n°334 - Points Critiques - mars 2013

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mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique mars 2013 • numéro 334

à la une Élections israéliennes. La balle au centre ? Bureau de dépôt: 1060 Bruxelles 6 - P008 166 - mensuel (sauf juillet et août)

Henri wajnblum

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ais où sont-ils donc allé chercher ça  ? Cela fait des semaines, depuis le 23 janvier, lendemain des élections législatives, que les médias, dans une belle unanimité, nous répètent sur tous les tons que l’électorat israélien a remis la balle au centre, désavouant ainsi la politique de colonisation à outrance du gouvernement sortant et ouvrant la porte à la reprise de négociations sérieuses avec l’Autorité palestinienne… Et si vous ne disposez pas de points de comparaison, vous ne pouvez que les croire. Alors, la balle au centre ? Vraiment ? Dans la Knesset (le parlement israélien) sortante, le centre – Avo-

dah (travaillistes), le parti dirigé à l’époque par Ehud Barak et dont il ne viendrait à l’esprit de personne de sensé d’encore le classer à gauche, ni même au centre gauche, et Kadima (en avant), le parti de Tzipi Livni – comptaient 41 sièges : 13 pour Avodah et 28 pour Kadima. Il convient de rappeler que c’est Kadima qui était sorti en tête des élections avec ses 28 sièges contre 27 au Likoud, mais que Tzipi Livni n’avait pas réussi à rassembler une majorité autour d’elle. 41 sièges pour le centre donc… Aujourd’hui, ce même centre n’en compte que un de plus : Avodah, dirigé aujourd’hui par Shelly Yachimovich, et dont le grand écrivain Amos Oz affirme qu’elle est pire que son prédécesseur,

BELGIQUE-BELGIE P.P. 1060 Bruxelles 6 1/1511

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sommaire

à la une ➜

à la une

1 Élections israéliennes. La balle au centre ?........................... Henri Wajnblum

lire

4 Du Bronx à la Maison blanche.........................................Tessa Parzenczewski

regarder

5 Une visite à la Maison des Vivants.......................................... Gérard Preszow

traduire

7 Joseph Roth. Musiciens mendiants à Berlin............................... Jacques Aron

lire/regarder

8 Et pour une fois, rien que la Palestine ou presque............... Antonio Moyano

regarder

10 La valise mexicaine à Paris.....................................................Roland Baumann

mémoire(s)

12 Christian Israel. L’art du mémorial.............Propos recueillis par Alain Mihály 16 Auschwitz, l’impossible regard................................................ Bernard Stevens

réfléchir

18 L’accusation d’antisémitisme ou le sionisme des imbéciles.... Jacques Aron

yiddish ? yiddish ! ! widYi ? widYi 20 froyen-lider – Poèmes de femmes............................................Willy Estersohn

humeurs judéo-flamandes

22 Il y a sémantique et sémantique ................................................Anne Gielczyk

activités

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hommage Chawki Armali......................................................................................................... écrire 27

28 Rétro-viseur.......................................................... Fourmisseau (Henri Erlbaum) 30 Un père, une mère, c’est complémentaire..................................Elias Preszow

upjb jeunes vie de l’upjb

32 Revisiter les sixties.........................................................................................Julie

34 Les activités du Club Sholem Aleichem.............................. Jackie Schiffmann

36 les agendas

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Ehud Barak dans la mesure où, concernant la question palestinienne, celui-ci disait « il n’y a pas de solution » là où elle affirme « il n’y a pas de problème », ce qui lui a certainement fait perdre des voix en faveur du parti de centre gauche Meretz (vigueur), permettant ainsi à celui-ci de passer de 3 à 6 députés. Aujourd’hui donc, Avodah 15 sièges ; Yesh Atid (il y a un avenir) le nouveau parti de Yaïr Lapid, ancien journaliste vedette de la TV, 19 ; Hatnuah (le mouvement), le nouveau parti de Tzipi Livni, 6 et Kadima dirigé par le faucon Shaul Mofaz 2, soit 42 au total. Comme raz-de-marée centriste, on fait mieux. Il apparaît donc clairement que Avodah, Yesh Atid et Hatnuah se sont essentiellement nourris sur la dépouille de Kadima qui a subi une véritable bérézina. D’un centre à l’autre donc, rien de plus. Autre affirmation péremptoire de nos médias : la droite et Benyamin Netanyahou sont en net recul… Il est vrai que le bloc de la droite extrême et de l’extrême droite, appuyé par les partis ultra-orthodoxes Shass et Parti unifié de la Torah, comptait 65 députés dans la précédente législature et qu’il n’en compte plus que 61, soit tout juste la majorité absolue. Il est vrai aussi que le cartel formé par le Likoud de Benyamin Netanyahou et Israel Beitenu (Israël notre maison) d’Avigdor Lieberman qui comptait précédemment, ensemble, 42 députés (27 pour le Likoud et 15 pour Israel Beitenou) a essuyé une fameuse déculottée et n’en compte plus aujourd’hui que 31 (20 pour Netanyahou et 11 pour Lieberman). À cela il faut ajouter les 11 sièges de Shass, parti ultra-orthodoxe religieux séfarade et les 7 de Judaïsme unifié

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de la Torah, parti ultra-orthodoxe religieux ashkénaze. Faut-il en conclure pour autant que la droite pure et dure a subi un revers tel qu’il laisserait entrevoir une lueur d’espoir aux Palestiniens ? Il n’en est malheureusement rien, bien au contraire… La représentation parlementaire actuelle du Likoud, dont certaines figures considérées comme « modérées » ont été évincées lors des primaires du parti, est en effet très clairement passée de la droite extrême à l’extrême droite. Et ce serait aussi sans compter sur le réel succès du parti Bayt Yehudi (la maison juive) de Naftali Bennet qui passe de 3 à 12 sièges. Bayt Yehudi est à l’évidence le parti des colons idéologiques, et son nouveau leader, Naftali Benett, pour lequel « un État palestinien serait un suicide national », prône ouvertement l’annexion pure et simple de la plus grande partie de la Cisjordanie, à savoir la zone C qui se trouve toujours sous contrôle total de l’armée israélienne et qui englobe la toute grande majorité des colonies ! Reste, sur la question israélo-palestinienne, la véritable opposition… À savoir le Meretz avec 6 députés ; et ceux dont aucun parti juif, à l’exception – peutêtre – du Meretz, ne veut : le parti communiste judéo-arabe Hadash avec 4 députés et les deux partis arabes israéliens Raam-Taal (liste arabe unie, religieux) avec 4 députés ainsi que Balad (laïc) avec 3 députés, soit 17 députés au total.

Quelle coalition ? Il est évidemment trop tôt, au moment où ces lignes sont écrites (14 février), pour savoir comment sera composée la future coalition.

On a vu que Netanyahou pourrait gouverner avec le seul bloc d’extrême droite appuyé par le Shass et le Parti unifié de la Torah puisqu’il disposerait de 61 voix à la Knesset. Il s’agirait là d’une majorité extrêmement fragile. Il sera donc certainement tenté de faire appel à Yaïr Lapid fort de ses 19 députés et qui a déclaré, dès avant les élections, qu’il était candidat à une participation au prochain gouvernement. Mais ce ne sera pas une mince affaire car le programme de Lapid qui veut en terminer avec l’exemption de service militaire des religieux orthodoxes va, plus que certainement, buter sur le veto des partis qui les représentent. On pourrait évidemment imaginer que Netanyahou décide de s’en passer ce qui constituerait une grande première. Mais dans ce cas, sa majorité ne serait pas beaucoup moins fragile puisqu’elle compterait 62 députés : Likoud 20, Israel Beitenu 11, Yesh Atid 19 et Bayt Yehudi 12. Il y a donc fort à parier qu’au moins un des partis ultra-orthodoxes fera partie de la future majorité. Qu’adviendra-t-il dès lors du programme de Yaïr Lapid ? On sait que sa campagne a essentiellement porté sur les questions intérieures : amélioration des conditions des classes moyennes  ; baisse des prix et accès au logement, sans oublier l’enrôlement des religieux orthodoxes dans l’armée et le service obligatoire pour les Palestino-Israéliens. Et quid de la question israélo-palestinienne ? Il se dit prêt à rouvrir le dialogue avec l’Autorité palestinienne mais en traçant d’emblée une série de lignes rouges : maintien des blocs de colonies et, donc, opposition au retour aux

frontières d’avant le 5 juin 1967, refus du partage de Jérusalem, opposition à des négociations avec le Hamas… En somme, un marché de dupe proposé à Mahmoud Abbas. Et qu’en est-il de la position de Nafatali Bennet ? Pas très éloignée de celle de Yaïr Lapid… Comme le dit très justement Eyal Sivan dans une interview accordée à Michèle Siboni de l’Union Juive Française pour la Paix… « En somme Lapid comme Benett (…), reflètent l’attitude d’une majorité d’Israéliens qui ne croient pas à la résolution du conflit, mais à la nécessité de sa gestion. Une gestion dont le pilier est la poursuite de négociations permanentes. L’essentiel restant pour cette majorité, l’amélioration de la condition d’une classe moyenne qui veut se protéger, renforcer son niveau de vie, et n’est pas prête à perdre ses privilèges pour pouvoir résoudre le conflit. Cette séparation totale entre la question économique et sociale et la question de l’occupation qui convient si bien, depuis la révolte des tentes, à cette classe moyenne a été portée par Lapid et Benett. On peut conclure qu’il y a rupture avec ce qu’on a pu constater en Israël ces dernières années. Si le rêve dominant était l’évacuation des Palestiniens (…), celui proposé aujourd’hui est l’évacuation de la question palestinienne » (…). On peut donc affirmer, sans grand risque de se tromper, que qu’elle que soit la coalition gouvernementale qui verra le jour, elle ne présagera strictement rien de bon pour le peuple palestinien et donc pour l’avenir d’Israël. ■

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lire Du Bronx à la Maison blanche. L’Amérique selon Charyn

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Tessa Parzenczewski

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ù nous retrouvons Isaac Sidel et son éternel Glock dans une dernière métamorphose. Commissaire de police, maire de New-York, l’ascenseur social ne cesse de grimper, le voici candidat élu à la vice-présidence. Nous sommes dans l’entredeux, entre l’élection et l’installation du président Michael Storme, période de tous les dangers. Dans un Bronx en proie aux incendies criminels, aux expropriations, Isaac Sidel traque à travers sociétés-écrans, groupes mafieux et le Pentagone en embuscade, ceux qui s’emparent du Bronx pour y ériger une base militaire. Baladé par une série d’individus, agents doubles ou triples, espionnes, Mata-Hari de bazar, cible de tueurs à gages, Isaac ne cède jamais. Il finit par remonter toute la pyramide et par démasquer le grand manipulateur. Entre-temps, il aura retrouvé l’énigmatique David Pearl, rencontré Inèz, qui n’est pas Inèz, en tombera amoureux, recueillera la Petite Première Dame, douze ans, Marianna Storme, qui lui confectionne des biscuits au beurre et aux épices, neutralisé son gendre, l’époux de Marylin la Dingue, Vietnam Joe, ainsi nommé en souvenir de ses méfaits à Saïgon, et échappé à plusieurs tentatives d’assassinat. Coups de théâtre, coups de feu, magouilles, cadavres à profusion, Charyn nous entraîne dans une sarabande infernale, de la

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luxueuse résidence Ansonia aux terres calcinées du Bronx, en passant par des campagnes faméliques d’une Amérique insolite. Nous assistons à une sorte de guerre. FBI, démocrates et républicains dans les coulisses, banquiers aux commandes. Une fiction décalée ? Les dessous de la réalité ? En tout cas, une imagination et une écriture en délire. Charyn a intitulé son livre consacré à Isaac Babel Sténo sauvage, cela vaut pour Babel mais aussi pour Charyn. Les phrases crépitent, le rythme s’emballe, l’argot, les mots inventés, les images percutantes ponctuent une prose jamais au repos. Et en effet une Amérique sauvage nous apparaît, une jungle où les porte-flingue des factions diverses guettent leurs proies, où s’échafaudent des sociétés-bidons aux ramifications insondables. Parfois des allusions étranges surgissent, comme des rappels d’un monde autre : Isaac se recueille dans la chapelle dédiée à Rothko, évoque Joyce, et Pearl, Flaubert. Signes furtifs, private jokes où l’auteur pointe son nez. Car Charyn est en colère. Dans une récente interview au magazine L’impossible, Jerome Charyn brosse un tableau impitoyable de la société américaine, il y dénonce les inégalités et les injustices, mais dé-

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plore aussi la quasi disparition des livres, de la littérature. Et ce dernier roman, sous l’imagination débordante, sonne aussi comme un coup de gueule : « Mon dernier roman , Sous l’œil de Dieu, est un livre politique, la politique irrigue les phrases. Je parle d’une façon d’être au monde. » ■ Jerome Charyn Sous l’œil de Dieu Traduit de l’anglais (États-Unis) par Marc Chénetier Mercure de France 266p. 23,50 €

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regarder Une visite à la Maison des Vivants gérard preszow

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’ai déjà eu l’occasion de le dire – est-ce ici ou ailleurs ? – : dans les musées, je préfère les fenêtres aux murs, les femmes qui passent aux natures mortes (quand bien même en anglais ces dernières bougent encore... still life). C’est une expo curieuse et pleine de paradoxes qui se tient ces jours-ci et pour longtemps encore, pour 9 mois, au Musée Juif de Belgique. « Beth Hayim », « La Maison des vivants ». En fait, cimetières, rites et objets de mort chez les Juifs. L’antiphrase est plus étourdissante que surprenante : tout musée n’est-il pas cimetière  ? En mettant ici en scène la mort, fait-il autre chose que se citer et

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Dedans/Dehors. Photos Gépé

se mettre en abymes ? Bref, voir des tombes juives des siècles anciens, – des vraies – à l’épigraphie savamment ciselée pourrait ne participer que d’une meilleure connaissance anthropologique en la matière. Et c’est le cas. Expo à livre ouvert, elle se lit littéralement de haut en bas sur des panneaux infinis qui nous font plus cultivés à la sortie qu’à l’entrée. Y aviez-vous jamais pensé, vous ? « Rendre l’âme », un prêté pour un rendu en quelque sorte. Un dernier souffle, expirer une fois pour toutes après avoir inspiré plus ou moins souvent. On vous avait prêté « neshama » à l’entrée, on vous la retire à la sortie ! L’âme est inséparable du corps, disent les anciens. Mais quid alors de l’un et

de l’autre après la vie ? Avouons qu’en la matière, la théologie chrétienne nous est plus familière que l’avis de nos khakhamim. Pas étonnant : nos sages disent tout et son contraire, ne se sont jamais mis d’accord et nous ont laissés en errance éternelle. Ou peutêtre, après tout, nous ont-ils donné le choix de mener la mort à notre guise. Quitte à prétendre la maîtriser de notre vivant et cela s’appelle alors « jouer à la mort ». C’est ce que n’ont pas hésité à faire le réalisateur radio Richard Kalisz (en 5 épisodes diffusés sur la RTBF et France Culture) et le réalisateur cinéma Boris Lehman, jusqu’à se rejoindre l’un l’autre : une parenthèse (intitulée « horschamp ») du dernier épisode radio de l’un couvrant le tournage de la mort feinte de l’autre. Un film à venir… Mais revenons à l’expo. Je vois sur le dessus d’une stèle un reste de mousse encore vivante. Sa texture éternelle porte encore le vert du monde des vivants. Je ne vois plus qu’elle qui fait le lien entre l’ici et l’au-delà tandis que les objets décontextualisés et désacralisés sont bien morts, eux (lampes mémorielles à l’huile ou électriques, chasubles spécifiques d’enterrement…), à la manière des masques et des fétiches dans les vitrines du musée de l’Afrique Centrale à Tervuren. Ils sont définitivement dévitalisés, comme m’a déjà dit à maintes reprises le dentiste. Mais voilà que cette tombe

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J M Joseph Roth (1894-1939) est aujourd’hui reconnu comme l’un des plus grands auteurs de langue allemande de l’entre-deuxguerres. Ses grandes œuvres comme La marche de Radetzky ou La légende du saint buveur ont fait le tour du monde. Il fut aussi un essayiste extraordinaire et l’auteur de reportages fameux dans l’Europe d’après 19141918. Il écrivit de nombreux articles dans lesquels son don d’observation excelle. Ses croquis berlinois font irrésistiblement penser au trait acéré de George Grosz. Nous publions ici l’une de ses chroniques de 1921, inédite en français.

renaît à l’abri de la nature et de ses intempéries. Je n’ai plus d’yeux que pour ce lambeau têtu de terre vivante. Cette pointe de mousse, sa résistance, son opiniâtreté, son pied de nez. J’entends, comme sur une bande son en off, la dame bénévole de l’accueil qui décline son patronyme à un visiteur : «  Cohen, Cohen de Constantinople ». Et je pense : « mais moi, je suis Cohen, Cohen de Salonique  ». Je cours me présenter à elle et je lui dis : « c onnaissez-vous mes morts ? ». Et elle me parle de ses vivants. «  Vous savez que vous et moi, nous ne pouvons entrer dans les cimetières ? ». « Et dans un musée juif ? ». ■ « La Maison des vivants » Musée Juif de Belgique 25/1 au 30/9/2013

Commissaire : Philippe Pierret Scénographe : Christian Israel

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Jacques Aron

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’orgue de Barbarie appartient aux suites de la guerre comme la faim ou la peste. Il incarne au mieux la reconnaissance de la patrie. Celui qui a de l’oreille pouvait déjà entendre en 1914, sous les sonneries de trompettes des peuples victorieux, la rengaine des mutilés. Toute l’Europe mobilisée n’avait pas autant de fanfares militaires qu’il y a aujourd’hui d’orgues de Barbarie. Je parcours chaque jour les mêmes rues, et chaque jour il se trouve dans quelque recoin un nouveau musicien mendiant avec son instrument. Je crois fermement qu’il y a une relation entre les fanfares de la guerre et les orgues de la paix. Parce que tant d’estropiés

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traduire Joseph Roth. Musiciens mendiants à Berlin Invalides – 2-3000 Mark – L’Etat et les instruments – Mélodies amputées

s’occupent de cette musique. Et parce que la police n’autorise l’orgue qu’à ceux qui ont perdu à la guerre une jambe ou un œil. Seuls les invalides de guerre obtiennent encore aujourd’hui une licence pour en jouer. Il fut un temps où je croyais que seul un besoin intérieur irrépressible poussait l’homme vers la profession d’organiste de rue. J’imaginais un jeune homme qui en avait la vocation et qui, ses études achevées, s’adressait en ces termes à son sévère géniteur : « Père, laisse-moi jouer de l’orgue de Barbarie ! » J’ai progressivement appris que seule la misère pousse à tourner la manivelle. * Peut-être le joueur d’orgue de Barbarie est-il le seul musicien à ne pas entretenir une relation intime à son instrument. Celui-ci ne suscite aucune extase, aucune action, pas même de l’exercice. Ce n’est même pas un instrument manuel. Rien qu’un prétexte. Voilà pourquoi il n’y a pas d’association de joueurs d’orgues de Barbarie. C’est le plus libre des métiers. Mais le plus piquant de l’histoire – toutes les histoires misérables ont un côté piquant – est ceci : pour devenir un musicien mendiant, il faut de l’argent. Et même beaucoup d’argent. Car même aujourd’hui l’instrument n’est pas donné. Des enquêtes que j’ai menées auprès de quelques joueurs

d’orgues de Barbarie, il ressort qu’un petit instrument, à peine de la taille d’une boîte à chapeau, coûte 5 à 600 Mark. Un grand instrument, un « vrai », au moins 2 à 3000 M. De telle sorte qu’un homme qui, pour ainsi dire, emprunte musicalement à la bienfaisance publique, a besoin d’un capital social. Dans certains cas, l’État le lui donne. Mais dans la plupart, ce sont les invalides qui doivent trouver eux-mêmes comment se procurer un instrument. Pour nombre d’entre eux, les aveugles de guerre en particulier, l’orgue de barbarie est vraiment le seul moyen de gagner de l’argent. Les cigarettes, les cartes illustrées, les allumettes ne rapportent pas gros. Et l’aveugle vit toujours dans la hantise d’être volé. J’ai parlé à l’un de ces jeunes aveugles qui s’était installé rue de Bellevue, à proximité d’un grand hôtel. Il se tenait là avec sa vieille mère. Il me raconta qu’il vendait auparavant des allumettes. Mais l’insécurité aurait été trop grande. «  Pensez-donc, dit-il, vous qui voyez, combien le trafic de la place de Potsdam vous inquiète. Imaginez ce qu’il en est d’un aveugle ! » Rue de Bellevue, il jouait tranquillement dans le renfoncement d’une grille de jardin. Mais il lui restait une crainte mystérieuse à chaque passant. Il flairait de l’hostilité dans chaque aumône. Il mit du temps à se

convaincre de l’innocence de mes intentions. Son orgue, me confia-t-il, aurait dû coûter cinq cents Mark. Sa mère avait épargné cette somme. Ô bonheur maternel de l’aprèsguerre ! * Le nombre exact de joueurs d’orgues de Barbarie est difficile à établir, vu l’instabilité du métier. Certains traversent le Brandebourg de place en place – surtout en été. On peut estimer leur nombre à Berlin entre 10 et 12.000. Mais ce nombre croît quasi journellement. Un invalide sur dix joue de l’orgue de Barbarie. Leur revenu est très variable, il dépend du lieu où ils jouent. Ceux qui jouent dans les cours intérieures gagnent le moins. J’ignore pourquoi ils s’en tiennent à cette vieille tradition. Serait-ce quand même une passion ? * Les orgues aux notes orphelines ont quasiment disparu des rues berlinoises. Ce sont celles dont des phrases entières ont été dégradées. Leur mélodie est alors pitoyable ; invalides et amputées, elles symbolisent ceux qui en jouent. Mais voici un moyen que l’on dédaigne déjà. On n’arrête pas le progrès. ■ Neue Berliner Zeitung, 10 mai 1921

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lire/regarder Et pour une fois, rien que la Palestine ou presque antonio moyano

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Casanova Street, Nazareth, vivait un poète, et j’ignorais son nom, j’ai appris son existence par l’émission de poésie Ça rime à quoi sur France-Culture : Taha Muhammad Ali, une anthologie de ses poèmes vient de paraître1. Il est mort en 2011 à l’âge de 80 ans. Il était né en Galilée, dans le village de Saffouriyya. Je pioche dans ses poèmes, j’en garde l’un ou l’autre en équilibre sur ma tête toute la journée, oui la poésie ou c’est très simple ou c’est très compliqué, et celle de Taha Muhammad Ali est absolument limpide, parfois comme des fables, parfois en prise indirect ou métaphorique avec l’actualité qui blesse son peuple. Et j’y pense tout à coup, mon frère José Moyano Lima (1942-2006), il est fort probable qu’il ait croisé ce poète assis devant sa boutique à souvenirs, oui, ce n’est pas le bon moment mais une autre fois je vous raconterai le voyage de mon frère là-bas. Jour, mois, année, les dates sont toujours inscrites à la fin de chaque poème, ceux-ci vont de 1973 à 2006. Nulle rhétorique, nulle emphase dans cette poésie proche de la voix du conteur, évitant le ridicule des porte-paroles histrions, le poète, usant des ap-

parences de l’anecdote comme d’une herbe aromatique, nous en dit énormément en peu de mots. Le poète semble puiser sa force dans un humour empreint d’ironie et de méfiance mais surtout dans un regard qui connaît la vraie humilité : « Me fait aimer la vie/Ce que je suis incapable/De saisir/ De noter avec mon crayon/ Ou d’articuler oralement ! » (p.149) Cela fait plus de trois mois que j’ouvre son livre au hasard, et l’émerveillement s’avive et se ravive. Et comme les livres sont des portes donnant sur d’autres portes, je me suis posé la question mais qui est donc Gabriel Levin qui signe la préface ? Les éditions Le Bruit du Temps ont déjà publié deux livres de lui : Ostraca et Le Tunnel d’Ezéchias et autres récits, traduits en français par Emmanuel Moses. Et revoici la Palestine, j’ai lu, je crois, toutes les B.D. de Joe Sacco2. Je l’ai lu et même relu car il me remue, car c’est coups de poing ! Bon, c’est clair Joe Sacco (1960) n’est pas attiré par les petits coins paradisiaques de la planète, il aime plu-

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tôt où ça fait mal. Je vous préviens, son noir et blanc est des plus agressifs, il te dessine de ces gueules et de ces tronches ! Et certaines planches, t’en as le vertige, tes yeux ne savent pas par quel bout les appréhender, les regarder. Tout à trac, je vous dis mon admiration en trois points : 1) Il met en images non seulement ce qu’il a vu mais surtout les récits, les interviews qu’il a suscités et recueillis. Joe Sacco est un

é t r fi d c i s c s b v b p d i p p s l S à m p d l t l d l t c 1 à t l p q m C l c f v 4 s e l p d V d v


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écrivain-voyageur ou un reporter qui dessine « après coup ». Il recueille de la parole qu’il transfigure en B.D. À un moment, il dit : « Je me méfie des récits apocryphes. » 2) Il se met en scène, il est dans l’image, il se donne souvent le rôle du binoclard ridicule, il est actif dans le processus : mais où est le réel ? Suis-je bien à ma place ? Moi petit privilégié qui vais séjourner ici « un bref laps de temps » et puis repartir peinard. 3) Son sens pédagogique est tel que grâce à lui il me semble avoir mieux compris un tas de choses dont je suis pourtant l’exact contemporain (disons, juste le témoin abasourdi à l’heure du JT de 20h et basta !) Sa démarche peut prêter le flanc à la critique, j’en conviens : témoin oculaire, il dessine la plupart du temps ce que d’autres lui disent qu’ils ont vu et vécu. La valeur de son travail prend une légitimité du fait même qu’il dessine la démarche même du « récolteur de récits ». Le hasard est étrange, l’autre nuit, je tombe dans l’anthologie de Bernard Delvaille3 sur ces vers de Stuart Merrill (18631915) : « Moi seul, étant un poète à qui Dieu a départi, comme à tous les poètes, d’assumer la douleur d’autrui, j’ai senti sous mes paupières crever des larmes, toi que je n’ai jamais connu, Tommy Atkins, ô Tommy Atkins  ! » C’est quoi cette drôle d’affaire, la « douleur d’autrui » ? Et revoici la Palestine pour la troisième fois, c’est un documentaire trouvé à la Médiathèque du Passage 44. AISHEEN4 ça veut dire en signe de salutation : «  Toujours en vie, toujours debout. » Le réalisateur suisse et son équipe ont pu rester 14 jours dans la bande de Gaza. Tout au début, on voit La Ville-fantôme, attraction foraine dont il ne reste que des débris, et vers la fin du film, le forain réus-

sit à réparer le carrousel qui a la forme d’une soucoupe volante, je me souviens du zoo, certains animaux sont morts, on a gardé leur dépouille (non, pas joliment empaillée, mais une chose sans nom comme un paillasson tout desséché, accroché à une branche), je me souviens qu’on ramène pour décorer le zoo, les os du cachalot échoué sur la plage, je me souviens de ces jeunes rappeurs qui font la musique du film, je me souviens de l’école où les gamins rejouent l’actualité de la guerre récente (était-ce l’opération Plomb durci ou une autre ?), des deux clowns satisfaits et heureux d’avoir fait rire une flopée d’enfants, ô beaux sourires des gosses... Je glane, je cueille, j’accumule et à la fin je ne sais plus, je jette ou je recycle ? Vite, je vous parle encore de deux spectacles : Jasmina Douieb a mis en scène la pièce d’Ahmed Ghazali (Casablanca, 1964) : Le mouton et la baleine (Éditions Théâtrales, 2002), c’était au théâtre OcéanNord, à deux pas de la place Liedts. Cette pièce avait déjà été créée à Montréal en 2002 par Wajdi Mouawad. C’est le drame de las pateras et des harragas qui tentent de traverser le Détroit de Gibraltar ; en 2012 on comptabilise (chiffre officiel) 225 morts. Nous sommes sur un cargo russe qui a recueilli quelques cadavres et ne sait qu’en faire, à quelles autorités les remettre ? Personne n’en veut. C’est le drame du médecin de bord qui, lui, a encore une conscience (beau passage, l’évocation au capitaine Achab), les matelots qui «  s’amusent  » à capturer les sans papiers qui se cachent dans les containers, c’est le drame d’un couple, la Française et l’Arabe, qui s’entredéchire. Et autour de cette structure en métal, vacillante et qui tangue, avec de multiples portes, c’est la flotte, la

mer, l’océan évoqué par un amas de vêtements qui font songer aux œuvres quasi mémorielles de Luc Boltanski. C’est là que se tient le coryphée et le chœur : des musiciens primo arrivants, ressuscitant de temps à autre, revenant de l’au-delà pour ponctuer la pièce de leur musique et leurs chants. Et voici la seconde pièce : Je vous ai compris est une création signée Valérie Gimenez, Sinda et Samir Guessab que j’ai vue lors du Festival de Liège, deux femmes devant un immense écran blanc, des dessins tracés en direct par une main invisible (magie de la technologie) vont surgir, salir, noircir, esquisser, s’effacer, resurgir, gommer et recommencer, à l’instar du dire des deux femmes, l’une se souvient de son père, l’autre de sa mère ; mais bien plus, l’une et l’autre ont recueilli les paroles qui du père, qui de la mère. En voici la transcription scénique. On assiste live, devant nous, à vif, à la nécessité vitale du stoppage de la blessure. Même si jaillit l’irréconciliable : la parole d’un Pied-noir, la parole d’une Algérienne. C’est sans nul doute l’enjeu du théâtre : exposer la plaie, parler les cicatrices et le pari de la guérison. ■ Taha Muhammad Ali, Une migration sans fin, poèmes traduits de l’arabe (Palestine) par Antoine Jockey , préface de Gabriel Levin, édition bilingue, Galaade éditions, 2012, 218 p. 2 Palestine : Une nation occupée, Vertige Graphic, 1996, 141 p. ; Palestine : Dans la bande de Gaza, Vertige Graphic, 1998, 141 p. ; Gaza 1956 : En marge de l’Histoire, Futuropolis, 2010, 393 p. ; Gorazde, Éditions Rackam, 2004, 227 p. 3 Mille et cent ans de poésie française : de la séquence de Sainte Eulalie à Jean Genet, édition établie et annotée par Bernard Delvaille, Robert Laffont, 1993, Collection Bouquins, 1929 p. 4 Aisheen : Chroniques de Gaza (Still Alive in Gaza) DVD, Qatar/Suisse, 2010, 1h25’ VO Arabe. Un film de Nicolas Wadimoff avec Béatrice Guelpa, Solaris, 2010. 1

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regarder La valise mexicaine à Paris roland baumann

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e Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme (MAHJ) à Paris accueille jusqu’au 30 juin La valise mexicaine, exposition des photos de la guerre d’Espagne de Taro, Capa et Chim, réalisée par l’International Center of Photography (ICP) de New York (2010) et montrée aux Rencontres d’Arles (2011), puis à Barcelone, Bilbao et Madrid. En janvier 2008 l’ICP annonçait la redécouverte de cette valise – en réalité trois petites boîtes en carton – contenant 4500 négatifs d’images de la guerre civile espagnole, prises par Gerda Taro (1910-1937) Robert Capa (1913-1954) et David Seymour, dit Chim (1911-1956). Capa avait laissé cet ensemble de négatifs dans son studio parisien rue Froidevaux lorsqu’il partit à New York en 1939. Lorsque la France fut envahie, son ami et assistant, Csiki Weisz, lui aussi réfugié hongrois, emporta les boîtes sur les routes de l’exil et les fit remettre au consulat du Mexique. On en perdit alors toute trace. Depuis 1979, le fondateur de l’ICP, Cornell Capa, frère du célèbre fondateur de Magnum Photos mort en Indochine, espérait retrouver la trace de ce précieux patrimoine photographique disparu. Le film de Trisha Ziff, La Valise mexicaine (2011) retrace l’incroyable histoire des trois boîtes, retrouvées à Mexico : le cinéaste mexicain Benjamin Tarver les hérite de sa tante défunte qui, ellemême, les a reçues de son parent,

le général Francisco Javier Aguilar González, ex-ambassadeur du Mexique à Vichy en 1941-1942. Tarver finit par confier ce trésor à Trisha Ziff, photographe et cinéaste vivant à Mexico. Le 19 décembre 2007, celle-ci remet la « valise mexicaine » à l’ICP. Dans son film, tout en menant son enquête sur la légendaire valise renfermant les images de la lutte et de la défaite du peuple espagnol en 1936-1939, Ziff documente surtout le rôle de premier plan du Mexique dans le soutien tant militaire que humanitaire à la République espagnole. De nombreux interviews d’enfants et petits-enfants d’Espagnols, réfugiés au Mexique, après la défaite républicaine soulignent l’importance de la solidarité mexicaine. La «  valise mexicaine  » est donc associée étroitement au souvenir de l’engagement du Mexique pour la cause républicaine. La cinéaste montre aussi sur le terrain de fouilles archéologiques comment l’Espagne dialogue aujourd’hui avec son passé, en ouvrant les fosses des victimes du franquisme. L’exposition parisienne commence avec les boîtes de la « valise mexicaine » et deux des carnets de photos contacts réalisés durant la guerre civile à partir des négatifs de Capa, Taro et Chim. Montrant la variété des sujets couverts sur le terrain par les trois photographes, ces carnets ont aidé les experts à identifier les films de la valise et rétablir la séquence originale de certains

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films dont les négatifs avaient été découpés puis dispersés. Suivant la chronologie des reportages, le parcours offre un véritable panorama du grand conflit, depuis l’avènement du Front Populaire et le temps des meetings pour la réforme agraire (avril-mai 1936), jusqu’à la défaite républicaine et la survie dans les camps d’internement en France (mars 1939). Portraits de miliciens, scènes de combat, vues effrayantes des populations civiles, victimes des raids de l’aviation fasciste... Une partie de ces images, nous sont déjà familières, reproduites dans la presse de l’époque et illustrant ensuite l’abondante historiographie de la guerre d’Espagne, les ouvrages d’histoire de la photographie, ou sur l’oeuvre de Capa, etc. Mais d’autres photos sont tout à fait inédites. Présentés dans l’exposition sous la forme de planches-contact agrandies, les négatifs de la valise mexicaine révèlent l’ordre de la prise de vue et confrontent le visiteur au regard du photographe. Voyage au coeur de la guerre civile espagnole, l’exposition permet aussi de mieux comprendre la signification du travail engagé de ces trois jeunes photographes de guerre juifs. Fin janvier 1939, suite à l’écroulement du front de Catalogne, lors de la retirada, des centaines de milliers de soldats et civils républicains se réfugient en France. Capa documente leurs conditions de survie épouvantables dans le dénuement des camps d’interne-

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ment d’Argelès ou du Barcarès... Témoignage de la fin tragique d’une lutte héroïque et étape finale du parcours de l’exposition, ces derniers reportages documentent l’origine de ces « camps de la honte » dans lesquels les autorités françaises interneront ensuite les réfugiés antinazis allemands et autrichiens, les Juifs, etc. Les photos de ces doivent aussi évoquer les responsabilités françaises dans la victoire du fascisme en Espagne... L’exposition s’accompagne d’une large programmation de conférences, rencontres, tables rondes et projections de films (dont La Valise mexicaine, le 13 mars) pour mieux contextualiser les photos et aussi comprendre les enjeux mémoriels de la Guerre civile espagnole dans ses rapports à l’histoire juive. Ainsi, le 21 avril, historiens, écrivains et enfants de volontaires débattront des significations et de la portée historiques de l’engagement de ces milliers de volontaires juifs, venus de toute la diaspora, et aussi de Palestine, pour défendre la République espagnole, dans les Brigades internationales, les services sanitaires, et sur « le front de la culture ». Alors, étaient- ils l’avant-garde de l’antifascisme ou les «  complices du communisme » ? Faut-il prendre acte de la « fin d’une illusion » et de la mort du « mythe des Brigades internationales » ? Oublier l’engagement exemplaire des jeunes Juifs progressistes en Espagne ?

Souvenirs de brigadistes. la fin d’un mythe ? À l’occasion de l’exposition, le site du MAHJ met à l’honneur le livre du «  botwinik  » Efraïm Wuzek, édité par Larissa Gruszow, dont des extraits et une recension ont été publiés dans Points

critiques1. Un autre livre de souvenirs de « brigadiste », traduit du yiddish et paru au Seuil, a également été présenté récemment2. Publié d’abord en feuilleton dans le Forverts (1956), puis en livre (1961), ce récit de Sygmunt Stein doit surprendre. Censé marquer « la fin d’un mythe », il correspond curieusement à l’image « démystificatrice » que diffuse dès 1938 le livre de l’ex-brigadiste belge Nick Gillain3 : « vision du dedans » de Brigades composées en majorité d’aventuriers, de ratés et d’ivrognes. Mal armés et sous-équipés, soumis aux exécutions sommaires et à la terreur de conseillers soviétiques détestés, les internationaux pratiquent la corruption à tous les niveaux, gaspillent les vivres et font bombance au milieu d’une population espagnole affamée... Traduit et publié en 1939 dans l’Espagne nationaliste, le «  carnet de route » de Gillain « prouvait » la véracité de l’image avilissante des Brigades véhiculée dans la presse franquiste. Stein renforce encore l’image « démystificatrice » de Gillain : il souligne la présence massive de délinquants parmi les brigadistes, et aux beuveries, il ajoute les orgies : les plus belles des femmes assignées aux détachement sanitaires y servent de « matelas de camp  » aux commissaires politiques ! Ravagée par les maladies vénériennes « la légion étrangère de Staline » est dirigée par des goinfres, ivrognes et dévergondés  ! Recyclant tous les clichés de la propagande franquiste – y compris à propos des anarchistes dont il décrit les officiers « à épaulettes et képis brodés d’or » se pavanant dans les rues de Valence « en voiture de luxe » – Stein reste le plus souvent dans le flou lorsqu’il évoque le quotidien des brigadistes. Ses descriptions de l’ar-

mement républicain, hautement fantaisistes, de même que certaines erreurs grossières font douter de ses qualités de témoin d’une guerre qu’il ne connaît visiblement pas, ou n’entrevoit que derrière son bureau d’Albacete. Ainsi, fin 1937, Stein rentre en Espagne au terme d’une convalescence en France. De retour vers Albacete, il serait descendu du train et aurait fait halte à Saragosse ! Stein a-t-il oublié que la capitale de l’Aragon est tenue par les Franquistes depuis le début de la rébellion ? Ma guerre d’Espagne participerait-il de cette littérature de pseudo-témoignage dont font partie certains best-sellers de la deuxième guerre mondiale, tel Le Soldat oublié de Guy Sajer (1967) ? ■ Larissa Gruszow, « Les vies d’Efraïm Wuzek », Points critiques n° 331, décembre 2012, pp. 20-23. 2 Willy Estersohn, « La guerre d’Espagne en yiddish », Points critiques n° 328, septembre 2012, pp. 12-13. 3 Nick Gillain, Le mercenaire, carnet de route d’un combattant rouge, Librairie Arthème Fayard, Paris, 1938. 1

Exposition: La Valise mexicaine. Capa, Taro, Chim. Les négatifs retrouvés de la guerre civile espagnole ; Jusqu’au 30 juin 2013 Musée d’art et d’histoire du Judaïsme, Hôtel de Saint-Aignan, 71 rue du Temple, 75003 Paris ; Lu - Ve 11h à 18h (Me 21h), Dim. 10h à 18h www.mahj.org Efraïm Wuzek, Combattants juifs dans la guerre d’Espagne. La compagnie Botwin. Présenté et annoté par Larissa Wozek-Gruszow, traduit du yiddish par Jacques Kott, Éditions Syllepse, Paris, 2012. Sygmunt Stein, Ma guerre d’Espagne. Brigades internationales : La fin d’un mythe, postface de Jean-Jacques Marie, Éditions du Seuil, Paris, 2012.

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mémoire(s) Christian Israel. L’art du mémorial propos recueillis par Alain MihÁly

Né en 1961, d’origine allemande et chilienne, Christian Israel est artiste. Il vit et travaille à Bruxelles. Il est également scénographe, essentiellement pour le Musée juif de Bruxelles. Christian Israel a scénographié l’exposition Liège, cité docile ? Une ville face à la persécution des Juifs (1940-1944) et est l’auteur du Mémorial des Juifs de la région liégeoise assassinés par les nazis, Nizkor…nous nous souviendrons, inaugurés en décembre dernier (voir « Discours de Thierry Rozenblum », Points critiques n° 332, janvier 2013, pp. 28-29). Comment la commande fut-elle formulée? Ce projet est basé sur le travail de recherche de Thierry Rozenblum. Dix ans de travail dans diverses archives qui ont abouti à la publication d’Une cité si ardente qui retrace l’engrenage qui a mené à la déportation des Juifs de la région liégeoise. Le projet, soit l’exposition Liège, cité docile ?, a été porté par deux associations: « Mémoire de Dannes-Camiers » et « Les territoires de la Mémoire » mais c’est surtout Thierry Rozenblum qui a mené ce projet à son aboutissement. Je me suis chargé de sa traduction dans l’espace tant pour l’exposition que le mémorial. J’ai articulé ou donné forme à ses écrits, accompagné par un comité scientifique composé principalement de Thierry Rozenblum lui-même, de Chantal Kesteloot, du CEGES, de Pascale Falek, historienne et responsable aux Archives générales du Royaume et de Dinah Korn-Lewin, vice-présidente de la Communauté israélite de Liège et responsable du Musée de la communauté israélite de Liège.

On m’a demandé de présenter un projet d’exposition qui devait comporter trois volets, une exposition temporaire, une exposition itinérante et des éléments à réutiliser pour une exposition permanente au sein du futur Mnema, le centre d’interprétation historique de Liège créé à l’initiative de « Territoires de la Mémoire » et prévu pour 2014. Le bâtiment est une ancienne piscine en cours de rénovation. C’est centré sur l’histoire du XXe siècle et de ses dérives mais une partie sera dédiée à l’anéantissement des Juifs On pourrait y voir un pendant wallon du Musée de Malines... D’une certaine façon mais son programme est beaucoup plus vaste politiquement et le Mnema n’a pas le côté emblématique du Musée de Malines qui porte une histoire spécifique. Nous n’avions pas tout de suite le lieu. Avant d’aboutir au Grand Curtius et à la forme finale, le projet a dû être repris trois fois. Le tout devait s’inscrire dans le cadre de la présidence belge de la « Task Force for Internatio-

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nal Cooperation on Holocaust Remembrance » et du colloque annuel de cette dernière qui avait lieu à Liège du 10 décembre au 13 décembre. Entre la publication du livre, l’occasion de donner une plus large lisibilité à ce travail au travers d’une exposition et le travail de « Territoires de la Mémoire », le côté « mémorial » a pris une plus grande dimension en raison de la volonté de Thierry Rozenblum, au delà d’une publication, de donner à ce travail de recherche une assise dans un espace, de le transformer en outil. Ce lieu existe ainsi que des liens y compris internet. On commence à avoir des témoignages de gens qui découvrent l’histoire de leur famille. Il y a un site internet qui reprend toutes les informations sur les déportés ; le projet existe de l’élargir en y reprenant le mémorial virtuel – constitué des notices biographiques – actuellement partiellement accessible sur le site de « Dannes-Camiers ». L’exposition « Cité docile » introduit au thème en esquissant rapidement les points importants mais la partie mémoriale com-

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prend aussi deux espaces complémentaires au monument proprement dit. Deux bornes projettent les notices biographiques et permettent d’entrer dans le détail. Le mémorial-monument est comme une assise émotionnelle qui donne la possibilité ou la force d’aller plus loin et de s’intéresser aux notices. Les noms, les convois apparaissent. Les témoignages montrent que ce n’est pas seule-

forme, comme celle de stèles apposées le long des murs. Ce mémorial peut en effet être adapté aux lieux d’exposition. Il y a en ce moment 738 stèles, bien qu’il y ait eu 733 décès liés à la politique nazie. L’« outil » a un aspect évolutif et ces 5 stèles représentent symboliquement les noms que la recherche future établira peut-être. La déportation peut s’être faite

Photo dossier de presse

ment une exposition dans un espace public. Il n’y a pas d’autre exemple d’un mémorial local qui saisisse la globalité d’une déportation, avec son engrenage et les réactions de résistance, de solidarité. Ce travail d’une personne, Thierry Rozenblum, peut faire école. Dans le cadre du Mnema, où prendra place ce monument ? Il est prévu de l’installer au sous-sol dans les anciens abris anti-aériens qui se trouvaient sous la piscine. Mais cela peut encore changer. Le mémorial prendra donc peut-être une autre

à partir d’ici, de Drancy ou du Pasde-Calais. Le point commun des victimes est d’avoir résidé un moment important de leur vie à Liège ou dans sa région (Seraing, Bressoux...) et également le fait que la grande majorité d’entre elles ont été reprises dans les registres. Leur dernière adresse – qui figure sur les stèles – n’est pas nécessairement celle où elles ont été arrêtées ou ont passé quelques mois. Elle provient du « Registre des Juifs » ou du recensement de 1939 qui a été également utilisé par l’administration communale. Celle-ci est d’ailleurs allée au-delà des demandes allemandes en

apposant un J sur les fiches de ce recensement. Ces fiches, qui ont été utilisées jusqu’à la fin des années 40, portent des couleurs différentes pour les hommes et les femmes. Couleurs qui se retrouvent dans l’exposition et sur les stèles. Les stèles reprennent, apposé au pochoir, la transcription du nom dans le registre, avec les orthographes différentes des noms de famille, avec les erreurs aussi. Les stèles ont des tailles différentes, de 1m20 à 2m10. Elles sont regroupées en rangées de 56 en largeur mais apposées par groupes de 4 bien que toutes soient appuyées l’une sur l’autre sur les 15 rangées en profondeur. L’idée était de donner l’impression d’une vague et non d’un cimetière où l’on pourrait marcher, aller à gauche ou à droite ou traverser au milieu. Mais ce sont bien des stèles. Ce sont des linteaux qui répondent à la volonté de parvenir, dans un espace réduit, à un maximum de lecture sans que celle-ci ne soit cependant lourde. Cette forme étroite, c’est l’idée d’une barre qui frappe, comme un pieu. Un linteau, c’est une porte et donc un seuil, un passage. C’est l’idée aussi d’un appel dans la cour - on appelle les gens, on les met en formation. Ils ont été soufflés comme des arbres couchés lors d’une explosion, emportés tous sans différence. La façon dont ils sont les uns à côté des autres, comme s’ils venaient de tomber, marque également l’aspect éphémère du mémorial. Il y a un côté cataclysme, catas-

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➜ trophe naturelle, bien que ce n’en soit pas une – ce qui nous ramène au terme « Shoah » qui à l’instar d’Holocauste n’est pas des plus adéquats. Si catastrophe il y a, on pense d’abord à « catastrophe naturelle ». Le terme implique le dédouanement de l’action humaine et de la responsabilité. Ce fut une catastrophe pour les victimes. Mais revenons au mémorial. Le mémorial se veut d’une certaine façon abstrait mais proche. Le nom et l’âge au moment de la déportation – et non celui au moment du décès – sont indiqués. La destination première de la déportation et l’année de la déportation sont indiquées en plus petit. C’est ce qui est aussi le plus répétitif. C’est Auschwitz à plus de 90% même si ce ne fut pas toujours le lieu de la mort. C’est beaucoup plus frappant de lire l’âge – 5 ans, 15 ans – qu’une date de décès. Dès l’entrée, c’est ce à quoi est confronté le public. La lecture se fait comme sur un rouleau et donc en principe de gauche à droite mais, au sein d’une même famille, de droite à gauche. Plusieurs lectures sont donc possibles. Les 15 rangées se composent de 4 groupes de 4 et de un groupe de 3 rangées. Les groupes d’une même couleur peuvent comporter toute une famille élargie, avec belle-famille, grands-parents, cousins, cousines, oncles,... tous ne partageant pas toujours le même nom. Les stèles sont groupées par couleurs intercalées – il y en a 4, noir, blanc, bleu clair et rose – afin de différencier le passage d’une famille à une personne isolée ou à une autre famille. L’ordre est alphabétique mais décomposé par le fait qu’au sein d’une même famille il peut y avoir plusieurs

noms de famille. Et ce n’est ni l’âge ni le fait qu’on soit homme, femme, chef de famille qui prime. C’est toujours le nom de famille à l’exception du fait que les parents précèdent les enfants. La mère avec le fils s’ils ont été déportés ensemble par exemple. Il y a donc beaucoup d’interférences. Ces catégorisations expriment la difficulté de reprendre des listes telles quelles. Sans être toujours intelligible, il fallait créer un mémorial qui soit un outil mais sans qu’il ne tombe dans la platitude et l’inhumanité d’une « liste ». Un outil qui aille au-delà de la dramatisation, qui évite la réduction par l’émotion. C’était aussi imaginer, par une somme de couleurs, comment une famille avait été touchée. Cette vision des familles différencie ce mémorial. Dans la plupart des mémoriaux, les déportés sont, comme à Paris, listés par ordre alphabétique et se retrouvent séparés. On pourrait rétorquer qu’ils ont souvent été séparés dans la déportation mais souvent ils ne l’ont pas été et ce, jusqu’au dernier moment. Le mémorial est un outil de proximité. Il est « proche » parce qu’il y a l’adresse. Ces rues existent. Les Liégeois voient qu’il s’agit de leurs voisins. Ils habitent peut-être dans la même rue, la même maison. Cela a un autre impact que simplement des noms ou des visages. Par rapport à la phrase classique « donner un visage à un nom », ici, bien qu’on projette également les portraits des déportés, c’est surtout « mettre une adresse ». Cela établit un rapport plus biographique à la personne et à son lieu de vie et apporte une autre dimension que l’apparition du nom seul ou du portrait.

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Ce mémorial n’est donc en rien abstrait. C’est abstrait dans la forme mais non dans la lecture bien que celle-ci comporte un côté abasourdissant. Le mémorial doit se dérober tout en restant un outil qui donne des informations. Ce n’est pas un labyrinthe dans lequel on pourrait se perdre comme dans le mémorial de Berlin où il est possible de se promener et où on peut se sentir oppressé de ne pas savoir où l’on va. Mais un mémorial tel que celui de Liège n’aurait pu être réalisé à Berlin ou même à Bruxelles, avec 25.000 noms. C’est l’avantage de l’ordre local. La question se pose donc de savoir si l’on peut faire un mémorial d’un ordre non local. Mais aussi de savoir si l’on peut faire un mémorial comme celui de Berlin qui s’insère dans le paysage urbain en tant que paysage plus qu’en tant que mémorial et qui se retrouve donc soumis à une lecture d’intégration urbaine. Le monument berlinois commence dans la douceur à partir du trottoir puis devient une colline. C’est une vague qui peut être superbe au coucher de soleil, qui a avant tout une beauté topographique, telle celle d’un cimetière méditerranéen, mais que je trouve ici inadéquate. Cette vague-là t’a-t-elle néanmoins inspiré ? La vague du mémorial de Liège est le résultat d’une sorte d’avalanche, d’un effet domino. Contrer cet effet, c’est déjà une incitation à voir les vides. Au sein de cette vague se trouvent des emplacements vides, parce qu’une personne est isolée ou parfois pour signaler que toute la famille n’a pas été déportée, que certains ont

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pu se sauver. Ce sont en quelque sorte des vides négatifs marquant une présence, due elle-même à une absence heureuse. Il y a d’autres inversions dans cette lecture dont celle-ci : la première stèle du mémorial est en fait sa quatrième

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stèle puisque la lecture, sur un groupe de 4, se fait de droite à gauche. Une lecture qui renvoie à...? Au sens hébraïque de la lecture. De même que la taille variable des stèles qui leur permet de reposer les unes sur les autres relève aussi de la figuration : toutes les personnes n’ont pas la même taille. Si on essayait d’inscrire ce mémorial dans le monde des mémoriaux... Il n’est ni figuratif ni abstrait. Il a une assise physique au delà d’être simplement l’érection d’un

mur de noms. Il ne s’agit d’ailleurs pas d’ériger mais de coucher. On parle de « coucher sur le papier ». et quelque chose ici se rapproche du papier. C’est un monument couché parce qu’il y a ce rapport à la lecture et à la bureaucratie. Ce mémorial a été rendu possible par une recherche qui a abouti dans un livre – qu’on tient dans la main pour une lecture horizontale – et parce que les victimes ont été victimes par ce travail de papier des tueurs de papier. Elles ont été traduites sur papier avant d’être déportées. Je retiens en tout cas deux monuments de Jochen Gerz. Le « Monument contre le fascisme » à Hambourg – une colonne qui disparaît dans le sol – et les 2146 pavés devant la place du château de Sarrebrück, déchaussés, gravés des noms des cimetières juifs d’Allemagne et remis en place à l’envers. Personne ne sait a priori qu’il se trouve au dessus de tels pavés mais le fait qu’on sache que cela a été fait me semble excellent comme principe de mémorial. Un lieu est donné qui n’a pas la suffisance de prétendre remplacer quoi que ce soit. Quel est alors l’élément abstrait de ce monument liégeois ? C’est un rectangle composé d’unités rectangulaires. L’aspect abstrait est une traduction du calendrier qui est un outil dans le temps : l’année est composée de X formes composées ellesmêmes de X formes. Finalement, comme dans toute abstraction, on s’éloigne du point de départ tout en restant ancré.

magne, une façade en colombage, reconstituée dans mon projet et composée uniquement de débris de verre amoncelés. Mon projet a été retenu comme finaliste mais n’a pas été primé. Et j’ai toujours travaillé autour des dates et de la compréhension des réalités historiques. Autour de la manière dont ces dates se traduisent dans l’imaginaire et des outils de cette traduction. Plusieurs éléments de ce travail touchent à ma compréhension de la judéité, à la manière selon laquelle le temps, l’année sont rythmés. Comment une chose touche à sa fin, comment tout est cyclique. Il suffit de penser à la lecture de la Torah. Mais je travaille entre les lignes, sans jamais verser dans le folklore d’une image directe. Le travail porte sur la notion d’image, celle qu’on se fait d’un événement et de quelle façon, plus que sur l’image même. Sur la manière aussi aussi dont on lit ce qu’on voit. Quel est le regard de l’art contemporain sur un travail de ce type ? De nombreuses oeuvres contemporaines font bien sûr référence à des événements historiques et à la Shoah. Mais la grande différence de ce travail-ci avec ce que je fais depuis des années, c’est le don communautaire : ce geste de créer ce mémorial. L’acte de création est dépassé par le don même qui abouti dans la transmission et dépasse l’individu. C’était important d’inscrire ce travail dans l’acte de transmission. ■

Comment ce mémorial s’inscrit-il dans ton travail? En 1994, j’ai participé à un concours de mémorial pour une synagogue à Schwerte en Alle-

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mémoire(s) Auschwitz, l’impossible regard bernard stevens*

F

abrice Midal se présente: « Je suis un enfant de la troisième génération de ces Juifs d’Europe centrale, qu’on nomme ashkénazes, venus en France dans les années 1930 pour fuir les persécutions dans leur pays et qui ont survécu par miracle, mais non sans en être brisés, à la décision des nazis d’exterminer de la surface de la terre tous le Juifs »(p. 22). On a beau être de la troisième génération, on n’en sort pas indemne. Et — ajouterais-je pour ma part — on a beau être d’une famille de Juifs convertis au catholicisme depuis des siècles, comme c’est mon cas, et ne plus se croire directement concerné, ou vouloir en vérité ne plus être concerné, on l’est. On le reste. Et tout ce qu’écrit Midal ici je le ressens de la même manière que lui, comme si j’étais un Juif resté Juif. On aimerait parfois se débarasser de sa judéité. Mais, répond Midal, « le judaïsme, c’est notre destin, ce qui nous est destiné. Si nous le refusons, il ne cessera pas pour autant de s’adresser à nous. Impossible de cesser d’être juif » (p. 15). Nous devons, chacun de nous, réinventer notre façon d’être juif. « Être juif, c’est être accoudé à une possibilité sans cesse renouvelée d’un sens où l’on est mis soi-même en jeu » (p. 37). Cette mise en jeu nous invite à sans cesse interroger le sens,

écouter la parole, la lire, l’interroger, l’interpréter: toute parole qui, dans sa profondeur et dans l’énigme, dit l’existence humaine. Comme pour Paul Célan et quelques autres. Aller à Auschwitz, poursuit Midal, malgré l’horreur et la terreur que cela nous inspire, jusque dans nos rêves, c’est faire face à son destin juif et tenter d’ouvrir au judaïsme un rapport plus libre dans ses divers visages, de la destruction et de la mémoire. Il faut affronter la douleur, oser raconter l’insoutenable et s’efforcer de le penser. Nombre de survivants n’ont pas voulu en parler. Comme si ne rien en dire permettait d’effacer la réalité. Or quelque chose est transmis malgré tout dans le silence. Et la parole, quand on la risque, on le sait, offre quelque chose de libérateur par rapport à l’emprise de la réalité. Mais dans sa famille, Fabrice n’entend que des bribes de récits. C’est lui qui, adolescent, avec une méticulosité presque maniaque, rassemblera tous les documents historiques sur le thème de la « solution finale », afin de s’en faire une représentation précise. N’y a-t-il pas, après tout, un « devoir de mémoire »? Afin de ne pas consigner par l’oubli le sort de ceux qui furent exterminés et, répète-t-on toujours, afin d’éviter que cela ne se reproduise… On assiste alors à une abondance de

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discours. Mais encore faudrait-il bien en parler. Avant de trop vite vouloir expliquer l’extermination et le nazisme : arriver à les penser correctement. Penser correctement, suggérait Hannah Arendt, induit un certain apaisement. Avant de vouloir faire passer un message et se donner bonne conscience, tenter de simplement voir la réalité. Accepter que ce n’est pas un accident de l’histoire dont il y aurait à tirer des leçons mais qu’il y a là un constat d’échec, une fissure, une faille et une faillite : celle du progrès, celle de la conscience (de tous les responsables nazis, aucun ne se sent responsable, encore moins coupable). C’est l’échec aussi de la lecture claire, de la distinction nette entre les bons et les méchants (quand le pire bourreau est un bon père de famille et un honnête fonctionnaire). Se rendre à l’évidence du fait que le mal peut-être « banal », et d’autant plus redoutable. Qu’il devient l’effet d’un rouage technocratico-administratif où, chez ses acteurs, les catégories de la conscience morale n’ont plus cours. N’être plus qu’un rouage dans un système technique c’est avoir perdu quelque chose d’essentiel à son humanité — et voilà qui nous rapproche du centre aveugle de la mécanique nazie. C’est que le bien agir ou le mal agir découlent non pas d’une


connaissance éthique du bien et du mal, ni d’une connaissance de l’essence de l’homme, mais d’une manière d’être notre humanité, comme nous l’enseigne Heidegger. Et cette humanité, ajoute Midal, c’est la fragilité qui la constitue et c’est elle que, lorsqu’on y est accordé, on préserve spontanément en soi et en autrui, indistinctement. C’est l’incertaine fragilité que nie le nazi, au profit d’une illusoire solidité à toute éprouve. C’est la fragilité que préserve le juste. Et c’est avec elle aussi, en tant que constitutive de notre humanité, que la modernité technique, dans toute son efficacité rationelle et sa neutralité administrative, sa systématicité proprement kafakïenne, nous fait perdre le contact. Nous n’avons plus affaire ici à des hommes se souciant d’être bons ou mauvais, mais à un système aveugle, géré de manière efficace et rationnelle. Il s’agit, en somme, du règne de

la « technique ». Et parce que cette dernière hante encore notre temps, la menace du nazisme survit au nazisme, non seulement dans le stalinisme d’hier, mais dans la rationalité-rentabilité d’aujourd’hui. La peur de la déportation, la crainte de se retrouver dans le dénûment, le pressentiment de l’arrestation par les nazis, ressenti encore obsessionnellement aujourd’hui, tout cela provient tant de la perpétuation du péril que de la mémoire de tous les nôtres assassinés. Et le nom d’Auschwitz symbolise toute l’immensité de cet assassinat. Midal dit ne pas toujours bien se souvenir, ne pas vouloir se souvenir de l’ordre des lettres du mot Auschwitz « parce que ce mot désigne le lieu où l’ordre disparaît à jamais ? » (p. 11). Et ce mot, par-delà le camp sinistrement célèbre, évoque en outre toute l’atmosphère d’antisémitisme dans laquelle ont dû vivre les Juifs de Pologne, pays d’origine de la famille de Midal : les Migdalewicz. Cet antisémitisme est celui que l’on ressent, ou croit ressentir, partout où l’on se rend. La famille Migdalewicz s’exile de Pologne en France, puis en Suisse — cette dernière remet aux autorités allemandes les réfugiés juifs, mais à l’exception des femmes enceintes ou accompagnées de très jeunes enfants (or la grand-mère est enceinte). Ayant eu, eux, de la chance, ils sont cependant témoins de scènes plus poignantes les unes que les autres, sur le renvoi des réfugiés refoulés. Après le guerre, les grands-parents s’installent à Paris.

Tailleurs de profession, ils recommencent tout à zéro car ils n’ont plus rien. On devient français, on change même de nom, mais tout cela dont on a été témoin ne disparaît pas pour autant dans l’oubli. La déjudaïsation du nom n’y changera rien. Cette rupture dans la généalogie, est certes un acte de liberté mais elle est néanmoins problématique : c’est perdre le rapport à la vérité, or cette dernière n’en reste pas moins. Et Dieu alors dans tout ça ? Plus personne ne semble vraiment y croire quand on enterre la grandmère de Fabrice. Mais n’avaiton pas toute raison de cesser d’y croire quand eut lieu l’inconcevable?  Dieu n’avait-Il pas abandonné son peuple ? « L’Alliance a été rompue par Dieu » (p. 196), dit Midal en une formule saisissante. Aucune explication religieuse ne peut justifier la Shoah. Peut-être est-ce précisément une faute de chercher une explication alors qu’il faudrait avoir la force de rester dans l’effroi : car il n’y aura jamais aucune justification à ce qui s’est passé, ni aucune consolation. Et nous devons continuer à vivre en tant que le peuple de l’Alliance avec Dieu, alors que l’Alliance a été rompue et que Dieu s’est retiré. ■ Fabrice Midal, Auschwitz. L’impossible regard, Seuil, 2012

* Philosophe, Bernard Stevens est chercheur FNRS et professeur à l’UCL. Parmi sa nombreuse bibliographie : « La philosophie : le péril, le salut », in Heidegger et le nazisme, Points Critiques, n°32, janvier 1988, pp. 25-34.

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réfléchir L’accusation d’antisémitisme ou le sionisme des imbéciles jacques aron

O

n trouve encore aujourd’hui dans de nombreuses encyclopédies une petite phrase attribuée à tort à August Bebel, dirigeant de la social-démocratie allemande : «  L’antisémitisme est le socialisme des imbéciles.  » Bebel, effectivement, combattit l’antisémitisme en Allemagne et dans les rangs de son parti  ; il savait ce que le mot signifiait puisque des partis politiques faisaient campagne sur ce thème. Leur action clairement définie visait à annuler les droits civils et politiques reconnus aux Juifs depuis la fondation du Reich (1871) et à les refouler dans un statut d’étrangers, porte ouverte à leur expulsion. Profondément xénophobes, ils s’opposaient aussi à toute immigration venue de l’Est. De fait, Bebel n’avait jamais prononcé ce slogan populiste  ; dès 1894, dans une interview, il avait tenu à la rendre à son auteur, le juriste libéral autrichien Ferdinand Kronawetter. Cette leçon ne devrait pas être perdue. La propagande, d’où qu’elle vienne, ne vise que l’effet immédiat, la vérité n’est pas son souci, et comme le disait un spécialiste en la matière, plus le mensonge est gros, plus il a de chances d’être cru. Plus d’un siècle et deux guerres mondiales nous séparent de cette période. Le génocide des Juifs et la création de l’État d’Israël aussi. Il existe dans cet État et, dispersés dans le monde, aux États-Unis

et en Europe principalement, des groupes d’hommes réunissant des Juifs, dans toute la diversité religieuse, sociale ou culturelle qu’ils se reconnaissent. Ceux d’Israël ont la nationalité de ce pays, les autres en général la nationalité du pays où ils résident. Beaucoup d’entre eux se croient malheureusement obligés de souscrire à la politique d’Israël, quelle qu’elle soit, et Dieu sait si elle a évolué avec le temps. De véritables officines de propagande ont vu le jour dans ce but, lesquelles se sont souvent éloignées de leurs buts originaux. Ainsi en est-il du Centre Simon Wiesenthal qui a son siège principal à Los Angeles et de nombreuses succursales dans divers pays, et qui dispose d’énormes moyens et d’une influence basée sur l’héritage moral du « chasseur de nazis » dont il a pris le nom. Il y a quelques années, cette officine s’est arrogée, en experte des Droits de l’Homme reconnue par l’ONU et l’UNESCO, la publication du classement annuel du « Top Ten Anti-Semitic/Anti-Israel Slurs  », des «  Dix principaux calomniateurs antisémites et anti-israéliens ». Calculé avec un sens aigu de la provocation et des répercussions médiatiques (toujours basées sur l’inculture de l’imbécile), ce classement est dressé par le rabbin Abraham Cooper et répercuté, le petit doigt sur la couture du pantalon, par ses inconditionnels de la désinformation. Le classement 2012 ne pouvait

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manquer de susciter la polémique en Allemagne, en clouant au pilori un journaliste, éditeur de l’Hebdomadaire du Vendredi, mais surtout héritier d’une part du capital de Der Spiegel et contributeur régulier de son édition on line. Celui qui n’a pas perdu toute mémoire historique et qui prend connaissance de l’acte d’accusation contre le journaliste du Spiegel, Jakob Augstein, ne peut manquer de voir dans le rabbin Cooper un digne héritier du sénateur McCarthy. Cinq phrases extraites de leur contexte transforment ce journaliste conservateur du centre-droit, parce qu’il a eu l’audace de soutenir Günter Grass et d’émettre quelques critiques de la politique d’Israël, en monstre préparant le nouvel «  Holocaust  », comme on persiste à nommer Outre-Atlantique le crime de génocide. La justification du jugement du Centre Wiesenthal tient en quelques lignes in fine, qui valent d’être citées : « Le chroniqueur réputé de Die Welt, Henryk M. Broder, qui a témoigné comme expert de l’antisémitisme allemand devant le Bundestag, a appelé Augstein ‘un petit Streicher’, en ajoutant : ‘Jakob Augstein n’est pas un antisémite de salon, c’est un pur antisémite … un criminel par conviction qui a simplement raté l’opportunité de faire carrière dans la Gestapo, parce qu’il est né après la guerre. » N’importe quel tribunal belge condamnerait pour diffamation l’auteur de ces lignes, mais c’est sans compter avec la culpa-

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C b l l c n e G b r n A l n t ( c « o m d J n d s a


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Julius Stericher, condamné et pendu à Nuremberg : « Sans solution de la question juive, pas de salut pour le peuple allemand ! » (1935)

bilité allemande dont certains Juifs jouent avec le plus grand cynisme. Der Spiegel a invité le rabbin Cooper à venir s’expliquer publiquement en Allemagne avec le journaliste diffamé. Le rabbin lui a opposé une fin de non-recevoir. On le comprend, lui qui ne connaît rien à l’Allemagne et confond même Streicher et Goebbels, serait sans doute embarrassé ; il préfère s’abriter derrière ses amis allemands. Le journal du Conseil central des Juifs en Allemagne a donc décidé de voler à son secours, confondant de nouveau délibérément toute critique d’Israël ou du sionisme (L’Agence juive prétend définir les critères qui distinguent la critique « légitime » de la « diabolisation » obsessionnelle) avec de l’« antisémitisme ». Dans une interview, le directeur du Centre Wiesenthal à Jérusalem assène : « Notre organisation publie cette liste depuis deux ans. Nous voudrions ainsi attirer l’attention sur les pires antisémites de l’année écoulée et

mettre en garde contre eux. Ceux qui s’expriment de façon aussi indigne sur des Juifs et Israël, doivent savoir que cela ne passera pas inaperçu. Celui qui propage la haine des Juifs, doit être dénoncé comme tel auprès de l’opinion publique. » (Jüdische Allgemeine, 3 janvier 2013) Pourquoi Jakob Augstein ?, lui demande le journal. Réponse : « Parce qu’il a un vrai problème avec les Juifs et Israël. Cela est parfaitement clair dans ses contributions au Spiegel on line. Prenez par exemple sa citation, selon laquelle les Haredim en Israël ne sont pas meilleurs que les fondamentalistes islamiques, et qu’ils n’agissent que selon la loi de la vengeance. Je comprends parfaitement, que Henryk M. Broder compare Augstein pour cette agitation avec Julius Streicher. » Rappelons que nous nous étonnions nous-même dans ces colonnes (voir Points critiques, février 2011, n° 313) que des rabbins allemands, au nom sans doute de la liberté de culte et de conscience, puissent appeler

publiquement dans un pays européen au recrutement de Haredim pour l’armée d’Israël. Mais nous ne sommes sans doute pas une référence. Toute l’agitation autour du «  cas  » Augstein est devenu une mauvaise querelle talmudique. L’argument que l’on voit revenir le plus souvent est le suivant : qu’Augstein se défende d’être antisémite est la meilleure preuve qu’il l’est réellement. Car après Auschwitz, plus personne ne peut s’avouer antisémite. « On pourrait dire, de façon quelque peu sarcastique, que les nazis ont rendu un grand service à l’antisémitisme. Depuis 1945 on n’associe plus à cette notion que fosses communes, crématoires et chambres à gaz. Le ressentiment contre les Juifs devint ainsi un ‘crime que l’on ne peut nommer’ ». Et le correspondant du Jüdische Allgemeine aux USA de verser à son tour dans l’insulte et la diffamation : « Le journaliste allemand Jakob Augstein n’a pas été doté de dons intellectuels éminents. C’est pourquoi il est convaincu d’être de bonne foi quand il affirme ne pas être antisémite. Augstein junior a cependant écrit qu’Israël plaçait le monde devant une « logique d’ultimatum » […], qu’Israël perdait par sa faute sa légitimité et donc son droit à l’existence, que les ultra-orthodoxes se trouvaient en Israël sur le même plan moral que les assassins islamistes fanatiques, que la bande de Gaza était un camp, et qu’Israël couvait lui-même ses adversaires (avec le verbe ‘couver’, l’État juif est ainsi rejeté par Augstein dans le domaine de l’animalité, au niveau du crocodile). » Mais quels oiseaux «  juifs  » avons-nous donc couvés ? ■

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Yiddish ? Yiddish ! par willy estersohn

‫לידער‬-‫ֿפרויען‬

froyen-lider Poèmes de femmes (extrait) Pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Cette fois encore, nous serons en compagnie d’un auteur féminin. Il s’agit de Kadya (kadye) Molodowsky (Biélorussie, 1894 – New-York, 1975). Ses premiers poèmes sont publiés en 1920 dans la revue eygns (« À soi ») à Kiev où, après la révolution bolchévique, la vie artistique yiddish connut une effervescence exceptonnelle. En 1924, c’est à Varsovie, autre centre culturel yiddish de premier plan, qu’elle poursuit sa production poétique en collaborant aux literarishe bleter (« Pages littéraires »). Elle y publie, en 1927, ses froyen lider qui feront sa célébrité. En 1935, elle s’installera à New-York où elle créera son propre périodique littéraire, svive (« Entourage »).

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finger mayne

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! ‫יִידיש ? יִידיש‬ Traduction Je viendrai chez celui / qui a été le premier à me procurer (apporter) un plaisir (joie) de femme / et je dirai : (mon) homme, / j’ai confié mon doux regard à quelqu’un d’autre / et, une nuit, j’ai posé ma tête près de lui / et seulement (maintenant) je ressens (j’ai) mon chagrin / que j’ai emporté pareil à des abeilles clouées autour de mon cœur / et je n’ai pas de miel pour soulager ma blessure. / Et quand il me prendra par la natte, / je m’écroulerai (sur les deux pieds) / et je resterai sur le seuil comme Sodome pétrifiée (comme la pétrification de Sodome), / je porterai (j’élèverai) les mains à la tête / comme faisait ma mère au moment d’allumer les bougies,* / mais mes doigts seront pareils à dix péchés énumérés. *‫ בענטשן ליכט‬bentshn likht : « Bénédiction récitée lors de l’allumage des bougies la veille du shabbat ou de certaines fêtes, rite dévolu à la femme juive. » (Dictionnaire yiddish-français de Y. Niborski et B. Vaisbrot.)

remarques

‫ ס׳הָאט‬s’hot = ‫ עס הָאט‬es hot. ‫ מַאן‬man = (1) homme (plur. : ‫ מענער‬mener), (2) époux (plur. : ‫ מַאנען‬manen). ‫ כ׳הָאב‬kh’ob = ‫ איך הָאב‬ikh hob. ‫ שטיל‬shtil = silencieux, calme (doux, lorsqu’il s’agit de la voix ou du son). ‫ לעם‬lem = ‫ = לעבן‬à côté de. ‫ צער‬tsar (hébr.) = chagrin, pitié; le tsar de Russie : ‫ צַאר‬tsar. ‫שטעכן‬ shtekhn = piquer, percer; ‫ ָאנשטעכן‬onshtekhn = épingler, clouer (part. passé : ‫ ָאנגעשטָאכן‬ongeshtokhn). ‫ ס׳װעט‬s’vet = ‫ עס װעט‬es vet. ‫ צָאּפ‬tsop = tresse, natte (au pluriel : ‫ צעּפ‬tsep). ‫ ֿפיס‬fis : pluriel de ‫ ֿפוס‬fus = pied ou jambe. ‫ ֿפַּארשטײנערונג‬farshteynerung = pétrification (‫ שטײן‬shteyn = pierre). ‫ ס׳ֿפלעגט‬s’flegt = ‫ עס ֿפלעגט‬es flegt; verbe auxiliaire suivi d’un infinitif pour indiquer une forme du passé que nous rendons avec l’imparfait : ‫ װי ס׳ֿפלעגט מַײן מַאמע טָאן‬vi s’flegt mayn mame ton = comme faisait habituellement ma mère. mars 2013 * n°334 • page 21


anne gielczyk

Il y a sémantique et sémantique

2

8 janvier 2013, dépêche de l’agence Belga : Le vice-premier ministre Johan Vande Lanotte a déclaré, dans une interview au journal Le Soir, qu’il ne parlera plus de la N-VA jusqu’en 2014. Depuis, plus un jour n’est passé sans que l’on ne parle de la N-VA ou de BDW. À l’image de ce mois de février 2013, glacial, sombre, inquiétant … sans oublier la Saint-Valentin, l’évènement marquant du mois de février, et vous n’êtes pas sans savoir à quel point j’appréhende et j’abhorre le 14 février. Sauf que, une fois n’est pas coutume, un ami particulièrement malicieux m’a envoyé un message pour cette Saint-Valentin « pour que tu n’écrives plus qu’aucun homme ne t’a jamais envoyé de carte postale à la Saint-Valentin ». Mais est-ce que ça veut dire qu’un homme, enfin, m’a envoyé un message pour la SaintValentin ? Ou ce message ne faitil qu’acter qu’une fois de plus aucun homme ne m’a envoyé de message pour la Saint-Valentin ? Stop Saint-Valentin, mission accomplie ? J’ai bien peur que non, puisqu’une fois de plus je vous parle de ce non-événement que j’exècre. Comment peuton exécrer un non-événement ? Bonne question, les amis, disons que ce n’est pas parce que c’est un non-événement que ça n’existe pas. La preuve, je le déteste ! Un non-événement

c’est aussi un événement. C’est comme pour BDW, dire qu’on n’en parlera pas, c’est aussi une façon d’en parler. Donc moi je ne promets rien et d’ailleurs je joins l’acte à la parole pour vous raconter qu’on a vu BDW dans une salle de cinéma à Anvers accompagné de Liesbeth Homans qui n’est pas sa femme, mais son bras droit à la N-VA. Liesbeth Homans, surnommée la dame de fer, et appelée par certains Margaret Homans, par référence à cette autre iron lady, Margaret Tatcher, a étudié l’histoire à l’Université catholique de Louvain, pardon la Katholieke Universiteit Leuven, avec Bart De Wever, et l’assiste depuis quelques années dans ses combats politiques. C’est elle qu’on voit à ses côtés lors de l’ascension des marches du Schoon verdiep de l’hôtel de ville d’Anvers le soir de la Grande Victoire Électorale Historique. Aujourd’hui elle fait partie de l’équipe qui dirige la ville d’Anvers en tant que présidente du CPAS ET échevine, s’il vous plaît, des affaires sociales, de la diversité, du logement et de l’inburgering. L’association de tous ces vocables et surtout de toutes ces compétences en dit déjà long sur l’orientation politique de l’équipe actuelle. Toujours est-il, qu’ils sont allés voir ensemble Django, unchained, le dernier Tarantino, Bart et Liesbeth. La rumeur ne dit pas s’ils ont ri ou s’ils sont

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restés de marbre – ce qui serait un comble pour une dame de fer – devant ce déchainement de violence typiquement tarantinien c-a-d tellement exagéré que c’est à l’évidence du second degré. Ceci dit, je ne vous parlerai pas du film de Tarantino, car je ne l’ai pas vu, je n’aime pas la violence physique, second degré ou pas, et comme je fais partie de ces personnes qui ont tendance à prendre toutes les images au premier degré, cela m’est donc totalement insupportable. C’est dommage, j’en conviens avec vous, je me prive ainsi d’un petit bijou de l’histoire du cinéma, j’en suis parfaitement consciente.

C

’est d’une autre violence dont je veux vous parler aujourd’hui, la violence symbolique. Prenez le mot « allochtone ». Sensé être le contraire du mot « autochtone » (qui est issu du sol même où il habite, nous dit le Petit Robert, édition de 1981, page 134), le mot « allochtone » ne figure pas dans le dictionnaire, du moins pas dans le mien, qui est déjà assez ancien, c’est vrai. Cela signifiet-il que la langue française, au contraire de la langue néerlandaise, ne distingue pas les autochtones des allochtones ? Un spécialiste me dit que le mot figure au Robert depuis 1993 et désigne un phénomène de géologie : qui provient d’un endroit différent. Exemple : Des

B

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Bart De Wever et son bras droit, Liesbeth Homans

roches allochtones mises en place par action tectonique. Sur internet, je trouve la définition suivante : Se dit d’une espèce animale ou végétale qui n’est pas originaire de la région où elle se trouve. En langue française, « allochtone » ne qualifierait donc que les minéraux, les animaux et les végétaux et pas les humains ? Voilà une découverte intéressante, on comprend mieux encore le fossé culturel qui sépare les flamands des francophones et la lourde tâche qui incombe à Elio di Rupo pour concilier les uns et les autres. Ceci dit, il y en a aussi en Flandre qui trouvent que ce qualificatif « allochtones », c’est franchement stigmatisant. La ville de Gand, suivant en cela l’exemple du quotidien De Morgen, a décidé d’éradiquer le mot « allochtone ». En effet, rien de plus absurde que de dire qu’un Gantois d’origine turque ou marocaine né à Gand n’est pas originaire de la région où il se trouve, en l’occurrence Gand. Qu’ils soient nés ou pas à Gand

d’ailleurs, belges de nationalité ou pas, ils s’appelleront désormais Turcs gantois ou Gantois turcs, mais tous Gantois, nous certifie l’échevin de l’égalité des chances Resul Tapmaz, un Gantois turc selon sa propre définition, puisqu’il est né à Gand en 1977 en tant que petit-fils d’un gastarbeider (littéralement travailleur invité) turc comme on disait à l’époque, venu travailler dans les mines du Limbourg. Gand compte aujourd’hui 160 nationalités, Anvers 175. Avec ses 175 origines différentes, Anvers bat désormais New York ! Mais contrairement à Gand, suivis de Louvain, Genk, Courtrai et Roeselaere et bientôt de Bruges et Hasselt , les trois villes N-VA, Anvers, Malines et Turnhout continuent de penser que le monde se divise en deux : autochtones et allochtones. Pour BDW tout ça c’est de la sémantique. Il préfère les mesures « concrètes ». Exemple : un droit d’inscription de 250 euros pour les étrangers (ou dois-je dire allochtones?)

à Anvers à partir du 1er mai. Certes, 250 euros c’est du concret quand on sait qu’un droit d’inscription coûte aujourd’hui 17 euros. Moi j’appelle ça de la violence symbolique, une façon comme une autre de signifier aux étrangers qu’ils ne sont pas les bienvenus à Anvers mais, pour BDW et Liesbeth Homans, c’est une question de bonne gestion car les frais d’inscription des étrangers s’élèvent en moyenne à 330 euros. D’où sort-il ce chiffre, s’interroge Meyrem Almaci, la chef de file des Verts à Anvers et puis à quoi servent les contributions si ce n’est pour établir un tarif égal pour tous.

A

utre mesure « concrète » à Anvers : l’interdiction de porter un T-shirt arc-en-ciel aux guichets de la ville. Pour votre gouverne, le T-shirt arc-en-ciel est le signe de reconnaissance des homosexuels. Et l’homosexualité, nous dit BDW, c’est comme toutes les autres « obédiences » ça ne s’affiche pas dans un lieu public. Je ne sais pas ce que vous en pensez mais dire que l’homosexualité est une obédience, c’est de la haute sémantique ça. Ou alors c’est une gaffe, mais BDW, faisant face à l’indignation générale, ne l’admettra pas. Au contraire, il nous fait encore une fois le coup du Calimero, de la victime. Tout le monde lui tombe dessus à bras raccourcis « dès qu’il ouvre la bouche ». « C’est scandaleux », a-t-il déclaré dans une interview à la Gazet van Antwerpen. « Je crains que je devrai encore vivre un enfer pendant un an et demie ». L’enfer… rien que ça, si c’est pas de la sémantique ça. ■

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activités

s

vendredi 1er mars à 20h15 Conférence-débat avec Eric

Fassin

autour de son livre

Démocratie précaire. Chroniques de la déraison d’État (Éd. La Découverte) Une déconstruction du discours politique sur l’immigration sous l’ère Sarkozy ainsi que des accents de plus en plus xénophobes qui s’en dégagent. Alors que les populismes se développent dans toute l’Europe, menaçant les démocraties, ce thème ne concerne pas seulement la France, il traverse allègrement les frontières. Eric Fassin est sociologue, professeur en sciences politiques à l’université Paris VIII. Il a surtout travaillé sur la politisation des questions sexuelles et raciales et sur leurs articulations autour de la politique d’immigration. Il fait partie du collectif « Cette France-là » qui vient de publier Xénophobie d’en haut, les choix d’une droite éhontée . Introduction : Mateo Alaluf PAF : 6 €, 4 € pour les membres, tarif réduit : 2 €

vendredi 8 mars à 20h15 Israël-Palestine : Au coeur de l’étau Conférence-débat avec

Alexis Deswaef et Simone Susskind De retour d’une mission en Palestine, le président de la Ligue des Droits de l’Homme publie un récit vivant et bien documenté de l’état de la situation en Israël-Palestine à travers de multiples rencontres avec des organisations et militant-e-s de terrain. (Israël-Palestine : au cœur de l’étau, Couleur Livres, 2012). À ses côtés, Simone Susskind, présidente d’Action in the Mediterranean et préfacière de l’ouvrage. Ensemble ils nous ferons part de leurs analyses de cet « étau » que constituent l’occupation, la colonisation et leurs conséquences. PAF : 6 euro, 4 euro pour les membres, tarif réduit: 2 euro

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samedi 2 mars dès 19h

s e e

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Entrée : en prévente 14 €, 11 € pour les membres et 6 € pour les jeunes et les chômeurs sur place 16 €, 13 € € pour les membres et 8 € pour les jeunes et les chômeurs gratuit pour les moins de 12 ans

Soutien à l’AIC : merci à tou-te-s ! Points Critiques a relayé l’appel de Michel Warschawski pour une récolte de fonds en faveur de l’AIC en grave difficultés financières. Nous avons largement été entendus : nous avons récolté 7780 €. Soyez-en chaleureusement remerciés. Et n’hésitez pas, si ce n’est encore fait, à verser un don sur le compte de l’UPJB BE92 0000 7435 2823 avec la mention « solidarité AIC » : vos dons seront intégralement reversés. Selon Alejandro Hurtado de l’AIC, qui remercie vivement l’UPJB pour sa solidarité, « nous sommes sur la bonne voie, ça a été difficile et ça ne s’arrangera pas de si tôt, mais nous avons réussi à maintenir notre bureau à Jérusalem et nous continuons le combat pour la défense des droits humains en Palestine ».

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activités

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dimanche 24 mars à 15h

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Première en Belgique : Would you have sex with an Arab ? (1h25 – sous-titré en français – 2012) En présence de : la réalisatrice Yolande Zauberman et du coscénariste Selim Nassib Finalement, ce fut une chance de visionner le film dans ses langues originales (hébreu, arabe, anglais) et sous-titré en anglais : je ne connais aucune de ces langues et je devine le global english. La question-titre du film en devient d’autant plus frontale, un corps-à-corps, moins avec l’ennemi supposé (le Juif ou l’Arabe) qu’avec les corps, leurs visages et leurs désirs irrépressibles dans la chaleur de la nuit. Leur beauté ruisselante. La question posée par Yolande Zauberman et Selim Nassib n’est pas Would you make love... ?, quand bien même celle-ci demeure passionnante et passionnelle, tantôt déclinée dans  L’hiver de Rita , l’amour DU poète palestinien Mahmoud Darwich pour une femme juive, ou dans The Bubble du cinéaste Eytan Fox, l’amour d’un Palestinien pour un Israélien, mais  Would you have sex... ? ». Yolande Zauberman promène sa caméra dans les boîtes de Tel-Aviv et traverse la moiteur des décibels, sous le regard des yeux qui brillent. Le film épouse les mouvements organiques des corps déchaînés : un film aux rythmes et aux lumières techno où s’insinue la question au plus intime de l’être dépouillé – ou non – de son identité. Le film nous atteint d’autant plus qu’il fait parler Juliano Mer Khanis peu de temps avant son assassinat et lui est dédié ainsi qu’ à Szimon Zaleski, notre luftmensh à qui nous avions rendu hommage dans Points Critiques. Bref, un film qui donne le tournis tant il entraîne la vie – et la mort –, la paix – et la guerre – dans une bourrasque d’identités à fleur Dessin de Mathieu Burniat de peau. C’est un film aussi qui, par la brutalité fougueuse de sa question, met à l’épreuve le statut de la vérité discursive dans le film documentaire. Gérard Preszow en collaboration avec Jonathan Gross (Entr’act) PAF : 6 €, 4 € pour les membres, tarif réduit : 2 €

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C t d l à a N é t v j

C v l r t a l i v d


e t f

hommage Chawki Armali C’est avec une immense tristesse que nous avons appris le décès de Chawki Armali, qui fut le représentant officiel de l’OLP à Bruxelles de 1984 à 2005, après l’assassinat, en 1981, de Naïm Khader. Naim Khader qui était venu à l’UPJB à l’invitation de Marcel Liebman, bravant ainsi tous les tabous, tant juifs que palestiniens. Chawki avait très vite noué de véritables liens d’amitié avec l’UPJB et occupé à plusieurs reprises notre tribune, notamment, en 1993, mais bien avant cela déjà, avec Matti Peled, ancien général de l’armée israélienne qui s’était ensuite Chawki Armali et Matti Peled à la tribune de l’UPJB en 1993 voué corps et âme à la cause de la paix et de l’avènement d’un État palestinien indépendant et souverain aux côtés de l’État d’Israël. Longtemps considéré comme l’ennemi infréquentable par l’ensemble de la communauté juive, Chawki devint soudain l’invité que la même communauté juive s’arrachait après la signature des accords d’Oslo dans la dynamique desquels il avait placé beaucoup d’espoirs, espoirs malheureusement déçus comme on sait. Nous garderons de lui le souvenir non seulement d’un infatigable défenseur de la cause palestinienne, mais aussi d’un homme plein d’humanité et de bonhommie dont la capacité d’écoute et d’empathie, le sens du dialogue, n’avaient pas de limites. Nous présentons à ses proches, ainsi qu’à ses amis, nos condoléances les plus émues.

En 1999 à la tribune de l’UPJB

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écrire

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Rétro-viseur Fourmisseau (Henri ERlbaum) Ce texte a été écrit dans le cadre de l’atelier d’écriture animé par Lara Erlbaum à l’UPJB

J

e sais quand commence l’adolescence, même si je ne sais pas encore quand cela se termine. Pour moi, l’adolescence commence dans les dunes de Middelkerke. C’est les vacances. Malgré le vent il y a du soleil, et aujourd’hui c’est marée haute. La plage a disparu, noyée par la mer. Les vagues ont recouvert les briselames et sont même remontées jusque sur la digue. Tous les groupes, grands et petits de la colo se retrouvent dans les dunes. Le mono hurle : -À dix, le premier qui n’est pas caché fait la vaisselle et le dernier que je trouve a une surprise en récompense. Je commence à compter.

Nos yeux scrutent l’épaisseur du fourré. D’abord courbés entre les branchages et ensuite à quatre pattes nous commençons à pénétrer dans ce monde inconnu pour disparaître dans un véritable labyrinthe. -DEUX… Elle se retourne, tire sur sa jupe qui remonte, accrochée par les épines. -Suis-moi, lui dis-je. Maintenant nous rampons à plat ventre collés au sable, l’un presque à côté de l’autre. Elle tire encore sur sa jupe. On n’entend rien d’autre que le vent et le souffle de nos respirations. -TROIS.

serre d’une pression douce. Elle a tiré sur sa jupe. -Ne bouge pas… je veux la surprise. Lorsqu’elle s’est retournée pour mieux tirer sur sa jupe — comment, pourquoi, je ne sais pas, sans doute le silence ou le vent… peut-être les épines qui nous chatouillaient et nous griffaient — nos lèvres se sont rencontrées maladroitement. J’ai été saisi et surpris. J’ai eu peur de cette sensation. Elle a tourné la tête et moi j’ai fui et enfoui ma tête dans le sable. Je n’ai plus bougé. Ma main s’est paralysée lorsqu’elle s’est déposée sur sa poitrine. Elle non plus n’a pas bougé. J’avais très, très peur. -CINQ...

-UN… En un éclair tout le monde éclate dans toutes les directions. Elle court, elle est deux mètres devant moi. Pourtant je cours plus vite qu’elle. Dans un creux des dunes se cache une véritable oasis, un bouquet d’arbustes, épineux, touffu et impénétrable. C’est là qu’elle se jette dans le sable chaud et je plonge à côté d’elle, on se regarde. Je lui montre une ouverture. -Par là. Elle me sourit, met son doigt sur sa bouche. -Chut.

Je sais qu’elle s’appelle Cat. Elle n’est pas de mon groupe. On ne s’est jamais parlé. Elle était parmi nous, la semaine passée, dans la pénombre de la remise, lorsque secrètement j’ai aspiré sur ma première cigarette. Ma tête a tourné. Elle a ri quand je me suis enfui en toussant et en crachant la fumée prisonnière de mes poumons. -QUATRE… Pour mieux nous cacher et disparaître sous ce sable chaud je l’ai recouverte de mon corps. Mon bras fait le tour de sa taille et l’en-

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Elle a déposé sa main sur la mienne, je ne savais pas que c’était si doux, si tendre. Je ne savais pas quoi faire et je voulais la récompense. Je voulais tout et je voulais encore une fois… encore une seule fois, avoir très très peur. Maintenant il pleut des cordes, et je ne sais pas quelle cravate je dois me mettre autour du cou pour être en harmonie avec… Et puis zut. C’est moi qui décide et ce sera sans. Et j’ai décidé que c’est dans les Ardennes que l’on passera le week-end avec Lise. Je lui ai promis une balade à vélo. Mais c’est sur la digue en direction de Nieu-

d r o d

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port que nous pédalons. Par la presse, j’apprends que deux hommes ont gravi l’Everest. J’en ai le souffle coupé, où ont-ils puisé la force et le courage d’atteindre le sommet du monde ? En passant devant Middelkerke, je jette un coup d’œil. Je me souviens. Il y avait là une colonie de vacances, ça respirait le Bonheur. J’entends encore le vent chanter la révolution. -SIX... Dans ce silence, nos regards s’évitaient pour mieux se cacher et fuir. J’ai fermé les yeux. Pourtant nos corps se rapprochaient et nos lèvres s’embrasaient. En silence elle m’a donné un baiser. Sa langue a glissé entre mes lèvres et ma main a glissé sur son sein. -Ne bouge pas. Puis, je lui ai rendu son baiser, et encore, et elle tirait sur sa jupe, et encore, c’était doux, tendre, chaud, le sable, le soleil. J’étais chaud et j’avais froid en même temps. Ma main a rencontré la sienne. Elle a remonté ma main jusqu’à sa bouche et elle m’a mordu, très fort. Alors pour me libérer j’ai enfoncé mes doigts dans ses côtes. Elle a ri. On était très chatouilleux. Moi j’en profitais pour la faire rire et la chatouiller tout en la caressant. Elle m’a chuchoté en riant: - Arrête ! Arrête ! Chut ! Bouge plus... Et puis zut, je sais ce que je veux, c’est moi qui décide. Cette barbe ne me va pas. Je rase tout, et tout de suite, ce n’est pas mon genre d’hésiter. Mon transistor m’annonce que

l’homme marche sur la lune. Quelle belle aventure… Lise en entrant dans la salle de bain est surprise mais très spontanément, elle réagit. -Tu es magnifique sans barbe, t’as rajeuni de quinze kilos. Moi aussi j’ai une bonne nouvelle à t’annoncer. Tu m’amènes sur la lune ou à la Côte. Tu m’offres également une glace chocolat chantilly, une balade sur la plage et une nuit à l’hôtel et maintenant en voiture. -Non en moto. -Non en voiture, on part. C’est devant la cathédrale d’Ostende que je coupe le moteur de ma moto, non mais… Je me souviens de la première fois que je suis rentré dans cette Cathédrale. Ce fut le choc. Je suis resté muet d’émerveillement, je ne savais pas que les vitraux pouvaient être si transparents, si étincelants de couleurs, c’était beau. Je n’ai pas oublié. Maintenant nous pédalons à l’intérieur des terres du plat pays, puis nous longeons les dunes de Middelkerke. Je me souviens. C’est là que se faisaient les grands jeux et aussi de grands discours. On échangeait des idées. C’est là aussi, dans les dunes, que j’ai appris l’Histoire et mon histoire. C’est là aussi que je suis devenu Rouge. Et dans ma tête ça chantait et ça dansait. Je me souviens… j’étais Makarenko… j’avais le monde dans ma main. -SEPT… J’aurais voulu qu’il compte jusqu’à mille, jusqu’à la nuit. Dans ma tête, tout se mélange, nos lèvres, mes mains, le sable, ses rires, sa bouche, mes caresses, les épines. Je serre son sein, elle retire ma main, je la fais rire. Main-

tenant je ne sais pas si c’est sa main ou la mienne qui tire sur sa jupe. -HUIT… On avait peur d’être vu et encore plus que le jeu s’arrête. Pas encore, encore. Elle m’a chuchoté. Mords-moi. Je n’ai pas osé. Et c’est elle qui m’a mordu la langue. Très fort. -NEUF… La nuit est tombée brusquement. Tout est noir. Nous roulons en voiture le long du littoral, 60 km de sable fin. Lise et moi nous avons en plusieurs jours fait toute la côte à pied, par la plage à marée basse. D’une frontière à l’autre la radio m’annonce que le record du monde du 100 mètres en moins de 10 secondes vient d’être battu. Cette nuit je ne reconnais rien. Middelkerke a peut-être disparu avec la marée. D’ailleurs il n’y a plus de marée haute qui remonte la digue. On a surélevé la plage de plusieurs mètres. On a construit un casino. Des résidences ont poussé dans les dunes. Le vent ou la nuit ont sans doute tout emporté — même le Lunapark avec son juke-box. Tout a disparu. Mais je n’ai rien oublié. –DIX… On écoutait le silence, le vent. Dans une moue de défi que je ne comprends pas, cette fois-ci elle a tiré… la langue. Pour la première fois aussi elle a laissé sa jupe, doucement, glisser. Alors je… je… j’ai levé la tête et… j’ai fait la vaisselle. ■

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écrire Un père, une mère, c’est complémentaire... elias preszow

« Créer, c’est dénoncer. Se retirer. Couper les ponts. Être contre. La révolte, le mépris, le cynisme, le scandale, l’hermétisme, la démesure ou le délire marquent la poignée de grands livres que nous admirons. Les lieux que des hommes de cette envergure ont hantés, et sillonnés en profondeur leur vie durant deviennent pour longtemps inutilisables. Ils nous forcent à émigrer de nousmêmes. »

I

l y a le désir, violent, irrésistible, improbable, d’écrire l’article. Là, tout chaud, qui monte, pousse, souffle, qu’il faut retenir le temps de chercher, au pas de course, le café propice où s’asseoir pour, enfin, répandre le verbe sur le marbre froid de la table : partout. Devenir l’écrivain de l’article – idée ahurissante –, d’un livre tout entier même peut-être, pourquoi pas. Si vous saviez comme je tremble. Le garçon se fait d’ailleurs un peu de souci sur mon compte. Ca doit être le visage, probablement. Je n’ai pas encore le sujet (comme vous vous en doutiez sûrement), ni beaucoup dormi, mais ne vous inquiétez pas, les pensées se rassemblent autour de moi avec force et prodigues, entamant une de ces danses totémiques dont elles ont seules le secret ; en bloc massifs, en fines étincelles sug-

gestives, les idées, telles des secousses chatoyantes de clartés, ruissellent devant mon regard étourdi. Croyez y ou non, me voilà traversé de toute part. Il y en aura pour tous les goûts, promis ! De sorte que je pourrais gribouiller des heures durant pour votre bon plaisir, et le mien par la même occasion. Je ferme les yeux, me ressaisi un instant, cherche à mettre la main sur le peu de dignité dont je suis encore capable, tente de retrouver mon sang froid… le perds,… cherche mes mots, les trouvent : c’est parti mon kiki. Déjà, pendant la nuit, réveillé par le besoin effroyable de prendre des notes, j’avais ruminé jusqu’à l’aube un reste de cauchemar un peu tiédasse, faute d’avoir pu dénicher dans le périmètre du lit le moindre stylo, bic ou crayon – à cette heure quasi-matinale, je ne suis que peu regardant quant aux choix des armes. Mais, une fois dans la librairie : Le bal des ardents, n°17, rue Neuve, 69001 Lyon, l’intuition de l’article a fondu sur moi comme l’éclair. Ah oui, au fait, je vous parle depuis Lyon. La ville de Calaferte. Comment aije pu survivre jusqu’ici sans jamais avoir entendu ne fut-ce que le nom d’un tel géant ? On n’apprend vraiment rien qui vaille en nos établissements scolaires, mon frère vous le chanterait mieux que moi – les poivrots irlandais, quant

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à eux, apprécieront  ! Heureusement F(rançois) a remédié à cette regrettable lacune en m’ouvrant sa bibliothèque. C’était il y a 4 jours, à peine (400 pages, tout de même, sans compter les visites). Ce génial mystique, judéo-ritale, s’y trouvait bien à son aise, trônant au milieu de ses comparses dégénérés, entre chiens et loups. La nuit du 28 au 29 janvier, je me donc suis plongé avidement dans Septentrion. Happé, serait plus exact ; inondé par ce flot infini d’images lézardées d’hurlantes poésies : trépanation immédiate. Un rythme, un tintement fabuleux composé de glapissements érotiques et de déglutitions belliqueuses. Bouleversement. Guerre à la Connerie systématique, sous toutes ses formes, personne n’en échappe – ni toi, ni moi, ni eux,… personne, vous dis-je ! Aucune issue. Comme dans Tarantino, en mieux. Diable ! Quel sublime carnage. Longue plainte ou furtive prière, je ne sais trop bien ; folie furieuse, à l’état brut, langage de clameur et de tumulte. Nuits magiques passées, au près de ce vagabond, amoureux des « cloaques » ; avides de femmes, de bonne chaire et surtout, loin avant toute chose, de livres, de l’Esprit vivant, turbulent, voltigeant par delà bien et mal comme un aéronef perdu dans quelque Voie lactée ! Pareil qu’avec un certain

M s r f j g s c m s l b v L e l s

c ( 1 d t v t c d c g L t c e m v d j j r v r e t s ( e t

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e t 4 e . , s . e t t s . s e s n … n e . s s e t t r e n

Miller, il est difficile de ne pas se laisser contaminer ; les neurones comme violés par les déflagrations lyriques. Alors, si aujourd’hui, 2 février de l’an de grâce 2013, je prends chaleureusement la peine de vous en toucher un mot, c’est sans doute pour me délivrer cette singulière puissance qu’a infiltré Calaferte dans l’antre chimérique de ma calebasse. Débarrassez-vous comme vous pourrez de ce poison. Ainsi, Lui rendre ce modeste hommage, en votre agréable compagnie, par les soins de notre admirable Mensuel. Auguste Points Critiques. Et puis, si je divague un peu c’est que dans le train d’aller (Bruxelles-Lyon = 4h en TGV = 120 euros avec le retour = miracle du Kapital), j’étais sur le point de terminer Coma, de Guyotat, alors vous comprenez… Que vous captiez ou pas, d’ailleurs qu’importe, cela ne m’empêchera nullement de revenir vers notre capitale chérie, avec sous le bras, la Dignité Humaine de mon pote Pico ! Le cœur plein de bonne résolution en vue de l’Apocalypse, encore et toujours à venir. Ah oui, en passant, bonne année quand même, un zeste décalée il est vrai, et pour cause. En attendant de vous faire la baise sur les deux joues (que vous avez fort belles, je crois), un feu de joie palpite furieusement dans ma petite cervelle, de sorte que partout c’est rouge, jaune, vert, fuchsia, etc.… etc.… phénoménale hallucination que je vous partage généreusement et dont 3437 caractères (avec les espaces) nous séparent exactement du terme, alors profitez en… « On va remettre ça, d’accord. Peut-être que je me suis gouré du tout au tout sur ma personne. Rien ne prouve que j’aie le plus petit

talent. Admettons. On me retrouvera pensionné du travail, avec une nombreuse petite famille, les lardons aux joues roses qui éclairent de la fraîcheur de leurs rires les crépuscules de mes ans. Mon cul  ! Je préfère crever sur un banc dans la rue, les encombrer de mon cadavre, que ça les choque une dernière fois. » Un instant, que je remercie le garçon pour sa clémence ainsi que pour son délicieux expresso. Voilà,… « Je » suis à vous : Ce feu d’artifice, cosmique, – en tout genre et de toute espèce – titanesque, en moi et autour de moi, à l’intérieur de vous, assurément quant on regarde bien, avec les lunettes ad hoc. Pour mon compte, « Je » me promène en pensée le long des berges du Rhône, flânant doucement de-ci, de-là, aux grés des indécisions atmosphériques. Me demande à quoi peut bien rêver un jeune idiot de touriste bruxellois, soi-disant solitaire, qui se prendrait tout à coup à déverser son trop plein de phantasmes sur une page vierge, le dos bien callé dans une chaise de bistrot au dossier métallique ; image assez comique, n’est-il pas ? Sans compter le non-sens abrutissant qui rôde alentour : spectacle de la ville-playmobile, toute gentille, bourgeoise, coquine affairée à séduire le premier chaland venu. Et puis, soudain, cette sérénité apaisante, ce doux clapotement du compère de la Sône, avec, au loin, les nuages qui émanent des Alpes comme un subtil parfum de moutonneuse mélancolie. Les promeneurs et leurs chiens, leurs femmes, leurs enfants qui marchent lentement sur les quais, font leur jogging, roulent à vélo, en trottinette,... ou contemplent simplement le cours majestueux de cet amas d’eau au nom che-

valeresque, le Rhône : touchant tableau, vraiment. Silence, oubli, bruissement d’absolu dans les ruines saturées de notre contemporaine médiocrité. On pense subliment à Chagall ! Le coq et la danseuse, comme jaillis de la palette de l’artiste, planant au-dessus du shtetl originel, dans le musée des Beaux-Arts (gratuit pour les étudiants), spectateurs indiscrets de la Cathédrale de Saint Nicolas de Staël, qu’il faut mentionner, histoire de ne rien regretter. Enfin et surtout, le cloître, – parc ou square, choisissez –, juste devant le musée, très tranquille avec les jeunes « pélots » et leurs joyeux casse-croûte. Après tout, il faut bien manger. «  J’avais peut-être faim d’une faim plus profonde sans le savoir. (…) Sans doute en va-t-il des mots comme de la faim, et que c’est un autre appétit qui nous accapare ? » Après tout, je n’ai plus de papier. L’article est pour cette raison terminé, en bonne entente avec le rédacteur en chef de notre admirable Mensuel. Le voyage à Lyon, amplement justifié à mes yeux, sera peut-être même remboursé par notre vénérable organisation si prodigue pour les plus enthousiastes des plus jeunes – désormais – membres... Et vous, Lecteur, grâce à votre regard attentif, vous m’allégez gratis d’un poids ineffable de sorte que j’ai du mal à ne pas vous remercier. Pour le café ça fera 1,5 €. Ca va encore, non ? Encore… « Mange au rabais, sandwich et café. Répugnance à reprendre contact avec les amis. Me trouve bien dans ma solitude. Si l’on parlait une autre langue autour de moi, ce serait parfait. » ■

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UPJB Jeunes Revisiter les sixties julie

P

our ceux qui ont moins de 20 ans aujourd’hui, c’est-à-dire nous à l’UPJB-Jeunes, il est difficile d’imaginer un monde sans gsm ni Internet, un monde où les Noirs des USA n’avaient pas accès aux écoles, aux magasins et aux restaurants des Blancs, un monde où la coexistence pacifique n’était pas une priorité, un monde où les femmes disposaient de très peu de droits, un monde où les jeunes n’avaient pas de véritable statut. Pourtant, telle était encore la situation à l’aube des années 60. Ce dernier camp de Carnaval aura été l’occasion de faire un saut en arrière de quelques décennies. On a choisi un moment où sur tous les continents s’ouvre une période de bouillonnement qui s’est exprimée par d’impressionnantes transformations et un profond changement dans le comportement des hommes. Ce

fut bien et bien la décennie de toutes les révolutions. Un élan révolutionnaire traverse l’économie, la culture, la musique et la politique. Vous l’aurez compris, nous sommes en plein dans les années 60. Durant cette semaine, les jeunes auront eu l’occasion de se plonger dans l’atmosphère particulière des Golden Sixties. Les Juliano feront un détour par l’Exposition Universelle de Bruxelles et son Atomium symbolisant. Tous aurons pris la place du tueur Lee Harvey Oswald dans sa cache de la Dealey Plaza, à Dallas. Les trois coups de feu tirés sur le président Kennedy lui auront été fatals. Un minibus (boîte à petits mots) nous a tous emmenés jusque Woodstock, où les vinyles célèbrent le « Flower Power  ». Alors que le local de veillée se rempli d’hippies et de rockers, la soirée sixties résonne sur des airs de Claude François, John Lennon, Brigitte Bardot, Syl-

vie Vartan et des Beatles ; certains apprennent à danser le twist et le madison, d’autres jouent au twister et font du hula hoop. Partis à la conquête de l’espace, nous ferons également nos premiers pas sur la Lune. Mais aussi la perte du Congo pour la Belgique et l’Afrique aux africains, Mao et sa révolution culturelle en Chine, Mai 68, quizz musicaux aux allures yéyé, etc ... Par ailleurs, la peur du communisme et ses troupes asiatiques investiront le Grand Jeu qui aura ressassé les grandes lignes de la Guerre du Vietnam : l’armée américaine et les Viêt-Cong s’affrontent tandis que le milieu contestataire américain s’insurge contre cette guerre. Alors que dans un coin on chante, dans un autre on rigole ou on bricole, dehors on joue au foot ou au base-ball, le semaine fut haute en couleurs et révolutions ! Vous aurez compris que les révolutions politiques, cultu-

Le groupe des Jospa, se préparant au rôle de moniteurs, fonction qu’ils devraient endosser d’ici l’année prochaine, ont eu l’occasion de rencontrer Gérard Preszow pendant une matinée. L’objectif de l’atelier était d’échanger ensemble sur l’UPJB, son mouvement de jeunesse et les valeurs qui l’animent depuis son existence ainsi que de mettre en exergue ce qui le différencie des autres mouvement de jeunesse juifs bruxellois. La rencontre a constitué un échange riche en apprentissages et sensations pour les deux parties. Voici un bref compte-rendu de la rencontre par les Jospa : « En début de camp, nous avons rencontrés Gérard dans le but de réfléchir aux valeurs véhiculées par l’UPJB. Nous avons commencé par retracer brièvement les évènements importants de la vie des figures qui ont donné leur nom aux groupes anciens et actuels de l’UPJB-Jeunes. Zola, Jospa, Korczak, Mala, Jara, Luther King, Arna Meir, etc. La seconde partie de la discussion a portée sur la prise de position de l’UPJB vis-à-vis des autres mouvements de jeunesse juifs à Bruxelles sur la question israélienne. Notre position par rapport à la politique israélienne, une explication du sionisme,... Nous sommes ressortis de cet atelier avec des idées de lutte renouvelées et la nécessité de faire survivre ses valeurs, chères à nos yeux, à l’avenir ».

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Carte de visite L’UPJB Jeunes est le mouvement de jeunesse de l’Union des progressistes juifs de Belgique. Elle organise des activités pour tous les enfants de 6 à 15 ans dans une perspective juive laïque, de gauche et diasporiste. Attachée aux valeurs de l’organisation mère, l’UPJB jeunes veille à transmettre les valeurs de solidarité, d’ouverture à l’autre, de justice sociale et de liberté, d’engagement politique et de responsabilité individuelle et collective.

relles, technologiques ont envahi Wiesmes pendant tout le camp. C’est l’ancien monde qui s’est effondré pour faire place au nouveau ! Afin de vous imprégner de l’ambiance générale du camp, voici un extrait du « monos show » de fin de camp : « Malgré l’anxiété d’y arriver, une fois sur place, la magie upjbienne nous envahit. À ce camp, la troupe des Marek nous a submergé par son énergie explosive. Nos petits derniers nous ont une fois de plus emmenés dans leur monde magique, drôle et tragique. Les Korczak nous ont épatés avec leur générosité à la participation aux activités et leur union qui se développe de jour en jour. Merci aux Zola pour leur esprit de groupe et leur spontanéité à venir en aide aux premiers hippies du coin. Les plus grands, surprenants à ce camp pour leur discrétion et leur efficacité dans la journée monitorat. [...] Malgré les pétages de plombs, aussi bien électriques que psychologiques, le froid et les activités massacrantes, nous sommes tous ensemble, tous unis, tous puants, tous boueux, tous bruyants et le camp est une fois de plus géant ». Pour finir, on vous invite à visionner la rétrospective des Golden Sixties de « UPJB TV », reportages produits par les enfants et disponibles sur le page Facebook UPJB-Jeunes. ■

Chaque samedi, l’UPJB Jeunes accueille vos enfants au 61 rue de la Victoire, 1060 Bruxelles (Saint-Gilles) de 14h30 à 18h. En fonction de leur âge, ils sont répartis entre cinq groupes différents.

Bienvenus

Les pour les enfants nés en 2006 Moniteurs : Léa : 0487.69.36.11

Juliano Mer-Khamis

Les 2005 Moniteurs : Milena : 0478.11.07.61 Selim : 0496.24.56.37 Axel : 0471.65.12.90

pour les enfants nés en 2004 et

Marek Edelman

Les pour les enfants nés en 2002 et 2003 Moniteurs : Sacha : 0477.83.96.89 Lucie : 0487.15.71.07 Tara-Mitchell : 0487.42.41.74 Youri : 0474.49.54.31

Janus Korczak

Les pour les enfants nés en 2000 et 2001 Moniteurs : Charline : 0474.30.27.32 Clara : 0479.60.50.27 Jeyhan : 0488.49.71.37

Émile Zola

Les pour les enfants nés en 1998 et 1999 Moniteurs : Sarah : 0471.71.97.16 Fanny : 0474/63.76.73

Yvonne Jospa

Les pour les enfants nés en 1996 et 1997 Moniteurs : Maroussia : 0496.38.12.03 Totti : 0474.64.32.74 Manjit : 0485.04.00.58

Informations et inscriptions : Julie Demarez – upjbjeunes@yahoo.fr – 0485.16.55.42

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vie de l’upjb Les activités du Club Sholem Aleichem Jackie Schiffmann

17 janvier : Jacques Aron. Assumer l’histoire, grandeur et tragique de la condition juive en diaspora Nous étions nombreux à écouter Jacques faire le point sur son parcours des 20 dernières années, à travers ses livres. Enseignant et auteur de livres sur l’architecture dont l’Anthologie du Bauhaus, l’homme de plume qu’il est, une fois retraité, s’est lancé dans le récit et l’analyse de son propre itinéraire familial, politique, intellectuel et identitaire. Dans quel contexte, dans quel but et sur quels thèmes ? Les nationalismes, celui de l’Allemagne d’avant guerre, le communisme auquel il avait adhéré et sa chute, le sionisme auquel il s’oppose, le conflit Israélo-palestinien. Mais au départ, ce fût pour répondre au désir de son fils de connaître l’histoire familiale. Et ce sera en 1997 L’année du souvenir, la famille, le communisme, etc.., ré-édité en 2009, où il livrera son histoire familiale en se mettant à nu. Suivra en 1999 La mémoire obligée, et en 2010 Israël contre Sion.Dans cette Mittel-Europa dont il est issu, l’Allemagne, dont il maîtrise la langue et l’histoire, est pour lui un centre d’intérêt majeur. Les espoirs déçus de la République de Weimar, la montée du nationalisme et du nazisme, les parcours tourmentés de tous ces intellectuels et

philosophes qui étaient de parfaits Allemands d’origine juive, comme Jacques se dit belge d’origine juive, et dont la « judéité qui n’est pas le judaïsme », ne se définissait que par une communauté de destin. Des portraits qu’il a tracés de ces penseurs juifs allemands, émerge celui de Constantin Brunner, dont il se sent très proche, et dont il traduira et publiera en 2012 certains ouvrages en les commentant. Avec Le Sionisme n’est pas le judaïsme : essai sur le destin d’Israël, publié en 2003, se développe le second thème important de Jacques Aron, son analyse critique fouillée du sionisme. Impossible de résumer de manière exhaustive l’exposé de Jacques Aron ainsi que les nombreux échanges intéressants sur l’identité juive qui ont suivi. Il vous faudra donc le lire ! 24 janvier : Jean-Philippe Schreiber, professeur à l’ULB, ex-directeur du CIERL, nous a parlé de son livre La crise de l’égalité, essai sur la diversité multiculturelle L’orateur exprime son inquiétude face à la régression de nos démocraties, en ce qui concerne l’égalité entre citoyens, et face à la gestion publique de la diversité. Paradoxalement, malgré la sécularisation et la laïcisation croissantes, nous sommes

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aujourd’hui saturés par le religieux et par ses revendications particularistes. Des rapports sociaux qui découlaient des situations économiques et des inégalités sociales, on est passé à la « culturalisation des rapports sociaux », entre groupes ethniques à revendications divergentes au nom de la diversité culturelle. Les groupes minoritaires se disent opprimés par la culture dominante, à la fois sur le plan social et culturel. On a cru compenser les inégalités sociales qui frappent la population immigrée musulmane, en satisfaisant des revendica-

l l m p s m L e c l l m c r r c q m r c o d

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est le mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique (ne paraît pas en juillet et en août) L’UPJB est soutenue par la Communauté française (Service de l’éducation permanente) Secrétariat et rédaction : rue de la Victoire 61 B-1060 Bruxelles tél + 32 2 537 82 45 fax + 32 2 534 66 96 courriel upjb2@skynet.be www.upjb.be

tions particularistes religieuses au détriment des valeurs démocratiques de liberté, d’égalité et de fraternité, mais cela débouche sur la fragmentation de la société. La gauche aussi se divise sur la question. Les «  multiculturalistes »prônent les accommodements raisonnables, pour compenser et réparer les inégalités sociales dont sont victimes les minorités issues de l’immigration. Les « universalistes », égalitaires et laïques ne souhaitent pas inscrire des revendications particularistes dans le droit. Jean- Philippe Schreiber se dit pluraliste mais anticlérical, non contre les croyants mais contre les lobbys religieux qui veulent nous faire régresser et il défend une laïcité équilibrée, qui ne peut être que progressiste et universaliste, même si cette laïcité doit être repensée, et non dévoyée comme c’est le cas par Riposte laïque ou par Martine le Pen. Belle audience et débat intéressant. 31 janvier : projection du film d’Andrzej Wajda sur l’histoire de la vie de Janusz Korczak, médecin-pédiatre d’un orphelinat à Varsovie, qui choisit d’être déporté à Treblinka avec les enfants juifs dont il avait la charge 7 février : Henri Wajnblum, rédacteur en chef de Points Critiques, et notre spécialiste du conflit au Moyen-Orient, nous a

Comité de rédaction : Henri Wajnblum (rédacteur en chef), Alain Mihály (secrétaire de rédaction), Anne Gielczyk, Carine Bratzlavsky, Jacques Aron, Willy Estersohn, Tessa Parzenczewski

J. Korczak vu par A. Wajda

exposé et commenté la situation israélienne, suite aux élections du 21 janvier. Quelques surprises mais pas selon lui de modification sensible du rapport des forces. Voir son article détaillé dans ce numéro. ■

Ont également collaboré à ce numéro : Roland Baumann Julie Demarez Fourmisseau (Henri Erlbaum) Solal Israel Antonio Moyano Elias Preszow Gérard Preszow Jackie Schiffmann Bernard Stevens Conception de la maquette Henri Goldman Seuls les éditoriaux engagent l’UPJB. Compte UPJB IBAN BE92 0000 7435 2823 BIC BPOTBEB1 Abonnement annuel 18 € ou par ordre permanent mensuel de 2 € Prix au numéro 2 € Abonnement de soutien 30 € ou par ordre permanent mensuel de 3 € Abonnement annuel à l’étranger par virement de 40 € Devenir membre de l’UPJB Les membres de l’UPJB reçoivent automatiquement le mensuel. Pour s’affilier: établir un ordre permanent à l’ordre de l’UPJB. Montant minimal mensuel: 10 € pour un isolé, 15 € pour un couple. Ces montants sont réduits de moitié pour les personnes disposant de bas revenus.

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agenda UPJB

Sauf indication contraire, toutes les activités annoncées se déroulent au local de l’UPJB, 61 rue de la Victoire à 1060 Bruxelles (Saint-Gilles)

vendredi 1er mars à 20h15

Conférence-débat avec Eric Fassin Démocratie précaire. Chronique de la déraison d’État (voir page 24)

samedi 2 mars dès 19h

Grand Bal yiddish de l’UPJB à la Maison Haute à Boitsfort. Avec le Yiddish Tanz Rivaïvele et le traditionnel mega-buffet (voir page 25)

vendredi 8 mars à 20h15

Conférence-débat avec Alexis Deswaef et Simone Susskind. Israël-Palestine : Au coeur de l’étau (voir page 24)

dimanche 24 mars à 15h

Première en Belgique : Would you have sex with an Arab ? En présence de la réalisatrice Yolande Zauberman et du coscénariste Selim Nassib (voir page 26)

club Sholem Aleichem Éditeur responsable : Henri Wajnblum / rue de la victoire 61 / B-1060 Bruxelles

Sauf indication contraire, les activités du club Sholem Aleichem se déroulent au local de l’UPJB tous les jeudi à 15h (Ouverture des portes à 14h30)

jeudi 7 mars

Projection de la 1ère partie du film, La Bible Dévoilée : Les révélations de l’archéologie. réalisé d’après le livre Best–Seller d’Israël Finkelstein et Neil Silberman. Ce livre confronte les récits bibliques avec les découvertes récentes de l’archéologie et celles des savants biblistes de nombreux pays.

Marie-Noëlle Philippart viendra nous parler de son livre, Été 42 : Des Étoiles jaunes à la Dolomie. La découverte 70 ans après, d’un camp de travailleurs obligés, pendant la guerre à Merlemont. Elle sera présentée par notre amie Bella Wajnberg (comédienne au théâtre et au cinéma) qui y fut « enfant cachée » dès l’âge de 12 ans.

jeudi 14 mars

jeudi 21 mars

Les changements climatiques sont-ils une réalité ? Que va-t-il se passer ? Qu’est-ce qui permet de dire que les activités humaines perturbent le climat actuel ? Quels sont les scénarios ? Avec Edwin Zaccaï, directeur du Centre d’Études du Développement durable (ULB).

jeudi 28 mars

Prix : 2 euro

Le temps de lire  : « Vie et mort pour la poésie, l’œuvre du poète russe Ossip Mandelstam,victime du stalinisme », par Tessa Parzenczewski, chroniqueuse littéraire à Points critiques.

Les agendas sont également en ligne sur le site www.upjb.be


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