou publiques et parfois des lois.

Combat antiraciste et liberté d’expression L’usage de la liberté d’expression ne devrait être sanctionné que dans les deux cas suivants : la diffamation et l’incitation à la haine raciale. L’interdiction de toute censure préalable, un des fondements de nos libertés démocratiques, ne devrait souffrir d’aucune exception1. Malheureusement, ces derniers temps ce principe a été bafoué plus d’une fois par les autorités françaises et belges. Exemples : les interdictions préalables ayant frappé les spectacles de Dieudonné ainsi que celle du « Congrès européen de la dissidence » organisé à Bruxelles par l’ex-député Laurent Louis au printemps 2014. Ces mesures sont non seulement liberticides

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➜ mais aussi absolument contreproductives : elles permettent à ceux qui en sont les cibles d’apparaître comme des martyrs de la liberté d’expression. Et comme elles visent quasi uniquement des manifestations supposées ou réelles d’antisémitisme, elles contribuent à nourrir le préjugé selon lequel les «  puissants Juifs  » contrôleraient les pouvoirs politique et judiciaire. Il en est de même pour la lutte contre le négationnisme2. En Belgique, le seul génocide qui fait l’objet d’une loi est le judéocide. Cette loi permet de condamner en justice quiconque « nie, minimise grossièrement, cherche à justifier ou approuve le génocide commis par le régime national-socialiste allemand pendant la Deuxième Guerre mondiale ». Elle donne de fait le pouvoir aux juges de décider où cesse le caractère scientifique de la recherche et le souci de l’objectivité de l’information. Je trouve cela inadmissible car la justice n’a pas pour mission de définir la vérité historique et de limiter ainsi la liberté de recherche des historiens. Et le fait qu’en Belgique une telle loi n’existe que pour ce génocide-là contribue également à renforcer le préjugé antisémite selon lequel les Juifs bénéficieraient d’une protection particulière liée à leur prétendue toute puissance. La judiciarisation de la négation du judéocide permet de plus aux négationnistes condamnés d’endosser, avec un indéniable succès, une posture de martyr. Les personnes séduites par les thèses négationnistes sont beaucoup plus nombreuses que celles qui les produisent. S’il est sans doute vain de vouloir faire changer d’avis ceux qui ont fait de

la production d’écrits négationnistes leur (ou un de leurs) « fonds de commerce  », je peux témoigner du fait que les préjugés des nombreuses personnes qui ont à un moment été séduites par ces idées peuvent être combattus efficacement par une action éducative.

Antisémitisme et sionisme Même si les Juifs européens ont été longtemps et souvent victimes de persécutions et de massacres, leur histoire n’a pas été faite que de cela. Combattre l’antisémitisme suppose de ne pas le considérer comme inéluctable. Comme tous les racismes, l’antisémitisme a une histoire3. La nature et l’ampleur de ses manifestations s’expliquent par le contexte dans lequel elles apparaissent et se développent. Les sionistes ne combattent pas vraiment l’antisémitisme parce qu’ils ne croient pas son éradication possible. Cette conviction fut à la base du projet de création de l’« État des Juifs »4, un lieu où, selon Théodore Herzl, les Juifs pourraient enfin vivre en paix, entre eux, à l’abri des manifestations de haine et des discriminations. L’argument principal utilisé par les sionistes non religieux pour justifier l’existence d’un État pour les Juifs sur le territoire de la Palestine historique aux dépends de ses habitants non juifs est qu’il constituerait un refuge pour les Juifs victimes de persécutions. C’est au nom des persécutions subies par les Juifs dans le passé, de celles qu’ils subiraient actuellement et de celles qu’ils subiraient inéluctablement dans l’avenir que sont justifiées les discriminations dont sont vic-

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times les Palestiniens. Ainsi, par exemple, pour l’écrivain israélien Avraham Yehoshua, généralement considéré comme un « sioniste de gauche », « La tragédie qui a caractérisé l’histoire juive dans sa longue durée (…) a donné au peuple juif (ainsi qu’aux peuples sans terre) le droit moral de s’emparer de n’importe quelle partie de n’importe quel pays du globe terrestre, au besoin par la force, en vue d’y créer un État souverain » 5. Les dirigeants israéliens et le mouvement sioniste n’ont aucun intérêt à la disparition de l’antisémitisme car ils ont besoin de lui pour justifier les graves discriminations imposées aux Palestiniens, nécessaires au maintien du « caractère juif » de l’État d’Israël. Pour la même raison, ils ont par contre vocation à le dénoncer sans relâche, quitte à exagérer l’importance de ses manifestations. Ces affirmations sont évidemment inadmissibles pour ceux qu’elles visent. Je pense d’ailleurs que beaucoup d’adeptes du sionisme ne sont pas conscients de cette instrumentalisation de l’antisémitisme.

Antisémitisme et antisionisme Les antisionistes remettent en question l’existence de l’État d’Israël en tant qu’ «  État juif  ». Certains d’entre eux sont aussi antisémites. Mais les nombreux antisionistes (dont je suis) qui le font au nom du droit démocratique de tous les habitants de la Palestine-Israël à être traités sur pied d’égalité, ne le sont pas. Pourtant, pour ceux qui sont persuadés que le seul moyen de se préserver de l’antisémitisme est d’être assuré de pouvoir se réfugier, si néces-

saire, dans un «  État-forteresse  » réservé aux Juifs, ceux qui revendiquent l’égalité des droits civils et politiques pour tous les habitants vivant en Israël, autrement dit la transformation d’Israël d’un « État juif » en un « État de tous ses citoyens », sont des antisémites car ils refuseraient aux Juifs le droit de se protéger de l’antisémitisme. On peut donc comprendre que nombre de sionistes considèrent sincèrement que l’antisionisme de ces démocrates cache en fait leur haine des Juifs et, pour ceux qui sont juifs eux-mêmes, la « haine de soi ». Pour combattre efficacement l’antisémitisme, il est nécessaire d’établir une distinction claire entre judaïsme et sionisme ainsi qu’entre antisémitisme et antisionisme. Car la confusion entre ces notions renforce des préjugés concernant les Juifs. D’abord ceux selon lesquels tous les Juifs auraient la nationalité israélienne et soutiendraient les choix politiques des gouvernements israéliens. Ensuite celui selon lequel les Juifs seraient puissants et secrètement organisés au point d’imposer leur volonté aux grands de ce monde. Il s’explique par l’impunité dont jouit depuis si longtemps l’« État des Juifs ». S’appuyant sur le sentiment de culpabilité des Européens vis-à-vis du judéocide que l’Europe n’a pas empêché et, plus récemment, sur la peur de l’« islamisme » régnant sur notre continent, le mouvement sioniste a en effet réussi à imposer l’idée dans l’opinion publique occidentale de la légitimité de l’existence de l’État d’Israël en tant qu’État juif, malgré les discriminations qui en découlent pour les habitants non juifs de la Palestine-Israël. Il en découle que, depuis sa

création, Israël a bénéficié d’une coupable indulgence de la part des dirigeants occidentaux visà-vis de ses innombrables violations, essentiellement aux dépens des Palestiniens, des décisions de l’O.N.U. et du droit international. C’est ce qui fait que, pour ceux qui sont perméables à la théorie raciste du « complot juif international » le monde occidental peut apparaître « soumis aux Juifs ».

geance à l’État d’Israël, son opposition aux discriminations ne souffre d’aucune exception. Son rôle est donc essentiel pour lutter contre les préjugés qui découlent de la confusion entre judaïsme et sionisme ainsi qu’entre antisémitisme et antisionisme, une mission essentiellement pédagogique. n

Le rôle de l’UPJB Le combat contre les préjugés racistes ainsi que les discriminations et les persécutions qui en découlent trouve sa légitimité – et donc sa crédibilité - dans le fait qu’il est mené au nom d’un principe de base de la démocratie : l’égalité des droits de tous les citoyens. Ceux qui prétendent combattre les préjugés et discriminations dont seraient victimes la communauté à laquelle ils appartiennent tout en véhiculant euxmêmes des préjugés négatifs et/ ou en justifiant des discriminations à l’égard d’autres communautés, se discréditent et perdent toute légitimité. Ceci dit, je pense comme Henri Goldman que l’antiracisme doit «  marcher sur deux jambes  »6 : à côté d’associations antiracistes « généralistes », il est utile qu’en existent d’autres, issues de groupes victimes de racisme et ayant pour préoccupation que la parole et les revendications spécifiques de leur communauté soient entendues. En tant qu’association juive résolument ancrée à gauche et non sioniste, l’UPJB est, en Belgique, la seule organisation juive francophone capable d’une action efficace contre les préjugés antisémites car, refusant toute allé-

J’ai développé ce point de vue dans « De la liberté d’expression et de ses usages », in Points Critiques n° 313, février 2011, pp. 20 à 23. 2 Cf. Staszewski, M. « Combattre le négationnisme… oui, mais comment ? » in MRAX info n° 178, mai-juin 2007, pp. 8 à 11. 3 Cf. Poliakov, L., Histoire de l’antisémitisme, Calman-Lévy, Points-Histoire, 1981 (2 volumes). 4 Titre du célèbre essai du journaliste hongrois Théodore Herzl (1860-1904), paru en 1896, qui constitue la « bible » du sionisme politique. 5 Yehoshua, A.B., Israël, un examen moral, Calman-Lévy, 2004, p. 93. 6 Goldman, H., « Neuf thèses pour un antiracisme de convergence », in Les défis du pluriel. Égalité, diversité, laïcité, Couleur Livres, 2014, pp. 147-156. 1

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israël-palestine ​ ne priorité absolue : dénoncer et U sanctionner le made in illegality Henri wajnblum Suite et fin forcément succincte et incomplète de mon carnet de route lors de la mission parlementaire que j’ai accompagnée au début du mois de novembre en Israël et en Palestine dans le cadre de la campagne made in illégality

A

près la rencontre avec Michel Warschawski, le tour des colonies de Jérusalem-Est et nos rencontres à Ramallah (voir Points critiques n° 351 de décembre 2014), nous partons en direction de Hébron, accompagnés de Yehuda Shaul, membre fondateur du mouvement Shovrim Shtika (Brisons le silence), un mouvement créé en 2004 par des soldats ayant accompli leur service militaire dans les Territoires palestiniens occupés et qui ont décidé de témoigner de ce qu’on leur a fait faire au nom de la société israélienne. Ce mouvement, le moins qu’on puisse en dire, n’est pas du tout apprécié des autorités israéliennes. On ne peut en effet pas traiter ses membres de gauchistes irresponsables, comme c’est le cas pour les refuznikim, puisqu’ils ont accompli leurs obligations militaires sans rechigner. Et leur travail consiste à recueillir des témoignages de soldats qui racontent…

​Quiryat Arba Avant d’arriver à Hébron, nous nous arrêtons dans la colonie de Quiryat Arba, cette colonie d’où était originaire Baruch Goldstein qui, un jour de 1994, se rendit à la Mosquée située dans le caveau des Patriarches de Hébron pour y assassiner 29 fidèles en prière

et en blesser plus d’une centaine d’autres avant de se donner la mort. La particularité de Quiryat Arba est, outre le fait d’être une colonie parmi les plus extrémistes, de contenir deux stèles dans un petit jardin, celle à la gloire du rabbin Meir Kahane, homme poli-

Hébron Hébron est divisée en deux zones… H1 en zone A (sous Autorité palestinienne) et H2 en zone C (sous contrôle israélien exclusif). Arrivés en H2, nous découvrons une véritable ville fantôme. La rue principale, où se tenait à

l’usage exclusif de l’armée et des colons qui, eux, peuvent y rouler en voiture. Plus ou moins 500 colons en pleine ville protégés par plus de 1000 militaires ! Comment en est-on arrivés à cette désertification ? Par la violence des colons qui savent pouvoir agir en toute impunité et qui savent surtout que l’armée prendra toujours leur parti ; qui savent aussi que c’est la loi civile qui leur est appliquée alors que les Palestiniens sont soumis à la loi militaire. Yehuda Shaul, qui a servi à Hébron, nous raconte les techniques utilisées par l’armée pour créer chez les Palestiniens un sentiment d’insécurité permanente… Notamment la stratégie de la fausse arrestation qui consiste à choisir la personne la plus innocente qui soit pour l’arrêter et la relâcher quelques heures plus tard de manière à ce que tout le monde se pose des questions… Pourquoi elle, est-elle clean ou s’agitil d’un informateur ? De quoi créer une véritable atmosphère de suspicion et de peur.

dans cette zone qu’Israël a décidé de confisquer 400 hectares de terre palestinienne provoquant un tollé international.

Jérusalem et Silwan Rentrés à Jérusalem, nous en faisons la visite avec Yonathan Mizrachi, un archéologue juif israélien d’origine kurdo-irakienne, membre des associations Emek Shaveh et Silwanic. Il nous explique la stratégie israélienne pour faire de Jérusalem la capitale indivisible et éternelle d’Israël… En creusant notamment des tunnels qui entourent le Mur des Lamentations et l’Esplanade des Mosquées. Il nous emmène ensuite dans le quartier de

comme la « Cité de David » est soudain devenue un lieu sacré, des dizaines de colons viennent s’y installer. Nous devions rencontrer trois représentants du Comité populaire du quartier, pas de chance, ils avaient été arrêtés deux jours plus tôt pour avoir protesté contre l’installation des colons juifs…

Who Profits Tel-Aviv… Nous y rencontrons trois représentantes de l’association Who Profits. Fondée en 2007, cette association, composée uniquement de femmes, mène un travail remarquable : elle enquête en effet sur les sociétés israéliennes ou étrangères présentes

Wadi Fukin

Hébron, des soldats dans une vile désertifiée

tique israélo-américain, fondateur du parti Kach, un parti fasciste, et qui fut assassiné à New-York en 1990, et celle à la gloire de Baruch Goldstein. Donc, bien loin de faire profil bas, les habitants de la colonie et les nombreux visiteurs qui viennent s’y recueillir pérennisent et glorifient la mémoire de ces deux tristes personnages.

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une époque le plus grand marché de Cisjordanie, est carrément désertifiée… Toutes les maisons et les commerces ont été vidés de leurs habitants et les entrées ainsi que les fenêtres entièrement grillagées. Les Palestiniens ne peuvent y circuler, à pieds, que sur une étroite bande de trottoir, la rue elle-même étant laissée à

Sur le chemin de retour vers Jérusalem, nous nous arrêtons au village de Wadi Fukin situé à proximité immédiate de la Ligne verte. Le maire de ce village de 1.300 habitants (surtout des agriculteurs) nous reçoit. Et nous explique, photos à l’appui, que les terres agricoles du village sont de plus en plus polluées par le déversement des eaux usées de la colonie qui les surplombe, la colonie ultra-orthodoxe de Betar Illit qui compte aujourd’hui près de 40.000 habitants. L’objectif des autorités israéliennes est clair, faire disparaître ce village de la carte pour que la colonie soit directement reliée à Israël sans obstacle aucun… C’est d’ailleurs

Les terres de Wadi Fukin surplombées par la colonie de Betar Illit

Silwan où Israël prétend que se trouvait la Cité de David… Nous visitons une partie des fouilles et Yonathan nous explique que si l’on peut effectivement démontrer que les pierres datent bien de l’époque de David, rien n’atteste que lui-même y avait installé sa Cité. Qu’à cela ne tienne… Israël est en train de la « reconstruire » et en profite pour exproprier des familles entières de Palestiniens. Et

dans les Territoires palestiniens occupés en violation du droit international. Elle identifie ainsi une série de produits et services qui sont exportés notamment en Europe. Nous sommes en plein dans notre sujet… la campagne sous le thème duquel cette mission parlementaire a été initiée. Who Profits dispose de deux canaux pour diffuser le résultat de ses recherches.

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➜ Son site internet (www.whoprofits.org), qui met en ligne nombre d’informations de façon factuelle. Et une série de brochures thématiques, qui contextualisent les données, par exemple sur l’industrie pharmaceutique, les produits agricoles... À propos de l’agriculture notamment, les responsables de Who Profits nous informent qu’elles ont répertorié une série de sociétés qui exportent des produits agricoles cultivés dans les colonies, ce qui réduit considérablement les terres cultivables palestiniennes. Nous abordons avec elles la question du BDS… Silence embarrassé… Mais elles nous font comprendre que toute incitation au BDS est à la merci de la loi sur l’appel au boycott qui n’a pas encore été appliquée mais qui pourrait l’être à tout moment. Il nous est toutefois facile de com-

installé des lignes électriques. 70 poteaux y ont été détruits par l’armée israélienne alors que leur installation avait été réalisée avec l’accord des autorités israéliennes puisque celui-ci était indispensable pour pouvoir se raccorder au réseau électrique israélien  ! Nous nous y rendons avec des jeunes membres de l’organisation al-Haq, une ONG palestinienne de défense des droits de l’Homme, ainsi qu’avec une équipe de la RTBF-TV qui s’est jointe à nous et qui fera d’ailleurs un excellent reportage sur cette journée dans la Vallée du Jourdain. La veille de notre arrivée à Khirbet al-Taweel, l’armée israélienne y avait procédé à la démolition de deux maisons sous le prétexte qu’elles ont été construites sans permis ! Nous sommes confrontés au comble du cynisme étant donné que ces maisons datent largement d’avant la proclamation de

tiques de tuiles rouges. Mais il y a bien plus… des cultures à perte de vue dans cette région désertique et aride. Toutes ces terres ainsi que l’eau de leurs nappes phréatiques, qui permet de faire fleurir le désert, ont été confisquées aux Palestiniens. Nous arrivons dans ce qu’on pourrait appeler un zoning agricole, lié aux colonies, et nous nous introduisons (puisqu’aucune inscription ne l’interdit) dans une entreprise du nom d’Ada Fresh qui semble produire et emballer des avocats de la marque Carmel, bien connue dans nos magasins, et de la roquette. Dès qu’il nous aperçoit, le responsable de l’entreprise arrive en clamant que c’est une entreprise privée et que nous n’avons pas le droit d’y être, et qu’il appelle la police. Nous avons tout de même le temps de filmer (l’équipe de la RTBF), de prendre des photos et de nous

Khirbet al-Taweel. Poteaux électriques démolis et les habitants contraints de vivre dans des conteneurs

prendre entre les phrases que si le BDS veut être efficace et amener Israël à la raison, c’est toute son économie qui doit être frappée car c’est… toute son économie qui profite de l’occupation et pas seulement les entreprises domiciliées dans les Territoires palestiniens occupés.

Khirbet al-Taweel En route vers la Vallée du Jourdain, nous nous arrêtons à Khirbet al-Taweel. Il s’agit d’un village où la Coopération belge avait

l’État d’Israël ! Mais peu importe, tous les moyens sont bons pour faire partir les villageois de manière à pouvoir construire une route qui relierait les colonies avoisinantes entre elles.

Made in Illegality Nous poursuivons notre périple vers la Vallée du Jourdain et la Mer morte. C’est là que les informations que nous avons reçues la veille au siège de Who Profits prennent tout leur sens… Tout au long de la route, nous voyons les colonies et leurs toits caractéris-

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saisir de deux cartons d’emballage, un pour les avocats et l’autre pour la roquette sur lesquels il est clairement indiqué Produce of Israel… Made in illegality s’il en est ! Nous longeons ensuite la Mer morte sur plusieurs kilomètres, une mer et des plages interdites d’accès aux Palestiniens, sauf une seule, pour des raisons, vous l’aurez deviné… de sécurité. Nous arrivons ensuite dans une autre entreprise qui exploite en toute illégalité les ressources naturelles palestiniennes : Ahava, célèbre

Vallée du Jourdain : prodution et emballage des légumes Produce of Israel

La Knesset

producteur de cosmétique bien connu chez nous aussi. Mais ici, rien n’est caché : tout est montré aux touristes, auxquels on vante les vertus que les lotions qui y sont produites tirent du haut taux de sel de la Mer morte. La colonisation comme argument de vente...

Dernière journée Ce matin, nous nous rendons au bureau de l’Ocha, le bureau de coordination de l’ONU pour les questions humanitaires dans les Territoires palestiniens occupés. Le responsable nous projette une impressionnante présentation cartographiée et chiffrée implacable et choquante, de ce que vivent les Palestiniens en Cisjordanie et plus encore à Gaza.

Mission parlementaire officielle oblige, nous avons été invités à la Knesset et, à notre corps défendant, c’est Tzachi Hanegbi, membre pur et dur du Likoud et vice-ministre de la Défense qui nous y reçoit. Le discours est connu et bien rodé… « Il faut que les Palestiniens comprennent qu’il faudra qu’ils fassent des concessions douloureuses, tout comme nous ». Nous l’écoutons dans une ambiance assez glaciale et nous comprenons qu’il est inutile d’entamer un débat avec lui. Même pas de lui rappeler que l’OLP a reconnu la légitimité de l’État d’Israël dans les frontières d’avant le 5 juin 1967, en échange de quoi Israël a envoyé, au fil des ans, plus de 500.000 colons spolier les Palestiniens de leurs terres. Nous sentons bien que cela lui est totalement égal… Une bouffée d’oxygène nous attend un peu plus tard lorsque nous rencontrons les trois parlementaires du parti Balad, un des trois partis arabes de la Knesset.

Nos trois interlocuteurs ont beau avoir la citoyenneté israélienne, ils n’en subissent pas moins de nombreuses brimades, à l’instar de l’ensemble des Palestino-israéliens (1,6 million de personnes, un cinquième de la population israélienne), discriminés dans tous les aspects de leur vie quotidienne. Balad a d’ailleurs répertorié cinquante lois racistes adoptées par la Knesset. Haneen Zoabi, la très militante membre féminine du trio de députés, nous explique qu’elle fait actuellement l’objet d’une sanction de la Knesset : en juillet dernier, elle a été suspendue pour six mois de toute participation aux commissions parlementaires et aux séances plénières, en raison des propos qu’elle avait tenus lors de l’agression de Gaza, une suspension en… suspens au moment où nous la rencontrons, mais sous la menace de laquelle elle vit toujours. Or, nous précise-t-elle, le règlement de la Knesset ne prévoit aucune sanction pour motif politique. Pour les citoyens palestino-israéliens, la démocratie israélienne n’est qu’un leurre. Notre mission se termine là, mais, en réalité, tout commence. Les parlementaires qui en faisaient partie sont, depuis leur retour, extrêmement actifs dans le combat pour la reconnaissance, par la Belgique et par l’UE, de l’État de Palestine dans les frontières de 67, en ce compris Jérusalem-Est. Des propositions de résolutions en ce sens ont, depuis, été déposées par le PS, le s.pa ainsi que par Ecolo-Groen. Espérons que la majorité suivra, non pour une reconnaissance virtuelle, mais pour une reconnaissance effective assortie de menaces de sanctions s’il s’avère qu’Israël doive être amené à la raison. n

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lire et regarder Marcel Gotlib Les mondes de Gotlib, exposition au Musée Juif de Belgique du 14 novembre 2014 au 8 mars 2015

Antonio Moyano Après la tuerie perpétrée le 24 mai 2014, le Musée Juif de Belgique fait preuve d’une belle audace en fêtant sa réouverture avec un joyeux rigolo à l’esprit grinçant et libertaire : Marcel Gotlib. Dans mon souvenir d’écolier, Gotlib c’est avant tout la « Rubrique-àbrac » dans Pilote. Et le magazine Pilote je le rattache à mon école primaire schaerbeekoise 188 rue Rogier, où une surveillante aux cambrures de pin-up nous fourgue des piles de Pilote qu’elle tire de son armoire : « Je ne veux rien entendre, lisez en silence ! » Et je lis tout, tout… sauf Gotlib. À 9/10 ans, je trouve Gotlib trop compliqué. Je ne pigeais pas bien son humour, la dérision, la parodie, le détournement, la satire, les références, les sous-entendus, le non-sens, oufti ! Par contre, je lis de façon muette – mais en parlant très fort dans ma tête – Le Petit Nicolas de Sempé et Goscinny, c’est tellement plus drôle si on y colle la voix ! Et je découvre, en visitant l’expo, que ça marche tout aussi bien avec Gotlib mais 45 ans plus tard, zut alors ! Cette expo a sur moi un effet bœuf : le désir boulimique de découvrir tout Gotlib ! Le point faible de cette expo, selon moi, c’est le manque d’un audio-guide avec du texte de Gotlib car Gotlib ça se voit, ça se lit, ça s’entend et ça se rire ! Oui, se rire, j’en ai fait l’expérience : j’ai lu son autobiographie J’existe je me suis rencontré1, il retrace sa vie de zéro à seize ans (Gotlib

est né à Montmartre le 14 juillet 1934). Les voyageurs de la STIB me voyant lire Gotlib ont dû se dire : tiens, voilà un dingo qui se poile en solo ! Et c’est vrai, je mitraillais des fous rires. « Je suis un type compliqué, dit-il page 142, j’ai toujours eu un mal fou à ouvrir en grand les vannes de mes émotions. Je suis constipé du cœur. Grosse lacune que je comble tant bien que mal en faisant dans le «  rigolo  », un paravent très pratique dissimulant parfaitement les états d’âme embarrassants et générateurs   de honte ». Ce livre est composé de trentesept chapitres, et je suis sûr qu’on pourrait en tirer un formidable one man show, genre stand-up. Dix garçons et filles s’emparent du texte de Gotlib et te font « un seul en scène » du tonnerre, le triomphe est assuré, top-là ! Comprenez-moi, l’enfance de Gotlib n’a rien de désopilant, disons plutôt que c’est son tour de main pour trancher l’anecdote qui déborde de drôlerie. Même dans des moments tragiques il ajoute sa touche d’humour, ainsi nous dit-il, c’est rue Lamarck en 1942 dans le centre d’accueil pour orphelins qu’il découvre les films de Georges Méliès ou Félix le Chat. Ou lorsqu’il est caché avec sa petite sœur à Vigneux-sur-Seine, dans la banlieue Sud de Paris, il s’est mis en tête de faire un beau dessin pour sa maman qui vient une fois par semaine leur rendre visite, Mar-

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cel s’acharne à terminer son dessin alors que sa mère s’impatiente et sonne et sonne à la porte et il tarde, il tarde à lui ouvrir, pourquoi donc ? Pardi, c’est que son dessin n’est toujours pas terminé. « Depuis ce jour-là, il y a toujours eu entre elle et moi ce contentieux que je n’ai jamais réussi à régler. Dès qu’elle avait le moindre motif de plainte, ça repartait : « Tu t’en rappelles, hein, quand tu n’as pas voulu m’ouvrir ? » Jamais je n’ai pu lui faire entrer dans la tête que j’étais en train de lui préparer un cadeau de bienvenue. » (p. 66) Ensuite c’est la chevauchée vers une autre cache, par l’intermédiaire de la mère supérieure d’un couvent (« Ils n’ont pas fait que dépanner Paul Touvier, dit-il, Faut pas croire ».) Sa sœur et lui se retrouvent dans une ferme à Villeune-la-Bornière, dans l’Eureet-Loir, où résident douze autres enfants juifs. Et surgissent là aussi des prémices de sa future vocation : « Les dimanches étaient mortels. Heureusement, je pouvais passer le temps à gribouiller sur un coin de table. Ma mère m’envoyait un colis de loin en loin, prenant bien soin de ne pas inscrire de nom d’expéditeur. Les Lefèvre me le remettaient avec un sourire affable en disant : « Tiens, amuse-toi. » Il contenait d’inestimables trésors, crayon noir, papier, gomme, crayons de couleur, parfois même un album à colorier qu’elle se procurait je ne sais comment. » (p.79) Dès le début du

livre, il se rappelle sa passion : « Comme j’avais déjà, à l’époque, un élégant coup de crayon, il m’arrivait de recouvrir de graffitis les murs de l’appartement. «  Tagger  » avant la lettre, peutêtre, mais sur du papier peint ça faisait sale. Aussi, dès le retour de mon père j’étais immédiatement cafté (…) Plus tard, au sortir de l’enfance, j’ai enfin osé poser la question à ma mère. « Pe-

tite mère, aujourd’hui, j’ai trentedeux ans. Il est grand temps que tu me révèles ce que Père te disait quand je dessinais des graffitis au crayon de couleur sur les murs. Je suis en âge de savoir. Je t’en prie, petite mère. » J’eus ainsi enfin la solution de l’énigme. «  Laissele faire, lui disait-il, dimanche, je lessiverai le papier.  » Le fait est que mes gravures rupestres disparaissaient régulièrement comme par magie. Je disposais toujours de belles surfaces bien propres pour recommencer à tout

dégueulasser. » (p. 16) Sa passion du dessin lui permet également d’enjoliver les cahiers de Klara sa petite amoureuse (p. 193). Et parlant de Ervin Gottlieb, son père (dont vous verrez plusieurs photos dans l’expo), il dit : « Il était né dans cette région d’Europe centrale de langue hongroise appelée Transylvanie, qui faisait la navette de part et d’autre de la frontière séparant la Hongrie et la Roumanie » (p. 14) Irrévérencieux Gotlib ? Y a-t-il des tabous qu’on a honte d’aborder ? Direct, il fait un pied-de-nez à la bienséance, même pour évoquer son papa : « J’ai aussi un vague souvenir de vacances à Berck-Plage où je le revois en tenue de bains (…) Mais ce qui m’impressionnait surtout, c’étaient les énormes bosses et reliefs arrondis de son entrejambe. Je me disais : « Quand je serai grand, j’aurai des protubérances et des renflements aussi majestueux. » Et je me disais : « Vivement que je sois grand. » (p. 17) Et la page 145 : « C’est comme ça qu’à douze ans j’ai fait la connaissance de la Veuve Poignet avec qui par la suite j’ai entretenu d’excellents rapports durant de longues années ». Je ne peux lister tout ce qu’il évoque : sa Bar-Mitsva express à 14 ans, ou quand en 1989 il fait connaissance de ses cousins, les enfants d’un frère de son père : « Ce cousin de la branche Gottlieb, tombant des nues sans crier gare, provoqua instantanément dans tout mon être un bouleversement inimaginable. » (p. 169). Un épisode magnifique, c’est l’évocation des trois années passées de 1947 à 1950 dans le home d’enfants, le château des Groux, à 20 km de Paris, et le voyage qu’il eut l’oc-

casion de faire en Angleterre. Ce home réunit majoritairement des enfants juifs venus de Hongrie : « En l’occurrence les mômes qui, par miracle, avaient échappé aux trains de marchandises en partance vers des lieux de villégiature moins conviviaux. » (p. 176) Ce seront, dit-il, les trois plus belles années de son enfance. Là, il fait la bizarre expérience de la langue maternelle qui se transmet cahin-caha (c’est selon) quand on est fils d’immigrés : « Ils étaient également très doués pour les langues, parlant couramment le français en dépit de leur présence relativement récente dans l’Hexagone. (…) Entre eux, ils utilisaient une sorte de dialecte dont ils affirmaient que c’était du hongrois courant. Or, à l’époque, je parlais moi-même couramment le hongrois et malgré cela, je ne comprenais rien du tout à ce qu’ils disaient. (…) j’ai compris qu’en fait ils s’exprimaient en un hongrois des plus académiques et des plus purs. Je n’y entravais que dalle, tout simplement parce que c’était moi, en réalité, qui baragouinais un jargon tordu, alambiqué, un mélange de hongrois, de français et de yiddish. Une langue-patchwork, fabriquée de toutes pièces par ma mère au fil des ans… » J’ouvre à l’instant même le paquetage envoyé au grand galop par l’amazone (ben, non, impossible d’y résister, j’ai encore succombé) : Ma vie-en-vrac de Gotlib concocté par Gilles Verlant, paru en 2006. J’y vais, salut ! Voyez la bonne miche de pain-gotlib qui m’attend, miam !​ n Gotlib, J’existe je me suis rencontré, Flammarion, 1993. 279 pages.

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lire

communauté(s)

Impostures, ambiguïtés. Les nouvelles d’Agnès Desarthe

​Une autre voix juive en Flandre

tessa parzenczewski

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ne femme suit des cours de piano, c’est le centre de sa vie. Une femme travaille dans une banque. C’est son unique quotidien. Problème : c’est la même. Vies rêvées, vies parallèles, la fiction dans la fiction, identités floues, qui est qui ? Et qui est le « je » narrateur ? Certains personnages semblent se cacher, endossent d’autres noms, d’autres professions. Comédie sociale, panique ? D’autres sont là avec tout leur vécu, comme Golda, qui pour ses soixante-cinq ans a reçu un étrange cadeau : une séance de saut à l’élastique, offerte par ses vieux amis de la Maison d’enfants de l’après guerre, de ces maisons qui recueillaient les enfants juifs orphelins. Au-dessus du vide, Golda exulte et décompose de mémoire les mouvements des oiseaux. Les oiseaux, c’est aussi le monde d’un personnage sans nom, féminin, qui récolte de manière artisanale, sans aucun appareil, les chants des oiseaux, les identifie, les transpose. Et puis un drôle d’oiseau apparaît dans une nouvelle, un faisan pas comme les autres, il parle ! Parfois Agnès Desarthe revient sur terre, ou sur mer aussi, comme dans cette croisière où le narrateur rencontre un homme très riche, à la tête de hibou, qui lui conte un véritable mélo, où c’est lui le méchant.

Anne Grauwels et Amir Haberkorn

Sous couvert d’imaginaire, du fantastique même, l’écrivaine évoque nos réalités banales. Un mystérieux Comité siège on ne sait où et ausculte nos vies. Il braque le projecteur sur un couple et le suit pas à pas jusqu’à la séparation. Rapports et PV comme dans tout comité. Le diable aussi existe. Il guette sa proie, l’accompagne depuis l’adolescence pour lui acheter son âme, mais parfois craque et s’attendrit, et puis l’âme que vaut-elle ? Mon âme, dit-elle. Mon âme, que vaut-elle  ? Mon âme est une liste de courses. Mon âme est une déclaration d’impôts, un bulletin de notes au bas duquel ne figurent pas d’encouragements. Mon âme est le mode d’emploi du lave-vaisselle remplacé depuis huit ans, une lettre de la banque indiquant que le découvert risque d’entraîner le blocage du compte (….) Constamment, Agnès Desarthe casse les échappées et nous ramène aux sarcasmes de la réalité. Le monde littéraire n’est pas épargné, attachés de communication, séances de signatures minables, gloires usurpées. Mais la nouvelle qui donne son titre au livre est d’une tout autre nature. « Ce qui est arrivé aux Kempinski  ». Une historienne organise des colloques autour de la Shoah. Petit à petit, elle se rend compte d’un ras-le-bol générali-

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sé. (…) Et là , il se passait quelque chose. Quelque chose d’atroce. La tête que faisaient les gens quand je leur disais ça était un événement en soi, une œuvre, un kaléidoscope. La grimace n’était pas toujours la même. Sa variété constituait une menace. Parfois je pensais en faire un catalogue. Irais-je jusqu’à l’exposition ? me demandais-je. Je me promènerais alors avec un appareil photo et, au moment où je décocherais ma réponse, j’appuierais sur le déclencheur. L’exposition aurait pour titre : « La tête que font les gens quand je leur dis que je travaille sur la Shoah ». Admirablement écrites, légères et caustiques, les nouvelles se terminent sans chute, ou alors une chute dérobée, sans conclusions, ni révélations. Les histoires d’amour resteront en suspens, les énigmes intactes. Au lecteur de fantasmer. n

Agnès Desarthe Ce qui est arrivé aux Kempinski Editions de l’Olivier 190 p., 17,50 €

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et été, dans la foulée des événements dramatiques de Gaza, des voix juives se sont élevées en Flandre pour dénoncer l’horreur et faire entendre une autre voix. Il faut dire que Joods Actueel, l’organe de la communauté juive à Anvers et par extension en Flandre, ne brille pas par sa diversité d’opinions. C’est la voix de son maître, la pensée unique, surtout quand il s’agit d’Israël. À Anvers contrairement à Bruxelles, la communauté juive ne compte pratiquement que des organisations religieuses ultra-orthodoxes. Déjà avant la guerre des activistes juifs venus de l’Est (bundistes, sionistes, communistes…) s’établissaient à Bruxelles, à l’exception de communistes qui ont fondé, à Anvers, le YASK, une petite organisation juive communiste. Les quelques Juifs laïcs qui étaient revenus après la guerre pour travailler dans le diamant, encouragés en cela par Camille Huysmans (socialiste et bourgmestre d’Anvers, Premier ministre du gouvernement avec les communistes de 1946 à 1947) formaient la base d’une frange libérale et modérément religieuse qui a caractérisé la communauté juive anversoise jusqu’ à la fin des an-

nées 70 (Maison de la Culture, organisation sioniste de gauche et le Centre Romi Goldmuntz). Avec la venue de la concurrence indienne, une grande partie de cette bourgeoisie libérale et francophone a quitté depuis un secteur du diamant ayant dès lors

flamande » selon elle. Une façon de décrédibiliser d’entrée de jeu toute voix dissidente juive. Pourtant Een Andere Joodse Stem, si elle se veut critique, a pour ambition de faire entendre ce qui se pense de plus en plus largement dans les milieux juifs, n’en

changé fondamentalement de structure. Les Juifs dissidents que nous avons pu entendre et rencontrer cet été ont un tout autre parcours. Beaucoup d’entre eux sont arrivés en Belgique, il y a cinq, dix, voire vingt ans pour y travailler, y étudier ou faire de la recherche. Ils viennent des États-Unis, du Canada et souvent aussi… d’Israël. Certain-e-s sont bien ancré-e-s dans la société flamande, ont épousé des Belges et habitent un peu partout en Flandre et pas seulement à Anvers. Depuis l’été quelques réunions ont suffi pour créer « Een Andere Joodse Stem. Another Jewish Voice ». La réaction de l’ambassade d’Israël ne se fit pas attendre, «  une UPJB

déplaise à l’ambassade d’Israël, et notamment qu’une autre politique au Moyen Orient est possible, dans le respect mutuel et l’égalité. Ce sont ces mêmes préceptes de dignité et d’égalité qui l’amènent à travailler autour d’un second axe, la lutte et la dénonciation du racisme, et plus particulièrement de l’antisémitisme et de l’islamophobie. Pour tous renseignements concernant l’EAJS voir le site bilingue (néerlandais et… anglais) www.eajs.be/?lang=en et/ ou la page Facebook Een Andere Joodse Stem – Another Jewish Voice. n

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réfléchir En 1643, le Bordelais Isaac La Peyrère (1596-1676), issu d’une famille de Juifs portugais, converti au protestantisme, plus tard au catholicisme, publie Rappel des Juifs, un livre destiné à convaincre le roi de France de soutenir le retour des Juifs en Terre Sainte. Il avait imaginé auparavant l’existence de « préadamites », ancêtres du premier homme. Ô délires, délires !

Signes des temps, signe du temps jacques aron

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vec la présence dans le monde de Juifs réels ou imaginaires, nous sommes immédiatement et inévitablement plongés dans la longue durée historique ou légendaire. Elle s’articule en grandes périodes, dont les moments-charnières ne se révèlent souvent qu’avec un certain recul  ; ce fait n’est pas particulier à leur histoire, mais leur dispersion géographique ajoute une difficulté supplémentaire à percevoir ces configurations nouvelles dans lesquelles tous les êtres pensants et agissants sont tenus de s’inscrire, positivement ou négativement. Pour les Juifs, l’émancipation politique, imaginée par beaucoup comme une « sortie du ghetto », même si celui-ci se situait encore davantage dans les pratiques et les mentalités que dans de réelles clôtures, constitua l’une de ces articulations historiques marquantes. S’ensuivit, comme toujours, une longue période de percolation des idées émancipatrices à travers des structures sociales combien différentes. L’émancipation ellemême, un acte symbolique – le décret du 27 septembre 1789 – plus qu’un bouleversement profond des consciences, avait mûri en trois siècles de développement

d’un « Tiers-État », bourgeoisie citadine et manufacturière, accompagné d’une crise religieuse, d’un nouveau schisme dans la chrétienté, laissant apparaître un espace de remise en cause des « autorités théologico-politiques  » en place. Cette évolution se situe déjà loin de nous et de nos préoccupations actuelles ; celle, par contre, qui succède à la Révolution française et aux guerres napoléoniennes déjà réactionnaires, fait encore partie de l’expérience contemporaine. De l’émancipation aux lois de Nuremberg du 15 septembre 1935 – pour nous en tenir à deux actes juridiques majeurs – l’Europe a vécu le combat incertain entre l’intégration et le rejet social de ses Juifs, acteurs présents et actifs de cet affrontement. Cette période, comparée à la précédente à laquelle je faisais allusion, est deux fois plus courte, mais elle est surtout marquée par une accélération sans précédent dans l’histoire humaine, du poids de la démographie, du développement de la division du travail et des moyens de production, et des contradictions sociales. Elle contient le premier conflit de dimension planétaire, dont beaucoup pensent aujourd’hui que l’on ne peut détacher le second qui lui succède à vingt ans à peine d’intervalle. Dire que l’expérience et

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l’intelligence humaines n’ont pas été à la mesure de ces défis relève de l’euphémisme. Petit fétu de paille dans ces bouleversements désormais globaux, la judéité1 a été fortement éprouvée, sans doute en raison même de sa longue histoire et de sa portée symbolique. De façon générale, les peuples situés au cœur du cyclone ont payé un lourd tribut ; symboliquement, la judéité a été l’objet d’un génocide, tentative d’éradication systématique et radicale. Ce serait une lourde erreur d’en isoler la spécificité dans cette problématique générale. Elle est inscrite au cœur du désastre ; la prendre éventuellement pour mesure de la déchéance humaine ne justifie aucune sacralisation de l’évènement. Ni Holocauste ni Shoah, nominations qui relèvent encore de l’imaginaire prémoderne. Dans la période d’émancipation/anti-émancipation, un courant juif est apparu, qui, par opposition ou par mimétisme, a adopté les formes d’organisation étatique de ses adversaires et revendiqué la possession politique d’un territoire, comme solution définitive d’une pseudo «  question juive  » et comme sortie délibérée de la «  malédiction de l’exil  ». La mesure de la catastrophe de la Seconde Guerre mondiale, bien plus

que le poids des 400.000 Juifs établis en Palestine à la veille du conflit, a favorisé la proclamation en 1948 de l’État d’Israël. À peine quelques décennies plus tard, cette création montre la fragilité de ses fondements. Fruit des circonstances et réponse circonstancielle à des situations de détresse, cet État, reconnu sur la base d’une fiction juridique inapplicable en droit international : des droits «  historiques  », si pas mythiques et religieux, cette fondation semble avoir atteint ses limites, dénoncées dès la création du sionisme, et partiellement en son sein même. De nombreux signes donnent à penser, que nous pourrions être à l’aube d’une nouvelle ère pour la judéité. Malgré le génocide, la diaspora, la véritable condition du Juif moderne, n’a pas dispa-

ru, mais se reconstitue, même s’il s’agit parfois de tentatives artificielles et malhabiles, portant encore les stigmates de l’histoire européenne d’après-guerre. Entre cette diaspora et un gouvernement d’Israël qui rêve de garder les Territoires occupés et de se réapproprier les lois de Nuremberg, le fossé se creuse chaque jour davantage. Le fantasme d’un centre politique, spirituel et culturel pour les Juifs du monde entier a fait faillite. La démocratie est le corollaire de la condition diasporique, la démocratie pour tous s’entend, pas pour les seuls Juifs. Un renversement copernicien n’est-il pas près de se produire : Israël, comme composante d’une diaspora mondialisée  ? Si ce pays peut surmonter son handicap originel, sa non-acceptation dans l’environnement qui est le sien, son avenir peut être différent, et, de ferment de discorde, devenir foyer de concorde. L’Europe, encore sous le poids de ses divisions internes et de sa mauvaise conscience récurrente – mais la mauvaise conscience ne fait jamais la bonne politique – hésite, tergiverse et cherche à gagner du temps. Les hommes, à qui il n’est donné de vivre que quelques années, ont beaucoup de peine à penser la longue durée de l’espèce et le temps historique.

C’est d’autant plus étonnant pour ceux qui se prétendent de la semence d’Abraham : les descendants de ceux à qui D. aurait confié la rédemption de l’humanité. Bel idéal, si souvent revendiqué, détourné, dérobé et retourné contre ses porteurs eux-mêmes. S’il est une catégorie d’hommes modernes dont on attend – ô illusion – qu’ils soient formés à cette dimension du temps historique, ce sont ce que l’on appelle les hommes «  politiques  ». Cette conception relativement jeune et encore incertaine de la légitimité du pouvoir, de la délégation de pouvoir démocratique, rassemble encore le meilleur et le pire. Mais rien ne remplacera jamais l’engagement responsable de tous les citoyens ; les Juifs en font partie. Encore combien de morts inutiles sur les chemins de la justice, de la solidarité et de la paix ? n

Dans toute la confusion de langage qui prévaut aujourd’hui, ce terme me paraît le plus apte à englober tous ceux qui se dénomment Juifs, quelles que soient les raisons qu’ils se donnent.

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mémoire(s) Mickey, le judéocide et Breslau-lajuive roland baumann Le Journal de Mickey vient de fêter ses 80 ans, mais, au-delà de la célébration et de la nostalgie qui rassemblent les générations autour de l’univers enchanté, optimiste et espiègle de la petite souris éponyme, les « souvenirs d’enfance» de Mickey Mouse s’associent aussi aux années sombres de la mémoire européenne.

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e jeudi 18 octobre 1934 à Paris, le premier numéro du Journal de Mickey (JDM) sort en kiosques. L’inventeur du nouvel hebdomadaire pour jeunes, Paul Winkler, immigré juif de Hongrie, a fondé en 1928, Opera Mundi, agence de presse diffusant les bandes dessinées américaines du King Features Syndicate de W.R. Hearst. C’est par son intermédiaire qu’en octobre 1930 le quotidien Le Petit Parisien publie les premières « bandes à suivre » de Mickey. Aux États-Unis le succès des premiers dessins animés produits par Disney dans lesquels apparaît Mickey Mouse, suscite bientôt la publication des histoires de Mickey sous forme de strips (bandes dessinées) dans la presse écrite. Le succès commercial de l’édition en albums des aventures de la petite souris anthropomorphe par la Librairie Hachette incite Winkler à se lancer dans l’édition du Journal de Mickey, un « vrai journal » pour enfants sur 8 pages (4 en couleur), dont la réussite commerciale et l’esthétique révolutionnent la presse illustrée pour jeunes. Figure emblématique de l’imaginaire américain, évoquant l’enfance et l’innocence,

Mickey se retrouve pourtant vite « détourné » en emblème guerrier, dans la guerre d’Espagne, sur les fuselages d’avions allemands de la Légion Condor et aussi sur des chasseurs républicains Polikarpov I-15 et I-16 !

inédit Coïncidant avec le 80ème anniversaire du JDM, Mickey à Gurs, l’ouvrage de Joël Kotek et du spécialiste de la bande dessinée Didier Pasamonik analyse une oeuvre inédite liée à la mémoire culturelle de la célèbre et très vénérable souris. Mickey au camp de Gurs – publié sans autorisation de Walt Disney : « autofiction en Mickey » dessinée par une victime du système concentrationnaire français. L’auteur, Horst Rosenthal, militant socialiste juif allemand, originaire de Breslau, réfugié en France depuis 1933 est interné par les Français en 1940. Mickey à Gurs reproduit en facsimilé trois carnets de dessins réalisés par Horst en 1942 au camp de Gurs et qui ont pu être préservés (Mémorial de la Shoah et École polytechnique ETH de Zurich). Malgré un long travail d’enquête, on sait peu de choses du parcours de vie de Horst et des Rosen-

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thal, une famille juive « ordinaire » anéantie par les nazis. Sa mère et ses deux frères cadets, restés à Breslau, sont déportés vers la Lettonie et tués par balles en janvier 1942. Juif « trop ordinaire » Horst n’a aucune chance d’obtenir un des rares visas accordés par les États-Unis à certains internés juifs du camp de Gurs grâce aux efforts de Varian Fry et du Centre américain de secours basé à Marseille ! Horst Rosenthal est né le 19 août 1915 «  dans une ville aujourd’hui rayée de la mémoire des hommes : Breslau-la-juive ». Breslau, de son nom latin Vratislavia, une ville au passé juif ancien mais où les Juifs ne peuvent résider jusqu’à l’annexion de la Silésie par la Prusse (1741). Au dix-neuvième siècle, Breslau devient un pôle majeur du judaïsme allemand, le « creuset de la modernité juive », le lieu d’une véritable « symbiose judéo-allemande » dont témoignent, entre-autres, la surreprésentation des Juifs dans les lycées et à l’Université, de même que les mariages mixtes et les conversions au christianisme, expressions du « désir effréné d’intégration » des Juifs à la société allemande. En 1915, la capitale de la Silésie n’est pas seulement une

prospère et industrieuse ville allemande, celle du Baron Manfred von Richtofen, elle compte aussi la troisième judaïcité d’Allemagne après Berlin et Francfort avec près de 23.000 âmes. Elle en compte moins de 200 en 1945. Le rappeler, c’est souligner le poids et les conséquences de la Catastrophe, c’est comprendre pourquoi nous savons si peu de choses de la vie de notre illustrateur (p.77). Né dans une famille prospère de « Juifs vratislaviens », « dans un pays où il faisait bon d’être juif », Horst grandit sous la République de Weimar qui voit l’entrée des Juifs dans certains secteurs-clés de la société allemande dont ils étaient jusqu’alors exclus mais aussi l’essor d’une culture du ressentiment désignant les Juifs comme les responsables de la défaite puis de la crise économique. Aux élections de juillet 1932, le parti nazi réalise un de ses meilleurs scores à Breslau (43,5%). Horst se réfugie en France début juillet 1933. Il faisait des études d’illustrateur à l’École des Arts et Métiers de Breslau. Paris est le paradis des illustrateurs. Mais les immigrés allemands réfugiés en France vivent d’expédients et le dossier administratif de Horst Rosenthal témoigne de la difficulté d’obtenir des papiers. Menacé d’expulsion vers l’Allemagne en août 1934, il obtient finalement le statut de réfugié en octobre 1937. Interné au début de la guerre, il est à nouveau arrêté suite à l’attaque du 10 mai 40 qui provoque l’internement massif des « étrangers suspects » par les autorités françaises. En octobre 1940, les premières mesures antisémites du gouvernement de Pétain autorisent l’internement des Juifs étrangers. Interné à Gurs du 28 novembre 1940 au 20 août 1942, Horst Rosenthal est ensuite transporté à Rivesaltes, puis à Drancy,

d’où il est déporté vers Auschwitz, le 11 septembre 1942: « On perd, dès lors, toute trace de lui ». On ne conserve pas de photos de lui, pas plus que de sa famille.

international et apatride Ces trois carnets de dessins constituent son seul héritage, « tout à la fois sublime et dérisoire ». Mickey au camp de Gurs, fascicule de 15 dessins sur papier à dessin blanc, de format A5, relié à la main, est une pièce unique, destinée à circuler entre les prisonniers. Réalisé à l’encre de Chine et à l’aquarelle, ce récit autobiographique mais fictionnel, montre Mickey arrêté par un gendarme de Vichy alors que Horst s’est livré aux autorités françaises en mai 40. Mickey s’identifie comme « international » au gendarme qui lui demande ses papiers, allusion à la renommée internationale de Mickey et au statut apatride des réfugiés du Reich. Une vraie photo du camp de Gurs, collée dans le petit album renforce la « réalité » de l’autofiction animalière. Horst évoque l’arbitraire bureaucratique dont est victime l’interné à Gurs et la précarité de la survie. Il termine son récit graphique par la décision de Mickey de s’échapper du camp... en s’effaçant «  d’un coup de gomme ». Mickey à Gurs sert donc de guide humoristique du camp, tout comme les deux autres carnets dessinés par Horst : La journée d’un hébergé et le Petit guide à travers le camp de Gurs. À l’imitation d’une brochure touristique, le « Petit guide » invite le lecteur à découvrir un « camp de vacances » dont la « cuisine renommée » garantit une cure d’amaigrissement ! Analysant le fonctionnement du camp de Gurs, Joël Kotek revient sur le système concentrationnaire créé par les Français début 1939

face à l’afflux de réfugiés espagnols suite à la Retirada. Aménagé sur un terrain militaire en Béarn, Gurs est destiné aux combattants des Brigades internationales et de l’Armée républicaine. En mai 40, le camp accueille les réfugiés antifascistes arrêtés par les Français. La politique antisémite de Vichy fait du camp béarnais « le coeur du dispositif antisémite de la « zone libre ». En octobre 40, des milliers de Juifs expulsés du Reich par les Allemands, ainsi que les Juifs transférés d’autres camps français, affluent à Gurs, qui, début août 1942, devient l’antichambre de la mort d’où partent les convois de déportés vers Drancy et Anschwitz. Dans leur analyse historique et esthétique de Mickey à Gurs, Kotek et Pasamonik mettent en valeur le caractère emblématique du récit graphique de Rosenthal, témoignage « tout à la fois du tragique et de l’optimisme des Juifs durant la Shoah  ». «  Mickey incarne autant le rêve américain que le fantasme d’un monde sans entrave, sans barrière, sans parias.  ». Homme libre et citoyen du monde, le Mickey de Rosenthal est le héros cosmopolite réduit à l’état de paria, exclu de la communauté nationale et rejeté de l’espèce humaine, par les nazis et le régime de Pétain. « Catastrophe juive  », l’anéantissement de « Breslau-la-juive » est suivi en 1945 par l’expulsion de la totalité de la population allemande de la ville, « regagnée » par la Pologne. « Breslau-la-germanique » est « aujourd’hui disparue de la mémoire des hommes. » n Joël Kotek et Didier Pasamonik, Mickey à Gurs : Les carnets de dessins de Horst Rosenthal, Paris, Calmann-Lévy, 2014.

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mémoire(s) L’historien et la demande sociale Galia de backer Dans le contexte de la Pologne postcommuniste, où la confrontation avec le passé est souvent douloureuse…1 Galia De Backer, étudiante en histoire, nous relate un voyage effectué il y a peu en Pologne.

D

ans le bus, la moitié des étudiants (un peu moins, à vrai dire) tendaient l’oreille à ce que racontait la guide. Les autres bavardaient entre eux, notaient en riant les bizarreries de la ville encore inconnue ou dormaient tout simplement. La formule du car de touristes avec guide au micro faisait furieusement penser aux excursions qualifiées de culturelles, que l’on peut choisir entre un cours de samba et une séance de massage thaïlandais au Club Med. « The footbridge to go from the Small Ghetto to the Large Ghetto was here. » Les poils de mes bras se hérissèrent. La guide ironisait en inventant un quiz-minute morbide. « How many Jews lived in Warsaw before the war ? And after that ? » Silence. Nous étions plantés là, dans nos sièges orange et violet, à mesurer nos ignorances. Elle récita le nombre de morts dans le Ghetto, à Varsovie, en Pologne. Absence de compréhension, faille dans la communication. Un groupe d’étudiant inscrit au cours «  L’historien et la demande sociale, entre expertise et vulgarisation » d’un côté, une guide engagée jusqu’au cou dans l’histoire encore tremblotante de son pays

de l’autre. Depuis des années, elle revenait sans cesse sur ses souvenirs de jeune varsovienne et se commandait de « ne pas se laisser endoctriner ! ». D’ailleurs, elle adorait la mode et allait régulièrement à Bruxelles acheter des parfums espagnols introuvables en Pologne et même ailleurs. La haine du communisme, la faute sur les Allemands : il fallait y travailler. À chaque fois qu’elle y pensait, les muscles de sa mâchoire frémissaient. Pourquoi ce groupe de Belges avaient-ils décidé de prendre part aux présentations  ? Que savaient-ils de la Pologne ? Que connaissaient-ils du dilemme entre présent et passé ? Au musée de l’Insurrection, le dilemme était résolu. On aurait même pu y déceler une odeur de béton fraîchement coulé, de construction massive et lourde. On pouvait lire au dessus de la porte d’entrée que les citoyens de Varsovie s’étaient soulevés en 1944 contre les Allemands pour « gagner la liberté et ne la devoir à personne ». La gloire polonaise était célébrée dans le vacarme des bruitages d’explosions et de raids aériens. Aucune mention du fait que le pari était perdu d’avance : les troupes allemandes prêtes à écraser toute révolte,

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l’Armée rouge attendant patiemment le bon moment pour prendre la ville et les Alliés penchant pour l’inertie sur le sujet polonais. Aucune trace de l’insurrection du ghetto non plus (sauf peut-être sa mention dans une chronologie de la guerre). L’usine à Histoire détruit systématiquement les dissonances, dissout méthodiquement les ambiguïtés. De retour dans le bus, la suspicion flottait dans l’air. Ça discutait dans tous les coins de ce musée qui sonnait faux à nos oreilles aiguisées d’historiens en herbe. Ou peut-être d’autre chose. En tout cas, le ton était donné, il ne faudrait pas se laisser bercer par le ronron des guides et des conférenciers, mais décortiquer systématiquement chaque mot, chaque geste, chaque mise en scène. Il commençait à se faire tard, les esprits recommençaient à s’égarer. Il faut dire qu’on a vu pas mal de lieux en une semaine (5 jours, voyage compris). Le Musée d’histoire des Juifs de Pologne, l’I.P.N. (Institut de la mémoire nationale), le Neon Museum, l’E.S.C. (European Solidarity Center), la Westerplatte (site du futur Musée de la Seconde Guerre mondiale), et les autres m’échappent. De quoi faire une soupe très concen-

trée, un peu indigeste, hautement toxique si l’on dépasse la prescription (le problème, c’est que personne ne distribue ce genre de prescription). Il courait un bruit, à travers le groupe, comme quoi on peut distinguer aujourd’hui en Pologne deux écoles d’approches de l’histoire. Premièrement, ceux qui travaillent pour l’État et souhaitent bâtir au plus vite un colosse patriotico-nationalo-mémorio-historique des plus solides. Ceux-là sautaient sur l’occasion en or qui s’était présentée à l’entrée de la Pologne dans l’Union européenne : les nouveaux venus dans la bande avaient droit à des aides financières diverses, dont une pour booster le patrimoine national, le tourisme culturel, les musées2. Deuxièmement, ceux qui ne travaillaient pas à la solde de l’État et désiraient ouvrir l’histoire au-delà des frontières nationales, se détacher des intérêts de l’Idée Polonaise (et ceux-ci non plus ne laissaient pas filer les millions d’euro de la grande fratrie européenne). Les deux écoles confondues, ça a donné... ça, ça et ça (enfin, le dernier n’est pas en-

core sorti de terre, mais c’est prévu pour 2015). Difficile de faire la différence entre ceux-ci et ceuxlà, alors disons que ces deux ca-

tégories sont caduques. Disons qu’en Pologne, par les temps qui courent, on construit d’immenses musées sur la lutte des Polo-

nais contre les communistes (ce temple à Lech Walesa et JeanPaul II porte un drôle de nom, European Solidarity Center), sur l’histoire des Juifs de Pologne, sur

la Seconde Guerre mondiale. Puis sur la lutte des Polonais contre les Allemands. Le tout couronné d’un Instytut Pamieci Narodowej, c’est-à-dire d’un Institut de la mémoire nationale. Là, c’est encore une autre affaire. La mémoire y est mariée à la poursuite des crimes contre la nation polonaise. Et à la pédagogie. Bref, on y crée des jeux d’ordinateur ludiques sur le fonctionnement de l’administration nazie tout en évitant de poursuivre les personnalités importantes qui ressortent de temps en temps des archives. Organe multifonctionnel aux innombrables têtes (18 offices répartis dans toute le pays), budget colos-

sal. D’où un buffet très chic (sans pourtant que ce soit l’heure de table) et deux prospectus couleur distribués à chaque étudiant lors de notre venue à l’institut. Comme ça, tout de suite (c’està-dire un mois et demi après), un vide continue à crier de sa petite voix nasillarde. Un rapport manquant, une tension niée, quelque chose comme un oubli volontaire : de toutes ces machines de mémoire, quelle est celle qui propose une pensée du temps qui passe ? Parce que le temps a passé. Et quand on l’ignore, il se venge en tordant les idées. Il fait disparaître les chemins qui relient un lieu à un autre, et l’expérience de la marche qui va avec. Sans la conscience de la marche, impossible de « tirer parti des transformations qu’elle [la mémoire] apporte à la représentation du passé tout au long d’une vie humaine, voir au fil des générations »3. ​Impossible de ne pas se prendre les pieds dans les encombres de la doctrine, de ne pas trébucher sur les convictions marbrées, de tomber puis de se retrouver face contre terre, le regard ne portant pas plus loin que le bout du nez, collé contre le sol gelé. n Nicolas Weill, « Un musée juif dans l’ancien ghetto », Le Monde, Lundi 3 novembre 2014, p.16. 2 À titre d’exemple, l’Office national polonais du tourisme est «  cofinancé grâce aux Fonds du développement régional de l’Union européenne, dans le cadre du Programme Opérationnel Innowacyjna Gospodarka (Économie innovante) pour les années 2007-2013 » (www.pologne.travel/ fr-be/). 3 Pierre Vidal-Naquet, « Préface. Le héros, l’historien et le choix », dans Marek Edelman, Mémoires du ghetto de Varsovie, Paris, Éditions Liana Levi, 1993, p. 18. 1

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! ‫יִידיש ? יִידיש‬

Yiddish ? Yiddish ! par willy estersohn

‫באלשעװיקן‬ ָ Bolshevikn Bolcheviks

Traduction

Aba Stolzenberg (Galicie 1905 – New York 1941) est l’auteur de ce poème. Il s’est installé dans la métropole américaine à l’âge de dix-huit ans. Le Penguin Book of Modern Yiddish Verse nous dit que sa poésie est restée enracinée dans les thèmes galiciens et les impressions de son enfance. En proie à la pauvreté et à la solitude, Stolzenberg arrêta d’écrire de 1932 à 1938. Dans ce poème-ci nous sommes en présence d’images quelque peu expressionistes « enregistrées » par l’auteur lors de la guerre civile russe (1918–1922) qui opposa le nouveau pouvoir bolchevik aux Armées blanches (fidèles à l’odre ancien) aidées par une intervention militaire étrangère. Les « légionnaires » dont il est question ici sont des Gardes blancs.

Ils sont venus sur de petits chevaux,/Pieds nus et armés de fusils sans cartouches./Coiffés de chapeaux de dame à l’envers,/Les aînés en robes de diacre,/Et les vachers un sac sur la tête. Ils sont venus à l’automne/Et ont fait tomber toutes les poires./Se sont installés dans les fossés et sur les marches des églises/Et se sont pris pour les maîtres du pays. Des légionnaires sur des motocyclettes/Crachent de leurs mitrailleuses une pluie de grêlons./Des soldats de Trotsky il reste/De tristes monticules près de la forêt.

,‫געקומען ַזײנען זײ אויף קלײנע ֿפערד‬ ferd

kleyne

patronen

on

oyf zey zaynen gekumen

.‫טראנען‬ ָ ‫ּפא‬ ַ ‫בארװעס און מיט ביקסן ָאן‬ ָ biksn mit

un

borves

,‫ֿפארקערט‬ ַ ‫נגעטאן‬ ָ ‫דאמענהיט ָא‬ ַ ‫אין‬ farkert

ongeton

damenhit

in

,‫קאנען‬ ָ ‫דיא‬ ַ ‫ אין קלײדער װי‬,‫עלטסטע‬ diakonen

vi

kleyder

in

eltste

.‫קסנטרײבער מיט די זעק אויף קעּפ‬ ַ ‫און ָא‬ kep

oyf

zek di mit

oksntrayber

un

‫הארבסט‬ ַ ‫ֿפאר‬ ַ ‫געקומען ַזײנען זײ‬ harbst

far zey zaynen gekumen

.‫בארן‬ ַ ‫און ָאּפגעטרעסעט ַאלע‬ barn

ale

opgetreset

un

‫צעלײגט זיך אין די ריװעס און אויף קלויסטערטרעּפ‬ kloystertrep

oyf

un

rives

di

in zikh

tseleygt

.‫הארן‬ ַ ‫לאנד די‬ ַ ‫און דערֿפילט זיך ֿפון דעם‬ harn di

land dem fun zikh

derfilt

un

‫לעגיאנערן‬ ָ ‫טאציקלעך ָיאגן‬ ָ ‫מא‬ ָ ‫אויף‬ legionern

yogn

mototsiklekh

oyf

.‫ֿפאלט‬ ַ ‫האגל‬ ָ ‫מאשינגעװער ַא‬ ַ ‫ֿפון‬ falt

hogl a

mashingever

fun

,‫דא געבליבן‬ ָ ‫טראצקיס זעלנער ַזײנען‬ ָ ‫ֿפון‬ geblibn do zaynen zelner

trotskis

Gardes blancs

remarques

‫ ּפַאטרָאן‬patron = cartouche (aussi : protecteur ; modèle [en couture]). ‫ היט‬hit : plur. de ‫ הוט‬hut = chapeau. ‫ ָאנגעטָאן‬ongeton : part. passé de ‫ ָאנטָאן‬onton = habiller. ‫ ֿפַארקערט‬farkert = à l’envers ; contraire. ‫ עלטסטע‬eltste : superlatif (ici au pluriel) de ‫ ַאלט‬alt = vieux. ‫ « ָאקסענטרַײבער‬conducteur de bœufs », vacher : ‫ טרַײבן‬traybn = conduire, pousser devant soi. ‫ זעק‬zek : plur. de ‫ זַאק‬zak = sac. ‫ קעּפ‬kep : plur. de ‫ קָאּפ‬kop = tête. ‫ ָאּפגעטרעסעט‬opgetreset : part.passé de ‫ ָאּפטרעסען‬optresen ou ‫ ָאּפטרײסלען‬optreyslen = secouer. ‫ דערֿפילן‬derfiln = ressentir. ‫ הַארן‬harn : plur. de ‫ הַאר‬har = maître, seigneur (ne pas confondre avec ‫ הַָאר‬hor = cheveu). ‫ יָאגן‬yogn = hâter, expulser (‫ יָאגן זיך‬yogn zikh = se dépêcher). ‫בערגל‬ bergl : diminutif de ‫ בַארג‬barg = mont, montagne.

fun

.‫װאלד‬ ַ ‫טרויעריקע בערגלעך נעבן‬ vald

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nebn

berglekh

troyerike

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activités dimanche 11 janvier à 16h Projection en présence du réalisateur

Abie Nathan, la Voix de la Paix un film de Frédéric Cristéa

Conférence-débat avec

Ivan Segré, philosophe et talmudiste autour de ses deux livres

Le destin hors du commun de l’activiste pour la paix Abie Nathan, et de sa célèbre radio pirate qui émit messages de paix et hits pop- rock des meilleurs DJ européens de 1973 à 1993, depuis un bateau ancré dans les eaux internationales, à quelques km de Tel Aviv, et à destination de millions d’auditeurs à travers la Méditerranée. Pendant plus de 50 ans, Abie Nathan a consacré sa vie à la paix au Proche Orient. Bien avant l’heure et à des années de « l’ère internet » et de ses applications dans les mouvements de révolte et dans les sphères du contre-pouvoir, il avait saisi l’importance de la technologie et des médias de masse dans la diffusion de son message et dans la réalisation de ses objectifs. Ce documentaire met à jour une quantité extraordinaire d’enregistrements audios et vidéos inédits qu’Abie Nathan a réalisés ou autorisés dans le seul but de mobiliser les populations juives et arabes à la préparation de la paix.. S’intéresser à l’action d’Abie Nathan, c’est mettre en parallèle la mobilisation passée et présente en faveur de la paix à travers le prisme des médias. C’est revivre les moments forts du conflit israéloarabe à travers le prisme du mouvement pacifiste. C’est enfin s’interroger sur l’héritage et l’influence de ce mouvement aujourd’hui. PAF: 6 €, 4 € pour les membres, tarif réduit: 2 €

Appel

Des vérités désagréables : VOUS pouvez contribuer à les projeter au grand jour ! L’UPJB appelle ses membres et amiEs à soutenir financièrement la production du documentaire Des vérités désagréables de Marcel Ophuls et Eyal Sivan. Les cinéastes ont besoin de nous pour préserver l’indépendance de ce projet exigeant. Pour en savoir plus sur le projet, en visionner un extrait et le soutenir, suivez ce lien internet : http://www.kisskissbankbank.com/fr/projects/des-verites-desagreables Au cas où la procédure électronique, pourtant simple et fiable, vous poserait problème, vous pouvez effectuer un versement sur le compte de l’UPJB avec la communication « Des vérités désagréables ». Nous ferons suivre. IBAN BE92 0000 7435 2823 (plus d’informations sur www.upjb.be)

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vendredi 16 janvier à 20h15

Le manteau de Spinoza Spinoza avait un trou à son manteau. On avait tenté de le poignarder et son manteau en portait la trace. Dans son livre, Ivan Segré s’intéresse aux derniers avatars de la réaction idéologique qui a pris Spinoza pour cible, et singulièrement aux penseurs juifs qui ont reconnu en lui un « traître ». Estce à dire qu’une vie sous la conduite de la raison est une trahison de la cause des Juifs ? Ivan Segré examine l’acte d’accusation qu’on a dressé contre le philosophe d’Amsterdam et il conclut que la fidélité à l’antique tradition hébraïque exige, aujourd’hui, d’arborer le manteau troué de Spinoza.

Judaïsme et révolution Qu’en est-il des rapports du judaïsme à la révolution comme à la contre-révolution ? Ivan Segré répond que le judaïsme, depuis l’origine, est divisé en deux orientations : l’une est littéraliste et contrerévolutionnaire, l’autre est dialectique et révolutionnaire. Abordant conjointement les textes de la tradition juive et ceux de la modernité philosophique et politique, il fait apparaître des convergences inattendues, des contradictions secrètes, des évidences inouïes. Dans Judaïsme et Révolution, Ivan Segré relance le nom Juif du côté de la singularité universelle et de la pensée émancipatrice. PAF: 6 €, 4 € pour les membres, tarif réduit: 2 €

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activités

club Sholem-Aleichem

dimanche 18 janvier de 10h30 à 17h

Atelier créatif collectif

Sauf indication contraire, les activités du club Sholem Aleichem se déroulent au local de l’UPJB tous les jeudi à 15h (Ouverture des portes à 14h30)

Jeudi 8 janvier

En quelques heures, vous pouvez découvrir une technique et le plaisir de réaliser quelque chose selon votre idée...

Pour entrer dignement dans l’année nouvelle, une après-midi culturelle et festive avec Serge Kribus, auteur, metteur en scène et comédien bien connu de notre maison. Il nous lira des textes et nouvelles de son choix: R.L. Stevenson, Jack London, Franz Kafka, Dino Buzzati et Jean-Claude Grumberg. Goûter exceptionnel fait maison suivi d’un entretien convivial, suggestions et autres critiques sont les bienvenues....

Matériel à apporter : support plat (plateau, assiette, sous plat,...), déchets de vaisselle, carrelage, boutons, coquillages, etc...

Jeudi 15 janvier

Cet atelier propose de partager un moment créatif/récréatif. Nous terminerons la saison par une séance de mosaïque.

Prochaines dates : 1er mars, 5 avril, 31 mai et 28 juin Inscriptions : upjb2@skynet.be Renseignements : bettinabra@gmail.com PAF: 10 € - Petite restauration prévue

Une réaction à l’éditorial de Points critiques n°350 de novembre 2014 J’ai été stupéfaite et profondément choquée de trouver au cœur de l’article d’Henri Goldman « La « suédoise » et le théorème de Schmidt » qui faisait la une du Points critiques de novembre, le paragraphe suivant : « Centrer la riposte syndicale sur le renforcement du pouvoir d’achat, comme un congrès de la FGTB vient de le décider, pose question. La culture de consommation de masse, qui a été profondément inoculée dans la population depuis des décennies (la bagnole , la villa en lotissement péri-urbain, les vacances en avion…) est désormais un obstacle à l’alternative. » En mai 68, on avait l’habitude de demander « d’où tu parles ». D’où tu parles Henri ? De l’intérieur d’une classe sociale privilégiée, sans aucun doute. Mais rien ne t’empêche d’ouvrir la fenêtre et de jeter un coup d’œil sur le monde d’à côté. Toute une frange de la population, loin d’être marginale, pour qui le mot « consommation » reste une notion abstraite. Précaires et chômeurs bien sûr, mais aussi, moins visibles, les travailleurs aux bas salaires et les pensionnés qui frôlent le seuil de pauvreté. Et tout le monde n’est pas propriétaire ! Un bain de sang social qui dure depuis des décennies, une vraie pauvreté organisée qui n’a jamais empêché les socialistes et les écolos de dormir. Alors oui, si apparaît à l’horizon un renforcement du pouvoir d’achat, vivement oui. Et même un peu de consommation « superflue » pour ceux qui galèrent au quotidien pour assurer le nécessaire. Et je ne vois pas en quoi ce serait un obstacle à une alternative réellement écosocialiste. Tessa Parzenczewski

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Ciné-club : projection du film Dancing in Jaffa. En cas de non-disponibilité du film, Serious Man des frères Coen.

Jeudi 22 janvier

L’impact du conflit ukrainien en Russie par Françoise Nice. Diplômée en histoire contemporaine, en journalisme et en études théâtrales, journaliste à la RTBF depuis 1988, Françoise Nice s’intéresse à la politique internationale, au monde russe et à l’Afrique de l’Ouest. Elle abordera les 4 thèmes suivants : - Présentation et perception de la crise - Propagande et contrôle des médias - Rhétorique chauvine voire nationaliste - Sanctions occidentales contre sanctions russes.

vendredi 27 février à 20h15 Conférence-débat avec

Jeudi 29 janvier

Saïd Zayou et Farida Tahar, co-auteur du livre récent Les défis du pluriel. Égalité, diversité, laïcité, viendront nous parler de Tayush, ce think-tank fondé en 2010, dont le nom signifie « vivre ensemble ». Tayush porte le projet d’une société « inclusive » pratiquant le pluralisme actif, c’est-à-dire qui reconnaît l’apport des différences culturelles, accepte et valorise leur inscription dans l’espace public et travaille à leur intégration réciproque. La finalité de ce projet est l’égalité sociale et l’accès de tous et toutes à la citoyenneté.

Jeudi 5 février 2015

Projection du film de Roger Beeckmans, Une si longue histoire, celle des MENAS, les Mineurs Étrangers Non Accompagnés. Roger Beeckmans a été d’octobre 1956 à janvier 1994, cadreur, directeur photo, journaliste d’images et réalisateur à la RTBF. Depuis 1994 jusqu’aujourd’hui, il est réalisateur indépendant d’une série importante de documentaires produits avec image Création.com. De 1995 à 2001, il est réalisateur du magazine pour sourds et malentendants « Tu vois ce que je veux dire ». De 1975 à 1995, il est chargé de cours à l’INSAS sur les techniques de reportage et de 1996 à 2002 à l’Institut pour journalistes à Bruxelles. Très longue et riche carrière donc pour Roger Beeckmans, qui nous fera le plaisir d’être présent et de participer au débat qui suivra la projection.

Pierre Stambul,

membre de l’Union Juive Française pour la Paix (UJFP)

autour de son livre Le

sionisme en questions

PAF: 6 €, 4 € pour les membres, tarif réduit: 2 €

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vie de l’upjb Les activités du club Sholem Aleichem Jacques Schiffmann 13 novembre. Comment expliquer la soudaine poudrière en Ukraine, par Jean-Marie Chauvier, journaliste et collaborateur au Monde diplomatique, spécialiste de l’ex-URSS, de l’Ukraine et du Belarus. Salle comble, sujet d’actualité, conférencier expert, analyses éclairantes ! Voici en résumé l’arrière-plan historique qui nourrit ce conflit. Si c’est le refus du président Ianoukovitch de signer l’accord de partenariat avec l’UE, qui a mis le feu aux poudres et déclenché les manifestations de Maïdan, les braises couvaient depuis longtemps en raison des fractures historiques, de la diversité des langues, religions et peuples de ce vaste pays. Un engrenage de violences s’est enclenché dont on ne voit pas l’issue. Du 9ème au 12ème siècle un vaste ensemble, la RUS, dont Kiev était le berceau, partage une histoire médiévale commune. Cet ensemble englobait en partie les futurs états de Russie, Ukraine, Biélorussie, Lituanie, Pologne et se disloquera du 13ème au 20ème siècle. À partir du 17ème, l’Ukraine fera partie de l’Empire russe. Une brève République ukrainienne est fondée à l’Ouest en 1917 par la RADA (Conseil) avec à sa tête Pétlioura, en opposition virulente avec la République rivale des bolchéviques à l’Est. Après que l’Ukraine a été le champ de bataille des puissances belligérantes, elles intégreront l’URSS, qui proclamera le 14 mars 1919 la

République soviétique d’Ukraine. Celle-ci sera attaquée par les Polonais avec Petlioura et l’Armée blanche de Wrangel et ce n’est qu’en 1920 que l’Armée rouge contrôlera toute l’Ukraine, qui sort ravagée de ces épreuves où armées régulières et bandes rivales ont perpétré d’innombrables pillages, massacres et pogroms. 1920 à 1945, l’ère soviétique. Staline lance la modernisation de l’Ukraine, industrialisation lourde à l’Est, centralisation, bilinguisme ukrainien/russe, et collectivisation des terres. Les réquisitions excessives de denrées et la répression des koulaks créeront en 1932 une grande famine, 4 à 7 millions de morts, l’Holodomor, ou l’extermination par la faim. De 1940 à 1945, champ de bataille encore entre Allemands et Russes. Certains Ukrainiens et même des formations militaires nationalistes s’engageront dans le camp allemand et collaboreront à la chasse aux Juifs et à la garde des camps de concentration en Pologne. En Volhynie un groupe d’insurgés commandé par St. Bandera s’opposera tant aux Allemands qu’aux Russes et ce jusqu’en 1954 et donnera naissance plus tard aux mouvements nationalistes. Fractures entre 1989, la fin de l’URSS et 1991, l’Ukraine indépendante. La première fracture est politique car une Ukraine vote contre l’autre, à l’Est et à l’Ouest. Fracture sociale ensuite entre un Ouest homogène rural (Galicie-Lvov) et un Est surtout indus-

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triel dans le Donbass, peuplé de millions d’émigrés russes. Fractures de la langue et de la religion. Tous sont orthodoxes mais ceux de l’Est sont sous tutelle du patriarche de Moscou, ceux de l’Ouest sous celui de Kiev et ceux de Galicie, les Uniates, dépendent de Rome. Il y a les influences extérieures, l’Est lié par tradition, langue et l’économie à la Russie, l’Ouest attiré vers l’UE. Il y a la politique des USA, visant à affaiblir la Russie. « L’Ukraine est le pivot ! Si on la détache, la Russie cesse d’être un empire et perd son berceau, Kiev. » Citation de Zbigniev Brzezinski, qui en dit long sur la politique des USA, de l’Otan et des organisations américaines, actives dans l’agenda et le financement des évènements depuis la révolution orange de 2004. L’accord de partenariat signé par l’Ukraine le 21 mars 2014 avec l’UE contrarie le projet de Poutine d’une « Union eurasiatique » auquel le Belarus et le Kazakhstan ont adhéré. Les 2 projets sont incompatibles sauf si l’Ukraine adoptait une structure fédérale, comme en Belgique, avec ses Régions et ses Communautés, ce qu’elle a refusé à ce jour. Que veut Poutine qui est sur la défensive et sera en échec s’il perd l’Ukraine ? Si la Russie appartient à l’Europe, elle a aussi beaucoup d’expérience avec l’Asie. Ses ouvertures de rapprochement avec l’UE ont été ignorées. Difficile de discerner dans les actions militaires sur le terrain, qui tire vraiment les ficelles ? Que

faut-il imputer à la Russie, indéniablement active, et pourquoi ? Sur ce point, on reste un peu sur sa faim. Peut-être en apprendrons nous plus par la journaliste Françoise Nice, qui viendra nous parler de l’impact de ce conflit en Russie, le 22 janvier. 20 novembre. Mavis Staples, une conscience citoyenne, par André Hobus, ancien instituteur et directeur d’école, fan de blues américain. André Hobus nous est revenu pour une nouvelle plongée dans l’Amérique profonde et Chicago, où il séjourne chaque année. Il a été question de gospel, de blues, de luttes pour les droits civiques des Africains-Américains, de militantisme pour l’égalité des chances, et bien sûr de la chanteuse Mavis Staples qu’il a rencontrée et applaudie en concert, et dont il nous a fait découvrir l’histoire et la musique. Née en 1939, Mavis Stapels est et a été l’icône du gospel progressiste et du blues aux USA et l’égérie de Martin Luther King dont elle a accompagné toutes les marches pour l’émancipation des noirs, au sein du groupe familial, « The Pop Stapels singers ». Parmi les chansons écoutées, relevons « Why am I treated so bad », « Will the circle be unbroken  », «  Freedom highway », « Sad and beautiful world ». Superbe voix de baryton, gospel sobre et engagement profond, à découvrir sans délai ! 27 novembre. Solidarité avec les rescapés du génocide des Tutsis, par Viviane Lipszstadt. Assistante sociale spécialisée en psychiatrie au Service Social Juif (SSJ), Viviane a été assistante sociale polyvalente puis a évolué vers l’accueil des réfugiés. Ensuite, motivée par son histoire familiale, mère déportée et père enfant caché, elle s’est investie

dans l’aide que le SSJ apporte aux survivants du génocide des Tutsis, perpétré en 1994 il y a juste 20 ans. Sollicité en raison de son expérience, le SSJ a mis à la disposition des Tutsis des services juridiques, sociaux, psychologiques, d’aide à l’obtention du droit d’asile, etc. Près de 3000 Tutsi vivaient en Belgique. Le SSJ a créé le groupe « Waramutsé », regroupant des femmes isolées subissant à la fois les séquelles du génocide et de l’exil et aussi beaucoup de jeunes en demande de réflexion sur la transmission du génocide, l’identité tutsi, le silence pendant des années sur les évènements tragiques de 1994 et la difficulté d’en parler. Tous ces problèmes ayant été vécus par les Juifs après le Shoah, le parallélisme est évident. Le rabbin David Meyer s’est joint à l’animation du groupe ainsi qu’un psychologue, ce qui a aidé à rompre le silence au sein de groupes de parole et de réflexion qui ont travaillé sur différents thèmes. a) L’identité tutsi. Le thème ethnique a été gommé par Kagamé, qui visait, selon lui, la réconciliation. Mais celle-ci n’est pas possible sans justice, alors que les victimes sont souvent en présence des génocidaires. Et ce n’est pas le génocide rwandais qui a eu lieu mais bien celui des Tutsis. Beaucoup de choses s’opposent à la reconnaissance de cette vérité. Le groupe a créé une action de solidarité avec 20 familles juives qui parrainent des orphelins au Rwanda. Autre action, 20 ans après, ils témoignent grâce à un film, Vivre son identité, sur l’impossibilité de faire le deuil de leurs morts multiples en raison de la dispersion des corps, sur les noms et la généalogie, etc. b) Travail de cohésion sociale, avec différents groupes de diffé-

rentes régions du monde, actions dans les écoles avec le CCLJ, parcours de convivialité intercommunautaires (2007), choc des cultures et des valeurs, réflexion sur l’éducation des enfants avec les jeunes, entretemps mariés  ; comment vivre la famille aujourd’hui en Belgique, en restant fidèles aux valeurs familiales traditionnelles de là-bas ? c) Confrontation avec la négation du génocide Tutsi, bien présente comme la négation de la Shoah mais sans poursuite juridique possible. Exemple donné par Joannes Blum : La mention sur le monument de Woluwé St-Pierre « En mémoire des victimes du génocide. Rwanda 1994 ». Toutes les demandes d’indiquer «  génocide tutsi » ont échoué. Johannes Blum propose de créer un « Comité Juif » pour appuyer cette demande. Riche conférence, qui se conclut par un témoignage émouvant de Béatrice Mukamulindwa, qui nous invite à participer le samedi 28 février à 14H, au Service Social Juif, à un échange « Juifs et Tutsis, partage d’expériences ». n Mise au point Marc Sapir nous adresse cette mise au point concernant son intervention au Club dont nous rendions compte dans le précédent numéro du mensuel : « Le champ d’intervention de la CES ira en s’élargissant aux débats sur la compétitivité, à l’environnement (Johannesburg 2002), à la réglementation des produits chimiques (REACH), au dialogue social. La CES sera de plus en plus présente dans le débat européen. Mais pour certains observateurs, elle deviendra en quelque sorte une caution syndicale au projet de grand marché. »

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UPJB Jeunes Un échange étonnant Julie Demarez/Yoav Shemer-Kunz

L

e mois dernier, nous vous parlions, entre autre, de notre rencontre avec Yoav Shemer* et de la lettre adressée à sa jeune nièce de 17 ans, s’apprêtant à s’engager auprès de l’armée de son pays, Israël. Lettre qu’il nous a lue lors de notre rencontre dans les locaux de l’UPJB-Jeunes.

Nous tenons, dans ce numéro, à vous partager ce témoignage, rempli de tendresse et étonnant de lucidité. Paris, le 17 octobre 2014. Shira, J’ai voulu écrire une lettre à quelqu’un d’aimé au pays. J’ai déjà l’enveloppe timbrée. Prête à être postée, prioritaire, à toute destination dans le monde. Alors que pour mes amis je n’ai que leurs adresses électroniques, ton adresse à Jérusalem, je la connais par cœur, même depuis cette chambre d’hôtel à Paris. Mais au-delà de cet aspect technique, genre ‘tu as déjà une enveloppe timbrée pour ton pays mais tu ne sais plus quoi en faire’, je voudrais te raconter, partager avec toi, exprimer mes sentiments face à ton prochain engagement dans l’armée israélienne. Je l’ai vu sur ton compte facebook, et face aux réactions positives et enthousiasmantes, j’ai décidé qu’il vaut mieux que je me taise. Que je ne dise rien. Or, comme tu le sais très bien, se taire, garder à l’intérieur de soi ce que nous sentons dans notre cœur, cela crée du cancer, des

constipations, et d’autres maladies encore. Avec des personnes proches, il vaut mieux en parler, exprimer ses sentiments, encore plus si nous les aimons et nous ne voulons pas les perdre. Ne pas les laisser tomber. Et toi, je t’aime beaucoup, dès le moment où tu es née, quand tu es arrivée au monde, et on ne m’a pas prévenu le jour même. C’était un mercredi, et j’ai alors demander de passer un petit week-end à la maison pour aller te voir pour la première fois, sortir ainsi de la base militaire si petite et si étouffante dans laquelle j’étais coincé dans le sud du Liban, en 1998. Yasmine, ma fille aînée, te ressemble beaucoup à mes yeux, et elle commence à tricoter maintenant, comme toi, comme on le fait à l’école Rudolf Steiner à Jérusalem. Tous ça pour te dire que j’essaye de ne pas te juger, de ne pas te critiquer pour ton engagement dans l’armée. Je sais de mon expérience très riche, que c’est comme ça en Israël, c’est ainsi, et c’est bien pour cela que j’ai quitté le pays. Je sais que toi, tu n’as pas d’amis à Ramallah, à Nablus, à Tirah et à Jaffa comme moi j’en ai. Je sais que probablement, de la place, de la position dans laquelle tu te trouves dans ta vie à toi, ayant 17 ans dans la société israélienne, cette société si malade, s’engager dans l’armée te semble comme quelque chose de logique, de positif, de tout-à-fait normal. Alors je ne voulais que te dire, Shira, sans jugement donc, à quel point cela m’a attristé, m’a déprimé, m’a déçu, parce que

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c’est toi. Une personne si proche qui s’éloigne de moi, et de ce à quoi je crois si fortement. Je ne cherche pas à en discuter, à t’expliquer ou à essayer de te convaincre de changer d’avis. Je n’ai qu’à partager avec toi ce sentiment, ce sentiment de tristesse, une tristesse si profonde que ton engagement dans l’armée a suscité en moi. Je n’ai pas raconté cette histoire à beaucoup de monde, mais tout d’un coup elle m’est revenue cette semaine, car ton rapprochement avec l’armée a réveillé en moi des souvenirs du passé. Lors de l’enterrement de ma mère, ‘mamie Léa’ pour toi, il y sept ans déjà, dans le parking du cimetière, il y avait beaucoup de monde, tu te rappelles ? Il y avait pas mal de collègues de la compagnie informatique dans laquelle elle travaillait jusqu’à ses derniers jours, des gens qui ont travaillé avec elle et qui voulaient lui rendre un dernier hommage. Parmi ces gens, il y avait un soldat en habit militaire. Lorsque je suis passé devant lui afin d’entrer dans le cimetière, il m’a donné la main pour la serrer contre la mienne. ‘Mes condoléances’. ‘Vas te changer, et je te serrerai la main’ je lui ai dit. ‘Mais pas comme ça’. Cette réaction m’est venue tout naturellement. Je n’avait jamais pensé auparavant à une telle situation : un jeune homme en uniforme de l’armée israélienne qui veut serrer ma main quelques instants avant l’enterrement de ma mère. […] Des Israéliens comme moi,

il n’y en a pas beaucoup. Et ce n’est pas pour rien que je t’écris cette lettre depuis une chambre d’hôtel à Paris. C’est bien pour cela que j’ai quitté le pays, car avec des idées comme celles que j’ai développées au fil des années, sur la société, sur l’armée, sur le drapeau, il est difficile de vivre là-bas. Presque impossible. Je souris par gêne car je n’ai plus rien à ajouter. Tu feras sûrement ce qui te paraît bien, de la position dans laquelle tu te trouves, toi, avec tes 17 ans dans la société israélienne. Et moi, je vais essayer d’ignorer, de nier, de vivre avec, d’accepter que Shira, ma nièce, qui m’est si chère, s’engage dans l’armée, dans un système qui crée de la souffrance humaine, de la tuerie, de la mort, du désespoir, de sang et de feu, de guerres et d’occupation. Et moi, je croyais tellement à la paix, à la fraternité, à la solidarité entre les peuples, toute cette connerie qu’on nous a appris à ‘Hashomer Hatza’ïr’, ce mouvement de jeunesse de la gauche sioniste dans lequel tu es si active. Dans lequel j’étais, moi aussi, à ton âge. Toi, tu les crois encore, et moi, je ne les crois plus. Et en cela, on est différent. Ne t’inquiètes pas, Shira, je vais te serrer la main, même t’embrasser bien fort, même en habit militaire. Mais si tu peux te changer avant, je t’en saurai gré. Parce que cette armée, je ne la supporte pas. Et il m’est important de te le dire. Et pas sur facebook. Bien à toi, Yoav * Yoav Shemer-Kunz est un citoyen israélien, 36 ans, installé en France depuis 2008. Cette lettre a été traduite de l’hébreu par l’auteur.

Carte de visite L’UPJB Jeunes est le mouvement de jeunesse de l’Union des progressistes juifs de Belgique. Elle organise des activités pour tous les enfants de 6 à 15 ans dans une perspective juive laïque, de gauche et diasporiste. Attachée aux valeurs de l’organisation mère, l’UPJB jeunes veille à transmettre les valeurs de solidarité, d’ouverture à l’autre, de justice sociale et de liberté, d’engagement politique et de responsabilité individuelle et collective. Chaque samedi, l’UPJB Jeunes accueille vos enfants au 61 rue de la Victoire, 1060 Bruxelles (Saint-Gilles) de 14h30 à 18h. En fonction de leur âge, ils sont répartis entre cinq groupes différents.

Bienvenus

Les pour les enfants nés en 2006, 2007 et 2008 Moniteurs : Leila : 0487.18.35.10 Tara-Mitchell : 0487.42.41.74 Samuel : 0475.74.64.51 Felix : 0471.65.50.41

Juliano Mer-Khamis

Les pour les enfants nés en 2004 et 2005 Moniteurs : Salomé : 0470.82.76.46 Luna : 0479.01.72.17 Eliott : 0488.95.88.71 Hippolyte : 0474.42.33.46

Marek Edelman

Les pour les enfants nés en 2002 et 2003 Moniteurs : Léa : 0487.69.36.11 Aristide : 0488.03.17.56 Simon : 0470.56.85.71 Youri : 0474.49.54.31

Janus Korczak

Les pour les enfants nés en 2000 et 2001 Moniteurs : Jeyhan : 0488.49.71.37 Andres : 0479.77.39.23 Laurie : 0477.07.50.38

Émile Zola

Les pour les enfants nés en 1998 et 1999 Moniteurs : Tania : 0475.61.66.80 Théo : 0474.48.67.59

Informations et inscriptions : Julie Demarez – upjbjeunes@yahoo.fr – 0486.75.90.53

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écrire Un certain recul elias preszow

1

967, parlant d’Un homme qui dort, Perec commet un drôle de lapsus. Si l’on pouvait écrire « commettre » à la manière d’une étoile filante, pour arriver à le saisir au vol : comme-être, ou comète,… quoi qu’il en soit, Georges Perec dit, de son héros, celui qui, « un jour quelconque », ne se lève pas pour aller présenter un examen de licence – tant le monde lui est devenu indifférent, tant tout est neutralisé – Perec affirme de cet homme qui dort que, tout à coup, il se retrouve : « en marche… pardon en marge. » Et tout est là. Dans ce battement, dans cette suspension, ce tremblement,… tout ici est une question de point de vue, de perspective, d’oreille. Puisque, en effet, à part marcher, traîner la patte, zoner, « il » ne fait rien. Rien de bien précis du moins si ce n’est se marginaliser. Il regarde. Regarde-t-il  ? Il cherche. Que cherche-t-il  ? Il passe le temps. Son temps. Un temps. Observe un voisin. Mange, dort, oublie. Contemple la bassine, le plafond. S’endort. Il est au centre de lui-même et c’est un vide omniprésent, absolu, une pure lézarde. C’est l’histoire d’un homme qui se déprend. C’est-à-dire le récit d’un lâcher prise. D’une distance qui, peu à peu, s’instaure entre un individu quelconque, anonyme, un homme et des choses qui jusque là constituaient son entourage le plus familier : sa chambre, ses études, ses amis. Les amis, les études, la chambre. Une distance qui va s’approfondir jusqu’à ce qu’il ne reste de tout cela, des

choses de cet ancien monde qu’il continue à hanter, qu’une odeur. Parfum d’une absence dont on ne saurait déterminer ce qui, il y a encore quelques temps, en remplissait l’espace désormais vacant. Pourtant ce n’est pas le récit d’une aventure, d’une fuite

mais quelque chose a jamais lieu, là. Neutralité, indifférence, déprise, c’est tout la grammaire de l’isolement, toute l’impression de la nausée qui vient pour rendre compte du néant. Tout le malheur d’une conscience livrée à elle-même. Ou plutôt l’horreur

Une scène du film éponyme adapté de « L’homme qui dort » par G. Perec et B. Queysanne. 1974

en avant, d’une quête. (Ou alors d’une espèce étrange, tout à fait particulière, Perec le remarque en se référant à un film, Une vie à l’envers). C’est un voyage immobile, dans Paris. Ou dans une autre ville, n’importe où, du moment qu’on s’y retrouve coincé, cerné, piégé. Et qu’on y fait un voyage, un voyage sans évènements remarquables, sans fondement, sans but. Là, tout se déroule en surface- si jamais, là, quelque chose se déroule, si ja-

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quasi-mutique d’un corps auquel toute conscience semble faire défaut. Il devient inconscient sous nos yeux. Aconscient, effectuant des opérations en pilote-automatique, le voilà réduit au plus strict dénuement, à son animalité d’habitant des villes, d’homo urbanicus, lettre sans destinataire, un vague timbré parmi la foule des demi-fous, des plus ou moins civilisés. Colis abandonné, jeté, perdu, en train de subir son propre écrasement, de se lais-

ser lentement tuer par le décor. Un homme qui dort est écrit à la deuxième personne du singulier, ce « tu » qui double le « je » et lui donne relais, ce « tu » qui le guide, qui l’oriente comme un pantin, forme étrange qui mélange le lecteur et l’auteur par l’intermédiaire du personnage, seul vis-à-vis, figure abstraite de l’autre, voix sans écho dans un dialogue qui tourne aussi abstraitement que l’heure d’une horloge tourne. Voici l’être avec qui personne ne correspond plus. Dans cette monotonie, chaque geste imprime une possibilité stupéfiante, preuve de plus qu’il est vain : lire le journal, jouer aux cartes, sortir marcher. Preuve qu’il n’y a plus rien à exprimer. Tout doit être répété jusqu’à la manie pour que tout soit épuisé de sa valeur propre. Preuve du manque de preuve pour prouver le manque. Car il n’y a même plus de sentiment de faute contre quoi s’insurger, ou pour se suicider… Les nouvelles sont sans objets puisqu’elles prétendent donner le sens d’une histoire désormais sans signification ; battre les cartes, c’est relancer le hasard avec lequel il y a toujours moyen de tricher, préliminaire d’une partie de solitaire dont l’homme qui dort est l’unique témoin  ; faire les cent pas le long des mêmes ruelles, sans l’espoir de plus rien découvrir, mais pour s’aérer comme on promène un chien, maître et esclave d’une identique laisse invisible. Peut-être le nœud de la langue  ; l’emprise continuée de la mémoire, comme matière d’un oubli vertigineux qui le rattache encore, tout de même, à une certaine forme de la réalité ? «  …Tout ses sens sont exacerbés, c’est-à-dire qu’il entend beaucoup, qu’il voit beaucoup. Par exemple il passe beaucoup de temps à regarder une bassine,

avec des chaussettes dedans ; ou il regarde le plafond ; il pourrait regarder n’importe quoi, un arbre pendant très très longtemps(…), il pourrait regarder une échelle. (…) La seule chose qu’il dit, à un moment il entre dans un café, et la seule chose qu’il dit c’est : « un café »… il ne dit pas « merci », il ne dit pas « bonjour », il ne dit pas « au revoir », il passe, si vous voulez, il passe son temps,… d’abord à dormir,… à s’endormir surtout, il passe son temps,… il passe uniquement son temps dans la somesthésie, si vous voulez, dans le sentiment de son propre corps. Dans une relation… dans une relation tout à fait décrochée. (…) Cette espèce d’aventure, cet espèce de décrochement, le bouleverse complètement, le transforme complètement, c’est-à-dire qu’il est absolument fasciné – de la même manière que les personnages « Des choses » sont fascinés par la richesse ou par l’image du bonheur – ici, il est complètement fasciné par cet espèce de détachement possible. » D’où la marche. La démarche comme on le dit d’un style. Il marche d’une certaine manière, une certaine façon de s’avancer et de se reculer, de se tirer et de se retirer, d’apparaître et de disparaître. Sur Perec beaucoup a déjà été dit, analysé, interprété et compris. Mais ce qui fait date dans cet entretien, la manière dont l’écrivain parle de son histoire, c’est son attitude. Le regard de cet homme surtout. Le voile qui couvre ses yeux par intermittence avant que la pupille ne recouvre son brillant, comme si on voyait jouer un acteur, comme si cet entretien était un film de fiction… « Ce chemin qu’il faut… Ce chemin qu’il faut parcourir pour pouvoir en sortir, si vous voulez. » n

est le mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique (ne paraît pas en juillet et en août) L’UPJB est soutenue par la Communauté française (Service de l’éducation permanente) Secrétariat et rédaction : rue de la Victoire 61 B-1060 Bruxelles tél + 32 2 537 82 45 fax + 32 2 534 66 96 courriel upjb2@skynet.be www.upjb.be Comité de rédaction : Henri Wajnblum (rédacteur en chef), Alain Mihály (secrétaire de rédaction), Anne Gielczyk, Carine Bratzlavsky, Jacques Aron, Willy Estersohn, Tessa Parzenczewski Ont également collaboré à ce numéro : Roland Baumann, Galia De Backer, Julie Demarez, Sharon Geczynski, Anne Grauwels, Amir haberkorn, Antonio Moyano, Elias Preszow, Gérard Preszow, Jacques Schiffmann, Yoav Shemer-Kunz, Michel Staszewski Conception de la maquette Henri Goldman Seuls les éditoriaux engagent l’UPJB. Compte UPJB IBAN BE92 0000 7435 2823 BIC BPOTBEB1 Abonnement annuel 18 € ou par ordre permanent mensuel de 2 € Prix au numéro 2 € Abonnement de soutien 30 € ou par ordre permanent mensuel de 3 € Abonnement annuel à l’étranger par virement de 40 € Devenir membre de l’UPJB Les membres de l’UPJB reçoivent automatiquement le mensuel. Pour s’affilier: établir un ordre permanent à l’ordre de l’UPJB. Montant minimal mensuel: 10 € pour un isolé, 15 € pour un couple. Ces montants sont réduits de moitié pour les personnes disposant de bas revenus.

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agenda UPJB

Sauf indication contraire, toutes les activités annoncées se déroulent au local de l’UPJB, 61 rue de la Victoire à 1060 Bruxelles (Saint-Gilles)

dimanche 11 janvier à 16h Projection en présence du réalisateur. Abie Nathan, la Voix de la Paix, un film de Frédéric

Cristéa (voir page 38)

vendredi 16 janvier à 20h15

Conférence-débat avec Ivan Segré, philosophe et talmudiste. Autour de ses deux livres Le manteau de Spinoza et Judaïsme et révolution (voir page 39)

dimanche 18 janvier de 10h30 à 17h

Atelier créatif collectif (voir page 40)

vendredi 27 février à 20h15 Éditeur responsable : Henri Wajnblum / rue de la victoire 61 / B-1060 Bruxelles

Conférence-débat avec Pierre Stambul, membre de l’Union Juive Française pour la Paix (UJFP), autour de son livre Le sionisme en questions (voir page 41)

club Sholem Aleichem Sauf indication contraire, les activités du club Sholem Aleichem se déroulent au local de l’UPJB tous les jeudi à 15h (Ouverture des portes à 14h30)

jeudi 8 janvier Après-midi culturelle et festive avec Serge Kribus, auteur, metteur en scène et comédien (voir page 41) jeudi 15 janvier

Ciné-club : projection du film Dancing in Jaffa. Sous réserve de modification (voir page 41)

jeudi 22 janvier

L’impact du conflit ukrainien en Russie par Françoise Nice, journaliste (voir page 41)

jeudi 29 janvier

Tayush par Saïd Zayou et Farida Tahar, co-auteur de Les défis du pluriel. Égalité,

diversité, laïcité (voir page 41)

jeudi 5 février

Prix : 2 €

Projection du film de Roger Beeckmans, Une si longue histoire, celle des MENAS, les Mineurs Étrangers Non Accompagnés (voir page 41) Les agendas sont également en ligne sur le site www.upjb.be


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