n°351 - Points Critiques - décembre 2014

Page 1

mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique décembre 2014 • numéro 351

à la une ​ ne priorité absolue : U la reconnaissance de l’État de Palestine Bureau de dépôt: 1060 Bruxelles 6 - P008 166 - mensuel (sauf juillet et août)

Henri wajnblum

D

u 1er au 5 novembre, j’ai accompagné, avec d’autres représentants de la société civile (CNCD 11.11.11, Vrede et MOC), une mission parlementaire belge, en Israël et en Palestine dans le cadre de la campagne Made in Illegality initiée par le CNCD. Onze parlementaires, PS, sp.a, Ecolo, CDH et PTB. Tous les partis démocratiques avaient été contactés, mais, apparemment, la droite a d’autres chats, belgo-belges, à fouetter pour l’instant), onze parlementaires représentant tous nos Parlements, à l’exception du Parlement germanophone (fédéral, flamand, bruxellois et wallon) ainsi que le

Parlement européen. Pour la toute grande majorité d’entre eux, il s’agissait de leur premier voyage en Israël/Palestine. L’objectif de la mission était de les sensibiliser aux ravages de la colonisation et à la réalité du Made in illegality pourtant labellisé Produce of Israel ! Et pour cela, rien n’est plus parlant que de le constater de visu. Comme presque toute mission d’observation, la nôtre commence par une rencontre avec Michel Warschawski, vétéran israélien de la lutte anticolonialiste, fondateur de l’Alternative Information Center. Michel revient sur l’agression israélienne à Gaza et sur le champ de ruines qu’elle a lais-

BELGIQUE-BELGIE P.P. 1060 Bruxelles 6 1/1511

décembre 2014 * n°351 • page 1


sommaire

à la une

1 Une priorité absolue : la reconnaissance de l’État de Palestine .....................................................................................................Henri Wajnblum

lire

5 Zeruya Shalev. Exploration de l’intime...........................Tessa Parzenczewski 6 Père/Fils : qui cherche qui ? (Épisode n°6. Göran Rosenberg)......................... ..................................................................................................... Antonio Moyano

regarder 8 Hitler comme faire-valoir ?............................................................ Jacques Aron 10 Roman Vishniac. De Berlin à New York.................................Roland Baumann réfléchir 12 Tareq al-Suwaidan. Un « dérapage » très contrôlé....................... Irène Kaufer

politique d’asile

14 Il ne faut pas dénoncer la politique migratoire, il faut lui opposer une ........ résistance.......................... Groupe de Réflexion Migrations et Luttes Sociales

yiddish ? yiddish ! !‫יִידיש ? יִידיש‬ 16 A gute nakht, velt - Bonne nuit, monde...................................Willy Estersohn

humeurs judéo-flamandes

18 Tina, tout simplement...................................................................Anne Gielczyk

écrire

20 La grève, la grève, vive la grève !.................................................Elias Preszow

22 activités vie de l’upjb 26 Les activités du club Sholem Aleichem............................. Jacques Schiffmann 28 Les jeunes de l’USJJ au Palmakh. Le parcours d’Eugène Lipinski...................

........................................................................Jo Szyster et Jacques Schiffmann

upjb jeunes

30 Dernières nouvelles....................................................................... Julie Demarez

32

les agendas

Les anciens numéros de Points critiques sont accessibles sur le site www.upjb.be à la rubrique « Points critiques en PDF ».

décembre 2014 * n°351 • page 2

à la une ➜ sé derrière elle, sans compter les 2160 morts et les milliers de blessés. Selon lui, l’objectif n’était absolument pas d’éliminer le Hamas et ses infrastructures, ce qui n’a d’ailleurs effectivement pas été le cas, mais de décrédibiliser Mahmoud Abbas en ne lui laissant que deux alternatives… Soit il s’identifiait aux combattants du Hamas et d’autres mouvements de résistance gazaouis et il serait présenté comme l’allié des terroristes, soit il s’en désolidarisait et il serait alors présenté comme n’ayant pas de légitimité. Mais dans les deux cas, Israël pourrait clamer qu’il n’avait pas de partenaire pour des négociations de paix. À tous les coups, pensaient les dirigeants israéliens, nous sommes gagnants. Mais ils ont perdu… C’est en effet Israël qui a demandé le cessez-lefeu et son image s’est encore un plus détériorée dans la Communauté internationale. Michel estime cependant que le Hamas a commis une erreur de taille, celle d’avoir accepté que les négociations reprennent quatre mois après le début de la trêve. On sait en effet qu’Israël est champion du monde de la stratégie qui consiste à jouer la montre, Et la preuve en a été donnée très rapidement puisqu’à peine le cessez-le-feu accepté, il annonçait la construction de centaines d’unités de logements à Jérusalem-Est ! La pire crainte des Israéliens est la remise sur rails d’un processus de paix. Pour Israël le temps n’est pas encore venu… Ariel Sharon ne disait-il pas qu’il ne pouvait être question de paix durant les prochaines cinquante années et qu’il ne pouvait non plus être question de frontières, car la fron-

tière sera celle où nous planterons le dernier arbre ! Sharon se moquait comme d’une guigne des textes, ce qui l’intéressait et le motivait c’était l’israélisation du plus de territoire possible. C’est donc bien à un processus qu’Israël est acquis, mais à un processus de colonisation. Pour Michel, la solution à un État ne fait pas partie de son combat… Son combat, c’est la fin de l’occupation et de la colonisation. Car tout se passe en effet comme si on préparait la séparation totale des deux populations par la construction effrénée de tunnels : Ici les Palestiniens roulent en haut et les Israéliens en bas, et là c’est le contraire, mais tout est fait pour qu’ils ne se rencontrent jamais. Reste le problème des Palestiniens citoyens d’Israël. Lors des émeutes qui viennent d’éclater à Jérusalem-Est et qui gagnent peu à peu la Galilée, Netanyahu n’a pas hésité à leur conseiller d’aller s’installer en Cisjordanie ! Il en sera plus que certainement pour ses frais. Michel en termine en nous disant quelques mots sur la situation interne… la société israélienne est de plus en plus gangrenée par la violence et le racisme. Lors de manifestations organisées par le camp de la paix pour dénoncer l’agression sur Gaza, les manifestants ont été violemment, physiquement, pris à partie par des groupes d’extrême droite sous les yeux bienveillants de la police. On n’aurait jamais cru cela possible il y a peu encore. Et pour la première fois depuis les nombreuses années que je l’entends, Michel nous dit qu’il a peur…

Autour de Jérusalem-Est ​Après notre rencontre avec Mi-

Construction accélérée de tunnels et le mur de l’annexion partout

chel Warschawski, nous faisons le tour des colonies de Jérusalem-Est en compagnie de Kareem Jubran, membre de B’Tselem, organisation israélienne de défense des droits des Palestiniens. Et c’est là que nous visualisons ce que nous a dit Michel… construction accélérée de tunnels et le Mur de l’annexion partout. Grâce à Kareem, nous entrons dans la colonie de Maale Adumim (une première pour moi, l’entrée dans une colonie), une colonie qui compte aujourd’hui près de 40.000 habitants, un colonie pimpante agrémentée d’arbres et de verdure abondante, une floraison rendue possible par l’exploitation des ressources aquifères palestiniennes. Cette eau, leur eau, les Palestiniens doivent l’acheter à Israël qui en a le contrôle quasi total ! Cet amour que les Israéliens vouent aux arbres (à chaque occasion, bar-mitsva, mariage…, les Israéliens et les Juifs sionistes du monde entier plantent un ou plusieurs arbres), cet amour m’apparaît soudain dans toute son indécence quand on sait que les Israéliens arrachent des milliers d’oliviers centenaires dans les villages palestiniens.

Mishor Adumim que nous traversons ensuite est une zone industrielle (notamment : pâtisserie industrielle, fabrique de carton, ainsi que la célèbre société israélienne de machines à gazéifier l’eau, Sodastream, qui, subissant de plein fouet les effets de la campagne BDS, a décidé de quitter le site), une zone dépendant de Maale Adumim et nous nous rendons compte de visu de ce que veut dire Made in illegality et labellisé Made in Israel. ​À proximité de Maale Adumim, nous nous arrêtons au village, ou plutôt au bidonville, de Jahlin. Là vit, ou plus exactement survit, une communauté bédouine. Leurs lieux d’habitat sont pour la plupart des conteneurs. Privée d’eau pendant longtemps, la communauté « s’amusait » régulièrement à creuser un trou dans la conduite d’eau principale qui alimente les colonies environnantes, jusqu’à ce qu’on leur accorde enfin un raccordement. Dans ce décor de misère, nous découvrons soudain une petite école joliment décorée, financée par plusieurs pays européens dont la Belgique qui y a installé des panneaux photovoltaïques.

décembre 2014 * n°351 • page 3


lire

Rencontres à Ramallah En route pour Ramallah… Passage du check point de Qualandya ou un beau panneau rouge met en garde…«  Cette route conduit en zone A, sous Autorité palestinienne. L’entrée est interdite aux citoyens israéliens, dangereuse pour votre vie et contraire aux lois israéliennes.  » Interdite aux citoyens israéliens… sauf aux colons évidemment. Dans la capitale actuelle de l’Autorité palestinienne, nous rencontrons un responsable de son service diplomatique en charge des négociations… Mais il n’est pas question pour lui de négocier pour négocier, ça c’est la stratégie israélienne… «  Les Palestiniens ont reconnu Israël sur 78 % du territoire historique de la Palestine. Pourquoi donc les ÉtatsUnis et l’Europe, dans sa grande majorité, reconnaissent-il Israël, qui a proclamé unilatéralement

la naissance de son État, et pas la Palestine ? La solution à deux États est pourtant simple… c’est en priorité la reconnaissance de l’État de Palestine sur les frontières de 1967. C’est face à l’inertie de la Communauté internationale que nous avons décidé de nous présenter à elle au sein des Nations unies pour obtenir cette reconnaissance. Beaucoup de Palestiniens en sont venus à se dire qu’il valait mieux mourir que de vivre sous occupation et de se voir spolier de la plus grande partie de leurs terres sans qu’Israël en paie le moindre prix ». Autre question soulevée par notre interlocuteur lors de cette rencontre… Pourquoi les jeunes Juifs belges qui vont se battre sous l’uniforme israélien peuventils ensuite rentrer sans le moindre problème, alors que les jeunes qui vont se battre en Syrie sont arrêtés dès leur retour ? Pourquoi ces deux poids deux mesures ? Toujours à Ramallah, nous ​ avons rendez-vous avec Mustapha Barghouti, médecin et fondateur d’Al Mubadara (Initiative nationale palestinienne), un parti qui ne se reconnaît ni dans le Fatah ni dans le Hamas. Mustapha Barghouti a passé trois semaines à Gaza durant l’offensive israélienne après avoir attendu des jours et des jours l’autorisation des autorités égyptiennes de passer le check point de Rafah, le pouvoir égyptien devenu en l’oc-

décembre 2014 * n°351 • page 4

currence le meilleur allié d’Israël. Il nous projette des photos qu’il a prises durant son séjour… insoutenables. Il nous projette enfin une vidéo prise successivement par deux cameramen, le premier ayant été tué pendant le tournage, elle nous montre clairement que l’aviation israélienne bombardait en plusieurs phases… Une dizaine de minutes après un premier bombardement et alors que la population paniquée était dans la rue parmi les décombres, une seconde vague de bombes était lancée. Israël ne voulait, paraît-il, pas s’en prendre aux populations civiles… Certains membres de notre mission sortent de la salle, ne supportant plus les images qui nous sont montrées. Mustaha Barghouti conclut notre entretien en nous disant, ce que la plupart de nos interlocuteurs palestiniens et israéliens nous répéteront à l’envi… les seules choses utiles que peut faire la communauté internationale, c’est de reconnaître l’État de Palestine et d’appliquer des sanctions économiques contre Israël. C’était la première de nos cinq journées de mission, une journée, à l’instar de celles qui suivront, extrêmement dense et riche d’enseignements. Je vous raconterai la suite dans le prochain numéro de Points critiques, notamment la colonie de Kiryat Arba, Hébron, Wadi Fukin, Silwan et la Vallée du Jourdain avec ses nombreuses colonies où sont labellisés Produce of Israel une quantité de produits Made in illegality, ainsi que nos rencontres : Who profits, la Représentation européenne à Jérusalem, le Consul général de Belgique pour la Palestine, le Bureau des Nations unies pour la Coordination des Affaires humanitaires, rencontres à la Knesset... n

Zeruya Shalev. Exploration de l’intime tessa parzenczewski

H

emda, en fin de vie, gît aux urgences. À son chevet, ses enfants, Avner et Dina, déjà quadragénaires. Dans un box voisin, un homme se meurt, à ses côtés, sa femme. Un ultime échange, un amour rayonnant. Avner, voyeur malgré lui, capte la trace d’un bonheur intense qu’il n’a jamais connu, englué qu’il est dans une vie familiale au bord du naufrage, où seuls les reproches incessants de sa femme ponctuent un quotidien morne. Plus tard, il n’aura de cesse de retrouver la femme qu’il avait entrevue ce jour-là, et qui s’avère être la maîtresse du défunt. De cette scène initiale, Zeruya Shalev déroule un récit à plusieurs voix, où chaque personnage soliloque, se débat, se cogne à sa propre histoire, et cherche la sortie : vivre, revivre encore un peu, et tout autrement, le temps qui reste. Dina, mal aimée par sa mère, vit mal l’adolescence de sa fille Nitzane, qui semble s’éloigner d’elle. Elle caresse un rêve fou : adopter un enfant, être de nouveau indispensable à quelqu’un, retrouver l’enchantement des débuts. Avner quitte le domicile conjugal, et rêve de ce bonheur qu’il avait furtivement entrevu. Et Hemda pour qui il est désormais trop tard, Hemda laisse venir à elle des bribes de sa vie, de sa vie au kibboutz, entre des parents pionniers, purs et durs, dans un monde où toute fai-

blesse est stigmatisée. Et par dessus tout, elle évoque ce lac poissonneux qui a accompagné son enfance, ce lac asséché pour gagner des terres, et là l’auteure décolle, et s’envole dans le registre quasi onirique, mais sans grandiloquence.

D’un personnage à l’autre, dans une sorte d’errance, Zeruya Shalev nous entraîne dans les méandres inextricables des relations familiales : couples qui se délitent, enfants désorientés, rancoeurs accumulées, et une constante : un indéniable ratage. …elle a tellement froid, jamais elle n’a eu aussi froid, un froid qui part du milieu de son corps, de son cordon ombilical coupé, avec des ciseaux on l’a séparée du corps de sa mère, avec des ciseaux on l’a séparée du corps de Nitzane, on a séparé à coups de ciseaux l’enfant sur la photo de sa mère biologique, des lames

de ciseaux tranchantes tournoient dans les rues et séparent les hommes les uns des autres, les condamnent à une totale solitude. Parfois l’auteure quitte le registre de l’intime et nous fait découvrir un pan de la société israélienne. Avner, avocat, défend des Palestiniens interdits de séjour et lutte contre la destruction des villages bédouins. Rien d’artificiel ni de volontariste dans ces séquences, elles s’imbriquent parfaitement dans le récit. Zeruya Shalev ne laisse rien passer. Elle creuse au plus profond, remue le terreau où tout se trame, traque les erreurs, retourne les situations, fait vivre le doute. Et recourt au romanesque lorsqu’il le faut. Une écriture contrastée, du réalisme minutieux comme un trompe-l’œil à des échappées lyriques, de pure poésie. Un roman foisonnant, jamais linéaire, avec des bifurcations et des chemins de traverse, pas pour gens pressés, avec un dernier chapitre éblouissant, comme une embellie. Pour Ce qui reste de nos vies, Zeruya Shalev a obtenu le prix Fémina étranger 2014. n

Zeruya Shalev Ce qui reste de nos vies Traduit de l’hébreu par Laurence Sendrowicz Gallimard 417 p. 22,90 €

décembre 2014 * n°351 • page 5


lire Père/Fils : qui cherche qui ? (Épisode n°6. Une brève halte après Auschwitz – Göran Rosenberg) antonio moyano

A

ttention chef-d’œuvre ! Le livre de Göran Rosenberg1 retrace la quête, l’enquête, la tentative de reconstitution de la trajectoire d’un homme – son père – ayant survécu à Auschwitz. « Vous avez survécu contre toute attente, et vous allez désormais continuer à vivre dans l’une ou l’autre des catégories qu’on vous propose : réfugié, migrant en transit, rapatriable, personne déplacée, Juif polonais, apatride. » (p. 318). Il était né le 14 mai 1923, il meurt le 22 juillet 1960, à l’âge de 37 ans alors que son fils en avait 12. Tel un cinéaste, Göran Rosenberg a l’art du plan d’ensemble et du plan rapproché. Son livre mêle de façon magistrale trois tempi : a) la description d’un lieu (le livre aurait pu s’intituler : Tous les lieux par lesquels mon père est passé) – b) le récit autobiographique d’une enfance (Göran est né en 1948) – c) la quête du reporter-historien s’ouvrant des pistes, des preuves, des indices par une plongée dans les archives, la presse, les récits ; retournant en repérage sur les lieux évoqués, rencontrant parfois d’autres « enquêteurs », et surtout, en relisant avec un regard d’historien les quelques lettres laissées par son père. « Je fouille les sources et les archives à la recherche des chiffres précis et des dates exactes, parce que je veux tenter de reconstruire ton monde

tel que tu l’as connu avant qu’il ne soit liquidé. Pour cela j’ai besoin de matériaux et je ne sais pas quoi d’autre je peux comprendre. » (p. 73) Le livre débute par l’arrivée du père « je l’imagine si volontiers arrivant par le Pont en cette soirée du 2 août 1947, lorsqu’il pose le pied sur le quai vers 19 heures afin de tenter en ce Lieu de recommencer sa vie. » (p. 11) Ce lieu, c’est Södertälje, à une trentaine de kilomètres de Stockholm. « Reprenons. En réalité, je n’en sais rien du tout, car je ne connais pas encore l’homme qui vient de descendre du train, qui n’est pas encore mon père et qui ignore encore que cette halte sera pour lui la dernière. » (p. 12) Plan d’ensemble et plan rapproché, disais-je, car c’est bien une histoire individuelle mêlée à une histoire collective. Et peu à peu (non, en réalité cela apparaît très vite dans le livre) voici que le père cesse d’être « un parmi d’autres » pour devenir cet être-là, cet individu, cet homme-là, voilà, lui, c’est mon père et elle, la femme qui deviendra ma mère. Et suivront des pages inoubliables sur les efforts d’un homme luttant pour s’intégrer, apprenant au plus vite la langue du pays d’accueil, allant jusqu’à s’interdire de parler au fils « la langue du pays d’origine », tant il désire que son fils réussisse au mieux à devenir « un parfait petit Suédois ». « Ce que je sais, c’est que tu parles la

décembre 2014 * n°351 • page 6

langue de Strindberg avec l’accent de Mickiewicz. Et ce que je soupçonne, longtemps après, c’est que ce n’est pas l’âge qui te handicape pour obtenir le boulot de responsable de la maintenance des balances ou des automobiles Toledo ; non pas l’âge, mais la confusion des langues. » (p. 302). De là aussi le choix du prénom pour le fils, « le nom envisagé à l’origine, Gershon, en hommage au grand-père paternel, est donc abandonné au profit de Göran – prononcer Yeurann – dans la nouvelle langue, le prénom le plus commun qui soit pour un garçon. » (p. 27) Et faut-il rester ou faut-il suivre l’exemple de Natek, le frère aîné qui a émigré en Israël ? Page 301 : « Natek, lui, a fait le grand saut de Borås à TelAviv, tu es prêt à faire le grand saut de l’usine de camions à n’importe où. » Précisons que Borås, en Suède, est une des étapes du long périple, ville située à plus de 400 km de Stockholm. « Je connais ton surnom. On t’appelle Dadek. Vous êtes quatre frères (…) Dadek est le diminutif polonais de David, comme Natek l’est de Naftali » (p. 89) Ce livre est à mes yeux absolument exemplaire, pourquoi  ? Pour sauver le père de l’oubli, le fils ne peut se contenter de vagues « je me souviens », cela risquerait d’aboutir aux chromos d’une collection dépareillée et irrévocablement incomplète. S’il en était ainsi, du père, il en resterait

un peu moins que des miettes. Non, rien que par sa démarche, le fils nous prouve que pour « désensabler la figure du père », il doit amasser un maximum de renseignements qui lui serviront à peindre l’arrière-fond. Localiser le père dans le substrat de la grande Histoire : pas d’autre alternative, le chemin du père est passé par là. « J’ai devant moi une liste de noms de lieux dont personne ne se souvient – du moins pas de la manière dont tu devais, toi, t’en souvenir à l’époque où tu tentais de les oublier. » (p. 120). Et page 118 : « Je saisis au vol chaque occasion qui se présente d’interroger les gens sur leur itinéraire au départ d’Auschwitz, dans la mesure où chaque chemin qui part d’Auschwitz est un miracle individuel, à la différence du chemin vers Auschwitz, qui est un enfer collectif identique pour tous. » En lisant ce livre – et en particulier le chapitre intitulé « La Route » (des pages117 à 181), j’ai énormément appris sur cet archipel de

petits camps de concentration jouxtant les usines de l’industrie de guerre allemande. Les prisonniers y sont traités en esclaves. Ce livre, c’est l’évidence même, a été mûrement réfléchi. Il a une spécificité tout à fait singulière. Et l’on va et l’on passe d’un lieu à un autre, avec cette question lancinante : comment a fait mon père pour en sortir, par quel miracle, comment la chance lui a-telle souri ? « Il faut cependant souligner que tu n’es pas seul à Auschwitz. Si tu l’avais été, je doute fort que tu aurais été réquisitionné, et encore plus que tu aurais réussi à survivre » (p. 145). Et en passant d’un lieu à un autre, qu’a-t-on laissé de soi làbas  ? Et que nous reste-t-il de là-bas dans notre être présentement ici ? Séquelles visibles, invisibles ? Quelles autres blessures de l’âme ? Et l’écrivain se remémore des instants, des micro-évènements du passé dont il ne saisira le sens que bien des années plus tard. C’est que le Temps se nourrit de Temps, et de l’âme des vivants. Bien sûr, en ce temps-là, il était bien trop jeune pour avoir une vue d’ensemble, il ne comprenait pas, il ne voyait pas. Et puis comment un homme tente de surmonter, de lutter, de chercher simplement à être heureux, de rebondir, d’inventer, d’améliorer ses conditions de vie, et puis le naufrage. Et le geste ultime. Le fils devenu écrivain n’a pas voulu commencer par la fin, c’est-àdire le suicide de son père, il a cherché à comprendre le pourquoi et les circonstances, à démêler/renouer le fil trop court, trop fragile de la vie d’un homme. Il a « contextualisé » le drame, tout

en évitant soigneusement d’accaparer le devant de la scène pour nous détailler, par exemple, ce que fut son existence d’orphelin. Plan d’ensemble et plan rapproché, une façon de tenir à distance l’inadmissible et de chasser l’émotion facile, les larmes ayant l’art de noyer le propos et de brouiller l’image. Que tous ceux que la question de la transmission et de la mémoire préoccupe lisent sans tarder Une brève halte après Auschwitz. Aimez-vous Sebald2 ? Alors ce livre de Göran Rosenberg est absolument pour vous ; vous y trouverez cette même façon de traquer la mémoire, de pourchasser les vestiges, de redonner vie à… comment dire  ? Car c’est irrémédiable et paradoxal : quiconque veut préserver la mémoire de la Shoah et sauver de l’oubli tous les récits, rouvrira simultanément la plaie de l’effacement. Comment ça ? C’est qu’on devine la chose, on ne peut la voir, comme une scène d’ombres chinoises furtivement aperçue et qu’un flash de projecteur efface brutalement. Nous voici dans la plus complète obscurité. Et on est effaré mais on ne ramène que les traces de l’effacement. Zut, c’est la fin et je n’ai pas parlé du ghetto deŁLodz ni du chapitre des indemnisations, ni de la dépression du père. À moi tout seul, j’y arrive pas… n Göran Rosenberg, Une brève halte après Auschwitz, traduit du suédois par Anna Gibson, Éditions du Seuil, 2014. 374 pages.

Du même auteur, était paru en 2002 chez Denoël, un livre que je vais m’empresser de lire : L’Utopie perdue . Israël une histoire personnelle. 2 Œuvres de W.G. Sebald (1944-2001) : Les émigrants : quatre récits illustrés (1999), Les anneaux de Saturne (1999), Vertiges (2001), Austerlitz (2002) sont disponibles en collection Babel (Actes Sud). 1

décembre 2014 * n°351 • page 7


regarder Hitler comme faire-valoir ? jacques aron

L

’exposition de la rentrée à Liège sera sans conteste, par son titre accrocheur comme par ce qu’elle nous donne à voir : « L’art dégénéré selon Hitler »1. L’affiche et le catalogue nous montrent le visage stylisé d’Hitler – mèche et moustache – encadrant un fragment d’idylle tahitienne de Gauguin  ; un condensé en quelque sorte de la grande vente organisée par les nazis à Lucerne en 1939, d’une petite partie des tableaux saisis en Allemagne au titre d’« art dégénéré ». Annoncée aux musées et collectionneurs du monde entier, elle devait contribuer à financer la guerre toute proche. À ces enchères, Liège a envoyé une délégation qui acquerra neuf toiles, fleurons de son Musée des Beaux-Arts. Autour d’elles, l’exposition actuelle a regroupé une partie des œuvres dispersées en Suisse et les présente dans les anciens Bains de la Sauvenière, rénovés et reconvertis en lieu culturel et de mémoire. On saisira d’emblée les risques et les ambiguïtés d’une telle accroche, non exempte d’un certain populisme. Quand Hitler naît, Van Gogh a déjà peint l’autoportrait présenté à Lucerne, et Gauguin a brossé son sorcier des Marquises quand le futur Führer et artiste raté n’a que trois ans. La notion d’art dégénéré en littérature, musique, peinture a déjà été répandue en France et dans le monde

germanique par Max Nordau, futur co-fondateur du sionisme. Ce médecin ne voyait dans ces manifestations que perturbations nerveuses ou rétiniennes. Quand Van Gogh, peu avant sa mort, expose à Bruxelles, d’honnêtes peintres retirent leurs œuvres pour ne pas les voir accrochées près de celles d’un «  fou  ». Rien d’autre donc dans le symbole de l’exposition liégeoise qu’une rencontre circonstancielle et hasardeuse entre des individus isolés, inspirateurs d’une révolution picturale sans précédent, et la politique artistique d’un régime fondé sur tous les réflexes culturels instinctifs d’un peuple, au surplus défait, désorienté et brusquement soumis à des crises profondes. Le « génie » d’Hitler, on le sait, fut celui d’un organisateur et propagandiste apte à faire converger les idées qu’il trouva dans le bouillonnement artistico-politique du Munich des années 19202. La prétendue dégénérescence prit des couleurs raciales, judéo-bolcheviques, dans des expositions thématiques qui l’opposaient à la « santé » de l’art allemand, dont la Maison fut inaugurée en 1936 par le Führer lui-même et sous son programme. De tout cet arrière-plan historique, l’exposition de Liège nous apprend peu de choses. Son catalogue est même très en recul par rapport au travail fondateur qui fut celui de Franz Roh en 1962 !

décembre 2014 * n°351 • page 8

Son Entartete Kunst (L’Art dégénéré, la barbarie artistique sous le IIIe Reich) documentait déjà quasi toutes les sources de cette campagne de propagande nazie3. La manifestation de Liège a certainement manqué d’un maître d’œuvre, historien informé et compétent de cette période, qui puisse en définir la philosophie générale. « Liège, octobre 2014. Pour la première fois, une trentaine d’œuvres vendues à Lucerne sont rassemblées pour une exposition exceptionnelle. Les anciens bassins de la Sauvenière créent pour ces tableaux chargés d’histoire une caisse de résonance parfaite, avec leur conception dans le style Bauhaus, un courant artistique considéré par les nazis comme… dégénéré. N’en déplaise à l’occupant, les Bains et Thermes ont ouvert leurs portes en 1942 : un beau pied de nez architectural »4, écrivent les organisateurs. Sous ces rodomontades « principautaires » se cachent beaucoup de confusions et d’à-peu-près. Comme le dit justement le catalogue, « Le monumentalisme classique de la façade (des Bains) est, au même titre que celle du Lycée de Waha, représentatif de l’architecture officielle des années 1930. »5 Le bâtiment de Georges Dedoyard n’a rien à voir avec le Bauhaus, à qui le concept même de style est complètement étranger. Il n’y a quasiment pas eu

d’enseignement de l’architecture dans cette école… et quant au pied de nez à l’occupant, en quoi se préoccupait-il de l’ouverture d’une piscine conçue à l’époque des jeux Olympiques de Berlin ?

aux États-Unis et étendu à l’Europe d’après-guerre, lorsque la politique culturelle de la République fédérale visait à la réintégrer dans le concert des nations. La question du « bilan artistique,

quelles réactions se manifestèrent à Liège, ou en Belgique de façon plus générale, à l’époque où le premier ministre nazi dans un gouvernement provincial (W. Frick, Thuringe, 1930) s’en prenait à l’art « dégénéré », où les nazis obtenaient déjà la fermeture du Bauhaus de Dessau (1932), où Hitler chassait tous ces artistes de l’enseignement (1933), etc. Sans parler des artistes arrêtés, torturés, assassinés, jetés en camps de concentration. Sans évoquer toutes les autres victimes de ce régime qui, ne l’oublions pas, après une longue et « résistible » ascension, mit six ans à s’imposer à nos frontières. Les rapports de l’art et de la politique sont évidemment complexes. Les avoir mis sur la place publique, dans un esprit « de tolérance, d’ouverture, d’accueil, de métissage y compris esthétique » (J-P. Hupkens, échevin de la C​ulture) est évidemment tout à l’honneur de la ville et des asbl MNEMA et Territoires de la Mémoire. Avec toutes ses contradictions et ses zones d’ombre. n

À La Cité Miroir, 22, Place Xavier Neujean, Liège, jusqu’au 29 mars 2015. Le billet d’entrée donne droit à deux expositions complémentaires. 2 À ce sujet, je recommande vivement la lecture du dernier livre de Lionel Richard, Malheureux le pays qui a besoin d’un héros ; La fabrication d’Adolf Hitler, Éditions Autrement, Paris, 2014. 3 Franz Roh, « Entartete » Kunst ; Kunstbarbarei im Dritten Reich, Fackelträger-Verlag, Hanovre, 1962. 4 La Cité Miroir Sauvenière, journal trimestriel, sept.-déc. 2014. 5 Sébastien Charlier, L’architecture moderne à Liège dans les années 1930, in : Catalogue, p. 112. 6 « L’art dégénéré selon Hitler ; la vente de Lucerne, 1939 », édité par Jean-Patrick Duchesne, Collections artistiques de l’Université de Liège, 2014, p. 30. 1

L’architecte moderniste liégeois le plus en vue devint par ailleurs fin 1942 échevin des Travaux du Grand-Liège. Collaboration ou politique du « moindre mal », on peut en discuter, mais certainement pas Résistance. L’invocation du Bauhaus relève d’un mythe forgé

culturel et moral » de la vente de Lucerne doit évidemment être évoqué, comme le fait d’ailleurs le professeur J-P. Duchesne, dans le catalogue6. Mais nous sommes trois-quarts de siècle après les événements. Sans doute serait-on plus intéressé d’apprendre

décembre 2014 * n°351 • page 9


regarder Roman Vishniac. De Berlin à New York roland baumann

A

uteur d’images emblématiques du Yiddihsland à la veille de son anéantissement, Roman Vishniac (1897-1990) reste un photographe à découvrir, comme le suggère la rétrospective de son oeuvre au Musée d’art et d’histoire du Judaïsme (MAHJ) à Paris. Conçue par l’International Center of Photography (ICP) à New York (2013), puis montrée au Joods Historisch Museum d’Amsterdam (avril-août 2014), cette exposition couvre en effet toute la carrière du célèbre photographe de la vie juive. Né près de Saint-Pétersbourg, dans une famille bourgeoise, Vishniac étudie à Moscou la biologie et la zoologie. Pour l’anniversaire de ses sept ans, il reçoit un microscope et un appareil photo qu’il monte aussitôt sur les lentilles du microscope, photographiant une patte de cafard : sa première photo ! En 1920, Roman Vishniac émigre à Berlin avec son épouse Luta. Passionné par la photographie de rue, il arpente les trottoirs de la grande métropole, son Leica ou son Rolleiflex en sautoir. Capturant des instantanés de la vie urbaine, il installe un laboratoire photo dans son appartement de Wilmersdorf. Devenu photographe professionnel lors de l’arrivée au pouvoir de Hitler, Vishniac documente la culture visuelle nazie dans les rues pavoisées de drapeaux, photographiant sa fille Mara devant les

vitrines et les murs de son quartier envahis par les affiches de la propagande hitlérienne. Dès novembre 1933, un décret nazi enjoint aux photographes de prouver leur ascendance aryenne. Bientôt, les Juifs n’ont plus le droit de prendre des photos dans la rue. Membre de T’munah, cercle photographique juif fondé suite à l’aryanisation des photoclubs berlinois, Vishniac photographie l’action sociale d’organisation juives dans les domaines de l’éducation et de la santé. En 1935, la direction européenne du Joint charge Vishniac de photographier les communautés juives en Europe de l’Est. Ses photos joueront un rôle majeur dans la communication et les campagnes de collecte du Joint, illustrant conférences, brochures, rapports, etc. Incitant les donateurs à la philanthropie au bénéfice de populations juives appauvries et victimes de l’antisémitisme, dans les campagnes et surtout dans les grandes villes, à Varsovie, Cracovie ou Lodz, les photos de Vishniac constituent le plus vaste témoignage visuel produit par un photographe sur les communautés juives de Pologne et d’Europe centrale. En 1939, le Joint l’envoie en reportage au Werkdorp Nieuwesluis, camp d’entrainement à la vie agricole ouvert dans le nord de la Hollande pour préparer les jeunes réfugiés allemands et autrichiens à l’émigration en Palestine. Vishniac donne une image héroïque de ces

décembre 2014 * n°351 • page 10

futurs pionniers du Yishouv : photographiant en contre-plongée leurs corps athlétiques, il réalise des images à la composition puissante, inspirées de l’esthétique constructiviste soviétique. D’avril à septembre 1939, Vishniac travaille comme photographe indépendant en France, où lui et sa famille attendent d’hypothétiques visas pour les États-Unis. Le Joint et l’Organisation Reconstruction Travail (ORT) le chargent de photographier et de filmer une école professionnelle pour réfugiés juifs près de Marseille. Arrêté par la police française, fin 39 et interné au camp de Ruchard, il est relâché trois mois après, grâce aux démarches de Luta. Roman, son épouse et leurs enfants, Mara et Wolf, parviennent finalement à s’embarquer pour les États-Unis via Lisbonne. Arrivé à New York en janvier 1941, Vishniac ouvre un studio photo dans l’Upper West Side et grâce à ses relations, prend en portrait des personnalités tels Chagall, Albert Einstein ou l’actrice Molly Picon... Faisant surtout du portrait pour une clientèle de réfugiés juifs, il travaille aussi à la commande pour des institutions caritatives juives américaines, documentant l’intégration des Juifs d’Europe et le travail social des organisations juives dans les domaines du logement, de la santé, de l’éducation. Mais il s’intéresse aussi à la vie nocturne des night-clubs de Manhattan, aux sino-améri-

« Récalcitrance ». Berlin, vers 1929 © Mara Vishniac Kohn,courtesy International Center of Photography

cains de Chinatown et documente l’impact de la guerre sur la population new-yorkaise : le rationnement, l’incorporation massive des femmes dans les industries, les soldats en permission flânant à Central Park, etc. Il aime photographier les enfants. Pour le Jewish Education Committee, il documente le travail éducatif réalisé dans les centres communautaires et camps de vacances où les jeunes réfugiés reçoivent une éducation juive tout en apprenant à s’intégrer à la société américaine. Les photos de ces jeunes respirant la bonne santé et épanouis dans leur identité juive américaine ne peut qu’exprimer la confiance en l’avenir du peuple juif au Nouveau Monde. Vishniac organise deux expositions au YIVO à New York montrant son travail documentaire effectué pour le Joint au Yiddishland en 1935-1938. En janvier 1944, Images de la vie juive dans la Pologne d’avant-guerre montre la détresse économique des Juifs polonais à Varsovie, Lublin, Vilna... Juifs dans les Carpathes, en jan-

vier 45, documente les communautés juives de Ruthénie subcarpathiques et les yeshivot de Galicie. L’exposition du MAHJ présente les panneaux d’exposition du YIVO avec leurs légendes bilingues anglais et yiddish. Le scrapbook  dans lequel Vishniac rassemblait les coupures d’articles de presse illustrés de ses photographies montre le changement brutal qui s’opère alors dans la vision de ses instantanés : documentant à l’origine des populations en détresse, les photos de Vishniac deviennent les dernières traces visuelles de communautés du Yiddishland anéanties à jamais. Le scrapbook témoigne aussi de l’action du National Refugee Service en faveur des rescapés du génocide. Devenu citoyen américain en 1946, Vishniac retourne en Europe en 1947 à la demande du Joint et de l’United Jewish Appeal pour photographier l’action des organisations humanitaires dans les camps de personnes déplacées en Allemagne, Autriche et Italie. Cablées en Amérique, ses photos contribuent à faire connaître le sort dramatique des survivants et à faire pression sur le gouvernement américain pour qu’il s’ouvre à l’immigration de ces rescapés. Vishniac profite de cette mission pour un retour à Berlin. Il photographie la ville en ruines, les rues dévastées de Wilmersdorf, son ancien quartier, mais ces images de destruction et de désolation, jamais publiées ni exposées auparavant, contiennent aussi des signes d’espoir, tel ce petit garçon, dressé sur une montagne de gravats, en contre-plongée, se découpant sur le ciel entre les masses sombres d’immeubles dévastés. Depuis ses études à Moscou,

Vishniac est passionné de photomicroscopie et à partir des années cinquante, devenu professeur de biologie et de pédagogie de l’art, il se consacre à la photomicroscopie et à la microcinématographie. Pionnier dans la production d’images inédites de l’infiniment petit, ses photos en couleur illustrent des centaines d’articles de revues scientifiques et de magazines et figurent en couverture de périodiques prestigieux tels Life, Nature ou Science. Ses films scientifiques initient plusieurs générations d’étudiants américains à la biologie. Dans l’exposition, une projection de quelque 90 photos scientifiques, en noir et blanc et en couleurs, prises par Vishniac du début des années 1950 à la fin des années 1970, montre que le grand photo-documentariste du monde juif manifeste aussi sa vitalité créative tout au long de sa carrière de photographe scientifique. Comme le disait Vishniac : « La science et la nature m’ont offert les heures les plus intéressantes de ma vie ». Précisons que tout le contenu de l’exposition au MAHJ est visible sur le site Internet des Archives Roman Vishniac (www. v ishniac .icp .org/exhibition), créées en 2007 à l’ICP en partenariat avec l’United States Holocaust Memorial Museum. Une petite monographie sur l’oeuvre photographique de Vishniac vient de paraître dans la collection Photo Poche (Actes Sud) à l’occasion de l’exposition. n Exposition : Roman Vishniac. De Berlin à New York, 1920-1975. Jusqu’au 25 janvier 2015, Musée d’art et d’histoire du Judaïsme, Hôtel de Saint-Aignan, 71 rue du Temple, 75003 Paris. Lu-ma et je-ve 1118h, me 11-21h, Di 10-18h ; www.mahj.org Roman Vishniac, textes de Maya Benton, collection Photo Poche n°153, Actes Sud, Paris, 2014.

décembre 2014 * n°351 • page 11


réfléchir Tareq al-Suwaidan. Un « dérapage » très contrôlé Irène Kaufer L’auteure, membre de la rédaction de la revue Politique et de Tayush, groupe de réflexion pour un pluralisme actif, a réagi le 2 novembre sur son blog (www. irenekaufer.be) à l’invitation par la Foire musulmane de Bruxelles du prédicateur koweitien al-Suweidan. C’est ce texte, réactualisé suite à l’interdiction d’entrer sur le territoire, que nous reprenons ici.

U

n antisémite notoire à Bruxelles ? La question a agité les médias belges à l’annonce du programme de la Foire musulmane de Bruxelles (du 7 au 10 novembre). La cible en était le prédicateur Tareq al-Suwaidan, leader des Frères musulmans koweitiens, invité comme orateur à la Foire. D’après le dossier établi par la Ligue belge contre l’antisémitisme (LBCA) et largement repris par la presse, ce prédicateur dont on peut suivre les harangues sur YouTube appelle à la destruction d’Israël et à l’extermination des « fils de Sion », où qu’ils se trouvent. Dans une vidéo enregistrée en juillet 2014, il invite toutes les mères musulmanes à « allaiter leurs bébés avec la haine des fils de Sion. Nous les haïssons. Ce sont nos ennemis. Nous devrions instiller ceci dans l’âme de nos enfants jusqu’à ce qu’une nouvelle génération se lève et les efface de la surface de la terre ». Certains – y compris, hélas, parmi mes camarades de combat – arguent qu’il ne s’agit pas d’antisémitisme, mais d’«  antisionisme radical » ; cette haine à transmettre avec le lait des mères ne viserait pas les « Juifs » mais

les «  sionistes  ». Supposons que telle soit bien la cible du prédicateur : dans ce cas, que fera-t-on de tous ces « sionistes » (terme qui s’applique, on le suppose, à tous les Israéliens juifs) : on les massacre sur place ou on les jette à la mer... ? On les met sur des bateaux, direction Lampedusa, où ils seront accueillis avec enthousiasme, comme on s’en doute ? L’ « antisionisme radical » de Tareq al-Suwaidan n’appelle pas seulement à la disparition d’Israël, mais aussi à celle de la majorité de ses habitants. Il ne s’agit pas seulement de les chasser, mais de les « effacer de la surface de la terre ». Une position radicale.... ou meurtrière ? Je n’ai aucune sympathie pour le sionisme comme idéologie, mais des positions comme cellelà ne peuvent mener qu’à une tragédie humaine que non, rien ne peut justifier. Il n’y aura sans doute jamais de paix tout à fait « juste » en Palestine, car on ne peut revenir en arrière : contrairement aux autres colonisateurs de l’histoire, les Israéliens n’ont pas de « chez eux » où ils pourraient retourner. Mais cette paix, aussi bancale soit-elle, avec des droits et un État reconnus aux Palestiniens, est la seule issue hu-

décembre 2014 * n°351 • page 12

mainement acceptable. Devant l’incendie qui se propage, les organisateurs de la Foire ont lancé un verre d’eau en publiant un communiqué regrettant un « dérapage verbal » de Tareq al-Suwaidan, qui serait par ailleurs « largement connu pour son discours et ses positions modérées, notamment envers la communauté juive  ». C’est quoi une «  position modérée  » envers la communauté juive : lui reconnaître le droit de vivre ? Le « dérapage verbal » serait dû à l’émotion face à la guerre criminelle menée par Israël à Gaza l’été dernier. Pourtant il suffit d’aller faire un petit tour sur YouTube, où les discours de Tareq al-Suwaidan sont sous-titrés en anglais, pour constater qu’il s’agit là d’un « dérapage » très contrôlé. Voici par exemple une interview qui date du 26 mars 2012 et sobrement intitulée : « Pour les musulmans, les Juifs sont plus dangereux que les dictatures ». Vous aurez noté : pas les Israéliens,pas les sionistes, les Juifs ; pourtant parions que M.Tareq al-Suwaidan connaît la différence. Et d’où vient cette « dangerosité » des Juifs ? Du fait qu’en Occident, ce sont eux (avec les francs-maçons, autre cible classique) qui contrôlent

les deux choses qui comptent le plus : l’argent et les médias. C’est dit texto, sans aucune interprétation possible. L’omniprésence et l’omnipotence des Juifs, voilà bien des thèmes classiques de l’antisémitisme le plus basique. Sa sortie de juillet 2014 n’a donc rien d’un « dérapage », elle n’est que l’expression de sa « pensée » profonde – même si l’on pouvait supposer qu’il éviterait de la mettre en avant lors de la Foire. J’entends déjà des ami/e/s musulman/e/s soupirer : ça y est, on va encore exiger d’eux de se « désolidariser », se « distancier », se «  selfieser  » portant un panneau « pas en notre nom »... Il ne s’agit pas, bien sûr, de guetter les (sans doute nombreux) visiteurs de la Foire pour leur demander ce qu’ils pensent de la présence de M. Al-Suwaidan. Le problème, ce sont les organisateurs et tous ceux/celles qui cautionnent cette invitation. Je sais combien il est plus facile de dénoncer les blessures que les autres «  nous  » infligent que celles que « nous » causons à d’autres ; j’ai d’autant plus de respect pour des prises de position comme celle de l’’EmBeM (Empowering Belgium Muslims asbl), qui a publié un communiqué exemplaire (que je reprend en intégralité ci-dessous). Mais quel écho lui sera-t-il donné ? Et je précise : si les médias ne parlent pas autant de ces réactions que de la lamentable invitation à M. Tareq al-Suwaidan, ce n’est pas parce qu’ils « sont aux mains des Juifs », mais parce qu’ils travaillent dans une ambiance d’islamophobie où, consciemment ou non, les « dérapages » sont montés en épingle tandis que les musulmans qui les dénoncent, sans pour autant pointer l’islam dans son ensemble, doivent crier fort, très fort pour se faire entendre.

Post-scriptum : finalement, le visa de M. Al-Suwaidan lui a été retiré et sa visite donc interdite en Belgique. Ce qui a sans doute permis d’éteindre l’incendie mais qui laissera des traces : l’interdiction est rarement une bonne solution, en fabriquant des « martyrs » de la liberté d’expression. On aurait aimé que les organisateurs de la Foire se rendent compte eux-mêmes des raisons pour lesquelles la présence d’un tel personnage était indésirable, malgré des « excuses » tout à fait formelles puisque les vidéos reprenant ses discours contestés sont toujours disponibles. n Communiqué de Presse d’EmBeM sur l’affaire Al-Suwaidan et la Foire Musulmane* EmBeM (Empowering Belgium Muslims asbl) condamne sans aucune équivoque les propos, actes et violences à caractère antisémite. EmBeM questionne dès lors le choix des organisateurs de la Foire musulmane quant à la présence de M. Al-Suwaidan parmi ses invités, suite à des dérapages verbaux avérés. EmBeM trouve dommageable que, dans un contexte d’hypersensibilité intercommunautaire, la Ligue des Musulmans de Belgique (LMB) et la compagnie Gedis n’aient pas agi avec plus de discernement lors de l’établissement de leur liste d’invités. Si les organisateurs estiment que le discours religieux/spirituel de M. Al-Suwaidan est inoffensif, et qu’il doit être entendu indépendamment de ses positions politiques, nous sommes d’un avis contraire. Nous sommes convaincus que l’on ne peut faire abstraction du contexte politique et intellectuel au sein duquel évolue M. Al-Suwaidan, contexte qui ne peut qu’interagir avec son dis-

cours plus proprement spirituel. En choisissant de maintenir M. Al-Suwaidan sur un panel, les organisateurs contribuent à brouiller les limites et à maintenir le flou entre antisémitisme (totalement inacceptable) et une critique radicale de la politique colonialiste de l’Etat israélien, à laquelle souscrit par ailleurs EmBeM au nom du droit à l’égalité, à la non-discrimination et à l’autodétermination de chaque peuple. De la même manière, EmBeM s’est joint à d’autres acteurs pour dénoncer le manque cruel d’intervenantes féminines sur toutes les thématiques abordées, en contradiction avec le message d’inclusion que la LMB revendique pourtant porter. EmBeM reste disponible pour soutenir la LMB dans ses efforts de remise en question de son programme et de sa liste d’invité-e-s tant en matière d’antisémitisme qu’en matière d’égalité homme-femme. À l’heure où les musulmans réclament, de droit, une prise en compte de leurs sensibilités particulières, leurs organisations communautaires ne peuvent plus se permettre de s’enfermer dans des logiques exclusivistes et insensibles aux préoccupations d’autres communautés. L’inclusion réciproque, au sein de sociétés de plus en plus complexes, c’est précisément ça : une approche proactive et attentive quant aux préoccupations de l’ensemble des communautés qui compose notre fabrique sociale collective. * Précisons que l’Embem a diffusé le 5 novembre une « carte blanche » estimant que l’interdiction était contre-productive en raison notamment du fait que M. al-Suweidan avait présenté ses excuses.

décembre 2014 * n°351 • page 13


politique d’asile Il ne faut pas dénoncer la politique migratoire, il faut lui opposer une résistance Groupe de Réflexion Migrations et Luttes Sociales Cette carte blanche a été publiée dans La Libre Belgique du 28 octobre dernier.

Q

uiconque a lu, même distraitement, la presse ces derniers jours aura fait la connaissance de notre nouveau secrétaire d’État à la politique migratoire, Théo Francken, et aura pu se faire sa propre opinion sur​ la finesse des analyses sociologiques qu’il aime à délivrer sur les réseaux sociaux. Un « humour » que l’intéressé a qualifié de potache, mais que nous préférerons désigner ici d’indigne de la fonction. Les appels à sa démission qui émanent de toutes parts dans les rangs de l’opposition apportent une pugnacité bienvenue au débat démocratique et rappellent, à qui l’aurait oublié, qu’on ne peut si facilement faire étalage public d’une lecture racialiste du monde et prétendre dans un même temps administrer avec justice la politique migratoire. Oui, Théo Francken a tout d’un personnage détestable ! Et l’unanimité qu’il a rapidement faite contre lui ferait plaisir à voir si nous ne la soupçonnions teintée d’hypocrisie  ! Car, en centrant le débat autour de la seule personnalité du secrétaire d’État, on obscurcit le fait que l’accord de gouvernement de la coalition «  suédoise  » se contente finalement de radicaliser une logique

anti-immigré qui avait déjà pris ses quartiers au sommet de l’État avec la complicité des partis qui siègent aujourd’hui dans l’opposition. Ainsi, le monde associatif dénonce, et il a raison de le faire, la très lourde emphase qui est mise dans le nouvel accord de gouvernement sur la lutte contre les abus. Le volet consacré à l’asile et l’immigration peut effectivement se lire comme un catalogue de nouvelles mesures visant à surveiller, contrôler et contraindre les faits et gestes des migrants, qui seraient apparemment tous venus en Belgique avec les pires intentions. Or, cette logique de la suspicion vis-à-vis des migrants n’est pas neuve. L’orientation répressive de la politique migratoire est en réalité une constante en Belgique depuis la crise économique des années 1970 et la fermeture théorique des frontières. La nouveauté, c’est que cette logique est ici poussée à son paroxysme. La majeure partie du texte se consacre à définir les mesures qui seront mises en œuvre pour maximiser la capacité d’accueil des centres fermés (« camps pour étrangers »), dans lesquels, il est important de le rappeler sans cesse, des personnes n’ayant commis aucun

décembre 2014 * n°351 • page 14

délit sont privées de leur liberté. La liste des mesures désastreuses pour le respect des droits des migrants est longue : privatisation des centres d’accueil, confusion entre « retour volontaire » et retour consenti sous la contrainte, développement assumé des « retours forcés » (et ce, malgré leur potentiel meurtrier), restriction des procédures d’appel, légitimation de la double peine, violation du droit à la vie privée des migrants, surveillance généralisée des personnes, droit de séjour conditionné par des questions d’ordre public et de sécurité nationale... On notera également le peu de considération pour la vie de famille des migrants : ces derniers, au contraire de la majorité du genre humain, ne se marieraient et ne feraient des enfants que dans le but d’abuser du système social belge… Si les « abus » dans le chef des migrants sont au centre de toute la note de gouvernement, rien n’est dit en revanche des « abus » commis par le patronat. Les sans-papiers qui travaillent pour un salaire de misère sur nos chantiers, à la plonge dans nos restaurants, ou au nettoyage de nos grands hôtels sont pourtant bien embauchés par quelqu’un… Ces mesures, comme si elles ne

se suffisaient pas à elles-mêmes, s’accompagnent d’effets d’annonces médiatiques sur la prétendue « nécessité » d’augmenter le nombre de places en centres fermés et d’accélérer les expulsions. Ce show spectaculaire et décomplexé correspond à une volonté de renforcer un discours, déjà bien ancré dans la conscience collective, sur le migrant en tant que menace pour le corps politique et social (on n’oserait dire « pour la nation »), et d’en faire un enjeu de crédibilité politique pour ce gouvernement. Mais, il est important de le répéter, attribuer l’entière responsabilité de ce glissement vers une politique migratoire envisagée exclusivement sous un angle « policier » à la seule coalition suédoise serait faire preuve d’un manque de discernement. Une lame de fond réactionnaire et xénophobe traverse en ce moment l’Europe toute entière. Et de plus en plus de gouvernements préfèrent flatter l’aile la plus droitière de leur électorat plutôt que de lutter pour déconstruire les argumentaires qui jouent sur la peur des étrangers. L’exemple le plus marquant est la dernière initiative en date prise par les États de l’Union Européenne : Mos Maiorum. Cette vaste opération de police, coordonnée à l’intérieur de l’Espace Schengen par la présidence italienne de l’UE, entre le 13 et le 26 octobre, vise à repérer et démanteler des réseaux d’immigration trans- et intra-européenne. Le but ? Massifier les arrestations de migrants « sans-papiers » sous couvert de lutte contre le trafic d’êtres humains, identifier au moyen d’une gigantesque chasse à l’homme les organisations qui facilitent l’immigration, mais également repérer, identifier et ficher sciemment les parcours, les tra-

jectoires et les outils empruntés par les migrants pour pénétrer sur le sol européen. Il est ainsi explicitement demandé aux pays participants à cette opération de noter, pour chaque migrant-e interpellé-e le profil (nationalité, genre, âge, point et date d’entrée en Union européenne) ; les chemins empruntés pour accéder en Europe ; le modus operandi (faux papiers, demande d’asile, qui est le passeur, nationalité et pays de résidence des facilitateurs, somme versée par chaque immigrant, ...). Les arrestations de ce mois d’octobre fourniront aux autorités européennes de nouveaux outils pour mieux prévoir, anticiper et empêcher toute nouvelle forme d’immigration future. Le nom donné à l’opération est d’ailleurs révélateur de ses intentions profondes. Mos Maiorum est une expression latine qui évoque les « mœurs des Anciens », c’est-àdire le code moral de la Rome antique dont la pierre de touche était le respect des aînés et de la tradition. Cette dénomination vend incidemment la mèche. L’opération ne vise donc pas tant à endiguer le trafic d’êtres humains qu’à restaurer en Europe, symboliquement du moins et le temps d’une rafle, un ordre ancien et mythique fait de valeurs communes, de mœurs civilisées (opposées à demi-mots au désordre décadent des Barbares à nos portes) et d’identité traditionnelle. Les mesures de restriction et de criminalisation de la coalition «  suédoise  », ainsi que ces opérations de traque et de rafle à l’échelon européen, font partie à notre sens d’une même logique raciste et répressive. Elles exigent de notre part une réaction : pas uniquement une indignation bienveillante, mais bien une prise de position en faveur des processus de résistance qui tentent

de mettre à mal de telles procédures. Nous condamnons une politique migratoire nauséabonde et criminelle, mais nous ne voudrions pas que cette démarche se limite à un sermon séculier. Elle doit pour nous aller de pair avec un engagement pratique de tous et toutes, migrant-e-s ou non, qui refusent de cautionner l’intolérable. Contestation, désobéissance civile, solidarité et exigence radicale d’égalité sont les maîtres mots de la résistance indispensable à la politique migratoire. Nous appelons à intensifier ces mécanismes de résistance : en soutenant les migrants qui luttent, notamment dans les églises et les bâtiments occupés  ; en prévenant les familles en passe d’être raflées ; en hébergeant les personnes traquées ou menacées d’expulsion  ; en aidant les migrants à franchir les frontières ; en refusant de ne pas voir ; en apportant notre aide aux personnes contrôlées dans la rue et les transports en commun ; en refusant les camps pour étrangers ; en s’opposant physiquement aux expulsions, dans les aéroports ou dans les avions ; en dénonçant tous les complices de la machine-à-expulser... Mille autres techniques et stratégies, plus ou moins microscopiques, plus ou moins explicites sont encore à inventer et à expérimenter. n Papiers pour tous ou tous sans papiers ! Le Groupe de réflexion « Migrations et Luttes sociales » : Martin Deleixhe (KUL), Leila Mouhib (ULB), Youri Lou Vertongen (USL-B)), Bachir Barrou (SP Belgique), Elsa Roland (ULB), Elisabeth Dubois (ULB), Elodie Francart (ULB), Camille Reyniers (ULB), Nicolas Dekemel (Collectif Créole), Rachida El Baghdadi (Collectif Créole), Martin Vander Elst (Collectif Créole).

décembre 2014 * n°351 • page 15


! ‫יִידיש ? יִידיש‬

Yiddish ? Yiddish ! par willy estersohn

‫ װעלט‬,‫נאכט‬ ַ ‫ַא גוטע‬

Traduction Bonne nuit, vaste monde,/Monde géant, monde puant,/Ce n’est pas toi c’est moi qui fais claquer la porte./ Avec la longue houppelande,/Avec l’étoile jaune en feu/Avec mon pas orgueilleux,/À mon propre commandement/Je retourne dans le ghetto,/J’efface et foule toutes les traces d’apostasie,/Je me roule dans ton ordure,/Louange ! Louange ! Louange !/Vie juive bossue,/Monde, j’abjure/Ta culture d’impureté/Et bien que tout soit dévasté/Je cherche la poussière en ta poussière/Vie juive désolée.

A gute nakht, velt Bonne nuit, monde

(Charles Dobzynski) Nous revenons à Charles Dobzynski, poète français et auteur de l’Anthologie de la poésie yiddish, miroir d’un peuple (3ème édition en 2001, Poésie/Gallimard), qui s’est éteint le 27 septembre 2014 à l’âge de 85 ans. Dobzynski a adhéré au communisme au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale. Cette adhésion ne l’a toutefois pas empêché de faire entendre, à plusieurs reprises, une voix discordante. Ainsi, il a refusé de couvrir d’un voile pudique l’assassinat, à Moscou, durant l’été 1952, des meilleurs représentants de la littérature yiddish soviétique. En 1957, il rencontre Esther Markish, veuve d’un des poètes exécutés. « Cette rencontre, dira Dobzynski, m’imposa comme exigence morale impérieuse de traduire et de faire connaître les poètes de langue yiddish, victimes de Hitler et puis de Staline ». Voici un extrait d’un poème que Jacob Glatstein (Yankev Glatshteyn), un auteur déjà rencontré dans cette chronique, a écrit en 1938 et que Charles Dobzynski a traduit.

.‫ צעטרעט ַאלע געשמדטע שּפורן‬,‫װיש ָאּפ‬ shpurn geshmadte

ale

tsetret

op

.‫ ברײטע װעלט‬,‫נאכט‬ ַ ‫ַא גוטע‬

vish

velt

,‫דײן מיסט‬ ַ ‫כ׳װאלגער זיך אין‬ ַ mist dayn in zikh

kh’valger

,‫ לויב‬,‫ לויב‬,‫לויב‬ loyb

loyb

loyb

.‫צעהויקערט ייִ דיש לעבן‬ lebn yidish

tsehoykert

.‫דײנע טרײֿפענע קולטורן‬ ַ ‫ אויף‬,‫ װעלט‬,‫חרם‬ kulturn

treyfene

dayne

oyf

velt kheyrem

,‫ֿפארװיסט‬ ַ ‫כאטש ַאלץ איז‬ ָ farvist

iz

alts

khotsh

,‫דײן שטויב‬ ַ ‫שטויב איך זיך אין‬ shtoyb dayn in zikh ikh

shtoyb

lebn

troyerik

.‫טרויעריק ייִ דיש לעבן‬ yidish

décembre 2014 * n°351 • page 16

breyte

nakht

gute

a

.‫ שטינקענדיקע װעלט‬,‫גרויסע‬ velt

shtinkendike

groyse

.‫רהאק דעם טויער‬ ַ ‫ֿפא‬ ַ ‫נאר איך‬ ָ ,‫נישט דו‬ toyer dem

farhak

ikh nor du

nisht

,‫לאט‬ ַ ‫כא‬ ַ ‫לאנגן‬ ַ ‫מיט דעם‬ khalat

langn dem

mit

,‫לאט‬ ַ ‫ געלער‬,‫ֿפײערדיקער‬ ַ ‫מיט דעם‬ lat

geler

fayerdiker

der

mit

dem

mit

eygenem mayn

oyf

,‫טראט‬ ָ ‫שטאלצן‬ ָ ‫מיט דעם‬ trot

shtoltsn

Charles Dobzynski

– ‫געבאט‬ ָ ‫מײן אײגענעם‬ ַ ‫אויף‬ gebot

.‫געטא‬ ָ ‫גײ איך צוריק אין‬ geto

in

tsurik

ikh gey

remarques

‫ טיר‬tir = porte ; ‫ טויער‬toyer = portail, porte de ville. ‫ לַאט‬lat ou ‫ לַאטע‬late = pièce, morceau servant à rapiécer. ‫ געשמדט‬geshmadt : participe passé de ‫ שמדן‬shmadn = convertir au christianisme. ‫ מיסט‬mist = détritus. ‫ װַאלגערן‬valgern = faire rouler ; ‫ װַאלגערן זיך‬valgern zikh = se vautrer, vagabonder. ‫הויקער‬ hoyker = bosse (d’un bossu). ‫ חרם‬kheyrem (hébr.) = excommunication (juive). ‫ן‬.‫ טרײֿפ‬treyfn = impur. ‫ ֿפַארװיסט‬farvist = ravagé, dévasté (‫ װיסט‬vist (adj.) = désert).

décembre 2014 * n°351 • page 17


anne gielczyk

sur trois, les fraudeurs sont de bonne foi, alors négocions, nous dit la secrétaire d’État. Punir, c’est du passé, ça fait partie du « modèle conflictuel », cher aux socialistes. Et les socialistes, pour la N-VA, ça fait partie du passé, tout simplement.

Tina, tout simplement

L

’autre jour, j’avais à loger ma nièce de sept ans. Après une soirée tout à fait charmante et une nuit normale (en général, elle dort, moi pas), nous nous sommes levées de bonne heure pour aller à l’école, qui se trouve au bout de ma rue à huit minutes à pied. Pendant que je préparais le petit déjeuner en affichant un grand sourire malgré ma nuit blanche, Sarah, elle, faisait la tronche en se plaignant d’un mal au pied. Le pied droit, me dit-elle, en prenant un air dramatique et en clopinant vers la salle de bains. Manifestement, elle s’était levée du mauvais pied. Impossible d’aller à l’école comme ça, me dit-elle. Mais si, mais si, le mal au pied n’a jamais empêché qui que ce soit de suivre les cours, lui disje. Si je voulais bien écrire un mot à son maitre, pour qu’elle soit dispensée de récréation au moins, me dit-elle en me jetant un regard noir. Ce que je fis. Après le petit déjeuner, et malgré les granulés de chocolat, le mal avait empiré, et si je voulais bien téléphoner à sa maman pour qu’elle vienne la chercher. Impossible, ma chérie, souvienstoi ta maman est à l’hôpital depuis tôt ce matin, c’est bien pour ça que tu as passé la nuit ici puisque ton père est à l’étranger. Tu t’en fiches, hein que j’ai mal !

me dit-elle en tapant du pied (le gauche, pas bête la guêpe). Mais non, je ne m’en fiche pas, seulement voilà, Sarah : TINA. Tina ? Vous n’y comprenez plus rien ? Est-ce qu’elle s’appelle Tina ou Sarah, ma nièce ? Mais elle s’appelle Sarah, je vous l’ai dit, Tina, c’est la formule de Margaret Thatcher « There Is No Alternative ». - Il n’y a pas d’alternative, Sarah, lui ai-je dit. Que voulezvous rétorquer à cela ? Même Sarah a du s’y résoudre. Nous sommes parties en clopinant à l’école, parce qu’il n’y avait pas d’alternative. Eh bien, pour les mesures gouvernementales, c’est pareil. Vous aurez beau taper du pied, ce gouvernement vous dira, TINA ! Bart De Wever, un grand admirateur de Margaret Thatcher comme vous n’êtes pas sans savoir, vous qui lisez mes chroniques, l’a dit encore le jour même de la grande manifestation « il n’y a aucune alternative à notre politique ». « Kunnen we iets anders dan besparen ? Natuurlijk niet ! », évidemment qu’il faut faire des économies  Évidemment… tout se niche dans ce mot, « évidemment ». Bart De Wever c’est le bon sens même, toute objection bute toujours chez lui sur la question du bon sens, het gezond verstand : « dit is een kwestie

décembre 2014 * n°351 • page 18

van gezond verstand », a-t-il coutume de dire. Autre mot clé: « gewoon », ainsi, il dit souvent « dit is gewoon niet waar », ceci n’est tout simplement pas vrai. Les gens de droite aiment se présenter comme des personnes qui sont de plein pied dans la réalité, face aux doux rêveurs de gauche, qui rêvent d’une autre société, utopique bien sûr. Margaret Thatcher l’avait dit déjà, il y a trente ans, « there is no such thing as society ». Pour elle, il n’y avait que des individus (et des familles, stade suprême du collectif). Pour Bart De Wever, il y a au moins des « Flamands », ce qui fait quand même un peu plus « société ».

A

lors, pas d’alternative au monde réellement existant ? Autant se flinguer tout de suite, vous ne trouvez pas ? Mais non enfin, tata ! aurait pu dire ma nièce Sarah. Il y a des milliers d’alternatives, « There Are Thousands of Alternatives ». TATA, la formule vient des altermondialistes. Un autre monde est possible ! Hart boven hard, comme on dit en Flandre. « Hart boven hard », « Le cœur, pas la rigueur », est une initiative citoyenne, lancée en septembre en Flandre, « contre une vision trop économiste de la société », qui regroupe déjà

C des milliers d’individus et de membres de la société civile1. Et pourquoi ne pas aller chercher l’argent là où il se trouve, par exemple ? Ça aussi, c’est le bon sens même, non ? Chez Marc Coucke, qui vient de revendre sa société Omega Pharma avec une plus-value de 1,20 milliards d’euros, sans payer un sou de contributions, par exemple, ou chez les Spoelberch (InBev), chez Albert Frère (GBL), chez les Wittouck-Ullens de Schooten (Artal, anciennes sucreries de Tirlemont), auprès de la Banque d’affaires Degroof… qui, tous, ont échappé au fisc en négociant des rulings, des arrangements fiscaux au Luxembourg. De la fraude fiscale, en toute légalité. Eh bien non, pour Elke Sleurs, la secrétaire d’État (N-VA) chargée de la lutte contre la fraude fiscale, ceci n’est pas de la fraude fiscale. La fraude

fiscale est une « donnée subjective » selon elle. Je ne sais pas moi, mais 1,20 milliards d’euros, je ne vois pas bien ce que cela a de subjectif, c’est 1,20 milliards d’euros. Een kwestie van gezond verstand, non ? Certes, mais, nous explique Elke Sleurs (qui est aussi chargée de la lutte contre la pauvreté, encore une donnée subjective, je suppose), il y a trois cas de figure de soi-disant fraude fiscale : une première catégorie de gens, qui sont de bonne foi mais qui se sont trompés parce que la législation en la matière est complexe (je traduis, des gens qui fraudent mais n’ont pas les moyens de se payer les services de Price Waterhouse Cooper), ceux qui le peuvent et trouvent des chemins légaux pour échapper à l’impôt, et une dernière catégorie, les fraudeurs manifestes. Dans deux cas

e raisonnement ne vaut apparemment pas pour la fraude sociale. Là, la fraude reste une donnée objective, la fraude sociale c’est tout simplement de la fraude, et cela doit être sanctionné bien sûr. En matière sociale, le modèle conflictuel reste de mise, on a pu le constater déjà par ailleurs. Je dirais même plus, en matière de chômage, même s’il n’y a PAS de fraude, vous risquez l’exclusion. Il suffit pour cela, par exemple, d’être jeune et sans travail et de bénéficier d’une allocation d’insertion, sur base de vos études. A partir de janvier 2015, celle-ci vous sera retirée automatiquement. Donc ici pas de rulings, les amis, pas d’arrangements à l’amiable. Vous serez exclus, tout simplement. Le message est clair : trouvez du travail. Et s’il n’y a pas de travail, eh bien c’est tant pis pour vous, l’important, c’est que vous ne serez plus comptabilisé comme chômeur. Vous aurez disparu dans les limbes d’un monde inexistant, celui de la débrouille. Parce qu’il n’y a pas d’alternative. N’oubliez jamais ça, c’est une donnée objective. Tout simplement. n http://www.hartbovenhard.be/ le-coeur-pas-la-rigueur-une-declaration-politique-alternative/

1

décembre 2014 * n°351 • page 19


écrire La grève, la grève, vive la grève ! elias preszow

«  La quotidienneté est une transparence immobile qui ne dure que quelques secondes. »

Q

u’il vente, qu’il pleuve, que ce soit l’automne avec ses « toujours » et ses « jamais » qui nous finissent sur le seuil de l’hiver, ou le printemps qui pénètre dans l’été et nous enclume sans qu’on ne comprenne ce qui arrive ; que ce soit le jour, la nuit, la pénombre, la lumière trouble, le soleil ou la pluie : Lisez Roberto Bolaño  ! Relisez-le… Cet article, que ceux qui ne supportent pas le lyrisme bon marché, les grands effets qui sonnent creux, et les paroles qui s’emportent parce qu’elles souffrent à passer la rampe, cet article que s’abstiennent de le lire ceux-là que le verbe querelleur et jaloux fatigue d’avance, car ce ne sera rien d’autre qu’un cri d’amour déchiré en l’honneur du poète Roberto Bolaño ; que ceux qui ne parviennent pas non plus à entendre les rires qui percent à travers les sanglots de joie que versent la plume en écrivant ce nom, que ceux-là aussi détournent le regard ! Pour les autres, les amis, les curieux de toutes races et de toutes formes, les imprécis, les invendables, les trouble-fête du grand savoir, les réfractaires du discours, les humoristes débordés, pour vous tous dyslexiques scrupuleux amants du souffle véritable, allons-y, main dans la main et prenons, re-

prenons Amuleto, le titre 172 de Christian Bourgois, une couverture jaune et un carré rouge sur le flanc droit, comme si le titre risquait de s’en évader d’une minute à l’autre, allons et ouvrons ce petit format de 186 pages, tendons l’oreille, car c’est Auxilio Lacouture qui parle, ou plutôt, qui fait entendre son chant de désespoir et d’allégresse, de mélancolie et de vivacité inouïe. Qui d’autre que cette Uruguayenne, échouée dans l’Océan de la ville de Mexico pouvait raconter l’année 1968, celle de la violation de l’autonomie de l’Université – où par chance et par malheur elle est assise sur son trône discret, dans les toilettes, en train de lire au moment même où les militaires, la police, les gendarmes, les salauds, entrent et profanent ce lieu sacré, et que grâce ou à cause de cette passion de lecture elle put miraculeusement se soustraire aux arrestations –, qui d’autre que cette femme perdue d’Amérique latine, qui d’autre que cette latino-américaine sans-âge, mystérieusement édentée, cette femme de sang-mêlé, bâtarde de chair et d’esprit, indépendante de corps et d’âme, pouvait ainsi se mettre à raconter la jeunesse d’Arturo Belano, porter le témoignage délirant et authentique de cet Arturito d’à peine vingt ans paumé dans Mexico City  ? C’est-à-dire l’histoire de Roberto Bolaño avant qu’il ne devienne l’écrivain qui allait recevoir le prix Gallegos, sa

décembre 2014 * n°351 • page 20

vie à l’époque où c’était encore le poète, le révolutionnaire, ombre frémissante, double maladroit ; ce jeune homme originaire du Chili, débarqué au Mexique avec sa famille, que l’écriture va charger de transformer en ce qu’il sera plus tard, bien longtemps après que le coup d’État de 1973 dans sa terre natale ait définitivement sapé pour lui et son peuple les promesses d’avenir radieux, que soit ruinée la confiance dans la politique, non moins que dans les diplomates virtuoses tel un Octavio Paz et d’autres têtes d’affiches de l’intelligentsia littéraire  ; que ce voyou ne prenne la route de l’exil pour l’Espagne, qu’il vagabonde de ci de là, et finisse par atteindre Barcelone où il vécut et où il mourut le 15 juillet 2003. Franchement, vous n’apprendrez rien en lisant cet article, en continuant de le parcourir des yeux, ni sur les livres que j’ai lu – Anvers, La littérature nazie en Amérique, Le Troisième Reich, ou même le superbe recueil de nouvelles Appels téléphoniques – ni sur ceux que je n’ai pas lus, que je ne lirai peutêtre jamais, ou que je projette de lire un jour. C’est qu’on m’a mis entre les pattes Les détectives Sauvages, – que le donateur en soit ici remercié – et comme tant d’autres avant moi je l’ai dévoré, ou pour être plus exact il n’a fait qu’une bouchée de moi… Car on croit s’imaginer ce que c’est qu’une œuvre parce qu’on en parle autour de soi, qu’on la cé-

lèbre, qu’on la juge ou qu’on la discute… mais on ne sait pas, on n’en sait rien, fichtrement rien, tant qu’on ne s’y est pas risqué soi-même, qu’on n’a pas franchi le pas, fréquenté un certain temps la foule de gens dont il est question là-dedans, tant qu’on a pas ouï leurs voix, senti les pulsations de leurs cœurs fragiles et courageux entre nos propres entrailles, flairé l’odeur des rues dans lesquelles ils traînent et dans lesquelles ils font des rencontres déterminantes, tourné en rond avec eux, tant qu’on ne s’est pas enfui vers le désert dans la même

bagnole qu’eux, aimé les mêmes femmes, mangé aux même tables, joué aux mêmes jeux ! Maintenant écoutons le récit d’Auxilio Lacouture, réécoutons le, – ce n’est en aucun cas un ordre mais une façon de se délivrer d’un poison génial, d’en partager cette puissance d’expansion,

cette fièvre, qu’il fait couler dans les veines- et méditons là-dessus ; arrêtons-nous un instant devant une seule de ses phrases, celle qui figure en pages 38, 39 d’Amuleto : « Et moi, pauvre de moi, j’ai entendu quelque chose de semblable à la rumeur que produit le vent quand il descend courir entre les fleurs de papier, j’ai entendu une vibration d’air et d’eau, et je me suis levé (silencieusement), les pieds comme une ballerine de Renoir, comme si j’allais accoucher (et d’une certaine manière, en effet, j’allais donner naissance à quelque chose et naître moi-même), le slip tenant en menottes mes chevilles maigres, accroché aux chaussures que j’avais alors, des mocassins jaunes très confortables, et pendant que j’attendais que le soldat inspecte les cabinets l’un après l’autre et que je me préparais moralement et physiquement, si nécessaire, à ne pas ouvrir, à défendre le dernier réduit d’autonomie de l’UNAM1, moi, une pauvre poète uruguayenne, mais qui aimais ce Mexique comme personne d’autre, tandis que j’attendais, comme je disais, un silence spécial pour lequel ni même les dictionnaires mus icaux ni les dictionnaires philosophiques n’ont d’entrée, comme si le temps se fracturait et se mettait à courir dans plusieurs directions à la fois, un temps pur, ni verbal ni fat de gestes ni d’actions, et alors je me suis vue moi-

même et j’ai vu le soldat qui se regardait béatement dans le miroir, nos deux personnages scellés dans un noir losange ou submergés dans un lac, et j’ai eu un frisson, parce que j’ai perçu que momentanément les lois de la mathématique et celles, tyranniques, du cosmos, qui s’opposent aux lois de la poésie, me protégeaient et j’ai compris que le soldat se regardait béatement dans le miroir et que je l’entendais, ou l’imaginais, souriante aussi, dans l’abri singulier de mon cabinet, et que ces deux facteurs constituaient à partir de cette seconde-là les revers d’une pièce de monnaie atroce comme la mort. » S’il fallait ajouter quelque chose à cette parole ? Peut-être un silence. Qui dirait à qui veut bien l’entendre, qui a encore le temps d’en prendre la mesure, qu’il y en a marre. Marre qu’on joue avec nos vies, qu’on se foute de notre gueule, marre de la confusion, et de la dérision ; de la bêtise qui se prend au sérieux, et de la souffrance sur laquelle on mise comme on achète, comme on vend des actions. Qu’on est fatigué de tout ça, de l’indifférence, et de l’isolement, de la fausse solitude, de la fausse communication. Et que surtout, on n’en peut plus de s’excuser, qu’on n’en peut plus de jouer les victimes, de croire que la résignation est la seule attitude opposable à ces gens qui travaillent à notre perte. Et pourtant, que dans cette parole, celle de Lacouture, celle de Bolaño, il y a une puissance, une sérénité, jusque dans la douleur, et qu’elle est admirable. Exemplaire. Et que c’est une parole de littérature. Celle du silence. n Université nationale autonome de Mexico (N.D.T.)

1

décembre 2014 * n°351 • page 21


activités

est le mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique (ne paraît pas en juillet et en août)

dimanches 7 et 14 décembre à 15h

vendredi 12 décembre à 20h15

Projection en deux parties du spectacle théâtral filmé du GROUPOV

En collaboration avec l’Institut Liebman

Rwanda 94

La pensée de Walter Benjamin

Une tentative de réparation symbolique envers les morts, à l’usage des vivants Suivie de rencontres avec Jacques Delcuvellerie et Marie-France Collard (co-auteurs) et Clothilde Kabale (comédienne, sous réserve) « Le projet Rwanda 94 est né d’une révolte très violente. Devant les événements eux-mêmes : le génocide perpétré dans l’indifférence et la passivité générales. Les morts n’avaient pas de nom, pas de visage, pas d’importance. En même temps, révolte contre le discours qui constituait ces événements en informations, à la télévision, la radio et dans la presse. Cette « dramaturgie » de l’information est un des sujets du spectacle. À l’instant même des génocides presque personne n’écrit sur les événements, encore moins sur leur vécu. Ni les bourreaux, ni les victimes. On écrit donc généralement après, y compris les survivants, quelques fois très longtemps après. Il nous semblait, au Groupov, qu’écrire après devait impliquer écrire pour aujourd’hui, dans la conscience des idées et des processus qui, aujourd’hui, pourraient reconduire dans le monde à de pareils crimes. Notre tentative de réparation envers les morts s’est dès lors conçue et élaborée à l’usage des vivants. Nous ne pouvions donc en rester au seul travail du deuil, de la déploration, du témoignage. La mémoire, oui, mais de telle sorte qu’elle interroge explicitement le présent. Dans ce sens, la question du pourquoi ? et non seulement du comment ?, s’imposait. Pourquoi cela a-t-il eu lieu ? Pourquoi l’a-t-on encouragé ou laissé faire ? Rwanda 94 tente aussi de rencontrer ces questions essentielles si l’on veut donner un faible espoir au vœu si constamment trahi : plus jamais ça. Scruté depuis ses prolégomènes à la fin du 19ème siècle et dans sa mise en œuvre jusqu’en juin 1994, le génocide des Tutsi du Rwanda et le massacre des opposants Hutu, révèle nombre de théories et de pratiques qui ont développé, hier et encore aujourd’hui, des conséquences criminelles à une vaste échelle sur toute la planète. Cette œuvre à l’usage des vivants ne s’adresse donc pas qu’aux Rwandais. Le « crime contre l’humanité » postule bien que c’est celle-ci, dans son ensemble et pas seulement sur le plan moral, qui est concernée. » GROUPOV PAF: 6 €, 4 € pour les membres, tarif réduit: 2 €

décembre 2014 * n°351 • page 22

Conférence-débat avec

Michael Löwy Un éclairage brillant sur un des penseurs les plus riches du XXe siècle. En effet, marxiste et juif, hétérodoxe dans les deux cas, on peut sans exagérer parler d’une figure à la fois méconnue et extrêmement actuelle. Franco-brésilien, sociologue et philosophe marxiste, écosocialiste, Michael Löwy est directeur de recherches émérite au CNRS et enseignant à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) Se réclamant de la gauche radicale, Michael Löwy a certainement influencé par ses écrits toute une génération proche de ce courant. Il est notamment l’auteur de Walter Benjamin, avertissement d’incendie. Une lecture des thèses sur le concept d’histoire, Franz Kafka, rêveur insoumis, Rédemption et utopie : le judaïsme libertaire en Europe Centrale et avec Olivier Besancenot de Che Guevara, une braise qui brûle encore et tout récemment, encore avec Olivier Besancenot, de Affinités révolutionnaires. Nos étoiles rouges et noires. Pour une solidarité entre marxistes et libertaires. Introduction : Amir Haberkorn PAF: 6 €, 4 € pour les membres, tarif réduit: 2 €

L’UPJB est soutenue par la Communauté française (Service de l’éducation permanente) Secrétariat et rédaction : rue de la Victoire 61 B-1060 Bruxelles tél + 32 2 537 82 45 fax + 32 2 534 66 96 courriel upjb2@skynet.be www.upjb.be Comité de rédaction : Henri Wajnblum (rédacteur en chef), Alain Mihály (secrétaire de rédaction), Anne Gielczyk, Carine Bratzlavsky, Jacques Aron, Willy Estersohn, Tessa Parzenczewski Ont également collaboré à ce numéro : Roland Baumann Julie Demarez Irène Kaufer Antonio Moyano Elias Preszow Jacques Schiffmann Jo szyster Youri Vertongen Conception de la maquette Henri Goldman Seuls les éditoriaux engagent l’UPJB. Compte UPJB IBAN BE92 0000 7435 2823 BIC BPOTBEB1 Abonnement annuel 18 € ou par ordre permanent mensuel de 2 € Prix au numéro 2 € Abonnement de soutien 30 € ou par ordre permanent mensuel de 3 € Abonnement annuel à l’étranger par virement de 40 € Devenir membre de l’UPJB Les membres de l’UPJB reçoivent automatiquement le mensuel. Pour s’affilier: établir un ordre permanent à l’ordre de l’UPJB. Montant minimal mensuel: 10 € pour un isolé, 15 € pour un couple. Ces montants sont réduits de moitié pour les personnes disposant de bas revenus.

décembre 2014 * n°351 • page 23


activités club Sholem-Aleichem

dimanche 21 décembre de 10h30 à 17h

Atelier créatif collectif

Sauf indication contraire, les activités du club Sholem Aleichem se déroulent au local de l’UPJB tous les jeudi à 15h (Ouverture des portes à 14h30)

Jeudi 4 décembre En quelques heures, vous pouvez découvrir une technique et le plaisir de réaliser quelque chose selon votre idée...

La religion à l’ère du Web par Cécile Vanderpelen-Diagre, docteure en histoire et membre du Centre interdisciplinaire d’étude des religions et de la laïcité (CIERL) de l’ULB. De quelle façon la religion prend-elle place sur le Net, et quelles sont les dérives possibles ?

Matériel à apporter : support plat (plateau, assiette, sous plat,...), déchets de vaisselle, carrelage, boutons, coquillages, etc...

Jeudi 11 décembre

Cet atelier propose de partager un moment créatif/récréatif. Nous terminerons la saison par une séance de mosaïque.

Inscriptions : upjb2@skynet.be Renseignements : bettinabra@gmail.com PAF: 10 € - Petite restauration prévue

Rue de la Victoire recrute ! Rue de la Victoire, c’est l’UPJB qui chante ! Une chorale qui traverse les générations et dont le répertoire comporte des chansons de lutte et de résistance, d’ici et d’ailleurs. Des chansons de la Commune, quelques chants en yiddish, quelques classiques de la chanson française... Les choristes se retrouvent tous les mercredis soirs à l’UPJB, de 19h à 21h, sous la direction de Mouchette Liebman. En conjuguant bonne humeur et concentration... Rue de la Victoire prépare ses prochains concerts et cherche quelques sopranos, des tenors et des basses. Il n’est pas indispensable de pouvoir déchiffrer une partition, ni d’avoir la voix de Pavorotti ou de Cécilia Bartoli (mais si vous l’avez, tant mieux !).

1964-2014 : 50 ans d’immigration marocaine et turque, un survol par Henri Goldman, rédacteur en chef de la revue Politique. Quand on évoque l’« immigration », de quoi parle-t-on exactement ? De ceux et celles qui ont quitté leur pays, et continuent de le faire ? De ceux et celles qui sont arrivés et se sont (bien ? mal ?) « intégrés » ou « assimilés » ? De leurs enfants et de leurs petits-enfants ? Le fameux « problème de l’immigration », qui préoccupe tellement les enceintes politiques et médiatiques, mélange allègrement le tout. Au terme d’une année de commémorations, on essaiera d’approcher une réalité complexe.

Jeudi 18 décembre

1914-1918 : les Juifs entre tous les fronts par Jacques Aron, architecte et essayiste. Pour la première fois, un conflit mondial pousse massivement les Juifs à s’affronter sous l’uniforme des armées belligérantes. Tandis que le front occidental s’enlise dans une guerre de tranchées, les armées allemande, austro-hongroise et russe évoluent sur un vaste territoire, où les Juifs sont l’objet de sollicitations et de pressions opposées. Les Juifs allemands hésitent sur les réponses à apporter à cette situation.

Jeudi 8 janvier 2015

Pour entrer dignement dans l’année nouvelle, une après-midi culturelle et festive avec Serge Kribus, auteur, metteur en scène et comédien bien connu de notre maison. Il nous lira des textes et nouvelles de son choix: R.L. Stevenson, Jack London, Franz Kafka, Dino Buzzati et Jean-Claude Grumberg. Goûter exceptionnel fait maison suivi d’un entretien convivial, suggestions et autres critiques sont les bienvenues....

vendredi 16 janvier à 20h15 Conférence-débat avec

Ivan Segré, philosophe et talmudiste Autour de ses deux livres Le manteau de Spinoza Judaïsme et révolution PAF: 6 €, 4 € pour les membres, tarif réduit: 2 €

Contact : Mouchette Liebman 0486.03.02.68

décembre 2014 * n°351 • page 24

décembre 2014 * n°351 • page 25


vie de l’upjb Les activités du club Sholem Aleichem Jacques Schiffmann

9 octobre. Debby Guha-Sapir, prof.au dép. de Santé publique de l’UCL et directeur du Centre de Collaboration avec l’OMS pour la recherche en épidémiologie, nous a parlé d’un sujet d’une actualité brûlante, l’épidémie Ebola. La maladie apparaît en 1976 à Yamaku, village du Zaïre au bord de la rivière Ebola, chez un jeune qui meurt après dix jours. D’autres cas se déclarent chez des femmes ayant eu des injections pré et post-natales avec une seule seringue ! Par contacts avec les malades, il y aura 318 cas dont 280 décèderont. On retrouvera la maladie au Soudan avec 280 cas dont 50% de décès. On identifiera deux souches virales, l’Ebola/Zaïre et l’Ebola/Soudan. Ebola a migré du milieu rural vers l’urbain, et au 30 septembre 2014, on comptait 3439 cas : 2069 au Libéria, 739 en Guinée et 623 en Sierra Léone. Une frontière sanitaire a été établie pour isoler ces pays. On connait mal les mécanismes et la pathogenèse des filovirus, de type A/Ebola ou de type B/Marbury, identifié en 1960 chez des singes en route vers les USA. Ces virus apparaissent chez certains animaux, chauve-souris, gorilles et singes dont certains sont seulement le réservoir naturel des virus alors que d’autres contractent et peuvent transmettre la maladie. Les virus pénètrent dans les cel-

lules via un récepteur et vont s’y reproduire. Durée d’incubation : de deux à vingt-et-un jours, sans danger de contagion ou d’infection avant l’apparition de symptômes à progression rapide : fièvre, nausées, diarrhée, foie, hémorragies, saignements des muqueuses. Transmission d’humain vers humain via les fluides corporels, donc pas par l’air. Diagnostic par des tests de labo chers, de type ELISA ou PCR. Personnes à haut risque : celles en contact avec les malades, la famille, le personnel médical et sanitaire et ceux en contact avec les corps lors des enterrements. Les épidémies sont en général limitées et concentrées. Le premier cas a été infecté en mangeant la viande d’un animal. Il n’y pas de traitement spécifique actuellement si ce n’est des soins intensifs d’aide. L’hydratation est primordiale et le remplacement des fluides corporels par transfusion. Avec ces soins adéquats, certains guérissent, surtout dans les 20 à 40 ans d’âge. Des facteurs génétiques semblent expliquer les guérisons ainsi que la présence d’une faible quantité de virus. Ebola n’est pas très contagieuse en prenant les précautions, mais très Infectieuse par peu de virus (1 à 10), alors qu’après décès, une goutte de fluide peut avoir 500.000 particules virales ! Les médecins experts estiment à 71% le taux de

décembre 2014 * n°351 • page 26

mortalité et les femmes enceintes sont le plus à risque. On développe deux vaccins prometteurs, ZMAPP et TKM-Ebola, mais ils n’ont été testés que sur quelques malades rapatriés aux États-Unis et en France, donc pas encore de licence ni de production massive. Que faut-il faire et encourager ? La mobilisation sociale, l’engagement des communautés dans des processus d’hygiène et de pratique sécurisée des enterrements, la surveillance et le traçage des personnes ayant été au contact des malades, toutes mesures simples à énoncer mais difficiles à mettre en œuvre, vu la culture africaine qui répugne à l’isolement des malades. Actuellement la suppression de vols vers l’Afrique est une catastrophe car il y a sur place trop peu de personnel soignant et de matériel. L’OMS prévoit des milliers de cas si on tarde à majorer fortement l’aide et les moyens à mettre en œuvre. Depuis qu’il y a eu quelques cas hors Afrique, on semble en avoir pris conscience. Debby Guha-Sapir exprime peu d’espoir d’une solution rapide. Par ailleurs, il semble qu’une épidémie a sa durée propre, qui ne diffère guère en fonction des moyens mis en œuvre, qui permettent surtout de réduire la mortalité. Le virus perd à chaque passage de sa virulence ce qui fait baisser la mortalité mais l’épidémie subsiste dans

une forme de plus en plus atténuée. Seuls les progrès de l’hygiène et la mise au point de vaccins efficaces, ce qui est enfin en cours, permettront un jour de traiter la maladie à long terme. 16 octobre. Jo Szyster a interviewé Eugène Lipinski, un des volontaires de l’USJJ qui a rejoint le Palmakh en 1948. Voir l’article dans ce numéro. 23 octobre. Marc Sapir, licencié en chimie et docteur en sciences de l’ULB nous a relaté son parcours au sein de la Confédération européenne des syndicats (CES). Si les valeurs de gauche sont inscrites dans ses gênes, elles se sont renforcées par son implication dans les évènements de mai 68 à l’ULB comme délégué de son année, et dans les années 70 dans les débats sur l’énergie et le nucléaire, et de manière générale sur la relation entre « science et politique  ». La caractéristique de son parcours est qu’il a mis les connaissances scientifiques acquises à l’université, doctorat en sciences en 1974, et post-doctorat en immunologie à la VUB en 1977, au service des travailleurs, par son engagement dans les organisations syndicales tant nationales qu’internationales. Il débute au CRIOC (information et défense des consommateurs) où il sera délégué syndical SETCA, avant d’être engagé en 1985 par des dirigeants ouvriers autodidactes qu’il admire, à la Confédération Européenne des Syndicats, la CES, comme conseiller scientifique sur les questions de santé et de sécurité au travail. Il y fera tout son parcours, fondera en 1989 à la demande du CES le Bureau Technique Syndical, le

BTS, qu’il dirigera jusqu’en 2005. À cette date naîtra, suite à la fusion du BTS avec d’autres organismes-outils de la CES, l’ETUIREHS, dont il sera le directeur général jusqu’en 2009, date toute théorique de sa retraite, puisqu’il y est toujours actif . Son activité a pour toile de fond les grandes questions qui agitent notre époque. Rôle de la science dans le progrès, place des multinationales dans le domaine des énergies et des innovations technologiques, rôle de l’Europe-espace de paix et d’avenir, mais aussi de pression sur les multinationales, évolution du système démocratique dans cet espace européen. La CES représente 85 confédérations nationales sur 36 pays et 60 millions de travailleurs. Le traité de Maastricht garantit à la CES le statut d’unique organisation représentante des travailleurs auprès des Institutions Européennes et de l’AELE. Marc nous retrace l’émergence du syndicalisme européen depuis 1950, date de création de la CECA, jusqu’aujourd’hui. À chaque étape politique de l’Europe correspondra une structuration syndicale à l’échelle européenne, difficile en raison des nombreuses divergences entre les organisations nationales, qui restent centrées sur le niveau national, et divergences aussi entre le TUC (Trade Union Confédération-UK) sur le caractère supranational ou non du projet européen, donc difficultés d’aboutir à des positions communes. Peu de présence et d’influence dans la première période, et discours incantatoire sur l’Europe sociale. Dans les années 1973-1991 se pose la question de l’élargissement de la CES à l’Europe ou limitée à la CEE ? Et la place aussi des syndi-

cats communistes, la CGT deviendra membre de la CES en 1999. Ce seront des années de revendications et d’actions européennes, et de crise et de rupture avec la Commission. 1981-1986, l’Europe s’élargit aux trois pays du sud. En 1986, Jacques Delors arrive à la tête de la Commission et lance le projet d’achèvement du marché intérieur. Le budget européen est revu à la hausse et une charte des droits sociaux promulgée en 1989. Période intense pour la CES dans le dialogue social, la normalisation technique, la règlementation des formes de travail, le renforcement de ses réseaux, la formation syndicale, et qui aboutit à la constitution d’une capacité technique par la création du BTS, le Bureau Technique Syndical centré sur la problématique des risques et de leur contrôle : le BTS s’appuiera sur des groupes de scientifiques qui soutiennent les syndicats dans leurs négociations dans les domaines de la chimie et des nouvelles technologies. Le champ d’intervention de la CES ira en s’élargissant à la compétitivité, à l’environnement (Johannesburg 2002), à la règlementation des produits chimiques (REACH), au dialogue social : la CES, plus présente dans le débat européen, réduira ses revendications et deviendra en quelque sorte une caution syndicale au projet libéral de grand marché des institutions. n Merci à Marc pour son exposé fouillé, riche de nombreuses informations, impossible à résumer toutes ici. Je renvoie ceux que la question intéresse au livre cité par Marc : « 40 ans d’Histoire de la CES » par Ch. Degryse et P.Tilly, édition ETUI.

décembre 2014 * n°351 • page 27


rubrique Les jeunes de l’USJJ au Palmakh. Le parcours d’Eugène Lipinski Un des derniers combattants survivants belges de la guerre d’indépendance d’Israël jo szyster et jacques schiffmann

le cadre historique Au début du 20ème siècle, la Syrie, le Liban, l’Irak, la Palestine, la Jordanie et le Hejaz jusqu’au Yemen font partie de l’Empire Ottoman et l’Égypte en est un État vassal. En 1914, l’Angleterre entre en guerre avec l’Empire Ottoman : après la défaite de celui-ci en 1918, la Société des Nations confiera en 1922 un mandat sur la Palestine à l’Angleterre. Après la déclaration Balfour en 1917, l’immigration juive s’intensifie en Palestine. Dès 1920, des conflits armés éclatent entre Juifs et Arabes et font des milliers de morts. La fin de la 2ème guerre mondiale accélère l’immigration juive. L’idée d’un État binational sera proposée à l’ONU mais rejetée tant par les Juifs que par les Arabes. En novembre 1945, pour résoudre le problème suscité par le projet sioniste en Palestine, l’ONU crée l’United Nation Special Commitee on Palestine (l’UNSCOP), qu’elle charge d’étudier un plan de partage de la Palestine mandataire en deux États. Le 29 septembre 1947, le plan de l’UNSCOP est approuvé par l’ONU, qui vote la résolution 181. Les dirigeants de la communauté juive sauf ceux de l’Irgoun, l’acceptent, mais la quasi-totalité des dirigeants arabes le rejettent : au lendemain du vote,

la guerre civile éclate. La GrandeBretagne quitte la Palestine le 15 mai 1948. Au cours de la guerre civile, les forces juives auront le dessus, mais six mois après le départ des Britanniques, les armées des États arabes voisins entrent en Palestine. Ce sera la première guerre israélo-arabe. Des cessez-le-feu interviennent en 1949, le 24 février avec l’Égypte, la Transjordanie, le Liban et la Syrie. Par rapport au plan de partage prévu, Israël occupera, bien au-delà du plan de partage, l’entièreté du Néguev, une partie de la Cisjordanie avec Jérusalem-Ouest, et une partie de la Galilée. Pourquoi l’URSS a-t-elle voté pour le plan de partage ? Soutenir la création d’un État juif dont l’URSS pense qu’il sera socialiste, anticolonial et anti-impérialiste pouvait assurer à l’URSS une présence au Moyen-Orient. C’est pourquoi Gromyko, dans son discours du 14 mai 1947 à l’ONU, accepte le partage de la Palestine et permet ainsi son vote à l’AG de l’ONU. L’URSS soutiendra militairement Israël par la vente d’armes via la Tchécoslovaquie. Quelles furent les positions du PCB et de Solidarité juive ? Pour les communistes, la solution au problème juif n’est pas l’émigration en Palestine, mais

décembre 2014 * n°351 • page 28

Susskind2, dans son témoignage à Arnaud Bozzini en 2006, l’idée d’envoyer des volontaires est née à l’USJJ. Victor Cygielman dit que la décision a été prise par le comité de l’USJJ. Quant à Jérôme Grynpas, il partira seul de Belgique avec une lettre de recommandation du PCB pour le Parti communiste Israélien ce qui confirme la position du PCB.

EUGENE LIPINSKI RACONTE SON PARCOURS l’assimilation. Néanmoins, pour des dirigeants de Solidarité juive membres du PCB comme Hertz Jospa1 et Jeanne Gold, tante de Victor Cygielman, un dirigeant de l’USJJ, lutter pour la création d’un Foyer national et culturel juif en Palestine n’est plus à rejeter en bloc car cela participerait au combat contre le colonialisme. Les dirigeants de Solidarité juive, membres du Parti, suivaient en général ses directives. Le Parti connaissait la position des Juifs communistes de « Sol » par sa presse en yiddish. Le discours de Gromyko à l’ONU entraîne une volte-face du PCB qui ne s’opposera plus et suggérera que l’USJJ envoie un groupe de jeunes de l’USJJ se battre pour une terre juive et socialiste, non par sionisme, mais dans le cadre de la lutte anticoloniale. D’autant plus que la Grande-Bretagne soutient le nationalisme arabe, refuse d’assumer la moindre responsabilité dans l’application du plan de partage et annonce qu’elle mettra fin au Mandat le 15 mai 1948. Qui décida chez les jeunes juifs de l’USJJ de constituer un groupe de volontaires pour combattre en Israël ? Il semble que la suggestion soit venue de dirigeants du PCB par l’intermédiaire de Hertz Jospa. Pour David

Histoire familiale. Eugène est né en 1931. Son père faisait partie du mouvement ouvrier en Pologne avant d’émigrer en Belgique, sa mère était hongroise et son oncle est parti en 1936 combattre en Espagne dans la brigade des Juifs hongrois. On parlait yiddish chez lui et on y menait une vie juive traditionnelle mais non religieuse. Souvenir marquant datant de 1941 : il a 10 ans, l’instituteur lui dit que les Juifs doivent quitter l’école. Un élève l’interpelle « retourne dans ton pays à Jérusalem ! » Sa mère est contactée par une personne (dont il ne se souvient pas), pour qu’elle lui confie Eugène et sa sœur pour les cacher, ce qu’elle fera. Trois mois plus tard, elle sera raflée et mourra en déportation. Eugène a été caché avec sa sœur dans une famille de Belges socialistes où il a vécu la guerre en s’imprégnant d’idées de gauche. À la libération, il ne vivra pas avec son père, revenu de déportation en France, mais avec l’aide de l’AIVG, chez les Van Der Stokken, une famille belge de gens très simples. À 14 ans, il retrouve un ancien copain, Klein, qui l’amène chez les Pionniers, à la section de Bruxelles où 80% des jeunes étaient juifs et admiraient l’URSS qui était alors un modèle. À 16 ans, tout change, il passera à la JPB, « l’antichambre

du Parti ». Il commence à y militer, à fréquenter aussi l’USJJ, où il a rencontré Rosa, les Kacenelenbogen, Zouzou, etc. L’ambiance JPB ne lui plait pas trop, et à la suite d’un camp de la JPB avec l’USJJ à Alost en 1948, il rejoindra celle-ci, plus en accord avec sa sensibilité juive et ses idées. 1948 : naissance d’Israël ! David Susskind organise une réunion des mouvements de jeunesse juive à la Madeleine et propose la création d’un bataillon de volontaires, sur le modèle des brigades en Espagne. Mais le désaccord entre sionistes qui veulent émigrer, et les jeunes de l’USJJ fait que ce projet ne se fera pas. L’USJJ décide alors de former un bataillon, avec l’accord du PC donné par Jospa, et sous la direction de Victor Cygielman. Ils partent sans obligation de faire leur alyah, l’Agence juive s’engageant à rapatrier ceux qui le veulent3. Ils sont pris en charge par l’Agence Juive, qui paye les frais de voyage. Après une traversée pénible sur un bateau de réfugiés, ils arrivent à Haïfa en octobre 1948 et y débarquent clandestinement. Ils sont placés dans un camp de transit puis rejoignent un camp militaire où ils sont incorporés au 75ème bataillon français dont l’état d’esprit est éloigné du leur. Victor Cygielman, leur dirigeant incontesté, ira voir Rabin et obtiendra que son groupe soit incorporé au Palmakh, la seule armée de gauche et mixte, car sur les quinze du groupe, il y avait trois femmes. La formation militaire est donnée en yiddish. Leur rôle sera de tenir des zones conquises, et ils le feront sur quasi tous les fronts en Israël. Après le cessez-le-feu en 49, les volontaires seront démobilisés, ceux du Palmakh en premier lieu, car Ben Gourion unifiera les quatre armées israéliennes en éloignant

ceux jugés trop à gauche à son goût. Dans l’attente du retour, Victor organise un séjour dans un Kibboutz et ils feront cette expérience enrichissante pendant trois mois, près de Césarée. Le retour en Belgique a été triste et lamentable. Ils ont été ignorés tant par Jospa que par le PCB et Solidarité Juive. Ils n’ont reçu aucun accueil des dirigeants d’alors de l’USJJ au nom de laquelle ils étaient partis, et qui les avait fêtés lors du départ, et au retour, on ne les connaissait plus. La seule aide est venue par la camaraderie des copains du groupe, Tola et Victor l’ont aidé auprès de Van Praag4. Il a reçu une aide matérielle, est retourné vivre chez les Van Der Stokken. Chacun a dû se démerder… Ils ont été très déçus ! Il entre à l’ORT où il retrouve dans sa classe son ami Maurice Haber. Quels sentiments lui laisse cet épisode de sa vie ? La joie d’être allé combattre pour l’instauration d’un État juif démocratique, le sentiment que son groupe de l’USJJ avait écrit une page d’histoire, et la déception de l’ignorance de ses anciens camarades au retour. n

Co-fondateur en 1942 du Comité de Défense des Juifs (CDJ) 2 Dirigeant de l’USJJ, fondateur du CCLJ 3 Le groupe; Paul Nurflus, Gabby Kierszencweig (Charleroi), Emile Kanarek, Jacques Wiernik, Victor Cygielman, Joseph Smulevitz (pas du groupe USJJ), Eugène Lipinski, Bernard Rozenberg (Charleroi), Léon Grymberg (Charleroi), Jacqueline Weis, Mathilde (Mathi) Strassman (du Dror à Charleroi) et Tola, compagne de Victor) 4 Membre du PC, directeur de l’ORT après la guerre. 1

décembre 2014 * n°351 • page 29


Carte de visite

UPJB Jeunes

L’UPJB Jeunes est le mouvement de jeunesse de l’Union des progressistes juifs de Belgique. Elle organise des activités pour tous les enfants de 6 à 15 ans dans une perspective juive laïque, de gauche et diasporiste. Attachée aux valeurs de l’organisation mère, l’UPJB jeunes veille à transmettre les valeurs de solidarité, d’ouverture à l’autre, de justice sociale et de liberté, d’engagement politique et de responsabilité individuelle et collective.

Dernières nouvelles JUlie Demarez

A

bsents dans notre dernier mensuel, nous voilà de retour avec quelques nouvelles concernant notre mouvement de jeunesse.

Rencontre avec un objecteur de conscience Nous avons eu l’immense chance de profiter de la présence à Bruxelles de Yoav Shemer-Kunz dans le cadre du festival des Libertés pour le rencontrer et entendre son récit. Ainsi, le temps d’un samedi après-midi, le groupe des Korzcak et des Zola ont eu l’occasion d’échanger en toute familiarité avec ce refuznik israélien expatrié à présent à Strasbourg, porteur d’un message d’espoir qu’il est nécessaire d’écouter et de partager. Yoav commencera son intervention en nous lisant la lettre qu’il vient tout juste d’adresser à sa nièce, jeune fille de 17 ans, qui s’apprête à s’engager dans l’armée en Israël. Longue lettre où il lui explique comprendre pourquoi cela paraît un acte normal pour elle mais lui faisant part de sa propre expérience au sein d’une infrastructure qui l’a bouleversé et amené à quitter son pays. Ensuite il nous explique son parcours à l’armée, comment l’école participe à ses rapports avec celle-ci, sa vie à Jérusalem, son départ vers la France, sa famille restée la-bas, etc...

pagnés par de nombreuses photos évocatrices, dans les pages de ce numéro spécial publié par Interpôle, permettra à celles et ceux qui le veulent, de prendre à leur tour connaissance de la rencontre réalisée entre jeunes Juifs et jeunes Marocains, en toute amitié, en toute fraternité. Les jeunes des deux groupe ont eu l’occasion de présenter le journal au public lors d’une séance exceptionnelle organisée à l’Espace Magh où ils ont pu commenter leur travail et le fruit de leur rencontre.

Enfin, les questions fusent de la part des jeunes : qu’en pense ta famille restée en Israël ? Ton acte est-il plutôt singulier ou bien existe-t-il un large mouvement d’opposants ? Comment les médias répercutent-ils ces actions ? Comment se passe le contact entre les Arabes et les Israéliens à Jérusalem? Risques-tu d’aller en prison ?, etc.

Croiser nos mémoires, vivre ensemble Pendant des mois, des jeunes de l’asbl Interpôle et le groupe des Zola se sont rencontrés, ont fait connaissance, ont sympathisé, ont partagé un repas, visité un musée sur l’histoire industrielle à Bruxelles (La Fonderie). Ils se sont questionnés sur leur passé d’immigration, ont rencontré et interviewé des anciens, Juifs venus en Belgique avant ou juste après la guerre, Marocains arrivés dans les années 60/80, mais aussi des migrants plus récents, venus du Chili après le coup d’État de 1973 ou aujourd’hui d’Algérie, pour étudier. Ils ont croisé leurs mémoires et leurs savoirs sur les migrations juives et marocaines, et plus récentes, en Belgique. Il en est sorti un journal, numéro spécial « 50 ans » du bulletin Le Chant des Rues, édité par Interpôle, reprenant les textes des interviews, les réactions et commentaires des jeunes, les photos des différentes rencontres. Ce projet visait avant tout à fa-

décembre 2014 * n°351 • page 30

L’heure d’un premier bilan Yoav Shemer-Kunz

voriser la rencontre entre deux communautés qui ont en commun un passé, une mémoire de l’exil et de la migration, du rejet, du racisme, mais qui ne se croisent pas assez souvent, alors qu’elles vivent dans les mêmes villes, le même pays. Or, si certains préjugés, certaines idées préconçues existent dans la tête des uns et des autres, surtout du fait de l’ignorance, de la méconnaissance, nous croyons qu’il n’y a rien là qui ne puisse être surmonté par la rencontre des gens, et le dialogue. Nous croyons aussi que dans leur écrasante majorité, les membres des deux communautés n’aspirent qu’à la paix et à la tolérance. La lecture de ces textes, accom-

Novembre fut aussi l’occasion de faire avec l’équipe un premier bilan des réunions hebdomadaires, du changement d’équipes en début d’année, de nos locaux, de l’organisation de la prochaine formation, du nouveau nom à choisir pour les Bienvenus, du prochain thème de camp mais aussi de nouvelles idées pour la suite de l’année. Nous ne manquerons pas de vous mettre au courant de nos prochaines décisions.

L’UPJB-Jeunes au cabaret Enfin, trois moniteurs, Leila, Aristide et Théo, nous ont fait le plaisir de partager quelques bribes de leur fibre artistique lors du second grand cabaret de l’UPJB... jazz, leur premiers fans y étaient bien représentés pour soutenir leurs monos. n

Chaque samedi, l’UPJB Jeunes accueille vos enfants au 61 rue de la Victoire, 1060 Bruxelles (Saint-Gilles) de 14h30 à 18h. En fonction de leur âge, ils sont répartis entre cinq groupes différents.

Bienvenus

Les pour les enfants nés en 2006 et 2007 Moniteurs : Salomé : 0470.82.76.46 Leila : 0487.18.35.10 Aristide : 0488.03.17.56

Juliano Mer-Khamis

Les pour les enfants nés en 2004 et 2005 Moniteurs : Léa : 0487.69.36.11 Selim : 0496.24.56.37 Samuel : 0475.74.64.51 Hippolyte : 0474.42.33.46

Marek Edelman

Les pour les enfants nés en 2002 et 2003 Moniteurs : Tara-Mitchell : 0487.42.41.74 Luna : 0479.01.72.17 Felix : 0471.65.50.41 Simon : 0470.56.85.71

Janus Korczak

Les pour les enfants nés en 2000 et 2001 Moniteurs : Jeyhan : 0488.49.71.37 Andres : 0479.77.39.23 Eliott : 0488.95.88.71 Laurie : 0477.07.50.38

Émile Zola

Les pour les enfants nés en 1998 et 1999 Moniteurs : Totti : 0474.64.32.74 Tania : 0475.61.66.80 Théo : 0474.48.67.59

Informations et inscriptions : Julie Demarez – upjbjeunes@yahoo.fr – 0486.75.90.53

décembre 2014 * n°351 • page 31


agenda UPJB

Sauf indication contraire, toutes les activités annoncées se déroulent au local de l’UPJB, 61 rue de la Victoire à 1060 Bruxelles (Saint-Gilles)

dimanche 7 décembre à 15h

Projection en deux parties du spectacle théâtral filmé du GROUPOV, Rwanda 94. Première partie (voir page 22)

vendredi 12 décembre à 20h15

La pensée de Walter Benjamin. Conférence-débat avec Michael Löwy (voir page 23)

dimanche 14 décembre à 15h

Projection en deux parties du spectacle théâtral filmé du GROUPOV, Rwanda 94. Deuxième partie (voir page 22)

dimanche 21 décembre de 10h30 à 17h

Atelier créatif collectif (voir page 24)

vendredi 16 janvier à 20h15

Conférence-débat avec Ivan Segré, philosophe et talmudiste. Autour de ses deux livres Le manteau de Spinoza et Judaïsme et révolution (voir page 25)

Éditeur responsable : Henri Wajnblum / rue de la victoire 61 / B-1060 Bruxelles

club Sholem Aleichem Sauf indication contraire, les activités du club Sholem Aleichem se déroulent au local de l’UPJB tous les jeudi à 15h (Ouverture des portes à 14h30)

jeudi 4 décembre

La religion à l’ère du Web par Cécile Vanderpelen-Diagre, docteure en histoire (voir page 25)

1964-2014 : 50 ans d’immigration marocaine et turque, un survol par Henri Goldman, rédacteur en chef de la revue Politique (voir page 25)

jeudi 11 décembre

jeudi 18 décembre

1914-1918 : les Juifs entre tous les fronts par Jacques Aron, architecte et essayiste (voir page 25)

jeudi 8 janvier Après-midi culturelle et festive avec Serge Kribus, auteur, metteur en scène et comédien (voir page 25) Les agendas sont également en ligne sur le site www.upjb.be

Prix : 2 €


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.