n°347 - Points Critiques - juin 2014

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mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique juin 2014 • numéro 347

éditorial Les temps changent Bureau de dépôt: 1060 Bruxelles 6 - P008 166 - mensuel (sauf juillet et août)

Le Conseil d’administration de l’upjb

« Une bande de ploucs ! » Voilà ce qu’on aurait dit en d’autres temps. «  Laissons-les mariner, moins on en parle, mieux ça vaut ». Mais les temps changent. On a beau bénéficier en Belgique francophone de l’extrême-droite la plus dissipée et la moins charismatique du monde depuis Léon Degrelle, d’élus de passage qui ne siégeaient que rarement sinon devant les tribunaux pour détournement de fonds publics, la crise fait que la fonction crée l’organe et qu’on se presse aux portillons. La crise et … le net. Si hier, il fallait attendre le journal du lendemain, aujourd’hui on se retrouve synchro sur la Une numérique. Ça

se bouscule au présentoir électoral de l’extrême droite pendant que des votants trépignent pour trouver un exutoire à leurs frustrations ! En voilà un qui semble avoir trouvé son créneau après avoir surfé sur bien des cases. Laurent Louis siège même au Parlement par le miracle des calculs d’apparentement. Comment pousser son avantage en période électorale1 ? En dénonçant « le Juif complotiste » et « l’homo pédophile » jusqu’à la tribune parlementaire, en détournant la langue à la faveur de l’organisation à Bruxelles le 4 mai 2014 d’un « Congrès européen de la dissidence ». Ce beau

BELGIQUE-BELGIE P.P. 1060 Bruxelles 6 1/1511

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sommaire

éditorial

est le mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique (ne paraît pas en juillet et en août)

L’UPJB est soutenue par la Communauté française (Service de l’éducation permanente)

éditorial

1 Les temps changent..............................Le Conseil d’Administration de l’UPJB

lire

4 Helena Janeczek. Au pays des ténèbres........................Tessa Parzenczewski 5 Du yiddish à la Kabbale...................................................Tessa Parzenczewski 6 Un certain dépouillement.......................................................... Gérard Preszow 8 De quelques parias.................................................................... Antonio Moyano

écouter, regarder

histoire(s)

10 Jouets de guerre........................................................................Roland Baumann

feuilletonner

12 Histoire d’un cynique.....................................................Sylviane Friedlingstein

réfléchir

14 Faut-il rééditer Mein Kampf  ?...................................................... Jacques Aron

yiddish ? yiddish ! !‫יִידיש ? יִידיש‬ 16 Poezye – Poésie...........................................................................Willy Estersohn

humeurs judéo-flamandes

18 Science-fiction...............................................................................Anne Gielczyk 20 activités écrire

24 Une mèche de cheveux..................................................................Elias Preszow

mémoire(s)

26 Il était une fois l’histoire tragique de Natan et David..........Ariane Bibrowski

vie de l’upjb 28 Commémoration de l’insurrection du Ghetto de Varsovie................................. 32 Les activités du Club Sholem-Aleichem.......... J. Schiffmann et T. Liebmann partager 34 Récital Boxon (extrait).................................................................. Maïa Chauvier 36 les agendas

Amis lecteurs Ce numéro de Points critiques est le dernier de la saison 2013-2014. Le prochain sera daté de septembre. En attendant de vous retrouver, le Comité de rédaction vous souhaite des vacances aussi insouciantes que possible.

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mot – « dissidence » –, qui résonne comme une réminiscence des opposants aux dictatures soviétiques, est sali par des fachos qui s’en emparent et le détournent dans la pure tradition des « novlangues » dictatoriales, décrites et dénoncées aussi bien par le linguiste allemand Viktor Klemperer2 que, plus près de nous, par le cinéaste khmer, Rithy Panh3. Ce « congrès », ce regroupement international des vedettes de l’antisémitisme et de l’homophobie désinhibés (Dieudonné, Soral, Séba…), a finalement été interdit de manière unanime et de la base (bourgmestre) au sommet de l’État (ministre de l’Intérieur et Conseil d’État). Est-ce un bien ? Est-ce un mal ? C’est en tout cas un dilemme et une question jamais tranchée une fois pour toutes. Car, qu’on le veuille ou non, la liberté d’expression en prend un coup avant même que des propos délictueux aient été actés en ces circonstances précises. Nous ne doutons pas, sur base de notre connaissance de ces intervenants, que des propos haineux, antisémites et homophobes auraient été proférés en l’occasion, mais notre arsenal légal nous permet largement de porter plainte après avoir acté les faits. En interdisant cette réunion, ne se prive-t-on pas d’entreprendre un indispensable travail pédagogique avec différents intervenant associatifs et scolaires à l’occasion d’un procès répercuté sur la place publique ? Parmi les organisations juives qui semblent avoir fait cavalier

seul pour demander l’interdiction de manière péremptoire, jouant de la période électorale pour faire pression sur les politiques, le Comité de Coordination des Organisations Juives de Belgique (CCOJB) se réjouit : « C’est une grande victoire de la démocratie », nous dit son communiqué. Quant à la dernière-née Ligue belge contre l’antisémitisme (LBA), l’événement lui a permis une soudaine notoriété alors qu’elle n’est qu’un des habits neufs de l’ancien président du CCOJB jamais remis de son éviction de ce poste et, désormais président d’ « un Parlement juif européen » autoproclamé. « Les valeurs morales l’ont emporté », se réjouit encore le CCOJB. Dans une même liste de questions adressées aux représentants des partis à l’occasion des élections4, le Centre Communautaire Laïc Juif (CCLJ), associe et solidarise la « lutte contre l’antisémitisme » et la « relance des accords avec Israël » (ceux-ci ayant été suspendus au parlement de la Région de Bruxelles-Capitale), comme si l’un conditionnait l’autre. Non seulement tout cela n’est pas très crédible mais déforce le combat ciblé sur l’antisémitisme et la possibilité d’en faire un enjeu commun aux forces démocratiques. Allez faire comprendre que «  ces valeurs morales qui l’ont emporté » ne sont pas invoquées contre l’occupation des territoires palestiniens par Israël ou encore, que si vous refusez l’importation de produits des Territoires palestiniens colonisés, vous risquez à votre tour l’accusation d’antisémitisme.

​Comment et avec qui mener la lutte contre l’antisémitisme ? Faire interdire le «  Congrès européen de la dissidence » a-t-il contribué positivement à ce combat ? Rien n’est moins sûr car cela a permis à l’organisateur de jouir d’une visibilité inespérée et d’adopter une position de victime des ennemis de la liberté d’expression. Et n’en faire qu’une question communautaire isole. Le combat contre l’antisémitisme n’est pas que l’affaire des Juifs. C’est une entreprise de longue haleine contre l’ignorance, les préjugés et les amalgames qui doit être menée avec tous les antiracistes. n Ce texte est écrit une quinzaine de jours avant les élections. 2 Viktor Klemperer (1881-1960). Pendant la Deuxième Guerre mondiale, il tient un journal dans lequel il note les perversions nazies de la langue. 3 Rithy Panh (1964), cinéaste franco-cambodgien qui témoigne de « l’élimination » de masse des Cambodgiens par les Khmers rouges, cf. Points critiques n°346, mai 2014, pp. 26-27. 4 Regards n°798 du 6 mai 2014. 1

Secrétariat et rédaction : rue de la Victoire 61 B-1060 Bruxelles tél + 32 2 537 82 45 fax + 32 2 534 66 96 courriel upjb2@skynet.be www.upjb.be Comité de rédaction : Henri Wajnblum (rédacteur en chef), Alain Mihály (secrétaire de rédaction), Anne Gielczyk, Carine Bratzlavsky, Jacques Aron, Willy Estersohn, Tessa Parzenczewski Ont également collaboré à ce numéro : Roland Baumann Ariane Bibrowski Maïa Chauvier Sylviane Friedlingstein Thérèse Liebmann Antonio Moyano Elias Preszow Gérard Preszow Jacques Schiffmann Seuls les éditoriaux engagent l’UPJB. Compte UPJB IBAN BE92 0000 7435 2823 BIC BPOTBEB1 Abonnement annuel 18 € ou par ordre permanent mensuel de 2 € Prix au numéro 2 € Abonnement de soutien 30 € ou par ordre permanent mensuel de 3 € Abonnement annuel à l’étranger par virement de 40 € Devenir membre de l’UPJB Les membres de l’UPJB reçoivent automatiquement le mensuel. Pour s’affilier: établir un ordre permanent à l’ordre de l’UPJB. Montant minimal mensuel: 10 € pour un isolé, 15 € pour un couple. Ces montants sont réduits de moitié pour les personnes disposant de bas revenus.

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lire Helena Janeczek. Au pays des ténèbres

Du yiddish à la Kabbale. Un double récit d’Erri De Luca

tessa parzenczewski

tessa parzenczewski

C

’est des ténèbres qu’est revenue la mère d’Helena Janeczek, de la nuit des camps. Et la nuit des camps la hante encore, avec ses règles et ses terreurs. Et dans une vie désormais paisible, toujours sur ses gardes, elle fomente sans cesse des stratégies compliquées, des défenses sophistiquées, tout un arsenal imaginatif, un matériel de survie pour échapper aux prédateurs potentiels, tapis dans n’importe quelle situation banale. C’est ainsi qu’elle pense protéger sa fille de catastrophes annoncées, qu’elle la « dresse » à l’inévitable combat. Avant de s’aventurer dans la grande fresque, Les Hirondelles de Montecassino, (voir Points critiques décembre 2012, n°331), Helena Janeczek avait publié ce premier roman, où la fiction n’a aucune part, et où elle interroge ses relations avec sa mère, souvent exacerbées. Que lui a transmis celle-ci, inconsciemment, de son expérience indicible ? Car la mère ne raconte presque rien. Comment se fait-il qu’Helena dévore du pain, plus qu’il n’en faut, comme une boulimique, alors qu’elle n’a jamais eu faim  ? Et comment expliquer ses terreurs nocturnes, paralysantes, où reviennent des visions d’hommes en uniforme accompagnés de chiens, qui la traquent comme du gibier ? Tout au long des pages, Helena Janeczek décrypte les comportements de sa mère, répertorie les phrases, les scènes conflictuelles, un état des lieux lucide et inquiet. Pas à pas, elle questionne, doute,

explore les infimes nuances des mots et des gestes, les variations de ton, comme dans la musique, mineur, majeur, ses différentes façons d’appeler sa mère, affectueuses ou distantes, selon les circonstances, les métamorphoses de son propre prénom dans la bouche maternelle, où le polonais refait surface. Et bientôt la Pologne aussi : Helena et sa mère participent à un voyage organisé, avec quelques survivants. Varsovie, Auschwitz-Birkenau… Un retour longtemps refusé. C’est à Varsovie, dans la chambre d’hôtel, que la mère pousse un premier hurlement. Ensuite, ce sera à Auschwitz. « Je suis en train de regarder les grains clairs qui sont le gaz, et je ne le savais pas. Je n’ai pas le temps de les fixer que ma mère, ma mère qui est à côté de moi, à côté de laquelle je suis restée, se met à crier, à crier, elle crie de nouveau « ma maman, ma maman », puis elle ne hurle plus rien de précis ou rien que j’aie pu distinguer ou mémoriser, mais elle crie, elle continue à hurler de toutes ses forces et elle accompagne ses cris de mouvements d’avant en arrière, de la tête et du corps. … Si ma mère a envie de crier, qu’elle crie donc, elle peut même hurler de toutes ses forces, comme ça, le dernier visiteur aussi pourra l’entendre, car elle n’est pas venue pour visiter un musée. C’est une belle fureur, je suis fière de ma mère, et proche, si proche d’elle, que je la regarde, une main légèrement posée sur ses épaules, une ébauche de caresse, et j’attends qu’elle cesse de pleu-

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rer, qu’elle se calme, qu’elle respire et se relève pour continuer la visite avec les autres, pas comme si de rien n’était, mais comme s’il était juste, juste et naturel de faire trembler les murs avec ses pleurs. » C’est avec une minutie quasi maniaque, comme un relevé de pièces à conviction, que l’auteure nous décrit les lieux, les vestiges, les objets, dans une tension insoutenable. Plus tard, le groupe se rendra dans plusieurs petites villes. Paysages désolés, gris, cimetières juifs délabrés, recherche de tombes, cérémonies mémorielles, où Juifs et Polonais se regardent en chiens de faïence, mondes parallèles qui ne se rencontrent jamais. Et enfin, Zawiercie, la ville natale des parents, une évocation de la vie d’avant… Pour Helena, un voyage initiatique, au bout de l’abîme, mais au bord du vécu, et au retour, étrangement, les conflits s’apaisent. Une autre voix pour nous raconter, après tant d’autres, une histoire toujours pareille, mais jamais la même, car chaque véritable écrivain y pose son empreinte. Ici, Helena Janeczek, née en 1964 à Munich, installée en Italie depuis 1983, nous offre, dans sa langue de cœur, un récit tout en finesse et subtilité, imprégné d’une vibrante émotion. n Helena Janeczek Traverser les ténèbres Traduit de l’italien par Marguerite Pozzoli Actes Sud 202 p., 20 €

E

n avril 1993, Erri De Luca, encore ouvrier sur un chantier, a pris congé pour assister à Varsovie au cinquantième anniversaire de la révolte du Ghetto. Depuis longtemps, Marek Edelman faisait partie de son Panthéon personnel, avant même de connaître le nom de Che Guevara. C’est après ce voyage qu’il décide d’apprendre le yiddish. « Le yiddish a été mon entêtement de colère et de réponse. Une langue n’est pas morte si un seul homme au monde peut encore l’agiter entre son palais et ses dents, la lire, la marmonner, l’accompagner sur un instrument à cordes. » Plus tard Erri De Luca se fera passeur de la littérature yiddish. Il a traduit notamment Le chant du peuple juif assassiné de Yitskhok Katzenelson. Et c’est ainsi que commence le premier récit : l’écrivain/narrateur a reçu une commande d’un éditeur, traduire une nouvelle d’Israel Joshua Singer. Il part pour les Dolomites pour y travailler, mais aussi pour s’adonner à l’alpinisme. Cela nous vaut des passages fascinants sur l’escalade, sur « la peau de la pierre », sur le déploiement des gestes, sur le toucher… mais aussi des réflexions multiples : parallèle entre le yiddish et le napolitain, considérations sur le chapitre final de Di familye Mushkat d’Isaac Bashevis Singer, qui se déroule en 39 à Varsovie et dont la conclusion optimiste en yiddish ne se retrouve pas dans les autres versions, et en passant, par une association d’idées, un hommage

à Isaac Babel : « On l’a fusillé à Moscou le 27 janvier 1940, sans lieu de sépulture. Il avait quarante-cinq ans, ce qu’il a écrit me suffit pour le considérer comme le meilleur écrivain russe du 20e siècle. Ce qu’il n’a pas pu écrire ne me manque pas. En revanche, je suis peiné par le désespoir d’un homme doté d’un puits d’encre où tremper sa plume qui lui fut scellé d’un bout de plomb dans le cerveau ». Dans une auberge, l’écrivain remarque à une table voisine, une jeune femme qui lui sourit. Elle est bientôt rejointe par son père. Ils parlent allemand avec un accent autrichien. Sur sa table à lui, il a disposé les photocopies du texte yiddish. Soudain, le couple part précipitamment. Plus tard, leur voiture se fracassera au bord de la route. Et c’est là que commence le second récit. À présent, c’est la jeune femme qui parle. Elle se raconte et raconte son père. Elle ignore son vrai nom. Elle sait que c’est un criminel de guerre mais ignore la nature de ses crimes. Maintenant, il est facteur à Vienne. Il n’a rien renié. Il a juste eu le tort de perdre. Depuis des années, il se camoufle, contrefait sa voix, toujours sur ses gardes. Un jour, il tombe sur un exemplaire de la Kabbale, se plonge dans une étude forcenée. C’est là, pense-t-il, que se niche le secret de la défaite. Il ausculte les lettres et leur valeur chiffrée, cherche les liens, les significations, les équivalences, persuadé que tout est là, qu’il n’y a pas de hasard. Et dans ce « jeu » effréné,

on retrouve l’hébraïsant Erri De Luca, qui a appris l’hébreu, pour lire les récits de la bible à sa façon, à l’écart de toute foi, pour en extraire le secret de chaque mot et nous en restituer, en des courts récits, ses propres interprétations. Lui aussi déchiffre l’alphabet hébraïque, parfois dans des formes analogiques qu’il déniche dans des endroits improbables. Pour Erri de Luca, le monde est livres et écritures. Deux voix se juxtaposent, et 88 pages seulement, un mince volume, condensent toute la tragédie. Parfois des moments de douceur aussi, lorsque la jeune femme se remémore ses vacances à Ischia, où, fillette, elle apprenait à nager avec un garçon sourd-muet, qui la guidait du seul toucher. Militant d’extrême-gauche, longtemps ouvrier, Erri de Luca bâtit une œuvre singulière, d’une intensité rare. Nourri de son enfance napolitaine, entourée de livres, de ses luttes, des langues apprises, il s’est construit une écriture où les mots s’entrechoquent en des images insolites et percutantes qui frappent toujours juste, dans une sorte de rythme heurté. Une littérature qui enregistre les soubresauts de notre monde, brasse individus et foules, inclut la nature, - la roche et l’arbre, nostalgique aussi des jours de lutte, et qui nous parle, sans barrières, dans une langue unique, qui dit l’essentiel. n Erri De Luca Le tort du soldat Traduit de l’italien par Danièle Valin Gallimard, 88 p., 11€

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lire

L’idée du manque1 - Trente-huit variations sur le mot juif2 - C ​ ’est le sujet3 : Extraits

Un certain dépouillement

Je me suis permis une traversée de cette trilogie en opérant un « remontage » des poèmes… G.P.

gérard preszow L’écrivain-philosophe Jacques Sojcher (1939) publie coup sur coup 3 recueils de poèmes…

D

autoportrait ironique, voire désabusé. La traversée de la vie réduite à ses invariants. Qu’est-ce qui demeure et qui ne cesse de faire signe ? Qu’est-ce qui insiste et persiste  ? Le père réduit en cendres à Auschwitz. Une absence absente à jamais, fondatrice, et qui façonne le vide comme une poche intérieure. Une amputation par défaut qui cherche à se réinventer. Une blessure, une certaine tristesse, un doute sur le bout de langue. L’âge creuse le manque, l’Histoire est une seconde nature. La mère aura tant aimé le fils que nulle rivale ne l’aura détrônée. Pour horizon, le fils de l’auteur, le petit-fils de…, seul dédicataire de la trilogie. n

’abord on les toise tous les trois, tenus dans la paume comme cartes à jouer ; ensuite on les dispose à plat sur la table. Et puis on les touche, on les palpe, on les sent. Enfin, avant de les parcourir, on les massicote au coupe-papier d’ébène, l’ivoire étant désormais proscrit. À chaque page son parterre de mots. Les éditions Fata Morgana ont encore ce goût de l’artisanat et, plus va le numérique, plus le poids et la texture du papier dis-

lustrations suspendent la course des pages. À chaque titre son ill u s t r a t e u r.    L e s    m o u v e m e n t s nerveux et elliptiques d’Arié Mandelbaum pour L’idée du manque, la régression jouissive et infantile de Richard Kenigsman pour Trente-huit variations sur le mot juif, les à-plats et les griffes mélancoliques de Lionel Vinche pour C’est le sujet.

pensent une volupté satinée, une intimité complice avec le livre. Ensuite, on les feuillette : les il-

Enfin, on les lit. Ils nous parlent à l’oreille. Ils susurrent. Un peude-mots disposés à la verticale qui ont expulsé l’anecdote. Le dépouillement de l’âge  ? Une sagesse peut-être  ? Une autobiographie sans faits ni gestes, un

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Il parlait yiddish et hongrois et aussi la langue de Kafka. Il priait en hébreu. Tu es bègue dans toutes les langues.

Juif ne coïncide pas avec ce mot qui te désigne. Tes yeux n’ont pas besoin de larmes. Ce qui pleure est absent de toi.

Pelleteries & fourrures. Import-export. Skuns, opposum martre, renard argenté, loutre de mer, petit gris, chinchila. Pelisses, étoles, manchons. Flytox, naphtaline contre les mites, la hantise de ta mère.

Le mot juif Pèse sur toi de tout le poids de son histoire. Il demande une sépulture.

Yankele, boubele. Ce sont des mots d’une douceur extrême. Tout ce qui reste de l’oubli De toi, enfant, irréel et persévérant. Père, mère, femmes aimées tombées dans l’oubli avec un naturel déconcertant. Comme si rien n’avait eu lieu. Tu marches en chantonnant, comme si c’était un jour de fête. La vie est derrière toi. Tu peux bander encore quelques années, sans aimer.

Le rasoir et le blaireau. La trousse de toilette. Une montre avec sa chaîne en or. Quelques livres de prière. L’héritage du mort. Tu inventes le père que tu n’as pas connu. Tu abandonnes la mère qui t’a trop aimé. Tu te sépares de toi pour te punir d’être là. Il est parti en fumée un jour d’hiver de grand froid. Son absence grandit avec les années. Arrivé à ton âge, tu ne sais toujours pas être l’enfant que tu as été. Quand tu parles, c’est lui qui bégaye.

L’aphasie dans la voix. L’asthme dans le souffle. L’innommable dans le nom. Le sans-père dans la maison. Toute la philosophie, tu l’as jetée par-dessus bord. Tu régresses à toute vitesse, en riant. Tu tu tu turlututu et n’importe quoi. Boum boum et tralala. Tour de piste, trapèze et saut dans le vide. Tu n’auras pas d’avis nécrologique dans Le Monde. Peut-être dix lignes dans la presse locale et 30 secondes, montre en main, au journal parlé.

1/2/3/ Tous les trois publiés aux éditions Fata Morgana en 2013 et 2014 avec, successivement, des illustrations de Arié Mandelbaum, Richard Kenigsman et Lionel Vinche.

Ainsi juif est une impasse. C’est peut-être le mot de passe, qui tient lieu d’identité.

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écouter, regarder De quelques parias antonio moyano

L

’œuvre radiophonique de Richard Kalisz est unique par son ampleur et sa ténacité. Celle qui nous occupe ici s’intitule : Post-mortem : un fils de la classe ouvrière (une autofiction documentaire). Un crime homophobe. La victime  ? «  Un vieux pédé devenu SDF », dit quelqu’un. Tête fracassée à coups de marteau. L’assassin (34 ans), est arrivé à Liège en taxi depuis Malmédy, et il va traîner en ville quelques jours son arme à la ceinture. C’était en juillet 2012, et Richard Kalisz connaissait bien l’homme assassiné, et pour cause, ils avaient été amants il y a bien longtemps, du « temps des amours prolétariennes » ; la dernière fois qu’ils se sont vus, c’était en août 2009. Kalisz fait de la radio comme du cinéma. Avec des plans-séquences, des gros plans, des flashbacks, des travellings, dialogues et monologues. Et un montage d’orfèvre, profondeur de champ et avant-plan, donnant des effets de transparence, de saturation, la parole s’effaçant soudain sous la coulée de la musique venue de l’arrière-fond. Et avec des archives sonores historiques ou personnelles glanées au fil du temps, parfois sur des décennies, et sur tous les supports imaginables : répondeur automatique, vieille K7 audio, appels téléphoniques, etc. Ici le ronron et l’ennui n’ont pas leur place, Richard Kalisz a bien trop le sens du tempo et du climax, des brefs retours en

arrière, des accélérés, des coupes incisives ; il en résulte que ses œuvres radiophoniques atteignent cette profondeur de vue que seul le roman peut offrir – oui, le roman de type balzacien qui a pour ambition : défricher un pan de réalité, dévoiler une parcelle de vérité. Est-ce paradoxal que d’évoquer le roman alors même que les matériaux utilisés sont ceux du reportage pris sur le vif, interviews et témoignages ? Disparition d’une famille – et ce qu’il reste de traces (2004), Visage interdit, figure détruite (2009, 10h), La Mort probablement : une dernière mise en ondes (2012, 5h20min). Tout est accessible sur internet, installez-vous, écoutez et partez pour ce voyage au long cours, vous vous en souviendrez. Pourquoi le cacher, parfois l’envie nous vient de crier stop, ça suffit, tu me les gonfles, j’ai assez entendu ! Artiste irréductible et acharné de l’autobiographie, Kalisz va au plus près de son archéologie intime et familiale, brisant les canons de la bienséance, parlant de ses blessures avec ostentation. Et, chose précieuse et enviable, cet homme d’une rare intelligence évite l’écueil narcissique du « moi-jemoi-je » qui se mord la queue en blabla inutile. Et franchement il a raison ! Car au final, étalant ses blessures, il a parlé des nôtres, de ces étranges plaies qui bien que cicatrisées « suppurent encore » malgré les plaisirs et les consolations ; ne les avons-nous pas dis-

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simulées par crainte d’être rejetés ? Quoi d’étonnant après tout, elles ne sont ni emblèmes ni trophées. Ces plaies, nous les avons dissimulées sous le joug de la honte ou du rejet. Mille fois les donneurs de leçon nous ont prescrit le remède-miracle : un micmac à l’arrière-goût d’amertume et d’amnésie, macéré de silence et d’oubli. Avalez d’un trait et tout ira mieux, ils disent. Rebelle, Richard Kalisz refuse les solutions de facilité, ce qui l’intéresse c’est là où ça fait mal. C’est ainsi que son œuvre est poignante et superbe. Et donc, Kalisz revient sur les lieux du crime et de la peine, se posant les mêmes questions que l’inspecteur Maigret : cette piste est-elle la bonne  ? Est-ce que je fais fausse route  ? Que pourra m’apporter ce témoin  ? Que suis-je venu faire ici ? Kalisz met magnifiquement en onde/en scène « ce qui n’aboutit pas » : les à-côtés, les rendez-vous qui n’aboutiront pas, les refus catégoriques, les fins de non-recevoir, les impasses, les non-réponses. Et soudain, comme venue d’outretombe, surgit la voix de celui qui est mort, conversation captée un jour d’été à la terrasse des Chiroux en 2009, exactement trois ans avant l’assassinat : « Tu avais mis les clefs sous le paillasson, j’ai détruit ta voiture avec un gros camion, tu t’en souviens, tu as tout de même vécu de bons moments avec moi, on a été en Italie, Vérone, Florence, et la mer et La Panne, tu m’as fait suivre des

cours de français… » Et Richard, cherchant à élucider «  l’instrument du destin », refait à l’envers le chemin de l’assassin : d’où vient-il, qui était-il ? Et puis qui était donc ce mec que l’homme assassiné aimait à la folie et qui lui prenait tout son fric ? De quelle nationalité est-il ? Yougoslave. Albanais. Non, bulgare. Et nous traversons Flémalle, Seraing, Ougrée, Sprimont… Et comment se fait-il qu’il soit devenu SDF ? Et remonte à la surface un texte de 1980, le récit d’une drague une nuit d’orage, « un prolo que j’ai aimé autrefois, qu’avions-nous en commun, t’apprendre à lire ? J’en ai marre de toi  ! C’était une méprise ». Et puis la rengaine La Nuit n’en finit plus, et puis la voix de Léo Ferré en leitmotiv Ton style, À mon enterrement. Tom lui aussi est venu pour l’enterrement de son mec. Lui le citadin, le voici qui débarque dans une ferme qui semble à l’abandon, ne se doutant pas que sa vie va basculer. Voici la mère du défunt, accueillant Tom comme un messager, elle se réjouit qu’il soit venu de si loin, mais elle aurait préféré voir débarquer la fiancée de son fils, pourquoi n’est-elle pas là, dites-

moi ? Et voici le frère aîné du mort. Cet énergumène régule le droit à la parole de façon perverse et insidieuse. Tom aura vite fait de comprendre que – hé bien « si tu ne veux pas avoir la gueule amochée, t’as tout intérêt à la fermer ». Le film Tom à la ferme est une adaptation de la pièce éponyme de Michel Marc Bouchard (né en 1958 à Saint-Cœur de Marie, au lac Saint-Jean, au Nord du Québec, c’est joli, non ?!). À son actif : Les Feluettes (1988), Le Chemin des passes dangereuses (1998), Christine, la reine-garçon (2012). Donc, Tom se taira lors des funérailles, et qu’il n’aille pas croire qu’il peut partir quand bon lui semble, ben non, c’est le grand frère qui décide ; voulant en faire « sa chose », il le retient prisonnier. Et la mère joue-t-elle l’inconsolable qui ne sait rien, ou fait-elle semblant ? Xavier Dolan distille toutes les épices du thriller, et comme notre cher Alfred Hitchcock, il nous épouvante avec deux fois rien. Et l’on frisonne de plaisir tant on a peur que Tom finisse comme engrais protéiné pour les cochons ! Il ignore qu’il est tombé dans un piège  ; ses geôliers sont eux-mêmes aliénés au qu’en-dira-t-on des préjugés. L’homosexuel, s’il refuse de s’effacer (au risque d’en crever), n’aura-t-il donc d’autre solution que de fuir le nid anxiogène des origines ? Sinon il risque lui-même d’être « contaminé » par le désir aveugle d’avilir et d’écraser ; ce

fait est souligné quand Tom appelle au secours la pseudo-fiancée du défunt, et celle-ci débarque innocemment. Et si c’était Tom qui délirait ? Ce frère aîné qui l’effraye n’est-il pas capable de gestes tendres, n’a-t-il pas faim de tangos langoureux, ne soignet-il pas avec tendresse les porcelets tout frais sortis de la truie ?! Par contre deux qui ont bien décidé de ne pas se dire adieu, c’est Daniel et Marek, les protagonistes d’Eastern Boys, le film de Robin Campillo. Ça finit et commence par des silhouettes anonymes se perdant dans la foule. Paris, gare du Nord, Daniel (la cinquantaine) croise Marek (25 ans, Russe  ? Ukrainien ? Tchétchène ?) Daniel fixe rendez-vous à Marek à son domicile pour le lendemain. Aïe, quelle catastrophe, c’est sa clique de petits gangsters qui débarque en force ! Daniel sera dépouillé de tout, et pour éviter que ça dégénère, il reste impassible et muet. Ingrédients du film : un minimum de paroles et d’étonnantes ellipses, et deux hommes bien décidés à se battre pour conquérir leur liberté. Ah oui, j’oubliais : pas une once de moralisme gnangnan, c’est juste que Daniel le client paye Marek qui se prostitue. Et Marek qui en a déjà bavé, comprend (par instinct ou stratégie  ?) que cet homme est sa chance, un levier pour s’en sortir. Serait-il possible que Daniel devienne une sorte de père ? Si tout amour est bancal un jour ou l’autre, que dire alors des amours vénales !? Surtout s’ils sont « déséquilibrés  » par des sentiments francs et sincères. Étrange combien ce film lucide et cruel – mais sans nul cynisme ni fausses illusions – je l’ai vécu comme une épure, une échappée. Un paria aide un autre paria, est-ce un cliché ou une réalité sans cesse​ d’actualité ? n

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histoire(s) Jouets de guerre roland baumann

A

u musée du jouet à Malines, une exposition temporaire évoque l’histoire de l’imaginaire ludique des conflits armés, de la préhistoire à Star Wars et au Seigneur des anneaux. Organisée à l’occasion des commémorations de la Grande Guerre, cette exposition nous confronte à la place importante que tiennent en Europe les jouets guerriers, de la Première Guerre mondiale à nos jours.

Idéalisation de la guerre ? Jouer aux chevaliers, aux pirates, aux cowboys et indiens, aux soldats, fait partie de notre culture de jeu, et n’est pas toujours un univers de jeux réservés aux petits garçons. L’exposi-

tion « La guerre dans la chambre d’enfants » enchantera certes les amateurs de Lego et Playmobil, tout comme les adultes nostalgiques des grandes batailles de petits soldats jadis livrées en été sur la plage et au jardin, ou parfois en plein milieu du salon et reconstituant la guerre contre Hitler, les campagnes de Napoléon ou la bataille des Éperons d’Or ! Pièce maîtresse de l’exposition, un énorme diorama de la bataille de Waterloo (7,7 x 1,8 m) réalisée en 1975-1985 par une famille de Borgerhout, comporte plus de 8000 figurines Airfix, toutes minutieusement peintes et positionnées sur cette impressionnante reconstitution miniature de la défaite de l’Empereur. Des figurines en plastique évoquant les souvenirs d’enfance de tous ceux qui,

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comme moi, accumulaient avec délice les boîtes de ces minuscules soldats Airfix que leur prix modique tout comme la diversité des époques historiques représentées rendaient très désirables aux petits garçons dans les années soixante et septante... Une époque où les maquettes en plastique à monter et à peindre d’avions, de véhicules et de navires, de la marque Airfix trônaient au rayon jouets des grands magasins. Le maquettisme ciblait alors les enfants et adolescents, n’hésitant pas à évoquer des conflits récents, comme en témoigne ce modèle Airfix au 1/72ème d’un Mirage IIIC aux cocardes israéliennes, arme décisive de la victoire aérienne de l’État juif en juin 1967... Un kit d’avion que j’avais construit moi aussi... il y a plus de 40 ans ! Mais, au delà de la nostalgie, l’exposition invite aussi à l’approche critique des jouets guerriers dans leurs rapports étroits à la culture dominante. Prolifération de « jeux de la guerre » et de miniatures militaires à l’approche de la Première Guerre mondiale... Essor prodigieux dans les années trente de la gamme de figurines Elastolin produites par la firme allemande O&M Hausser, fondée près de Stuttgart en 1904. Elastolin reproduit en miniatures les diverses composantes de l’armée allemande en expansion, ainsi que les principaux dignitaires de l’Ordre nouveau. Tout un arsenal de tanks, canons, etc., réalisés en métal accompagne les formations de figurines peintes. Des jeux de

société nazis montrent de même l’emprise du Parti dans l’univers des enfants allemands. Dans l’Allemagne d’après-guerre, Elastolin passe du matériau composite au polystyrène dans la production de figurines et oriente sa gamme vers des sujets guerriers plus « exotiques » inspirés des romans de Karl May, des aventures de Prince Vaillant (bande dessinée d’Harold Foster) ou des guerres de la Renaissance... Comme nous le rappelle aussi l’exposition, Stratego, le célèbre jeu de stratégie commercialisé par la firme Jumbo à partir de 1958, a été inventé aux Pays-Bas sous l’occupation allemande par Jacques Johan Mogendorff (1898-1961) afin de distraire ses enfants. C’est en 1946 que ce Juif hollandais, déporté à Westerbork et Bergen-Belsen, commence à commercialiser son jeu.

mettre en scène et de photographier, parvient à gérer au quotidien son état de détresse psychologique. Les aventures de son alter-ego miniature, le capitaine d’aviation Hogancamp « Hogie », et tous les tourments que font sub-

poupée mannequin commercialisée en mars 1959. Les figurines articulées de12-inch (30 cm), à l’échelle 1/6ème, customisées par Mark Hogancamp, dérivent des Action Man et G.I. Joe. C’est en 1964 que la firme Hasbro fondée

ir les cruels SS à ce fringant militaire américain, marié à la blonde Anna – sergent de l’armée soviétique –, transposent dans l’univers ludique de Marwencol les traumatismes réellement soufferts par Mark. Découvert par des amateurs d’« art en marge », Mark finit par exposer ses photographies de Marwencol dans une galerie d’art new-yorkaise. Précisons que Marwencol vient d’être édité en DVD aux Pays-Bas (vo sous-titrée néerlandais). Pour en savoir plus sur le film de Malmberg et la petite ville « belge » de Mark Hogancamp : www.marwencol.com Les barbies « détournées » en pinups guerrières par Mark Hog a n c a m p    n o u s    é v o q u e n t    l a mémoire de Ruth Handler (19162002), inventeur de la célèbre

par les frères Hassenfeld à Providence lança sur le marché G.I. Joe, action figure inspirée du mémorable film de William Wellman, The Story of G.I. Joe (1945). D’abord producteur de textiles, puis d’articles scolaires, Hasbro avait connu un premier succès sur le marché du jouet américain en commercialisant en 1952, Mr Potato Head, Monsieur Patate, inventé en 1949 par George Lerner, né à Brooklyn dans une famille d’immigrés juifs de Roumanie. n

traumatismes Présenté au festival de cinéma Docville à Louvain le 5 mai dernier, le documentaire Marwencol (2010) du cinéaste américain Jeffrey Malmberg explore l’univers insolite et décalé de Mark Hogancamp à Kingston, petite ville entre New York et Albany. Ancien militaire alcoolique, presque battu à mort par une bande de teenagers homophobes en 2000 et devenu invalide à vie, Mark réapprend à vivre en s’inventant «  Marwencol  », une petite ville belge miniature, peuplée de poupées Barbie et de figurines articulées masculines (action figures) représentant des soldats de la Seconde Guerre mondiale, alliés et allemands. Tourné de 2006 à 2010, le film de Malmberg documente l’autothérapie littéralement bricolée par Mark Hogancamp qui, par le biais de l’imaginaire guerrier miniature de Marwencol qu’il ne cesse de

Exposition La guerre dans la chambre d’enfants, Speelgoedmuseum, Nekkerspoelstraat 21, 2800 Mechelen ; jusqu’au 2 novembre 2014, tous les jours sauf lundi 10-17h. www.speelgoedmuseum.be

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feuilletonner Histoire d’un cynique sylviane friedlingstein

H

ouse of Cards est une série américaine qui jouit d’un grand succès d’estime, ce que j’ai du mal à comprendre ; elle qui n’arrive pas à mon sens au genou tragique du Boss, dont je vous parlais le mois passé. Dans House of Cards, qui raconte aussi le pouvoir mais plutôt sur le mode d’une comédie cynique à rebondissement, Frank Underwood est un homme politique déçu de son éviction d’un poste de secrétaire d’État, qui lui avait été pourtant promis par le président nouvellement élu, en contrepartie de son soutien lors de la campagne électorale. Underwood, qui occupe le poste stratégique de Whip – c’est-àdire de député chargé du bon fonctionnement de la majorité parlementaire –, va donc se venger en élaborant une stratégie extrêmement complexe et dont on ne comprend les différentes étapes qu’à mesure de son déroulement. La réussite de sa stratégie repose sur la connaissance qu’aurait Underwood des ressorts véritables du pouvoir et de l’âme humaine. Rien ne semble résister à la force de ses raisonnements et tout le monde agit et réagit de la manière dont le combinard l’avait prévu. Et il en rit et on en sourit : ça marche tellement bien, le cynisme ! Si le Boss délibérait douloureusement avec sa conscience sous la menace de sa toute prochaine mort, on ne voit pas très bien par contre comment l’on pourrait punir ce chenapan d’Underwood, qui, au fond, ne cherche qu’à

s’amuser. Rien dans cette série ne laisse entrevoir la manière dont la dignité de la politique pourrait être restaurée puisque le héros, en très bonne santé, est parfaitement adapté à ses règles et méthodes qui, si elles ne sont pas forcément cyniques dans leurs principes, s’accommodent fort bien de ce qu’un ludion malin et persévérant peut en tirer. Le problème, c’est qu’Underwood est à notre image, et c’est cela qui est proprement désespérant. Qu’il soit bien à notre image est dit en fait dans les apartés qu’il a avec le spectateur et à l’occasion desquels il débite, sur un mode léger truffé de clins d’œil, les éléments de sa morale à laquelle on a de la peine à ne pas souscrire puisqu’elle colle si parfaitement à l’ambiance générale et au décor bien léché. Car il en a une de morale, à la façon du pessimiste pour qui rien de bon n’est à attendre de l’humain, ce dont notre époque est plutôt convaincue quand il s’agit pour elle de rendre compte de ses homo politicus et de l’abus du plaisir qu’ils prendraient dans l’exercice de la liberté qui leur a été déléguée par le peuple. Le plaisir de nous faire savoir que la sauvagerie et les médiocrités du moi l’emportent toujours sur les édifications idéales et la pureté des coeurs qui entendent agir pour le compte d’autrui, n’est-il pas au fond le moteur d’Underwood, et un moteur bien plus puissant que celui d’avoir toujours raison et de l’emporter chaque fois dans les faits. Il sait bien qu’au fond, c’est ce que notre époque ludique pense de la grandeur et des convic-

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tions, même si elle crie qu’elle aimerait tellement pouvoir renouer avec les temps glorieux et révolus où l’on savait encore construire le monde. L’optimiste qui pensait que le simple exercice de la vertu garantit l’accomplissement du bien n’a plus qu’à aller se coucher et rêver aux grandeurs passées. Et ceux qui n’ont pas le sommeil facile peuvent toujours aller clamer qu’ils en ont «  vraiment marre  » de tous ces politiques « pourris ». Ceux qui n’ont pas le sommeil facile peuvent encore penser et clamer que les malfaiteurs ne sont qu’une minorité en politique et que les forces vives de la nation l’emporteront toujours en contrôlant et légiférant mieux. On voudra donc désormais faire « plus », « mieux » et « autrement » à défaut de savoir quoi. C’est qu’on n’a plus beaucoup le choix dans cette époque revenue de tout et prête à pas grand chose et il y a de fortes chances qu’une bonne partie de notre inquiétude politique trouve à s’épancher pour un temps encore indéterminé dans des épisodes de House of Cards qu’on sera retourné regarder avant d’aller se coucher.

Un cynisme bien trop adapté aux vertus de l’époque… Vous l’aurez compris, je n’aime pas cette série car tout y finit trop bien pour le cynique qui peut conclure qu’un apolitisme de salon ne fait de mal à personne et qu’il y aura toujours quelqu’un pour redresser la barre du navire. Le cynique n’est finalement qu’un minoritaire égaré dans un monde globalement bienveillant, dont

évidemment nous sommes en regardant d’un œil averti House of Cards. Le spectateur averti que le pouvoir rend libre peut jurer qu’il ne sera jamais pris la main dans le sac et, confiné dans une vertu vite et mal acquise, il peut estimer qu’il n’est en rien impliqué dans cette sale affaire. Or tout ce qui intéresse autrui devrait m’intéresser, fusse-t-il un vilain. C’est au fond cela le cynisme aujourd’hui, c’est d’en faire l’affaire de l’autre, de s’en laver les mains et de le subir de loin la plupart du temps derrière son poste et en situation de commentateur. Et tout le monde de croupir dans un régime de défiance généralisé.

… et aux règles du genre Dans nos séries, comme du reste dans la vraie vie, quand il s’agit d’administrer la Cité avec autorité, ce sont des hommes et non des femmes qui occupent le rôle principal. Et ceci n’est pas le fait de notre époque seulement mais de toutes les époques. Les épopées, récits bibliques, mythologies, romans d’apprentissage, biographies des nations et histoires des idées n’offrent qu’un miroir étroit aux femmes qui tenteraient de se constituer en tant que femmes au pouvoir. L’imaginaire dans lequel elles se meuvent est sans ampleur et presque sans parole. Les narrations, édifications et récits nourriciers étant des plus maigres pour les femmes, on les dira anorexiques quand, en prise avec le pouvoir politique, elles choisissent la mort plutôt que le renoncement à l’idée (Antigone). On les dira folles et plus souvent encore hystériques quand elles expliquent à voix haute leurs raisons d’agir et, dans la foulée, on les décrétera compulsives quand elle ne cessent de se laver les main sous l’emprise de la culpabilité (Lady

Macbeth). Cette incapacité à reconnaître que les paroles de Lady M. ne sont pas seulement des cris et qu’une femme peut vivre des dilemmes moraux liés à l’autorité et à son éventuel mauvais usage est un drame politique de grande ampleur. Plus encore, le caractère viril de l’entêtement d’Antigone et le sérieux moral de la culpabilité de Lady Macbeth ont poussé pas mal de commentateurs littéraires à décréter que ces femmes sont en fait des mâles déguisés. Et le tour est joué : leur exemplarité s’adresse aux hommes qui, n’étant pas essentiellement anorexiques et hystériques, ont de meilleures chances d’occuper avec grandeur les places de l’histoire et d’offrir un exemple à tous les apprentis de l’autorité. Voyez, dans ce sens, la réponse que Georges Steiner a apportée à une personne qui lui demandait une explication quant au fait que son ouvrage Les Antigones n’évoquait que des hommes. Elle m’a laissée pantoise, je vous la livre : « Je n’ai même pas essayé de faire un sort à l’émotivité ni aux polémiques qui s’attachent à la figure d’Antigone dans les récits récents du féminisme et du mouvement des femmes ». Voilà qui est dit : le bruit récent et émotif de femmes revendicatrices est indigne d’Antigone et de l’exemplarité de sa résistance aux lois iniques de la Cité. Steiner ne convoquera ingénieusement l’antique mythologie que pour mener l’inventaire des grandes résistances masculines. Voilà ce qui explique probablement que les femmes de fiction ont les plus grandes peines à occuper l’avant-plan des séries politiques et qu’elles ne font toujours qu’y seconder leur mari. En outre, on ne comprend jamais très bien ce qu’elles veulent quand elles protègent et amplifient le pouvoir de l’époux. Tout cela reste énigma-

tique et nos héroïnes de second plan, froides, inaccessibles, abstraites et émotionnellement désengagées sont comme des portes à jamais scellées. Tandis que les chefs bavardent – monologue halluciné du Boss et apartés explicatives d’Underwood –, celles qui les secondent se taisent. Le mystère étant resté entier, il y a fort à parier que ces figures de l’autorité féminine ont un grand avenir devant elles dans les séries à venir. Il y a fort à parier également que l’explication de leur attitude froide et métallique viendra probablement de ce que leur rapport ambigu à l’enfantement ne peut que contenir du mauvais dans une société où la famille compte autant. La seule chose que Claire Underwood dit pour expliquer le choix qu’elle a fait de son mari, dans une scène épouvantablement perverse, c’est qu’il est celui qui ne lui a pas promis d’enfants en lui promettant qu’elle ne s’ennuierait jamais avec lui. Quant à la femme du Boss, elle a rompu de manière irréversible avec sa fille unique parce que ses frasques entravaient la carrière de son mari et donc la sienne. Pas fameux la situation des femmes dans les série US. C’est pourquoi, ma prochaine chronique portera sur la série danoise Borgen qui semble faite pour nous donner l’espoir qu’une autre figure de femme au pouvoir arrivera enfin à nous distraire des fascinantes minéralités américaines. Là, il y a du pouvoir et il y a des enfants. Je dirais ici seulement, comme avant-goût de mes prochains développements, qu’il semble que le Danemark soit le seul pays au monde où les toilettes publiques des hommes soient dotées, à l’instar de celles des femmes, de planches à langer. Après tout, les hommes sont des mères comme les autres. n

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réfléchir Faut-il rééditer Mein Kampf  ? jacques aron

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dolf Hitler a touché d’autant plus de droits d’auteur, que les tirages de son livre n’ont cessé d’augmenter avec l’influence croissante du Parti national-socialiste, et surtout après son accession au pouvoir, lorsque les éditions du Parti l’imposèrent comme la bible du mouvement. Sa diffusion atteignit les 10 à 12 millions d’exemplaires, si l’on en croit les chiffres officiels. Les héritiers du Führer auraient donc pu revendiquer ce pactole durant les septante ans suivant son suicide, puisque la perception des droits d’auteur, d’une durée de 50 ans, fut prolongée pour tenir compte des années de guerre. Aussi l’État de Bavière se vit-il attribuer ces droits par les Alliés, désireux d’empêcher la diffusion des idées qui avaient accompagné, voire justifié, les crimes de masse condamnés à Nuremberg. Ceci n’évita cependant pas l’ouvrage de poursuivre plus ou moins clandestinement sa vie, et quiconque peut se le procurer aujourd’hui sur le marché du livre d’occasion ou le charger sur internet, où il connaît apparemment encore un succès de curiosité mondial. Devant cette situation, l’État de Bavière, pressé par l’opinion publique de prendre position avant 2015 sur la libéralisation prochaine de toute réédition du livre, avait-il conçu le projet – et décidé d’en libérer les fonds nécessaires – d’une édition commentée par un groupe d’historiens qui le replaceraient dans

son contexte et en analyseraient les effets. Difficile mais sage décision, rompant avec l’hypocrisie de la poursuite de l’interdiction et visant au contraire une politique d’éducation permanente dans la ligne adoptée jusqu’à ce jour par l’Allemagne. C’est ce choix qui semble aujourd’hui remis en question. Les raisons n’en sont pas claires et desservent certainement les défenseurs de la mémoire des crimes de guerre et du génocide des Juifs européens.

Un symbole Si le livre ne contient aucune idée qui n’ait été formulée avant lui, avant, pendant ou juste après la Première Guerre mondiale, il n’en demeure pas moins un jalon du mouvement qui, du putsch manqué du 9 novembre 1923 à l’accession au pouvoir le 30 janvier 1933, mettra 10 ans à s’imposer grâce à un événement décisif : la crise financière mondiale déclenchée par le krach boursier de Wall-Street en octobre 1929. C’est l’emprisonnement d’Adolf Hitler après ce coup d’État raté, qui lui fournit l’opportunité de se mettre en scène comme le sauveur de son peuple, dans les deux tomes de « Mon combat » qui parurent en 1925 et 1927. « J’avais ainsi l’occasion de présenter mon propre cheminement, dans la mesure où il est nécessaire à la compréhension du premier comme du second volume, et où cela peut servir à détruire la funeste légende construite à mon sujet par la presse juive. […] Je

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sais que l’on parvient à conquérir les hommes davantage par la parole que par l’écrit, et que tout grand mouvement sur cette terre doit sa croissance aux grands orateurs et non aux grands écrivains. Et cependant, pour que s’impose en même temps l’unité de sa doctrine, ses fondements doivent en être fixés pour toujours. Ces deux volumes en seront les éléments constitutifs que j’apporte à l’œuvre commune. », écritil dans sa préface. Tirer les leçons de l’Histoire sonne aujourd’hui comme un leitmotiv de plus en plus vide, comme une invocation plutôt que comme une pratique permanente. Et il n’est pas paradoxal d’affirmer que, plus les faits s’éloignent et plus la vigilance s’impose, qui ne peut naître que d’une connaissance globale de l’histoire, du décryptage des idéologies dans leurs enjeux sociaux sous-jacents. Le Soir consacrait une demi-page au sort prochain du livre emblématique du IIIe Reich. Rédigé pour une bonne part en copié/ collé de Wikipédia, on pouvait y lire avec surprise que l’idéologie politique du nazisme avait notamment pour ambition «le désir d’assimilation des Juifs » 1. Que pareille absurdité n’étonne personne en dit long sur la méconnaissance de notre histoire récente. Le message hitlérien, pourtant, était clair. La traduction française parut au moment où Hitler parvenait au pouvoir et aucun observateur attentif ne pouvait se tromper sur les objectifs prioritaires que dissimulait

Étant donné cette base de la politique nationale-socialiste, rien vers l’Ouest, tout vers l’Est, les dirigeants nazis se croient fondés à protester de leur désir de paix et d’amitié avec la France – mais si la France les laisse faire et ne contrarie en rien leurs desseins –. » Pour avoir les mains libres à l’Est, il faut s’allier les nations d’Occident et isoLettre signée par Hitler le 1er septembre 1939, autorisant ler celles qui résisdes médecins à « donner le coup de grâce » aux malades teraient à cette pojugés incurables litique. « Ainsi, avant de marcher vers la croisade contre le judéo-bol- l’Est, un règlement de comptes chevisme. Rendant compte du avec elle [la France] serait poslivre, La Revue de Paris écrivait sible, et par la suite, les frontières alors que « si chaque Français sa- ouest du Reich définitivement asvait ce que sont devenues dans surées. Et le livre se termine ainle cerveau d’Hitler, donc dans le si : « Un État qui, à l’époque de cerveau de l’Allemagne, les doc- contamination des races, veille trines pangermanistes, déjà bien jalousement à la conservation des effrayantes, il procéderait aussi- meilleurs éléments de la sienne, tôt à une révision de valeurs qui doit devenir un jour le maître de aurait, dans le régime intérieur la terre. »»2 Le Reich de 1000 ans de la France, de grandes consé- était effectivement destiné selon quences. Non que la France soit Hitler à voir en un siècle sa popuspécialement attaquée dans lation passer de 65 à 250 millions ce livre : quelques pages seu- d’Allemands de pure souche. Par lement, et sur des thèmes tel- tous les moyens. lement connus. Mais c’est la Weltanschauung de Hitler, sa Un parallèle conception de l’Univers, qui est scandaleux pour les démocraties de l’Ouest, Cette connaissance historique comme pour les systèmes socia- profonde du nazisme nécessite listes de l’Est, plus encore pour effectivement une pédagogie pereux peut-être, une menace redou- manente. On ne peut ainsi que table. » L’auteur de l’article avait s’étonner qu’un jeune Belge (secompris où se situait l’ennemi lon toute apparence) ait choiprincipal du régime : « Le but, c’est si une tribune juive allemande la Russie et les États baltes, dont pour condamner la loi récente sur les intellectuels ont été anéantis, l’euthanasie des mineurs. Sous le qui sont en proie au Juif, et que le titre : « Le judaïsme rejette sans Juif ne saurait organiser, puisqu’il ambiguïté l’assistance active à est « ferment de décomposition ». l’euthanasie des mineurs selon

le modèle belge », l’auteur conclut par ces mots : « Lorsque l’on fait des lois qui remettent trop profondément en question ce principe [de la valeur absolue de l’homme créé à l’image de Dieu] – le ressort en fût-il parfaitement humaniste – il convient d’être particulièrement vigilant. Et certainement dans ce cas, car c’est un fait historique, que l’euthanasie des enfants – en référence aux mêmes arguments humanistes que nous entendons aujourd’hui (sic) – a servi il n’y a pas si longtemps d’exercice pour les atteintes les plus graves à la dignité humaine. »3 Il est heureux par contre, qu’un médecin allemand ait tenu à remettre les pendules à l’heure. « L’auteur ne démontre pas seulement qu’il nie la définition du crime, il discrédite en outre les défenseurs du droit d’être assisté à mourir dignement en les comparant avec l’euthanasie pratiquée par les nazis. Qu’il prenne donc connaissance de ce qu’en pensent les survivants de l’Holocauste. Ceux-ci se sentent atteints dans leur dignité. […] Et c’est bien compréhensible, car celui qui compare la législation belge qui prend clairement en compte les intérêts des personnes concernées avec les crimes des nazis contre les handicapés (eux qui ne pratiquaient pas l’euthanasie mais le meurtre), devrait comprendre qu’il minimise les souffrances des victimes de l’Holocauste. […] Pourquoi estil si difficile de reste simplement objectif en ces matières ? »4 n « Mein Kampf » revu et commenté, Le Soir, 25/26 janvier 2014, p. 35. 2 Jean Poirier in : La Revue de Paris, 1er avril 1934, p. 710. 3 Dennis Baert, Die Würde todkranker Kinder, in : Jüdische Allgemeine, 6 mars 2014, p. 21. 4 Dr Martin Klein, in : Courrier des lecteurs du même journal, 27 mars 2014, p. 8. 1

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! ‫יִידיש ? יִידיש‬

Yiddish ? Yiddish ! par willy estersohn

‫ּפאעזיע‬ ָ

Traduction Une prune violet foncé,/la dernière sur l’arbre,/à la peau fine et délicate comme la pupille d’un œil /qui a, la nuit, éclipsé dans la rosée/l’amour, la vision, le tressaillement./Et, à l’étoile du matin,/ la rosée s’est évaporée./ C’est cela la poésie. Effleure-la/sans laisser de trace aucune.

Poezye Poésie

Avec ce court poème écrit en 1954, nous retrouvons Avrom Sutzkever (‫)אֿברהם סוצקעװער‬, le plus important des poètes yiddish de l’après-génocide. Né en 1913 non loin de Vilna (nom russe de l’actuelle Vilnius, capitale de la Lituanie indépendante), il s’est éteint à Tel-Aviv en 2010. Rappelons que, dans les années 1930, il est membre actif du mouvement littéraire yiddish d’avant-garde ‫ יונג װילנע‬Yung Vilne (« Jeune Wilno », d’après le nom polonais de la ville alors sous la domination de Varsovie). Après avoir été résistant armé sous l’occupation allemande, d’abord dans le ghetto de Wilno, puis avec les partisans russes, Sutzkever s’est installé à Tel-Aviv en 1947. Il y a dirigé l’importante revue littéraire ‫ די גָאלדענע קײט‬Di Goldene Keyt (« La Chaine d’or ») dont la publication dût s’arrêter en 1995.

‫ֿפיאלעטע ֿפלוים‬ ָ ‫ַא טונקל‬ floym

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un

– ‫געװארן ֿגרינגער‬ ָ gringer

‫ ריר זי ָאן ַאזוי‬.‫ּפאעזיע‬ ָ ‫דאס איז‬ ָ azoy on zi rir

poezye

iz

dos

.‫מע ָזאל ניט זען קײן סימן ֿפון די ֿפינגער‬ finger di fun simen keyn zen nit

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remarques

gevorn

zol men

‫ דין‬din = mince, fin. ‫ הײטל‬heytl = membrane, pellicule : diminutif de ‫ הויט‬hoyt = peau. ‫שװַארצַאּפל‬ shvartsapl (ou ‫ אּפל‬apl) = pupille, prunelle des yeux. ‫ געלָאשן‬geloshn : participe passé de ‫ לעשן‬leshn = éteindre. ‫ זעונג‬zeung (prononcer ze-ung) = vision, rencontre. ‫ גרינגער‬gringer : comparatif de ‫ גרינג‬gring = léger, facile. ‫ ָאנרירן‬onrirn = toucher, effleurer; ‫ רירן‬rirn = toucher, bouger, émouvoir. ‫ סימן‬simen (hébr.) = signe, marque, indice.

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Le nain jaune victorieux de la N-VA

anne gielczyk

Science-fiction

J

’en étais encore à me demander ce que je pourrais bien bon dieu vous raconter sur ces élections que vous ne sauriez déjà puisque vous avez le privilège de me lire une semaine après les élections tandis que moi j’écris une semaine avant cet événement, hélas, incontournable. Aussi incontournable que le sera sans doute la N-VA au moment où vous me lirez. Bien que… vous n’imaginez pas le nombre de gens qui sont venus me demander pour qui voter ? Si même dans les milieux informés on ne sait pas quoi faire… À ce jour, il y a encore 30% d’indécis nous disent les instituts de sondage. Que dire de sensé sur le sujet dans ces conditions-là, je vous le demande ? J’ai bien essayé de retarder la sortie de la revue, mais à Points Critiques on ne transige pas sur ces questions, le journal sort le 1er de chaque mois, point… final.

J

e pourrais vous parler de la campagne et des divers programmes électoraux, mais c’est d’un ennui mortel, surtout une fois les élections passées. Seule nouveauté, le duel Magnette/ De Wever, présenté comme un clash de civilisations mais en réalité rien de plus qu’un

match Flandre-Wallonie avec deux gagnants – ou deux perdants – chacun retranché dans son camp. Une chose est certaine, les partis politiques ne sont pas à la hauteur des enjeux gigantesques auxquels devront faire face la Belgique et l’Europe : inégalités croissantes, changement climatique galopant, d’autres crises financières à venir, amplification des mouvements migratoires dus à la mondialisation, vivre-ensemble bancal, repli sur soi et montée de l’extrême droite… pour n’en citer que quelques-uns. En Flandre, la N-VA va gagner parce qu’elle attise la peur déjà omniprésente face à un monde qui change et en Wallonie le PS promet solennellement « la défense absolue de l’index ». C’est bien, mais j’ai bien peur que ça ne suffise pas. En Flandre, les socialistes ont cédé depuis longtemps au chant des sirènes de la compétitivité. La percée de Bart De Wever a quelque peu radicalisé leur discours, mais c’est trop tard maintenant, le ver est dans le fruit, la Flandre est gagnée par le paradigme du chacun pour soi individuel et communautaire et de la prééminence des lois du marché. Les nouvelles voix de gauche, s’il y en a, se partageront entre Groen et (un peu) le

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PVDA+, le pendant flamand du PTB-GO. Le communisme n’est pas « aux portes » de la Flandre comme l’a affirmé Bart De Wever à propos de la Wallonie, pour vous donner un exemple de sa rhétorique anxiogène.

J

’étais donc en train de me torturer les méninges depuis deux jours, jouant au plus serré avec la date butoir en faisant patienter une fois de plus rédacteur en chef et secrétaire de rédaction, quand la nouvelle est tombée comme un coup de tonnerre dans un ciel serein : Bart De Wever est mort ! Je me suis précipitée sur le JT de la RTBF qui avait dépêché un envoyé spécial en Bretagne où Bart passait quelques jours de vacances avec son épouse Veerle qui se remettait doucement après avoir frôlé la rupture d’anévrisme. Décidément, il y a des gens qui n’ont pas de chance ! Heureusement pour eux, nos soins de santé sont encore de qualité tout en restant abordables, un résidu du « modèle socialiste » que les néo-tatchériens flamands veulent éradiquer à tout prix. Le journaliste se tenait debout devant la maison d’hôtes à Briec où résidait le couple et dont nous ne verrions que la clôture bleue (en boucle et sur tous les postes,

flamands et francophones), car il ne se passait rien, et pour cause puisque Bart avait été emmené en urgence à l’hôpital de Quimper, la ville la plus proche. Ne reculant devant aucun sacrifice, la RTBF avait envoyé un autre journaliste devant ledit hôpital où il ne se passait rien non plus, puisque le pauvre Bart avait déjà trépassé. Ce troisième malaise avait eu raison de lui… Voilà qui changeait la donne ! Sans Bart De Wever, la N-VA allait-elle encore gagner les élections ?! Certainement pas avec Liesbeth Homans qui malgré tous ses efforts n’arrivait décidément pas à faire remonter ses commissures de lèvres en un sourire avenant et convaincant (voir ma chronique d’avril) et pas non plus avec un Ben Weyts, autre second couteau N-VA qui veut obliger les chômeurs à vendre leur maison avant de leur octroyer une allocation…. Désormais il n’y aurait plus

de patron pour le ramener à l’ordre et à la raison. Dire qu’on va confisquer sa maison à un Flamand, même chômeur, quelle bourde ! Surtout quand on se targue d’être un parti « social ». Attention, pas « socialiste », « social ». Vous saisissez la nuance ? C’est pourtant simple, prenez les chômeurs, eh bien en limitant l’allocation chômage dans le temps, on active leur travail. Ben oui, c’est évident, comme deux et deux font quatre. Et le travail c’est quand même aussi, si pas plus important pour la dignité de l’Homme que le revenu. Arbeit macht frei, non ? Donc, il faut récompenser le travail (de préférence, en baissant les charges) et pas le chômage. Ça c’est du social, tandis que le PS lui ne veut qu’une chose, plus d’allocataires sociaux qui voteront pour eux. Ça c’est le socialisme. Nuance. Sachez que le même Ben Weyts, avons-nous appris récemment, a deux petits cochons ventrus ou plutôt deux petites cochonnes dont il est très fier. Elles s’appellent Mignonette et Côtelette. Dans un documentaire d’Eric Goens – « Schild en vriend », diffusé sur la Vier et RTL pendant la campagne – il raconte qu’il avait d’abord pensé les appeler Laurette et Joëlle, mais il s’est ravisé quand il a

vu l’ardeur que ces petites bêtes mettaient au travail, et ça, ça n’est pas compatible avec le PS, n’est-ce pas. C’est clair, sans leur leader, la N-VA ça ne pèse pas lourd.

A

lors, adieu nain jaune ? Adieu confédéralisme, adieu séparatisme? Adieu verandering ? Un homme (ou sa disparition) peut-il changer la face du monde ? J’en étais là de mes cogitations, quand j’ai entendu Hadja Lahbib annoncer qu’un registre de condoléances serait ouvert à l’Hôtel de Ville de Vilvorde. Vilvorde ? Sur quoi je me suis réveillée en sursaut. J’étais allongée sur mon divan et la télé était allumée. Un journaliste était en train d’interviewer des passants dans le quartier Meiser, et tous disaient qu’on avait perdu un « grand homme d’État » « qui a fait beaucoup pour la Belgique ». Pour la Belgique ? J’ai fini par comprendre. JeanLuc Dehaene, un géant de la politique belge venait de mourir de façon inopinée en Bretagne où il passait quelques jours de vacances avec sa femme Celie. Le nain jaune, lui était bien vivant, qui me narguait en brandissant ses doigts en V. n

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activités vendredi 6 juin à 20h15

vendredi 13 juin à 20h15

Jean-Marc Izrine

Repères pour l’Ukraine

présentera son livre

Conférence-débat avec

Les libertaires du Yiddishland

Aude Merlin,

Militant associatif à Toulouse, membre d’Alternative libertaire et syndicaliste, Jean-Marc Izrine est également l’auteur du livre Les libertaires dans l’affaire Dreyfus.

et

Jean-Marc Izrine sort de l’oubli la mouvance anarchiste juive, largement méconnue. Issus pour la plupart de Pologne et de Russie, les anarchistes juifs ont continué à militer dans leurs pays d’immigration. Ils ont participé à la Révolution russe, à la République des conseils ouvriers de Bavière, à la guerre d’Espagne. L’auteur analyse leur rapport à la culture yiddish et au sionisme et rappelle l’existence d’une presse libertaire en yiddish. Introduction : Daniel Liebmann PAF: 6 €, 4 € pour les membres, tarif réduit: 2 €

dimanche 8 juin à 10h30

Christian Israel Exposition WARSAWARSAW au Musée Juif de Belgique Visite guidée par l’artiste L’artiste Christian Israel propose par des photographies, des œuvres graphiques et textuelles, des sculptures et un film, un parcours à travers l’imagerie et l’information historiques dans ce qu’elles peuvent avoir d’abstrait et d’absurde mais aussi dans la difficulté d’appréhension d’une réalité passée. Des objets qui se formulent en maisons translucides ; des textes ou des mots qui semblent devenir des formes énigmatiques et qui, par un jeu de permutations, s’ouvrent à d’autres sens. Dans l’exposition WARSAWARSAW, le nom de la ville de Varsovie devient structure, une sorte d’onomatopée, un non-sens mitraillé, qui s’ouvre sur les questions du façonnage des images et de la nature des images manipulées.

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chargée de cours en science politique à l’ULB

Nicolas Bárdos-Féltoronyi, professeur émérite de géopolitique à l’UCL

qui traiteront respectivement de la société ukrainienne dans le contexte postsoviétique et des chances de maintien de la neutralité ukrainienne entre les grandes puissances « En Ukraine, avant comme après les événements, trois questions restent ouvertes. Le nouveau gouvernement sera-t-il capable de surmonter les difficultés économiques de nature structurelle : l’endettement élevé surtout à l’égard des banques européennes, la dépendance en matière énergétique des multinationales russes et la corruption périlleuse de l’économie du pays, notamment sous l’empire des multinationales locales. Comment réussira-t-il à affronter les tensions et politiques et économiques entre les différentes parties du pays face aux « réformes » du FMI qui, en cas de l’application de ces dernières, ne feraient qu’accentuer ces tensions, et face aux rapports de force anti-ukrainiens entre les grandes puissances ? Comment empêchera-t-il le retour des dirigeants corrompus précédents tel que celui de Timoshenko et d’autres personnages douteux, et réduira-t-il l’influence des droites extrêmes ? » N. Bárdos-Féltoronyi Modérateur : Jacques Aron PAF: 6 €, 4 € pour les membres, tarif réduit: 2 € Mardi 10 juin 2014 à 12h30 au Musée Juif de Belgique rue des Minimes 21 – 1000 Bruxelles

Jacob Israël de Haan : chroniques de la Palestine des années vingt par Laurent Vogel (ULB) Jacob Israël de Haan (1881-1924). Militant politique, son parcours va du Parti ouvrier social-démocate des Pays-Bas à l’Agoudath Israël en passant par la défense des prisonniers en Russie tsariste et le sionisme religieux du Mizra’hi. Poète lyrique du peuple juif et du désir homosexuel, romancier, juriste, chroniqueur, collaborateur des pages enfantines de la presse socialiste. Un et multiple, avec une cohérence profonde, souterraine qui évoque les sources qu’il retrouve à Jérusalem. Ses chroniques de Palestine, publiées entre 1919 et 1924 dans la quotidien Algemeen Handelsblad, décrivent une société où Juifs et Arabes ne portent pas encore le poids d’une identité nationale sans faille.

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activités club Sholem-Aleichem samedi 21 juin à partir de 12h au Bois de la Cambre

(plaine à côté du Théâtre de Poche) Journée sportive intergénérationnelle Pour clôturer l’année 2013/2014 et avant notre départ pour le camp, l’UPJB-Jeunes vous convie tous à vous joindre à l’habituelle journée sportive intergénérationnelle. Nous insistons sur le terme afin que chacun d’entre vous, jeunes et moins jeunes, vienne se défouler aux incontournables parties de crix. volley et grens. Au programme : pique-nique, farniente (pour les moins sportifs), et sport. En espérant s’y retrouver nombreux cette année, échauffez-vous, nous vous y attendrons avec plaisir. [Quant à nous, l’UPJB-jeunes, nous prendrons la route de la Normandie du 30 juin au 13 juillet pour notre grand camp d’été. L’équipe de moniteurs, l’intendance et Julie se font un plaisir à y retrouver tous les enfants pour deux semaines de nouvelles aventures, de découvertes, d’échanges et de moments festifs.]

dimanche 22 juin de 10h30 à 17h Dernier atelier créatif collectif de la saison Cet atelier propose de partager un moment créatif/récréatif. Nous terminerons la saison par une séance de mosaïque. En quelques heures, vous pouvez découvrir une technique et le plaisir de réaliser quelque chose selon votre idée... Matériel à apporter : support plat (plateau, assiette, sous plat,...), déchets de vaisselle, carrelage, boutons, coquillages, etc... Inscriptions : upjb2@skynet.be Renseignements : bettinabra@gmail.com PAF: 10 € - Petite restauration prévue

Sauf indication contraire, les activités du club Sholem Aleichem se déroulent au local de l’UPJB tous les jeudi à 15h (Ouverture des portes à 14h30)

Jeudi 5 juin

Projection de Merlemont se souvient, un film de Benoit Derue, journaliste à Canal C. Ce film a été réalisé à l’occasion de l’inauguration d’une stèle érigée à Merlemont le 16 décembre 2012 à la mémoire de trois familles juives victimes de la barbarie nazie. Les pères furent embauchés au travail obligatoire dans les carrières de la Dolomie et les mères déportées et exécutées dans les camps de la mort. Le film relate l’inauguration et interviewe Bella Wajnberg Szriftgiser qui complète ainsi son parcours déjà amorcé par le livre de Marie-Noëlle Philippart, Eté 1942. Des étoiles jaunes à la Dolomie.

Jeudi 12 juin

Projection de Ajami, un film de Scandar Copti, citoyen palestinien et Yaron Shani, Juif israélien. Les deux co-réalisateurs, submergés par la violence de leur réalité respective, plongent ensemble dans le monde des habitants du plus grand quartier arabe de Jaffa... histoire de destins croisés dans une ville déchirée...  Le film débutera exceptionnellement à 14h30 et sera présenté par Adi Raz.

Jeudi 19 juin

Grândola, Vila Morena. La chanson de José Alfonso qui a donné à la radio le signal de la révolution des Œillets au Portugal le jeudi 25 avril 1974. Jean Lemaître, journaliste et enseignant à l’IHECS (Institut des hautes études des communications sociales) viendra présenter son livre commémorant le 40ème anniversaire de cette révolution pacifique.

Jeudi 26 juin

Pour clôturer la saison, André Reinitz, notre ami fidèle, talentueux musicien et conteur nous animera dans une ambiance chaleureuse dont il a tous les secrets. Après la dégustation du goûter fait maison, nous ferons un bilan des activités passées et des propositions pour la saison prochaine !

À la recherche d’archives privées

Dans le cadre d’un doctorat portant sur les relations entre immigrés d’origine juive et Belges, je suis à la recherche d’archives privées de personnes d’origine juive étant arrivés en Belgique entre 1889 et 1914. Ce doctorat que j’ai entamé au centre de recherche sur l’antisémitisme à Berlin s’intéresse aux conséquences de la Première Guerre mondiale sur les représentations de l’étranger par les Belges. En effet, les récits nationaux de la guerre ainsi que le durcissement des politiques de naturalisations témoignent d’une redéfinition de l’identité nationale. C’est dans cette optique que je retrace des parcours de vie d’immigrés à l’aide de leurs dossiers produits par la Police des Étrangers. Si ces archives sont riches, parce qu’elles m’informent sur l’attitude des fonctionnaires de la Sûreté Publique envers ces immigrés, elles donnent très peu le point de vue de ces derniers. Le but étant de donner une voix à ceux qu’on n’entend plus, les archives privées ont d’autant plus leur place dans cette recherche. C’est pourquoi je serais énormément reconnaissante, si certains d’entre vous possédant des archives privées (correspondance, photos) pouvaient me contacter. De même, je m’intéresse aussi aux anecdotes, récit de vie de grand-parents ou arrière-grand-parents. Un grand merci d’avance, Yasmina Zian Yasmina.zian@mail.tu-berlin.de Zentrum für Antisemitismusforschung, Technische Universität Berlin

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écrire Une mèche de cheveux elias preszow

«  E. est en train de tomber amoureux de moi : c’est pour ça qu’il m’attire moins. Un de ces jours, je vais lui dire qu’on ne va plus se voir parce que je ne peux pas l’aimer, je ne peux aimer personne, je suis déjà très loin, très malade. » Comment interpréter ce signe ? était-ce un vrai ou un faux mouvement ? Le lustre a littéralement explosé, se brisant en mille morceaux sur le sol de notre salon, dans la lumière du matin. Vent frais, un simple coup de bâton, et me voilà sonné, tout tremblant. C’est la deuxième fois en moins d’un mois qu’une lampe manque de m’occire pour de vrai et je suis là, presque calme, à regarder fasciné le sang en train de tacher le revêtement couleur chair qui court sur toute la surface de l’appartement. Ici, chez mon père. Et s’il n’avait pas été là pour me conduire à la pharmacie, puis à la Polyclinique Baron Lambert, puis enfin aux urgences de l’Hôpital d’Ixelles, pour recoller la coupure… s’il n’avait pas été présent, c’est simple, jamais il n’y aurait eu ni coupure, ni hôpital, ni,… etc., etc… on en prendrait presque ombrage. Alors, ce bâton, pourquoi grand dieu, l’avaisje entre les mains ? Sans doute pour me tenir à l’écart d’un livre. De la puissance irrésistible qu’un livre exerce sur moi. Pas même un livre en fait. Une voix. Une voix recueillie dans un journal : morcellement de textes, de notes, fragments, la voix d’Alejandra Pizarnik. Années 1951-1971, publié

chez Corti, dans la belle collection Ibériques. On ne met pas longtemps à découvrir en quoi ce journal a l’épaisseur fragile de la nécessité : le mystère de son suicide est brûlé dès la préface par la traductrice, Silvia Baron Supervielle. C’est la photo qui m’a attiré, tout de suite. Le visage de cette jeune femme. À demi tourné vers le lecteur, elle pioche, distraitement, de sa main droite, un livre dans les rayons d’une bibliothèque, en noir et blanc. Toute proche, là, avec son col roulé, son costume sans manche, le sourire vague et ses sourcils hauts levés. Et je me suis fait une de ces drôles de remarques, du genre difficile à exprimer : ce qui passe entre deux corps, deux esprits. La distance ? On peut lire ce journal comme un roman. Dans une vie comme celleci, tout demande à être deviné, médité, malaxé ; tout est de part en part dramatique. Et en même temps, tout semble aussi extraordinairement plat. Creux. Vide. On étouffe. On attend. « Combien de temps vas-tu tenir ? », c’est ce qui vient à la bouche après chaque fin de paragraphe. Comment peut-on supporter d’être aussi lucide, sur soi-même, sur les autres ? Aussi dangereusement fiché en soi. Il y a comme une logique, une arithmétique vertigineuse, qui préside au mouvement d’une telle écriture et qui la porte, quasi naturellement, à l’acte ultime de mettre fin ; pour débuter enfin sa carrière. Sa vraie vie, l’absente. Cela hante constamment l’écriture, lui

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donne en quelque sorte sa spécificité inimitable, son ton propre, sa musique intérieure. C’est ainsi que le temps ondulait, à mesure que le bâton secouait l’air, le fendant quelques fois, mimant l’invisible, parfois même le provoquant : le péril des lettres troqué l’espace d’un instant contre quelque calligraphie aérienne sans le moindre vérificateur orthographique. Sorte d’hommage absurde à la bègue aux allures de fantôme. La question n’est pas de savoir lire. Elle n’est pas, elle n’est plus… N’est-ce pas franchement terrible ? Pourtant on ne joue pas impunément avec certains spectres. Et encore, à l’heure actuelle on ne compte que deux lustres… Voilà, les Juifs ont affaire avec le silence parce qu’ils sont seuls. Je parle de ce qui réside de typiquement juif dans le mot Juif. Je ne parle pas, je rêve : je rêve du Juif, de cette sorte de Juif écrivant, lisant, racontant. Je ne rêve même pas, je tombe à la renverse devant l’évidence de la judéité de cette femme, « une errance nue », et cela m’apparaît si extraordinaire, si idiot et si vulnérable que je ne vois pas quoi répondre. Alors je chute, je m’éclipse. La ressemblance de son visage, l’étrangeté de son corps. La solitude de ses traits. Ses troubles de la nutrition, son appétit de savoir. Son inconstance obstinée. Enfin, cette dissolution d’elle-même, cette ivresse, qu’elle ne peut s’empêcher de chercher, de rechercher, au travers des textes des autres ;

qu’elle tente de réaliser dans sa propre entreprise d’écriture. Ce n’est pas du tout une adolescente, c’est une enfant, ou une ancêtre, qu’on y prenne garde. Les cloches peuvent sonner autant qu’elles veulent, ça ne changera rien. Son raffinement inouï

est touchant à l’extrême, un frisson de folie, de désir, de nuit. De pureté inaccessible. Car plus rien n’est assez pur sur cette terre empoisonnée jusqu’à la moelle, cette terre lasse. Et l’amour ? Une plaisanterie littéraire, lorsque l’autre ne cesse d’échapper devant nos

propres pas de côté extravagants. Bref, il faut se laver les mains pour manier le bâton ; il faut se laver les mains avant d’ouvrir le livre. Mais il ne faut rien,… alors, par courtoisie, Alejandra se donne la mort, à trente-six ans, le 25 septembre 1972. Je ne sais pas. J’oublie. L’emplacement du bâton est là, côtoyant les restes du lustre brisé, ils sont des menaces, des repentirs : prétextes à écriture, tentatives d’assassinat. Le salut viendra du poste radio. « 6 mars. J’ai rêvé que je chantais. Je chantais avec quelqu’un qui trouve sa voix dans la nuit. Ensuite, je me suis réveillée et j’ai chanté plusieurs heures devant la glace. Pour entendre enfin ma voix dansante, flexible comme une corde terrible, j’ai gardé ma voix nouée en moi comme la corde ‘un suicidé’, pendant si longtemps, ma voix définitive s’est dressée comme un nid de fis rigides, coincée dans ma gorge, terrible érection, impossibilité de quelque mouvement, de quelque geste, de quelque communion. J’ai chanté plusieurs chansons, je ne sais plus lesquelles. C’a dû ressembler aux premiers pas d’une fille qui se décide à danser, la paralytique qui fait ses adieux à l’inertie, la trop assise, l’éternelle assise dans son fauteuil à épine, qui s’en va enfin, à son rythme, qui s’en va enfin et tombe dans son espace. » n

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mémoire(s) Il était une fois l’histoire tragique de Natan et David ariane bibrowski Des petits pavés en bronze fleurissent un peu partout dans la ville, dans les quartiers où jadis habitaient des Juifs, autour de la gare du midi, dans le triangle, les Marolles, à Saint-Gilles… Ce sont des pavés de la mémoire. Ces pierres qui ici et là accrochent le regard et arrêtent notre course, ces Stolpersteine, ces pierres d’achoppement qui nous rappellent qu’ici vécurent des personnes que la Gestapo un jour, est venue chercher pour les amener à Auschwitz et dont elles ne reviendront pas. C’est ce qui est arrivé à Natan et David Bibrowski. Une histoire tragique parmi d’autres, que nous raconta de façon poignante leur nièce, Ariane Bibrowski, lors de l’inauguration de leurs pavés ce mardi 29 avril au 39 de la rue Memling à Anderlecht.

U

ne expression dit : «  être né sous une bonne étoile ». L’étoile de Natan et David ne l’était pas, elle était

jaune. L’histoire commence en Pologne. Les ancêtres sont honnis par leur concitoyens, parce que Juifs. Lassés d’être taxés, harcelés, en quête d’un avenir meilleur, ils émigrent vers la Belgique. Le grand-père, le rabbin Horschstein est nommé grand rabbin de la communauté orthodoxe de la capitale. Il officie dans la superbe synagogue, ici derrière le coin. Sa fille, Ève, épouse Moïse, l’administrateur de cette synagogue, le gabe, dit-on en yiddish, leur langue maternelle. Trois fils naissent de cette union. Des garçons... ils sont bénis ! Henri, Natan et David sont éduqués dans le respect des traditions Rapidement, les trois frères assimilent la langue française. Ils apprécient ses auteurs classiques.

Leur bibliothèque richement fournie en atteste. L’aîné, Henri, mon papa, milite au Parti ouvrier belge. Le Dror, mouvement de jeunesse sioniste de gauche naît de son initiative. ​Les deux plus jeunes, Natan et David, s’engagent aux côtés des communistes. Natan le paie en étant chassé du territoire. Il retrouve d’autres exilés trotskistes à Paris. Henri réussira à rapatrier son frère en Belgique, avec l’aide d’un avocat. Étrange parcours pour de jeunes religieux ! Qu’en pensent les parents, bourgeois conformistes, religieux et respectés ? Trois frères militants actifs qui rêvent d’un monde meilleur Le bruit des bottes s’amplifie. Les Allemands envahissent la neutre Belgique. Henri rencontre Anna. Ils sont jeunes et beaux. Ils se marient à l’hôtel de ville de Bruxelles Le couple se distingue des

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autres par l’étoile jaune sur la poitrine. Ensemble, ils décident la résistance. Henri rencontre des jeunes dans la forêt. Pour leur enseigner la culture juive. Transmettre un savoir à ceux dont les parents ont disparu. Aux Juifs cachés, il amène des livres de la bibliothèque. Vecteur de culture toujours… Bientôt ils doivent se cacher. Un commissaire de police de Molenbeek sera leur sauveur Natan et David, eux, sont désignés pour le travail obligatoire. Perspicaces, ils ont trouvé un paysan prêt à les cacher. Ils ne veulent pas être des proies. Les parents, angoissés qu’on ne se venge sur eux les pressent de se présenter Une carte postale pour rassurer la famille témoigne de leur passage à la caserne Dossin de Malines, antichambre de la déportation. Les archives allemandes nous

apprennent qu’on les a emmenés par le train du deuxième convoi, le 8 Août 1942 vers Auschwitz. Aller simple… Ils ne sont pas revenus… La guerre se termine. Seules restent trois photos, une énorme bibliothèque pleine de leurs lectures, la désolation des parents, la culpabilité de leur frère. Leurs noms jamais ne sont prononcés dans la famille Henri et Anna rêvent d’émigrer

petit atelier. Anna prend la route et les vend. Les parents vieillissent. Henri reprend leur négoce. Il devient le grossiste de la nourriture cacher en Belgique Il vend dans les petites épiceries typiques et si folkloriques qui ont la saveur du passé perdu. Leur maison est grande. L’espace libre du premier étage sera loué à un groupe désireux d’adapter les traditions juives à la

en Israël. Les parents les supplient de ne pas les abandonner. Henri aime écrire. Il devient correspondant, du journal yiddish de France, Undzer Vort, Notre Parole. Lui dont les parents ne parlent presque plus ! Il y relate les chroniques de la vie juive en Belgique. Ses articles sont conservés comme archives à l’Université libre de Bruxelles. Témoignages d’une époque de la vie juive et culturelle de la Belgique d’après guerre. Tout en écrivant ses chroniques, Henri fabrique des gants dans son

société moderne. La synagogue libérale, bien connue actuellement, est donc née dans cette belle maison. Henri est connu dans la ville. Il est apprécié de tous La maison est un carrefour informel de la vie juive. Les uns viennent l’informer d’un évènement à mentionner dans le journal. Les autres viennent chez le grossiste acheter des mets pour les fêtes. Tous se croisent et échangent. Les jours de fête juive, la synagogue résonne des chants millénaires, que j’entends le soir de ma

chambre à coucher ! Insolite, je vous le dis... Henri, infatigable, est également actif dans le Parti sioniste de gauche. Les soirs et les week-end sont comblés par de nombreuses réunions politiques. Issu de l’orthodoxie la plus pure, le voici transporté vers les rebelles de la religion et de la politique. Cette vie très remplie a été coupée trop tôt Henri, mon papa, s’est écroulé trop jeune. Le coeur brisé (peutêtre) par la douleur contenue d’un deuil infaisable. La question lancinante reste. Quelles auraient été la vie et les réalisations de Natan et David ? Ils étaient si jeunes. En me remémorant la vie si remplie d’Henri, ma pensée flotte et imagine les multiples possibilités. Rêveries infinies… Durant notre enfance, jamais on ne parlait de ses oncles héroïques. Chacun de nous trois a été hanté par leur fantôme, les a rencontrés dans ses rêves. Aujourd’hui, enfin briser ce silence oppressant. Entourée de ma famille, de ma chère maman, et de vous mes amis, je suis très émue d’évoquer enfin ceux que je n’ai jamais osé appeler « mes oncles », que je n’ai pas connus et qui me manquent. David et Natan n’ont pas eu le temps d’avoir des descendants, de laisser une trace. Seule trace, ici : ces petits pavés en bronze ! La révolte remonte en moi. Je parle à un pavé sur le sol, plutôt qu’à mon oncle. Deux pavés en bronze, plutôt que deux oncles en chair et en os. Pourquoi ? n

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vie de l’upjb 20 avril 2014 Commémoration de l’insurrection du Ghetto de Varsovie

Au sein du Mémorial

Comme chaque année, nous avons commémoré l’insurrection des habitants du ghetto de Varsovie, au Mémorial aux Martyrs Juifs à Anderlecht, entouré de 23.839 noms de nos disparus. 23.838 noms sur un mur en guise de sépulture. En célébrant la révolte du ghetto de Varsovie, nous voulons rendre hommage à toutes les victimes et plus particulièrement à ces jeunes Juifs de Varsovie, qui se sont soulevés pour nous rendre notre dignité d’humains, car tout génocide concerne l’humanité entière. Les insurgés du ghetto en étaient conscients, qui s’adressèrent en ces termes au monde hors du ghetto « (…) nous nous battons pour notre liberté et pour la vôtre, pour notre honneur et le vôtre, pour notre dignité humaine, sociale, nationale et la vôtre. » Pour nous, à l’UPJB, ces temps de commémoration, ces temps qui reviennent d’une année sur l’autre, nous constituent et nous fondent. Nous y attarder, c’est donner sens collectivement à notre histoire, à l’Histoire, en restant ouverts sur le monde de façon solidaire. Comme chaque année, nous avions des invités, qui, de par leur histoire, ont ce triste privilège de partager avec nous ce moment de recueillement. Il y a 20 ans exactement, en ce même mois d’avril eut lieu cet autre génocide, le génocide rwandais. Près d’un million d’hommes et de femmes Tutsis, parce qu’ils étaient Tutsis, furent massacrés sous les yeux indifférents de la communauté internationale, celle-là même qui s’était engagée après le judéocide à ce que non, « plus jamais », « plus jamais ça », plus jamais le monde ne laisserait faire « ça ». Emmanuel Gatera était un de ceux-là. Nous lui avons donné la parole ainsi qu’à Viviane Lipzstadt animatrice du groupe « Identité Tutsi » au Service Social Juif. Anne Grauwels

C Devant le Monument aux Résistants juifs, Ignace Lapiower et Bernard Fenerberg, anciens Partisans armés.

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Intervention de Viviane Lipsztadt

e 7 avril dernier se commémorait le 20ème anniversaire du génocide des Tutsis du Rwanda. Rappelons-nous qu’entre le 7 avril et la fin juin 1994, en 100 jours, ce fut un peu plus de 1 million de Tutsis et de Hutus Modérés qui furent mis à mort dans la barbarie la plus indescriptible, aux yeux de tous et dans l’indifférence générale. « Le génocide des Tutsis nous confronte à notre propre échec en tant que Juifs. Nous fûmes les

premiers à avoir crié haut et fort « plus jamais ça ! » *. En 1994, tout le monde savait, et nous, comme les autres, n’avons rien fait ! Impossible pour nous de ne pas s’interroger sur les rapports de continuité entre la passivité générale des Occidentaux lors du génocide des Tutsis et leur indifférence antérieure face à ce que fut l’antisémitisme nazi. Au printemps 1994, la « communauté humaine  » resta une fois de plus indifférente à la violence et aux massacres. Non plus

contre nous les Juifs mais contre d’autres. Cette fois, c’était au tour des Tutsis d’être massacré par les Hutus du « Hutu Power » dans l’abandon et la déréliction de l’humanité entière. Dans les journaux, à la radio comme à la télévision, on a beaucoup parlé de cette vingtième commémoration et pourtant, rares furent les moments où l’on entendit prononcer les mots « génocide des Tutsis ». Il nous faut donc encore et toujours continuer à dénoncer l’amal-

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➜ game falsificateur d’un mythique «  génocide rwandais  » et obtenir enfin que l’on nomme « le génocide des Tutsis ». Oui, ces Tutsis furent tués parce qu’ils étaient tutsis et non parce qu’ils étaient rwandais. De même, continuons à rejeter catégoriquement la théorie du «  double génocide  », une falsification de l’histoire qui voudrait que pour faire « bonne mesure  » dans l’horreur, les Tutsis aient eux aussi massacré des Hutus. L’un massacrant l’autre et réciproquement. Il n’y a rien de plus faux et aucune réalité de terrain ne permet de tenir de tels propos. Seuls les Tutsis furent systématiquement massacrés. Ce n’est pas un « privilège » que de se déclarer victime. C’est une réalité. Alors, bien sûr, certains Hutus que l’on nomme « Hutus modérés » furent mis à mort. Mais ils le furent non pas parce qu’ils étaient Hutus mais bien parce qu’ils étaient modérés. Ceux-là doivent être honorés et respectés par nous tous. Nous devons nous rappeler leur courage, leur dignité et leur humanité.  8 ans après la fin du génocide, en 2002, j’étais alors assistante sociale au Service Social Juif de Bruxelles, nous avons reçu la visite du Président de l’Association Ibuka-Mémoire et Justice qui perpétue la mémoire du génocide des Tutsis. Il nous demanda de venir en aide aux rescapés du génocide venus se réfugier en Belgique. C’est pour pouvoir bénéficier de l’expérience de travail que nous avions eue avec les rescapés de la Shoah que Ibuka fit appel à nous, nous identifiant comme potentiellement capables d’aider la communauté tutsi vivant en diaspora à se reconstruire.

avec un psychologue du Centre Exil, nous débattons avec les participants du Groupe sur les tensions qui existent entre leur modèle culturel d’origine et celui auquel ils sont confrontés en Belgique, particulièrement au niveau de l’éducation des enfants. La vie des survivants tutsis, douloureuse bien sûr, car comment faire lorsque vos parents, vos frères, vos sœurs, vos tantes, oncles, neveux et nièces ont péri sous les coups de machette, je-

tés vivants dans les latrines, femmes violées par des Hutus atteints du sida et utilisant leur maladie comme arme de guerre sur des femmes tutsi, jetés dans le fleuve… eh bien ces survivants tutsis vivent aujourd’hui en devant intégrer cette réalité innommable. Ils n’ont pas le choix. Mais ils vivent, et nous, Juifs, ayant connu ou pas un génocide, même s’il n’a pas revêtu les mêmes caractéristiques, nous savons de quoi ils parlent mais aussi peut-

être ce dont ils ne parlent pas. À vous tous, chers amis Tutsis, nous voulons affirmer en ce douloureux 20ème anniversaire du génocide des Tutsis notre soutien indéfectible, notre solidarité, notre compassion et notre amitié. n * Extraits d’article « L’acacia fleurit et l’égorgeur égorgea », Rabbin David Meyer et Viviane Lipszstadt, La Libre Belgique, 26/04/2007.

Intervention d’Emmanuel Gatera De gauche à droite, Emmanuel Gatera, Viviane Lipsztadt et Anne Grauwels

Nous n’étions pas la première organisation juive à marquer notre profonde solidarité avec les survivants tutsis, L’Union des Progressistes Juifs l’avait fait avant nous sous d’autres formes déjà. Le Service Social Juif décida donc d’agir en offrant aux rescapés un soutien psycho-social, tant individuel que collectif, ainsi qu’une assistance administrative dans toutes leurs démarches de demandes d’asile et d’intégration sociale. Le Groupe « Waramutse », formé de femmes tutsi isolées, se constitue alors. Tenant réunions dans nos locaux, il participe aussi occasionnellement à nos activités, ce qui lui permet de rencontrer des survivants de la Shoah ainsi que les divers publics nonjuifs fréquentant le SSJ. Plus tard, suite à une conférence donnée par le Rabbin David Meyer sur la transmission de la souffrance liée à un génocide et sur la manière d’intégrer ces

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évènements dans une vie rituelle, naîtra un espace de rencontres régulières, «  le Groupe Identité Tutsi », avec des jeunes travailleurs et des étudiants tutsis sur le thème de l’identité, une question permanente que nous connaissons bien dans la communauté juive. Les participants y évoquent tour à tour l’effroyable réalité de « leur génocide », le sens d’être Tutsi, comment garder ses racines, sa culture, ses rites. Au fil des années, ces jeunes travailleurs, ces étudiants ont trouvé du travail, se sont mariés, ont eu des enfants : la vie reprend ainsi ses droits. Les questions abordées au sein du groupe se différencient du début pour faire place aux questions de la transmission. Comment dire ce que cela fut aux enfants, ou peut-être ne pas dire ? Comment leur répondre lorsque confrontés à l’école aux fêtes des « grands-parent », ceux-ci ne sont pas là ? Aujourd’hui, en tandem

C’est un grand honneur pour moi d’être parmi vous aujourd’hui. Comme a dit Gandhi : « ceux qui ne se souviennent pas du passé sont condamnés à le revivre ». Si nous sommes ici aujourd’hui, c’est que nous voulons nous souvenir de ce qui s’est passé lors du soulèvement du ghetto de Varsovie en avril 1943 où les Juifs furent rassemblés et déportés vers les camps d’extermination nazi. Je voudrais rendre hommage à tous les martyrs juifs, ces jeunes qui ont résisté, lutté contre les forces du mal absolu nazi jusqu’à leur dernier souffle. Apres la Shoah, le monde avait dit «  plus jamais ça  !  », mais en Avril 1994 l’humanité a failli encore ! Plus d’un million de Tutsis au Rwanda furent exterminés par des Hutus pendant 100 jours, depuis le 7 avril 1994. Ils n’étaient coupables de rien, si ce n’est que d’être nés Tutsis. Tous les Tutsis étaient condamnés à disparaître à tout jamais au Rwanda par le pouvoir des Hutus,

mais ils n’ont pas réussi à nous éliminer complètement, nous existons toujours ! J’ai perdu presque tout les membres de ma famille, j’ai juste un frère qui a survécu, alors que nous étions très nombreux. Plusieurs milliers de Tutsis de ma région natale de Bugesera, composée de 3 communes, ont été rassemblés dans des églises et y ont été sauvagement massacrés, coupés en morceaux avec des machettes, nos maisons furent incendiées, détruites et nos biens furent pillés. Moi-même et quelques rares survivants avons lutté, durant 35 jours et nuits, en nous cachant dans des marais dans des conditions indescriptibles, nous étions toujours pourchassés, tués sans pitié, du bébé au vieillard ! Par miracle, l’armée du FPR Inkotanyi a pris le contrôle de notre région le 15/05/1994 et nous a sauvé la vie. 20 ans après le génocide des Tutsi, des rescapés se reconstruisent encore. Ils sont partout

(au Rwanda, en Europe, aux États-Unis d’Amérique, au Canada, en Australie, et ailleurs). Ils ont quasiment tous fondé une famille, ils ont des enfants. Moimême, j’ai fondé ma famille et j’ai deux enfants ! L’existence des Arméniens, des Juifs et des Tutsis après le génocide est une victoire ! Ensemble, nous devons témoigner, éduquer nos enfants pour préserver la mémoire et construire un monde meilleur, de paix et de liberté. Oui, nous sommes Vivants, n’oublions Jamais ! n

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vie de l’upjb Les activités du club Sholem Aleichem Jacques Schiffmann et Thérèse Liebmann

27 mars. La crise économique et financière est-elle terminée ou pas encore ? par le Pr. Dr. André Sapir, économiste et professeur ​à Solvay (ULB). André Sapir est un universitaire actif dans les institutions européennes. De 2001 à 2004, il fut conseiller de R. Prodi, (Rapport Sapir sur la politique de croissance de l’Europe), ensuite jusque 2009 de J.M. Barroso, puis auprès de la BCE. On ne peut rêver plus informé et qualifié pour expliquer la crise actuelle et analyser les perspectives futures. Dès 2007, la crise financière a été celle de la dette, celle des États, des entreprises, des particuliers, et celle des banques, dont la situation début 2012, restait très fragile – on pouvait craindre la chute de l’euro. Fin 2012, la phase aigüe était passée, car la BCE, par la voix de Mario Draghi, s’est engagée à tout faire pour assurer la survie de l’euro et à acheter les obligations émises par les États du Sud en difficulté, Grèce, etc, qui se finançaient à des taux très élevés. Grâce à ce signal fort, les marchés financiers se sont calmés. La BCE, seul organisme européen indépendant capable d’agir de suite, a vaincu les spéculateurs et l’Europe est sortie fin 2012 de la crise financière. Aux USA, on en était sorti déjà en 2009. De 2009 à 2012, l’Europe des 28 états aux intérêts divergents, a été incapable de réagir en pleine crise, et a renâclé à la

solidarité, surtout l’Allemagne, qui avait déjà opéré début des années 2000 sa restructuration et qui ne voulait pas payer pour les erreurs des autres pays. Depuis, des réformes ont eu lieu, un cadre européen se met en place via la BCE, la situation financière est redevenue normale, les banques s’en sortent, avec quelques problèmes de stress-tests. Mais si un nouveau choc mondial survenait, elles pourraient redevenir à risques. Par contre, la crise de l’économie réelle, avec son taux de chômage élevé qui ne baisse pas, reste bien présente. L’Europe est affaiblie et la reprise y est lente et modeste, dans le contexte changeant de la globalisation mondiale, où la part des pays développés dans l’économie mondiale est passée de 63% en 2000 à moins de 50% en 2013. On est dans un cycle long de transition économique, où l’Europe, à la population vieillissante, n’est plus un moteur de croissance mondiale, celui-ci s’étant déplacé en Asie. L’Europe est confrontée à des choix et à des défis futurs sur ses dépenses publiques, que la crise a rendus difficiles. Que fautil faire?  Est-on capable de le faire avec 28 États si différents ? Quelle solidarité ? Comment en répartir les coûts? Faut-il conserver l’euro qui pénalise les États du sud, et garder un euro-mark fort, ou faire une Europe à deux vitesses ? Autant de questions délicates sans

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réponse globale! Cette crise étaitelle prévisible  ? Les conseillers économiques ont-ils été trop optimistes, ou aveugles ou naïfs  ? L’Europe a été avant tout un projet politique, pas seulement économique : les faiblesses et les incohérences étaient connues. Les corriger à l’avenir incombe au système européen lui-même. (JS) 3 avril. État des lieux des gauches en Belgique par Henri Goldman, rédacteur en chef de la revue Politique. Henri Goldman a été architecte, auteur-chanteur-compositeur, engagé très à gauche après mai 68, à Ecolo dans les années 80, puis journaliste puis attaché au Centre pour l’Égalité des Chances, puis… Il nous a parlé en tant que rédacteur en chef de la revue Politique, où cohabitent, débattent et dialoguent tous les courants de la gauche, en se respectant. Cette position indépendante d’Henri Goldman est devenue son substitut à un engagement de parti. La gauche, terme né à la révolution française a évolué vers le socialisme, qui envisage l’intérêt général du côté des dominés : les travailleurs, les femmes, les exclus, les colonisés, les immigrés, les générations futures. La gauche n’est pas que des partis politiques, mais un réseau d’organisations de la classe ouvrière  : syndicats, coopératives, mutuelles, mouvements culturels etc. qui ont été, après 1945, la ma-

trice de la sociale démocratie actuelle, réformiste et ayant renoncé aux références marxistes. Après le déclin du communisme, trois groupes constituent aujourd’hui la gauche politique en Belgique: le PS, les Ecolos, et la gauche radicale. De 45 à 75, les trente glorieuses, le niveau de vie a crû sans cesse et la social-démocratie a été l’agent du partage des fruits de la croissance, en négociant pour les travailleurs un maximum d’avantages en échange de la paix sociale. À partir de 1975 débute une longue période de régression, due d’une part à la prise de conscience écologique, de la nécessité d’une croissance limitée et durable, et d’autre part à la mondialisation, qui a délocalisé la production vers des pays à bas salaires. La social-démocratie, deux courants en Belgique, la laïque anticléricale et la catholique, ne négocie plus le partage des fruits de la croissance mais se bat contre les forces libérales dominantes pour freiner la régression des acquis sociaux. La gauche radicale critique le PS, trop intégré au système capitaliste et corrompu, car au pouvoir depuis très longtemps et dépourvu de ce fait d’un courant protestataire. Ce rôle va être joué par les différents courants radicaux qui, en raison de la crise, ont aujourd’hui le vent en poupe. Et les Ecolos, issus pour beaucoup du courant chrétien ? Après une période de ni de gauche ni de droite, ils se sont ancrés dans les valeurs de gauche par leur critique du productivisme. Entrés au gouvernement arc-en-ciel en 1999, cela a suscité d’âpres débats internes. Avec un score de plus de 10%, la nouvelle génération en a fait un parti de pouvoir, soucieux de réaliser ne fût-ce qu’une partie de son programme ! La gauche radicale, ni révolu-

Isaac Babel dans les archives du NKVD

tionnaire ni extrémiste, exprime une nouvelle réalité au plan européen. Issue des restes du Parti communiste, sauf en Grèce et au Portugal, ou de scissions de courants de gauche du PS et des Ecolos, elle comprend la LCR (Ligue communiste révolutionnaire), le PTB (Parti des travailleurs de Belgique) et Vega, les verts à gauche. Ces partis seront présents sur différentes listes aux élections prochaines. Merci à Henri Goldman qui nous a livré une foule d’informations sur l’évolution et les dirigeants des partis de gauche. Voter à gauche n’a jamais été simple ! Les membres du Club, plus informés après cette conférence, sauront faire leurs propres choix le 25 mai. (JS) 24 avril. Le destin tragique d’Isaac Babel, par Tessa Parzenczewski, chroniqueuse littéraire à Points Critiques. La conférencière a retracé l’itinéraire de celui qui fut un des plus grands écrivains russes du XXème siècle. Né à Odessa en 1894, Isaac Babel a été, dès son enfance, confronté à des pogroms. Il en fit

un récit poignant dans les Contes d’Odessa, recueil de nouvelles, où il décrit avec ironie les bas-fonds juifs de cette ville de Crimée. En 1919, il adhéra à la Révolution et devint correspondant de guerre en Ukraine et en Galicie. Il y récolta de nombreuses informations, notamment sur les shtetl, victimes de pogroms de la part des Cosaques. Il rassembla ses articles et ses réflexions personnelles dans un livre, Cavalerie rouge, qui fut traduit en plusieurs langues, même s’il n’a pas fait l’unanimité en Union Soviétique. Mais c’est surtout après 1936 qu’il y connut de terribles tourments car avec le décès de Maxime Gorki, qui l’avait apprécié pour son imagination débordante, il perdait toute protection. Après avoir été arrêté et torturé, il fut exécuté en 1940. Mais ses écrits, peu nombreux mais très denses, n’en cessèrent pas moins d’avoir un succès international. Tessa Parzenczewski nous a donné un aperçu du génie littéraire d’Isaac Babel en émaillant son exposé d’extraits significatifs, quelquefois poétiques et pathétiques, de cet auteur imaginatif au style percutant. (TL) n

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partager Cette rubrique, dévolue à la publication de textes, photos, dessins... reprend la suite de « Artistes de chez nous » qui était consacrée plus spécifiquement aux artistes issus de l’UPJB.

Récital Boxon (extrait) écrit et interprété par Maïa Chauvier, Mis en musique, composé par Marolito. Regard dramaturgique : Frédéric Thomas

Semira Survivre. Par des chants discontinus. Raconter ; être ce témoin qui a vécu ou n’a pas vécu. Dire l’inénarrable Née sur un territoire qui n’existe pas, Morte quand on ne trouve pas les détours. Être parmi les flammes, sous les pluies artificielles, les grandes machines escortées de boucliers et de matraques, carnivores de visages en plein jour. Une nuit, être parmi les torches, quand de l’intérieur des camps, on entend soudain les cris « liberté ». Cela se passe ici, cela se passe ailleurs, des barbelés, des foulards qu’on agite derrière des fenêtres… Alors ils ont rompu le silence, le cri ne suffisait plus, il lui fallait le geste… Ils ont brisé les barbelés. Pas tous. D’autres étaient dans des cellules en isolement total. Ils ont couru à travers les champs. Rompre avec la honte de ces barbelés. Sans compromis. Aucun. Ils ont migré, où sont-ils, dans quel pays, quelle importance ? Ils sont nés tant de fois, avec des noms multiples, devenus innommables. J’espère qu’ils balafrent les nations, qu’ils leur échappent, j’espère sans espoir. Les évasions sont rares… « Et puis, il y a les rencontres, les paysages qui nous marquent ou nous accompagnent. Les départs venus trop tôt. Les noms qui vivent en nous. Des corps qui battent la nécessité du bord du monde de témoigner. Sans avoir été les témoins. Parfois même nous sont-ils restés inconnus. Elle est cette voix sans visage qui résonnait au bout du fil… Jamais vue, juste entendue…lue dans ses lettres. Elle est cet appel sourd, elle a un nom, elle porte d’autres noms restés derrière les grillages, elle leur donne la force de résister…elle rêve de porter des chants, elle a vingt-deux ans, Son nom à elle, apparaîtra sur les premières pages des journaux pour un jour y disparaître définitivement: Sémira Adamu

Sémira Adamu, 6e tentative d’expulsion- stop. Les gendarmes filment – stop. Ils sont douze gendarmes - stop Dans l’avion, elle, assise, chantonne quelque chose – stop. Menottée, seule, elle chantonne – stop. Écran noir – stop. Sa tête maintenant écrasée dans un coussin ; elle, pliée en deux – stop. Ils la tiennent la maintiennent un genou sur son dos – stop. Ils la tiennent la maintiennent un genou sur son dos – stop. Cela dure encore cela dure toujours – stop. Ils plaisantent regardent si d’autres passagers arrivent – stop. Ils plaisantent – stop. L’un d’eux se pince le nez – stop. Ils vaporisent un spray – stop. [Le procès verbal indique que la victime a déféqué dans son pantalon – réaction normale face à la peur et à la douleur. Forme également de résistance pour empêcher l’expulsion] Mais ils la maintiennent toujours – stop. Sa tête écrasée dans un coussin on ne voit pas son visage – stop. On ne voit pas son visage – stop. Écran noir sur fond noir – stop stop. » Palais de justice, une grande salle, Unique témoin en dehors des tueurs : une sordide vidéo…l’indicible assassinat. Ils étaient douze. La salle est peuplée de gendarmes, ils essayent de bloquer l’entrée. Quand les images commencent, les pleurs de son amie déchirent le silence. Les images durent, insupportables. Elles disent tout, on pourrait arrêter l’audience. C’est la première fois que je vois son visage, elle chantait doucement entourée des gendarmes, menottée, avant qu’on ne lui mette la tête enfouie dans un coussin. Leurs rires, leurs blagues pendant qu’ils la tuent appuyés sur elle, dans la froideur scientifique la plus totale…pour eux le geste est banal. Ils sont munis d’un parfum vaporisateur pour faire partir les odeurs de défécation en cas d’étouffement. Ils font leur travail, voyez vous ? On ne peut pas décrire ce qui traverse nos corps et nos pensées quand nous observons que nous sommes dans une salle entourée de ce qui aurait pu être des gardiens de camps de concentration. On ne peut pas décrire ce qui traverse nos corps et nos pensées quand pour quelques mottes de terre, quelques grillages saccagés, quelques billets de bus non payés, nous nous retrouvons sur le banc des accusés avec les titres de « malfaiteurs », de « terroristes », de « bandes organisées militairement »…et que ces gendarmes là aujourd’hui continuent tranquillement leur travail. On ne peut pas décrire ce qui traverse nos corps et nos pensées quand un ami se retrouve dix jours au trou en grève de la faim avec grève de la soif imposée pendant trois jours, tabassé pour avoir empêché l’expulsion de soixante Rrom par charter, marqués comme du bétail. On ne peut pas décrire ce qui traverse nos corps et nos pensées quand nous savons que cela est, que cela fait partie de cet État-nation et de tout ce qui le compose… On ne peut pas décrire ce qui traverse nos corps et nos pensées… Juste garder le pays du refus. Ils peuvent garder leur foire de la peur. Leurs lois surgelées. Qu’ils s’en jettent plein la figure … Qu’ils y congèlent … La glace ça fond sous la chaleur…et quand ça fond…ça disparaît…je retiens ma respiration et sens celle de mes compagnons à côté de moi...

Belgique, 22 septembre 1998 – stop.

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agenda UPJB

Sauf indication contraire, toutes les activités annoncées se déroulent au local de l’UPJB, 61 rue de la Victoire à 1060 Bruxelles (Saint-Gilles)

vendredi 6 juin à 2Oh15

Jean-Marc Izrine présentera son livre Les libertaires du Yiddishland (voir page 20)

dimanche 8 juin à 10h30

Christian Israel. Exposition WARSAWARSAW au Musée Juif de Belgique. Visite guidée par l’artiste (voir page 20)

vendredi 13 juin à 2Oh15

Repères pour l’Ukraine. Conférence-débat avec Nicolas Bárdos-Féltoronyi, professeur émérite de géopolitique à l’UCL et Aude Merlin, chargée de cours en science politique à l’ULB (voir page 21)

samedi 21 juin à partir de 12h

Journée sportive intergénérationnelle. Au Bois de la Cambre (voir page 22)

dimanche 22 juin de 10h30 à 17h

Dernier atelier créatif collectif de la saison (voir page 22)

club Sholem Aleichem Sauf indication contraire, les activités du club Sholem Aleichem se déroulent au local de l’UPJB tous les jeudi à 15h (Ouverture des portes à 14h30)

jeudi 5 juin

Projection de Merlemont se souvient, un film de Benoit Derue, journaliste à Canal C. (voir page 23)

Éditeur responsable : Henri Wajnblum / rue de la victoire 61 / B-1060 Bruxelles

jeudi 12 juin

Projection de Ajami, un film de Scandar Copti et Yaron Shani. La projection débutera à 14h30 (voir page 23).

jeudi 19 juin

Les 40 ans de la révolution des Œillets. Par Jean Lemaître, journaliste et enseignant à l’IHECS (voir page 23)

jeudi 26 juin

Clôture dela saison avec André Reinitz (voir page 23)

et aussi mardi 10 juin à 12h30

Au Musée Juif de Belgique. Jacob Israël de Haan : chroniques de la Palestine des années vingt. Par Laurent Vogel (ULB) (voir page 21)

Les agendas sont également en ligne sur le site www.upjb.be

Prix : 2 €


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