n°343 - Points Critiques - février 2014

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mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique février 2014 • numéro 343

à la une Dieudonné. Diviser pour régner Bureau de dépôt: 1060 Bruxelles 6 - P008 166 - mensuel (sauf juillet et août)

Manuel Abramowicz1

A

u niveau de l’actualité, les vacances d’hiver et le mois de janvier se sont déroulés au rythme des épisodes de la saison 2 de la saga Dieudonné-Manuel Valls. Les divers indicateurs médiatiques en notre possession démontrent qu’il s’agit bel et bien d’une série médiatique à succès. Tout le monde en a parlé quasi en permanence durant plus de trois semaines, non seulement en France mais également en Belgique. Cette saga a fait les choux gras de la grande presse jusqu’aux médias people. Des dessinateurs de presse et des humoristes s’en sont donné à cœur joie pour ridiculiser

la posture pseudo antisystème du millionnaire Dieudonné (ce personnage malicieux est un homme riche grâce au succès de son entreprise comico-commerciale). À n’en plus douter, cet hiver, Dieudonné a été un « bon produit » pour la presse. Plusieurs intellectuels se sont entre-déchirés sur son cas, sur les questions de liberté d’expression le concernant et l’interprétation à donner à sa fameuse « quenelle ». Sans oublier, évidemment, les interventions de politiciens concernés par l’«  affaire Dieudonné ». Le sinistre personnage a aussi été un très bon client pour le monde politique. La saison 1 de la saga Dieudonné-Valls avait débuté au mois

BELGIQUE-BELGIE P.P. 1060 Bruxelles 6 1/1511

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sommaire

à la une ➜

d’août 2013, lors de l’université d’été du PS. Le ministre de l’Intérieur français y prit pour cible le tandem Dieudonné-Soral.

à la une 1 Dieudonné. Diviser pour régner........................................ Manuel Abramowicz mémoires

à l’extrême droite

4 Antisémitisme de trait polonais (1918-1939)........................Roland Baumann

israël-palestine

8 Ariel Sharon, sa vie, ses crimes................................................ Henri Wajnblum

politique d’asile

10 Clara est partie pour Buenos Aires................................................ Noé Preszow 13 Paroles en marche.............................................................. Youri Lou Vertongen

réfléchir 14 La circoncision. Un vrai débat............................................... Caroline Sägesser 15 Mise au point................................................................................... Jacques Aron 16 Le premier assassinat de l’histoire du sionisme......................... Jacques Aron feuilletonner 18 Je vois toujours le pire...................................................Sylviane Friedlingstein

numériser

20 Le bitcoin démystifié.................................................................. Jonathan Gross

yiddish ? yiddish ! !‫יִידיש ? יִידיש‬ 24 eyl khanun – Dieu de miséricorde............................................Willy Estersohn

humeurs judéo-flamandes

26 La fin du monde, le retour ...........................................................Anne Gielczyk

lire

28 Delmore Schwarz....................................................................... Antonio Moyano 30 Les silences de Monsieur Optimiste................................ Tessa Parzenczewski

31 activités vie de l’UPJB

34 Les activités du Club Sholem Aleichem....................................... J. Schiffmann

upjb jeunes

36 La fête des Lumières sur fond d’Histoire.................................... Julie Demarez 37 Retour sur la visite de Dossin....................................................... Julie Demarez

Artistes de chez nous

38 Fume, fume, c’est du Belge..................................................... Michel Gudanski

40

les agendas

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Dieudonné est devenu, depuis le milieu des années 2000, un militant politique qui s’est mis au service inconditionnel de l’extrême droite et de l’antisémitisme multiformes. Un retournement de veste faisant suite au black-out médiatique dont il a été la victime après son sketch télévisé s’attaquant à un colon israélien sur France 3, en décembre 2003. Pour sa part, Alain Soral, nom de plume d’Alain Bonnet de Soral2, est l’éminence grise du premier. D’un Dieudonné qui, à l’exception d’être un bon acteur comique, est, dans les faits, caractérisé par son degré zéro de connaissances dans les domaines politique, idéologique et historique. Ses interventions publiques se singularisent en effet par un confusionnisme bêta, un manichéisme pavlovien, un révisionnisme pervers et une inculture généralisée. Produit et bon client de la presse, M’bala M’bala est aussi une marionnette au service de l’extrême droite et, paradoxalement, un pion utile à ses ennemis. Dieudonné sert alors de justificatif pour renforcer l’arsenal répressif en ces temps de contestation tous azimuts. Il est bien plus un « idiot utile » que le leader d’un mouvement antisémite de masse (sans pour autant minimiser la structuration d’une véritable « galaxie dieudonno-soralienne », y compris dans notre pays).

Le mentor de Dieudonné, Alain Voie, Rivarol (néopétainiste et an- chévique  ». Dieudonné n’est ni Soral, s’est d’abord fait connaître, ti-Juifs), Réfléchir & Agir (iden- « islamo » ni « gauchiste ». dans les années 1990, comme un titaire racialiste qui dénonce la Les saisons 1 et 2 de la sésociologue antiféministe, avant mainmise des Juifs sur la France)... rie Dieudonné-Valls relèvent plud’adhérer pour finir à l’extrême Dans notre pays, Dieudonné rece- sieurs points de cristallisation droite. Ses airs de macho rouleur vra le soutien de jeunes nazillons essentiels. Mais aussi embléde mécanique vont séduire – par de Nation, de membres du Vlaams matiques, soulevant des tabous effet de mimétisme – et empreints de paraJean-Marie Le Pen qui doxes. Ces points sont au va très vite le propulser nombre de six : à la direction du Front National. Cofondateur 1. Certes bon humoen 2007 d’Egalité & riste, Dieudonné est Réconciliation, un colaussi une personnalité lectif militant nationapublique engagée en poliste pseudo-subversif, litique. Il milite pour une Alain Soral s’est depuis cause bien particulière, érigé en gourou d’une ladite «  lutte contre le secte politique basant sionisme international », sa raison d’exister sur comme d’autres s’acla lutte contre lesdits tivent contre ladite « islacomplots fomentés par misation de nos sociétés ». les États-Unis, les Juifs Pour mener son combat, et les francs-maçons. il n’a pour unique allié Il est l’une des têtes que l’extrême droite et la pensantes des «  nousecte panafricaniste ravelles » thèses conspiciste de Kémi Seba. Par ratrices, faisant suite ses alliances objectives à celles jadis branavec « les ennemis de ses dies par les théoriennemis  », il a servi de ciens français Charles plateforme de réhabilitaMaurras (1868-1952) tion et de faire-valoir à et Henry Coston (1910des personnages abjects 2001). Les derniers comme les dirigeants « écrits soraliens » (il est frontistes J-M. Le Pen et l’auteur de plusieurs B. Gollnisch, le néonazi S. livres) siphonnent al- En 2009, Dieudonné présente sa liste aux élections européennes Ayoud ou encore le vieux lègrement la substannégateur-nazi Faurisson, tielle moelle des Protocoles des Belang et de Debout Les Belges, jusqu’alors totalement inconnu de sages de Sion, le best-seller in- le nouveau mouvement politique son public. ternational à la base de l’antisé- du député fédéral Laurent Louis 2. Son combat politique remitisme du XXe siècle. Ses théo- qui avait reçu, en juin 2013, une lève de l’obsession, de l’exagéries antisémites recyclant celles « Quenelle d’Or » des mains de son ration, de la manipulation, du néde hier servent désormais de ma- « ami Dieudonné »3. Ses appuis po- gationnisme, du manichéisme et trice de formation doctrinale pour litiques mettent évidemment à du conspirationnisme. Il voit la la fraction antisémite des fans de mal les gesticulations d’intellec- «  main invisible  » des Juifs derDieudonné. complot  » fomentuels néoconservateurs qui, de- rière chaque «  Ce n’est pas pour rien que la puis le milieu des années 2000, té aussi bien contre les Noirs, les majorité des partis, mouvements agitent l’épouvantail de l’«  isla- Arabes, les musulmans et même et journaux d’extrême droite vont mo-gauchisme », comme au temps contre l’«  Europe blanche chrésoutenir le combat du comique de la guerre froide était brandie la tienn e ». En brandissant le « lobdevenu militant : le Front natio- « menace soviétique », et dans les by juif » comme unique nal, l’OEuvre française, Troisième années 1930, le « péril judéo-bol- danger des peuples, il

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mémoire(s)

➜ omet sciemment d’évoquer l’existence de tous les autres lobbies parfois bien plus puissants que celui qui l’obsède : les groupes de pression communautaristes (très forts pour la constitution des listes électorales à Bruxelles, par exemple), pharmaceutiques, du tabac, afro-américains aux ÉtatsUnis (ayant un pouvoir réel sur les scénarios des films réalisés à Hollywood), féministes, de la défense des animaux et de bien d’autres. En évoquant l’existence d’un seul lobby, Dieudonné manipule ses disciples. 3. La dérive actuelle de Dieudonné est également due au réflexe pavlovien et aux exagérations d’organisations juives sionistes qui l’ont décrété persona non grata et l’ont mis à l’index de la scène médiatique depuis 2003. Les coups portés contre Dieudonné ont été contre-productifs : ils l’ont radicalisé et ont renforcé le soutien de ses fans les plus fidèles. 4. Tous ceux qui le suivent, l’apprécient et vont le voir en spectacle, n’ont pas la haine des Juifs au bout de leurs lèvres. Beaucoup sont sincères en restant persuadés que Dieudonné est une victime, bien étranger à la réalité de ses propos tenus uniquement dans le cadre de son travail d’humoriste, selon eux. 5. Comme les organisations juives sionistes représentatives de la communauté juive, Manuel Valls utilise désormais Dieudonné à des fins stratégiques. L’humoriste-militant se retrouve dans le dispositif mis en place par le ministre de l’Intérieur pour passer de son cabinet actuel au palais de l’Élysée en 2017. À la fin de la dernière phase de la saison 2 de leur saga commune, plus de 84 % des Français avaient une opi-

nion défavorable de M’bala M’bala. Un sondage qui, inversé, augmente du même coup la cote de popularité de Valls. 6. Pendant que fut diffusée la saga Dieudonné-Valls, les autres faits de l’actualité sont passés au deuxième plan de nos médias. Ces faits étaient pourtant, au final, bien plus essentiels. Conclusion de cette séquence de notre actualité hivernale : Dieudonné comme Valls, nous ont encore plus divisés. Pour mieux régner. n

Membre de l’UPJB, administrateur du groupe Facebook « La Galaxie Dieudonné – Pour en finir avec les impostures » et coordinateur du web-journal d’investigation RésistanceS.be (www.resistances.be). 2 « Agnès Soral : « Vous auriez envie de vous appeler Agnès Hitler ? », interview, Nouvelobs.com, site du Nouvel Observateur, France, 16 janvier 2014. 3 Avant le député d’extrême droite Laurent Louis, d’autres Belges avaient déjà reçu une « Quenelle d’Or » : en 2010, l’universitaire Souhail Chichah (qui a rompu avec Dieudonné, il y a quelques mois) et Olivier Mukuna (un journaliste qui s’autoproclame « indépendant » mais va soutenir Dieudonné et la « lutte contre les sionistes » en Iran, une dictature où la liberté d’expression des humoristes et de la presse est pourtant bien limitée) ; en 2012, les avocats belges de Dieudonné en personne, Sébastien Courtoy (dont les Juifs semblent être aussi une obsession) et Henri Laquay (provenant du Front National) qui recevront une « Quenelle d’Or ». 1

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Antisémitisme de trait polonais (1919-1939) roland baumann

À l’Institut historique juif de Varsovie (ZIH), une exposition de caricatures publiées dans la presse polonaise pendant l’entre-deux-guerres, documente la violence de l’antisémitisme en Pologne avant l’invasion allemande et le judéocide

L

e 11 novembre 1918 marque la fin de la Grande Guerre et l’indépendance de la Pologne. La Deuxième République de Pologne se caractérise par le prodigieux dynamisme culturel et politique de la vie juive. Mais, la modernisation des communautés du Yiddishland, la diffusion des idées de progrès parmi la jeunesse juive et les contributions multiples d’artistes et intellectuels juifs à la vie culturelle polonaise, à Varsovie, comme à Lodz ou Lwow, exacerbent aussi le climat antijuif fomenté par l’Église et la droite nationaliste catholique. Montée de la haine dont témoigne cette exposition de l’Institut historique juif, révélant toutes les affinités de la caricature de presse polonaise de l’époque avec l’antisémitisme de trait européen et en particulier avec l’imagerie nazie de la détestation du Juif. Pour beaucoup de leurs concitoyens chrétiens, les Juifs polonais, aussi assimilés soient-ils à la culture nationale, restent « étrangers et déplaisants, car ils sont d’une autre race » comme l’écrit en 1936, Zofia Kossak, honorée aujourd’hui pour son engagement dans la Résistance et la Commission d’Aide aux Juifs, Zegota. Ces propos antisémites de la célèbre

essayiste catholique, dénonçant le péril juif et la place croissante des jeunes juifs dans la société polonaise ont inspiré le titre de l’exposition : « Étrangers et dé-

plaisants »1. Vers 1900, les dessins antisémites sont encore rares dans la presse de langue polonaise, éditée en Pologne russe ou dans

l’Empire austro-hongrois, en Galicie. Aux images traditionnelles du misérable colporteur ou du Juif errant s’ajoutent des caricatures inspi-

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➜ tique polonaise. Fin 1922, le président de la république, Gabriel Narutowicz, élu grâce aux voix de la gauche et des minorités, et dénoncé par les droite nationaliste et catholique comme « le président des Juifs » est assassiné !

Des dessins pour la liquidation des Juifs en Pologne

Calendrier publié en 1939 par l’hebdomadaire « Autodéfense de la nation ». Le hussard polonais terrasse le capitalisme juif

rées des dessins antisémites de journaux français pendant l’affaire Dreyfus ou de la presse viennoise. La révolution de 1905 dans l’Empire tsariste favorise l’essor d’une presse satirique polonaise et d’un art de la caricature antisémite « moderne ». Lors des élections à la Douma en 1912, les journaux proches du parti national-démocrate de Roman Dmowski illustrent de caricatures antisémites leurs appels au boycott des Juifs. L’indépendance de la Pologne radicalise les dessins

de presse antisémites qui, dès lors, s’inspirent aussi du mythe du complot judéo-bolchévique. Les conflits armés opposant la Pologne à ses voisins et en particulier la guerre russo-polonaise de 1919-1921, provoquent des vagues de discriminations et de violences contre les Juifs polonais. Attisée par les nationalistes, hostiles aux droits dont jouissent les minorités nationales dans le nouvel État et jouant sur la peur d’invasions étrangères, la violence s’étend aussi à toute la vie poli-

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Fragments d’un vaste corpus d’images antisémites publiées souvent en première page des journaux de l’époque, l’exposition tire de l’oubli un art graphique de la haine et se structure en trois parties : « Voici le Juif ! » est un répertoire des singularités physiques et morales, toutes négatives et donnant du Juif l’image démoniaque d’un irréductible étranger, l’ennemi du «vrai Polonais  ». Les caricatures antisémites rassemblées dans la deuxième partie de l’exposition « Où la minorité est majorité » donnent l’image d’un État polonais « judaïsé », dominé par les ploutocrates, les pornographes, les pseudo-artistes modernes... et autres Juifs assimilés dont « l’invasion » de la société polonaise, à tous les niveaux, ruine les « vrais Polonais » et, en ligue avec le bolchévisme, prépare la victoire finale du judaïsme sur la chrétienté. Cet «  antisémitisme de trait  » n’est pas le fait d’une presse d’extrême-droite marginale. Les recherches des historiens dans la presse de l’époque montrent la vaste diffusion de cette imagerie antisémite dans des périodiques tirés à des dizaines de milliers d’exemplaires. Ces dessins de la haine dont les auteurs sont souvent des illustrateurs connus paraissent dans les périodiques liés au parti national-démocrate et dans des quotidiens importants (Kurier Poznanski, Dziennik Bydgoski), ainsi que dans des heb-

Exposition Obcy i niemili » Antysemickie rysunki z prasy polskiej 1919-1939 ; du 15 octobre 2013 au 31 janvier 2014, Zydowski Instytut Historyczny im. Emanuela Ringelbluma. Cette exposition temporaire est accompagnée d’un catalogue bilingue polonais/anglais publié par l’Institut historique juif. Malheureusement, cet ouvrage ne reproduit qu’une poignée des quelque 300 caricatures montrées dans l’exposition. Les contributions scientifiques bilingues des historiens Grzegorz Krzywiec et Dariusz Konstantynow sur la caricature de presse antisémite polonaise de la fin du dix-neuvième siècle à 1939 sont suivies d’un catalogue de toutes les caricatures exposées. Organisé par ordre alphabétique d’après les noms des caricaturistes, ce catalogue cite les références des périodiques dans lesquels sont parus les dessins, ainsi que les légendes qui les accompagnent, mais il n’est pas traduit en anglais ni accompagné de reproductions des oeuvres correspondantes, ce qui limite donc son utilité tant pour le chercheur que le curieux .

1

«Les Juifs en Pologne» : vente de revues pornographiques

domadaires satiriques de grande diffusion : Mucha (« La mouche »), Pod Pregierz (« Au pilori ») et Samoobrona Narodu (« Autodéfense de la nation »). Publié à partir de 1924 à Bydgoszcz, le Szabes-kurier reprend souvent des caricatures antisémites parues dans l’hebdomadaire allemand Der Stürmer, une importante source d’inspiration pour les antisémites polonais. Ironiquement, la presse antisémite polonaise est très puissante dans la région de Poznan, annexée à l’Empire allemand jusqu’en 1918, et où on trouve très peu de Juifs ! Enfin, le troisième volet de l’exposition «  Que faire des Juifs  ?  » nous confronte à une imagerie de l’antisémitisme le plus radical dont l’objectif déclaré est la solution finale de la question juive en Pologne ! Juifs battus, pendus... Juifs assimilés aux mauvaises herbes ou à la vermine qu’on éradique.... Sur le « mur de la haine » rassemblant les caricatures les plus terrifiantes de cette partie finale de l’exposition, retenons ce dessin de « recette à la crise » : wagon à bestiaux chargé de Juifs

polonais qu’on emporte vers une destination inconnue. Une oeuvre « visionnaire » datée de 1937 ! n

Une carte de la Pologne enjuivée

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israël-palestine

Sharon et la démocratie

Ariel Sharon, sa vie, ses crimes... Henri wajnblum

F

oin d’hypocrisie, nous n’avons jamais trouvé quoi que ce soit de positif à dire sur Sharon, bien au contraire. Nous n’allons pas soudain nous transformer en laudateurs, à l’instar de tant d’autres aujourd’hui, et verser une larme parce qu’il est mort. Mort à 85 ans après huit ans de non vie et 60 ans d’actions militaires et politiques les unes plus violentes et désastreuses que les autres. Le 30 mai 2001 déjà, deux mois après l’arrivée au pouvoir d’Ariel Sharon, l’UPJB appelait à un grand rassemblement contre sa venue à Bruxelles : « Le mercredi 6 juin, Ariel Sharon sera à Bruxelles, reçu par le Premier ministre Guy Verhofstadt, le ministre des Affaires étrangères Louis Michel, ainsi que par le président de la Chambre Herman de Croo. (…) Nous marquons notre incompréhension de voir nos plus hautes instances politiques, au moment même où elles déclarent une guerre ouverte à notre propre extrême droite, recevoir un chef de gouvernement qui n’a pas hésité à ouvrir la porte du pouvoir à deux partis racistes et xénophobes – Israël Beitenou, d’Avigdor Lieberman, et Union nationale, de Rehavam Zeevi – alors même qu’aucune arithmétique électorale ne l’y obligeait. La visite de Sharon ayant été maintenue, nous invitons les démocrates de ce pays à nous rejoindre le mardi 5 juin à 18 heures à la

place de la Monnaie, à Bruxelles, pour signifier clairement notre indignation à nos gouvernants. Les mots d’ordre sur lesquels nous nous rassemblerons seront… 1) Haider (Autriche), Bossi (Italie), De Winter (Belgique), Avigdor Lieberman et Rehavam Zeevi (Israël)… Il n’y a pas une extrême droite plus fréquentable qu’une autre. Cordon sanitaire autour du gouvernement Sharon ! 2) Halte au terrorisme d’État 3) Fin de l’occupation et retour de Tsahal et des colons en deçà de la Ligne Verte, conditions sine qua non d’une paix juste et durable 4) Aux côtés d’Israël, un État palestinien souverain et viable. Dans la plupart des commentaires qui ont suivi son décès, Ariel Sharon est décrit comme un militaire de génie, audacieux et courageux. À nos yeux, il tenait surtout du mercenaire agissant pour son compte et pour sa « gloire », sans aucune considération pour les lois de la guerre. Ses réels états de sévices commencent en 1953 lorsque, à la tête de l’Unité 101, un véritable commando, il mena une action de représailles contre le village de Qibya, en Cisjordanie alors sous souveraineté jordanienne, commanditée par David Ben Gourion, en réponse au meurtre d’une mère et de ses deux enfants. Cette opération se solda par la destruction, au moyen d’explosifs, de 45 maisons qui provoqua la mort de plus

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d’une soixantaine de personnes : hommes, femmes et enfants.

Sabra et Chatila

Manifestation monstre à Tel-Aviv après le massacre de Sabra et Chatila

En 1982, Sharon est ministre de la Défense. Dans le cadre de l’opération « Paix en Galilée », et faisant fi des ordres reçus qui étaient de créer une zone sécurisée de 40 km à l’intérieur du Liban, il mène ses troupes jusqu’à Beyrouth. Les lois de la guerre veulent que toute troupe d’occupation soit responsable de la sécurité de la population occupée. Sharon n’en a cure, Le 16 septembre il envoie les milices phalangistes dans les camps de réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila… Elles y resteront deux jours sous la surveillance bienveillante des troupes israéliennes et se solderont par le massacre d’au moins 1.000 Palestiniens, hommes, femmes et enfants ! L’annonce de ce massacre suscita une tréaction sans précédent dans la société israélienne, et TelAviv connut le plus grand rassemblement de son histoire avec 400.000 citoyens venus réclamer la démission de Menahem Begin, le Premier ministre de l’époque, et de son gouvernement. Sharon a toujours refusé de se reconnaître coupable de ce massacre, en attribuant la seule responsabilité aux milices phalangistes. Rien n’est cependant moins vrai… Ainsi que le rappelle Alain Gresh sur son blog (http://blog. mondediplo.net/-Nouvelles-dOrient-)… Le 16 septembre 1982, au lendemain de l’occupation de

Beyrouth-Ouest, le bureau du ministre de la Défense diffuse un document où il est dit notamment : « Un seul élément, et cet élément sera l’armée israélienne, commandera les forces sur le terrain. Quant à l’opération dans les camps, ce sont les Phalanges qui y seront envoyées ». Il est donc clair que les Phalanges étaient sous les ordres des forces israéliennes et que ce sont elles qui les ont envoyées à Sabra et Chatila, sachant pertinemment que ce n’était pas pour y assurer la sécurité de la population civile. Sharon n’a jamais été condamné pour sa responsabilité dans ce massacre. Tout au plus a-t-il été contraint d’abandonner ses fonctions ministérielles après avoir été reconnu indirectement responsable du massacre. On croyait alors sa carrière politique irrévocablement finie. On sait qu’il n’en fut rien puisqu’il a accédé au poste de Premier ministre en février 2001. Non sans avoir au préalable provoqué le déclenchement de la deuxième Intifada en allant se pavaner, le 28 septembre 2000, sur l’Esplanade des Mosquées avec la bénédiction d’Ehud Barak, le Premier ministre travailliste de l’époque, et sous la protection de plusieurs centaines de policiers dépêchés par Shlomo ben Ami, ministre de la Sécurité intérieure

et travailliste lui aussi. Cette provocation du chef du Likoud fera plusieurs dizaines de blessés et on comptera, durant les 35 premiers jours des affrontements, 155 morts dont 46 jeunes âgés de moins de dix-huit ans, ainsi que quelque 7.000 blessés.

Sharon le décolonisateur ? En 2004, Sharon décide unilatéralement le désengagement de la Bande de Gaza, c’est-à-dire le retrait de 8 000 colons établis dans 21 colonies. Ce retrait se fera à partir du 16 août 2005. Le plan de désengagement, appelé « main tendue aux frères », est accueilli avec enthousiasme par les grandes capitales occidentales qui y voient un tournant dans la politique israélienne de colonisation des Territoires palestiniens . Georges W. Bush lui décerne même le titre d’« Homme de paix » ! Sharon a encore réussi à leurrer le monde entier… Car les habitants de Gaza n’ont retrouvé aucune liberté dans la mesure où Israël maintient le contrôle total de la frontière et de l’espace aérien, et que le territoire reste dépendant de l’État hébreu pour son alimentation en eau et en électricité. Dans le même temps, la colonisation de la Cisjordanie se poursuit de façon de plus en plus intensive

Sharon n’a jamais cru en un État juif ET démocratique… En 1993, dans une interview accordée au quotidien israélien Yediot Aharonot (Les dernières nouvelles), il déclarait, avec le franc-parler dont il était coutumier, « Nos grands-parents et nos parents ne sont pas venus ici pour bâtir une démocratie. Tant mieux si elle est préservée, mais ils sont venus ici pour créer un État juif. L’existence d’Israël n’est vraiment menacée que par ceux qui, parmi les Israéliens, ne jurent que par la démocratie et la paix, au risque de saper les fondements de notre État juif démocratique et d’ouvrir la voie à la dictature criminelle d’un État palestinien dirigé par l’OLP. (…) Le sionisme n’a jamais prôné la démocratie, mais la création en Palestine d’un État juif appartenant à tout le peuple juif et à lui seul. (…) L’allégeance de la majorité des Arabes d’Israël, de leurs hommes politiques et de leurs députés ne va pas à Israël, mais à l’intérêt des Arabes palestiniens. (…) Est-ce que les Palestiniens d’Israël sont prêts (…) à combattre sous le drapeau israélien pour la survie d’Israël comme État juif ?
Permettre aux députés arabes israéliens de décider du sort d’Israël est une illusion dangereuse. Des questions aussi cruciales qu’un retrait du Golan ou l’instauration d’une autonomie palestinienne en Judée-Samarie (c’est-à-dire un second État arabe palestinien après la Jordanie) sont du seul ressort des Juifs, pas des Arabes israéliens ». Ariel Sharon est mort. Il était déjà hors d’état de nuire depuis huit ans. Mais d’autres ont pris la relève, en pire, ce qui n’est pas peu dire. n

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politique d’asile Clara est partie pour Buenos Aires noé preszow 2014, première semaine

D

’abord, Clément. Clément, c’est un ami de mon frère. Même si je slalome entre les siens et les miens, c’est d’abord un ami de mon frère. Et un ami des amis de mon frère. Clément, c’était mon mono. Pas que le mien, d’ailleurs. Aussi le mono de mes amis. D’abord, les SMS de Clément. Je ne crois pas en avoir gardé mais, de mémoire, ça donnait à peu près : « Grosse manif aujourd’hui, départ de la rue de la Poste à 14h, faire suivre ». Envois multiples, courts, précis, pas de courtoisie inutile. Et moi de répondre : « Zut, là ça m’arrange pas trop, bise », ou « C’est cool de prévenir, tiens-moi au courant pour la suite, bise ». Ou de ne pas répondre. Plus tard, il me confirmera qu’il ne les écrivait pas. Il les recevait et, comme demandé, les faisait suivre. Si l’expéditeur premier m’était inconnu, je m’interrogeais sur deux des destinataires : l’un, Clément, l’autre, moi. Deux questions alors : « Pourquoi lui ? », « Pourquoi moi ? » À la première, je n’ai finalement pas essayé de répondre. Avait-il, lui aussi, reçu l’un ou l’autre message d’untel, s’était-il pris d’amitié pour un Afghan ? De passion pour une Afghane  ? Comment était-il entré là, par quelle porte ? À la deuxième question, il m’a répondu que « j’sais pas trop, je

t’avoue que j’envoyais ça comme ça, à quelques personnes que ça pouvait intéresser, et j’me suis dit… que ça pouvait t’intéresser… » Et c’est tout. Pourtant, la politique, moi, c’était fini, hop, du passé ! Un matin, vers seize ans, j’avais décidé que ça ne m’intéressait plus, et que d’ailleurs, je n’y comprenais rien, et que d’ailleurs, c’était bien peu de chose, et que d’ailleurs, mes lacunes dans ce domaine n’en étaient pas puisque j’avais moi-même décidé que vlan, à la poubelle  ! Sur mon étagère, les disques de Murat avaient remplacé les irremplaçables de Renaud. Oui, jusque-là, quelques manifs m’avaient amusé. Il y avait eu cette histoire de cachot. Une dizaine de Mala1 au cachot pour une manifestion qui n’avait jamais eu lieu. Et puis, du jour au lendemain, j’ai décroché. Mieux à faire : me dégager. Pour revenir aux messages de Clément, je ne l’ai pas rejoint une seule fois. Il n’a pas cessé pour autant de me faire suivre les nouvelles. Donc, Clara est partie pour Buenos Aires. Clara, Mala aussi, c’est une amie. À moi plutôt qu’à mon frère. À mes amis plutôt qu’à ceux de mon frère. Pour son départ, début novembre, elle avait organisé une grosse fiesta au 61, rue de la Victoire. Pas coutumier de ce genre de nouba, je déambulais dans l’ombre entre l’arrière du bar et la

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cuisine, juste à la frontière, pour pouvoir jeter un oeil aiguisé sur les fumeurs de la terrasse et un autre – moins assuré – sur les frimeuses du dancefloor. « Allez, je rentre chez moi ? Bon, elle m’a vu, on s’est vu, je l’ai saluée, j’y vais, là, non ? » Je décide de rester encore un peu, quand même. À l’écart du reste – comme souvent, et c’est tout à notre honneur – s’était formé un petit groupe d’Upjbiens : deux ou trois Vian2 et des Arna-Luth3, dont Clément qui me propose une pomme : - « Tu veux  ? on en a plein, on a été les glâner dans les environs de Saint-Trond avec Auré » - « Saint-Trond ? Connais pas… » - « On y retourne demain matin, on vient te chercher chez toi si tu veux ». Comme j’ai le privilège du temps, ou en tout cas, le besoin d’en prendre, je dis : « Oui, ok, t’es sûr que ça te dérange pas ? Cool ! » Nous passons la journée du lendemain dans les pommes, au soleil. De retour de Flandre, direction rue de la Poste. Ces kilos de pommes sont en fait pour les nombreux réfugiés afghans rassemblés dans une ancienne école. Je mets enfin des visages sur les SMS. Nous débarquons nos quelques caisses et, de loin, ne sachant trop où me mettre, j’observe. On me dit : « Nourriture ? C’est en haut ». Je grimpe les escaliers qui mènent à la mezzanine et, de loin toujours, j’aperçois

deux visages familiers : Mia et Valou. Mia, j’avais partagé une année du secondaire avec elle. Nous n’étions pas les meilleurs amis du monde, mais si mes souvenirs sont bons, nous ne nous détestions pas. Elle amenait souvent du gâteau. Mia, c’est aussi la soeur de Billie. Billie, c’était une mono qui m’intriguait parce qu’elle parlait peu. Elle jouait de la guitare classique. D’ailleurs, je me demande si…ah mais oui, je crois bien que c’est elle qui m’avait montré comment jouer un Sol7 lorsque nous avions, à Louette St Pierre, essayé d’apprendre certaines chansons de Louf Story. Je me souviens avec précision qu’on nous avait rassemblés sur les marches qui conduisaient à la salle de ping-pong et au réfectoire. Mina et Léon étaient venus nous présenter cette comédie musicale de Marca. Mais ça, c’est une autre histoire. Et Valou ? Valou, elle était de la génération de monos qui a précédé la mienne. Elle me faisait beaucoup rire. Je ne l’avais plus revue depuis… depuis… Ah si, il y a deux, trois ans, nous nous étions croisés… Vous allez croire que je le fais exprès, mais nous nous étions croisés dans les parages de la rue de la Victoire. C’est pour vous dire, vous l’aurez compris, qu’une fois de plus, tout se recoupe et se rejoint. Les pommes étant arrivées à destination, nous nous quittons tous plus ou moins là. Des jours se passent : Clément entame une grève de la faim. Quelle idée !? Je pèse le pour, le contre, parfois pour, parfois contre. Je prends de ses nouvelles, je vais le voir. Comme il me le dira un soir, je tombe toujours aux mauvais moments ; ça me vexe, mais je reviens. Je découvre l’église du Béguinage. J’y recroise Mia, j’y recroise Valou, je

m’y enrhume. Je fais tourner l’info comme je peux : « Hé les gars, vous êtes au courant pour Clément ? ça vous dit qu’on aille lui rendre visite ensemble ? » Chacun ayant ses chats à chercher ou à fouetter, je croiserai, sur le parvis, peu d’amis de la Maison. J’essaye de me raisonner poliment : « N’oublie pas que toi, tu as du temps. N’oublie pas que les autres ne voient pas Clément aussi souvent que toi. N’oublie pas qu’avant les pommes de Saint-Trond, tu n’en

l’esprit : Bruxelles, c’est là qu’tu t’trompes, c’est pas Noël pour tout le monde. La vue pluôt que l’esprit, d’ailleurs. Cette phrase, c’est une photo. La grève de la faim continue. 12 décembre, 18 heures, je suis dans ma cave. Je fouille mon disque dur et tombe sur une musique que j’avais intitulée «  Kichinev ». Guitares claires et rythmées  ; flûte et petit accordéon, jouet que j’avais reçu pour mes six ans. J’avais déjà enregis-

Noé interprétant sa chanson au Béguinage le 18 décembre. Photo Laurence Vray

avais pas grand-chose à faire des Afghans. N’oublie pas qu’ils sont en blocus, et que s’ils ont décidé d’étudier toute leur vie, c’est leur problème… Chuut ! Mauvaise langue ! Poliment, on avait dit ! » Peu à peu, je reconnais des visages : Samir, Bachar, Qais... Ceux de Grégory, de Clément et d’Anissa se creusent à vue d’oeil. Un soir, l’anniversaire de Clément. Il est fêté, applaudi, que dis-je, acclamé ! Un autre soir, marche aux flambeaux. Nous passons par le marché de Noël et sa Grande Roue Lotto. Vite, un carnet ! Je n’en ai pas, je fronce les sourcils, je dois retenir ce qui me traverse

tré des voix mais le texte n’était pas abouti, je tournais en rond. Zooouuu, j’efface tout. Je réécoute ma musique et… : Bruxelles c’est là qu’tu t’trompes / c’est pas Noël pour tout l’monde / il y a entre tes bras / quelques centaines d’Afghans. Yes, ça colle, je tiens quelque chose ! La suite coule de source, la photo s’enrichit sans pour autant trahir mon regard initial, tourné vers l’extérieur, une fois n’est pas coutume. Je termine le texte, j’enregistre ma voix. Je devrais laisser reposer, je sais, mais non, c’est bouillant. J’ai le sentiment étrange que cette chanson ne m’ap-

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politique d’asile

partient déjà plus. Je n’arrive pas à savoir s’il y a de l’idée, ou si je me plante totalement. Après une écoute familiale, je l’envoie à Claude Semal : « Bonsoir, Claude, tu sais l’admiration que j’ai pour ton oeuvre, je n’ai donc pas besoin de t’en reparler ici. Ce qui m’amène ? Je viens d’enregistrer une chanson toute simple sur la situation des Afghans… » Il me répond par des conseils attentionnés et des encouragements qui me font grand effet. Dès le lendemain, je décide de poster cette Ballade de Noël sur la Toile. On me remercie pour une chanson, c’est bien la première fois. Je la chante à la Manifête du 18 décembre, juste avant la chaleureuse – et je pèse ce mot – cho-

rale de l’UPJB ; pendant les trois jours de la marche BruxellesMons où je note, là aussi, l’absence de visages familiers ; devant l’Hôtel de ville, où le Premier ministre ne nous attend pas ; je la chante à la messe de Noël, aux côtés du Père Daniel. Et maintenant, je comprends peut-être mieux Clément, les ex-grévistes de la faim et les militants. Je comprends comme on peut être happé, si vite, par une cause. Celle-ci ou une autre. Comme on peut adhérer. Comme le reste a peu d’importance. D’ailleurs, au retour de Mons, place du Béguinage, Youri « Bourdon théâtral » me demande : « Et maintenant ? tu rentres chez toi ? » « Pfff, après toutes ces émotions, j’sais pas. Pas facile, hein ?  »

Je suis rentré chez moi. Muet, puis, tout dire très vite sans m’arrêter, tout raconter. Comme au retour d’un camp UPJB. L’envie de m’enfermer et celle de m’éclater, de crier « victoire ! » sur tous les toits. Mais quelle victoire ? Et quels toits ? Hier matin encore, un jeune Afghan d’un peu plus de vingt ans a été expulsé : Bruxelles-Amsterdam-New Delhi-Kaboul... n Groupe des Mala Zimetbaum. Le groupe des Boris Vian. 3 Les groupes Arna Mer et Martin Luther King avaient fusionné pour donner les Arna-Luth. 1 2

Ballade de Noël (aux Afghans du Béguinage, aux grévistes de la faim, à Clément...) Paroles, musique, instruments : Noé Bruxelles c’est là qu’tu t’trompes c’est pas Noël pour tout l’monde il y a entre tes bras quelques centaines d’Afghans Armés de leur courage église du Béguinage sans tambour ni trompette à deux pas de tes fêtes De ton marché triomphant où on se gave de tout où s’dit qu’il fait froid assis sur ta grande roue Alors qu’des camarades ne mangent plus d’puis des ‘semaines pourquoi t’en parles à peine dis-moi est-ce que ça t’gêne ? Bruxelles, mais rappelle-moi t’es capitale de quoi ? le dernier que t’as viré aurait été tué

Bruxelles t’as pas compris ? si ils ‘repartent ils sont cuits ou ‘peut-être que t’entends pas ou ‘peut-être qu’on t’a pas dit Bruxelles j’sors les violons si ça peut t’émouvoir trois notes d’accordéon quatre accords de guitare Maintenant range tes guirlandes ton sapin tes grosses boules Sinon t’es la prochaine qu’on renvoie à Kaboul Mais Bruxelles ‘qu’est-ce t’attends ? Plus de larmes, plus de sang ? Plus de cris plus d’absents ? Plus de déchirements ? Plus de séparations ? Personne te ‘demande la lune Personne te ‘demande de thune Juste ta protection et en plus, tu sais quoi ? ils parlent mieux néerlandais que moi !` La chanson se trouve sur https://soundcloud.com/noeprzw ou sur Youtube : Ballade de Noël Noé Preszow

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Paroles en marche youri lou vertongen

L

e 18 décembre dernier, c’était pour nous la 12e fois, en 5 ans de procédure, que nous étions contraints d’aller plaider notre cause au Palais de Justice de Bruxelles. La 12e fois, en 5 ans, que nous nous sommes donné rendez-vous sur le péron du Palais pour défendre la légitimité de nos gestes. Des gestes que nous portions à l’époque de manière aussi indéfectible que nous les portons aujourd’hui. Cela fait 5 ans, que nous bataillons contre cette stratégie policière d’isolement du reste du mouvement des migrants « sans papiers ». C’est la 12e fois en 5 ans que nous vous avons retrouvé, vous les soutiens, vous les amis, les camarades, et nous voudrions vous remercier d’avoir tenu avec nous, dans la longueur, là où la lourdeur de la procédure voulait nous faire baisser les bras. Vous nous avez aidé à maintenir une légitimité collective autour des actions de résistances aux politiques migratoires. Et ce geste de légitimation fut ce qui, indéniablement, nous permit de tenir bon tout au long de ce procès. Ces cinq ans de procédure furent l’occasion de comprendre que notre cas était pris dans une histoire, dans une trame, qui nous précédait, que l’on venait par nos actions, par nos présences, indéniablement prolon-

ger en termes de pratiques de résistances aux politiques migratoires. L’histoire qui nous porte dans ce procès, le mouvement sur lequel nos gestes ont pris appui, nous engage encore aujourd’hui. Cette histoire vient de plus loin que nous-mêmes, elle nous dépasse et nous emporte. Elle vient d’abord des luttes anti-coloniales, des luttes pour l’auto-détermination des peuples du Tiers-monde, des luttes pour les droits des travailleurs immigrés. Elle passe par le combat de Sémira Adamu dans tout ce qu’il fait encore exister aujourd’hui. Notamment au travers des actions qu’ont menées les sans papiers aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur des camps pour étrangers. Cette histoire continue aujourd’hui dans la lutte des Afghans de l’église du Béguinage pour la reconnaissance d’un statut légal. Elle est maintenue vivante et sans cesse réanimée par les migrants de « SPBelgique » avec qui nous revendiquons la régularisation de TOUS les sans-papiers. Dans cette procédure d’appel, et notre refus de nous voir condamnés, nous nous sentons portés par les mémoires du Collectif Contre les Expulsions, de l’Ambassade universelle, par les Assemblées de voisins. Nous sommes encouragés par les actions du VAK, du CRACPE. Par Gettingthevoiceout, aussi, qui se fait le relais des

personnes enfermées dans les centres. Mais aussi par toutes les formes de solidarités quotidiennes avec les migrants « sans papiers ». Par cet appel, nous entendons également prolonger les cris de nos amis du 129 avenue Buyl et du Hall des Sports. Nous leur devons ces moments de lutte qui nous ont tant appris et qui ont fait ce que nous sommes aujourd’hui. En cinq ans de procédure nous avons appris qu’un geste politique ne trouve pas son sens en lui même mais dans les reprises, dans les relais qu’il parvient à créer. Il importe ainsi d’entretenir une culture des résistances pour déjouer les tentatives d’isolement, d’épuisement et de répétition. En faisant appel de notre condamnation, nous avons tenté d’apporter à cette histoire, avec nos moyens, quelque chose de différent qu’une résignation. Nous savons que les victoires ne sont pas nombreuses dans la lutte que nous menons avec nos camarades « sans papiers », nous essayerons par l’issue que prendra ce procès, d’en apporter au moins une petite ! Verdict le 21 janvier 2014. n Papiers pour tous ou Tous sans-papiers

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réfléchir La circoncision. Un vrai débat caroline sägesser L’auteure réagit aux réflexions de Jacques Aron parues dans le précédent numéro de Points critiques et intitulées « Le Conseil de l’Europe stigmatise la « barbarie juive ». Nous publions également une mise au point de Jacques Aron.

D

epuis quelques années, partisans et opposants de la circoncision s’affrontent. Respect des traditions religieuses et de la liberté de culte vs respect de l’intégrité physique des enfants, promotion de l’hygiène ou du plaisir sexuel, effet protecteur contre le VIH ou effet dévastateur des circoncisions ratées… Des arguments recevables sont avancés de part et d’autre. Globalement, alors que les associations de pédiatres britanniques et américaines ont abandonné leurs recommandations en faveur de la circoncision et que s’étend la notion de droits de l’enfant – songeons par exemple à l’interdiction des châtiments corporels – le bien-fondé de la circoncision pour motifs culturels ou religieux en l’absence d’indication médicale est de plus en plus remis en cause. Il n’est donc pas surprenant que l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe se soit penchée sur cette question. Le Conseil de l’Europe, cette vénérable institution à qui l’on doit la Charte européenne des Droits de l’homme (et non la monnaie unique !), qui a été le fer de lance de l’abolition de la peine de mort sur notre continent (et non du marché

unique !), s’est penché sur les violations de l’intégrité physique des

dialogue interculturel et interreligieux », à interdire les mutilations

de la barbarie juive », « l’appel à la réouverture des guerres de religion en Europe », ou les traces « d’une névrose obsessionnelle » que Jacques Aron y a vus (Points critiques, janvier 2014, pp. 2021). Faut-il préciser qu’il n’y est nulle part question de laïcité ? Comme je le disais d’emblée, il existe de bons arguments en faveur du maintien du droit à la circoncision des enfants tout comme il en existe pour s’y opposer. Refuser de considérer la possibilité même du débat, diaboliser l’adversaire en attaquant la rapporteuse sur son origine allemande, comparer le Conseil de l’Europe à Aube dorée et, last but not least, réduire l’ensemble de la démarche (qui toucherait beaucoup plus de familles musulmanes que juives) à de l’antisémitisme est

inacceptable. Même le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), qui a lancé une pétition « Non à l’interdiction de la circoncision  », même Shimon Peres dans sa lettre au secrétaire général du Conseil de l’Europe ne l’avaient pas osé… Et, ai-je envie d’ajouter, ces accusations d’antisémitisme qui ne reposent sur rien d’autre que l’impression subjective de l’auteur sont particulièrement malvenues dans les pages de Points critiques, qui devrait connaître tant la persistance de vrais actes antisémites qui réclament toute notre vigilance que le dommage créé par les accusations d’antisémitisme proférées à mauvais escient… In fine, signalons que l’apaisement dans ce dossier semble

être de mise puisque le secrétaire général du Conseil de l’Europe, Thorbjorn Jagland,​a été catégorique dans un discours tenu lors de la 28e convention de la conférence des rabbins européens à Berlin le 11 novembre : « Je voudrais dire une chose sans équivoque de manière claire pour vous, ici et maintenant : en aucun cas le Conseil de l’Europe ne veut interdire la pratique de la circoncision »4. n Rapport | Doc. 13297 | 06 septembre 2013. Résolution 1952 (2013), 1er octobre 2013. 3 Recommandation 2023 (2013), 1er octobre 2013. 4 http://www.fait-religieux.com/circoncision-et-conseil-de-l-europe-fin-de-la-polemique-1. 1

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« Une circoncision ». Marco Marcuola (Vérone, 1740-Venise, 1793). Vers 1780

enfants, à savoir « les mutilations génitales féminines, la circoncision des jeunes garçons pour des motifs religieux, les interventions médicales à un âge précoce sur les enfants intersexués ainsi que les piercings, les tatouages ou les opérations de chirurgie plastique qui sont pratiqués sur les enfants, parfois sous la contrainte ». Sur base d’un rapport intitulé Le droit des enfants à l’intégrité physique1, l’Assemblée a adopté une résolution et une recommandation au Conseil des ministres des États membres. La résolution invite les États membres « à engager un débat public, y compris un

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génitales féminines et à « définir clairement les conditions médicales, sanitaires et autres à respecter » en matière de circoncision médicalement non justifiée2. La recommandation invite le Conseil des ministres « à prendre pleinement en compte la question du droit des enfants à l’intégrité physique » et « à examiner la possibilité d’intégrer expressément, dans les normes pertinentes du Conseil de l’Europe, le droit des enfants à l’intégrité physique ainsi que leur droit de participer à toute décision les concernant »3. C’est tout. On cherchera en vain dans ces textes « la stigmatisation

Mise au point Jacques Aron

L’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe ne dispose d’aucun pouvoir législatif. Elle se réunit en principe 4 fois par an à Strasbourg. Elle comprend 318 parlementaires issus de 47 pays. La résolution présentée par Madame Rupprecht (SPD) a été adoptée par 77 voix contre 19 et 12 abstentions. C’est précisément parce que cette assemblée ambitionne d’être la conscience de l’Europe, que j’ai réagi avec vigueur contre l’exposé des motifs que j’invite chacun à lire attentivement. Je n’ai accusé personne d’antisémitisme. Tous ceux qui ont lu mes livres savent que je réserve ce terme (stupide en soi) exclusivement à ce qu’il a historiquement couvert : le refus de l’émancipation, les lois d’exception anti-juives, l’expulsion et finalement le judéocide. Ce que j’ai stigmatisé, c’est l’irresponsabilité de parlementaires européens qui avalisent un rapport fait de « raccourcis, d’amalgames et de confusions », dans un domaine dont l’expérience historique nous apprend que de prétendus critères objectifs ont toujours dissimulés les pires préjugés. Il ne s’agit pas en l’occurrence de formuler des jugements personnels, mais d’actes politiques qui ne sauraient être détachés de leur contexte passé et présent. En ce sens, aucun argument nouveau ne justifie la réouverture, avec cette violence verbale, d’une question plus que centenaire, voire millénaire.

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réfléchir Le premier assassinat de l’histoire du sionisme

l’historiographie

jacques aron

E

presse néerlandaise mais surtout anglaise, de négociations parallèles avec l’émir Hussein du Hedjaz, que la haine envers de Haan culmina finalement dans sa lâche exécution.

n éditant la traduction française d’une série de reportages publiés dans le journal néerlandais Algemeen Handelsblad entre 1919 et 1924 par son envoyé à Jérusalem, l’écrivain et poète Jacob Israël de Haan, Nathan Weinstock rouvre le dossier de l’assassinat politique qui mit brutalement fin à la vie du journaliste1. Le 30 juin 1924, en effet, de Haan était abattu en pleine rue de trois balles de révolver. J’avais évoqué il y a quelques années dans nos colonnes ce fait marquant qui avait fourni à Arnold Zweig la matière d’un roman à clés mettant en scène les relations conflictuelles complexes entre Britanniques, Arabes et Juifs2. Je ne mentionne ce fait, que Weinstock ne rappelle pas, que parce que ce roman paru en 1932, dont l’arrivée d’Hitler au pouvoir et l’exil forcé de Zweig empêcha le succès, ne constitua qu’une étape dans le long processus de refoulement des circonstances du meurtre et de l’identité des assassins. Au cours du voyage qu’il fit au Proche-Orient en 1932, Zweig réalisa que de Haan avait été victime de sionistes fanatisés et il s’en ouvrit aussitôt à son ami Sigmund Freud. « Ce fait nouveau était très supérieur à l’ancien ; il me forçait à tout reconsidérer sans préjugé favorable aux Juifs, à examiner le meurtre

d’un Juif par un Juif comme s’il s’était agi d’un assassinat politique en Allemagne  », lui écrivit-il le 25 mai 19323. Malgré des témoignages accablants, la légende d’un assassinat commis par des Arabes continuait en effet à circuler et ni Anglais ni sionistes ne semblaient très empressés à découvrir la vérité. Au point que cette version perdura plus d’un demi-siècle. La réédition aux Pays-Bas de l’un de ses romans en 1981 porte encore la mention : « abattu par un Arabe ». En 1985, l’assassinat – il y avait prescription – fut même reconnu officiellement par le meurtrier à la télévision israélienne ; il n’était que l’exécuteur commis par la Haganah. Ceci n’empêche pas le Musée historique juif d’Amsterdam de mentionner jusqu’aujourd’hui sur son site : « En 1924, peu avant son retour prévu aux Pays-Bas, De Haan, devenu entretemps activiste en faveur de l’ultra-orthodoxie, fut probablement (vermoedelijk) assassiné par des Juifs sionistes. »

le personnage Comment en était-on arrivé là ? De Haan, né en 1881 dans une petite ville de province hollandaise, était déjà un personnage sulfureux avant de rejoindre en 1919 la Palestine occupée par l’armée britannique. Son homophilie, mise en scène dans plusieurs romans,

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avait entraîné son isolement dans le milieu socialiste qu’il fréquentait et lui avait fermé les portes de l’enseignement. Sans que l’on sache si cette crise tenait une place dans ce revirement, ce Juif, issu de famille pieuse mais devenu libre-penseur, revint à l’orthodoxie. Un courant minoritaire de celle-ci, le Mizrahi, s’était rallié au sionisme politique, et, encouragé par les promesses de la Déclaration Balfour, de Haan, pourvu entretemps d’une solide formation juridique, gagna la Palestine, non sans s’être assuré quelques revenus comme correspondant de presse. Ses reportages témoignèrent d’abord de sa fascination pour un monde étrange et inconnu : la société arabe, diverse et à la fois brutale et policée. Il entra aussi rapidement en relation avec l’orthodoxie locale implantée de longue date. Il devint son conseil juridique, dans le climat tendu qui l’opposait de plus en plus au sionisme politique militant. La prétention de ce dernier d’être le seul interlocuteur officiel de la puissance occupante – bientôt chargée du mandat de conduire la Palestine à l’indépendance après sa séparation forcée de la Syrie dévolue aux Français – amena les courants orthodoxes non sionistes à se faire entendre à leur tour des Anglais aussi bien que des nationalistes arabes. C’est en rendant compte, non seulement dans la

Si le lecteur francophone actuel découvrira avec plaisir l’excellente traduction, vivante et colorée des chroniques du journaliste hollandais, il aura tôt fait de deviner les réticences de Nathan Weinstock à l’égard du personnage. Le contexte historique est entièrement emprunté aux ex-

cellentes recherches entreprises de longue date par Ludy Giebels, mais l’esprit dans lequel l’universitaire hollandaise les abordait diffère notablement du commentaire de l’homme dont on connaît les revirements historiographiques. Clôturant sa vaste

enquête autour des années 1980, Giebels concluait déjà ainsi : « Par ailleurs, de Haan est entré dans l’histoire comme le traître à son peuple par excellence, parce qu’il cherchait la justice dans le monde non juif. Cette vision est celle de l’historiographie sioniste, le produit d’un nationalisme jeune, qui est resté jusqu’il y a peu et dans de nombreux cas​trop près de ses origines pour posséder la distance nécessaire à une approche équilibrée des points qui touchaient à son existence même. Car ceci est un luxe collectif qui ne devient possible qu’à partir du moment où le rideau est tombé sur le drame. Dans le cas de de Haan, nous y sommes confrontés dès que nous réfléchissons à la manière dont la formule émoussée « plutôt les Turcs que le pape » eut un jour le même effet tranchant et provocant que l’adage de de Haan : « plutôt arabe que sioniste »4. Non seulement le rideau n’est pas encore tombé sur le drame israélo-palestinien, mais la pensée actuelle de Weinstock en porte les stigmates. Si l’homme, comme un Benny Morris, est prêt à s’indigner moralement d’une haine qu’il qualifie d’ « irrationnelle (?) », il lui cherche constamment des circonstances atténuantes et se commet d’office en avocat des criminels. De Haan, véritable « trublion » provocateur, « trop content de jouer un rôle de premier plan et de se parer des plumes d’un diplomate de haut rang » a lui-même « signé son arrêt de mort ». Reprenant toute la terminologie de l’historiographie sioniste officielle, le point de vue unilatéral de Weinstock confère aux Arabes – et à l’émir

Hussein en particulier – toute la responsabilité de la mésentente judéo-arabe, par l’attribution à ceux-ci d’un «  double langage  », argument dont nous connaissons fort bien la descendance actuelle. Alors qu’il va de soi que l’évocation du « Foyer national » accordé aux seuls Juifs en Palestine n’a prêté à aucune confusion de langage et n’a jamais fait l’objet de la moindre contradiction dans ou à l’extérieur du monde juif. Pour Weinstock, l’innocente Déclaration Balfour ne postulait qu’un « Foyer national juif qui s’épanouirait à l’intérieur des frontières palestiniennes, aux côtés – et non en lieu et place – de la population arabe ». Non, décidemment, nous sommes encore loin de la distance critique souhaitable, seul apport possible des historiens à la résolution de l’interminable conflit né en dehors de la Palestine mais qui ne trouvera d’issue que dans les limites de celle-ci. n

Jacob Israël de Haan, De notre envoyé spécial à Jérusalem, Au cœur de la Palestine des années vingt, édition présentée et établie par Nathan Weinstock, André Versaille éditeur, Bruxelles, 2013, 272 p., 19,90 €. 2 « Un meurtre à Jérusalem, un roman politique et policier d’Arnold Zweig », Points critiques, février 2006, n° 263, p. 12. On consultera aussi : Jacques Aron, « Vie et mort de Jacob Israël de Haan », Diasporiques, Paris, n° 12, décembre 2010, pp. 64 à 70. 3 Cité dans la préface de : Arnold Zweig, Un meurtre à Jérusalem, L’affaire De Vriendt, traduit de l’allemand par Roland Hartmann, préface de Pierre Béhar, Éditions Desjonquères, Paris, 1999, p. 7. L’édition originale du roman a paru chez Gustav Kiepenheuer, Berlin, en 1932 sous le titre De Vriendt kehrt heim. 4 Ludy Giebels, « Jacob Israël de Haan in Palestina », in Studia Rosenthalia, juillet 1980 à août 1981, p. 216. Traduction : J. A. 1

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feuilletonner Je vois toujours le pire Sylviane friedlingstein

I

l faut le dire dès maintenant, je suis une « sériephile » dotée d’une capacité de digestion invraisemblable qui me permet de dévorer avec plaisir et intérêt la plupart de ce qui se produit dans la sphère sérielle, soit des récits qui n’arrivent jamais à finir, qui rajoutent des couches de complexité au moment où il faudrait conclure simplement ou qui administrent des simplicités là où l’on ne les attendait pas. Je consomme abondamment ces formes fictionnelles dont l’ultra-modernité n’est pas déjà épuisée et qui rameutent un public qu’auparavant j’aurais boudé en allant voir exclusivement des beaux films ne s’adressant qu’à une poignée. Depuis que la beauté se résume dans la parole critique, cinéphilique et érudite par « c’est un joli film », j’ai été voir ailleurs. Depuis que la série règne, le Joli postmoderne cinéphilique n’est plus le plus petit dénominateur commun du beau, ce qu’il a bien cherché en trouvant tout joli.

Objet De ce que l’on parle et commente souvent, la série est l’objet, et il faut encore le dire pesamment et à l’envers pour faire science. Les séries font parler et forment un lieu commun qui fournit un peu de légèreté et de li-

berté de parole. Il y a du mou, du discutable, du bête, de l’intelligent, de l’amusant là-dedans. Venant du petit écran et y retournant la plupart du temps, la chose n’est pas à vénérer, sa durée de pertinence immédiate est courte mais elle détient tout ce qu’il faut pour rentrer dans le domaine des sémiologies et des universités de demain. Lettres de noblesse obligent, on y pense, et je vous propose quelques unes de ces pensées.

Sujet Aujourd’hui Homeland1. Cette série est loin d’être ma préférée mais une dispute me l’a mise sous la dent. La série Homeland est censée lancer la guerre entre les peuples ou à tout le moins elle la soutient. C’est le cri de haine de l’Amérique à l’adresse de tous les musulmans du monde, la geste suprême qui infère de la responsabilité de certains la culpabilité de tous. Je n’en savais rien et ce, de manière coupable, mais c’est ce dont un geste d’une rare violence venue d’un ami cher m’a informée et j’en suis encore toute étourdie. Je n’en savais rien ou plutôt j’essayais bravement de saisir comment la série allait s’en sortir et faire d’un récit post-traumatique autre chose qu’une bru-

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tale, globale et propagandiste mise en accusation et détestation de l’islam, et surtout des musulmans. La série pouvait également ne pas s’en sortir mais les risques de la fiction sont éternellement à ne pas abolir pour celle qui les aime. La série n’aurait plus été au fond qu’un récit qui, faisant la part belle à la violence inouïe du 11 septembre, aurait sombré dans son simple rappel en n’ayant pas trouvé l’astuce scénaristique d’en faire tout de même une histoire pas simple. Il me semble que ce n’est pas le cas et, sans entrer dans le détail de la chose, mon avis est qu’il faut considérer Homeland comme une boîte à bricolage utile pour échapper à la sidération, qui ne dit pas plus ou pas moins que la science des opinions et savoirs éclairés. Je pense même que la réussite de ces histoires sans fin, nécessitant des jeux de pensée de cohortes de scénaristes pas forcément plus naïfs ou incompétents que les éditorialistes et commentateurs singleton de journaux d’opinion ou de blogs et autres «  je  » tout-puissants, consiste dans leur résistance aux totalisations qui raidissent et renvoient les uns et les autres dans leur propre camp. Il faut tout de même dire que la série Homeland est bourrée d’invraisemblances mais nous ac-

Homeland

cepterons avec soulagement que l’arbre du vrai y penche en faveur d’une forêt dont la seule fonction consiste à exister en tant que fiction. Nous irons voir ailleurs pour comprendre pour de vrai et en toute sécurité.

complément La consommation effrénée de fiction ne calme pas mon inquiétude naturelle mais ne la nourrit pas plus. La certitude que tout ce qui élabore, construit du sens, diffère la conclusion ou la réduit à la simple expression qu’il faut une fin contribue à la pacification. Il existe une simple vertu à rapatrier la violence dans des lieux où la parole n’est pas invective et in-

jure, où il est plus amusant de bavarder et de polémiquer que de frapper et de blesser et de tuer. Bref la fiction fait bel et bien partie de la sphère critique qui jugule vaille que vaille la brutalité y compris celle de la révolution qui ne se fait pas ou qui se faisant fait autre chose que ce à quoi elle s’était promise. Quelle violence m’a infligé cet ami sinon justement de ne pas respecter les règles de l’art fictionnel par la dramatisation  ? Quelle violence m’a-t-il infligée en disant souffrir que la Juive à qui le pire était déjà arrivé ne repère pas les signes du pire à venir pour les arabo-musulmans dont il est ? Qu’exige-t-il violemment

en voulant que ce soit la même histoire alors que tout peut aller mal d’une autre façon ? Connaîtil la violence qu’il exerce à vouloir courber le temps pour revenir à l’identique ? Ce « devenir juif » de toutes les adversités et désolations, ce retour compulsif à l’identique confinent à la fantasmagorie et je me méfie des fantasmes qui brouillent la vue et rendent confus. Bon, je commence toujours par voir le pire pour considérer ensuite le meilleur. Je vous conseille vivement la lecture de L’art de la joie de Goliarda Sapienza qui prend le temps de plus de huit cents pages pour nous dire le pire en évoquant principalement le plaisir qu’il y a à ne pas y succomber. On verra plus tard la question de l’utilité du plaisir. n

Homeland est une série américaine adaptée d’une série israëlienne intitulée Hatoufim. Elle raconte l’histoire d’un soldat américain revenant de 8 années de captivité en Irak et repose sur un ressort scénaristique unique : a-t-il été retourné ?

1

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numériser Le bitcoin démystifié Jonathan gross

J​ onathan Gross est ingénieur et développeur informatique. Il est membre de l’UPJB et d’Entr’act, le groupe créé par d’anciens moniteurs de l’UPJB-Jeunes. Il se penche dans cet article sur les questions soulevées par la monnaie numérique ou bitcoin. Cette thématique, abordée le plus souvent avec sensationnalisme par les media, mérite des éclaircissements qui ne concernent pas seulement les férus de nouvelles technologies.

J

e ne serais pas étonné qu’une bonne partie de ceux qui ont lu ou entendu le terme bitcoin récemment l’associent exclusivement à l’achat d’armes ou de drogue, à de jeunes geeks (« allumés ») qui sont récemment devenus riches en spéculant sur le cours de change entre le dollar et le bitcoin (les « bitcoin millionaires ») ou bien à un « truc » d’informaticiens qui ne savent plus quoi inventer. Bien que tout cela soit vrai, le bitcoin est bien plus que cela. Le bitcoin, c’est aussi une méthode de paiement déjà acceptée par plus de 15.000 sites d’e-commerce et d’ONG aux ÉtatsUnis, c’est la monnaie choisie par un nombre croissant d’américains pour recevoir leurs salaires, ce sont des centaines de start-ups spécialisées créées en 2013, c’est un premier distributeur automatique installé en Europe (à Helsinki, mais d’autres sont en attente de livraison dans les plus grandes villes), ce sont plus de 11 millions d’utilisateurs à travers le monde et c’est aussi, depuis tout récemment, un moyen de paiement accepté par notre opérateur

de téléphonie Mobile Vikings. Mais le bitcoin, ça pourrait être encore bien plus que cela. Les plus idéalistes et optimistes de ses utilisateurs pensent qu’on assiste à une révolution, non seulement technologique mais aussi sociétale. Bien qu’on parle beaucoup du bitcoin dans les media, je rencontre beaucoup de gens qui ne comprennent pas de quoi il s’agit vraiment ou qui sous-estiment son champ d’action. Je me propose donc ici de vous expliquer le plus simplement possible de quoi il s’agit, d’aborder quelques enjeux importants, de déconstruire certains a priori. J’espère surtout vous encourager à vous intéresser davantage à ce vaste sujet et vous donner les clés pour décrypter ce que vous lirez dorénavant. Le bitcoin prend son origine dans le constat que les États tirent une grosse partie de leur pouvoir de leur contrôle de l’infrastructure financière. Les cypherpunks, des activistes qui prônent l’utilisation de la cryptographie pour améliorer la société (voir goo.gl/h0vc8l), réfléchissent depuis 25 ans à des moyens basés sur la cryptographie pour créer une monnaie digi-

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tale décentralisée et ainsi rétablir la liberté d’interaction économique. Mais deux problèmes fondamentaux se sont présentés à tous ceux qui ont tenté de créer une telle monnaie. Le premier est le registre de la liste des transactions. En effet, quand, dans le système actuel, on reçoit un virement bancaire, c’est en fait une banque qui confirme que le payeur avait sur son compte l’argent nécessaire à la transaction et qui confirme que cet argent appartient dorénavant au destinataire. Qu’une liste des transactions soit conservée est indispensable à toute utilisation d’argent virtuel. Mais donner la responsabilité de conserver cette liste de transactions à quiconque ou à une quelconque entité nous éloigne de l’objectif de décentralisation. La solution proposée par le bitcoin est tout simplement que tout le monde conserve la liste complète de toutes les transactions effectuées depuis la création de celui-ci. En fait, tous les ordinateurs connectés au réseau et faisant tourner le logiciel officiel du bitcoin disposent de ce registre sur leur ordinateur. Et ce registre,

qu’on appelle la blockchain, se met à jour à chaque connexion. Plus besoin de faire confiance à une centrale. Le second, fondamental, est le problème de « double dépense », ou comment empêcher Pierre d’envoyer 1€ à Paul et 1€€ à Jacques alors qu’il n’a qu’1€ sur son compte. Il est évident qu’une partie du problème est résolue parce que tous les utilisateurs ont accès à la blockchain. Quand Jacques reçoit son paiement, son ordinateur va interroger les autres ordinateurs du réseau et il va pouvoir confirmer qu’après avoir envoyé 1€ à Paul, Pierre n’a plus d’argent sur son compte. Mais, comme une transaction en bitcoin est immédiate, que se passerait-il si Pierre a l’intelligence – et les compétences techniques – d’effectuer les paiements presque simultanément ? Les ordinateurs du réseau que l’ordinateur de Jacques va interroger pour savoir si Pierre à encore 1€€à dépenser n’auront peutêtre pas encore reçu l’information du paiement fait à Paul. Le bitcoin propose une solution élégante basée sur la cryptographie, dans laquelle les ordinateurs connectés au réseau vont se mettre en commun et faire des calculs pour vérifier la transaction et après 10 minutes, Jacques aura la confirmation ou l’infirmation de la légitimité de sa transaction. Pour être plus exact, ce n’est qu’après 60 minutes que la transaction sera totalement confirmée comme exempte d’irrégularités, mais on n’attend généralement autant de temps que pour les très grosses transactions. Le bitcoin est la première monnaie décentralisée digitale qui ait proposé une solution solide à ces deux problèmes. Et plus gé-

néralement, c’est le premier réseau de communication peer-topeer (pair-à-pair, c-à-d qu’il n’y a pas un serveur central, mais le réseau est constitué de tous les ordinateurs qui y sont connectés) qui a trouvé réponse à la question « Comment avoir un système décentralisé sans pour autant ne faire confiance à aucune des parties ». Ceci m’amène à un point fondamental mais trop souvent méconnu ; le système formulé par l’inventeur du bitcoin décrit un protocole de communication vérifiée – protocole que l’on nomme le Bitcoin, avec un B majuscule – et sur lequel se base une monnaie – le bitcoin avec un petit b. Il est très important de faire la part des choses entre le Bitcoin – le protocole – et le bitcoin (BTC) – la monnaie. La monnaie est celle dont vous entendez souvent parler. Le protocole permet de supporter la monnaie, mais en tant que protocole de communication vérifiée décentralisé, il permet en fait bien plus que le simple support d’une monnaie. J’y reviendrai plus loin.

Des avantages évidents De par sa nature, le bitcoin a des avantages évidents pour les utilisateurs que nous sommes comparé aux monnaies centralisées comme l’euro, le dollar, le yuan… Les transactions, même internationales, en bitcoins sont quasi immédiates, sans frais (ou presque, mais je ne m’y attarderai pas ici), sans intermédiaire. Il n’est donc pas étonnant qu’il intéresse autant. Et pourtant, bien que ces avantages soient effectivement réels pour nous, habitants de pays riches, c’est dans d’autres contrées qu’il pourrait avoir un réel impact économique.

Avant d’y revenir, j’aimerais parler d’une caractéristique importante du bitcoin. Le bitcoin est une monnaie déflationniste. Par opposition à la possibilité qu’ont les banques centrales d’imprimer des billets selon leur bon vouloir, le bitcoin a été créé de telle manière que le nombre de bitcoins croît selon une courbe déterministe. Toutes les 10 minutes, un nombre fixe de bitcoins sont générés. Entre 2009 et 2013, ce nombre était de 50. Puis, tous les 4 ans, ce nombre sera divisé par 2, pour atteindre 0.00000001 bitcoin généré toutes les 10 minutes en 2140. Aucune institution n’a ou n’aura le pouvoir d’en créer plus ou moins. Il y a actuellement 12 millions de bitcoins en circulation ; et nous savons qu’il y en aura 21 millions au total en 2140, date à partir de laquelle aucun bitcoin ne sera plus généré. Cela a pour conséquence importante que si l’utilisation du bitcoin se généralise, la valeur d’1 BTC pourrait augmenter significativement pour permettre de supporter cette utilisation, d’autant plus que le bitcoin est divisible jusqu’à la 8ème décimale. De fait, on parle déjà beaucoup en millibitcoin (mBTC) plutôt qu’en bitcoin. Pour se faire une idée, au moment où j’écris ces lignes, il y a pour 9 milliards de dollars de bitcoins en circulation (12 millions de BTC x 750$/BTC). Le total de dollars en circulation est quant à lui de 1.230 milliards. Ce nombre limité de bitcoins est une des raisons qui expliquent la forte augmentation récente de la valeur du bitcoin. Ça implique malheureusement aussi qu’il y a un certain intérêt à épargner en bitcoins, et donc son utilisation comme moyen

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➜ d’échange pourrait en être détériorée.

Au bénéfice des pays en développement Examinons maintenant des applications réelles de l’utilisation du bitcoin. Et tant qu’à faire, attardons-nous sur celles qui ont un véritable impact économique sur ceux qui en ont le plus besoin. Les premiers qui ont beaucoup à tirer de la généralisation du bitcoin sont les immigrants économiques qui envoient de l’argent à leur famille restée au pays. Le total de ces transferts représente une somme d’argent colossale. Les options proposées pour effectuer ces transferts sont limitées et, actuellement, les plus généralisées sont Western Union et MoneyGram. Ces opérateurs sont choisis parce que leurs frais de transaction sont moins chers que les banques pour ce type de transferts internationaux. Il n’empêche que pour envoyer de l’argent des pays développés vers les pays plus pauvres d’Afrique, d’Amérique Latine ou d’Asie, les frais sont en moyenne de 12.5%, et peuvent être bien plus élevés dans certains cas, parfois jusqu’à 20, 30 ou même 40% pour les petits transferts. Un impôt ponctionné par le système financier occidental et qui enlève aux plus démunis toute chance de développement économique. Le bitcoin pourrait faire descendre ces frais à des pourcentages proches de 0. Et, pour pallier la fracture numérique, des services ciblés pour les pays en développement sont déjà en train d’être créés pour permettre de faire des transferts de bitcoins avec un simple téléphone. En ce qui concerne le change de bitcoins en monnaie locale, de nombreux commerçants locaux sont en train d’être formés et équipés. Si vous êtes vénézuélien, une

de vos grosses préoccupations actuelles est d’essayer de changer vos bolivars en dollars américains. Le pouvoir y imprime de la monnaie à un rythme effréné et l’inflation y atteint ainsi des records. Pour ne pas voir votre épargne fondre comme neige au soleil, il s’agit de la convertir dans une monnaie plus stable. Mais le gouvernement, tentant d’empêcher cette conversion de masse vers le dollar, met en place des moyens légaux et pratiques pour la limiter, si pas l’interdire. C’est pour cela que beaucoup de Vénézuéliens se rabattent déjà sur le bitcoin qui échappe à ces limitations et dans lequel ils voient une monnaie qui fera fructifier leur épargne plutôt que la déprécier. Dans un article intitulé « Should Palestine switch from the shekel to bitcoin ? » (goo.gl/Tl9iVQ), Max Keiser, un commentateur financier et ancien agent de change, fait la proposition aux Palestiniens d’utiliser le bitcoin plutôt que le shekel israëlien, «  guidé par une politique de taux d’intérêt fixé mensuellement par la Banque d’Israël, qui dicte les finances palestiniennes ». Il rajoute, je cite, que « pour la première fois dans l’histoire, un pays émergent comme la Palestine a la capacité de se séparer de son occupant en adoptant une monnaie cryptographique : le bitcoin. Pas un coup de feu ne doit être tiré. Aucun vote de l’ONU n’est nécessaire. Pas de négociation internationale de paix. Juste le bitcoin pour la victoire ». Et encore, et là je lui laisse l’entière responabilité de ses affirmations,… que « l’argent pourrait être envoyé en et hors de Palestine sans être inquiété par les banquiers internationaux qui ont conspiré avec Israël pour maintenir les Palestiniens derrière le mur d’apartheid d’Israël, à la fois physique et monétaire » . Il va

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de soi qu’au vu de la segmentation géographique mise en place par Israël dans les territoires palestiniens, la fin de l’occupation nécessitera plus qu’un changement de monnaie. Mais on comprend mieux avec ces quelques exemples comment cette monnaie numérique, souvent vue simplement comme un délire d’informaticiens, est, de par son caractère décentralisé, un moyen d’émancipation économique et politique.

Sans intermédiaire Ici nous parlions bien du bitcoin en tant que monnaie. Comme je le mentionnais plus haut, le Bitcoin (avec un B majuscule) est un protocole de communication qui permet bien plus que de simplement servir de support à cette monnaie. Les aspects de transparence de l’information (le caractère public de la blockchain), de protection contre les fraudes et le fait qu’à chaque transaction peut être joint n’importe quel texte ou document encouragent certains à imaginer l’utilisation de ce protocole pour signer des contrats, pour des transferts de propriétés, pour la vente de parts de sociétés, même l’échange de marchandises,… (voir par exemple les projets Mastercoin, goo.gl/NlLwRx, et Colored Coins, goo.gl/JL094V). C’est pour cela que le concept est reconnu par beaucoup comme révolutionnaire. Il s’agit tout simplement de se passer d’intermédiaire. Et dans les exemples cités, ce sont souvent des intermédiaires à caractère monopolistique : les États, les grandes banques, les principaux organismes de paiement, les bourses, les notaires,… Il est clair que le chemin pour arriver à une utilisation généralisée du Bitcoin pour ce type d’applications est semé de nombreuses embûches légales, politiques, institutionnelles, psychologiques. Ce

n’est pas sans effort qu’on bousculera le système établi, système dans lequel les intermédiaires dont nous parlons de nous passer jouissent actuellement d’une position confortable et influente, et auraient tout à perdre. À moins qu’ils n’emboîtent le pas de la modernité en repensant leur utilité, leurs business models autour de ces nouveaux outils pour fournir des services qui apportent une valeur ajoutée à leurs clients plutôt que de profiter de leurs situations établies et privilèges monopolistiques. Parce que, bien que des États et institutions soient déjà partis en guerre contre le développement du bitcoin, comme la Chine ou l’Inde, beaucoup d’autres ont compris que parce qu’il est de nature décentralisée et basée sur le peer-to-peer, il ne saurait être interdit. Tout au plus, son utilisation et son change pourraient être rendus plus compliqués. La plupart des pays se sont lancés récemment dans des réflexions sur leur réaction par rapport au bitcoin et sur sa compatibilité avec leurs lois financières en vigueur. Nombre d’entre eux ont déjà déclaré que le bitcoin n’était pas illégal et qu’ils n’interféreraient pas avec celui-ci. Mais ils réfléchissent bien entendu à légiférer et ont commencé à officialiser le fait que les revenus générés par ou avec le bitcoin seront soumis à taxation comme tout autre revenu. À suivre… Avant de conclure, je voudrais rapidement passer en revue certains des a priori qui reviennent souvent à son sujet. D’abord, on reproche au bitcoin son rôle central dans le darkweb, comme monnaie d’échange pour acheter de la drogue ou des armes. En effet, on peut acheter de la drogue avec des bitcoins. En terme de valeur, la drogue est globalement la 2ème marchandise le plus ache-

tée après la nourriture. Il serait donc assez étonnant (voire décevant ?), que le bitcoin, dont beaucoup essaient de démontrer l’efficacité en tant que monnaie, ne permette pas d’en acheter. Le système actuel, fort de ses monnaies centralisées, n’a pas démontré, d’après moi, un succès convaincant dans la limitation de l’achat de drogue. Le marché noir a toujours existé et existera toujours.

la valeur des choses Beaucoup d’utilisateurs sont aussi freinés dans l’achat de bitcoins sous prétexte qu’ils ont peur d’investir dans quelque chose qui n’aurait pas de valeur intrinsèque, comme en aurait par exemple l’or. Mais qu’est-ce qu’une valeur intrinsèque  ? Les «  choses  » ont la valeur qu’on leur donne, en fonction de l’intérêt qu’on leur porte. Avant qu’on ne découvre les vertus de l’or, il ne valait guère plus que le sable. L’or a acquis sa valeur quand on a découvert ses différentes applications et les limites de son approvisionnement. Cela est pareil pour le bitcoin, qui possède de la valeur dans la facilité, la rapidité et la sécurité de son échange, et dans la liste publique de toutes ses transactions. Il y a aussi la peur qu’une autre monnaie cryptographique soit créée du jour au lendemain par un développeur et qu’elle soit plus efficace que le bitcoin et, donc, prenne sa place. En réalité, beaucoup d’autres monnaies cryptographiques ont déjà été créées depuis l’émergence du bitcoin, il y a 4 ans. Toutes ces monnaies sont basées sur les mêmes principes que le bitcoin tout en apportant des différences légères. Certaines, comme par exemple le litecoin, acquièrent une valeur certaine et commencent aussi à être utilisées comme monnaie d’échange. Il n’empêche que, au

vu de sa valeur actuelle, le bitcoin a une longueur d’avance et garde pour l’instant la confiance de la plupart de ses utilisateurs. Mais, rien n’empêche que plusieurs monnaies de ce type se généralisent et soient utilisées en parallèle. De plus, personne ne peut soutenir avec certitude que le bitcoin restera éternellement la monnaie cryptographique de référence. C’est plutôt le concept en lui-même que soutiennent les supporters du bitcoin. Ils pensent qu’il a le potentiel de se faire une place dans notre futur, peu importe quel sera son nom dans 10 ans. Tous ces éléments ont malgré tout la fâcheuse conséquence de rendre la valeur du bitcoin très volatile. C’est un réel problème, qui freine sa généralisation. Conserver des bitcoins est assez risqué et proposer le bitcoin comme moyen de paiement implique pour le moment de changer ses prix plusieurs fois par jour. Il s’agit d’un pêché de jeunesse, qui ne se résoudra qu’avec une plus grande connaissance du public sur le sujet, de laquelle découlera une plus grande confiance et une généralisation de son utilisation. J’espère vous avoir donné envie de vous intéresser davantage au bitcoin. L’intérêt général pour celui-ci, son développement et son utilisation sont en plein boom. De par le nombre grandissant de biens et de services qui sont maintenant payables en bitcoin, son volume d’échange dépasse certains jours ceux de Western Union et de Paypal. Pas trop mal pour quelque chose qui n’existait pas il y a 4 ans, et dont on n’entend parler en Belgique que de manière superficielle ou autour de faits divers et d’annonces. n

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! ‫יִידיש ? יִידיש‬

Yiddish ? Yiddish ! par willy estersohn

Traduction

‫אל חנון‬

Dieu de miséricorde,/Choisis un autre peuple,/En attendant. Nous sommes épuisés de mourir et d’être morts,/Nous n’avons plus de prières,/Choisis un autre peuple,/En attendant. Nous n’avons plus assez de sang/Pour être sacrifiés./Nos maisons se sont transformées en désert./La terre ne suffit plus pour nos tombes,/Il n’y a plus de lamentations pour nous,/Plus de chants funèbres/Dans les Livres anciens.

Eyl khanun Dieu de miséricorde Nous avons déjà fait la connaissance de Kadya Molodovsky (Biélorussie, 1894 – New York, 1975) dans cette chronique avec un poème intitulé ‫ ֿפרויען לידער‬Froyen lider (Poèmes de femmes). Rappelons que c’est à Varsovie, où elle vécut de 1925 à 1935, que furent édités ses quatre premiers recueils de poèmes. Kadya Molodovsky s’installe à New York en 1935, poursuivant son activité littéraire. En 1971, elle se verra attribuer à Tel Aviv le prestigieux prix Itzik Manger. À la lecture de cet extrait d’un long poème, on comprendra pourquoi celui-ci a été écrit en 1945.

,‫אל חנון‬ khanun eyl

,‫ֿפאלק‬ ָ ‫קלײב אויס ַאן ַאנדער‬ ַ folk

ander an oys

klayb

.‫דערװײל‬ ַ

dervayl

,‫געשטארבן‬ ָ ‫שטארבן און‬ ַ ‫מיר ַזײנען מיד ֿפון‬ ,‫ֿפאר אונדז‬ ַ ‫נישטא קײן קינות מער‬ ָ undz

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nishto

kloglid keyn

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‫קלאגליד‬ ָ ‫נישטא קײן‬ ָ

.‫אין די ַאלטע סֿפרים‬ sforim

alte

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fun mid zaynen mir

,‫האבן נישט קײן ּתֿפילות מער‬ ָ ‫מיר‬

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,‫ֿפאלק‬ ָ ‫קלײב אויס ַאן ַאנדער‬ ַ oys

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,‫דערװײל‬ ַ dervayl

‫האבן ניט קײן בלוט מער‬ ָ ‫מיר‬ mer

blut keyn nit hobn

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korbn a zayn tsu

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.‫אויף צו ַזײן ַא קרבן‬

.‫געװארן אונדזער שטוב‬ ָ ‫ַא מדבר איז‬ shtub

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,‫ֿפאר אונדז אויף קֿברים‬ ַ ‫קארג‬ ַ ‫די ערד איז‬ kvorim

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oyf

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remarques

‫ אל חנון‬eyl khanun (hébr) = Dieu de miséricorde. ‫ קלַײבן‬klaybn ou ‫ אויסקלַײבן‬oysklaybn = choisir, sélectionner, élire (voir l’expression « peuple élu ») ; élire (dans le sens voter = ‫ װײלן‬veyln ou ‫ אויסװײלן‬oysveyln). ‫ שטַארבן‬shtarbn = mourir ; au participe passé : ‫ געשטַָארבן‬geshtorbn. ‫ ּתֿפילה‬tfile (hébr) = prière. Dans ce vers on remarque ‫ ניטש קײן‬nisht keyn = (littéralement) ne pas aucun : il s’agit d’une double négation, absente en allemand et en néerlandais. ‫ קרבן‬korbn (hébr) = victime. ‫ מדבר‬midber (hébr) = désert. ‫ קַארג‬karg = avare (ici : insuffisant). ‫ קֿברים‬kvorim (hébr) : pluriel de ‫ קֿבר‬keyver = tombe. ‫ קינות‬kines (hébr) : plur. de ‫ קינה‬kine = élégie, lamentation. ‫ סֿפרים‬sforim (hébr) : plur. de ‫ סֿפר‬seyfer = livre religieux (livre = ‫ בוך‬bukh). février 2014 * n°343 • page 25


anne gielczyk

La fin du monde, le retour

E

st-ce que vous vous souvenez de la date de la dernière fin du monde ? Le 21 décembre 2012 vous me dites ? Eh bien ça dépend des versions. Les Anglais l’avait annoncée pour le 12 décembre 2012. Bon peut-être qu’ils ont inversé les chiffres, ce n’est pas exclu pour des gens qui roulent à gauche, mais de toute façon, est-ce que vous l’avez vue vous, la fin du monde, le 21 décembre 2012 ? Non ? Ah, vous voyez bien ! Tandis que moi, le 12/12/12 vous vous en souvenez peut-être, c’est le jour où on m’a volé mon ordinateur en gare de Gand ! Si ce n’est pas la fin de tout, ça, se faire voler son ordinateur ? Et puis miracle, la fin du monde n’ayant finalement pas eu lieu, ni le 12, ni le 21, il avait réapparu vers Noël sur l’écran de mon nouvel ordinateur, « géolocalisé » par mon serveur à Charleroi, rue Zénobe Gramme. J’avais contacté la police de Charleroi, très sympathique la police de Charleroi, mais malheureusement impuissante car mon « localisateur » ne spécifiait pas le numéro de la maison « et la rue Zénobe Gramme est longue Madame », « et d’ailleurs c’est la rue la pire de Charleroi », ce qui n’est pas rien, j’en conviens. J’avais donc définitivement

fait le deuil de mon ordinateur, quand je lus dans le journal du 28 décembre dernier qu’un couple de Carolorégiens, Flora et son mari pour ne pas les nommer, avait accueilli pour le réveillon de Noël deux sansabris pour partager avec eux gite et couvert dans leur studio… de la rue Zénobe Gramme ! Nous y revoilà ! La rue la pire de Charleroi. Sur le coup de minuit les desdits sans-abris, ces ingrats, après avoir bien mangé et surtout bien bu, s’étaient tirés avec tout leur argent à Flora et son mari, leur GSM et je vous le donne en mille… leur ordinateur ! MON ordinateur, j’en suis sûre ! Volé une deuxième fois. Ceci dit, ça me console qu’il ait été tout ce temps chez des gens à la fois modestes et généreux. Quand je pense qu’il va loger dans la rue maintenant, ça me fend le cœur.

B

ienvenue en 2014 donc. Autant dire que je ne la sens pas celle-là. On nous annonce une reprise. Paraîtrait que les années en 4 sont des années de reprise : 1984, 1994, 2004… Certes, mais c’est comme pour la fin du monde, on attend de voir hein. Et puis n’oublions pas l’année 1934, qui me semble de tous points de vue plus appropriée en termes de comparaison. Ce fut en effet une année de reprise

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après quatre longues années de dépression, avant de plonger dans la Deuxième Guerre mondiale. Ce qu’on a fait de mieux jusqu’à présent en matière de fin du monde comme vous savez.

L

’année 2014 sera l’année de la commémoration de l’autre Grande Guerre, celle que je préfère mon colon comme dirait Brassens, celle de 14-18, et pas pour la fin de celleci mais pour son début. Sans parler de ces élections, le 25 mai prochain, qui s’annoncent très fin du monde elles aussi. Ambiance les amis. Bart de Wever, lui, a commencé l’année 2014 sur les chapeaux de roue, c’est le cas de le dire puisqu’il a accompagné une patrouille de la police d’Anvers durant​la nuit du réveillon. Ensuite il est allé en parler au JT de VTM. Vous n’imaginez pas tout ce qu’on peut apprendre du monde sur le siège arrière d’un combi de police une nuit de réveillon de nouvel an. Ainsi, nous raconte-t-il, il a vu de ses yeux vu, ce que l’on appelle vu ni plus ni moins que le fléau de la drogue, « de gesel van drugs » et en effet, sa patrouille a évacué, tenezvous bien un (je dis bien 1) drogué « complètement stoned ».

Papieren, alstublieft, vos papiers svp!

Ensuite, ils sont intervenus sur divers incidents, vandalisme, état d’ivresse sur la voie publique (étonnant un 31 décembre), qui montrent bien que les caméras sont in-dis-pen-sa-bles. Et puis, cerise sur le gâteau, après le feu d’artifice auquel assistent chaque année quelque 60.000 personnes groupées sur la rive droite de l’Escaut, a retenti tout à coup à travers les haut-parleurs officiels, de la musique… arabe ! Le sang du bourgmestre d’Anvers n’a fait qu’un tour, cela annonçaitil un attentat terroriste ? En effet, qui, à l’écoute d’une musique arabe ne pense pas immédiatement à l’imminence d’un attentat terroriste ? Il a crié comme en octobre 2012, souvenez-vous, « zet die ploat af, idioot ! » (enlève-moi ce disque, imbécile !). Mais personne qui l’a entendu cette fois, tout le monde avait l’air de trouver ça normal cette musique arabe, s’est-il étonné. Pourtant nous dit BDW, l’islamisme, « het moslimextremisme » constitue la plus grande menace de notre temps.

J

’ai envie de lui dire « zet die ploat af, Bart ! » Change de disque ! D’ailleurs c’est à peu près

ce qu’ont écrit le président et le viceprésident des jeunes libéraux flamands1, pas spécialement des gens de gauche donc. Ils dénoncent ni plus ni moins « la dictature de la peur » du bourgmestre d’Anvers, une stratégie qui, à travers l’histoire récente, a revêtu des formes diverses, la bombe atomique soviétique des années de guerre froide, l’axe du mal de George W. Bush… et j’ajouterai, une fois n’est pas coutume, la stratégie fondatrice des dirigeants israéliens. Aujourd’hui au nom de la menace islamiste, ce sont les caméras de surveillance indis-pen-sa-bles, la surveillance tout azimuts des communications sur Internet par la NSA (avec le A de Antwerpen), bref, on se croirait en 1984, une autre année en 4, celle du Big Brother de George Orwell.

L

e bourgmestre Bart De Wever ne s’occupe pas uniquement des grandes menaces de notre temps, il y a aussi les petites nuisances de tous les jours qui nous pourrissent la vie dans nos quartiers. Depuis le 1er janvier, les communes peuvent donner des amendes de 175 euros à partir de l’âge de 14 ans. Mon nouveau bourgmestre, Yvan Mayeur a décliné. Ce sont les fameuses « GAS-boetes », les « SAC » ou sanctions administratives communales. Une arme dont disposent les communes depuis 1999 et qui leur permet de punir, par exemple, en vertu de l’article 552 du code pénal

et sans en informer le parquet, ceux qui auront jeté, exposé ou abandonné sur la voie publique des choses de nature à nuire par leur chute ou par des exhalaisons insalubres. C’està-dire, vous l’aurez compris, un peu tout et n’importe quoi comme le démontre la liste des 100 SAC les plus absurdes de 2013, établie par l’hebdomadaire Knack. En tête de liste, la ville d’Anvers, noblesse oblige, avec une amende octroyée à une maison de jeunes pour avoir protesté contre les… SAC. Mais il n’y a pas qu’à Anvers qu’on SAC à tout va. À Hasselt, il est interdit de s’asseoir sur les accoudoirs d’un banc public, à Saint-Nicolas, de grimper aux arbres et à Deinze, de lancer des confettis qui auraient déjà atterri préalablement sur le sol. À Bruxelles, une dame a du payer une amende de 50 euros pour avoir jeté 1 (oui 1 !) noyau de cerise par terre, rue Neuve. Cela lui fut signifié par pas moins de 4 policiers en veste pare-balles accompagnés d’un commissaire. Il y a très longtemps, quand je faisais encore de la musique de chambre en amateur, mon quatuor et moi avions été interpelés par la police de Bruxelles, alors que nous nous produisions un 21 juin, journée de la fête de la musique dans les Galeries Saint-Hubert. Un jeune parlementaire dans le public, s’était avancé pour nous offrir son soutien. « Je suis député » avait-il dit à la police, « avec cette tête ?!  Vos papiers svp », lui avait-on répondu. Il s’appelait … Yvan Mayeur. n Bert Schelfhout et Bart Vanmarcke, « Jong VLD » sur Knack.be du 06/01/14.

1

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lire d’auto-complaisance ?), ne dira-til pas à l’un de ses neveux : oui, je ne suis pas du genre à réussir, je suis un raté. Jugeant que « Samuel » ça fait un peu vulgaire, il se change en « Seymour » mais reste néanmoins toujours le même, celui qui n’en fout pas une. Voici le Dr Isaac Duspenser, vieil historien

Delmore Schwartz Antonio Moyano

« Ô Delmore, comme vous me manquez. C’est vous qui m’avez insufflé l’envie d’écrire. Vous étiez un génie. Maudit. » Signé Lou Reed

S

ans lui, jamais sans doute je n’aurais lu Delmore Schwartz, nouvelliste et poète américain né à Brooklyn en 1913, mort en 1966 à l’âge de 53 ans. Son cœur a craqué par trop d’alcool ; il est resté trois jours à la morgue avant qu’on vienne le reconnaître. Ses amis ont appris son décès par la presse. Que d’écrivains l’ont admiré, et pas des moindres ! On dit même que Le Don de Humboldt de Saul Bellow c’est lui ! La quasi-totalité de l’œuvre de Delmore reste encore à traduire, notamment son Journal, sa poésie, son théâtre, ses chroniques, ses essais, sa correspondance  ; pas étonnant si j’ai la désagréable sensation d’avoir de lui une vision tronquée et lacunaire. Les parents de Delmore étaient des Juifs de Roumanie, arrivés aux USA en 1893. 1893 !?! Pardi   Mais c’est l’année de naissance de l’immense acteur hollywoodien Edward G. Robinson, lui aussi venu de România (de son vrai nom Emanuel Goldenberg, Bucarest 1893-Hollywood 1973). En 1973, ah je m’en souviens comme si c’était hier, mon père m’a fait le panégyrique de toute la filmographie d’Edward

G. Robinson dont il avait vu et revu tous les films dans les cinés de Gibraltar ouverts 24h sur 24h du temps qu’il bossait para los Ingleses sur les quais ou dans les cales de l’arsenal. Orphelin de père, aîné d’une smala de 3 sœurs + six frères, pensez donc s’il était preneur des heures extra  ! Faut savoir qu’en ce temps-là, la frontière fermait à partir d’une certaine heure, et donc il attendait la réouverture ou la reprise du turbin dans un cinoche. Et regardait du même coup passionnément tous les films jusqu’à plus soif. Edward G. Robinson ne vous dit plus rien ? Bon sang, pour sûr, vous le connaissez, il a travaillé avec les plus grands, de John Ford à John Huston, d’Anatole Litvak à Raoul Walsh, d’Orson Welles à Robert Aldrich, d’Howard Hawks à Michael Curtiz, de Fritz Lang à Billy Wilder, et j’en laisse. Il joue même dans Les Dix Commandements de Cecil B.DeMille ! Et toujours, sans exception, dans des rôles de « méchants ». Et pourquoi je parle tant cinéma ? C’est que la nouvelle qui rendit célèbre Delmore Schwartz, à l’âge de 24 ans (parue en 1937 dans la très « rouge » et très anti-stalinienne Partisan Review), se passe dans une salle de cinéma, et s’intitule : In Dreams Begin Responsabilities, C’est dans les Rêves que les Responsabilités Commencent. Un homme échoue dans un cinéma, et le film projeté est des plus singu-

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liers : c’est « sa vie » avant même sa conception. Hallucinations ou délire alcoolique  ? Sans gêne aucune, il importune la salle par ses cris : il s’oppose à l’idylle naissante entre ses futurs papamaman, non, écoutez-moi, n’allez pas plus loin, car plus loin c’est l’inévitable micmac du bébé qui naît. Delmore Schwartz, quand à lui, n’a laissé aucune progéniture, malgré ses deux mariages en 1937 et 1948. J’ai lu tout ce qui était disponible de lui en français : L’Enfant est la clef de cette vie1, Le Monde est un mariage2, Hôtel Delmore3. Sans oublier, la biographie que son traducteur Daniel Bismuth lui a consacrée : Delmore Schwartz ou le démon de l’origine4. J’ai même déniché quelques uns de ses poèmes dans deux anthologies5. Entrons sans tarder dans le vif du sujet : quel genre de types trouve-t-on dans les nouvelles de Delmore ? Voici Faber Gottschalk, il a tout laissé tomber pour se consacrer corps et âme à la contemplation des statues. Quelles statues ? Celles qui ont envahi la ville de New York à cause d’interminables chutes de neige. Il aura une triste fin, il se jettera devant une rame de métro. Voici Samuel Hart le benjamin d’une famille, flemmard et véritable pique-assiette qui ne réussira rien sinon à faire des dettes que sa mère ou ses sœurs devront tant bien que mal éponger ; ayant un instant de lucidité (ou

à la très récente renommée (il a longtemps été mis au rencart) et pour une fois qu’on lui donne l’occasion, il va en profiter, ne doitil pas prononcer un discours académique lors d’une remise de prix ? Le recteur finira par lui faire signe, raccourcissez, soyez plus bref ! Une phrase prise au hasard dans son discours-fleuve : « Certains cherchent un fils qui n’est pas né, et certains un père disparu depuis dix ans. Certains aimeraient qu’on leur prête attention, certains souhaitent simplement qu’on leur permette de rester. » Sa pauvre fille cherche à l’interrompre, oui, papa perd la boule,

avouera-t-elle. Voici Monsieur Fish qui dans sa classe de la Navy (cela se passe du temps du New Deal) doit affronter l’antisémitisme rampant ou affiché de certains de ses élèves, comment va-t-il réagir, doit-il susciter la parole ou faire la sourde-oreille, va-t-il hésiter à leur dire qu’il est lui-même juif  ? Ce Shenandoah Fish est en quelque sorte le double de l’auteur. Approchons-nous, le revoici dans une autre nouvelle, il est désœuvré et ne sait que faire de sa vie, il s’est installé provisoirement chez sa mère dont il écoute sans répit l’interminable monologue. Un thème récurrent est celui de la réussite ou de la peur de l’échec car quand on vient de rien, ne pas « monter les échelons  » cela équivaut à être laminé, enterré. Plusieurs de ses récits ont comme toile de fond, apparente ou suggérée, le krach économique de 1929. Nous lisons : « La petite-bourgeoise de la génération des parents de Shenandoah avait engendré la perversion de sa propre nature : des enfants pleins de mépris pour tout ce qui importait à leurs parents. » Cependant, le constat du fils est mi-amusé mi-ironique, même si les uns et les autres ne partagent plus ni les mêmes aspirations ni les mêmes illusions, il est vital qu’une « main courante » perdure entre eux, « main courante » toute symbolique afin de ne jamais oublier d’où l’on vient, et « main courante » tel un « Attention fragile ! » Comme si stoppages, reprises, réparations ou cassures dessinaient

le relief de nos vies. Delmore excelle à retracer le destin d’un groupe d’individus, cellule familiale ou cercle d’amis, et même si le récit se focalise sur un être en particulier, l’auteur balaye avec délectation un faisceau lumineux, sarcastique et doux-amer sur chaque individu. «  À partir des années 1950, avec l’apogée de ce qu’on a appelé l’école de New York, la littérature juive américaine entra dans sa période la plus féconde. (…) C’est de ce groupe que sont issus des écrivains comme Lionel Trilling, Alfred Kazin, Isaac Rosenfeld, Delmore Schwartz, Norman Mailer, Saul Bellow, Bernard Malamud ou Leslie Fiedler. » Ces lignes sont extraites du magistral ouvrage de Rachel Ertel6, livre-ressource pour de nouvelles lectures. Laissons le mot de la fin à Delmore, il répond sur ce qui l’a le plus influencé : «  j  ’allais dire Shakespeare et la Dépression de 19291937, mais c’était bien trop vrai, (…), je répondis les expériences prénatales, car c’est la première chose qui me passa par la tête. » n Delmore Schwartz, L’Enfant est la clef de cette vie. Nouvelles traduites de l’anglais (États-Unis) par Daniel Bismuth, Motifs n°280, 2007. 224 pages. 2 Delmore Schwartz, Le Monde est un mariage. Nouvelles traduites de l’américain par Daniel Bismuth, (Collection Alphée), 206 pages. Réédité en 2007 dans la collection de poche Motifs, n°245. 3 Delmore Schwartz, Hôtel Delmore. Chroniques traduites de l’américain et présentées par Véronique Béghain-Toulouse, Éditions Ombres, 1992. 169 pages. 4 Daniel Bismuth, Delmore Schwartz ou le démon de l’origine, Éditions du Rocher, Jean-Paul Bertrand Éditeur, 1991. (Collection Les Infréquentables). 279 pages. 5 Alain Bosquet, Trente-cinq jeunes poètes américains , traduction, préface et choix par Alain Bosquet, Gallimard, 1960. 460 pages. Anthologie de la poésie américaine. Des origines à nos jours, Librairie Stock, 1956. 314 pages. 6 Rachel Ertel, Le Roman juif américain. Une écriture minoritaire, Paris, Payot, 1980. (Collection Traces), 389 pages. 1

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lire

activités vendredi 7 février à 20h15

Les silences de Monsieur Optimiste Tessa Parzenczewski

C

Médecins du Monde, une ONG en Belgique et ailleurs Conférence-débat avec le docteur

omme dans de nombreuses familles juives, les parents d’Alain Berenboom ont gardé le silence. Silence sur leur itinéraire, silence sur la famille disparue, silence sur leur propre parcours sous l’Occupation. Repoussées au loin, la Pologne et la Lithuanie, le shtetl et la tragédie. Le but ? Que l’enfant grandisse aussi belge que possible, dans le Schaerbeek rassurant de l’après-guerre. Mais rien n’est parfait. Après la mort de ses parents, Alain Berenboom découvre dans une armoire les archives familiales et toute une vie inconnue surgit. Documents administratifs, lettres venues d’un autre monde, en yiddish et en polonais, extraits de presse, révèlent la véritable vie du pharmacien paisible de la rue des Pâquerettes et de son épouse Rebecca. Alain Berenboom se met alors à fouiner, fait traduire les lettres, consulte les archives de la police des étrangers. Et au gré des découvertes, reconstruit l’image de ce père, « Monsieur Optimiste », malgré les drames traversés. De Makow, en Pologne, arrivaient des lettres de la famille, nous sommes dans les années 30. Frania, la grand-mère de l’auteur, raconte par le menu la vie dans la bourgade, les faits et gestes des membres de la famille, des amis, les mariages.

Une vie avant le désastre. Aba, le grand-père, Sarah, la tante, resteront pour toujours des fantômes pour l’auteur. Seule Frania survivra, échappée du ghetto de Varsovie. Et en Belgique, Chaïm Berenbaum, l’orthographe du nom changera plus tard, pour faire plus flamand, devient Hubert Janssens, pour échapper aux Allemands. Pour ce 11e roman, Alain Berenboom délaisse la fiction pour, comme un greffier, rendre compte, documents à l’appui, du parcours mouvementé de ses parents, des difficultés de l’exil, des angoisses de la traque. Mais parfois la réalité prend des allures de fiction : les épisodes de « l’ami » allemand, du magicien de Verviers que Chaïm assiste, du policier Porcin qui note les faits et gestes de Chaïm, comme il était de coutume pour les étrangers soupçonnés de sympathies communistes, une sorte de Javert bureaucrate… Digressions, associations d’idées saugrenues, descriptions d’un Bruxelles bon enfant, où se croisent un ancien champion cycliste, des colombophiles et un pigeon miraculé. Évocation aussi de Tintin dans les pages du Soir volé, avec un regard peut-être trop indulgent. L’humour et la dérision ne sont jamais loin, comme pour désamorcer l’émotion inévitable, partagée entre l’auteur et le lecteur. Car c’est de la recherche

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de sa propre identité que l’auteur nous parle. De son rapport au judaïsme, transmis surtout par les lectures récurrentes de la Bible par son père mécréant et plus tard par les documents retrouvés qui ravivent tout un passé ignoré et redonnent couleurs et voix à un univers disparu. Écrivain, chroniqueur, mais aussi avocat renommé, notamment de la famille royale et des héritiers d’Hergé, donc membre de l’establishment, Alain Berenboom dévoile dans ce dernier récit, qui vient d’obtenir le prix Rossel 2013, ce qui survit en lui, par-delà un ancrage solide et une réussite certaine, de cette histoire d’exil et d’anéantissement, apprise sur le tard. n

Alain Berenboom Monsieur Optimiste Genèse Edition 237 p. 22,50 €

Michel Roland président de Médecins du Monde ,

L’ONG « Médecins du Monde  » s’est donnée pour mandat de soigner les populations les plus vulnérables, dans le tiers-monde, dans les zones de conflit, mais aussi chez nous, où elle soigne gratuitement les personnes les plus précaires : sanspapiers, sdf, Roms… Introduction : Valérie Alaluf PAF: 6 €, 4 € pour les membres, tarif réduit: 2 €

mardi 11 février de 20h à 22h Deuxième des cinq « cafés politiques » pour éclairer les enjeux de « la mère de toutes les élections » Proposé par Points critiques et Politique (revue de débats) Après avoir entendu Eric Corijn nous exposer sa vision de Bruxelles, région mais ville avant tout, une vision hors des sentiers battus et rebattus, une vision politiquement incorrecte, qui nous a donné à réfléchir à l’horizon des élections du 25 mai prochain, nous aborderons lors de ce deuxième café politique la question des enjeux politiques (au fédéral et au régional) des dernières réformes institutionnelles. Le nom de notre invité n’étant pas encore confirmé au moment de mettre sous presse, nous vous renvoyons au site de l’UPJB (www.upjb.be), ainsi qu’à sa newsletter et à celle de Politique.

Présentation et animation : Jean-Jacques Jespers et Henri Wajnblum On peut s’inscrire sur le site de Politique (www.politique.eu) ou sur le site de l’UPJB (www.upjb.be) ou par courriel à l’une des adresses suivantes : upjb2@skynet.be ou secretariat@politique.eu.org Entrée libre

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vendredi 21 février à 20h15 Europe-Asie : Quel avenir pour les États slaves de l’Est Conférence-débat avec

Jean-Marie Chauvier,

Auteur et co-auteur de nombreux ouvrages et articles sur l’ex-URSS, la Russie et l’Ukraine. Collaborateur du Monde diplomatique et de plusieurs revues et sites internet

En quête d’identité(s) comme tous les nouveaux États issus de l’URSS, les trois États slaves orientaux, Fédération de Russie, Belarus (Biélorussie) et Ukraine « se cherchent » et ont de grandes difficultés à « se trouver ». Trois types d’idéologies les sollicitent : • Nationalismes ethniques, xénophobes voire fascisants. • «  Patriotismes d’États  » eux-mêmes partagés entre centralismes unitaristes et fédéralismes multiculturels. • Nouvelle « Union eurasiatique » (le rêve de Poutine), un projet lui-même influencé par la Nouvelle droite « eurasienne » Ces choix identitaires, où se joue la survie même de ces pays instables, divisés et en proie aux tentatives extérieures de «  balkanisation  », sont également le lieu d’une bataille géopolitique impliquant les grandes puissances : le projet eurasiatique (ou eurasien ?) paraît incompatible avec l’expansion de l’Union européenne et de l’OTAN. Sur tous ces plans, l’année 2015 sera-t-elle l’année du grand basculement ? Jean-Marie Chauvier Modérateur : Jacques Aron

club Sholem-Aleichem Sauf indication contraire, les activités du club Sholem Aleichem se déroulent au local de l’UPJB tous les jeudi à 15h (Ouverture des portes à 14h30)

Jeudi 9 février

Fotoula Ioannidis, militante féministe grecque de gauche, témoignera sur la situation de la Grèce aujourd’hui. • la catastrophe subie par le peuple grec et son quotidien depuis la crise 2008 • la mainmise de la troïka (FMI. , UE., BCE., ) • l’effondrement de l’État démocratique et la vente de la Grèce aux investisseurs étrangers ! Une partie sera consacrée aux luttes menées par les travailleur-se-s contre le démantèlement de tous leurs droits sociaux économiques mais aussi contre le racisme et le fascisme d’Aube dorée.

Jeudi 13 février

Anne Morelli, historienne, professeure à l’ULB, posera la question : «  Cela vaut-il la peine de se rebeller ? ». Dans son dernier ouvrage, Rebelles et subversifs de nos régions, Anne Morelli passe en revue une série de rébellions qui , des gaulois à nos jours ont mobilisé les gens d’ici….

PAF: 6 €, 4 € pour les membres, tarif réduit: 2 €

jeudi 20 février

Jacques Aron, chroniqueur à Points critiques, essayiste, nous parlera d’» Une affaire Dreyfus à l’allemande ». En 1925, pressé par la droite nationaliste, le maréchal von Hindenburg pose, entre les deux tours de scrutin, sa candidature à la présidence de la république. La veille du vote, le philosophe Theodore Lessing publie dans un journal de Prague un portrait psychologique de ce mythe vivant : un pur symbole qui cache tous les dangers d’un coup d’état. Lessing devient alors l’objet d’une campagne de diffamation qui conduira à son éviction de l’université d’Hanovre et finalement à son assassinat par les nazis en août 1933. Dans cette conférence illustrée, Jacques Aron développera les circonstances de ce destin tragique.

jeudi 27 février

Projection du film Irina Palm écrit par Philippe Blasband et réalisé par Sam Garbarski . Jusqu’où peut aller une grand-mère pour payer le traitement de son petit fils malade ! Un film à la fois drôle et tragique.

dimanche 23 février de 10h30 à 17h

Ateliers créatifs collectifs Après quelques rencontres en 2013, les participants aux ateliers créatifs collectifs proposent un rendez-vous mensuel. Le concept est simple : mettre en commun et partager un moment créatif/récréatif. Dans un premier temps, nous continuerons d’explorer la technique de la mosaïque. Nous explorerons d’autres techniques selon envies et propositions des participants. Matériel à apporter : support plat (plateau, assiette, sous plat,....), déchets de vaisselle, carrelage, tous ce qui peut servir. Nous travaillerons à partir de récup. Dates jusque juin 2014 : 30/03, 27/04, 25/05, 29/06 Inscriptions : upjb2@skynet.be Renseignements : bettinabra@gmail.com PAF: 10 € - Petite restauration prévue

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et aussi... du 7 mars au 15 juin Expositions au NEC - Nouvel espace contemporain du Musée Juif de Belgique Marianne Berenhaut « La robe est ailleurs » Christian Israel « Warsawarsaw » Vernissage le jeudi 6 mars à 19h Pour plus d’informations : www.new.mjb-jmb.org

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vie de l’upjb Les activités du club Sholem Aleichem jacques schiffmann

5 décembre : « Israël, Syrie, Iran… Et la Palestine ? » Henri Wajnblum, rédacteur en chef de Points Critiques, nous a fait un tour d’horizon sur l’évolution des situations dans cette région. Michka n’a malheureusement pas été porteur de bonnes nouvelles susceptibles de nous donner le moindre optimisme ! Mais on ne peut blâmer le messager ! 12 décembre : « Aller vers l’Autre, oui mais pas sans biscuits » ? André Hobus, ancien instituteur et directeur d’école, amateur et collectionneur de Blues américain, nous a emmenés en voyage, par un récit haut en couleurs et à fort accent bruxellois, et par la projection d’images de ses séjours dans les États pauvres du Sud américain, en Alabama, Louisiane, à Memphis Tennessee, à Chicago, les berceaux du Blues noir américain, dont il nous fit entendre de nombreux morceaux. Comment André, homme de gauche et instituteur, poussé par ses parents vers la musique classique, en est–il venu à devenir un accroc et un spécialiste collectionneur du blues américain  (il se nomme lui-même un « post teenager attardé ») ? C’est un peu le fait du hasard, dès qu’il eut goûté à cette musique, il sut que ce serait sa passion et il mit à profit ses

congés pour faire de nombreux séjours culturels dans des familles de petites villes du Sud américain où il ne se passe jamais rien ! Petit blanc isolé qui se risque à rechercher sa musique dans des communautés majoritairement noires, il découvre dans des petits clubs sudistes une musique brute avec paroles mimées violentes, des

musiciens comme Sam Philips, Holling Wolf et d’autres. En 1972, invité en Louisiane dans la famille Dubose, il découvre la musique Zydeco (des haricots) et les 3 cultures musicales juxtaposées : la blanche, où violons et accordéon jouent des valses et des two-steps ; la noire,

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où batteur, bassiste, guitariste et washboard rythment et chantent le Blues et la Soul ; sans oublier l’évangéliste : André assista à un concert de Clifton Shelley au Blue Angel Club, veillé par 2 cerbères du Black Power. En 1976, nouveau séjour à Houston Texas, dans une famille raciste cette fois. Recherche ini-

tiatique, dans cette ville démentielle, de son idole, le bluesman Sam Lightnin’ Hopkins qu’il finira par dénicher au terme d’une errance pénible, due à la chaleur et à l’humidité, en zone noire exclusive, très pauvre, avec baraquements sommaires en bois. Il réussira à échanger avec lui

quelques paroles et à le prendre en photo. Alléluia ! Récit très pittoresque d’André, qui à travers les images projetées et les musiques proposées nous a fait comprendre et partager un peu sa passion. 19 décembre : Clôture festive de l’année 2013 avec le duo Anda la Iré avec Christina Requena Lopez au chant et Gilles Daems à la guitare. Comme vous le constaterez, le Club a choisi de terminer l’année 2013 et de débuter 2014 de manière musicale et festive. Après une après-midi Blues avec André Hobus, Gilles et Christina nous ont emmenés avec entrain dans le monde latino-américain de langue espagnole, que pratique Christina avec toute la fougue et le staccato ibériques. Nous sommes ainsi passés de pays en pays, de thème en thème, de tempo en tempo, de l’andante au rondo et au boléro, puis de l’allegro con spirito pour finir avec une fougueuse Christina entièrement libérée, dans l’allegro molto ! Cuba d’abord, années 1920, avec Lacrimas negras, les larmes noires ! Puis un chant flamenco provocant de rues, « je veux tout, tout de suite ! » suivi d’un boléro mexicain des années 30, entendu dans le film d’Almodovar Talons aiguilles « Piens a me ». Tous les thèmes furent présents dans ce sympathique récital : la critique de la société de consommation avec Boris Vian, des histoires d’amour simples venues d’Argentine, l’enfance, un boléro tragico-passionnel du Mexique, la chanson en espagnol «  Emportés par la foule  » venue d’Amérique latine et grand succès d’Edith Piaf, Gratias al la Vida et

tout un mélange de chansons familières anciennes. Bravo aux talentueux artistes qui nous ont fait passer un très bon moment, Gilles à la guitare, bien connu dans cette maison qu’il a pas mal fréquentée dans sa jeunesse, et Christina dont la belle voix s’exprime si bien en espagnol qu’elle a réussi à nous faire saisir les émotions et nuances des chansons, sans même que nous en comprenions les paroles. 9 janvier 2014 : après-midi festif de Nouvel An, avec un récital de Maroussia,​accompagnée au piano par Igor Beer (études au conservatoire de Moscou). Sympathique après-midi de reprise après les congés de Nouvel An, avec, pour commencer, Maroussia dans un récital de chansons souvent mélancoliques et

l’intérêt que la diversité furent soulignés et appréciés par les nombreux présents. Des sugges-

venues pour beaucoup «  d’ailleurs  », interprétées de sa voix profonde et nostalgique. Lors du goûter particulièrement savoureux qui suivit, préparé par nos copines du Comité du Club, on passa à une discussion générale d’évaluation des activités de l’année 2013, dont tant

pléteront un calendrier déjà bien fourni pour les prochains mois, où nous espérons vous revoir toujours plus nombreux. n

Maroussia

tions intéressantes furent faites pour les activités futures, qui com-

Bonne année et bonne santé surtout à tous les membres présents et à venir du Club

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Carte de visite

UPJB Jeunes

L’UPJB Jeunes est le mouvement de jeunesse de l’Union des progressistes juifs de Belgique. Elle organise des activités pour tous les enfants de 6 à 15 ans dans une perspective juive laïque, de gauche et diasporiste. Attachée aux valeurs de l’organisation mère, l’UPJB jeunes veille à transmettre les valeurs de solidarité, d’ouverture à l’autre, de justice sociale et de liberté, d’engagement politique et de responsabilité individuelle et collective.

La fête des Lumières sur fond d’Histoire Julie Demarez

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’année 2013 de l’UPJBJeunes s’est terminée par une activité Hanoucca. Sous forme de grand jeu intergroupe, les monos avaient prévu de recommencer l’Histoire : Antiochus IV, arrivé au pouvoir, commet l’erreur qu’il n’aurait jamais dû commettre... C’est alors que Matthatias lance la révolte, la rébellion prend forme et se propage dans toute la Judée. Les Maccabées rentrent finale-

par miracle, nous allumerons les huit bougies placées sur la Hanouccia dès notre retour au local. Enfin, des plus petits aux plus grands, nous nous sommes tous retrouvés rue de la Victoire pour allumer les bougies et déguster les délicieuses latkes préparées par Nathalie ! Les réunions hebdomadaires ont repris et nous sommes déjà impatients d’être au camp d’hiver. Nous partirons, comme

C

Retour sur la visite de Dossin

omme nous l’écrivions dans notre dernier article, le groupe des Zola, accompagné d’une trentaine d’autres jeunes de 14 à 22 ans, s’est rendu à la Caserne Dossin pour visiter le Musée. Il y avait des jeunes de l’UPJB, du SCi et de Solidarcité aux côtés de 15 adolescents afghans. Ils venaient de Charleroi, Anvers, La Louvière, Bruxelles, Bruges... Beaucoup d’entre eux n’ont pas pu regarder toute l’exposition sur les génocides car cela leur rappelait trop ce qu’ils ont

vécu avant de quitter leur pays, leur famille menacée, leur région en proie aux tensions religieuses, raciales... Ils avaient déjà trop de problèmes mais ils étaient contents que d’autres jeunes les aient accompagnés ce samedi et qu’ils ne se soient pas montrés indifférents à leur souffrance, à leur combat pour la justice et la reconnaissance de leurs droits fondamentaux à vivre décemment et en paix. Nous nous sommes tous promis que, la prochaine fois, nous serions plus nombreux. n

Chaque samedi, l’UPJB Jeunes accueille vos enfants au 61 rue de la Victoire, 1060 Bruxelles (Saint-Gilles) de 14h30 à 18h. En fonction de leur âge, ils sont répartis entre cinq groupes différents.

Bienvenus

Les pour les enfants nés en 2006 et 2007 Moniteurs : Salomé : 0470.82.76.46 Leila : 0487.18.35.10 Aristide : 0488.03.17.56

Juliano Mer-Khamis

Les pour les enfants nés en 2004 et 2005 Moniteurs : Léa : 0487.69.36.11 Selim : 0496.24.56.37 Samuel : 0475.74.64.51 Hippolyte : 0474.42.33.46

Marek Edelman

Les pour les enfants nés en 2002 et 2003 Moniteurs : Tara-Mitchell : 0487.42.41.74 Luna : 0479.01.72.17 Felix : 0471.65.50.41 Simon : 0470.56.85.71

Janus Korczak

Les pour les enfants nés en 2000 et 2001 Moniteurs : Jeyhan : 0488.49.71.37 Andres : 0479.77.39.23 Eliott : 0488.95.88.71 Laurie : 0477.07.50.38

Émile Zola

ment dans Jérusalem. Le Temple est saccagé et pillé. Ils le restaurent et nettoient le désastre. Malheureusement, ils ne trouvent qu’une petite fiole d’huile pour rallumer la Menorah, tout juste suffisante pour un jour. Et puis,

l’année dernière, dans la région namuroise, à Wiesmes du 1er au 8 mars. Les inscriptions sont lancées... Dépêchez-vous, sans quoi vous risquez de manquer la folle ambiance upjbienne des camps. n

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Les pour les enfants nés en 1998 et 1999 Moniteurs : Totti : 0474.64.32.74 Tania : 0475.61.66.80 Théo : 0474.48.67.59

© Thibault Kruyts

Informations et inscriptions : Julie Demarez – upjbjeunes@yahoo.fr – 0486.75.90.53

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artistes de chez nous Fume, fume, c’est du Belge michel gudanski Michel Gudanski dit Pifou, débuta à 14 ans comme batteur dans le célèbrissime Red & Black. Le groupe durera 10 ans et, dans les dernières années, il passa de temps à autre de la batterie à la guitare, puis à l’écriture, à la composition et, parfois, se mit également à chanter. Le Red & Black donna un concert d’adieu en 1982, après lequel Michel envoya une cassette avec deux de ses compositions à un concours international des radios francophones (Rockmitaine). Le concours étant destiné aux groupes de rock francophones, il inventa un nouveau concept : le groupe à une personne qu’il nomma BB Funk. Plusieurs centaines de concurrents par pays, 8 finalistes et énorme surprise, surtout pour lui, BB Funk emporte le premier prix avec un titre politico humoristique « Fume, fume, c’est du Belge ». Ce touche-à-tout invétéré (à l’image de son père) prendra ce rôle de chanteur très peu au sérieux tout en multipliant les activités dans le domaine musical (écriture, composition, organisation de concerts, réalisation de clips vidéo …). Sa rencontre avec la chanteuse Beverly Jo Scott changea le cours de sa vie en entrant de plein pied, avec elle, dans le circuit professionnel du spectacle. Le premier tube de B.B. Funk, en 1982, avec «  Fume, fume, c’est du Belge », remporta le concours international Rockmitaine, organisé par les radios de langue française. Critique acerbe et irrespectueuse du monde politique belge, plein de jeux de mots et de sous-entendus, le disque se tailla un franc succès dans le public en manque de Desproges ou de Bedos belges. Renato CUDICIO, Libération, décembre1986 février 2014 * n°343 • page 38

Je suis né par hasard, dans ce petit coin de planète, J’y promène mon histoire, c’est pas toujours la fête. Pour parler des clichés, ça sent la bière et les frites, le chocolat, la décadence, on ne peut pas dire que ça m’excite. Un pays miné par l’ennui, qui s’enlise dans la crise. Un bateau qui coule, qui perd la boule, tu le vois qui agonise. Tout petit, tout petit, tout petit pays, Tout petit, tout petit, tout petit esprit. La décadence t’attire comme un saut dans le vide(bis) Y a un roi qui se shoote à la Mort-Subite Politique au rase-mottes qui peut pas décoller Et on vote et on vote pour se faire entuber

Fume, fume, c’est du Belge (4 x)

Je me lève chaque matin, le ciel est toujours aussi gris. Le soleil n’y peut rien s’il doit tout le temps faire pipi. 200.000 jeunes se disent : à quelle heure je pointe aujourd’hui ? ça fait bander la crise, toute cette jeunesse dans son lit. Le ciné, la télé, l’alcool ou la défonce. Toujours le même horizon dans lequel on s’enfonce. Tout petit, tout petit, tout petit pays, Tout petit, tout petit, tout petit esprit. Souvent je me demande ce que je suis venu faire là La musique qui me démange n’a rien à voir avec tout ça. Nos rêves sont plus chauds, nos désirs sont plus fous. La vie c’est autre chose ou je ne comprends rien du tout La banalité nous endort (4x) Salut, ça va et toi, ça va … ? La banalité nous endort (6x) Je joue à cache-cache avec le désespoir. Je veux la jouissance dans ma vie tous les soirs. Ma cage est trop petite, je sens que je vais étouffer. Alors je fais du rock’n roll pour un peu respirer. Faut pas croire qu’à côté, ce soit tellement plus drôle. On peut changer de décor et garder les mêmes rôles. La décadence m’attire comme un saut dans le vide (2x) C’est la guerre civile entre les moules et les frites. Y a un roi qui se shoote à la Mort-Subite Politique au rase-mottes qui peut pas décoller, Et on vote, on vote pour se faire entuber.

Fume, fume, c’est du Belge (2x)

Tout est à sa place, les fous dans les asiles, les prolos dans leurs mines et toi dans ton impasse Tout est à sa place, la bêtise au pouvoir, les chômeurs dans les bars et tu fais la grimace. Tout est à sa place, les tubes dans les jukeboxes, les vedettes à la téloche, c’est tout ce qui m’agace.

Fume, fume, c’est du belge

est le mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique (ne paraît pas en juillet et en août) L’UPJB est soutenue par la Communauté française (Service de l’éducation permanente) Secrétariat et rédaction : rue de la Victoire 61 B-1060 Bruxelles tél + 32 2 537 82 45 fax + 32 2 534 66 96 courriel upjb2@skynet.be www.upjb.be Comité de rédaction : Henri Wajnblum (rédacteur en chef), Alain Mihály (secrétaire de rédaction), Anne Gielczyk, Carine Bratzlavsky, Jacques Aron, Willy Estersohn, Tessa Parzenczewski Ont également collaboré à ce numéro : Manuel Abramowicz, Roland Baumann, Julie Demarez, Sylviane Friedlingstein, Jonathan Gross, Michel Gudanski, Rosa Gudanski, Thibault Kruyts, Noé Preszow, Caroline Sägesser, Jacques Schiffmann, Youri Lou Vertongen, Laurence Vray Seuls les éditoriaux engagent l’UPJB. Compte UPJB IBAN BE92 0000 7435 2823 BIC BPOTBEB1 Abonnement annuel 18 € ou par ordre permanent mensuel de 2 € Prix au numéro 2 € Abonnement de soutien 30 € ou par ordre permanent mensuel de 3 € Abonnement annuel à l’étranger par virement de 40 € Devenir membre de l’UPJB Les membres de l’UPJB reçoivent automatiquement le mensuel. Pour s’affilier: établir un ordre permanent à l’ordre de l’UPJB. Montant minimal mensuel: 10 € pour un isolé, 15 € pour un couple. Ces montants sont réduits de moitié pour les personnes disposant de bas revenus.

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agenda UPJB

Sauf indication contraire, toutes les activités annoncées se déroulent au local de l’UPJB, 61 rue de la Victoire à 1060 Bruxelles (Saint-Gilles)

vendredi 7 février à 20h15

Médecins du Monde, une ONG en Belgique et ailleurs. Conférence-débat avec le docteur Michel Roland, président de Médecins du Monde (voir page 31)

mardi 11 février de 20h à 22h

Deuxième Café politique. Présentation et animation : Jean-Jacques Jespers et Henri Wajnblum (voir page 31)

vendredi 21 février à 20h15

Europe-Asie : Quel avenir pour les États slaves de l’Est. Conférence-débat avec Jean-Marie Chauvier (voir page 32)

dimanche 23 février de 10h30 à 17h

Ateliers créatifs collectifs (voir page 32)

club Sholem Aleichem Sauf indication contraire, les activités du club Sholem Aleichem se déroulent au local de l’UPJB tous les jeudi à 15h (Ouverture des portes à 14h30)

Éditeur responsable : Henri Wajnblum / rue de la victoire 61 / B-1060 Bruxelles

jeudi 9 février

Fotoula Ioannidis, militante féministe grecque de gauche, témoignera sur la situation de la Grèce aujourd’hui (voir page 33)

jeudi 13 février

Anne Morelli, historienne, professeure à l’ULB, posera la question : « Cela vaut-il la peine de se rebeller ? » (voir page 33)

jeudi 20 février

« Une affaire Dreyfus à l’allemande » par Jacques Aron, chroniqueur à Points critiques et essayiste (voir page 33)

jeudi 27 février

Projection du film Irina Palm écrit par Philippe Blasband et réalisé par Sam Garbarski (voir page 33)

et aussi du 10 au 13 février à l’ULB

Chaire Marcel Liebman. Introduction à l’histoire sociale de la Palestine. Elias Sanbar, ambassadeur de la Palestine à l’UNESCO

du 7 mars au 15 juin au Musée Juif de Belgique

Prix : 2 €

Au Nouvel espace contemporain du Musée Juif de Belgique, expositions des artistes Marianne Berenhaut et Christian Israel (voir page 33) Les agendas sont également en ligne sur le site www.upjb.be


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