n°342 - Points Critiques - janvier 2014

Page 1

mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique janvier 2014 • numéro 342

éditorial Nelson Mandela. Antidote à la renonciation Bureau de dépôt: 1060 Bruxelles 6 - P008 166 - mensuel (sauf juillet et août)

Henri wajnblum

L

e matricule 46664 nous a quittés. Nelson Mandela avait 95 ans. Il avait passé plus d’un quart de sa vie privé de liberté, dix-huit ans de travaux forcés et neuf en cellule. Aujourd’hui, d’Est en Ouest, du Nord au Sud, tout le monde le pleure et le glorifie. Est-il besoin de dire qu’il n’en a pas toujours été ainsi. Beaucoup d’États, essentiellement les États occidentaux, représentés à la cérémonie d’hommage à Mandela, au Soccer city de Soweto, ont longtemps été, sinon de fervents soutiens du régime sud africain d’apartheid, du moins de fervents opposants à toute sanction à son encontre. Il ne fait aucun doute que le dis-

cours prononcé par Barack Obama lors de cette cérémonie d’hom-

BELGIQUE-BELGIE P.P. 1060 Bruxelles 6 1/1511

janvier 2014 * n°342 • page 1


sommaire éditorial

1 Nelson Mandela. Antidote à la renonciation.......................... Henri Wajnblum

politique d’asile

4 Au huitième jour.................................... Propos recueillis par Gérard Preszow

israël-palestine

6 Notes de voyage (suite)............................................................. Henri Wajnblum 8 Militer contre son camp. Une rencontre avec Karine Lamarche...................... ............................................Propos introduits et recueillis par Gérard Preszow 10 Le droit international en VTT.............................................................. Eric David

lire

12 Nathalie Skowronek. Énigmes familiales.......................Tessa Parzenczewski

lire, regarder, écouter

14 Lou Reed..................................................................................... Antonio Moyano

mémoire(s)

16 Connaissance et affliction.......................................................... Gérard Preszow 18 L’image manquante. Les années khmères rouges...............Roland Baumann

réfléchir

20 Le Conseil de l’Europe stigmatise la « barbarie juive ».............. Jacques Aron yiddish ? yiddish ! !‫יִידיש ? יִידיש‬ 22 ven s’kritsn tseyn – Lorsque grincent les dents.....................Willy Estersohn

humeurs judéo-flamandes

24 Tchouc tchouc................................................................................Anne Gielczyk

activités écrire 31 Hymne au désespoir d’un chant désespéré.............................. Daniel Demey 32 Passage au Béguinage..........................................Quelques artistes de la faim vie de l’UPJB 34 Les activités du Club Sholem Aleichem............ J. Schiffmann et T. Liebmann upjb jeunes 26

36 Lettre aux Mala............................................................................ Sarah Desmedt

artistes de chez nous

38 La Rumba du Bouchon .............................................................. Alain Lapiower

40

les agendas

Erratum

L’éditorial de notre numéro de décembre 2013 comportait une erreur. La mort de Semira Adamu date du 22 septembre 1998 et non, comme indiqué, du 12 décembre de la même année.

janvier 2014 * n°342 • page 2

éditorial ➜ mage était absolument sincère. Mais peut-il faire oublier que ce n’est qu’en 2008, quelques mois à peine avant la fin du mandat de Georges W. Bush, que les ÉtatsUnis retiraient le nom de Nelson Mandela et de l’ANC (African National Congress) de leur liste noire du terrorisme… 2008, soit neuf ans après qu’il ait quitté la présidence de l’État et quinze ans après qu’il se soit vu octroyer le prix Nobel de la Paix ! Dans le refus de sanctions, l’Europe n’a pas été en reste… Ce n’est qu’en 1986 que les pays occidentaux décidèrent de les prendre à l’encontre du régime de Pretoria alors que l’Organisation des Nations unies avait décrété un embargo sur les armes dès 1963 et sur les livraisons de pétrole dès 1977, décisions que la plupart des pays occidentaux ignorèrent superbement. En 1987, Margaret Thatcher déclarait encore que « les sanctions ne font que durcir les attitudes » et que « les premiers à en souffrir sont les Noirs d’Afrique du Sud ». À cette vielle rengaine qui a encore beaucoup de succès aujourd’hui, Oliver Tambo, qui, de son exil, avait pris la relève de Nelson Mandela après sa condamnation à la perpétuité en 1964, avait répondu bien des années auparavant : « Ce ne sont pas les sanctions qui nous tuent, c’est l’apartheid ». Isoler le régime d’apartheid était l’un des quatre piliers de la stratégie élaborée par l’ANC, avec la lutte clandestine, la lutte armée et la lutte de masse à l’intérieur du pays. Son objectif était d’affaiblir le régime sur le plan économique, de l’isoler sur le plan politique et de l’atteindre en le

bannissant des échanges sportifs et culturels pour l’amener à négocier avec ceux qui se battaient pour que « l’Afrique du Sud appartienne à tous ceux qui y vivent, Noirs et Blancs ». Cet objectif ne sera atteint qu’après des années de luttes du peuple sud-africain, soutenu par les gouvernements des pays scandinaves, les pays du bloc communiste et les campagnes des mouvements anti– apartheid, qui réussiront à susciter un mouvement de solidarité à l’échelle mondial. Car, dans les pays occidentaux, les citoyens militèrent bien avant les États contre l’apartheid. Et c’est grâce à eux et à la lutte du peuple noir sud-africain, férocement réprimée par le pouvoir blanc, ainsi qu’à de nombreux militants blancs parmi lesquels un nombre non négligeable de Juifs, que les États se décidèrent enfin à décréter un embargo total. Total en effet… Embargo militaire que la France, notamment, viola allègrement; embargo pétrolier  ; sanctions économiques  ; boycott sportif, c’est ainsi que dès 1964 le Comité international olympique (CIO) décidait de suspendre le Comité olympique d’Afrique du Sud, et de l’exclure en 1970 sous la menace des pays africains de boycotter les Jeux de Mexico  ; boycott culturel enfin. Ainsi, outre les prises de position de l’ONU sur lesquelles elles purent s’appuyer, ce sont l’ensemble des actions menées par les mouvements anti-apartheid qui ont réussi à affaiblir le régime d’apartheid. Ce n’est quelorsque l’Afrique du Sud sera devenu un État totalement marginalisé que les milieux économiques sud-africains et certains dirigeants politiques envisageront sérieusement de discuter avec l’ANC pour ouvrir la voie à des négociations. Et c’est

le 2 février 1990, avec le discours historique de Frederik De Klerk annonçant la libération de Nelson Mandela, la levée de l’interdiction de toutes les organisations politiques « hors la loi » et l’ouverture de négociations, que l’Afrique du Sud entamera un nouveau chapitre de son histoire. N’ayons pas peur des mots ni des accusations d’amalgame, c’est une opération BDS (boycott, désinvestissement, sanctions) à l’échelle planétaire qui a finalement eu raison de l’apartheid. Nelson Mandela aurait pu sortir brisé de ses 27 ans d’incarcération. Mais c’était un homme homme d’une envergure exceptionnelle. Et le meilleur hommage que les peuples opprimés, et les mouvements qui les soutiennent, peuvent lui rendre est de ne jamais renoncer au combat pour le droit et la justice.

Une absence fort remarquée Ne jamais renoncer à une cause juste, c’est à cela que Nelson Mandela avait exhorté les Palestiniens lors d’un discours prononcé en 1999 devant leur Conseil législatif à Gaza en présence de Yasser Arafat… « Nous avons connu, nous aussi, des jours terribles, le sacrifice de camarades, et de fortes frustrations ». En 1997 déjà, à l’oc-

casion de la Journée internationale de solidarité avec le peuple palestinien, il avait déclaré que « Nous savons que notre liberté est incomplète sans la liberté des Palestiniens ». La presse internationale a beaucoup glosé sur l’absence de Binyamin Netanyahou à la cérémonie d’hommage à Pretoria, alors qu’il avait initialement annoncé sa présence. Une absence officiellement due au coût élevé du déplacement. On ne savait pas Netanyahou à ce point soucieux d’économiser les deniers publics. En réalité, il savait fort bien qu’il ne récolterait pas beaucoup d’applaudissements au stade de Soweto. Israël avait en effet entretenu des relations très étroites avec le régime d’apartheid. À tel point que les ÉtatsUnis avaient dû le menacer de remettre en cause leur aide militaire annuelle en raison de ses liens, en matière de défense notamment avec les autorités de Pretoria.
C’est ainsi qu’un éditorial du quotidien Haaretz dénonce l’hypocrisie de Shimon Peres, louant « un leader d’une immense stature », alors même qu’il était « impliqué jusqu’au cou dans la coopération entre Israël et le régime de l’apartheid. » Il est des vérités qu’il est bon de rappeler. n

janvier 2014 * n°342 • page 3


politique d’asile Au huitième jour... temps, me poussent à arrêter. Certains vont plus loin en disant que ça divise les soutiens, entre pro et anti. Ca n’a rien d’évident ni d’acquis.

Entretien le 30 novembre dernier avec Clément Sapir, gréviste de la faim en solidarité avec les Afghans sans papiers occupant l’église du Béguinage à Bruxelles. Clément est membre de l’UPJB. Lui et Anissa Aliji ont été rejoints par Grégory Meurant le septième jour et par Selma Benkhelifa le 7 décembre.

Les proches ne peuvent que te soutenir mais en même temps on se demande où est la stratégie ? N’est-ce pas suicidaire ?

Propos recueillis par Gérard Preszow Tu peux nous dire la genèse de ton engagement. Un jour, c’était vers la mi-septembre, les Afghans manifestaient devant le bureau du Premier ministre, comme ils le faisaient d’ailleurs quasi tous les jours, et je les ai rejoints. Et puis, il y a eu l’expulsion du local qu’ils occupaient rue du Trône. Ils étaient plus ou moins 450. L’expulsion avait lieu sous mes yeux et je ne pouvais rien faire, les flics établissant des cordons tout autour. C’était une véritable opération commando  ; les flics sont rentrés par le bâtiment voisin. C’est alors que j’ai décidé d’être plus présent. Les Afghans présentent leurs occupations comme des occupations politiques. On a cherché une alternative pour les loger. Ils occupent des bâtiments pour faire entendre leur cause. La plupart ont des endroits où dormir, chez des amis, ou Fedasil, ou certains ont leurs appartements. Leur nombre a baissé peu à peu, soit par des arrestations pendant les manifs, soit par découragement. Ils ont fait appel à Samir comme porte-parole, un Afghan qui est en règle et qui, compagnon d’une avocate, est bien placé pour connaître les règles. Un comité de soutien s’est créé. Ils ont tenté d’organiser des manifs plus importantes, d’interpeller l’opinion publique,

les écoles… J’ai participé à la recherche de nouveaux bâtiments au cas où ils seraient expulsés du lieu où ils sont. Et nous voilà aujourd’hui au Béguinage. Ici, au Béguinage, ils ont l’accord du père Daniel même si celui-ci n’est plus le curé responsable de l’église. Pour la grève de la faim, l’idée a germé chez Anissa qui accompagne le mouvement depuis longtemps. Depuis le départ, la présence de gens avec papiers est importante pour intervenir en première ligne en cas d’interventions policières. Le mouvement commençait à faiblir, l’hiver approche, et le Béguinage n’est pas commode comme lieu. Il y a eu une série d’actions visibles… Tout cela pour attirer les médias mais ça n’a pas vraiment marché. La grève de la faim nous semblait la seule solution qui pourrait encore marcher Quelques remarques si tu permets ; il me semble que c’est la première fois qu’on nomme une lutte de sans papiers par un peuple en particulier «  les Afghans » et qu’ils sont auto-organisés. Pour l’auto-organisation, ce n’est pas neuf mais c’est vrai que

janvier 2014 * n°342 • page 4

jusqu’ici, c’était multinational. Si le mouvement des Afghans est si fort, c’est que leur demande est particulière. Ils ne demandent pas une régularisation mais une demande d’asile vu qu’il y la guerre chez eux, et qu’il y a la présence de l’armée belge sur le terrain.

Les deux avis sont forcément vrais. Avec une grève de la faim, on ne peut avoir que des revendications limitées, qui ont des chances d’aboutir. Elles sont concrètes et non démesurées. Elles sont ciblées sur les Afghans ; et cette particularité aussi peut être critiquée. Plein de gens me disent que la lutte des sans-papiers c’est une longue lutte ; mais nous, c’est pas une chose qu’on peut leur dire. On ne peut pas leur dire « attendez que la base s’élargisse », il y a urgence. On est coincé entre l’urgence et un recommencement interminable. Puisque d’autres groupes de sans papiers, inévitablement, vont entrer en résistance.

Qu’est-ce qui fait qu’à un moment donné tu prends cette décision si lourde de faire la grève de la faim  ? Et puis ça paraît si isolé. Anissa et moi, on a pris la décision de faire la grève de la faim à titre individuel. Et c’est quelque chose qui nous est sans cesse reproché. On n’en a pas parlé au comité de soutien. C’est une décision individuelle dans une lutte collective. Je ne sais pas très bien où me situer par rapport à ça. Je crois que notre décision reste bonne mais on aurait sans doute dû la soumettre et en parler au comité de soutien, qu’il y ait un débat. Pourquoi toi ? il faut une motivation forte…. C’est un peu les circonstances de la vie. J’étais très présent dans cette lutte. Et je sentais le mouvement faiblir. C’est un peu la dernière alternative. Je me dis que si ça ne marche pas, alors c’est fou-

Tu voudrais ajouter quelque chose ? Photo Manuel Abramowicz

tu. Si eux font la grève de la faim, ça ne mènera nulle part d’autant qu’ils sont un peu à bout même s’ils mènent quasi quotidiennement des actions. On se dit qu’en tant que Belge, ça doit interpeller les politiques et qu’ils ne peuvent pas fermer les yeux, surtout à l’approche des échéances électorales. Effectivement, c’est une décision lourde. Je me dis que ça peut être un geste fort.

Comment réagit ton entourage proche ? Tu sais sans doute que tes parents informent par mail, dans une démarche plus solidaire que compassionnelle. Ils me soutiennent. Ma famille me dit de faire attention mais ils me soutiennent dans ce combat. Avec d’autres, c’est parfois plus compliqué. Ils me soutiennent parce que je le fais mais, en même

Oui, une semaine de soutien aux sans papiers vient d’avoir lieu, largement organisée par le monde associatif. L’appel était signé par un grand nombre d’associations mais en terme de mobilisation effective, à part les Afghans, dans la rue, il n’y avait quasi personne. Je fais donc appel à un nouveau souffle de mobilisation. n

janvier 2014 * n°342 • page 5


israël-palestine Notes de voyage (suite) Henri wajnblum

A

Qalqilya : le check point piétons, le mur, le check point agriculteurs avec engins, passage du check point. Photos Henri Wajnblum

insi que je le disais dans le dernier numéro, du 25 octobre au 1er novembre, j’ai accompagné un groupe de 20 personnes dans les Territoires palestiniens occupés. Pour beaucoup d’entre elles, c’était leur première visite. Leur but était de voir par elles-mêmes si ce qu’elles avaient lu ou entendu dans les médias était conforme ou non à la réalité. Nos déplacements… Bethlehem, les camps de réfugiés de Dheisheh et d’Aida, Hébron, Jérusalem et les quartiers de Silwan et de Sheikh Jarra, Qalqilya, Majdal Shams sur le Plateau du Golan, Saint-Jean-d’Acre et Jaffa.

aide des familles juives à s’y installer. Plusieurs maisons palestiniennes ont d’ores et déjà été rasées pour permettre la reconstitution de la « Cité de David » et de nombreux colons occupent déjà des habitations en plein cœur du quartier. Les excavations, la plupart fermées au public, ont été accusées à plusieurs reprises de fragiliser les fondations des maisons palestiniennes. En réalité, Silwan est la clé de voûte d’un processus visant à gagner le contrôle des territoires palestiniens entourant la vieille ville, et à couper ce quartier du tissu urbain de Jérusalem-Est.

Toujours à Jérusalem… Silwan

Le quartier de Sheikh Jarrah est lui aussi situé en plein cœur de Jérusalem, à quelques centaines de mètres de la vieille ville. De-

Silwan est un quartier de Jérusalem-Est (hors les murs). Israël y a « découvert » des vestiges de la Cité de David – ce qui est contesté par de nombreux scientifiques – qu’il veut « repeupler ». Ce processus est largement encouragé et géré par l’organisation nationaliste religieuse Elad, qui mène une politique active d’achats de maisons, parfois par des moyens douteux, et d’expulsions de familles palestiniennes de Jérusalem-Est. Son but : judaïser les quartiers orientaux, à majorité palestinienne, et empêcher sa division dans le cadre d’un hypothétique accord de paix. Elad est particulièrement actif à Silwan où l’organisation gère un parc de plusieurs dizaines de bâtiments et

Sheikh Jarrah

Colonie juive en plein cœur de Sheikh Jarra

janvier 2014 * n°342 • page 6

puis 10 ans, les tensions y sont énormes. En 2001 déjà, des militants d’extrême droite étaient entrés par la force dans une maison et avaient refusé de la quitter. En 2008, un jugement avait reconnu qu’une partie du quartier était la propriété de Juifs sépharades qui s’y étaient installés à l’époque ottomane  ! Un droit au retour en quelque sorte, déniés par ailleurs aux Palestiniens expulsés en 1948 ! Et depuis, plusieurs familles ont déjà été expropriées et leurs habitations occupées par des colons. Il est à noter que les habitants de Sheikh Jarrah, des réfugiés de 1948, ont été installés dans ce quartier en 1951 par les autorités jordaniennes et par l’UNWRA moyennant leur renonciation à leur statut de réfugiés.

Qualqilya Jusqu’à la deuxième Intifada,

en septembre 2000, Qalqilya, une ville de 40 à 45 000 habitants, était florissante. Situé à côté de la « ligne verte », « le jardin de la Palestine » attirait chaque semaine des familles israéliennes qui venaient y faire leurs courses. En témoignent les enseignes de certaines boutiques, encore rédigées en arabe et en hébreu. Produits maraîchers et artisanaux, meubles, vêtements, tout y était moins cher qu’en Israël. Et puis, les terres agricoles sont parmi les plus fertiles de Cisjordanie. Enfin, l’eau y est abondante grâce à d’importantes nappes aquifères. Puis est venu le mur qui, en encerclant littéralement la ville, lui a fait perdre environ 36.000 m2 de terres agricoles et d’importantes réserves d’eau. La ville disposait de six entrées, elle n’en a plus qu’une, bloquée par un imposant check point où se pressent, chaque matin à l’aube, des milliers d’habitants qui travaillent de l’autre côté du mur et subissent mille tracasseries avant de pouvoir passer. Un autre check point est réservé aux agriculteurs qui doivent passer avec du matériel agricole pour rejoindre leurs terres. Ce check point est ouvert trois fois par jour à des heures précises dans un sens et dans l’autre. Nous sommes guidés par Souhad Hashem, une militante palestinienne de Qualqilya, membre du petit parti créé par Mustapha Barghouti, Al-Mubadara (Initiative nationale palestinienne). Elle nous emmène à ce dernier check point dont les grilles doivent s’ouvrir à

13h. Des agriculteurs sont là qui attendent le bon vouloir des soldats qui discutent entre eux et ne semblent pas pressés d’ouvrir. Ils se décident enfin à 13h30… Les agriculteurs doivent d’abord passer à pied pour subir les contrôles (fouille, autorisation…) et revenir ensuite prendre leur matériel ou leurs engins. Il faudra aussi qu’ils rentrent impérativement à l’heure prévue sous peine de sanctions. Et c’est ainsi chaque jour !

Majdal Shams (Golan) Nous avons craint un moment de ne pas pouvoir aller à Majdal Shams, des incidents s’étant produits à la frontière avec la Syrie. Mais nous y sommes tout de même parvenus. Majdal shams, pour ceux qui ont vu le film, est la ville où a été tournée La fiancée syrienne. C’est une ville druze qui a carrément été coupée en deux depuis la guerre de 1967 et où les familles séparées, par des barbelés et des champs de mines, ne peuvent communiquer entre elles que par des porte-voix ! Les habitants ont surnommé ce no man’s land la Vallée des Cris. Nous y rencontrons le Docteur Tayssir, responsable du centre médical, un centre extrêmement bien équipé… Avant l’occupation et l’annexion du plateau, le Golan syrien comptait 130.000 habitants, 139 villages et 61 fermes ; il compte désormais 6.396 habitants, 8 villages et plus aucune ferme ! En l’espace de deux mois, après la guerre de 1967, 60 à 90% de la population ont été transférés. Le village de Majdal Shams a

été au centre du combat de refus de la citoyenneté israélienne. Cela lui a valu, comme on peut s’en douter, une répression des plus violentes.

Nazareth Nous revoici en Israël… Nazareth est située en Galilée, dans le nord d’Israël. C’est la plus grande ville arabe du pays qui compte environ 70.000 habitants dont plus ou moins deux tiers de musulmans et un tiers de chrétiens. Nous rencontrons une représentante (palestino-israélienne chrétienne) de l’Association de défense des droits de l’homme. Elle nous démontre, chiffres à l’appui, à quel point les citoyens palestiniens d’Israël sont des citoyens de seconde zone (subsides communaux nettement inférieurs à ceux dont bénéficient les villes juives, spoliations de terres…). Elle nous parle aussi des programmes scolaires qui sont les mêmes pour les écoles juives que pour les écoles arabes. Cela signifie que les enfants arabes apprennent obligatoirement l’histoire officielle israélienne. Une loi récente a d’ailleurs rendu pénalement punissable l’utilisation du terme Naqba. Après cet exposé, et à la question de savoir pourquoi son Association ne s’appelle pas Association pour la défense des droits des Palestino-israéliens, elle nous répond par un silence éloquent. La liberté d’expression a en effet des limites en Israël. n

janvier 2014 * n°342 • page 7


israël-palestine Militer contre son camp. Une rencontre avec Karine Lamarche propos recueillis et introduits par gérard preszow

Il est loin le temps où « La Paix maintenant » mobilisait des centaines de milliers de manifestants dans les rues d’Israël après Sabra et Chatila. Et pour que des foules si conséquentes battent encore l’asphalte et les pelouses du boulevard Rotschild de Tel Aviv, il fallut attendre les Indignés, mais au prix de taire l’occupation et la question palestinienne. Ils sont une poignée de radicaux aujourd’hui à braver une société nationaliste et consensuelle, à dénoncer l’occupation, à traverser le Mur (quand il est de béton), la Barrière (quand elle est de barbelés), à transgresser les mentalités au risque d’être traités de « traîtres » et de « collabos », en affichant leur solidarité active avec les Palestiniens. Ils sont si peu nombreux qu’on a l’impression de pouvoir mettre un visage sur chacun d’eux, la plupart étant passés un jour ou l’autre par l’UPJB pour témoigner d’une situation de plus en plus irrespirable et inextricable ; qu’ils se nomment « les Anarchistes contre le Mur », Refuzniks, Ta’ayush, Yesh Gvul..., ils font aujourd’hui l’objet d’un livre – Militer contre son camp ? –, fruit d’une longue et patiente immersion à leur côté de Karine Lamarche dont c’est au départ la thèse de doctorat en sociologie. Pour qui a passé quelque temps à Tel Aviv, il est difficile de comprendre comment cette ville si vive, inventive et créative, peut à ce point fermer les yeux sur ce qui se passe à quelque kilomètres à peine. Ce n’est pas pour rien qu’on l’appelle « The Bubble » mais cela reste à la fois si mystérieux et si suicidaire ! Par des entretiens intimes, le livre accompagne de l’intérieur ces militants juifs israéliens extrêmement minoritaires qui, tout en empathie avec la souffrance infligée aux Palestiniens, ne troquent cependant pas un nationalisme pour un autre. Non, ils ne brandissent pas le drapeau palestinien mais, bien plus qu’en but à la répression de leur propre armée, c’est l’opprobre et la haine de leur famille, amis et collègues qui les poursuivent. Et bien souvent, au bout de quelque temps, ils sont condamnés à s’exiler, tiraillés entre un militantisme épuisant et leurs valeurs morales sur lesquelles ils ne transigent pas. Karine Lamarche, Militer contre son camp ? (Des Israéliens engagés aux côtés des Palestiniens), PUF, 2013

janvier 2014 * n°342 • page 8

Qu’est-ce qui vous a amenée intimement à ce sujet ? (amitié ? judéité ? hasard ? ou, encore, un certain goût pour une forme tragique de l’engagement ?...) J’ai commencé à aller en Israël quand j’étais au lycée. Ma meilleure amie de l’époque y avait émigré et nous sommes restées très proches à distance. Je lui ai rendu visite à plusieurs reprises et puis, lorsque nous nous sommes éloignées, j’ai continué à y aller seule et je me suis fait d’autres amis. Mais à l’époque, je ne comprenais pas grand-chose à la situation. Je fréquentais des

colonies sans même savoir que c’en était, la ligne verte ne voulait rien dire pour moi et je ne faisais pas de différence entre les Palestiniens que je voyais en Cisjordanie, et ceux d’Israël. C’est avec la seconde Intifada que j’ai commencé à me poser des questions, à lire beaucoup sur le sujet et à rechercher du sens à tout ce que j’avais vu jusque-là. En 2004, j’ai décidé de retourner en Israël pour mon premier mémoire de master et j’ai choisi de travailler sur les Refuzniks, ces soldats qui refusent de servir dans les Territoires. Je n’avais déjà plus de contact avec mes amis colons. Il m’a fallu reconstruire de nouveaux liens… En abordant ce sujet avec une telle empathie, avez-vous à subir vous aussi le rejet d’un milieu, de proches ? Ou est-ce que l’institution universitaire est votre position de repli ? La manière même dont j’ai choisi d’aborder ce sujet, en traitant non seulement des déterminants de cet engagement mais aussi de ses conséquences sur la vie sociale des militants a été guidée par ce que j’ai moi-même

vécu en tant qu’apprentie-chercheuse ayant un lien fort avec le pays qu’elle étudiait. J’ai ressenti l’éloignement dont me parlaient mes enquêtés avec des proches ne partageant pas leurs opinions politiques, jugeant leurs pratiques ou tout simplement avec lesquels le dialogue sur de tels sujets était devenu impossible et cela m’a amenée à y accorder une attention particulière. J’ai aussi vécu la difficulté de faire des allers-retours entre Israël et les Territoires occupés, l’impression parfois de devenir un peu schizophrène quand on passe comme cela entre deux mondes si proches et pourtant si différents… Mais j’ai aussi trouvé des personnes avec qui partager ces expériences et surtout, je ne restais jamais plus de quelques mois sur mon terrain. Continuez-vous à travailler sur la société israélienne ? J’ai fait complètement autre chose pendant un an et quelques. J’en avais besoin, pour souffler un peu… Mais maintenant, à l’inverse, je ressens le besoin de renouer un lien avec ce pays et la manière la plus logique pour moi passe par la recherche universitaire. Je suis donc en train de monter un nouveau projet qui, s’il fonctionne, devrait être dans la continuité de ce que j’ai fait en thèse. Par ailleurs, je garde évidemment toujours un œil sur ce qui se passe pour les militants que j’ai étudiés, dont certains sont devenus des amis. n

janvier 2014 * n°342 • page 9


israël-palestine Le droit international en VTT Eric David*

1. L’étude du droit, fût-il international, n’exclut pas une méthodologie sportive. Le soussigné, profitant des disponibilités que lui assure l’éméritat en a fait l’expérience sur les pistes du Neguev/Naqab (en arabe) en Israël. Il a participé à une randonnée cycliste organisée dans la région de Be’er Sheva par une association belge – Solidarity with Bedouins – soucieuse d’attirer l’attention du public sur la situation difficile des Bédouins vivant dans des villages non reconnus par Israël. En voici les conclusions1 où la force des mollets du cycliste se conjugue aux neurones du juriste … 2. Avant 1948, quelque 92.000 Bédouins arabes vivaient dans le Naqab. La guerre de 1948 entre Israël et ses voisins entraîna l’exode de nombreux Bédouins vers les pays voisins. Les 11.000 Bédouins qui restèrent sur place furent rassemblés dans le nord du Naqab par le gouvernement militaire d’Israël dans une zone appelée « Siyag » (clôture en arabe). Les autorités israéliennes leur auraient dit qu’ils pourraient retourner sur leurs terres ancestrales dans les 6 mois. Il n’en fut rien : - les Bédouins rassemblés dans le Siyag ne purent regagner leurs terres ; - ils n’obtinrent aucun droit de

propriété sur les terres du Siyag où ils avaient été déplacés ; - les droits de propriété des Bédouins qui vivaient déjà dans le Siyag avant la création d’Israël ne furent pas reconnus. 3. Les Bédouins qui avaient fui Israël et qui y revinrent ensuite ont été installés à partir de 1969 dans 7 communautés urbaines créées par Israël et qui regroupent aujourd’hui 85 % de la population bédouine originaire du Naqab, soit 105.000 personnes. Les communautés bédouines qui n’ont pas été déplacées et qui sont restées sur leurs terres historiques (95.000 personnes) vivent dans 35 villages non reconnus qui existaient avant la création d’Israël et dans 10 villages en voie de reconnaissance. La population de ces villages varie de 300 à 10.000 personnes. Comme Israël ne reconnaît pas ces 35 villages en tant que communautés urbaines, il refuse de leur fournir les services publics de base accordés à toute concentration urbaine israélienne : eau courante, électricité, routes, écoles ; en outre, les Bédouins qui habitent ces villages et qui, juridiquement, sont des citoyens israéliens sont assimilés à des intrus ou à des squatters illégalement installés sur des terres

janvier 2014 * n°342 • page 10

domaniales de l’État hébreu. Ils y vivent sous la menace constante d’en être expulsés manu militari et de voir démolir leurs habitations ; en 2011, 1000 maisons bédouines de ces villages du Naqab avaient ainsi été détruites au bulldozer. 4. Les participants à la randonnée organisée par SwB ayant vu le triste spectacle de ces maisons démolies, la question qui vient immédiatement à l’esprit du spectateur est de savoir si pareille situation est conforme au droit. Il va y être répondu au regard du droit international. 5. Les Bédouins revendiquent un droit de propriété sur leurs terres. Le fondement juridique de ce droit, en droit international général est l’art. 17 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH). L’interdiction opposée par Israël aux Bédouins de se réinstaller sur leurs terres ancestrales et de reconnaître leurs droits individuels sur ces terres viole donc leurs droits de propriété. En 1972, la justice israélienne saisie par les Bédouins de revendications foncières les avait rejetées car les titres de propriété des Bédouins n’avaient jamais été enregistrés avant 1948 et parce que

ces terres n’avaient pas été cultivées, ce qui, selon le droit ottoman, eût permis de les considérer non comme de la « terre morte » mais comme des terres détenues par des personnes à titre privé. 6. Ces arguments ont été répétés en 2010, lors d’un procès intenté contre Israël par 17 Bédouins qui réclamaient +/- 8 ha de terres ; le 25 mars 2012, un tribunal de Beer Sheva a débouté les demandeurs pour des motifs sensiblement analogues à ceux exposés en 1972 : les titres allégués n’avaient été inscrits ni au Tabu, le cadastre ottoman, ni au cadastre créé par les Britanniques après que la SdN leur eut confié le mandat sur la Palestine en 1922. 7. Ces décisions sont consternantes car elles appliquent à la société bédouine les règles exogènes de systèmes fonciers propres à une toute autre société. Or, c’est le droit bédouin qui doit être considéré, non un droit importé sans rapport avec la réalité sociale bédouine. En droit international, un comportement doit être évalué selon le droit en vigueur au moment et au lieu de ce comportement. Il ne faut pas être un éminent ethnologue pour comprendre que la notion de cadastre foncier devait être à ce point étrangère aux Bédouins que ceux-ci n’avaient jamais cru utile d’intégrer dans leurs coutumes une règle propre à des cultures fondées sur des divisions territoriales de l’espace qui, pour être les plus précises possibles, exigeaient une forme d’en-

registrement. Le système bédouin a toujours été très éloigné d’une pratique d’abornement et de cadastre telle que la justice israélienne l’envisage et il est vraisemblable que, par commodité administrative, les Ottomans avaient intégré les usages locaux en matière foncière. Il était donc assez logique que les Bédouins de Palestine n’aient pas suivi les règles d’enregistrement foncier en vigueur dans l’empire ottoman et que celui-ci ne l’ait jamais imposé. 8. En tant que peuple autochtone, les Bédouins ont des droits que l’AGNU a solennellement consacrés en 2007, notamment, le droit au respect de leurs régimes fonciers « traditionnels » et l’interdiction de priver ce peuple de terres dont l’appartenance se détermine par leur possession ou leur occupation « traditionnelles », une qualification qui apparaît quatre fois dans la Déclaration de l’AGNU. Il n’est donc pas question de critères imposés a posterio-

ri par le groupe dominant (Israël) tels que l’inscription dans des registres totalement étrangers aux traditions bédouines. En ignorant ces principes, les décisions judiciaires israéliennes sont, donc, infondées. 9. Aujourd’hui, Israël s’apprête à mettre en œuvre le plan Prawer-Begin (adopté, le 24 juin 2013 à la Knesset par 43 oui contre 40 non) qui prévoit l’expulsion et le déplacement forcé de 30.000 à 40.000 Bédouins des villages non reconnus. Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale établi par la Convention du même nom (1966) a constaté que ce plan violait cette dernière. En droit, on peut même parler d’apartheid tels que défini par la Convention des NU de 1973 érigeant l’apartheid en crime contre l’humanité. 10. Le Tribunal Russell sur la Palestine a qualifié la situation des Bédouins en Israël de « sociocide », à savoir, la destruction intentionnelle des élé-

janvier 2014 * n°342 • page 11


lire

➜ ments constitutifs d’un groupe social caractérisé par une langue, une culture et un mode de vie propres à ce groupe. Dans le cas des Bédouins du Naqab, leur attachement à des parties du désert où ils vivent depuis des siècles et où ils font paître chèvres et chameaux est un élément propre au groupe, élément dont la suppression justifie la qualification de sociocide même si ce terme n’est pas encore un concept de droit positif. 11. La conclusion est assez

simple : l’émotion et le sentiment de révolte qu’éprouve le spectateur devant les maisons bédouines détruites par les bulldozers israéliens trouve une forme de consolation (symbolique) dans la constatation que le droit international condamne tant ces destructions que le sort réservé par Israël à la communauté bédouine du Naqab. Pour l’instant, cela ne change rien au sort de cette communauté mais il n’est pas exclu qu’un jour, les faits finissent par se conformer aux normes. L’Histoire jugera Israël sans complai-

sance ; en attendant, il faut continuer la lutte pour que le droit devienne réalité. n Ce texte est le résumé d’une étude plus longue rédigée en français et en anglais et figurant sur le site web du Centre de droit international avec références, carte et photos. Le lecteur intéressé y trouvera des compléments d’information au présent exposé : http://cdi.ulb.ac.be/le-droit-international-en-vtt-la-situation-juridiquedes-bedouins-en-israel-une-analyse-deric-david/

1

* Professeur émérite de droit international (ULB)

Nous apprenons en dernière minute que le gouvernement israélien a décidé de retirer le projet Prawer-Begin après que des dissensions sont apparues au sein de la majorité. Le texte devait encore passer devant la Knesset pour une deuxième et une troisième lecture. il s’agit là d’une grande victoire pour la communauté bédouine et pour les mouvements de solidarité (NDLR).

Randonnée en bus, vélo et chorale pour relier des villages bédouins menacés de destruction en Cisjordanie occupée et au Néguev-Naqab en Israël 3 au 9 mars 2014 (congé de carnaval) 2ème édition Esquisse à ce jour - durée : 7 jours, du lundi 3 mars au dimanche 9 mars 2014 (congé de Carnaval) - coût : 550 à 650 € (dépendant du nombre de participants) couvrant les transports, la nourriture et le logement + billet d’avion (environ 350 € selon la compagnie et le moment de la réservation) - participation obligatoire à deux des trois rencontres d’information et sensibilisation avant le départ. La première aura lieu le 11 janvier 2014 de 11h à 13h au Maalbeek, 97 rue du Cornet à 1040 Bruxelles (métro Schuman ou bus 22, 27, 36 of 80). - participation pour les chanteurs et les chanteuses à 2 répétitions chorales - soirée échange culturelle solidaire belgo-bédouine dans chaque village - logement dans habitation bédouine (shikh) - conditions camping - frais d’inscription 100 € - nombre de participants : 15 à 30 Organisation PJPOIttre, ViaVeloPalestina, CheckpointsSingers : réunis dans « Solidarity With Bedouins » http://bedouinsolidarity.blogspot.be Coordination : Marco Abramowicz : 0476 297 359 – marc.abramowicz@skynet.be Collaboration The Jahalin Association – http://www.jahalin.org en Cisjordanie RCUV: Regional Council of Unrecognized Villages en Israël NCF:Negev Coexistence Forum (organisation judéo-bédouine) – http://www.dukium.org/eng/ Informations Cathy Mayer : camay44@gmail.com - 0495.49 04 35 et 02 672 12 36 (FR) Lieve Franssen : lieve.franssen2@gmail.com - 0499 147 446 (ND)

janvier 2014 * n°342 • page 12

Nathalie Skowronek. Énigmes familiales tessa parzenczewski

L

es numéros bleus. Ces numéros bleus tatoués sur les bras que nous apercevions parfois sur des personnes de notre entourage. Le matricule des déportés. C’est en évoquant le numéro tatoué sur le bras de son grandpère Max, et dont elle ne parvient pas à se rappeler la combinaison, que Nathalie Skowronek entame sa longue quête. Qui était réellement Max ? Quelle a été sa trajectoire ? Qui se cachait derrière l’homme d’affaires prospère, installé à Berlin, qui traversait sans contrôle la frontière avec Berlin-Est, pour rejoindre en RDA son mystérieux associé Pavel, ex-Yankel ? Autant d’énigmes que Nathalie Skowronek traque tout au long de son récit. Patiemment, elle interroge sa mère, sa tante, consulte les archives, suit plusieurs pistes, accumule les indices. Bien sûr, elle connaît les grandes lignes : la famille originaire de Lublin, les parents, quatre frères, deux sœurs, émigre en Belgique dans les années 30, le premier mariage de Max, qu’elle ignorait, puis la guerre, les rafles. Sauf la petite sœur, toute la famille sera déportée à Auschwitz, seuls Max et un frère reviendront. Max n’en parlera jamais. Après guerre, il épouse Rayele dont il aura une fille, la mère de l’auteure. Plus tard, il abandonnera mère et fille pour s’installer en Allemagne et le mystère s’épaissit. Étrangement, nous assistons à un roman en train de s’écrire.

Comment transcrire d’une manière crédible le voyage en wagon plombé  ? Des ébauches s’esquissent, le malaise s’installe. L’imagination  ? Mais de quel droit ? Et toutes les questions affluent. Quel est le rôle de la littérature ? Des écrivains sont convoqués. Les emblématiques : Primo Levi, Robert Antelme, Elie Wiesel, Vassili Grossman… Marguerite Duras aussi. Comment le dire alors qu’on ne l’a pas vécu. Le récit est émaillé d’informations objectives. La tragédie individuelle s’insère dans le cadre historique. Des épisodes personnels, déjà racontés par d’autres, sont à nouveau évoqués, comme la trahison des passeurs et les fuyards piégés. Lieux communs ? Mais ce sont, littéralement, nos lieux communs. Nathalie Skowronek prend la route. Berlin, Auschwitz-Birkenau, Cracovie mais aussi Tel-Aviv. Max reste insaisissable, ambigu. Quel rôle a-t-il joué entre l’Est et l’Ouest ? Que y a-t-il de commun entre le Max charmeur, intégré dans la haute société berlinoise, où le passé semble effacé, et le Max qui marche tous les matins le long des grilles du zoo de Berlin pour exorciser on ne sait quelle angoisse ? Quel était son vrai rapport aux Allemands ? De temps en temps, il laissait voir son tatouage, comme une provocation explosive. Transactions bizarres, affaires louches, services secrets, l’énigme reste entière. Mais peutêtre que l’essentiel est ailleurs. En

filigrane, transparaît une sorte de mal être chronique, comme une angoisse qui se répercute en cascade, de génération en génération. Et pour le dire, Nathalie Skowronek n’utilise pas les grands moyens. Un phrasé qui coule de source, une écriture élaguée, rien d’inutile ni de pesant, parfois un seul mot, lapidaire, fait naître l’émotion. Après un premier roman Karen et moi qui évoquait l’écrivaine danoise Karen Blixen, Nathalie Skowronek explore les gouffres de son histoire familiale avec un talent rare, un roman où les mots collent littéralement aux états d’âme. n Nathalie Skowronek Max, en apparence Arléa 234 p., 16 €

janvier 2014 * n°342 • page 13


lire, regarder, écouter Lou Reed Antonio Moyano

T

u vas parler de Lou Reed  ? C’est périlleux, comment oses-tu, tu le connais à peine, t’es pas très rock & roll, Lou Reed, ça fait une paye que tu ne l’as plus écouté, même s’il n’a jamais cessé de te fasciner. Lou Reed, voilà un nom qui grésille incandescence et brûlure. Ce désir a surgi dès l’annonce de sa mort, le 27 octobre 2013. Naïf, je croyais explorer un îlot, un petit atoll, et surgit l’évidence : l’œuvre de Lou Reed est gigantesque, jamais je ne pourrais écouter tous les albums, visionner tous les DVD, lire tous les ouvrages qui lui sont consacrés ! Et tu veux faire ça en un mois ? T’es maboul, toi, tu n’y arriveras pas ! Cet article fera office de vaccin : tu réécouteras longtemps Lou Reed. Quelle joie de s’y remettre au plus vite ! Lou Reed, c’est un phrasé, un parler/ chanter, un timbre de voix reconnaissable entre tous, des mots dits dans une langue que je ne comprenais pas et que je ne comprends toujours pas, comment se fait-il qu’on puisse tant aimer un chanteur dont je ne pige rien ? Faut croire que j’en saisis malgré tout quelque chose, ou alors c’est l’effet « anneaux de Saturne » qui nous aimantent et nous guident, à l’aveuglette, au pifomètre, vers des œuvres qui sont «  faites  » pour nous, étincelle de pressentiments ! Alors que le temps fait son tri, le remix du tamis, pourquoi mon désir de Lou Reed reste toujours aussi vivace ? Il est ancré en un souvenir très précis de mon adolescence : je revois encore la «  gueule d’amour  » de l’Irlandais

qui me l’a fait écouté la toute première fois, il m’avait prêté l’album Transformer, nous étions à l’Ecole Bois et Peintures (une annexe des Arts & Métiers) entre rue Haute et rue Stevens, il venait des beaux quartiers, il avait échoué là par je-m’en-foutisme et renvois de divers établissements. Avec sa dégaine de beau gosse, ses cheveux longs, l’Irlandais – oui, Irlandais s’appelait Patrick – ne passait pas inaperçu. Le redoutable et ascétique Monsieur Jacques s’arrêtait chaque jour devant son établi en disant : « Alors ces cheveux, c’est quand qu’on les coupe ? ». Refusant d’enfiler le bleu de travail réglementaire, Patrick préférait porter une salopette blanche en matière plastique, comme celle des « peintres-carrossiers », nous étions pourtant bel et bien en menuiserie. C’était en l’an 1974 ou 75 ? je ne sais plus. Et le coup foi-

janvier 2014 * n°342 • page 14

reux de Patrick me reste encore en travers de la gorge ; Lou Reed était à l’affiche de L’Ancienne Belgique (avec John Cale ?), jamais je n’étais encore entré dans cette salle. L’Irlandais veut qu’on y aille tous deux, il me parle d’une combine pour avoir des tickets moins chers. Résultat des courses : jamais je n’ai pu accéder au concert, merde, j’avais pourtant bel et bien payé ma quote-part pour ces faramineux tickets soi-disant à moitié prix, oui ou non ? Je partirai à Londres avec une classe d’Espagnols, guidée par notre prof, une bonne-sœur très guillerette, je ramènerai Transformer. « Tiens, Patrick, en voici un tout neuf, celui que tu m’avais prêté, il est abîmé tout griffé à force de le … » En vérité, mon père, qui a de la poigne, l’a utilisé comme putchinbull un soir de soulographie. Soulographie, coups de poing  ? Je

passe tout ça sous silence pour maquiller du mieux que je peux la véracité des faits, on tient tout de même à préserver sa fierté, faute de mieux. Nous vivions alors au 256, rue d’Aerschot, le bout de rue sans putes ni néons, entre l’avenue de la Reine et la rue des Palais. Bien des années plus tard, un soir, je redécouvre Lou Reed grâce à une troupe de théâtre venue d’Argentine et qui donne son spectacle aux Brigittines. Et voici du Lou Reed murmuré, déclamé, psalmodié en espagnol, ma langue maternelle. Flash, j’entrevois soudain pourquoi j’avais tant aimé Lou Reed ! Quelques années plus tard (aéroport de Malaga, les avions décollent au comptegoutte, grève des aiguilleurs du ciel), je lis et relis une longue interview de Lou Reed dans El País semanal, il affirme que les paroles de ses chansons ne sont pas de la gnognote et que c’est une bien triste perte que de ne pas les lire, et moi illico je me promets d’y fourrer mon nez un jour ou l’autre. Ce n’est que très récemment que j’ai pu enfin réaliser mon rêve : je me suis offert par amazon.fr Lou Reed Traverser le feu : intégrale des chansons 1.Je l’avoue, je l’ai à peine entr’ouvert, pas eu le temps, ça viendra, ça viendra… C’est la nuit du jeudi 5 décembre, veille de Saint-Nicolas, j’écris après avoir un peu dormi ; avec la nuit, l’agréable sensation que le temps roule à l’infini et que je dois garder l’œil sur l’essentiel parlant de Lou Reed. Olé ! Ça va être jojo demain au boulot, avec mon sommeil raboté, olé ! Hier, j’ai fini de voir le DVD Spanish Fly : live in Spain le concert donné en 2004 à Benicassim2. À la fin, Lou dira : Adios amigos, gracias. Lou Reed a dû surmonter divers coups du sort. Malheur n°1 : survivre seul comme artiste et leader à un groupe devenu mythique The

Velvet Underground ; car où qu’il aille, quoi qu’il fasse, on ne cessera de le lui rappeler. D’autant qu’au fil du temps, on « déterrera » des enregistrements inédits, des séances studio, des captations pirates, et comme tout ça aura pris l’inimitable patine «  des temps héroïques » alors – j’ouvre ici une parenthèse : j’ai déniché avenue de La Chasse, un bel album richement illustré (24 x 32 cm, et 3, 5 d’épaisseur !) : The Velvet Underground3. Malheur n°2 : avoir approché de trop près une figure à haute-décharge médiatique. Ah ben oui, Lou a fait partie de la Factory des warholiens ! En hommage à Andy, Lou Reed et John Cale se réuniront en 1990 pour l’album Songs for Drella. Superbe ! Malheur n°3 : être un rescapé des électrochocs et de certaines addictions mortelles. S’il a survécu, c’est donc qu’il a renoncé ? Autant les fans que les détracteurs (certes pour des raisons divergentes) ne cesseront de répéter : Lou, rappelle-toi d’où tu viens ! Réécoutant Lou Reed jour après jour sur mon Ipod, un air vivifiant – Refus ! Révolte ! – me dynamise. Et s’immisce aussi… tant pis, je lâche le mot : la rédemption. Car survivre c’est quoi sinon la chance ou le risque d’un « changement de peau » comme la mue du serpent. Suis-je encore digne d’intérêt si je cesse d’être un paria ? Qui d’autre que moimême peut m’accorder le pardon ? C’est tout ça qui hante mon esprit en réécoutant Lou Reed. N’est-il pas conseillé avant tout départ de préparer son voyage ? Et on tient notre guide en la personne de Bruno Blum qui a écrit une magnifique et incontournable biographie : Lou Reed Electric Dandy4. Passant en revue tous les albums, il brasse une masse d’informations sans jamais nous gaver. Tout en évitant le panégyrique, il

titille notre curiosité afin d’aiguiser notre écoute, sans cesse et toujours à l’intérieur de l’œuvre. Et jamais aucun jugement hâtif, réac ou ringard. Et c’est rue des Eburons que j’ai trouvé The Raven/Le Corbeau5. Lorenzo Mattotti (Brescia, 1954) illustre le livre par des tableaux pleine page ou des dessins à la plume, tous aussi beaux qu’inquiétants. Ce livre est lui-même issu de l’opéra POEtry né en l’an 2000 de la collaboration de Lou Reed et du célèbre metteur en scène Bob Wilson. Idée géniale, marier Lou Reed et Edgar Allan Poe ! Courir après Lou Reed m’a aussi fait découvrir sa passion pour la littérature, ainsi pourra-t-on lire son interview de Hubert Selby Jr6. Et qui était donc Delmore Schwartz (1913-1966) ? Lou Reed fait sa connaissance en 1962 à l’université de Syracuse (NY), Lou lui dédiera deux chansons. Nous irons à sa rencontre le mois prochain… Pour en savoir plus sur l’histoire familiale de Lou, allez voir sur http://jewishcurrents.org/april-12-lou-reedand-red-shirley-9727, son interview de sa cousine Shirley Reed (23 min.) n Lou Reed, Traverser le feu. Intégrale des chansons, traduit de l’anglais (États-Unis) par Sophie Couronne et Larry Debay. Édition du Seuil (Collection Fiction & Cie), 2008, 491 pages. 2 Lou Reed, Spanish fly. Live in Spain, Sanctuary Visual DVD, 2005. 3 The Velvet Underground. Un mythe new-yorkais, sous la direction de Johan Kugelberg, avec la contribution de Lou Reed, Maureen Tucker, Doug Yule, Václav Havel, Jon Savage, Rizzoli International Publications, 2009, 317 pages. 4 Bruno Blum, Lou Reed Electric Dandy. Biographie, Hors-Collection, 2008. 503 pages. 5 Lou Reed/Lorenzo Mattotti, The Raven/ Le corbeau,traduit de l’américain par Claro, Seuil (Fictions & Cie), 2009. 186 pages. 6 Lou Reed, Parole de la nuit sauvage, traduit de l’américain par Annie Hamel. 10/18 (Collection Musiques & Cie. 2615), 2002. 411 pages. 1

janvier 2014 * n°342 • page 15


mémoire(s) Connaissance et affliction Gérard preszow

V

ous parcourez les couloirs interminables du métro parisien pour passer d’une ligne à l’autre ; pas de chance, vous vous êtes trompé de direction. D’autant plus, si vous êtes prisonnier des labyrinthes de Châtelet ou de Montparnasse. Vous revenez à contresens, à contrecourant. Vous essayez de vous fendre un passage dans la foule. Surtout ne pas vous arrêter. Et pourtant, vous vous arrêtez. Une affiche vous happe. Elle vous immobilise. Vous êtes scot-

ché. Peutêtre entravez-vous le flot incessant de la masse qui passe ; vous ne vous en rendez pas compte. L’ a f f i c h e vous précipite dans un autre temps un autre Photo Albert Cusian. Propagandiste nazi (Varsovie) lieu. Elle a quelque chose d’incongru. Vous portés. C’est surprenant comment la regardez en même temps Louis Malle a réussi à rendre traque vous rentrez en vous. gique la banale expression quoVous êtes au cœur du monde tidienne « au revoir les enfants ». et, pourtant, le monde, vous Mais vous savez qu’au seuil du paroxysme, la langue est réveill’avez oublié. Avant de rejoindre l’ex- lée et que son quotidien a changé position à l’étage du Mémo- de registre. C’est même le sens de rial de la Shoah, il vous aura la fonction artistique : sublimer la fallu passer par « un chemin résonance des mots ou l’acuité du de croix ». Sortant du métro regard. Vous poursuivez et arrivez Saint-Paul, vous ne traversez devant le Mémorial. Double sas pas la rue de Rivoli pour al- d’entrée. Attendre la fermeture ler du côté Marais judéo-re- de l’un pour l’ouverture de l’autre. naissant (fringues et pitas Un jeune homme de faction pourfallafels) et/ou gay friendly. vu d’une oreillette vous observe Vous ne manquerez pas de du trottoir d’en face. Quelle muvous y rendre plus tard pour sique écoute-t-il ?... Vous passez vous rassasier en terrain entre des murs gravés des noms complice. Vous restez de ce des déportés. Invention : au bas côté-ci et entamez le quar- de la liste, des post scripta gratier derrière l’église. Vous vés à leur tour, des errata pour les passez devant des écoles oubliés ou… les retrouvés. Enprimaires aux façades par- fin, vous poussez la porte. L’exsemées de plaques en hom- po est gratuite. Après vous être mage aux enfants juifs dé- recueilli dans la crypte au sous-

janvier 2014 * n°342 • page 16

sol, vous montez aux étages. Quelques salles – peu. Juste assez ! Des panneaux de verre qui descendent du plafond et qui proposent des photos sur leurs deux faces. Vous êtes surpris. Il y a du monde. Beaucoup de monde et pas un bruit. Vous prenez garde de ne toucher ni l’un ni l’autre dans cette procession silencieuse où chacun avance à pas feutrés. Une exposition plaît quand elle est une expérience, pas un chapitre qui s’ajoute au savoir encyclopédique. Et celle-ci nous enseigne une somme de silences, les qualités diverses du silence. J’ignorais qu’il y avait tant de témoignages photographiques sur les ghettos (principalement Pologne et Lituanie). Et la richesse de cette exposition consiste à confronter leurs origines différentes : photos mises en scène au service de la propagande nazie,

Photo George Kadish. Photographe juif (Kaunas)

photos prises (quasi clandestinement) par des nazis ou des soldats allemands à titre « privé » comme souvenirs de voyage destinés à un album de famille, photos prises (le plus souvent à la sauvette) par des

photographes juifs. Cette démultiplication de prismes de points de vue appelle à commentaires, à mises en perspective. Il y a un silence de la lecture attentive des cartels – un livre déployé –, un silence respectueux de l’apprentissage. Un silence humble de la curiosité et de la compréhension. Allers-retours entre l’information écrite et les photographies, entre les yeux et le regard. Il y a aussi un silence de la méditation, un silence de l’hommage. Un silence de la tristesse et de la compassion. Un silence profond proche du mutisme et loin de l’intellection. Un silence craintif de reconnaître – qui sait ? – l’un des siens. n Mémorial de la Shoah. Regards sur les ghettos. Jusqu’au 28 septembre 2014.

Photos Hugo Jaeger.Journaliste allemand (Kutno)

janvier 2014 * n°342 • page 17


mémoire(s) L’image manquante. Les années khmères rouges

voir les réalités de la terreur et de la famine que subissent les travailleurs forcés des grands travaux agricoles, souvent des en-

roland baumann

L

auréat du prix « Un certain regard » au dernier Festival de Cannes, puis diffusé sur Arte, L’image manquante de Rithy Panh, est à présent commercialisé en DVD. Le texte des commentaires du film, co-écrit par le réalisateur et Christophe Bataille, dit en voix-off par l’acteur franco-cambodgien Randal Douc est sorti chez Grasset. Avec S21, la machine de mort khmère rouge (2003) et Duch, le maître des forges de l’enfer (2011), L’image manquante constitue une trilogie documentaire du cinéaste sur le système politique criminel responsable de la disparition de près de deux millions de Cambodgiens, dont presque toute sa famille. Rithy Panh luimême ne survécut que par miracle aux camps de travail, comme il l’évoque dans L’élimination (2012), récit de sa confrontation avec l’ancien directeur du camp de S21, Duch, inculpé au procès d’une poignée de dirigeants khmers rouges. Pour son dernier film, le réalisateur franco-cambodgien s’était d’abord lancé à la recherche d’images d’exécutions de prisonniers prises par un photographe khmer rouge, lui-même victime de la machine de mort à S21. Cette recherche d’images établissant la réalité du crime de masse et documentant le passé de la capitale, Phnom Penh, sa ville natale a finalement incité le réalisateur à raconter son enfance dans les camps khmers rouges et

à faire revivre les membres de sa famille, victimes de l’idéologie exterminatrice du « Kampuchea démocratique »... Un passé douloureux à représenter à l’aide de figurines d’argile peintes. Des statuettes de terre, inanimées, auxquelles, magie du cinéma, la caméra du cinéaste et le texte dit en voix-off parviennent à prêter vie. On voit comment la main du sculpteur taille ces figurines d’argile avant de les peindre. Constituant la « troupe d’acteurs » et la véritable « armée de figurants » à l’aide desquelles le réalisateur reconstitue les différents « tableaux » de sa survie et du martyr de sa famille. Comme la plupart des citadins, catégorisés collectivement par les Khmers rouges comme faisant partie du « nouveau peuple », perverti par la vie urbaine et donc à « rééduquer » par le travail, ils furent déportés de Phnom Penh le 17 avril 1975. De grands dioramas peuplés de figurines se succèdent, comme autant de scènes et décors d’un film historique. Les commentaires du narrateur s’associent aux gros plans et aux multiples mouvements de caméra pour vraiment animer les figurines peintes, aux traits pourtant assez grossiers. À commencer par « le regard froid, l’uniforme noir, les cartouches en bandoulière des combattants de quinze ans » qui constituaient les troupes de choc de l’armée révolutionnaire, qui au terme d’une longue guerre de guérilla venait de triompher de

janvier 2014 * n°342 • page 18

l’impérialisme américain et du régime fantoche de Lon Nol. Un petit personnage d’argile représente Rithy Panh en personne, reconnaissable à son T-shirt bariolé, « Parce que, pour survivre, il fallait préserver quelque chose de soi ; et que ce petit garçon, même s’il porte un uniforme noir, comme tout le monde, s’imagine toujours en couleurs ».

films et dioramas Des extraits de films de la propagande khmère rouge alternent avec les images de « la vraie vie quotidienne  » reconstituées en dioramas et figurines. Des images « exaltantes », accompagnées de coeurs chantant les mérites du « Kampuchéa démocratique » en route vers le futur harmonieux d’une société collectiviste, sans classes et aidant à passer sous silence les souffrances de tout un peuple placé sous le joug de jeunes paysans révolutionnaires devenus souvent des machines à tuer, obéissant aveuglément aux ordres de l’Angkar, l’organisation du peuple. « Qu’ont-ils fait de leurs idées pures ? Un pur crime » résume le réalisateur dans sa dénonciation de l’idéologie criminelle khmère rouge, perversion de l’humanisme marxiste et de la philosophie des Lumières. Le travail de montage du cinéaste et sa lecture de certaines des images tirées de la propagande, démasque les mensonges des films khmers rouges et nous fait entre-

fants. Tout comme dans S21 et Duch, le cinéaste juxtapose donc images et discours de la propagande en contrepoint avec le quotidien de la terreur et de la mort. Un temps de la terreur absolue que, le plus souvent, seule la mémoire des témoins évoque et qu’il reconstitue ici avec ces troublants « dioramas » et ses figurines. Les archives récupérées au camp S21, centre d’interrogatoire et de torture, documentent en détails des crimes dont les Khmers rouges voulaient faire disparaître toute trace. Tous ceux qu’on ne peut « rééduquer » sont des ennemis à « réduire en poussière » ! On comprend les Khmers rouges en examinant leurs images nous dit Rithy Panh, alors qu’il examine une vieille bobine de film, extraite d’une boîte sévèrement corrodée. La pellicule cassante se décompose. On y distingue encore les images radieuses de vie collective paysanne que ce documentaire khmer rouge était censé « immortaliser ». La caméra filme ensuite le plan d’ensemble d’une maquette représentant la projection en plein air d’un de ces films de propagande. Tout le monde doit assister à la projection et des gros plans nous révèlent l’expression hostile de certains visages, par-

mi l’ensemble de ces spectateurs forcés. Le mouvement constant de la caméra sur les dioramas et les figurines explore ces portions de paysages sommairement reconstitués, contraste avec les sourires contraints, les « majestueuses » vues d’ensemble de localités et l’activité débordante des travailleurs sur les images de la propagande, des images dépourvues de qualités humaines.

les détails de l’histoire Admirateur du travail de Claude Lanzmann, « fondé sur la parole et l’organisation de la parole » et de Shoah, film dont le génie est de « donner à voir dans les mots », Rithy Panh s’efforce cependant de réveiller, d’amplifier et d’étayer la parole des témoins par des documents, comme il le fait magistralement dans Duch et S21. Dans l’analyse des documents et lorsqu’il filme des témoins, le cinéaste veut « aller dans les détails les plus infimes », vérifiant tout, afin que la vérité soit bien établie et persuadé que si aucun détail de l’histoire n’est contestable, alors le crime de masse ne sera jamais un simple « détail » ! Inspiré par Primo Levi, Victor Klemperer, ou les textes de Charlotte Delbo sur la déportation, « magnifiques dans leur simplicité », Rithy Panh cherche dans son travail cinématographique la compréhension de la nature du crime et non le « culte de la mémoire ». Il ne cache pas sa méfiance de « la banalité du mal », une « formule séduisante qui permet tous les contresens ». Duch n’est pas « un monstre ou un bourreau fascinant  », mais bien «  un homme qui pense » et se trouvait

donc toujours dans le contrôle et la connaissance de ses actes. En sa qualité de responsable de S21, centre d’interrogatoire, de torture et d’exécution de la police politique, établi dans une ancienne école de Phnom Penh, il était un des principaux responsables de l’extermination des « ennemis du peuple » par les Khmers rouges en 1975-1979.

les collaborateurs Implacable réquisitoire contre le régime khmer rouge, le film accuse tous ceux qui « bon gré mal gré » collaborèrent à la « machine de mort » en niant dans les médias ocidentaux la réalité meurtrière du Cambodge de Pol Pot, tels Alain Badiou, Noam Chomsky ou Jacques Vergès. Persuadé de l’universalité du crime de masse khmer rouge, « de même que les Khmers rouges ont cru à l’universalité de leur utopie », le cinéaste pointe du doigt les responsabilités internationales : les Américains dont les bombardements massifs de B52 incitent les jeunes cambodgiens à rejoindre en masse la guérilla khmère rouge, la Chine qui soutient jusqu’au bout le régime Pol Pot et les Nations Unies qui permettent à un représentant khmer rouge d’occuper le siège du Cambodge jusqu’en 1991, ou encore la CIA qui en mai 1980 publie un rapport niant la réalité des exécutions massives au Cambodge de Pol Pot, contribuant ainsi à défendre sur la scène internationale la cause des Khmers rouges chassés de Phnom Penh par l’intervention vietnamienne en janvier 1979 ! n Rithy Panh, L’image manquante, Arte Éditions (DVD) Rithy Panh avec Christophe Bataille, L’image manquante, Grasset, 2013. Et des mêmes auteurs, L’élimination, Grasset, 2012 (qui vient de sortir au Livre de Poche)

janvier 2014 * n°342 • page 19


réfléchir Le Conseil de l’Europe stigmatise la « barbarie juive » jacques aron

J

’ai déjà traité à deux reprises dans ces colonnes des débats qui ont traversé récemment la société allemande à propos du rituel ou de la pratique de la circoncision1. L’Allemagne ayant légiféré dans le sens du respect de la liberté de culte, assorti d’un renforcement des garanties sanitaires, on aurait pu croire que les passions déchaînées à cette occasion allaient s’apaiser. Il n’en est rien. Bien au contraire. On ne saurait prendre à la légère le rapport2 scandaleux qui, sous le noble prétexte apparent de son titre humaniste : « Le droit des enfants à l’intégrité physique  », propose aux États de pénaliser, c’est-à-dire de criminaliser, la pratique largement répandue par la foi et la tradition culturelle, et ce, au nom de considérations pseudo-scientifiques qui en dégageraient les « risques potentiels… pour la santé physique et mentale des enfants ». Ce rapport cache (mal) sous des abstractions juridiques et une prétendue objectivité médicale un véritable appel à la réouverture des guerres de religions en Europe. Son banal positivisme n’a d’égal que son ignorance de l’histoire politique et culturelle du continent et singulièrement de l’histoire allemande. Sa rapporteure,

la socialiste allemande Marlene Rupprecht y laisse à chaque instant transparaître sa passion trouble, qui pourrait bien, paradoxalement, s’apparenter à celle du vieux Luther dans son écrit : « Les Juifs et leurs mensonges ». Il n’y manque que les illustrations : « Un vieux rabbin orthodoxe déchirant de ses ongles sales le prépuce de sa victime et entraînant ainsi sa mort ». Et comme on a fait du progrès depuis Luther ou le martyre de Saint Simon de Trente (que l’Église a mis 500 ans à priver de son auréole), l’image serait extraite du film réalisé par un Juif ! La preuve irréfutable !

Evangéliser sans circoncire Qui possède un peu plus de culture historique et politique que Madame Rupprecht (et un peu moins de démagogie) sait depuis Saint Paul l’importance symbolique de la circoncision dans l’évangélisation des peuples dits païens, les barbares de l’époque. Et combien son abandon par le christianisme, devenu religion d’empire, nous a ouvert des siècles de civilisation pacifique et éclairée. Et que ce combat sacré soit repris à présent au nom d’une laïcité apparemment teintée de science, ne change fondamentalement rien à

janvier 2014 * n°342 • page 20

la chose. Madame Rupprecht en a même oublié l’histoire de son propre parti. La « question juive » est une question proprement allemande qui se développe à partir de 1840 avec la conception d’un État « germano-chrétien », dans lequel, évidemment, les Juifs du Talmud (d’après la venue du Sauveur qu’ils ne reconnaissent pas) n’ont pas leur place. Même les rabbins chercheront à répondre à cette injonction par d’innombrables concessions pour s’intégrer à cet État. Mais après 1880, à l’heure où l’antisémitisme devient une véritable arme politique (on sait ce qu’il en adviendra), c’est le « socialiste » Eugen Dühring qui, au nom de la science dont il passe à l’époque pour le meilleur connaisseur, demande l’exclusion des Juifs pour des mobiles d’éthique profane. Le vieux fou meurt en 1921, aveugle et rongé par la haine. En France, sous l’Ancien Régime, les Académies stimulaient le débat d’idées par des concours publics  ; c’est ainsi que furent préparées par les Lumières les réformes politiques de la Révolution. Le Rapport de la « Commission des questions sociales (sic), de la santé et du développement durable » devrait être publié intégralement avec son analyse, mise en concours, par les lauréats pri-

tales des femmes, et après avoir évoqué «  l’immigration en provenance des pays où se pratique la circoncision (sic) », il glisse in fine pour se mettre à l’abri des retombées radioactives : « À n’en pas douter (sic !), il faut établir une démarcation nette entre la circoncision, qui peut présenter certains avantages médicaux pour les garçons et les hommes, et les mutilations génitales féminines qui, à l’évidence, n’ont aucun avantage médical mais sont une pratique visant à contrôler le comportement sexuel des jeunes filles et des femmes tout au long de leur vie. » Comme ils sont beaux nos enfants, quand On sait depuis longtemps les Juifs ne les mutilent pas ! Saint Simon qu’un cheval conçu en commismartyr des Juifs (gravure édifiante de 1607) sion devient un chameau ; ce més par un jury de nos meilleurs chameau-ci, Aube dorée l’adoptepenseurs. Alors peut-être com- ra les yeux fermés pour le mettre mencerait une véritable confron- dans son écurie antisémite. tation. Certes, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe Évolution ne saurait traiter de tous les proCe ramassis de raccourcis, blèmes à la fois, mais une pers- d’amalgames et de confusions pective d’ensemble devrait au ne fera évidemment pas avanmoins la guider. À l’heure où il cer d’un petit pas l’évolution des est incapable de maitriser les pratiques et des mœurs. De nomconséquences de sa seule poli- breux Juifs, à titre individuel et tique commune, la création d’une faisant usage des droits indivimonnaie et d’un marché uniques, duels conquis par la séparation de quelle aubaine que cette re- l’Église et de l’État, là où elle est prise subconsciente de la dési- effective, ne se sentent plus tegnation d’un coupable de crime nus de faire circoncire (et pas circontre la « Vie »3.Ce rapport est conscrire, comme indiqué dans le d’une vicieuse hypocrisie : après rapport) leurs fils. Ils condamnent avoir fustigé pendant 10 pages de la même façon l’isolationnisme dans les termes les plus outran- ethnique juif, le refus du maciers la circoncision, mise en pa- riage mixte (le seul aspect posirallèle avec les mutilations géni- tif que des orthodoxes trouvèrent

aux Lois de Nuremberg), les interdits alimentaires, etc. Mais ces mêmes Juifs, dont je suis, s’opposeront à la répression judiciaire, surtout lorsqu’elle est aussi manifestement ciblée de façon populiste. Nous laisserons aux psychanalystes le soin de commenter cette névrose obsessionnelle autour de quelques mm2 de peau du prépuce. Cette « laïcité » à géométrie variable n’est pas prête à criminaliser les dégâts pour la santé mentale de générations entières, de la croyance au Dieu incarné en homme et donc au peuple déicide, de l’Immaculée conception (sans doute médicalement prouvée), au Saint-Esprit, à l’intercession des saints, aux amulettes miraculeuses, à l’ingestion du corps christique, et j’en passe… Voilà ce qui arrive, quand on se laisse aller à « surfer » sur la vague de fantasmes incontrôlés qui naissent «  face à un monde globalisé et à des flux migratoires accrus  », comme l’évoque le rapport même. Prête à toutes les concessions à l’air du temps, la rapporteure en vient à évoquer, pourquoi pas ?, un nouveau droit de l’homme : « le droit de vivre sa vie selon l’identité sexuelle subjectivement perçue  ». Décidément, la barbarie juive est sa seule idée fixe. n Voir : « Le saint prépuce s’enflamme », n° 329, oct. 2012 ; « Circoncision, suite et fin ? », n° 333, février 2013. 2 Document 13297 du 6 septembre 2013 disponible sur le site de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. 3 Le rapport s’ouvre significativement par l’invocation mystico-métaphysique de « l’appel de la Vie à la Vie » (Khalil Gibran). 1

janvier 2014 * n°342 • page 21


! ‫יִידיש ? יִידיש‬

Yiddish ? Yiddish ! par willy estersohn

‫װען ס׳קריצן צײן‬

Traduction

Ven s’kritsn tseyn Lorsque grincent les dents

À la tombée du crépuscule,/À la montée de l’aube,/Dans le sang terrifiant,/Mon échappatoire est dissimulée ! Lorsque les demeures sont en flammes/Avec cris de douleur,/Lorsque des volutes de haine déboulent par les rues,/Qui peut m’ordonner d’attendre ?/Qui peut m’interdire de haïr ?

Dovid Hofshteyn, l’auteur du poème dont nous publions ici un extrait, est né en Ukraine en 1889. En 1917 alors qu’il adhère avec enthousiasme à la révolution bolchévique – il commence à faire paraître des poèmes dans plusieurs périodiques yiddish de Kiev. La critique soviétique apprécie sa poésie tout en lui reprochant d’être trop « esthétique » et trop « élitiste », ce qui implique qu’on le range dans la catégorie des auteurs « petit-bougeois » et non pas « prolétariens ». Il décide de quitter l’URSS en 1924 alors qu’il est pris à partie pour avoir signé une pétition contre l’abolition des cours d’hébreu. Après un court séjour en Palestine, il fera amende honorable et reviendra en Union soviétique. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, Hofshteyn sera un membre actif du Comité anti-fasciste juif que Staline a créé dans un but de propagande. Mais, l’année même de la création d’Israël, le maître du Kremlin fait arrêter les principales figures de l’intelligentsia yiddish, lesquelles seront exécutées en août 1952 lors de « la nuit des poètes assassinés ». Dovid Hofshteyn en fera partie.

,‫רנאכטן‬ ַ ‫ֿפא‬ ַ ‫אין נידער ֿפון‬ farnakhtn

fun

nider

in

fun shtaygn

in

,‫ֿפרימארגנס‬ ָ ‫שטײגן ֿפון‬ ַ ‫אין‬ frimorgns

‫אין בלוטן העלישע‬ helishe

! ‫רבארגן‬ ָ ‫ֿפא‬ ַ farborgn

blutn

in

‫מײן אויסװעג איז‬ ַ iz

oysveg mayn

‫הײזער שטײען‬ ַ ‫װען‬ shteyen

hayzer ven

,‫געשרײען‬-‫ֿפלאם ֿפון װײ‬ ַ ‫אין‬ vey-geshreyen fun

flam

in

,‫גאסן‬ ַ ‫קײקלען איבער‬ ַ ‫װען קנוילן גרויל זיך‬ gasn

iber

kayklen zikh groyl knoyln ven

? ‫װארטן‬ ַ vartn

? ‫האסן‬ ַ hasn

janvier 2014 * n°342 • page 22

Une oeuvre de Dovid Hofshteyn : ‫ טרויער‬Troyer (Chagrin) éditée en URSS en 1922. Illustration de la couverture : Marc Chagall

‫װער קען מיר הײסן‬ heysn mir ken

ver

‫ֿפארװערן‬ ַ ‫װער קען‬ farvern

ken

ver

remarques

‫ קריצן‬kritsn = grincer. ‫ צײן‬tseyn : plur. de ‫ צָאן‬tson = dent. ‫ העליש‬helish = infernal. ‫ אויסװעג‬oysveg = issue, échappatoire (‫ װעג‬veg = chemin). ‫ ֿפַארבָארגן‬farborgn : cacher (dans le sens d’enfouir). ‫ קנוילן‬knoyln : plur. de ‫ קנויל‬knoyl = boule, nuage, volute. ‫ גרויל‬groyl = horreur. ‫ גרויליק‬groylik = horrible. ‫ זיך קַײקלען‬zikh kayklen = rouler, se rouler.

janvier 2014 * n°342 • page 23


anne gielczyk contrat. Un préjudice qui pourrait s’élever à un milliard d’euros.

P

Tchouc tchouc

P

our ceux qui ont lu ma dernière chronique, ils auront compris que la voiture est un moyen de transport qui peut s’avérer assez imprévisible. Pourtant, beaucoup estiment encore qu’en montant dans leur voiture, ils utilisent le moyen le plus confortable et le plus rapide pour se rendre d’un point à un autre. Pendant que je vous écris, il n’y a pas moins de 147km de files sur les routes belges et la vitesse moyenne est de 20 km à l’heure. Pour aller de Charleroi à Bruxelles, le temps estimé est de 97 minutes, ça fait quand même beaucoup pour 60 km. Et tout ça à 9h30 du matin, c-a-d après l’heure de pointe. Une journée normale quoi, sur les routes de Belgique et de Flandre.

M

oi je préfère de loin le train. Ce qui est quand même un peu bizarre à y bien réfléchir, sachant d’où je viens. Mais bon, même mon père – qui en son temps a pourtant sauté d’un train qui devait l’emmener à Auschwitz – n’en a pas tenu rigueur aux trains, ces merveilleux engins qui permettent de se déplacer tout en lisant un bon livre, écouter de la musique, taper la carte ou même regarder un film, à condition

bien sûr de ne pas se retrouver coincé debout pour cause de manque de place à l’heure de pointe ou en été sur le trajet de la mer. Aujourd’hui, mon père n’est certes plus en état de sauter d’un train en marche, mais il vient volontiers me rendre visite en chemin de fer grâce aux tarifs senior de la SNCB. Malheureusement, le pauvre, il est sur la pire ligne de tout le réseau belge, Bruxelles-Namur, ce qui lui a valu quelques aventures. Déjà en temps normal, les trains ne roulent jamais à l’heure, mais dès le moindre souffle de vent, de flocon de neige ou de température en baisse ou en hausse, les retards s’allongent et parfois se muent en suppressions. Une suppression, c’est quand le chiffre rouge annonçant le nombre de minutes de retard à droite du tableau se transforme en « train supprimé ! » (point d’exclamation inclus) puis finit par disparaître, avec l’annonce du train. Floup ! Plus d’annonce et surtout plus de train. Rien qu’en octobre dernier, 1664 trains ont été supprimés. Heureusement pour mon père, comme il est systématiquement fort en avance, il peut encore attraper parfois le train en retard de l’heure précédente. D’ailleurs c’est un peu ce que projette de

janvier 2014 * n°342 • page 24

faire la SNCB pour résoudre ce problème lancinant de manque de ponctualité. Désormais, pour arriver à l’heure, les trajets seront allongés. En d’autres termes, au lieu de mettre 25 minutes pour aller de la gare du Midi à la gare de Gand-SaintPierre, le train mettra disons 40 minutes. Au lieu d’attendre sur le quai, vous passerez ce temps dans le train. À condition qu’il arrive à l’heure bien sûr, une hypothèse qui fait ricaner n’importe quel habitué des chemins de fer belges.

C

eci dit, mon père a de la chance, son train ne fait pas le détour par Zaventem, ce qui est le cas de tous les trains dans le triangle Malines-BruxellesLouvain. Voyager de Louvain ou de Bruxelles à Anvers passe désormais obligatoirement par l’aéroport, avec en prime un supplément de 4,4 euros par trajet, pour cause d’une sombre histoire de contrat entre la SNCB et un partenaire privé « Northern Diabolo » qui a obtenu l’exploitation de la ligne dite « Diabolo » vers l’aéroport. Le contrat, diabolique en effet, oblige la SNCB à augmenter de façon draconienne le nombre de voyageurs passant par l’aéroport sous peine de résiliation dudit

ourtant nos chemins de fer sont désormais dirigés par pas moins de trois entreprises distinctes, libéralisation des marchés européens et « efficience » économique obligent : la SNCB pour le transport des voyageurs, Infrabel pour tout ce qui est infrastructure et la Holding qui s’occupe de la gestion du patrimoine et du personnel. On pourrait donc s’attendre à ce que toutes ces

« efficiences » réunies – chacune se concentrant sur son « corebusiness » – génèrent bénéfices, baisse des prix et trains nickel qui arrivent (et partent) à l’heure avec un personnel tellement satisfait qu’il ne fait plus jamais la grève. Eh bien non. Qui dit trois entreprises, dit trois CEO, et donc trois gros salaires au lieu d’un. Et trois fois plus de chances de se planter en matière de management. La preuve, en 2004, 94% des trains arrivaient encore à l’heure, aujourd’hui ce n’est plus que 4 trains sur 5. Infrabel loue maintenant son infrastructure à la SNCB. Si cher que la SNCB a un déficit de 1,5 euros par km et par train. Le matériel, fourni par Infrabel, laisse lui souvent à désirer et est responsable d’un retard sur quatre. Car la flotte d’Infrabel compte pas mal de

« rommeltreinen ».

L

de mots fabuleux d’inventivité, comme en témoigne la liste des nouveaux mots qui fait d’ailleurs l’objet d’un concours annuel pour désigner le mot de l’année. En 2011 le gagnant était « stoeproken » (fumer sur le stoep, le trottoir d’un café ou d’une entreprise puisque c’est désormais interdit à l’intérieur), en 2010 « tentsletje » du mot « tent », tente et « sletje », petite pute, qui désigne la fille qui s’envoie en l’air avec plusieurs garçons dans sa tente au festival de Pukkelpop, Dranouter ou Werchter. Dans la liste des nominés de

Personnellement j’aurais préféré le mot «fyra » avec minuscule, à l’insta r de la marque Frigidaire qui a donné son nom à la glacière. On dirait alors de quelque chose qui tombe tout le temps en panne que c’est un fyra. En Flandre occidentale, ça deviendrait un fyraatje, mais ça c’est une autre histoire. « Rimpelvertraging », un retard occasionné par un train vétuste, un train qui a des « rimpels », des rides, est un autre mot nouveau en 2013. Les problèmes liés au réseau ferroviaire sont apparemment d’une actualité brûlante. Vous remarquerez en passant qu’en néerlandais, il suffit d’un mot pour désigner un phénomène qui nécessite toute une phrase en français. Ne venez donc plus me dire que le néerlandais est une « vilaine » langue, elle regorge de ce genre

2013, on compte quelques petites perles telles que le « loketjanet » (prononcez « loquètejanette »), employé communal, arborant au guichet un T-shirt arc-enciel, signe « ostentatoire » selon Bart de Wever de son appartenance à l’« obédience » gay (toujours selon BDW). « Bitcoinmiljonair » y cohabite avec « deeleconomie » (l’économie du partage), un signe de la diversité des temps. Voilà les amis, il ne me reste plus qu’à vous souhaiter une année 2014 heureuse, een gelukkig nieuwjaar, sans rommeltreinen ni rimpelvertragingen et avec pourquoi pas, quelques bitcoins, de quoi vous acheter un beau vélo à moins que vous n’optiez pour une deelauto, une voiture partagée. Zayt gezunt. n

e « rommeltrein » est un des tout nouveaux mots au dictionnaire de la langue néerlandaise et se dit, je traduis, d’ « un train présentant de sérieux problèmes techniques, ex. le Fyra ». Souvenez-vous, l’année dernière encore, le Fyra était ce train à grande vitesse qui devait nous amener à Amsterdam à 250 km/heure et qui s’est retrouvé à maintes reprises à l’arrêt en rase campagne. Depuis, le Fyra a été renvoyé à l’expéditeur. Supprimé à jamais le Fyra.

janvier 2014 * n°342 • page 25


activités chaque deuxième mardi du mois, de janvier à mai Des « cafés politiques » pour éclairer les enjeux de « la mère de toutes les élections » proposés par Points critiques et Politique (revue de débats) Sous le joyeux titre « Café Politique », Points critiques (mensuel de l’UPJB) et Politique (revue de débats) s’associent pour vous proposer, d’ici les élections de mai 2014, une série de cinq rencontres mensuelles destinées à éclairer les enjeux de cette triple échéance électorale. Pourquoi «  Café Politique » ? Parce qu’il s’agit de rencontres conviviales et interactives autour d’un café et d’un ou plusieurs invités de référence. Ceux-ci apporteront des éléments de réflexion et de débat à propos de la situation politique, économique et sociale et de la crise des valeurs, dans l’Union européenne, dans la Belgique fédérale ou dans les régions et communautés. Inutile de souligner le caractère crucial de la triple échéance électorale de mai 2014 : par un hasard ironique, elle se déroule exactement 100 ans après le déclenchement de la guerre de 14-18 et les bouleversements qu’elle risque d’entraîner pourraient être dignes de figurer dans les livres d’histoire. Il ne s’agit ni plus ni moins que de l’avenir de notre modèle de société. Des courants populistes (en dehors ou même à l’intérieur des partis dits démocratiques) se préparent un peu partout à récolter illégitimement les fruits de la colère légitime des citoyens. C’est d’autant plus paradoxal que le capitalisme financier apparaît aujourd’hui plus que jamais dans sa vérité foncière : un système qui broie l’humanité et détruit la nature afin qu’une caste toujours plus puissante de prédateurs accumule toujours davantage de richesse. Au niveau de l’Union européenne, un choix tragique s’impose entre le modèle monétariste promu principalement par l’Allemagne de Merkel (du moins jusqu’ici) et des alternatives encore balbutiantes qui allieraient développement durable et préservation des solidarités. L’élection du Parlement européen, telle qu’elle est organisée, permettra-t-elle de dégager une option claire, en dépit des obstacles institutionnels et des contradictions entre intérêts particuliers ? Au niveau de la Belgique fédérale, c’est la survie d’un État et le mode de fonctionnement de la société qui sont en jeu, car derrière les rodomontades nationalistes de la N-VA se dissimule (sans beaucoup de précautions) le projet d’une coalition néo-libérale dont le programme aggraverait toutes les tares de la société de marché : réduction des acquis sociaux, cadeaux aux entreprises, musèlement

janvier 2014 * n°342 • page 26

de la pensée dissidente et répression des plus démunis. Dans nos régions et notre communauté, c’est la mise en œuvre de l’autonomie financière inscrite dans la 6e réforme de l’État qui suscite le plus d’inquiétudes. La question qui se pose ici, c’est : les institutions fédérées pourront-elles faire face aux trois défis en « e » qui les attendent – emploi, éducation, environnement – sans accroître les inégalités et sans en créer d’autres ? Les « Cafés Politiques » de Points Critiques et de Politique auront lieu le deuxième mardi de chaque mois (de janvier à mai), de 20h à 22h, dans la maison de l’UPJB, rue de la Victoire 61 à 1060 Saint-Gilles. Le premier invité sera Eric Corijn, le mardi 14 janvier, qui nous parlera de la question de Bruxelles. Les invités suivants évoqueront les enjeux aux niveaux fédéral, européen et international. Eric Corijn est professeur de géographie culturelle et sociale à la VUB. Sociologue et philosophe de la culture, Eric Corijn anime et alimente plusieurs groupes de réflexion sur le devenir de la région bruxelloise. Il est un acteur majeur dans l’évaluation des enjeux régionaux d’aujourd’hui et de demain à Bruxelles. Il a publié trois livres sur Bruxelles : Bruxelles ! (2009), Où va Bruxelles ? (2012) et The Brussels Reader (2013). Il abordera les thèmes suivants : a) L’enjeu politique, quelle hiérarchie au niveau des différentes institutions bruxelloises et comment contrecarrer la stratégie de la N-VA ? b) quelles priorités pour Bruxelles : enseignement, logement, éducation, mobilité, quelles coalitions ? c) Sur le fond, qu’est-ce qu’une ville et que préfigure la ville de la société et des États-nations au 21ème siècle ? Présentation et animation : Jean-Jacques Jespers, Myriam Benayad et Henri Wajnblum Participation aux frais : 4 €, 2 € pour les chômeurs et les bas revenus. On peut s’inscrire sur le site de Politique (www.politique.eu) ou sur le site de l’UPJB (www.upjb.be) ou par courriel à l’une des adresses suivantes : upjb2@skynet.be ou secretariat@politique.eu.org

vendredi 24 janvier à 20h15 Rencontre avec Mamadou Bah, rescapé des escadrons de la mort d’Aube Dorée et militant antifasciste Mamadou Bah, ex-secrétaire de l’Union des Ressortissants Guinéens de Grèce, est réfugié en Belgique pour échapper aux escadrons de la mort d’Aube Dorée, lesquels l’ont agressé à deux reprises, la première fois en le laissant pour mort, le front éclaté et en sang. Mamadou Bah est donc une des innombrables victimes de ces modernes « sections d’assaut », faisant régner leur loi dans les quartiers populaires et la terreur dans les villes grecques. Mais il n’est pas seulement une victime, il est aussi un opposant politique. Mamadou Bah a osé dénoncer publiquement les exactions systématiques des psychopathes racistes d’Aube Dorée, et appelé à la mobilisation populaire contre cette terrible menace. À son initiative, son récit et son cri d’alarme ont en effet été médiatisés d’abord par le principal quotidien grec, et depuis lors dans la presse internationale, de Libération à la RTBF, en passant par La Libre et Le Soir. Un véritable défi lancé aux nouveaux nazis, sur le mode du « NO PASARAN ! », qui lui valent la haine redoublée de ceux-ci, décidés à faire taire celui qui, parlant au nom de ses frères africains, et plus largement « étrangers », a décidé d’être, selon ses propres termes, « la voix des sans voix ». PAF: 6 €, 4 € pour les membres, tarif réduit: 2 €

club Sholem-Aleichem Sauf indication contraire, les activités du club Sholem Aleichem se déroulent au local de l’UPJB tous les jeudi à 15h (Ouverture des portes à 14h30)

Jeudi 9 janvier

Après-midi festive à l’occasion du Nouvel An ! • Concert avec Maroussia accompagnée à l’accordéon par Igor • Goûter avec spécialités maison • Bilan de la saison écoulée et propositions d’activités futures • PAF: 6 €

Jeudi 16 janvier

Marcel Stelzer (dit Motke) nous parlera d’une petite cousine, Gola Mire, militante communiste condamnée à 12 ans de prison par un tribunal polonais d’où elle s’évade en 1939. Reconstituer le parcours de Gola par la juxtaposition de souvenirs familiaux, de biographies et d’articles recherchés sur internet, en faisant ressortir lescontradictions, les omissions volontaires ou non, tel est le but poursuivi par notre ami Motke.

jeudi 23 janvier

Irène Kaufer, d’origine juive, polonaise, arrivée en Belgique en même temps que l’Exposition universelle de 1958, nous parlera de son parcours de militante syndicaliste et féministe.

jeudi 30 janvier 2014

Paul Aron, directeur de recherche au FNRS et professeur d’histoire de la littérature à l’ULB, parlera de son dernier livre, coécrit avec Cécile Vanderpelen, Edmond Picard (1836-1924). Un bourgeois socialiste belge à la fin du dix-neuvième siècle. Essai d’histoire culturelle. L’orateur mettra particulièrement l’accent sur l’antisémitisme de gauche en Belgique, mais aussi et surtout sur les dangers d’une lecture anachronique.

janvier 2014 * n°342 • page 27


activités mardi 28 janvier 2014 à 20h

vendredi 31 janvier à 20h15 à la Maison du Livre 24, rue de Rome 1060 Bxl

Conférence-débat avec

L’UPJB, la Maison du Livre et IMAJ vous proposent une

Véronique De Keyser

Soirée sur les combattants juifs de Palestine dans la guerre d’Espagne (1936-1939) • Projection de Madrid before Hanita un film de Eran Torbiner, 58’, VO st fr., Israël, 2006

autour de l’ouvrage Palestine, la trahison européenne coécrit avec Stéphane Hessel Véronique De Keyser, députée européenne et viceprésidente du groupe des socialistes et démocrates, a suivi pendant plus de dix ans la situation en Palestine. Dans cet ouvrage, Stéphane Hessel et elle ont voulu faire part de leur indignation devant la frilosité des institutions européennes dans leur politique proche-orientale. Mais c’est surtout l’avenir que l’ouvrage envisage… Quelles solutions pour le futur de la Palestine ? Comment inscrire le destin de ces femmes et de ces hommes dans le respect du droit international ? Comment instaurer des conditions pacifiées et pérennes, auxquelles la jeunesse palestinienne pourrait encore croire ? Les auteurs nous invitent à ne pas nous résigner.

en présence du réalisateur Ce film nous propose de découvrir une page d’histoire, celle de 300 Juifs de Palestine, aujourd’hui Israël, partis combattre le fascisme et rejoindre les Brigades internationales durant la guerre civile espagnole de 1936 à 1939. Beaucoup d’entre eux étaient des communistes, convaincus que le fascisme était le principal ennemi de l’humanité et des Juifs en particulier. Ce film suit leurs histoires en Palestine et à l’aide de documents et de témoignages relate leurs luttes, leurs relations complexes avec la population civile espagnole, leurs amours, leurs déceptions. Les personnages principaux du film sont les derniers témoins de ce combat, les membres de la famille et les proches de ceux qui ont été tués ou sont morts depuis.

• Présentation par Larissa Gruszow, membre de l’UPJB, du livre écrit par son père, Efraïm Wuzek :

Combattants juifs de Palestine dans la Guerre d’Espagne. La compagnie Botwin Efraïm Wuzek (1904-1998) arrive dans les Brigades en octobre 1937. Il est affecté à la Brigade Dombrowski, constituée essentiellement de volontaires d’origine polonaise, parmi lesquels de nombreux Juifs. La compagnie d’Efraïm sera bientôt déclarée « Compagnie juive » et adoptera le nom de Naftali Botwin, en hommage à un jeune militant communiste, condamné à mort quelques années plus tôt pour avoir tué un mouchard. La compagnie juive possède son drapeau et son journal en langue yiddish, et elle prendra part à tous les fronts : Teruel, Guadalaraja, Sierra de Quemada... jusqu’au dernier, celui de l’Ebre. La traduction française, complétée par une présentation rédigée par Larissa Gruszow, des Zikhroynes fun a botvinist (Souvenirs d’un Botwinik), parus à Varsovie en 1964, a été publiée en 2012 aux Éditions Syllepse, collection Yiddishland.

Avec le soutien de la Rosa Luxemburg Stiftung

PAF: 6 €, 4 € pour les membres, tarif réduit: 2 €

vendredi 7 février à 20h15 Médecins du Monde, une ONG en Belgique et ailleurs Conférence-débat avec le docteur

Michel Roland président de Médecins du Monde ,

L’ONG « Médecins du Monde  » s’est donnée pour mandat de soigner les populations les plus vulnérables, dans le tiers-monde, dans les zones de conflit, mais aussi chez nous, où elle soigne gratuitement les personnes les plus précaires : sanspapiers, sdf, Roms… Introduction : Valérie Alaluf PAF: 6 €, 4 € pour les membres, tarif réduit: 2 €

PAF : 4 €, 2,5 € étudiants et chômeurs, 1,25 € article 27 et entrée libre pour les sans papiers

Points critiques présente à ses abonnés et lecteurs ses meilleurs voeux à l’occasion de la nouvelle année

janvier 2014 * n°342 • page 28

janvier 2014 * n°342 • page 29


écrire Hymne au désespoir d’un chant désespéré. Poaime aux réfugiés Daniel Demey Une introduction avait été proposée à la publication de ce «poaime» dans Points Critiques. Elle a suscité des réserves du comité de rédaction et n’est donc pas publiée. Vous pouvez néanmoins retrouver ce texte sur la page de soutien aux Afghans sur laquelle il se trouve : https://450afghans.owlswatch.net/soutiens.php sous le titre « En urgence devant les événements. Il faut nous prononcer ».

Oh, souffle de toi, qui ne nous arrive plus, toi, de là-bas dans le désert bien gardé, qui vient de là où nul ne veut plus vivre, où nul ne peut plus vivre, dans des frontières illimitées, et des îlots à l’abandon Toi, qui vient des camps généralisés que sont les terres perdues appropriées, livrées à la pollution du profit au déboisement de ta forêt, l’empoisonnement de tes rivières Toi, d’une culture asséchée, pauvre de rien, tu sembles sorti de terre, expulsé même de là-dessous, pour le « bienfait » de cathédrales bâties à l’envers, et leur malédiction de trous, d’avidité de puits, Même de ça, d’une condition de ver La mine sans fond t’a expulsé Tu as rampé jusque « chez nous » Et tu es mort, combien de fois ?

janvier 2014 * n°342 • page 30

Car combien de milliers de fois n’es-tu pas déjà mort ? Combien de fois aussi n’as-tu pas survécu avec sursis ? Femmes, enfants, fantômes de pères... Hagards et démunis, piégés dans des guerres d’exil, pour une poignée mendiée d’un avenir sans ressources, Vous êtes venus... Enfin, le croyiez-vous, Que vous étiez presqu’ arrivés : prolétaires rescapés du grand naufrage, de la marée qui engloutit tout Vous êtiez sur une plage, une frontière encore, un bord étroit Débarqués par la mer, Vous étiez là, Pour entrer dans les murs, De ce château, cette forteresse avec ses règles de papiers, aux prémisses de la mort d’une nouvelle disparition Vous êtes entrés dans cette nouvelle guerre d’une forme inégalée

aux armes des cachets, Par un trou de souris, Avec le bâillon du silence, vous avez été pris et rattrapés. Et vous êtes bientôt las, Dans un cortège de procédures mis en convoi, enregistrés, pour un nouvel enfer que vous aviez quittés, Sans bruit et dans la propreté, on vous renvoie Dans les mêmes avions qu’empruntent les gagnants du lot d’être bien né quelque part ; On vous renvoie, parfois à d’autres heures, que ces zheureux voyageurs Qu’il n’y ait pas de mauvaise rencontre entre leur rêve et la réalité Vous repartez, dans le silence et l’abandon Que rien n’écoute... voix que personne n’entend. Si dans le ciel, votre départ est annoncé, Et dans ce ciel, qu’ une strie seule blanchit ce vol

janvier 2014 * n°342 • page 31


➜ Si de vous l’anonyme envahit Que vous ne parliez plus !? Si votre souffle ne nous parvenait plus, Si ce désert gagnait en nous

Passage au Béguinage Quelques artistes de la faim

Alors silence ! Cet inaudible d’un vent sur Mars Serait pour nous signe de la mauvaise annonce

V

enu prendre la mesure de l’égarement, je tombe dans l’intervalle de confiance… Dimanche soir, autour de 22 heures devant la tente de ces citoyens belges grévistes de la faim depuis trois semaines. Tu me tends le livre de Pierre Clastres : La Société contre l’Etat.

« De la fin de ce monde », Car la mort ne peut vaincre Quand nous n’avons que vous, Que votre voix qui serait celle perdue du monde Pour que sonne la nôtre ? Car sans vos voix Que pourrions-nous encore jamais chanter et espérer De ce monde, Trouver une autre joie ?! Non, la mort machinée ne peut pas vaincre Désespérons-nous au contraire ! Ensemble, avec vous. Que sorte cette chanson de nos voix. Clameur de nous, dépossédés Montrant le ciel à la réalité Que s’inscrive son heure Et toute la gloire du jour à être né, Non pas de notre terre, des prisonniers Novembre 2013

Qu’est-ce qui va bien pouvoir nous arriver, à quelle sauce sera-t-on mangé  ? Monter, descendre  ; entrer, sortir  ; aller, venir… Aujourd’hui, dimanche, c’était une ballade en vélo pour le 127 bis, centre de rétention  ; et puis le retour, dans le froid. Entre les deux quelque chose comme des bruits devant une boîte de fer, d’acier, de béton. L’inacceptable. Des barbelés à gauche, à droite, des champs sous le ciel nimbé de bleu, de gris, de fins éclats mauves sangs. La soupe aux oignons que tu ne manges pas, Daniel sait. Aujourd’hui, c’était dimanche, et demain c’est quoi, c’est comment  ? Aller, venir : ici et là. Partir, rester, se disposer au bon moment. Prendre son élan... Et ne plus trop savoir pourquoi : Comment tu vas ? Monter, descendre. Il y a un braséro devant les tentes. Un feu doux alimenté par le pétrole, on se sent doucement pris de nausée. Ce soir non plus je ne vais pas dormir là, parmi vous, les Afghans, dans cette église du Béguinage. Et la réponse, ce serait quoi : l’anarchie, peut-être ?

janvier 2014 * n°342 • page 32

Est-ce qu’il y aurait de la place pour dormir, pour tous les sans papiers, etc... ? Et puis déjà : l’anarchie c’est pas l’anarchisme, faudrait écrire un papier là-dessus: sur la confusion, sur le reste aussi ! Les mains qui grésillent, les voix qui glissent, dans le noir, les épaules qui flanchent, quelques silhouettes qui passent, le bruit des chaussures… la rue bientôt, ensuite la maison. Définir le Béguinage, les gens qui sont là, les mouvements, les silences, le faudrait-il donc vraiment ? Soudain, des mains sur les épaules, le dos qui se creuse, s’abandonne. Un briquet, même si je ne fume pas, pour allumer d’invisibles incendies : Kung-fu Panda ; la vie sauvage,… voilà ce que j’étais venu chercher non ? Et tu donnes, et tu souris, le reste on verra, advienne que pourra. Dehors du bruit, des voitures, des signaux dans le ciel, les ombres ; dehors, rien que le mouvement de la pensée qui cherche, se faufile un chemin. Et puis la maison, les craquements dans l’air chaud, rien : Et l’incorporation s’avérait complète lorsque, au bout d’un temps parfois très long, la mise à mort du prisonnier le transformait en nourriture rituelle de ses maîtres. Des stèles de placo. Agglomérés de bois, carrés de plâtre, meubles frontières. Un ventre, terre natale, terre de feu. Ocre, terre de sienne, brûlée, terre battue, soulevée par les courses, les sabots, foulée des combats. Un enfant, encore souple et pourtant ils tapent. Ils heurtent les parois qu’ils contractent à en devenir des murs, ils tapent. Des hommes tu pourrais dire, mais même pas. Des bêtes, qui hurlent, rampent, errent, crépitent, supplient dans les viscères rougies, qu’on leur ouvre, qu’on les laisse faire leur affaire, suivre leur route, brûler. ON. Leur affaire. Conquérir le monde. Etendre notre nappe blanche et carrelée, unique et démesurée, sur les paysages et le temps. Un océan de toile manufacturée pour piqueniquer sur vos têtes d’accord, masquer à tout le soleil, plonger dans les ténèbres ceux qui sont pour pouvoir. Ami, toi aussi tu meurs pour que nous vivions. Je dis nous et je mens, comme un caporal perdu, il n’y en a qu’un qui restera et alors il n’y aura plus personne pour douter. Le dernier. Quand je m’ouvrirai le ventre, tous vous mourrez et, de cette heure où si jeune il est encore fermé, j’aimerais profiter pour m’excuser. Vous tous qui vivez, en moi, par moi, avec tous les autres, tous vous tomberez pour que se lève celui qui règne. Tous debout, murs, même chéris, vous devez brûler pour que vive le feu et je m’en désole peut-être, mais qu’est-ce qui parle ? Tous parlent, au bord du trou sans fin et tous parlent en son nom, comme s’il le fallait, à tout pris parler. Tu vois bien que tous doivent sauter pour que puisse se faire entendre son souffle, si souffle il y a. Un resterait, il serait L’oreille. n

janvier 2014 * n°342 • page 33


vie de l’upjb Les activités du club Sholem Aleichem jacques schiffmann et Thérèse Liebmann

7 novembre : Georges Waysand, présenté par José Gotovitch, nous a parlé de son parcours d’homme de sciences et de gauche En lisant Estoucha (paru en 1997), la biographie que Georges Waysand a consacrée à sa mère, Juive communiste et résistante, José a connu un « choc émotionnel », parce que pour lui, cette personne extraordinaire fait partie du « panthéon de tous nos imaginaires ». J’ai éprouvé ce même choc à l’écoute de Georges Waysand parlant de ses parents et de son propre parcours. Sa mère, Esther Zilberberg (Estoucha était son surnom de résistante), était originaire de Kalisz en Pologne. Bien qu’issue d’une famille pauvre, elle fréquenta le lycée et obtint en 1936 un diplôme de médecine à l’ULB. Elle s’engagea alors dans les Brigades Internationales, puis comme journaliste dans un journal féministe Mujeres et comme traductrice pour des pilotes soviétiques. C’est vers 1939 qu’elle rencontre Moses Waysand, originaire lui aussi de Pologne où il a étudié la chimie. En avril 1941, leur fils Georges naît à Bruxelles. Il sera bientôt « enfant caché » dans une famille de la région lilloise, tandis que ses parents s’engagent dans la résistance dans le nord de la France. Son père sera fusillé par les nazis en décembre 1942 et, en février 1943, Estoucha fut arrêtée,

emprisonnée, torturée et déportée à Ravensbrück. Georges ne la retrouvera qu’après la guerre ; ils vivront ensemble près de 20 ans dans la région parisienne. Elle exerça à nouveau la médecine et continua la lutte au sein du PC, organisant dans son appartement des réunions de membres du Parti. Son fils s’engagea comme secrétaire à l’Union des étudiants communistes et, pendant toute sa carrière de chercheur scientifique – il est actuellement directeur de recherche au CNRS –, il s’intéresse aux relations entre sciences et société. Comme ses parents, il ne dissocie pas science et engagement de gauche. Le militantisme d’Estoucha l’a fortement marqué. Peu après son décès en 1994, il entreprit de lui consacrer une biographie. C’était pour lui une « obligation de mémoire ». Sa tâche n’a pas été facile car au départ il ne savait pas grand chose au sujet de son passé de résistante, si ce n’est quelques informations transmises oralement et certaines par écrit. Il mit dès lors ses qualités de chercheur au service de l‘histoire. Ainsi il consulta des archives à Salamanque pour s’informer sur le rôle qu’Estoucha avait joué durant la guerre d’Espagne. Il appliquera aussi cette méthode scientifique pour consacrer une biographie à son père, qu’il n’a guère connu et au sujet duquel il devra consulter exclusivement des sources écrites.

janvier 2014 * n°342 • page 34

Georges Waysand nous a déclaré vouloir perpétuer en quelque sorte le comportement de ses parents. Il y a réussi : comme ses parents, Georges est un scientifique, et comme ses parents, il est militant de gauche. Ce qui a paru intéressant, tant dans sa démarche d’écrivain que lors de sa conférence, c’est qu’il a écrit le récit de vie de sa mère en prenant de la distance et en utilisant les règles de la critique historique, tout en contenant son émotion. Il est apparu également très digne en abordant la relation de sa propre vie d’« enfant caché », puis de pensionnaire des maisons d’enfants, en refusant de se considérer comme une victime : « du chagrin, oui, de la pitié, non ». Ce sont là aussi des paroles d’un homme de gauche ! 14 novembre : Musiques juives, de la tradition à la révolution, par André Reinitz, le célèbre klezmer (musicien) de l’orchestre Krupnik C’est une sérieuse conférence, préparée par Willy Kalb, que nous a présentée André, en l’illustrant par de nombreux intermèdes musicaux et de savoureuses blagues juives. Voyage à travers le temps, de l’époque biblique à nos jours, et à travers l’espace, car les communautés juives qui ont perpétué leurs traditions et les musiques par lesquelles elles s’exprimaient, furent présentes sous toutes les

latitudes, enrichissant leurs traditions juives d’origine au contact des cultures locales. La musique hébraïque du temps des rois David et Salomon, où la religion est omniprésente dans les prières et psaumes, s’est imprégnée au fil du temps et des exodes, de modes et thèmes étrangers aux sonorités orientales et plus tard slaves. André Reinitz nous a fait voyager du Yémen au monde sépharade, où la musique juive s’imprégna du style andalou, avant qu’en 1492, les Juifs expulsés d’Espagne et du Portugal n’émigrent tout autour de la Méditerranée. Leurs musiques intègreront des influences des pays du Maghreb, de Salonique, d’Istanbul, de Sarajevo ou de l’Italie, etc. André nous passe des exemples de toutes ces musiques juives des pays du Sud. À la Renaissance, on trouve de nombreux musiciens et compositeurs juifs actifs à Venise, Mantoue, Padoue : Salomon Rossi, Guiseppe Ebreo,… Ils ramènent l’influence des musiques savantes dans les ghettos où ils vivent. Autre grande tradition juive, celle du monde ashkénaze, où depuis les Croisades, les grandes persécutions et les expulsions des cités allemandes, françaises et anglaises, vit une nombreuse population juive. Le centre de gravité du monde juif s’est déplacé vers l’Est, Bohème, Pologne, Russie, Lituanie et sa capitale Vilnius, haut lieu du yiddish où fût créé le Bund. Vie pauvre dans les shtetl, naissance à cause de la misère du courant populaire mystique du Hassidisme, qui par la danse et le chant exhorte les juifs à élever leur âme au-dessus des impuretés du monde, inventant des mélodies exaltées, tristes, joyeuses, chantées en yiddish, accompagnées à l’accordéon et au violon, le typique orchestre klezmer des

moments de fête. Enfin la naissance du monde révolutionnaire, avec l’espoir d’un « homme nouveau » et où la classe ouvrière juive a joué un rôle primordial, voit l’émergence d’une musique juive de combat, que nous avons tous fredonnée à l’USJJ ou en colo. C’est par le chant des partisans de Vilna en yiddish qu’André Reinitz conclut son brillant exposé. 21 novembre : Jean-Michel Decroly, docteur en sciences géographiques, professeur à l’ULB et à l’Institut V. Horta pour « 7 milliards d’êtres humains et après... ? » 250 millions d’êtres humains en l’an zéro, 1 milliard en 1800, 2 en 1927, 3 en 1960, 6 en 1999, 7 en 2011, où cela s’arrêtera-t-il ? L’exposé de Jean-Michel Decroly s’articule autour de trois questions. a. Quels sont depuis 1800 les différents facteurs de croissance de la population ? b. Quels sont depuis 1965 les facteurs de réduction de cette croissance, tombée de 2% par an à 1,25% aujourd’hui ? c. Et après ? La terre pourra-telle nourrir demain toutes ces populations ? De nombreux facteurs comportementaux complexes, liés à l’évolution des civilisations, des progrès techniques et des connaissances médicales, influencent deux éléments décisifs, l’évolution de la natalité et de la mortalité, dans les différentes régions du monde. Ce qui introduit la notion de « transition démographique », nous en serions à la 3ème ! Qu’est donc cette notion ? Partant d’une période stable, où natalité et mortalité sont égales, toute situation positive favorise d’abord les naissances et réduit les décès. En fonction d’une série

de critères, variables suivant les époques et les régions, au bout d’un certain temps, la courbe de natalité décroît et recoupe celle de la mortalité, définissant ainsi entre ces 2 points l’intervalle de transition démographique. Jean-Michel Decroly passe en revue ces courbes pour différentes régions du monde, pointant par exemple l’influence de la 1ère révolution agricole, des progrès de la médecine curative, des actions d’hygiène et de santé publique, des guerres, des épidémies, des politiques natalistes, des familles nombreuses en Afrique où la fécondité est valorisée, sa réduction drastique et autoritaire en Chine ! Vieillissement accéléré des populations et payement des pensions, tel est un des problèmes majeurs de demain, comme aussi les disparités dans les croissances : de 1950 à 2100, la population de l’Union européenne passera de 15 à 4,4% de la mondiale tandis que celle de l’Afrique sub-saharienne passera de 7,1 à 35,2% ! Impossible par manque de place de rendre compte de manière exhaustive de cette intéressante conférence. Si le sujet interpelle, vous la retrouverez sur le site : http://homepages.ulb. ac.be/~jmdecrol/ onglet Enseignement, bas de page, à Conférences. 28 novembre :  Tessa Parzenczewski, chroniqueuse littéraire à Points Critiques, a retracé la vie d’Esther Kreitman, alors que, dans son article paru dans Points critiques de décembre 2013), elle avait rendu compte des nouvelles yiddish de « La soeur méconnue » des frères Singer, parues en français sous le titre Blitz et autres histoires. n

janvier 2014 * n°342 • page 35


Carte de visite

UPJB Jeunes

D

ernier camp, dernier jour. Dernier topo, salle mono, July vient de quitter la table. Nous restons tous assis, Sarah nous a promis une surprise. « Tu pourrais faire ce dont je t’ai parlé ce matin ? Tes arpèges légers, en boucle, juste de quoi m’accompager… » Sarah respire un bon coup, nous nous accrochons, La mineur, c’est parti. Il faut imaginer notre fatigue, la sentir. Il faut imaginer notre silence, l’entendre se frotter à nos éclats de rires, à nos larmes bien chaudes. Nos regards comme des… « tu t’souviens ? » Je m’souviens de tout, j’avais juste oublié. Sarah trace et je voudrais que sa lettre ne se termine jamais, Mais un long silence s’installe. surtout, ne rien dire, n’y rien rajouter. Ouvrir une fenêtre, respirer. Nos regards comme des… « putain, les gars, j’crois que cette fois-ci c’est vraiment fini… » Sarah fait le tour de la table, nous serre dans ses bras, l’un après l’autre. De retour à Bruxelles, je repense à sa lettre, je me dis que peut-être enfin, on pourrait enfin, si elle veut bien enfin, si ça n’la gêne pas enfin, si elle est d’accord… - « Dans Points Critiques ? Ma lettre ? Pourquoi pas… Viens la chercher chez moi et fais-en ce que tu veux, si tu veux modifier, modifie, moi, j’ai juste écrit ça comme ça… » Après avoir publié ici nos

« chansons de Mala », voici le dernier acte de cette pièce que nous avons joué, ensemble, pendant plus de dix ans. Et maintenant ? l’entracte ? les rappels ? Ou tout autre chose. Noé Preszow : tanuki dissident

Lettre aux Mala Zimetbaum par Sarah Desmedt (Suricate Impulsive) Morre, juillet 2013 Mes petits Mala d’amour, J’avais envie de vous écrire car ce soir, c’est une page de ma vie qui se tourne. Toute ma vie, j’ai redouté ce moment, ce jour ou nous allions nous séparer. J’ai tellement de choses à vous dire et en même temps, je ne trouve pas les mots. On a vécu tellement de choses ensemble, à commencer par cette manie que j’avais de vous «t raumatiser » étant petite. D’ailleurs, je m’en excuse encore car, voyezvous, ma vie sans vous n’aurait pas été la même. C’est avec vous que j’ai grandi, avec vous que j’ai appris et avec vous que j’ai vécu les meilleurs moments de ma vie. Tous nos délires (Broutchka, Dany, le balai dans la tronche de L.) ; le jeu sur la guerre 40-45 où, avec Clara et Totti, on devait s’asseoir en chaise contre le mur ; Marou qui mangeait des pâquerettes, Noé et le bourdon, R. et ses discours de trois heures ; Milé qu’on essayait de faire tomber avec du savon ; Charline avec son fameux

janvier 2014 * n°342 • page 36

« mais vas te faire foutre ! »; Sacha et Noé insupportables dans la chambre avec la chanson de Bob Sinclar ; le « loup-garou » dans le noir complet... Y’a eu aussi tous nos supers monos : Jéremy et Bianca (avec qui Manjit et moi avions fait un camp à deux) ; David, Lola et Jack ; puis David, Quentin et Jess; Kevin et Marie rejoints par Loïck ; l’équipe d’Arna-Luth avec Alice, Auré, Clément et Antonin ; puis, pour finir, Alice et Théo aidés par Lenny. J’espère vraiment qu’on ne perdra jamais contact, que même quand on aura soixante ou septante piges, on continuera à se voir et à tripper ensemble sur tous nos souvenirs qui ont fait de nous ce que nous sommes aujourd’hui. On est les mala et on le restera toute notre vie ! Les Mala, les meilleurs : « Tous ensemble, les Mala, contre le roi ! », vous vous souvenez ? Évidemment, on a eu notre lot d’amourettes, à commencer par Robin et moi à huit ans, puis la fameuse période Noé & Charline et Totti & Jo, qui sont devenus Noé & Jo (histoire gravée dans nos mémoires) puis Totti & Charline. Et les plus beaux : Lucie & Totti, Marou & Lenny. Je tenais aussi à vous remercier d’avoir été là pendant toutes ces années, de m’avoir acceptée, de m’avoir donné confiance en moi, de m’avoir aidé quand ça n’allait pas, de m’avoir soutenue à la mort de mon père et d’avoir accepté mes petites manies de bisous, de câlins. C’est bien vrai, UPJB MRDV ! Les gars, j’arrive pas à tout dire,

y’a tellement trop, trop d’amour, les potes ! Et voilà, on est passé monos, on a été une équipe de choc, ça on peut le dire, on a remonté le level comme on s’était promis de le faire. Je pense qu’on a marqué les esprits avec nos trip’ à la rien à voir ; nos pizzas après la journée monitorat ; gueuler dans le bâtiment notre « Franco, Franco, on t’encule ! » ; le changement de coordination ; nos soirées pendant les camps et à Bruxelles, en ville ; La scène avec tous les anciens monos dans la «  salle mono  »  ; Fanny en-dessous de la table à cause du papillon, incroyable ; La totémisation, notre énergie et notre motivation pendant les camps ! Merci pour ces pures années de bonheur, d’amitiés et de pleurs. Belette, Caracal, Mouflon, Loup, Bengal, Suni, Ysatis, Tamia, Tanuki, Courlis, Margay, vous avez fait de ma vie un pur bonheur, je vous aime à la folie et j’espère vous revoir vite pour la suite de nos aventures qui ne sont certainement pas finies. Pas envie de vous dire au revoir, alors allons kiffer cette putain de boum, allons danser une dernière fois sur Franky Vincent, Les démons de minuit, Les hommes que j’aime, Ouh Hi Ouh Ah Ah, L’aventurier et Je t’emmène au vent. Profitons de ces derniers instants, levons nos verres à l’amitié, à l’amour et à l’UPJB. J’vous aime trop. Suricate, celle qui vous connait et vous connaitra toujours. Les Mala pour toujours. À bientôt, les potes. Love.

L’UPJB Jeunes est le mouvement de jeunesse de l’Union des progressistes juifs de Belgique. Elle organise des activités pour tous les enfants de 6 à 15 ans dans une perspective juive laïque, de gauche et diasporiste. Attachée aux valeurs de l’organisation mère, l’UPJB jeunes veille à transmettre les valeurs de solidarité, d’ouverture à l’autre, de justice sociale et de liberté, d’engagement politique et de responsabilité individuelle et collective. Chaque samedi, l’UPJB Jeunes accueille vos enfants au 61 rue de la Victoire, 1060 Bruxelles (Saint-Gilles) de 14h30 à 18h. En fonction de leur âge, ils sont répartis entre cinq groupes différents.

Bienvenus

Les pour les enfants nés en 2006 et 2007 Moniteurs : Salomé : 0470.82.76.46 Leila : 0487.18.35.10 Aristide : 0488.03.17.56

Juliano Mer-Khamis

Les pour les enfants nés en 2004 et 2005 Moniteurs : Léa : 0487.69.36.11 Selim : 0496.24.56.37 Samuel : 0475.74.64.51 Hippolyte : 0474.42.33.46

Marek Edelman

Les pour les enfants nés en 2002 et 2003 Moniteurs : Tara-Mitchell : 0487.42.41.74 Luna : 0479.01.72.17 Felix : 0471.65.50.41 Simon : 0470.56.85.71

Janus Korczak

Les pour les enfants nés en 2000 et 2001 Moniteurs : Jeyhan : 0488.49.71.37 Andres : 0479.77.39.23 Eliott : 0488.95.88.71 Laurie : 0477.07.50.38

Émile Zola

Les pour les enfants nés en 1998 et 1999 Moniteurs : Totti : 0474.64.32.74 Tania : 0475.61.66.80 Théo : 0474.48.67.59

Informations et inscriptions : Julie Demarez – upjbjeunes@yahoo.fr – 0486.75.90.53

janvier janvier 2014 2014 ** n°342 n°342 •• page page 37 37


artistes de chez nous

est le mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique (ne paraît pas en juillet et en août)

La Rumba du Bouchon

L’UPJB est soutenue par la Communauté française (Service de l’éducation permanente)

alain lapiower Sortie sur 45 tours en 1981, cette chanson a été conçue et surtout « arrangée » dans la dernière foulée du Red & Black, au moment du contrat avec la firme de disque RKM. C’était un morceau sensé faire le lien entre les affinités naturelles du groupe et une orientation disons plus « commerciale », ou grand public. L’idée était d’ironiser sur l’engorgement du parc automobile, qui comme on le voit ne date pas d’hier, en imaginant transformer les embout’ en vaste carnaval. Il y eut une certaine diffusion sur les médias mais ce ne fut qu’un succès d’estime, encore une fois. Pressentant ce blocage, probablement dû à un profil inadéquat de la part du groupe pour faire un tube, RKM avait proposé que le morceau soit chanté plutôt par la chanteuse Mino, qui marchait bien avec sa frimousse mignonne. Nous avons refusé évidemment. Point de vue commerce, c’était en effet une erreur, car Mino aurait pu faire un tabac, voire lancer un nouveau Red & Black fashion ; mais coté éthique... Je ne regrette pas du tout notre rupture avec cette boîte dont la vocation s’arrêtait à fabriquer des Plastic Bertrand.

janvier 2014 * n°342 • page 38

R : Baa du bouchon, c’est la rumba du bouchon Mercredi fin d’après midi ne me demandez pas pourquoi M’étrangle soudain le besoin d’acheter n’importe quoi Me précipite dans l’escalier je plonge dans ma voiture Pourvu qu’j’arrive avant l’heure de la fermeture Malheureux qu’as-tu fait trop tard pour reculer La rue bouillonne comme un abcès sur le point d’exploser Marche avant et marche arrière que veux-tu que j’te dise Te voilà coincé à 5h26 dans le goulot d’l’avenue Louise R La radio crache ses parasites autour de moi on klaxonne Je bats la mesure à contretemps fredonnant la brabançonne Du calme me dis-je tout bas triturant le changement d’vitesse Eh paumé dégage ou j’te plante mon pare choc dans les fesses Là je mords le volant me tape la tête au plancher Ca n’avance pas c’est fait exprès rien que pour m’énerver Attention tu perds le contrôle tu vas foncer dans le pare brise Te voilà baloté comme une valise … R Caressé par le soleil d’une immense plage dorée Les coquillages entre les orteils je rêve sous les cocotiers Là-bas sous les tropiques sur une ile oubliée Gavé de jus de fruits exotiques et de bandes dessinées Au loin on entend le tam-tam la mer bleue et le vent Les perroquets sous les palmiers les cris des goélands Soudain t’es réveillé par un choc Hello quelle bonne surprise T’es toujours coincé à 6h36 dans le goulot d’l’avenue Louise R Les conducteurs sont fous de joie et frappent dans les mains Ils tapent des pieds ils claquent des doigts, le feu rouge n’y peut rien Les piétons dansent des claquettes debout sur les capots Dans le tunnel on fait des galipettes le boogie woogie dans le métro Une farandole hystérique à se faire sauter le caisson Le trafic est sans dessus dessous, c’est la rumba du bouchon Le centre ville est dev’nu dingue les gens hurlent à pleins poumons Wapapapa paaapa… Baa du bouchon… ad lib

Secrétariat et rédaction : rue de la Victoire 61 B-1060 Bruxelles tél + 32 2 537 82 45 fax + 32 2 534 66 96 courriel upjb2@skynet.be www.upjb.be Comité de rédaction : Henri Wajnblum (rédacteur en chef), Alain Mihály (secrétaire de rédaction), Anne Gielczyk, Carine Bratzlavsky, Jacques Aron, Willy Estersohn, Tessa Parzenczewski Ont également collaboré à ce numéro : Roland Baumann, Eric David, Sarah Desmedt, Rosa Gudanski, Thérèse Liebmann, Alain Lapiower, Antonio Moyano, Gérard Preszow, Noé Preszow, Jacques Schiffmann Conception de la maquette Henri Goldman Seuls les éditoriaux engagent l’UPJB. Compte UPJB IBAN BE92 0000 7435 2823 BIC BPOTBEB1 Abonnement annuel 18 € ou par ordre permanent mensuel de 2 € Prix au numéro 2 € Abonnement de soutien 30 € ou par ordre permanent mensuel de 3 € Abonnement annuel à l’étranger par virement de 40 € Devenir membre de l’UPJB Les membres de l’UPJB reçoivent automatiquement le mensuel. Pour s’affilier: établir un ordre permanent à l’ordre de l’UPJB. Montant minimal mensuel: 10 € pour un isolé, 15 € pour un couple. Ces montants sont réduits de moitié pour les personnes disposant de bas revenus.

janvier 2014 * n°342 • page 39


agenda UPJB

Sauf indication contraire, toutes les activités annoncées se déroulent au local de l’UPJB, 61 rue de la Victoire à 1060 Bruxelles (Saint-Gilles)

mardi 14 janvier de 2Oh à 22h

Café politique avec Eric Corijn. Présentation et animation : Jean-Jacques Jespers, Myriam Benayad et Henri Wajnblum (voir page 26)

vendredi 24 janvier à 20h15

Rencontre avec avec Mamadou Bah, rescapé des escadrons de la mort d’Aube Dorée et militant antifasciste (voir page 27)

mardi 28 janvier 2014 à 20h

À la Maison du Livre. Soirée sur les combattants juifs de Palestine dans la guerre d’Espagne (1936-1939), proposée par l’UPJB, la Maison du Livre et IMAJ (voir page 28)

vendredi 31 janvier à 20h15

Conférence-débat avec Véronique De Keyser autour de l’ouvrage Palestine, la trahison européenne coécrit avec Stéphane Hessel (voir page 29)

vendredi 7 février à 20h15

Médecins du Monde, une ONG en Belgique et ailleurs. Conférence-débat avec le docteur Michel Roland, président de Médecins du Monde (voir page 29)

club Sholem Aleichem Éditeur responsable : Henri Wajnblum / rue de la victoire 61 / B-1060 Bruxelles

Sauf indication contraire, les activités du club Sholem Aleichem se déroulent au local de l’UPJB tous les jeudi à 15h (Ouverture des portes à 14h30)

jeudi 9 janvier

À l’occasion de la nouvelle année : après midi festive ! Concert avec Maroussia accompagnée à l’accordéon par Igor (voir page 27)

jeudi 16 janvier

Marcel Stelzer (dit Motke) nous parlera d’une petite cousine, Gola Mire, militante communiste (voir page 27)

jeudi 23 janvier

Irène Kaufer à propos de son parcours de militante syndicaliste et féministe (voir page 27)

jeudi 30 janvier

Edmond Picard. Un bourgeois socialiste belge à la fin du dix-neuvième siècle. Par Paul Aron, directeur de recherche au FNRS et professeur à l’ULB (voir page 27)

et aussi

du 10 au 13 février à l’ULB

Prix : 2 €

Chaire Marcel Liebman. Introduction à l’histoire sociale de la Palestine. Elias Sanbar, ambassadeur de la Palestine à l’UNESCO. (voir page 30)

Les agendas sont également en ligne sur le site www.upjb.be


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.