n°350 - Points Critiques - novembre 2014

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mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique novembre 2014 • numéro 350

éditorial La «suédoise» et le théorème de Schmidt Bureau de dépôt: 1060 Bruxelles 6 - P008 166 - mensuel (sauf juillet et août)

Henri Goldman

D

e mémoire de commentateur, on ne se souvient pas de l’installation d’un gouvernement qui se soit déroulé dans une telle ambiance. Le Parti socialiste y a étrenné ses habits de parti d’opposition qu’il n’avait plus enfilé depuis… 27 ans. L’énergie qu’il met pour dénoncer la « suédoise  » est proportionnelle à son besoin de retrouver une certaine crédibilité dans un rôle que ses actuels dirigeants n’ont jamais connu. Mais pourra-t-il s’y engager en faisant l’impasse sur les responsabilités du courant socialiste et social-démocrate dans le lent démantèlement du modèle social

européen ? Celui-ci fut institué à la Libération dans des circonstances qui, il est vrai, n’existent plus depuis 1974, quand la première crise du pétrole mit fin à trente ans de prospérité ininterrompue. Pendant ces trente ans, une croissance économique vigoureuse permit simultanément la hausse des salaires et l’augmentation des profits. Sur cette base s’est nouée à l’époque une certaine complicité entre les « partenaires sociaux  ». Depuis 1974, c’est terminé. Cette année-là où, pressentant ce retournement, Helmut Schmidt, le chancelier social-démocrate de la République fédérale allemande, énonça un «  théorème  » qui allait inspirer

BELGIQUE-BELGIE P.P. 1060 Bruxelles 6 1/1511

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sommaire

éditorial ➜

éditorial

1 La « suédoise » et le théorème de Schmidt................................ Henri Goldman

israël-palestine

4 Après Gaza. Le Tribunal Russell sur la Palestine................. Daniel Liebmann

lire

8 Gilles Sebhan sur les traces de Stéphane Mandelbaum.Tessa Parzenczewski

société(s)

9 Tayush au pluriel.............................................................................Alec de Vries

regarder

10 Un visage....................................................................................... Serge Meurant

histoire(s)

14 Les Juifs de Bruxelles et le judéocide....................................Roland Baumann

réfléchir

16 Achtung, Minen ! Attention, terrain miné................................... Jacques Aron yiddish ? yiddish ! !‫יִידיש ? יִידיש‬ 18 Zingt di ban a lid - Le train chante...........................................Willy Estersohn

humeurs judéo-flamandes

20 Le choc des civilisations ..............................................................Anne Gielczyk

activités vie de l’upjb 22

26 Les activités du club Sholem Aleichem ............................ Jacques Schiffmann

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les agendas

Les anciens numéros de Points critiques sont accessibles sur le site www.upjb.be à la rubrique « Points critiques en PDF ».

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toutes les politiques des gouvernements européens dans les décennies suivantes : « Les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain ». En vertu de ce « théorème », il était indispensable de donner la priorité à la restauration du taux de profit des entreprises et de garantir leur progression en augmentant leur part dans un « gâteau » qui ne grandissait plus. Conséquence : depuis les années 80, la part des profits dans le PIB n’a pas cessé d’augmenter (+ 8,8% en France), tandis que la part des salaires diminuait d’autant. Depuis les années 80 jusqu’à aujourd’hui, cette orientation a été mise en œuvre avec zèle par tous les grands formats de la social-démocratie européenne, hier de Tony Blair à Gerhard Schröder, aujourd’hui de Manuel Valls (qui dirige, selon son propre mot, un « gouvernement pro-business ») à Matteo Renzi qui vient de faciliter les conditions de licenciements. Sans doute, il serait injuste de mettre François Hollande dans le même sac que Nicolas Sarkozy. Mais la différence n’est plus que de de​ gré, pas d’inspiration. Comme l’écrit avec lucidité l’éditorialiste Alain Narinx dans le quotidien d’affaires L’Écho : « Les économies du Vieux Continent sont aux abois, surendettées et en panne de croissance. Les gouvernants cherchent partout des moyens de sortir de l’ornière. Ils jouent à fond, quoi qu’ils

en disent, la concurrence fiscale et sociale pour s’en sortir. La droite n’est pas au pouvoir partout. Mais elle a gagné la bataille idéologique. » Bref, TINA, « there is no alternative ». Pas étonnant que la gauche social-démocrate et la droite conservatrice puissent aussi facilement s’accorder pour se partager les postes dans la nouvelle commission européenne. Alors, on peut trouver quelque exagération dans la promesse de radicalité retrouvée de la nouvelle opposition socialiste à la «  suédoise ». À l’analyse, en comparaison avec le « gouvernement papillon », le changement n’est pas si grand. Il y aura sans doute un saut d’index, voire deux, mais quel en sera le véritable impact, l’inflation étant aujourd’hui réduite à presque zéro ? L’âge de la pension légale est porté à 67 ans… mais seulement en 2030. En revanche, l’indexation des salaires – cette particularité que la Belgique ne partage qu’avec l’Espagne, le Luxembourg, Malte et Chypre – est maintenue et les allocations de chômage ne seront pas limitées dans le temps. Enfin, concernant la politique d’immigration et d’asile, on peut gager d’une parfaite continuité entre ce gouvernement et le précédent. Quant à deux autres propositions typiquement de droite – le service minimum à la SNCB et les travaux d’intérêt général pour les chômeurs –, leur traduction pratique se heurte à tant de problèmes que les carottes ne sont pas encore cuites.

Gauche-droite ou nord-sud ? Le rôle de l’opposition étant… de s’opposer, on comprend que le PS fasse flèche de tout bois. Par exemple, qu’il ne laisse pas passer les « dérapages » de certains néo-ministres de la N-VA pas encore à l’aise dans leur costume trois pièces. On est moins ravi quand, dans la bouche de quelques ténors socialistes, le clivage gauche-droite finit par ressembler au clivage nord-sud en ravivant l’opposition ethnique entre (tous les) Flamands et (tous les) francophones, ce qui est le parfait décalque de la vieille thèse de De Wever. Mais ne faisons pas trop la fine bouche. Que le PS se retrouve dans l’opposition, où il retrouvera Écolo, le PTB, les organisations syndicales et toute une part de la « société civile », c’est une excellente nouvelle. La possibilité existe désormais qu’une gauche digne de ce nom et riche de sa diversité puisse se déployer. C’est bien nécessaire, après tant de reculs qui ont démoralisé la population en la poussant vers l’abstention voire pire. Car c’est bien la décrédibilisation de tout projet de gauche qui a permis à une nouvelle majorité de droite de prendre la direction du pays. D’un point de vue démocratique, la mise en place de la « suédoise » est totalement légitime. Sa volonté exprimée de changer de cap dispose a priori de l’accord d’une majorité de la population. La riposte qui se met

aujourd’hui en place doit en tenir compte. Le 25 mai, la gauche a globalement reculé sur le plan électoral. C’est à une véritable reconquête idéologique et culturelle qu’il faudra s’attacher. Et pour cela, tout un projet alternatif est à reconstruire. Il faut prendre acte que la route d’un retour au pacte social de la Libération est définitivement barrée. Une « croissance » à deux chiffres est désormais un leurre et, si par extraordinaire elle était possible, il faudrait tout faire pour l’empêcher pour des raisons écologiques impérieuses. Centrer la riposte syndicale sur le renforcement du pouvoir d’achat, comme un congrès de la FGTB vient de le décider, pose question. La culture de consommation de masse, qui a été profondément inoculée dans la population depuis des décennies (la bagnole, la villa en lotissement péri-urbain, les vacances en avion…) est désormais un obstacle à l’alternative. Aujourd’hui – tous les économistes sérieux peuvent en témoigner –, le « théorème de Schmidt », mis en œuvre depuis 40 ans par tous les gouvernements de droite comme de gauche, a démontré sa fausseté. Notamment parce que la mondialisation est passée par là. Formuler un autre projet, qu’on pourrait qualifier de « rouge-vert » ou d’« écosocialiste », le faire vivre dans la population, c’est une ambition qui va bien au-delà des effets des tribunes. n

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israël-palestine Après Gaza. Le Tribunal Russell sur la Palestine DAniel liebmAnn

Nous rappelons que seuls les éditoriaux engagent l’UPJB. Cet article n’engage donc que son auteur. Les conclusions du Tribunal Russell sur la Palestine ont déjà suscité des réactions très contrastées tant au sein du conseil d’Administration que de la commission IsraëlPalestine de l’UPJB. Nul doute que cet article fera polémique. Le débat est donc ouvert.

L

’offensive israélienne contre la population civile de Gaza a incité les responsables du Tribunal Russell pour la Palestine à se réunir en session exceptionnelle les 24 et 25 septembre derniers à Bruxelles. Nous étions quelques uns de l’UPJB à assister aux 16 témoignages qui s’y sont succédés et à la conférence de presse du jury qui a présenté ses conclusions. L’exercice était éprouvant. Ce que nous avons pu voir et entendre dépasse de loin en horreur la représentation que les médias ont pu nous donner du massacre de cet été. Il est remarquable par exemple que Paul Mason, journaliste de la télévision britannique Channel Four, venu apporter son témoignage de premier plan sur le ciblage intentionnel des écoles de Gaza a dû le faire précéder d’un avertissement : il témoignait en son nom propre, sa rédaction ne pouvant cautionner ses propos, pourtant essentiellement factuels. Rappelons pour commencer

une donnée déjà connue et incontournable : comme le faisait déjà remarquer l’historien israélien Shlomo Sand pendant l’offensive, « le Hamas a tiré indistinctement sur des civils et n’a tué quasiment que des militaires, alors qu’Israël, qui disait vouloir frapper des combattants, a tué massivement des civils ». En effet, en 50 jours, l’armée israélienne a tué 2.188 Palestiniens de Gaza dont au moins 1.658 civils tandis que les groupes armés palestiniens ont de leur côté tué 66 soldats et 7 civils israéliens. Cette disproportion flagrante est en soi, pour le Tribunal Russell, constitutive de crime de guerre. Dans ses conclusions, il écrit en effet que « les forces israéliennes ont violé deux principes cardinaux du droit international humanitaire – la nécessité d’établir une distinction claire entre les cibles civiles et militaires et la nécessité d’adapter de façon proportionnée le recours à la violence militaire par rapport aux objectifs de l’opération ». Pour rester dans les questions

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de proportion, il est indispensable de prendre conscience de l’escalade inouïe à laquelle se livre actuellement Israël. La précédente offensive contre Gaza (« Plomb durci ») avait déjà suscité une vague d’indignation de par le monde. Elle était pourtant 14 fois moins intense que celle de l’été dernier si on prend en compte le nombre de munitions lâchées sur les Gazaouis. En 2008-2009, 50 tonnes de bombes sont tombées sur ce petit territoire, tandis qu’en 2014, il s’est agi de 700 tonnes ! Cela donne à réfléchir : où s’arrêtera cette politique de destruction si Israël reste impuni ? L’offensive de cet été est en effet la plus violente depuis l’occupation de Gaza en 1967 et rien n’indique que ce soit la dernière, notamment au vu de la quasi unanimité avec laquelle l’opinion israélienne l’a approuvée.

Directives explicites Certains aspects de l’offensive sont clairement constitutifs de crimes contre l’humanité. En ef-

fet l’opération «  Bordure Protectrice » était essentiellement dirigée contre la population civile et ce de façon généralisée et systématique. Le Tribunal Russell a pu pointer, grâce notamment au témoignage d’Eran Efrati (ancien militaire israélien et membre de « Breaking the Silence ») trois directives internes de l’armée israélienne dont la révélation permet de mieux appréhender le caractère intentionnel de la tuerie de masse. 1° La «  doctrine Dahiya  » implique l’utilisation d’une force disproportionnée visant à punir collectivement la population civile pour des actes de groupes de résistance ou de leaders politiques. 2° La « directive Hannibal » autorise la destruction de zones entières afin d’empêcher la capture de soldats israéliens. 3° La «  politique de la ligne rouge » consiste en la création d’une « zone de mort » au-delà des limites d’une « ligne rouge » arbitraire et invisible autour de bâtiments occupés par les forces israéliennes. Très concrètement, cela signifie que tout Palestinien, quel que soit son âge et sans être nécessairement soupçonné d’appartenir à un groupe armé, qui franchit à son insu la « ligne rouge » est assassiné. Nous sommes ici très loin d’une opération « défensive » comme se plaît à le prétendre le gouvernement israélien…

Crimes contre l’humanité Les crimes contre l’humanité mis en exergue par le Tribunal Russell sont au nombre de trois : le meurtre, l’extermination et la

Gaza après les bombardements

persécution. 1° Meurtre. Le meurtre a été défini en droit international notamment par le Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie comme étant « le fait de causer, de manière illicite et intentionnelle, la mort d’un être humain ». Le Tribunal Russell pour la Palestine estime qu’une « proportion significative des victimes civiles palestiniennes au cours de l’opération Bordure Protectrice est le résultat d’actes délibérés, illicites et intentionnels ». 2° Extermination. Se fondant sur le Statut de la Cour Pénale Internationale, le Tribunal Russell pour la Palestine reprend à son compte la définition du crime d’extermination comme incluant « à la fois les meurtres de masse et le fait d’imposer intentionnellement des conditions de vie (telles que la privation d’accès à la nourriture, à l’eau et aux soins de santé) calculées pour entraîner la destruction d’une partie de la population ». Il note que ce crime diffère de celui de génocide notam-

ment en ce qu’il n’implique pas nécessairement « que l’auteur ait eu l’intention de mener à terme la destruction du groupe dans son ensemble ou en partie » (c’est moi qui souligne). Entrent dans ce cadre les attaques ciblées contre les bâtiments et le personnel médicaux. Nous avons pu entendre le témoignage accablant du Docteur Mads Gilbert, médecin norvégien travaillant à Gaza. Hôpitaux, ambulances et personnel médical ont été sciemment visés de façon à empêcher les victimes d’accéder à des soins. L’affirmation officielle du gouvernement israélien selon laquelle les infrastructures hospitalières auraient abrité des terroristes n’a jamais été prouvée. Selon les témoins, la seule fois où Israël a visé des infrastructures publiques hébergeant effectivement des lanceurs de missiles était le cas de deux écoles de l’ONU… désaffectées. Les autres écoles visées par des bombardement ou des

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Sderot sous les tirs de roquettes

tirs abritaient exclusivement des enfants et/ou des réfugiés. Les destructions d’infrastructures civiles (notamment la centrale électrique de Gaza) y compris celles de l’ONU s’ajoutent à d’autres mesures comme le refus de créer un couloir humanitaire, la fermeture des passages d’Erez et de Rafah (avec la complicité du régime égyptien), tout cela a, selon le Tribunal Russell pour la Palestine, « contribué à l’imposition de conditions de vie calculées pour entraîner la destruction d’une partie de la population de Gaza ». 3° Persécution. Selon le Tribunal Russell pour la Palestine, « le crime contre l’humanité de persécution implique le déni intentionnel et grave de droits fondamentaux des membres d’un groupe ou d’une collectivité. Le groupe doit être ciblé à des fins discriminatoires pour des motifs politiques, raciaux, nationaux ethniques, culturels, de genre ou religieux ». Ayant déjà étudié lors de précédentes sessions la politique générale d’Israël vis-à-vis des Pa-

lestiniens, le TRP conclut qu’elle « revêt un caractère intrinsèquement discriminatoire » que l’offensive contre Gaza n’a fait qu’intensifier. Il cite, parmi les violations de droits fondamentaux commises cet été à Gaza : le meurtre, la torture, la violence sexuelle, la violence physique non considérée comme torture, le traitement cruel et inhumain ou la soumission à des conditions inhumaines, l’humiliation et la dégradation constantes, le régime de terreur imposé à la population civile, l’arrestation et la détention illicites, l’emprisonnement ou le confinement, les restrictions à la liberté de mouvement et la confiscation ou la destruction de logements privés, de commerces, d’édifices religieux, de bâtiments culturels ou symboliques ou encore de moyens de subsistance. Chacun de ces crimes contre l’humanité a été illustré de témoignages précis.

Vers un génocide ? Contrairement à ce que prétendent ses détracteurs, le Tribunal Russell n’a pas affirmé qu’un

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génocide a été commis à Gaza. Plus sérieusement, il veut alerter l’opinion publique sur deux processus en cours qui, s’ils se poursuivent du fait de l’impunité, pourraient conduire l’État d’Israël à commettre effectivement un génocide. Le premier de ces processus découle de tout ce qui précède en termes de crimes contre l’humanité. L’opération Bordure Protectrice qui vient s’ajouter à « l’effet cumulé du régime prolongé de peine collective à Gaza semble[nt] imposer des conditions de vie calculées pour entraîner la destruction progressive des Palestiniens en tant que groupe à Gaza ». Et le Tribunal Russell pour la Palestine de mettre « en exergue la transformation potentielle d’un régime de persécution, comme démontré (…) ci-dessus, en un régime génocidaire dans les faits ». Cette crainte se fonde sur l’observation d’un autre processus, idéologique celui-ci : la libération d’une parole génocidaire de la part de faiseurs d’opinions, de responsables politiques et religieux israéliens. Le journaliste israélo-canadien David Sheen a compilé pour le TRP un florilège de ces déclarations. Par exemple la députée Ayalet Shaked «  qui définit ‘l’intégralité du peuple palestinien [comme] l’ennemi’, plaide pour la destruction de ‘ses personnes âgées, ses femmes, ses villes et villages, ses biens et ses infrastructures’ et déclare que les ‘mères de terroristes’ devraient être détruites ‘comme devraient l’être les maisons dans lesquelles elles ont élevé les serpents’ ». Ou encore le rabbin Shmuel Eliahu affirmant avant «  Bordure Pro-

tectrice  » que «  s’ils n’arrêtent pas après 1.000, nous devrons en tuer 10.000. S’ils n’arrêtent pas encore nous devons en tuer 100.000, 1.000.000 même ». Le rabbin d’Hébron, Dov Lior, donne une justification « religieuse » à un possible génocide : « Dans une guerre, ceux qui sont attaqués (selon le récit israélien, ce sont les Palestiniens qui ont déclenché la guerre, DL) ont le droit de prendre des mesures pour exterminer leur ennemi ». L’accumulation de ces déclarations qui émanent, non plus de quelques extrémistes marginaux, mais de dignitaires influents qui enfreignent le droit international mais non le droit israélien (en Israël l’antisémitisme est interdit mais il n’existe aucune loi pour prohiber les autres formes de racisme) ont mené le Tribunal Russell sur la Palestine à conclure que « dans une situation où certains crimes contre

Israéliens contemplant les bombardements sur Gaza

l’humanité sont commis en toute impunité et où l’incitation directe et publique à commettre le génocide est manifeste dans la société, il est très concevable que des individus ou l’État puissent choisir d’exploiter ces conditions en vue de commettre le crime de génocide ».

Cette mise en garde forte fait songer à celle, tristement prophétique, émise notamment par la Fédération Internationale des Droits de l’Homme enquêtant sur le Rwanda dans les mois et années qui ont précédé le génocide de 1994. Il est difficile pour des Juifs, pour des raisons où l’idéologie se mêle à la psychologie, d’admettre qu’Israël POURRAIT commettre un génocide. Mais c’est sans doute précisément parce que nous sommes juifs et que ce mot n’est pas pour nous un concept abstrait que nous devrions, selon moi, contribuer à faire entendre cette vérité – dans le but qu’elle ne se réalise pas. En ce sens le Tribunal Russell sur la Palestine aura accompli la mission que Walter Benjamin assignait dans les années 1930 à l’historien matérialiste : être un avertisseur d’incendie. n

Gaza après les bombardements

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lire

société(s)

Gilles Sebhan sur les traces de Stéphane Mandelbaum tessa parzenczewski

T

rois films déjà et trois livres, dont le dernier, Mandelbaum ou le rêve d’Auschwitz de Gilles Sebhan. Après avoir dessiné, peint, gravé, Bacon, Rimbaud, Pasolini, Pierre Goldman, icônes de sa pinacothèque personnelle, le voilà devenu icône lui aussi. Près de 30 ans après son assassinat, à l’âge de 25 ans, l’énigme Stéphane Mandelbaum persiste. Une seule certitude : même délestée du destin tragique de l’artiste, l’œuvre en elle-même, dans son autonomie, dans sa globalité, est d’une intensité époustouflante, tant les moyens plastiques répondent à la rage et à la rébellion du peintre. Et c’est par l’art que Gilles Sebhan rencontre Stéphane Mandelbaum. Gilles Sebhan, Français, Juif d’origine marocaine. Auteur de plusieurs romans, dont la plupart autobiographiques, où l’homosexualité est omniprésente, et d’une biographie consacrée à Tony Duvert, écrivain sulfureux, célèbre dans les années 70, ainsi que d’un récit, Domodossola , le suicide de Jean Genêt. Un dessin vu en galerie et un autre sur Internet. Tel est le point de départ d’une longue recherche, d’une sorte d’enquête menée par Gilles Sebhan à Bruxelles pour tenter d’en savoir plus, pour cerner ce personnage déroutant, insaisissable, où je est plusieurs

autres, qu’était Stéphane Mandelbaum. Des témoins défilent. Amis proches, Gérard Preszow et Antonio Moyano, bien connus de nos lecteurs, le peintre Georges Meurant, le photographe Marc Trivier, la première petite amie, l’épouse Claudia, venue d’Afrique, Pili la mère, et en dernier lieu, Arié, le père. On ne sait pourquoi, l’auteur semble craindre cette rencontre. A-t-il échafaudé une théorie de rapports forcément tendus, oppositionnels entre père et fils ? Car Sebhan n’est jamais hors champs. Lui aussi interroge ses identités. Comme Stéphane, qui selon la conception réductrice, venue de la religion et intériorisée par beaucoup, n’était pas vraiment juif, puisque de mère arménienne. Et sa judéité, il l’affirme tant et plus dans ses œuvres. Dans les griffonnages en yiddish qui parsèment ses dessins, mêlés à d’autres écritures, « un codex sauvage », a écrit un critique, comme chez Basquiat, et aussi, avec ces dignitaires nazis qui apparaissent de façon récurrente, entre répulsion et fascination : Goebbels, Himmler, Rohm… Et puis Auschwitz. Le portail. Comme un voyage à rebours de l’artiste, Le rêve d’Auschwitz. Thème que l’on retrouve également chez le père, mais allusif, quasi effacé, qui peine à émerger de la blancheur de la toile, pour ne pas en dire trop ? Pour ne pas étaler l’évidence ?

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Tout au long du récit, Sebhan décrit les dessins, les toiles, avec un vrai regard, il tente de décrypter cet univers où les scènes érotiques, à la limite du porno, côtoient les évocations des camps, où Saint-Nicolas porte une croix gammée en brassard, et où, en écho à des autoportraits au visage défiguré, comme une prémonition, répondent les visages d’autres assassinés, Pasolini et le poète yiddish Peretz Markish, victime de Staline… Et puis des revolvers, qui n’étaient pas que des représentations… Artiste, braqueur, provocateur, assassiné dans un règlement de comptes après le vol d’un Modigliani, ultime dérision, la peinture encore. À la fin du livre, aucune vérité n’est révélée, car elles sont probablement multiples et contradictoires. Gilles Sebhan a seulement tenté de capter ce qui se cachait derrière le miroir, ce qui se tramait depuis l’enfance pour aboutir à cette sorte de défi permanent qui pour un regard extérieur, est de l’ordre de l’autodestruction. Il n’y a pas de guillemets dans le texte, tous les témoignages se coulent dans un récit continu et prenant, au plus près de l’art et de la vie. n Gilles Sebhan Mandelbaum ou le rêve d’Auschwitz Les Impressions Nouvelles 153 p.,9 13 €

Tayush au pluriel Alec de Vries*

A

vec Les défis du pluriel, le collectif Tayush, groupe de réflexion pour un pluralisme actif, offre un petit livre rare. C’est que celui-ci est loin de se complaire dans une énième répétition d’arguments plus ou moins pro domo. Il a plutôt choisi de donner à penser en abordant la problématique du voile, de l’intégration et du vivre ensemble par l’angle du vécu des minorités visibles. Ainsi, plusieurs études de cas, dans des environnements professionnels, scolaires ou associatifs permettent de montrer comment cette diversité se conjugue au quotidien. Loin d’être une source de difficultés insurmontables, cette dernière, quand on l’aborde sans œillères idéologiques bornées, se conjugue avec ces sphères au moyen de stratégies et de compromis divers. Qui du chauffeur barbu, qui de l’universitaire voilée et d’autres vont réussir non pas à s’intégrer en se soumettant, mais à faire oublier leur différence derrière leur compétence. Problématiser ces questions plutôt que d’en faire des questions clivantes semblent donc une voie bien plus porteuse de sens. En plus de ces études de cas, une série de courts essais contenus dans le livre traitent donc de ces questions dans les domaines aussi divers que : la foi, le droit, la société civile, la philosophie sans oublier bien sûr la politique. Le tout en prenant soin de n’oublier aucune des trois di-

mmensions que sont le genre, la « race » et la classe. L’objectif est de montrer qu’une appréciation plus fine des phénomènes liés au caractère irréversiblement multiculturel de nos sociétés permet non pas de tout résoudre, mais du moins de désamorcer les conflits. Dans notre société plurielle de fait et démocratique par ambition, le vivre ensemble n’est pas et ne sera jamais le « vivre comme nous » du groupe majoritaire tout comme il ne sera jamais la coexistence plus ou moins pacifique de groupes culturels étanches. La recherche-action, dont ce petit livre montre en tout cas la possibilité, annonce donc une « troisième voie ». Elle évite l’alternative infernale entre les deux caricatures que sont l’intégration assimilationniste « à la française » et le relativisme politiquement correct et socialement indifférent du monde anglo-saxon. Cette troisième voie reste cependant une question largement ouverte. Elle n’offre pas de programme à prendre ou à laisser mais plutôt une série de pistes de réflexion à creuser et quelques erreurs à ne pas commettre. L’antiracisme, le mouvement laïque, le monde syndical et enseignant sont ainsi interrogés pour ne pas dire interpellés par rapport à certaines de leurs options politiques trop confortables. Empiriquement, le rejet et la méfiance par rapport aux minorités visibles ne semble pas avoir donné de résultats très satisfaisants. Il serait donc peut-être temps d’explorer d’autres pistes,

loin des certitudes arrogantes de certains faiseurs d’opinion en mal d’autopromotion. Bien sûr, rien ne garantit la réussite de cette entreprise. Le pire reste toujours possible et les errances ne sont pas rares quand on se risque dans des chemin non balisés. Une certaine prudence anime donc le collectif Tayush dans ses exposés. Les démonstrations ne cherchent pas tant à convaincre qu’à interroger certaines certitudes acquises par de nombreux « décideurs » en les invitant à pousser plus loin leur réflexion et surtout en y associant quelque peu les principaux intéressés, à savoir justement les membres de ces minorités visibles. Reste cependant à espérer que ces décideurs se risqueront à lire ce livre ou du moins à écouter ceux qui l’ont écrit. Sinon cette exigence de «vivre ensemble» risque bien de leur revenir sous une forme et une actualité particulièrement difficile... n * Alec de Vries est membre de Tayush. Il tient à préciser que son compte-rendu est subjectif, partial et partiel.

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regarder Un visage serge Meurant

Du 21 novembre au 20 décembre 2014, nous verrons Les Variations Kafka, une exposition du peintre Arié Mandelbaum à la galerie Didier Devillez. Le poète Serge Meurant, qui suit l’œuvre d’Arié depuis plus de trente ans, lui rend visite dans son atelier, c’était au mois d’août de cette année.

L

’atelier d’Arié Mandelbaum est vaste, éclairé en sa partie gauche par une grande verrière, à droite par de larges fenêtres qui donnent sur une cour. Au centre de la pièce, un poêle au charbon. La lumière circule en vagues silencieuses, elle reflète les humeurs du ciel. Lorsqu’il pleut, le peintre couvre le travail en cours de bâches en attendant que l’averse passe. La qualité de la lumière met en valeur la blancheur des toiles, la profondeur d’un espace où l’effacement des lieux et des figures impose la distance au regard. Il nous faut aller de l’une à l’autre, s’abandonner à la contemplation de cela qui dépose, prend forme et révèle un univers hanté par l’histoire collective et familiale. J’éprouve un sentiment de familiarité, comme si les ateliers successifs s’emboîtaient les uns dans les autres, ne formaient qu’un espace unique à travers les années. J’y retrouve les variations des mêmes thèmes, le portrait si émouvant de sa mère, l’espace du camp, l’assassinat de Lumumba. Une cinquantaine de portraits de Kafka s’alignent sur le mur de gauche. Je les regarde un à un,

leur nombre m’intrigue, s’agitil d’une commande et quelle nécessité a conduit le peintre à produire ces variations à partir des photographies de l’auteur de La description d’un combat ? En quoi Kafka est-il notre contemporain ? Le peintre ne me répond pas. Il

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m’abandonne à mes propres interrogations. Celles-ci ne sont pas aujourd’hui d’ordre littéraire ou artistique. Tsahal vient de déclencher une offensive meurtrière à Gaza. Les images de la télévision sont terribles. Les dégâts causés par les bombarde-

ments sont énormes. La grande majorité des victimes sont des civils, des femmes et des enfants. Je suis sous le choc de ces images. Elles me rappellent le terrible récit de Jean Genet après sa visite de quelques heures au camp de Sabra et Chatila. Je ne peux pas écrire, pris par l’étau de sentiments contradictoires. Il me faudra du temps pour me ressaisir. Je suis endeuillé. Arié me laisse toute liberté d’écrire si je le souhaite. Je sais qu’il a lu Genet. Il e ​ st l’ami du photographe belge Marc Trivier qui après un long travail d’approche rencontra l’écrivain et le photographia à Tanger. Boris Lehman rend une brève visite à Arié Mandelbaum. Il l’a

filmé plusieurs fois et je garde en mémoire son beau Portrait du peintre dans son atelier1. Arié y apporte une réponse indirecte à mon interrogation lorsqu’il évoque le sens que revêt pour lui le mot die Umwelt : « C’est, ditil, le monde qui se donne à voir. C’est tout dans tout. C’est une manière d’exister, une empreinte, une mémoire et un témoignage. » Coïncidence des rencontres. Boris ressemble à Kafka jeune dans le film unique de Samy Szlingberbaum Bruxelles Transit. Profondeur de champ des souvenirs communs, jeu des affinités. Je relis l’œuvre de Kafka, ses conversations avec Gustav Janouch2 et sa correspondance avec Felice3.

Je scrute les photographies de l’auteur de La Métamorphose et de La Colonie pénitentiaire dont un ami commun, Joseph Henrion, réalisa la machine qui grave la sentence de la loi dans le corps du supplicié. Arié peignit La Métamorphose, il me le rappelle à présent. Je reconstitue, par bribes de souvenirs, les liens anciens qui motivent, sans doute, l’acceptation par le peintre de la commande des portraits. Je regarde à nouveau ceux-ci, à la lumière de ces rencontres et de nos amitiés. J’essaie de voir les portraits comme s’il s’agissait d’une tentative de peindre un ami ou un proche disparu, de les reprendre et de les poursuivre avec la même intensité que ne le fit Giacometti pour son frère ou pour James Lord. Il s’agit bien de tentatives, de visions inspirées par les photographies de Kafka, mais sans chercher d’autre ressemblance avec le modèle que celle qu’impose le regard dans son immédiateté. Gustav Janouch évoque sa première rencontre avec Kafka. Il en trace un portrait : « Kafka a de grands yeux gris sous d’épais sourcils noirs. Son teint est brun et ses traits extrêmement mobiles. Kafka parle avec son visage. Quand il peut remplacer un mot par un mouvement des muscles de son visage, il le fait. Un sourire, un froncement de sourcils, un plissement de son front bas, une moue, un pincement de lèvres : autant de mouvements qui remplacent des phrases parlées. » Je cherche cette mobilité du visage dans les portraits d’Arié. J’y vois une ma-

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➜ son amie, dans l’urgence sans cesse répétée qu’elle lui dévoile les secrets d’une vie à l’opposée de la sienne. Les portraits des fiancées de Kafka et de sa sœur Ottla recèlent-ils une telle part d’énigme ? Le peintre en a-t-il eu conscience en travaillant à partir de leurs photographies  ? En face de ces portraits de femmes, est exposé le portrait de sa mère, si souvent repris, creusé, d’une beauté invisible presque, sous l’emprise du souvenir. Mes impressions sont fugaces. Les portraits vont être photographiés, transposés sur un autre support proche des documents ayant inspiré le peintre. Ma première visite à l’atelier prend fin. Le ciel s’est assombri. Une forte averse oblige Arié Mandelbaum à recouvrir d’une bâche les dessins étalés sur la table et sur le sol. n

nière pour le peintre de traduire la vérité du visage, dans sa mobilité et sans recours aux mots de l’écrivain. Kafka apparaît plus jeune que son âge de plusieurs années. Les portraits possèdent cette grâce juvénile, dominée par la gravité du regard. Dans sa correspondance avec Felice, Kafka fait à plusieurs reprises allusion à son extrême maigreur. Je ne puis m’empêcher de penser à sa nouvelle Un champion de jeûne. Le visage de l’écrivain

était-il émacié, portait-il déjà les stigmates de la phtisie ? Kafka après sa première rencontre avec Felice trace de celle qui sera sa fiancée un portrait peu flatteur. Il se souvient de façon très précise de tous les détails de son visage, de leur brève conversation à propos d’un voyage en Palestine qui n’aura jamais lieu. La lecture de ses lettres m’intéresse en ce qu’elle révèle la force de l’imaginaire à l’œuvre chez l’écrivain qui lui permet de créer, à distance, un portrait sublimé de

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Galerie Didier Devillez 53, rue Emmanuel Van Driessche, 1050 Bruxelles. Vernissage le jeudi 20 novembre de 18 à 21h. Ouvert les jeudi, vendredi et samedi de 14 à 18h30. Et sur rendez-vous.

Boris Lehman a réalisé deux films avec Arié Mandelbaum : Portrait du peintre en son atelier (1985) et Un peintre sous surveillance (2008) (ndlr). 2 Gustav Janouch, Conversations avec Franz Kafka, Les lettres Nouvelles Maurice Nadeau, 1977. 3 On trouvera chez Gallimard tous ces titres : Les Lettres à Felice, Lettres à Ottla et à la famille, Lettres à Milena, Lettre à ses parents (1922-1924). Rappelons également le livre d’Elias Canetti (prix Nobel 1981) L’autre procès : lettres de Kafka à Felice. 1

Librairie Par chemins

Une nouvelle librairie associative, engagée et bénévole Livres d’occasion et sélection de nouveautés Littérature, philosophie, poésie, théâtre, histoire, sciences humaines, livres pour enfants,... Comme la parole est une pratique commune, il existe un poétique du politique dont on ne s’occupe peut être pas assez. Pour eux, pour nous ? Nous qui sommes là, identiques, quasi semblables, à peine différents ; et eux qui passent, femmes, enfants, hommes, travailleurs, chômeurs, gens qui s’arrêtent, gens de retour à la maison, eux qui vont faire leurs courses –au Delhaize d’à côté, dont nous sommes les proches voisins. À la radio une voix flamande égrène les infos du jours, c’est Klara. Rue Berthelot, au numéro 116, une librairie ouvre ses portes, le lundi entre 15 et 19 heures, pendant que le Califat Islamique s’ancre lentement, sûrement sur le territoire irakien et dans les consciences, en néerlandais toujours cependant... Il y a ici sur le présentoir derrière la vitrine une Histoire des Sciences Arabes, et un bouquin sur l’architecture des Mosquées, parmi d’autres chinoiseries : révérence obligatoire au quartier ou tentative authentique de rencontre, qui sait ? Entre les deux un visage parvient quelques fois à franchir le seuil. (Pas toujours celui de la blanche type standard, en quête de l’intéressant, du sympa, bref le nouveau visage du quartier Wiels, naturalisé, culturalisé, gentrifié de part en part, le nôtre probablement). Nous qui ne sommes pas une bibliothèque, nous qui sommes là pour essayer de vendre des livres que nous aimons, et d’autres à la clientèle la plus mélangée qui soit, nous demeurons perplexe. Et enthousiastes. Nous prenons plaisir – un certain plaisir – à assumer le paradoxe, notre présence, temporaire. Permanente. Sur Klara la musique a repris, on joue du jazz maintenant, avant Chopin : Gooie avond, dit la speakerine. Un des habitants rentre chez lui par ce qu’il est désormais d’usage de nommer un rez-de-chaussée commercial... de son sac Delhaize émerge une botte de poireaux. Il faut bien que les enfants mangent, non ? Alors que le libraire sert un verre de vin rouge à l’assemblée d’amis qui tient la permanence, un gosse arrive, essoufflé, demandant à la ronde si nous vendons L’enfant des ombres de Moka. Toutes les écoles le cherchent, et il est épuisé... Malheureusement nous ne disposons pour l’instant que de La Marque du diable de cet auteur, ce sera pour une prochaine fois. L’inauguration se déroule samedi, qui peut dire ce que cela donnera, qui se sentira concerné ? Au plaisir de vous y voir faire l’aller-retour, de le faire vivre ce lieu parmi nous, avec eux. Un scribe de Par chemins P.S : Si vous avez des livres dont vous désireriez vous débarrasser, si vous préférez faire un don d’une autre sorte, n’hésitez pas. Apache.Berthelo@gmail.be Horaires d’ouverture Lundi de 15 à 18h Jeudi de 15 à 18h Vendredi de 15 à 18h Samedi de 15 à 18h + ouvertures impromptues

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histoire(s) Les Juifs de Bruxelles et le judéocide roland baumann Rachel, Jacob, Paul et les autres, de Lieven Saerens, spécialiste du judéocide, retrace l’histoire des Juifs de Bruxelles au vingtième siècle. Original par son approche narrative fondée sur les parcours de vie d’une vingtaine de familles juives, ce livre d’histoire destiné au grand public se singularise d’emblée par l’absence de notes de bas de page, reléguant en fin d’ouvrage les renvois aux nombreuses sources d’archives et à l’abondante bibliographie utilisées par l’auteur. «  Le Yiddishland  », le premier chapitre du livre, nous présente les principaux protagonistes du récit historique. Alternant fragments d’histoire familiale et données d’histoire sociale, Saerens y esquisse à grands traits le panorama d’une communauté juive bruxelloise en pleine mutation dans les années 1920, alors qu’une nouvelle vague d’immigration juive afflue à Anvers et à Bruxelles, en majorité composée de Juifs polonais originaires le plus souvent des régions de Varsovie et de Lodz. Ralliés aux idéaux laïques du sionisme, du socialisme juif ou de l’internationalisme prolétarien, ces immigrants pauvres pratiquant les petits métiers de l’industrie du vêtement, et en particulier la maroquinerie, sont fortement touchés par la crise économique après 1930. En janvier 1935, un arrêté royal instaure la carte de travail obligatoire pour les colporteurs et marchands ambulants, accentuant la précarité de la vie juive bruxelloise à Cureghem et dans les Marolles.

Contrastant avec la pauvreté de la rue juive bruxelloise, une poignée d’immigrés juifs récents font des études supérieurs, tels Alexandre et Ilya Prigogine, dont le père, ingénieur chimiste, a fui la Russie révolutionnaire pour s’établir à Bruxelles, ou encore Chaïm Perelman qui, admis à l’âge de 16 ans en faculté de philosophie à l’Université libre de Bruxelles, y fait un doctorat et enseigne ensuite la philosophie en néerlandais. Saerens complète cette introduction au «  Yiddishland  » bruxellois en nous présentant des Juifs « bien intégrés » à la société belge, tel Lazare Liebman, Juif patriote, prisonnier en Allemagne en 19141918, ou Salomon van den Berg, « patriote belge pratiquant la foi de Moïse ». Après 1933, l’arrivée d’une nouvelle vague d’immigration juive fuyant les persécutions nazies, durcit les conditions d’accueil des Juifs en Belgique. Dirigé par l’avocat Max Gottschalk, vice-président de la Communauté israélite de Bruxelles, le Comité d’aide et assistance aux victimes de l’antisémitisme en Allemagne tente de soulager la détresse des Juifs allemands, le plus souvent immigrés illégaux. Saerens évoque les relations tendues entre «  Juifs et goys  » dans ces années de crise. Le journal rexiste Le pays réel dénonce l’influence juive dans la haute finance. L’échevin catholique bruxellois Jules Coelst fait campagne contre « l’invasion juive », visant en particulier les réfugiés juifs d’Allemagne. L’antisémitisme socio-économique des

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classes moyennes catholiques trouve des échos à gauche. Dans Le soir, le journaliste Fernand Demany dénonce la concurrence déloyale des travailleurs juifs étrangers réduisant au chômage de nombreux ouvriers belges. Le ton xénophobe du futur dirigeant du Front de l’Indépendance correspond à l’hostilité de certains syndicalistes, tel Frans Libaers, dirigeant de la Centrale socialiste du vêtement. Le monde politique ne reste pas indifférent au sort des Juifs sous le nazisme. En avril 1933, à la salle de la Madeleine, une manifestation de protestation contre les persécutions antijuives en Allemagne, organisée à l’initiative de Max Gottschalk, réunit des représentants des partis traditionnels, des Églises protestantes et le recteur de l’ULB, mais pas de représentant de l’Église catholique. Le cardinal Van Roey refusera toujours de condamner ouvertement les persécutions antisémites, précise Saerens, y compris durant l’Occupation.

Publié en 2007, le rapport du CEGESOMA, La Belgique docile ,décrivait l’attitude des autorités belges face à l’afflux de réfugiés juifs du Reich de 1933 à 1940. Reprenant certains faits saillants, Saerens épingle les protagonistes d’une politique hostile aux réfugiés juifs, tels Robert de Foy, anticommuniste fanatique responsable de la Sûreté publique, le ministre de la Justice Joseph Pholien, catholique conservateur, et aussi Paul-Henri Spaak, ministre des Affaires étrangères, qui, après l’Anschluss, donne instruction aux ambassades et consulats belges de ne pas délivrer de visas aux réfugiés autrichiens. Mais, remarque Saerens, la Belgique reste le pays d’Europe qui accueille probablement le plus grand nombre de réfugiés après 1933. Analysant l’antisémitisme militant à Bruxelles, Saerens cite une lettre de janvier 1940, de Léopold III au premier ministre Hubert Pierlot, dans laquelle le roi grossit outrageusement le nombre de Juifs illégaux et les asimile à des « agents d’une propagande subversive ». Comme le note Saerens, les noyaux antisémites radicaux sont ancrés dans le nationalisme flamand et aussi dans le nationalisme belge, telle la Légion nationale, influente dans les cercles militaires et anciens combattants, Avant l’an 40, les antisémites bruxellois, y compris les rexistes, n’adhèrent pas pour autant au racisme biologique allemand.

la guerre Coeur de l’ouvrage, les chapitres 3 à 6 décrivent le sort des Juifs en 1940-1944. Dans «  La ville occupée  », Saerens évoque la multiplication des ordonnances antisémites, en particulier la constitution du registre des Juifs, le rôle des autorités communales, et la création par les Alle-

mands de l’association des Juifs en Belgique (AJB). «  Chasse à l’homme et déportation » retrace la traque aux Juifs : les convocations à la caserne Dossin, les premiers convois vers Auschwitz, la rafle dans la nuit du 3 au 4 septembre 1942. Saerens identifie le rôle des partisans de l’Ordre Nouveau dans la chasse aux Juifs. Les volontaires flamands et wallons sur le front de l’Est savent très bien quel sort est réservé aux Juifs déportés de Malines, comme le prouvent entre autres une série d’articles parus fin 42 dans De SS-Man, organe de l’Algemene SS-Vlaanderen, dans lesquels revient sans cesse le mot « extermination » à propos des Juifs... « Mais face aux auteurs de basses besognes que sont les SS-flamands, les militants de la DeVlag, les rexistes et les membres belges de la police SS allemande, se dressent de nombreux Belges qui aident les Juifs, citoyens ordinaires, résistants, agents d’instances officielles. » (p. 120). C’est le temps de « La ville indocile », du refus de laisser la police bruxelloise effectuer des arrestations sur ordre allemand, du refus de la conférence des bourgmestres bruxellois de distribuer l’étoile juive... Au contraire d’Anvers, à Bruxelles la police ne participe pas aux rafles. Saerens note aussi l’apparition au sein des administrations communales de réseaux qui viennent en aide aux Juifs, par exemple en fabriquant de faux papiers et procédant à des mariages fictifs. « Aide et résistance » résume quelques faits marquants de la résistance au judéocide : la création du Comité de défense des Juifs, l’attaque du 20ème convoi, l’action des Partisans armés juifs... dont le sauvetage des enfants juives cachées au couvent des Soeurs rédemptoristes, avenue Clemenceau, sur le

point d’être arrêtées par la police SS. Parmi ces actes de résistance, Saerens cite le rôle crucial de la Jeunesse ouvrière chrétienne et du Boerenhulp voor Stadskinder (pourtant proche du VNV) dans la cache des enfants juifs, dont beaucoup trouvent asile dans des « familles ordinaires », souvent catholiques... S’attachant à nous décrire des attitudes individuelles, Saerens oppose l’antisémitisme radical d’un Michel de Ghelderode, indifférent au sort de ses voisins juifs, à la solidarité résistante d’anciens membres de la Légion nationale, tel le commissaire de police René Ransquin, ou le directeur de « L’Aide aux abandonnés  », Georges Rhodius qui cache 300 enfants juifs dans des colonies.

Après Les derniers chapitres sont plus sommaires. « La ville libérée » confronte le sort des rescapés, dont les enfants cachés, à « l’impunité » des « chasseurs de Juifs » : « Aucun des membres belges de la police SS n’est exécuté ». Saerens cite des parcours exemplaires de survivants, dont les prix Nobel Ilya Prigogine (1977) et François Englert (2013). Il identifie des organisations de l’aprèsguerre issues de la Résistance juive, l’AIVG, l’UJJP, Solidarité juive, etc. « Souvenir et reconnaissance » parcourt enfin le travail de mémoire amorcé à partir des années soixante, par des personnalités comme Marcel Liebman et Maxime Steinberg, et autour d’institutions comme le Centre de recherches et d’études historiques de la Deuxième Guerre, la fondation Auschwitz, le Musée juif de la Déportation et de la Résistance, etc. n Lieven Saerens, Rachel, Jacob, Paul et les autres. Une histoire des Juifs à Bruxelles, Bruxelles, Éditions Mardaga, 2014

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réfléchir Achtung, Minen ! Attention, terrain miné jacques aron

I

l n’y a certes pas de sujets tabous, mais certains ne peuvent être abordés qu’avec prudence. Qu’un dessinateur belge de talent se consacre depuis plusieurs années à la biographie du chimiste qui mit au point pour l’armée allemande les premiers gaz de combat utilisés durant la Grande Guerre, que la ville de Mons lui consacre une exposition, que le premier ministre – qui est aussi le bourgmestre de cette prochaine capitale européenne de la culture – en préface le catalogue, autant de raisons, à première vue, de nous réjouir de la vitalité de la culture de ce pays. Et pourtant quelque chose, je l’avoue, me met mal à l’aise en entrant dans la salle Saint-Georges où l’on s’apprête à terrasser le dragon : Fritz Haber, le « Juif » qui aurait trahi l’éthique attachée à la science (?) et à mettre en cause à travers sa personne « les responsabilités et contradictions de l’élite scientifique juiveallemande durant la Première Guerre mondiale », pour s’exprimer comme Elio Di Rupo. Une BD, j’en conviens, n’est pas un cours d’histoire, et il serait vain de reprocher à son auteur une certaine naïveté dans son approche et un certain abandon à l’air du temps, aux idées généralement reçues aujourd’hui, après le génocide et la proclamation de l’État d’Israël, sur ce que furent, dans leur extrême diversité, les « citoyens allemands de confession juive », comme ils se nommaient eux-mêmes majoritairement depuis 1893. Au sens

strict, Fritz Haber, en se convertissant au protestantisme en 1906, s’était ouvertement éloigné d’eux pour mener une carrière académique. On sait effectivement combien le Reich de 1871, malgré la proclamation de l’égalité formelle, civile et politique, de tous ses citoyens, restait hostile à l’entrée des Juifs dans l’administration, l’armée et l’université. Et le succès de leurs scientifiques sera dû essentiellement au fait que des industriels et financiers juifs fondèrent en 1911 la Kaiser-Wilhelm-Gesellschaft (Société Empereur Guillaume) et ses laboratoires de recherche en dehors de l’université traditionnelle. Le prix Nobel de chimie organique décerné en 1915 à Richard Willstätter en sera l’un des premiers fruits. Depuis 1912, Haber dirigeait le département de chimie ; Einstein en 1913 prit la direction de celui de physique.

Qu’étaient-ils ? La question qui se trouve ainsi indirectement posée est celle du statut de ces Allemands de confession juive : constituaient-ils un groupe homogène clairement identifiable qui permettrait de les isoler de l’ensemble de leurs compatriotes  ? Les caractéristiques de leur condition leur imposaient-elles une attitude distincte ; auraient-ils dû être plus lucides, plus vertueux, plus pacifistes, plus attentifs à toutes les dérives qui conduiront au revanchisme et à la montée de l’extrême droite, expansionniste, raciste et antisémite à partir de 1920 ? La

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réponse coule de source : évidemment non, puisque ces mouvements sont précisément le résultat imprévisible de la défaite militaire de l’Allemagne, de l’Autrice-Hongrie et de leur allié ottoman. De la perte des colonies allemandes, des réparations de guerre imposées par les vainqueurs, de la guerre civile interne, de la révolution d’Octobre, etc. Le point de vue adopté par l’auteur de la BD, David Vandermeulen est donc parfaitement anachronique et exclusivement orienté par une interprétation nationaliste, si pas raciale, de la judéité. Certes, en 1914, il existe déjà un mouvement national juif, le sionisme, dont les objectifs politiques ont été officiellement proclamés dix-sept ans auparavant : se voir reconnaître par les grandes puissances qui s’affronteront durant la guerre (Grande-Bretagne, France, Allemagne, Empires russe et ottoman, etc.) le droit de transformer la Palestine en État juif. Aucune de ces puissances n’y adhère, jusqu’à ce que, précisément, la guerre les mette en concurrence. L’habileté diplomatique de l’Angleterre lui donnera l’avantage de la « Déclaration Balfour » de novembre 1917, peu avant le soutien allemand et avant même que la victoire ne soit acquise sur l’Empire ottoman, détenteur de la Palestine. Jusqu’au déclenchement du premier conflit mondial, la communauté religieuse des Juifs allemands reste unie dans sa lutte contre les tentatives de l’ex-

Comme trois rois mages, les mécènes juifs Koppel, Arnhold et Simon déposent respectueusement aux pieds de l’empereur les Instituts d’électrochimie, de chimie ​et de physique qui portent son nom, 1911 (Archives de la société Max Planck)

clure de la citoyenneté, de revenir en-deçà de l’émancipation acquise, c’est-à-dire contre les objectifs proclamés par les courants politiques qui se dénomment officiellement depuis 1880 « antisémites ». Et elle reste de même hostile à l’introduction du nationalisme juif dans ses institutions. Ses institutions se finançant légalement elles-mêmes, on connaît avec précision le nombre de leurs membres, leurs revenus déclarés (base de l’impôt du culte des Juifs comme des catholiques ou des protestants), la diversité de leurs professions, etc. Formant moins d’un pourcent de la population du Reich, les Juifs recensés sont 615.000, dont 416.000 en Prusse (90.000 à Berlin), 55.000 en Bavière, et le restant dans d’autres

Länder. Dans l’aire de culture allemande, il faudrait encore compter les Autrichiens germanophones, au nombre de 175.000, à Vienne essentiellement. Qu’ontils donc de commun : des « origines fortes ( ?) », pour s’exprimer comme Vandermeulen ? Tout cela relève du mythe (chrétien) plus que de toute analyse sociologique sérieuse. Des lieux communs, on en retrouve hélas à profusion dans cette exposition, dont l’histoire est, malgré les apparences, la grande absente. Ce qui domine, c’est la figure fantasmée « du Juif », ce condensé de préjugés : les Juifs sont des prophètes(!) : Marx, Heine, Engels (que Chamberlain, dans la première édition de ses « Fondements du XIXe siècle » prenait pour un Juif), Rathenau, etc.

Oui, les Juifs allemands (comme ceux de tous les pays belligérants) ont servi dans leur armée : ils furent environ 100.000, dont 12.000 restèrent sur les champs de bataille. Un pourcentage de combattants et de morts correspondant à leur importance numérique dans le pays. À trop se focaliser sur le pseudo-personnage du « Juif », cette essence singulière au sein de l’humanité, on ne peut rien comprendre de notre destin commun. Des Juifs allemands, il y en eut de tous bords et de toutes tendances ; il y eut parmi eux des conservateurs et des progressistes, des libéraux, des socialistes, des communistes et même des nazis (jusqu’à ce que les nazis eux-mêmes les rejettent). Des nationalistes et des internationalistes. La Première Guerre mondiale a renforcé partout l’idéologie «  völkisch », l’attachement irrationnel aux origines et il n’y a, malgré l’affirmation de Vandermeulen, aucun paradoxe à la montée simultanée du sentiment national allemand et du sionisme. Quand Haber comprend enfin qu’il n’a plus d’avenir dans le Troisième Reich, il accepte de rejoindre le projet de Weizmann de monter un Institut de recherche scientifique en Palestine. Il mourra avant que cette proposition ne se concrétise. Il ne s’agit nullement de devenir recteur de l’Université hébraïque de Jérusalem. À ce moment, Weizmann, victime des querelles internes du mouvement sioniste, n’en est d’ailleurs plus le président, et il n’assistera même pas au congrès de Prague en 1933, dont l’atmosphère est plombée par l’assassinat du dirigeant de l’aile travailliste, Haïm Arlosoroff. L’histoire est, décidément, à mille lieues de la légende. n

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! ‫יִידיש ? יִידיש‬

Yiddish ? Yiddish ! par willy estersohn

‫באן ַא ליד‬ ַ ‫זינגט די‬

Traduction

Zingt di ban a lid Le train chante

Le train brinquebale au rythme saccadé/D’une danse virile où les pieds racleraient/Avec ardeur/Un sol pierreux./Ça sent le gin/Et le plancher tremble/Comme de la gélatine./Les pieds martèlent avec force/ Chaque temps de la danse,/Le plancher se fait plaine liquide/Nous baignons tous dans un plaisir torride. (Gilles Rozier et Viviane Siman)

Nous avons déjà, dans ces pages, rencontré Célia (Tsilye) Dropkin, née en Biélorussie en 1888. Installée à New-York en 1912, elle commence à publier ses poèmes au début des années 1920 dans la revue littéraire yiddish d’avant-garde In Zikh (« En soi »). On retient notamment de Célia Dropkin qu’elle a introduit l’érotisme dans la poésie yiddish. Elle s’éteint à New-York en 1956. Le texte publié ici figure dans le recueil In heysn vint (« Dans le vent chaud ») paru en édition bilingue yiddish-français chez L’Harmattan. Auteurs de la traduction  : Gilles Rozier et Viviane Siman. Il s’agit d’un long poème (que les traducteurs ont intitulé Le train du plaisir) dont nous ne publions qu’une des sept strophes. Le poète français Charles Dobzynski est mort le mois dernier. C’était un passionné du yiddish, sa langue maternelle. Parmi ses œuvres nous retiendrons son Anthologie de la poésie yiddish, Miroir d’un peuple qui a connu un franc succès. Nous y reviendrons dans notre prochaine chronique.

.‫טאנץ‬ ַ ‫באן װיגט זיך צום ריטם ֿפון‬ ַ ‫די‬ tants fun

ritm tsum zikh vigt ban di

‫שארן אויס‬ ַ ‫װאס צװײ מענערשע ֿפיס‬ ָ oys

sharn

fis

menershe gefil

tsvey

vos

‫מיט ַאזוי ֿפיל געֿפיל‬ fil

azoy

mit

.‫אויֿפן שטײנערנעם דיל‬ dil

shteynernem

oyfn

‫עס שמעקט מיט ׳׳ דזשין ׳׳‬ dzhin

mit

shmekt

es

,‫און דער דיל טרײסלט זיך‬ zikh

treyslt

dil

der

un

.‫זשעלאטין‬ ַ ‫װי ַא שטיק‬ zhelatin

shtik

a vi

‫הארט‬ ַ ‫שארן אויס‬ ַ ‫ָאבער די ֿפיס‬ hart

oys

sharn

fis

di

ober

,‫טאנץ‬ ַ ‫די זילבן ֿפון‬ tants fun zilbn di

,‫ביז עס װערט ֿפון דיל ַא ים‬ yam a dil

fun

vert

es biz

remarques

‫ װיגן‬vign = bercer, balancer, être secoué. ‫ מענערש‬menersh = d’homme. ‫ שַארן‬sharn = râcler, ratisser. ‫ טרײסלען‬treyslen = secouer ; ‫ טרײסלען זיך‬treyslen zikh = trembler. ‫ זילב‬zilb = syllabe (ici « temps » de la danse). ‫ ים‬yam (hébr.) = mer.

.‫װּו ַאלע שװימען מיר אין בריִ ענדיקער ֿפרײד‬ freyd

briendiker

in mir

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shvimen

ale

vu

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anne gielczyk

Le choc des civilisations

Ç

a a démarré sur les chapeaux de roue cette rentrée parlementaire et gouvernementale, pas d’état de grâce pour la « suédoise » ! J’en ai eu des échos à 2000 km de Bruxelles, dans le Sud du Portugal. À Sinagoga, très exactement. Ça ne s’invente pas ça, une Judéo-flamande à Sinagoga. De Sinagoga, et grâce à internet, j’ai pu suivre en direct et en différé les débats à la Chambre qui ont précédé le vote de confiance. Comme vous pouvez le constater, même loin de chez nous, je pense à vous, les amis. Et pendant que j’étais à Sinagoga, Bart De Wever, lui était à Shangaï. Il avait à peine le dos tourné, qu’ils faisaient déjà des conneries ses ministres de la N-VA. Interrogé à la radio flamande de ce qu’il pensait des remous provoqués par les paroles malencontreuses de Jan Jambon et de Theo Francken ? « Surréaliste » a-t-il dit en essuyant tout ça d’un revers de la main. Vu de Chine, encore plus surréaliste, a-t-il ajouté, une fois revenu en Belgique. Il faut dire que dans l’avion de retour de Chine, il a eu le temps d’affiner son propos. « Oui, oui, bien sûr que la collaboration a été une erreur, de principe et de tactique » (« de principe », c’est pour le MR, « de tactique », c’est pour les Flamands). Mais, ajoute-t-il, des erreurs comme ça, il y en a eu un paquet. Et

de nous citer Ratzinger et Mitterrand, pas n’importe qui, vous en conviendrez, qui se sont fourvoyés eux aussi, et de nous resservir Léopold III, le roi des Belges « qui était aller prendre le café chez Hitler ». Il adore cet épisode, Bart De Wever, comment ce roi, qui symbolise l’establishment francophone qu’il abhorre, dirigeant une nation qui n’a pas de sens pour lui, est allé fricoter avec Hitler. Normal qu’il nous la resserve à chaque occasion. Il oublie qu’à l’époque, ce sont les Flamands qui ont voté pour le retour de ce roi scélérat et les Wallons qui s’y sont opposés. Même qu’il y en a un qui a crié « Vive la République ! » en pleine séance parlementaire.

Q

ue voulez-vous, les temps changent. La preuve, lui, Bart De Wever, Jan Jambon et Theo Francken, eh bien, ils n’ont rien à voir avec tout ça. C’est de l’histoire ancienne, ça, ça date de la première moitié du 20ème siècle, imaginez un peu ! Lui Bart De Wever, il est né en 1970, est-ce qu’il pouvait, svp, enfin se pencher sur les problèmes de ce siècle et pas sur ceux de la première moitié du 20ème siècle ? Bref, ça le fait bien rire, Bart De Wever, et il faut bien dire que le VMO, la VNV et les collabos, ça ne fait plus frémir

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qui que ce soit en Flandre. Les derniers collabos sont morts. Une branche importante du mouvement flamand s’en est désolidarisée en 2000 déjà. Une résolution avait même été votée en 2002 au Parlement flamand. Nous y avions consacré un dossier dans Points Critiques à l’époque1. Bon, en tant que Juifs, nous n’étions que modérément satisfaits, car nulle part, il n’avait été question de « collaboration » au judéocide, le mot n’ayant même pas été évoqué, mais ce n’est pas ça, j’imagine, qui a du rester sur l’estomac de Laurette Onkelinx, quand elle a parlé du bruit de bottes à la Chambre. Au PS, on a l’indignation sélective. La négation du génocide arménien n’a jamais empêché des élus du PS d’accéder aux plus hauts postes de responsabilité gouvernementale, que je sache. Non, ce qui a mis le feu aux poudres, c’est quand Bart De Wever a déclaré que le verandering , la révolution, c’est d’avoir évincé le PS, majoritaire en Wallonie, du pouvoir fédéral et qu’il espère bien, qu’ils n’y seront plus jamais. Raus ! Dehors, le PS ! Depuis, le PS est sur le sentier de guerre. Après 27 ans de participation au pouvoir, il peut enfin se lâcher. On compte sur eux pour mobiliser leurs troupes contre la prochaine expulsion des sans-papiers, afghans ou autres syriens, ces « illégaux criminels »

un budget en équilibre et l’éradication de la dette publique, qu’on soit de centregauche ou de centre-droit, nul ne le remet en cause. Si, Magnette l’a fait, en son temps, mais plus depuis qu’il dirige le gouvernement wallon. Charles Michel, lui, assume. Il assume sa participation à ce gouvernement Publié sur le site du Front anti-fasciste en Flandre. « Si en tant que de braves gens ne peuvent même plus aller à une petite seul parti sauterie entre amis collabos, où va-t-on ? » francophone. comme dit Theo Francken, que Il l’a dit le gouvernement Di Rupo avait aussi à la radio flamande: « ik laissé aux bons soins de Maggie assumeer ». Je précise tout de Block. On sait ce qu’il en était de suite, le verbe assumeren advenu. n’existe pas en néerlandais. Il faut dire à sa décharge eci dit, les qu’il n’y a pas d’équivalent francophones se en langue néerlandaise, et trompent en faisant qu’il m’est arrivé, moi aussi, passer ce gouvernement d’« assumeren ». Il assume, car pour un gouvernement la stabilité du pays en dépend. flamand. Même à 2000 km de La « stabilité », « stabiliteit », Bruxelles, on comprend que ce c’est le maitre-mot de la majorité gouvernement, c’est avant tout suédoise de ce gouvernement un gouvernement de « centrekamikaze. Une stabilité droit » comme le dit son Premier kamikaze, ou une kamikaze ministre, Charles Michel. Il se stable, du jamais vu. Mais on trouve qu’en Flandre, le centren’en est pas à un oxymore près. droit a la majorité tandis qu’en Charles Michel l’a dit et répété Wallonie, c’est le centre-gauche. « een sterk socio-economisch Vous l’aurez remarqué, ils ont beleid voor meer stabiliteit » au moins une chose en commun: et Bart De Wever, « plus de le « centre ». Et d’ailleurs, compétitivité pour un avenir de tous appliquent une politique stabilité ». Des poètes, je vous d’austérité, car ce dogme-là, dis.

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a recette, elle,​est simple, réduire les charges patronales et les emplois viendront tout seuls. 80.000 emplois seront ainsi créés pendant cette législature. Même Bruno Colmant, auteur pourtant de Dettes publiques : un piège infernal, n’y croit plus, et Bart De Wever nous a prévenus : évidemment, ça dépend de la conjoncture. Et la conjoncture, eh bien, elle n’est pas fameuse. Zéro croissance dans toute la zone euro. C’est justement pour ça que les économistes comme Colmant, trouvent que ce n’est pas une bonne idée toutes ces économies en ce moment. Et en Flandre ? Eh bien en Flandre, la révolte grogne. Le gouvernement flamand, suédois lui aussi, qui se veut le défenseur du werkende Vlaming, encore un mot-clef, le werkende Vlaming, est allé chercher l’argent dans les poches … du werkende Vlaming et des enfants du werkende Vlaming. Réduction de la prime de logement, augmentation du minerval dans les universités et réduction des subsides dans l’enseignement en général, 7,5% d’économies dans le secteur culturel et à la VRT. Les étudiants flamands se mobilisent, les syndicats, ACV en tête, protestent et préparent une première journée de grève générale. L’automne s’annonce chaud pour la kamikaze. M’est avis qu’il faudra beaucoup assumeren. n « La Flandre entre mémoire et histoire », Points Critiques n°66, Mai 2002. 1

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activités samedi 8 novembre janvier à 19h30 dimanche 23 novembre de 10h30 à 17h

Atelier créatif collectif Cet atelier propose de partager un moment créatif/récréatif. Nous terminerons la saison par une séance de mosaïque. En quelques heures, vous pouvez découvrir une technique et le plaisir de réaliser quelque chose selon votre idée... Matériel à apporter : support plat (plateau, assiette, sous plat,...), déchets de vaisselle, carrelage, boutons, coquillages, etc... Prochaine date : 21/12 Inscriptions : upjb2@skynet.be Renseignements : bettinabra@gmail.com PAF: 10 € - Petite restauration prévue

club Sholem-Aleichem Sauf indication contraire, les activités du club Sholem Aleichem se déroulent au local de l’UPJB tous les jeudi à 15h (Ouverture des portes à 14h30)

Jeudi 6 novembre

Saïd Zayou et Farida Tahar, co-auteur du livre récent Les défis du pluriel. Égalité, diversité, laïcité, viendront nous parler de Tayush, ce think-tank fondé en 2010, dont le nom signifie « vivre ensemble ». Tayush porte le projet d’une société « inclusive » pratiquant le pluralisme actif, c’est-à-dire qui reconnaît l’apport des différences culturelles, accepte et valorise leur inscription dans l’espace public et travaille à leur intégration réciproque. La finalité de ce projet est l’égalité sociale et l’accès de tous et toutes à la citoyenneté.

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Jeudi 13 novembre

Questions sur l’Ukraine par Jean-Marie Chauvier, journaliste et collaborateur au Monde diplomatique, spécialiste de l’ex-URSS, de l’Ukraine et du Belarus, auteur de plusieurs ouvrages. Comment expliquer la soudaine poudrière en Ukraine. Quels en sont les raisons historiques et géopolitiques ? Quels sont les enjeux économiques et que veut Poutine par rapport à l’Europe ?

Jeudi 20 novembre

Mavis Staples, une conscience citoyenne par André Hobus. André nous revient pour une nouvelle plongée au moyen d’images et de musique, dans cette Amérique profonde qu’il revisite sans cesse. Il sera question de gospel, de luttes pour les droits civiques des Africains-Américains, de militantisme pour l’égalité des chances, et bien sûr de la chanteuse Mavis Staples qu’il a rencontrée et applaudie plusieurs fois en concert.

Jeudi 27 novembre

Solidarité avec les rescapés du génocide des Tutsis par Viviane Lipszstadt, assistante sociale spécialisée en psychiatrie au Service Social Juif depuis 1982. Longtemps assistante sociale polyvalente, elle a ensuite travaillé dans l’accueil

des réfugiés. Elle vient également en aide aujourd’hui aux survivants du génocide des Tutsis.

Jeudi 4 décembre

La religion à l’ère du Web par Cécile Vanderpelen-Diagre, docteure en histoire et membre du Centre interdisciplinaire d’étude des religions et de la laïcité (CIERL) de l’ULB. De quelle façon la religion prend-elle place sur le Net, et quelles sont les dérives possibles ?

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activités dimanches 7 et 14 décembre à 15h Projection en deux parties du spectacle théâtral filmé du GROUPOV

Rwanda 94 Une tentative de réparation symbolique envers les morts, à l’usage des vivants Suivie de rencontres avec Jacques Delcuvellerie et Marie-France Collard (co-auteurs) et Clothilde Kabale (comédienne, sous réserve) « Le projet Rwanda 94 est né d’une révolte très violente. Devant les événements eux-mêmes : le génocide perpétré dans l’indifférence et la passivité générales. Les morts n’avaient pas de nom, pas de visage, pas d’importance. En même temps, révolte contre le discours qui constituait ces événements en informations, à la télévision, la radio et dans la presse. Cette « dramaturgie » de l’information est un des sujets du spectacle. À l’instant même des génocides presque personne n’écrit sur les événements, encore moins sur leur vécu. Ni les bourreaux, ni les victimes. On écrit donc généralement après, y compris les survivants, quelques fois très longtemps après. Il nous semblait, au Groupov, qu’écrire après devait impliquer écrire pour aujourd’hui, dans la conscience des idées et des processus qui, aujourd’hui, pourraient reconduire dans le monde à de pareils crimes. Notre tentative de réparation envers les morts s’est dès lors conçue et élaborée à l’usage des vivants. Nous ne pouvions donc en rester au seul travail du deuil, de la déploration, du témoignage. La mémoire, oui, mais de telle sorte qu’elle interroge explicitement le présent. Dans ce sens, la question du pourquoi  ? et non seulement du comment  ?, s’imposait. Pourquoi cela a-t-il eu lieu ? Pourquoi l’a-t-on encouragé ou laissé faire ? Rwanda 94 tente aussi de rencontrer ces questions essentielles si l’on veut donner un faible espoir au vœu si constamment trahi : plus jamais ça. Scruté depuis ses prolégomènes à la fin du 19ème siècle et dans sa mise en œuvre jusqu’en juin 1994, le génocide des Tutsi du Rwanda et le massacre des opposants Hutu, révèle nombre de théories et de pratiques qui ont développé, hier et encore aujourd’hui, des conséquences criminelles à une vaste échelle sur toute la planète. Cette œuvre à l’usage des vivants ne s’adresse donc pas qu’aux Rwandais. Le « crime contre l’humanité » postule bien que c’est celle-ci, dans son ensemble et pas seulement sur le plan moral, qui est concernée. » GROUPOV PAF: 6 €, 4 € pour les membres, tarif réduit: 2 €

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est le mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique (ne paraît pas en juillet et en août)

vendredi 12 décembre à 20h15 En collaboration avec l’Institut Liebman

La pensée de Walter Benjamin Conférence-débat avec

Michael Löwy Un éclairage brillant sur un des penseurs les plus riches du XXe siècle. En effet, marxiste et juif, hétérodoxe dans les deux cas, on peut sans exagérer parler d’une figure à la fois méconnue et extrêmement actuelle. Franco-brésilien, sociologue et philosophe marxiste, écosocialiste, Michael Löwy est directeur de recherches émérite au CNRS et enseignant à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) Se réclamant de la gauche radicale, Michael Löwy a certainement influencé par ses écrits toute une génération proche de ce courant. Il est notamment l’auteur de Walter Benjamin, avertissement d’incendie. Une lecture des thèses sur le concept d’histoire, Franz Kafka, rêveur insoumis, Rédemption et utopie : le judaïsme libertaire en Europe Centrale et avec Olivier Besancenot de Che Guevara, une braise qui brûle encore et tout récemment encore, avec Olivier Besancenot, de Affinités révolutionnaires. Nos étoiles rouges et noires. Pour une solidarité entre marxistes et libertaires. PAF: 6 €, 4 € pour les membres, tarif réduit: 2 €

L’UPJB est soutenue par la Communauté française (Service de l’éducation permanente) Secrétariat et rédaction : rue de la Victoire 61 B-1060 Bruxelles tél + 32 2 537 82 45 fax + 32 2 534 66 96 courriel upjb2@skynet.be www.upjb.be Comité de rédaction : Henri Wajnblum (rédacteur en chef), Alain Mihály (secrétaire de rédaction), Anne Gielczyk, Carine Bratzlavsky, Jacques Aron, Willy Estersohn, Tessa Parzenczewski Ont également collaboré à ce numéro : Roland Baumann Alec de Vries Henri Goldman Daniel Liebmann Serge Meurant Antonio Moyano Jacques Schiffmann Conception de la maquette Henri Goldman Seuls les éditoriaux engagent l’UPJB. Compte UPJB IBAN BE92 0000 7435 2823 BIC BPOTBEB1 Abonnement annuel 18 € ou par ordre permanent mensuel de 2 € Prix au numéro 2 € Abonnement de soutien 30 € ou par ordre permanent mensuel de 3 € Abonnement annuel à l’étranger par virement de 40 € Devenir membre de l’UPJB Les membres de l’UPJB reçoivent automatiquement le mensuel. Pour s’affilier: établir un ordre permanent à l’ordre de l’UPJB. Montant minimal mensuel: 10 € pour un isolé, 15 € pour un couple. Ces montants sont réduits de moitié pour les personnes disposant de bas revenus.

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vie de l’upjb Les activités du club Sholem Aleichem Jacques Schiffmann

11 septembre. Concert de rentrée avec Noé Preszow. La moyenne d’âge du Club a chuté, avec le concert de Noé et la venue de son fan club jeune et enthousiaste. Jeune auteur-compositeur-interprète doué, s’accompagnant à la guitare, au piano et à l’harmonica, Noé nous a livré les multiples facettes de son talent en interprétant tant ses propres compositions, qui font echo à son vécu et à ses engagements, que des chansons bien connues de chanteurs chers au coeur des anciens du Club : Ferré, Brassens, Moustaki, Renaud, Bob Dylan, Yves Montand, Reggiani ... Bravo l’artiste ! Bain de jouvence donc au Club, et au lieu du traditionnel bilan de la saison passée, on a eu droit dans tous les coins à des conversations animées. 18 septembre. Après les élections du 25 mai, analyse et perspectives par Henri Goldman, rédacteur en chef de la revue Politique. La Belgique, seul cas en Europe, a voté le 25 mai pour les régions, le Fédéral et l’Europe. Henri nous fait l’analyse des résultats et des perspectives qu’ils ouvrent. Pour l’Europe : Confirmation des tendances existantes, mais augmentation du vote protestataire. Renforcement de la droite, léger recul de la gauche, forte montée du taux d’abstention, record historique, et montée de partis eurosceptiques hétérogènes englobant les europhobes,

les euro-critiques, les euro-réalistes ou l’extrême droite (Aube dorée, Front national, Ukip en Grande-Bretagne, Jobbik en Hongrie, etc). La crise de la zone Euro a fait pâlir l’étoile de L’UE auprès des citoyens. Les initiatives de la nouvelle Commission saurontelles inverser la tendance ? Wait and see ! Pour la Belgique : la N-VA devient le premier parti belge, le CDH recule, le MR progresse sans devenir le premier parti en Wallonie ou à Bruxelles, Ecolo s’effondre, le FDF monte et devient le troisième parti à Bruxelles. Le PS, au pouvoir dans toutes les entités depuis plus de 25 ans, reste stable ce qui est une performance due à son ancrage dans les secteurs social et syndical. Malgré le succès de la N-VA, la tripartite était possible partout, mais la N-VA d’abord puis le MR ont eu la main au fédéral et le PS dit n’avoir reçu aucun signal d’ouverture. N-VA et CD&V négocient en Flandre et NVA, CD&V, CDH et MR au fédéral. Le PS prend tout le monde de court en négociant des gouvernements de centregauche : PS et CDH en Wallonie et à la Communauté française ; PS, CDH et FDF à Bruxelles. Ce faisant, le PS a pris un risque en écartant le MR, ce qui mettait en péril le fédéral. Espérait-il qu’on l’y rappelle et qu’il puisse alors poser ses exigences ? Ou avait-t-il déjà choisi l’opposition pour éviter la responsabilité des prévisibles réductions de dépenses en matière

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de fiscalité, de pension et de médico-social ? Du coup, le CDH a refusé d’aller au fédéral et l’Open VLD fut requis pour négocier un gouvernement de droite totalement asymétrique, où le MR reste le seul parti francophone. Déjà, tous les syndicats mobilisent en termes durs, et Laurette Onkelinx organise le Shadow Cabinet d’une opposition ferme contre « la suédoise », dont on connaîtra le programme et la composition quand vous lirez cet article. Merci à Henri Goldman pour son exposé fouillé et documenté. 25 septembre. Erri De Luca, une voix de Naples et d’ailleurs Par Tessa Parzenczewski, chroniqueuse littéraire à Points Critiques. Tessa Parzenczewski nous a emballés pour Erri De Luca, écrivain et homme de gauche engagé. Nous voyons d’abord un extrait du film qu’Arte lui a consacré, où il se raconte en flânant dans les ruelles du vieux Naples. On appréhende physiquement cet homme aux traits burinés, à la parole dense et lente, né en 1950 et qui a vécu enfant dans le vieux Naples, qu’il qualifie d’endroit miraculeux ; là se déroulent la plupart de ses romans qui racontent tous un peu de son vécu. Le napolitain est, dit-il, sa mameloshn. Après avoir assisté en 1993 à Varsovie au 50ème anniversaire de la révolte du Ghetto, avec Marek Edelman qu’il admire, il étudiera le yiddish, et se fera pas-

seur de littérature yiddish, « pour corriger le passé » dit-il, l’écrivain étant selon lui, un « lieu où se rassemblent les personnes et les absents ». De Luca est né dans une famille bourgeoise ruinée par la guerre et a grandi dans une « maison de la ruelle » à Montedidio, dans le vieux Naples populaire. Son enfance est peu heureuse. À 16 ans, il se déclare communiste et en 1968, après ses études secondaires, il part à Rome à 18 ans et s’engage dans l’action révolutionnaire. Il participe dès 1969 à Lotta Continua, dont il deviendra un dirigeant jusqu’à la dissolution en 1977. Refusant la lutte armée, il entrera en 1978 comme ouvrier chez Fiat et poursuivra jusqu’en 1995 une vie d’ouvrier solitaire et itinérant, en participant à toutes les luttes ouvrières, en Italie puis en France. Il s’engagera ensuite dans l’action humanitaire en Tanzanie et en Bosnie. Pendant toute sa vie d’ouvrier, De Luca n’arrête pas d’écrire, se levant à 5h du matin pour apprendre des langues, hébreu, yiddish, russe, français, allemand  ; pour traduire du yiddish, pour traduire, se les approprier et y puiser des extraits de la Bible. Cette activité lui donne l’énergie pour affronter sa journée de travail d’ouvrier, et la soirée est consacrée à l’écriture de ses romans. N’ayant depuis sa jeunesse cessé d’écrire, il a produit une œuvre de fiction romanesque majeure, d’une écriture poétique très imagée, parsemée de pensées, paraboles, métaphores, et où reviennent différents thèmes, tels que l’apprentissage d’enfants par des adultes bienveillants et des personnages militants, juifs, tout un petit monde qu’il rassemble autour de lui. Merci à Tessa Parzenczewski qui nous a lu de beaux extraits de ses livres et nous a communiqué

l’envie de le lire. Voir aussi son article sur De Luca dans le mensuel daté de juin dernier. 2 octobre. Pascal Decraye, enseignant et ancien moniteur des colonies. Né dans une famille modeste, père ouvrier-athée, mère au foyer et catholique, Pascal, alors âgé de 16 ans, fait en 1977 des études de dessinateur en architecture à St-Luc, où enseigne Elie Gross (Tapir). Elie lui propose d’être moniteur dans la colonie de l’UPJB à Grupont. Il accepte et suite à son immersion dans ce milieu progressiste juif, choisira une nouvelle orientation d’études et aussi dit-il, dans sa vie. Depuis, trentesept ans ont passé ! Nous le retrouvons avec plaisir, et il nous conte, avec l’humour et le talent du brillant pédagogue qu’il est devenu, son riche parcours. Devenu moniteur, puis directeur de colonie, et membre épanoui de l’UPJB, il a découvert le plaisir d’éduquer des enfants et changera d’orientation pour faire des études d’instituteur à Berkendael, pour s’occuper toute l’année des mêmes enfants. Diplômé, son premier emploi sera à l’Institut Decroly, en enseignement spécial pour enfants perturbés. Étape suivante à l’UPJB, de moniteur, il passe à comédien avec le théâtre de la Magnanerie, et sera de toutes les pièces, apprendra à vaincre son trac et à s’exprimer devant des salles pleines, travail qui lui donnera un bon capital de confiance et d’estime de soi et l’a préparé à son travail de pédagogue. Belles rencontres aussi sous la houlette de Marcel et Rosa Gudanski, et rôle prémonitoire et symbolique de prof dans la pièce « Ouvrez les portes ». Lorsque l’UPJB organise l’exposition « Herbes amères », où nos membres relataient leur passé juif

et familial, Pascal s’y implique fort et expose un appareil photo qui lui vient de sa tante Denise, qui travaillait pendant la guerre dans un Centre en Allemagne. Une amie juive photographe lui avait confié son appareil ; elle fut déportée et ne revint pas. Ce récit explique pourquoi Pascal a tenu à l’exposer, nous rejoignant ainsi dans notre processus de mémoire. Sa soif de connaissances poussera Pascal à multiplier les formations spécialisées en horaire décalé à l’UCL, tout en travaillant; il obtiendra trois licences différentes en pédagogie. En trente

ans, il occupera douze postes différents. Il donne depuis onze ans huit cours différents de pédagogie à Berkendael-Defré, fait des formations d’instits, des ateliers, est consultant, etc ! G ​ râce à son expérience théâtrale à la Magnanerie, il est à l’aise même devant des auditoires de 150 personnes. Il a su créer ses propres chances, car ce beau parcours n’est pas le fruit du hasard. Il est dû à son avidité d’apprendre, ses rencontres avec des « gens différents de lui », son travail « avec des enfants aussi différents », son goût pour les « chemins de traverse, » son acceptation de soi et de sa sexualité propre, tout cela dans une ouverture permanente à « l’autre ». Bravo cher Pascal Decraye. n

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agenda UPJB

Sauf indication contraire, toutes les activités annoncées se déroulent au local de l’UPJB, 61 rue de la Victoire à 1060 Bruxelles (Saint-Gilles)

samedi 8 novembre à 19h30

Cabaret II de l’UPJB (voir page 22)

dimanche 23 novembre de 10h30 à 17h

Atelier créatif collectif (voir page 23)

dimanche 7 décembre à 15h

Projection en deux parties du spectacle théâtral filmé du GROUPOV, Rwanda 94. Première partie (voir page 24)

vendredi 12 décembre à 20h15

La pensée de Walter Benjamin. Conférence-débat avec Michael Löwy (voir page 25)

dimanche 14 décembre à 15h

Éditeur responsable : Henri Wajnblum / rue de la victoire 61 / B-1060 Bruxelles

Projection en deux parties du spectacle théâtral filmé du GROUPOV, Rwanda 94. Deuxième partie (voir page 24)

club Sholem Aleichem Sauf indication contraire, les activités du club Sholem Aleichem se déroulent au local de l’UPJB tous les jeudi à 15h (Ouverture des portes à 14h30)

jeudi 6 novembre

Tayush par Saïd Zayou et Farida Tahar, co-auteur du livre Les défis du pluriel. Égalité, diversité, laïcité (voir page 22)

jeudi 13 novembre

Questions sur l’Ukraine par Jean-Marie Chauvier, journaliste et collaborateur au Monde diplomatique (voir page 22)

jeudi 20 novembre

Mavis Staples, une conscience citoyenne par André Hobus (voir page 23)

jeudi 27 novembre

Solidarité avec les rescapés du génocide des Tutsis par Viviane Lipszstadt, assistante sociale au Service Social Juif (voir page 23)

jeudi 4 décembre

Prix : 2 €

La religion à l’ère du Web par Cécile Vanderpelen-Diagre, docteure en histoire (voir page 23) Les agendas sont également en ligne sur le site www.upjb.be


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