n°333 - Points Critiques - février 2013

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mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique février 2013 • numéro 333

Bureau de dépôt: 1060 Bruxelles 6 - P008 166 - mensuel (sauf juillet et août)

à la une Flandre : le maintien du cordon sanitaire n’empêche pas la droite de gouverner Eric corijn*

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e « cordon sanitaire » estil rompu à Denderleeuw ? La coalition N-VA-CD&V (11 sièges) a eu besoin du soutien des 3 Vlaams Belang pour s’imposer devant la coalition SP.A-Open VLD (11 sièges). Situation bloquée, non pas seulement par le nombre de sièges dans chaque camp, mais surtout en raison des rapports personnels exécrables entre le bourgmestre SP.A Jo Fonck et son ancien échevin et rival CD&V Jan De Nul. Le tout se combine avec des liens politico-familiaux entre les socialistes et les libéraux ainsi

que des contentieux sur plusieurs projets… Cette histoire de politique de village, ne pouvant se régler par un arrangement politique traditionnel, a donc mis en péril un principe qui a tenu bon pendant plus de 20 ans et quelques dimanches noirs. En effet, le « cordon sanitaire » autour du Vlaams Blok/Belang constitua une réaction au premier « Dimanche Noir » du 24 novembre 1991. Le VB y obtient 405.000 voix, presque 7% et saute à 12 sièges. C’est une percée. Le système politique est secoué. Le clivage entre le citoyen  et la politique  est pa-

BELGIQUE-BELGIE P.P. 1060 Bruxelles 6 1/1511

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sommaire à la une

israël-palestine

tent. Nous devons réagir. Il faut impérativement bloquer la montée de l’extrême droite, tout en créant un mouvement de re-politisation de la société, contrant les effet désastreux de la crise économique et de l’emploi, amplifié par la crise du politique et par la culture de consommation. Initié par des intellectuels, des artistes et la société civile, le mouvement de citoyens Charta 91 voit le jour. L’initiative veut débattre à fond de la dynamique sociétale « tot het onzalige tij is gekeerd » (Phrase emblématique que Hugo Claus ajoute à la fin du manifeste : « jusqu’au retournement de la vague satanique ». Pour les archives voir : http://www.charta91. be/). Le lancement a lieu le 8 février 1992. Les premières années, le réseau s’étend à quelques milliers de participants. C’est dans le giron de Charta 91 que l’idée du « cordon » s’est développée. Il s’agissait de délimiter le camp des partis démocratiques face à un parti raciste et antidémocratique et d’éviter la formation de coalitions entre la droite démocratique et le VB. L’idée d’une Forza Flandria était en effet portée par certains cercles de l’establishment. Le cordon devait consister en un accord politique de ne pas faire entrer le VB dans les jeux et les coalitions des conseils ou des exécutifs. C’est d’abord un principe : on ne traite pas avec des partis racistes. Ce n’est qu’en deuxième lieu une tactique. Le principe a été élargi par certains au refus de débat, ou de médiatisation, ou de toute représentation. Il est a noter que cette interprétation large se pro-

1 Le maintien du cordon sanitaire

4 Israël : à l’extrême droite toute ?............................................. Henri Wajnblum

lire

6 Leila et Sarah. Un itinéraire mortifère.............................Tessa Parzenczewski Combattants juifs dans la guerre d’Espagne........................................................ Deux mammys, des femmes fatales.......................................... Antonio Moyano Nathalie Chauvier, Poésies.........................................................Frédéric Thomas

humeurs judéo-flamandes

12 Chronique populiste......................................................................Anne Gielczyk

yiddish ? yiddish !

! wydYy ? wydYy

14 got hot farbahaltn zayn ponem - Dieu s’est voilé la face.......Willy Estersohn

mémoire

16 La reconstruction de Varsovie et les vestiges du ghetto.....Roland Baumann

réfléchir

18 Circoncision, suite et fin ?............................................................... Jacques Aron

hommages

20 Nicolas Haber…………………………..................................... Anne Schiffmann Mireille Karolonski-Zimmerman.............................................. Mina Kostelaniec Jo Dustin (rétrospective)

droit de réponse

22 Á propos de la Syrie....................................................................... Pascal Fenaux

activités upjb jeunes

vie de l'UPJB

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28 Quelques nouvelles de l’UPJB-Jeunes......................................... Julie Demarez

30 Les activités du Club Sholem Aleichem ............................. Jackie Schiffmann

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à la une

les agendas

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duit surtout là ou l’on ne doit pas affronter directement un électorat du VB… L’idée d’un isolement politique du Blok est portée par Jos Geysels, dirigant d’AGALEV. Il en parle déjà, le 10 mai 1989, lors d’une intervention au congrès des Jeunes socialistes. Sa proposition est alors rejetée par le président de la Volksunie Gabriels. D’autres appels avant les élections de 1991 échouent également. Mais le lancement, en juin 1992, du programme raciste en 70 points du Vlaams Bloket des incidents lors de la fête du 11 juillet à Bruxelles, débloquent la situation. Le Vlaamse Raad condamne unanimement le programme en 70 points du Vlaams Blok. Charta 91 lance alors au début de 1993 un appel de 200 « Bekende Vlamingen » et Jos Geysels continue à labourer le terrain politique. Non sans mal et après l’alignement de plus de 600 mandataires politiques, on aboutit à la signature d’une déclaration commune de tous les partis avant les élections de 1994. Ce « cordon sanitaire » - soit ne pas conclure de coalitions avec le Vlaams Blok – a tenu bon pendant plus de 20 ans. Quoi qu’on en dise et nonobstant un débat continu sur le principe, il n’y a pas eu en Flandre, comme en France ou en Autriche, une majorité exécutive avec le parti raciste. Il est trop facile de faire de la surenchère sur le passage du VB dans les médias, sur ceux qui ont accepté de débattre avec les dirigeants du parti ou sur toute autre interaction. Le fait est que le VB n’a gouverné nulle part. Tel est l’effet pratique

du principe. Mais cela a-t-il stoppé l’évolution vers la droite de la société ? Bien sûr que non. Un signal clair a par contre été donné à cette droite : il n’était pas question de faire l’amalgame entre le populisme raciste et le nationalisme ou le néolibéralisme pour construire un axe de droite. C’est ce que le projet politique de la N-VA a bien intégré. La N-VA construit un pôle nationaliste de droite, avec des relents autoritaires et répressifs mais ouvertement antiraciste. Elle s’adresse à l’électorat du VB et l’a gagné pour moitié. Elle s’adresse au patronat flamand et avec l’aide du VOKA est devenu un axe acceptable. Elle s’adresse à la base conservatrice du CD&V, et avec l’aide de l’expérience du kartel entre 2004 et 2008, a détaché une bonne partie de la base droitière du parti social-chrétien. La N-VA est ainsi devenue, non seulement l’expression radicale du nationalisme en Flandre, mais aussi l’axe pour une politique, de droite, agressive et conservatrice. Cet axe fonctionne déjà, attirant le CD&V et le VLD dans des coalitions contre la gauche, non seulement à Anvers mais dans de multiples communes. Le centre politique en Flandre se détache du consensus social, pour se placer dans la perspective de la compétitivité mondiale, soit le modèle Allemand. De Wever veut construire la Bavière du nord. Et il faut dire qu’au niveau politique, le camp de gauche en Flandre balbutie et cherche encore ses marques face à cette offensive. Le cordon sanitaire est-il donc rompu à Denderleeuw ? Formelle-

ment non. Il n’y a apparemment pas eu d’accord politique négocié entre le bloc N-VA-CD&V et le VB. C’est le VB qui a donné ses voix à un des deux camps minoritaires. Et, plus important encore, tous les partis démocratiques ont dans ce débat reconfirmé leur attachement à l’oukase contre le Vlaams Belang. Bien qu’il faille toujours rester vigilant, il faut aussi savoir focaliser le diagnostic. En Flandre, le Vlaams Belang est en chute libre. Mais en même temps, partiellement à cause de cela, le centre de gravité politique s’est notablement déplacé vers la droite. La N-VA propose au CD&V et au VLD de constituer un front pour exclure la gauche, le SP.A en tête, des coalitions. C’est cela qui va être le produit politique de la « crisette » de Denderleeuw : pour « sauver la démocratie » la coalition SP.A-VLD va être défaite en faveur d’une majorité NVA-CD&V et Open VLD. Un front de droite pour maintenir le « cordon sanitaire », tel est la ligne politique de la N-VA. En « pays francophone », il faudra adapter les formules démagogiques : ainsi les Flamands ne seront désormais plus tous des « fascistes racistes », mais des « nationalistes de droite ». Plus sérieusemen, au delà des formules, il est temps maintenant de réfléchir à comment « retourner la vague satanique  ». Et cela nécessitera le dépassement des analyses tribales des deux côtés de la frontière linguistique…■ * Eric Corijn est membre fondateur de « Charta 91 », professeur à la VUB et président du think tank bruxellois « Aula Magna »

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israël-palestine Israël: à l’extrême droite toute ? Henri wajnblum

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es impératifs d’impression sont parfois extrêmement frustrants. Ce numéro de Points critiques a en effet du être envoyé à l’imprimeur le 21 janvier pour qu’il puisse vous parvenir avant le 1er février. Le 21 janvier… soit la veille des élections législatives israéliennes  ! Mais peu importe après tout. Les jeux semblaient en effets être faits depuis un bon bout de temps et tout portait donc à croire au moment où ces lignes étaient rédigées que les grands vainqueurs seraient… la droite extrême représentée par le Likoud de Binyamin Netanyahu et l’extrême droite représentée par Israel Beteinou (Israël notre Maison) d’Avigdor Lieberman et Habayt Hayehudi (le foyer juif) de Naftali Bennet. En fait, surtout le parti du millionnaire, et ancien chef de Cabinet de Netanyahu, Naftali Bennet, Habayt Hayehudi dont tout porte à croire qu’il fera un – grand bond en avant, passant de 3 sièges sous la précédente législature à 13 à 15 sièges sous la nouvelle. Habayt Hayehudi est né en novembre 2008 de la fusion des partis National religieux, Moledet et Tkuma. On n’arrête pas de nous dire que, selon tous les sondages, la société israélienne veut la paix et est prête à reconnaître un État palestinien, ce que viennent de faire les Nations unies. On a beau faire, on a réellement peine à le croire.

Car, s’il en était ainsi, comment expliquer qu’elle porte au pouvoir les opposants les plus résolus à toute reconnaissance du droit du peuple palestinien à accéder à l’indépendance. Pire encore, si l’on peut dire… cette même droite israélienne n’a plus aucun état d’âme à débattre publiquement de l’annexion pure et simple de la Cisjordanie,

nexion » et « Le statut des Arabes de Judée-Samarie après l’annexion »… Excusez du peu ! Des déclarations édifiantes ont émaillé ce fameux colloque… « Il faut commencer à en parler car cette question sera, je l’espère, à l’ordre du jour du prochain gouvernement  », a ainsi déclaré le ministre de l’Information, Youli Edelstein. « Notre droit historique

Naftali Bennet, futur « roi d’Israël » ?

ou à tout le moins d’une partie de celle-ci… C’est ainsi que des membres éminents de trois partis candidats au pouvoir ont animé, en décembre, devant un parterre de plusieurs centaines de participants, dont une majorité de colons, un colloque sur les thèmes… « Les conséquences de l’application de la souveraineté israélienne en Cisjordanie sur la communauté international » ; « Les réactions du monde arabe à l’an-

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sur cette région doit être concrétisé par l’application de la loi israélienne sur la Judée-Samarie », a renchéri Yariv Levin, député likoudnik. Naftali Bennett, n’a pas été en reste, le dirigeant de Habayt Hayehudi, se fait le chantre du… « Plan Bennett », qui prône l’annexion pure et simple de la zone C, toujours sous contrôle total, militaire et civil, israélien, soit plus de 60% de l’État de Pales-

tine nouvellement reconnu par la Communauté Internationale. Craignant d’être dépassés sur leur droite, plusieurs députés du Likoud ont pressé Binyamin Netanyahu d’adopter le « rapport Lévy » sur la colonisation afin d’endiguer la perte d’électeurs. Ce rapport remis en juillet propose de légaliser les « colonies sauvages » et de lever les obstacles juridiques à l’extension des autres implantations, au motif qu’Israël ne serait pas une « puissance militaire occupante » et que le droit international n’interdirait donc pas la colonisation ! Même son de cloche chez Naftali Bennet…«  Adopter ce texte serait le meilleur moyen d’affirmer à la face du monde notre droit sur cette terre » ! Les mois qui viennent nous apprendront s’il s’agit là d’un coup de bluff destiné à montrer à la Communauté Internationale qu’Israël a encore plus d’un tour dans son sac à malices pour lui faire la nique, ou s’il s’agit d’une menace réelle. La Communauté Internationale  ? Parlons-en précisément… Le mois dernier (voir Points critiques n° 332) nous relayions une information du site Israëlinfo selon laquelle, de sources israéliennes proches de l’administration américaine, celle-ci pousserait les pays européens à adopter des sanctions contre Israël suite à l’annonce de la construction de milliers de logements dans la zone E1 reliant la colonie de Maale Adoumim à Jérusalem, décision qui avait rendu Barack Obama particulièrement furieux. Et récemment encore, dans une conversation pivée, il s’est montré extrêmement sévère à l’égard du premier ministre is-

raélien… «  Netanyahu ne comprend pas ce que sont les meilleurs intérêts d’Israël, et que son comportement conduira Israël à un important isolement international ». Et qu’en est-il de l’Union européenne ? C’est encore Israëlinfo qui nous en donne des nouvelles sous la signature de Mylène Sebbah… Elle nous apprend en effet que «Les ministères des Affaires étrangères britannique et français travaillent à la préparation d’un plan pour relancer les pourparlers entre Israël et les Palestiniens qui sera présenté en mars». Il ne s’agirait apparemment pas de n’importe quel plan… mais d’un plan visant à établir un État palestinien indépendant sur la base des frontières d’avant le 5 juin 1967, avec Jérusalem-Est comme capitale, un plan qui fixerait comme préalable le gel de toute construction dans les colonies. Il proposerait également la constitution d’un comité régional du Moyen-Orient avec la participation de l’Égypte, de la Jordanie et des États du Golfe. Le roi Abdallah de Jordanie a confirmé, lui aussi, être « dans la boucle » de l’Union européenne.
 «  Nous travaillons avec différents pays européens pour mettre des idées sur la table, qui permettront aux ÉtatsUnis de jouer un rôle central dans le processus de négociations », et d’ajouter qu’il y avait « une fenêtre pour l’opportunité d’une solution à deux États, mais elle est étroite. Nous n’avons pas quatre ans devant nous alors que les implantations israéliennes rognent les terres palestiniennes ». Israël aura-t-il les moyens de refuser, ne serait-ce que d’y participer, se demande Mylène Se-

bbah, sans accréditer l’idée qu’il rejette le processus de paix, alors même que l’Autorité palestinienne a déjà fait savoir qu’elle accepterait l’invitation si elle lui était faite. Selon elle, un haut fonctionnaire israélien en convient… « Les Européens en sont déjà au stade de la rédaction d’un document présentant les grands principes d’un futur accord de paix.
Ils ne peuvent pas nous forcer à conclure une entente que nous ne souhaiterions pas mais ils peuvent très certainement nous mettre dans une position inconfortable. » Vivement le mois de mars pour voir si l’UE ira au bout des intentions qu'on lui prête. En attendant de peut-être entrer dans la tourmente dans les mois qui viennent, Israël a tout de même de quoi se réjouir… En effet, d’après les premières estimations du ministère de la Défense, les exportations de matériel militaire pour 2012 auraient atteint 7 milliards de dollars, soit vingt pour cent d’augmentation par rapport à l’année 2011. Israël se classe ainsi entre la quatrième et la sixième place au classement des plus gros exportateurs d’armes dans le monde. L’essentiel de ces exportations se faisant aux États-Unis et en Europe, et dans une moindre mesure en Asie du Sud et en Amérique du Sud. Qu’attend donc l’Union européenne pour cesser d’importer des armes provenant d’un État dont elle condamne par ailleurs les atteintes aux droits de l’homme ? ■

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lire Combattants juifs dans la guerre d’Espagne

Leila et Sarah. Un itinéraire mortifère

Un livre d’Efraïm Wuzek, présenté et annoté par Larissa Wuzek-Gruszow*

Tessa Parzenczewski

L

’une vient de New York et vit maintenant à Jérusalem. Elle a dix-sept ans et s’appelle Sarah. L’autre vit dans un camp de réfugiés, quelque part en Cisjordanie, elle a dix-sept ans et s’appelle Leila. Deux prénoms à connotations identitaires fortes. Deux prénoms qui délimitent déjà les lieux du récit, comme sur une scène de tragédie. Gwenaëlle Aubry, française et à mille lieues du conflit israélo-palestinien, a choisi de construire un roman pour confronter les deux narrations, pour capter les deux réalités. Comment faire vivre ses deux héroïnes, comment les détacher du papier pour qu’elles ne soient pas simplement les symboles d’une démonstration, les pions d’un schéma  ? C’est par l’exploration de leurs tourments, de leurs aspirations intimes et aussi des fantômes de l’Histoire qui peuplent leurs mémoires que Gwenaëlle Aubry parvient à donner vie à ses personnages. Nous passons constamment d’un univers à l’autre. À Jérusalem, Sarah s’acclimate à sa nouvelle vie, se fait des amis, tombe amoureuse. Venue en Israël après les attentats du 11 septembre, car sa mère obsédée par la shoah croit y trouver la sécurité, Sarah commence par éprouver de la pitié pour les Palestiniens humiliés aux checkpoints, mais bien vite, influencée par le discours dominant et attentats-suicides aidant, elle se

laisse progressivement envahir par la haine et la bonne conscience générale. En Cisjordanie, une autre réalité nous saute au visage. Couvre-feu, rafles, humiliations, assassinats, c’est ce que vit Leila. Elle se réfugie dans la lecture, Le vieil homme et la mer  l’accompagne, elle s’accroche à l’anglais, une langue qui ouvre des espaces de liberté, entrevus, imaginés… mais rien n’y fait, un assassinat de trop et c’est la plongée dans le gouffre. Une sorte de spirale infernale pousse Leila à prendre une décision fatale, comme dans une transe. S’anéantir et anéantir. Et dans Jérusalem, Leila et Sarah, cheminent vers un même point, dans un itinéraire implacable, l’une vers l’autre… Et le récit devient vraiment parallèle : pages de gauche, Sarah, pages de droite, Leila. Et à la fin, juste un geste, presque en suspens…. Très documentée, l’auteure reproduit quelques textes d’histoire où la déclaration Balfour et les événements de 1948 sont racontés différemment, selon que vous soyez juif ou arabe. Dans sa volonté de comprendre les deux côtés et tout en décrivant très bien les deux réalités, Gwenaëlle Aubry donne parfois l’impression de renvoyer les deux camps dos

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D à dos, en oubliant occupés et occupants… Au-delà du contexte et de l’histoire contée, c’est l’écriture, le style qui donnent de la qualité au roman. Une poésie subtile amplifie les sensations, imprègne malaises et désirs, une sorte d’échappée lyrique qui porte à son comble un désespoir absolu. Une fiction à décrypter à la lumière des « durs pépins de la réalité » ■ Gwenaëlle Aubry Partages Mercure de France 183 p. 17,50 €

écembre 1937. Une « compagnie juiv e voit le jour au sein des Brigades internationales créées un an auparavant. Faisant partie de la brigade polonaise Dombrowski, elle adopte le nom de Botwin en hommage à un jeune communiste polonais condamné à mort dans son pays. Sur le drapeau de la compagnie figure – en yiddish, en polonais et en espagnol – la devise « Pour votre liberté et la nôtre ». La création de la compagnie Botwin illustre de manière emblématique la participation massive des volontaires juifs, dont la plupart parlaient yiddish, au sein des Brigades : entre 5000 et 6000, soit près du quart des combattants venus en Espagne défendre la République contre le fascisme. Les « botwiniks » ont été les premiers à comprendre que c’est sur le sol espagnol que se jouait le sort de l’Europe et, en particulier, celui des Juifs, cible numéro un de ceux qui entendaient éradiquer le « judéo-bolchevisme ». Efraïm Wuzek (1904-1998), père de notre amie Larissa WuzekGruszow, membre de l’UPJB, fut l’un d’eux. Né en Pologne où il adhère à un mouvement sioniste socialiste, il émigre en Palestine en 1922. Il y intégrera les rangs du jeune Parti communiste, seule organisation judéo-arabe. C’est de Palestine, avec des camarades juifs et arabes, qu’il partira en Espagne grossir les rangs des «  internationaux  » et partici-

per à la création de la compagnie Botwin. Les souvenirs d’Efraïm Wuzek ont été publiés en yiddish à Varsovie en 1964 : Zikhroynes fun a botwinik (Souvenirs d’un botwinik). L’avant-propos – indispensable - de Larissa Wuzek a été rédigé à l’occasion de cette édition française. Il retrace l’itinéraire politique et personnel de son père à partir des nombreux Cahiers qu’il a laissés. ■

Groupe de brigadistes venus de Palestine.

* Nous avons publié les bonnes feuilles de cet ouvrage dans les numéros 331 et 332 de Points critiques. Combattants juifs dans la guerre d'Espagne, La compagnie Botwin, Éditions Syllepse, collection Yiddishland, 213 p, 22 €

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lire, regarder Des mammys, des femmes fatales, un boxeur poids mouche, des cochons roses, le loup rigolo… (Des femmes, rien que des femmes - épisode n° 6) Antonio Moyano Yolanda ! Yolanda ? Où est ma Yolanda ? On m’a volé ma Yolanda, le roman de Moshe Sakal1 que j’avais emprunté rue de Rome. Les pickpockets seraient-ils d’avides lecteurs ? Vous connaissez la ligne du bus 71  ? Les vols-à-la-tire l’ont rendue célèbre ; la vieille dame de l’aubette le confirme : « C’était déjà comme ça dans le temps, Monsieur, du temps où le tramway il y a bien longtemps j’étais toute jeunette, descendait la chaussée d’Ixelles  », me ditelle, rejetant un bras vers l’arrière, comme si « jadis et naguère » étaient fichés sur son dos tel un méchant poisson d’avril. Ça me chiffonne qu’on me chipe un livre, surtout que j’en étais qu’à la moitié ! Je n’avais même pas fini de le lire ! Tant et si bien que je me tape l’insomnie et la petite déprime. C’était un mardi, et sans tarder le mercredi je cherche une autre Yolanda dans le catalogue général. Elle m’attendait, vous savez où ? 331, rue de Mérode, bibliothèque de Forest. Et jeudi matin, je reçois un coup de fil : « Bonjour, ici la bibliothèque de Saint-Gilles, c’est vous qui avez égaré Yolanda  ? Mais comment le savez-vous ? Qui vous l’a dit ? C’est un complot ? C’est bien simple, un chauffeur de la STIB a retrouvé Yolanda, et il a directement téléphoné ici, vous pouvez le joindre, je vous passe

son numéro, vous avez de quoi noter ? »  J’étais en liberté entre Noël et Nouvel-An, c’était facile d’organiser la récupération de Yolanda. J’en profite pour remercier du fond du cœur Monsieur Georgios, conducteur à la STIB ; « le mieux, m’a-t-il dit, c’est de nous rencontrer au terminus du 71 car mon itinéraire change tous les jours ». Et c’est donc à Delta-Terminal que j’ai retrouvé Yolanda, un simple échange, Monsieur Georgios a ouvert le coffre de sa berline avant d’entrer dans le parking, il a délicatement extirpé Yolanda d’une chemise transparente. Et me voici donc avec deux Yolanda sur les bras. Yolanda c’est un roman pour tous ceux qui adorent le « ça dépasse la fiction » des histoires familiales ; mon heroic fantasy à moi ce sont les sagas familiales, et inutile de les épicer, je les mange nature, elles sont déjà assez croustillantes comme ça ! Et la force du livre jaillit curieusement de son côté « déboité » : mais que veut-il nous raconter au juste Moshe Sakal puisqu’il commence et puis s’arrête… Momo le narra-

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teur veut sans cesse s’entretenir avec une des travailleuses immigrées venues des Philippines (oui, Beth ou sa sœur Lolita) celles qui prennent soin des mammys, mais elle n’a jamais le temps, son nou-

veau patron exige continuellement sa présence. Ce ton de comédie (vous savez l’importance «  des gens de maison  » comme on disait, chez Molière, Fernand Crommelynck ou Ernst Lubitsch…) est un des charmes très profonds du livre car aimer une grand-mère c’est forcément affronter le vieillissement, la maladie et tous ses avatars. Mais aussi les méandres de la généalogie et des questions du genre mais qui était qui ? Du côté de la mère c’est Yolanda, et du côté du père c’est grand-mère Nour. L’une était née au Caire et

l’autre à Damas. Mais il y a aussi la naissance d’une vocation, voici le roman inachevé de grand-père Georges, et Shauli l’ami de Momo qui le pousse à continuer à écrire son livre. Je me tais, il serait criminel de vous en dire plus. Cet excellent roman vous réserve des surprises de dernières minutes… Et qui m’a parlé de Vera Caspary ? Je crois que c’était après avoir loupé le ciné-club du dimanche après minuit sur FR3 La femme au gardénia de Fritz Lang (ô la belle Anne Baxter). Et de qui est cette histoire ? De Vera Caspary2 (1899-1987), que Wikipédia définit comme « d’origine judéo-portugaise », et la suivant à la trace, je me suis régalé de Laura d’Otto Preminger (ô la belle Gene Tierney !) et de Chaînes conjugales de Joseph Mankiewicz (là, les trois épouses forment un trio comme un pack indivisible, je les aime toutes les trois), même que j’ai passé la nuit de la Saint-Sylvestre (je m’en souviens c’est déjà loin) à voir Ambre3 d’Otto Preminger (ô la belle Linda Darnell), le profil d’une ambitieuse dans l’Angleterre de Charles II au 17ième siècle, prête à tout pour gravir les échelons de la bonne société jusqu’à embrasser les pieds du trône mais toujours, bien évidemment, vous vous en doutiez, en aimant passionnément un seul et même homme, c’est du technicolor flamboyant et musique envoûtante de David Raksin. Et puis j’ai vu (toujours de Preminger) L’Homme au bras d’or (ô la belle Kim Novak). Et puis je n’ai pas cessé d’écouter la cantatrice russe Galina Vichnevskaïa4 décédée à Moscou le 11 décembre 2012, c’est elle en quelque sorte qui m’a fait aimer la musique de Dmitri Chostakovitch car elle était la Katerina Izmaïlova de l’opéra Lady Mac-

beth du district de Mtsensk, en 1966 dans un film soviétique de Mikhail Shapiro (1908-1971), oui, je sais, c’est la version édulcorée de l’opéra... Bien des années plus tard, en 2006, le cinéaste russe Alexandre Sokourov fera un film à la tonalité très soviétique par le cadrage, la musique et même la couleur, et Galina Vichnevskaïa, sublime et majestueuse dans le rôle de la grand-mère qui bravant les interdits militaires s’entête à aller saluer son petit-fils, là-bas en Tchétchénie, et s’égarant dans les ruelles de Grozny en ruine, la grand-mère ira à la rencontre d’autres femmes, et chacune parlant dans sa propre langue, elles réussissent tout de même à se comprendre, étant toutes dans la même souffrance : la crainte de perdre ce qu’elles ont de plus cher : le fils ou le fils du fils. Alexandra5. Et Mireille Balin (1909-1968), ça te dit quelque chose ? Elle qui n’avait que des rôles de vilaine, souviens-toi Pépé le Moko (1936) ou Gueule d’amour (1937), enfin vilaine, entendons-nous, de vénéneuse, de vamp, de séductrice, de femme fatale, veux-je dire. Je pense à elle mais c’est surtout à lui que je pense. Lui ? Oui, son jeune amant, le jeune boxeur juif venu de Tunis : Victor Young Perez ; la B.D.6 qui vient de paraître chez Futuropolis est fort belle, on s’attarde à admirer chaque vignette, chacune a le fini d’une vraie petite peinture ; voilà encore une histoire bien cruelle (la Vie, l’Histoire sont décidemment bien charognardes !), et je me suis souvenu que dans mon capharnaüm, j’avais un bouquin acheté un 31 décembre, c’était en 2010 (c’est écrit sur le ticket de caisse), à Liège, 29 rue Saint-Gilles, et que (bien sûr !) je n’avais pas encore

lu : Quatre boules de cuir ou l’étrange destin de Young Perez, champion du monde de boxe, Tunis 1911-Auschwitz 1945 (Paris : Edition Bibliophane-Daniel Radfort, 2002, 237p.) L’auteur André Nahum connaît fort bien la Tunis de Young Perez, et même que grâce à lui j’ai découvert la chanteuse Habiba Messica. Rappelons que Gilles Rapaport avait également consacré un très bel album à Young Perez qui détient toujours le titre du plus jeune champion du monde poids mouches.7 Des petits cochons se déguisant avec un masque de loup, des loups qui se font rouler à force de se croire invincibles, et toutes sortes d’autres animaux et l’humour comme animal invisible et sorcier à la gueule la plus sympa, salut à toi Mario Ramos qui nous a quitté le 18 décembre, cela fait plus de 20 ans que je lis vos albums à des mioches et promis, juré, on continuera à les dévorer férocement ! 0ooooh oui !8 ■ 1

Yolanda – Moshe SAKAL ; traduit de l’hébreu par Valérie Zenatti, Stock, 2012 – (La Cosmopolite), 272 p. 2 Etranges vérités – Vera CASPARY ; préface de François Rivière, Le Grand Livre du Mois, 2012, 980 p. Contient : Laura, Bedelia, L’étrange vérité, Erreur sur le mari, Le manteau neuf d’Anita. 3 Ambre – Kathleen WINSOR ; traduit de l’anglais par Edith Vincent, Phébus, 1994 – (Libretto ; 125), 888 p. Première parution en 1946. 4 Galina : histoire russe – Galina Vichnevskaïa ; traduit de l’anglais par Béatrice Vierne ; Fayard, 1985 – 479 p. 5 Alexandra – film d’Alexandre Sokourov, VO RU st FR – Durée : 95’ (Cineart, 2007, Russie, France) 6 À l’ombre de la gloire : Victor Perez et Mireille Balin, les amants foudroyés – Denis LAPIÈRE et Aude SAMAMA ; Futuropolis, 2012, 151 p. 7 Champion – Gilles RAPAPORT ; Circonflexe, 2005 (Albums) 8 L’œuvre entière de Mario Ramos est disponible aux éditions Pastel L’Ecole des Loisirs.

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lire Nathalie CHAUVIER, Poésies, Bruxelles, Maelström,

2012, 154 pages, 8 € Frédéric Thomas1

Les éditions Maelström, dont nous saluons ici le travail soutenu de publication de poésie, publient Poésies de Nathalie Chauvier (1964-2001). Fille aînée de notre ami et collaborateur régulier Jean-Marie, Nathalie a fréquenté pendant son enfance les camps de jeunesse de l’UPJB. Elle nous revient aujourd’hui avec une voix dense et surprenante dont nous parle Frédéric Thomas. Il y a toujours quelque scrupule à parler de poésie sous un angle qui n’exclut pas le politique. Alors, dans quel sens, comme l’écrit Tom Nisse dans son quatrième de couverture, peut-on parler à propos de Nathalie Chauvier d’« une voix unique, révoltée et mordante » ? Il y a parfois une drôlerie, une joyeuseté absurde et prosaïque, qui rappelle les poèmes de Benjamin Péret : « Si les chicons disparaissaient sous le gratin, si tu te cachais quelque part dans les filets de fromage. Si mes jambes étaient un livre et toi le signet à la bonne page, si j’étais la page déchirée et toi le mot manquant » (page 44). C’est le plus souvent une souffrance, une désespérance et, avec Encensoir pour Élisabeth, parmi les plus beaux poèmes d’amour à une mère, qui lui a été arrachée, rendue toute entière à son « tourment », « s’en allant survivre / sur d’autres parallèles / laissant derrière toi les foules de suspects » (page 108) : « Ma petite maman, ma petite paix, entre deux guerres, on s’aime toujours, même assez fort pour que ce soit lamentable » (page 19). Mais ce sont aussi l’ironie, le rire léger, les peutêtre d’un sourire ou d’un plaisir, de la « solitude à deux », d’un temps « qui n’a pas encore eu le temps » (page 42), d’une vie grave, qui ne se prend pas encore au sérieux : « On jette aux requins des bouées de sauvetage. On sacrifie des gosses aux éperviers des villes. Les cages et les prisons se goinfrent d’hommes et d’oiseaux » (page 41). Si nombre de poèmes sont hantés par les fan-

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tômes (page 91), par la peur des passants mal aimés et des jours mal vécus, plus d’une fois, elle retourna cette malédiction en solitude amoureuse, en complicité avec les vaincus, en une « ballade aigre-douce  » tunisienne, « nostalgique d’un monde spontané et gratuit » (page 77), et en combat conséquent contre Dieu et le diable qui ont « cogité le coup ensemble, en nous laissant comme une ignoble boîte de farces et attrapes » (page 6). Au gré des deux photos, de la chronologie et de la postface, qui accompagnent ses poèmes, on se l’imagine aujourd’hui, telle qu’elle se projetait à quinze ans, quand elle aurait les « cheveux blancs » : « On y verra encore le soleil de tes quelques ans et tes yeux pétilleront encore comme des milliards d’étoiles » (page 41). Ou comme cette « grande dame froide et hautaine », assise sur un banc autour des étangs d’Ixelles, faisant « le point de ses urgences » (page 122)... Car si Nathalie Chauvier nous touche, c’est surtout par cette urgence de vivre et d’aimer qui passe, trébuche et parfois se relève dans ses poèmes. Peut-être estce alors à partir de ce point que la poésie se marie le mieux à la révolte. « Mais je ne crie pas seulement pour moi » (page 43), nous prévient-elle. Ce cri désespérément partagé, mêlé au rire, aux larmes et au murmure d’une poésie qui n’était pas seulement pour elle, nous demeure précieusement nécessaire et intact. 1 Texte paru initialement sur le blog de Dissidences : http:// dissidences.hypotheses.org

Frédéric Thomas est par ailleurs l’auteur de plusieurs ouvrages :  Poèmes politiques d’Arthur Rimbaud (Aden 2012), Salut et Liberté. Regards croisés sur Saint-Just et Rimbaud » (Aden 2009), Rimbaud et Marx : une rencontre surréaliste  (L’Harmattan 2007) À noter qu’une soirée autour de Nathalie Chauvier aura lieu le 2 mai à la Maison du Livre à Saint-Gilles

Encensoir pour Elisabeth (extrait) Tes doigts vibraient sur les choses et les êtres sonores et sensibles telles de fines touches de piano rendant dans leur clarté glabre, renaissante la variabilité fugace des nuances Et la main qui reliait ces doigts toute immense qu’elle surgit les premières fois me plongea dans l’effroi des caresses sublimes celles après l’avènement desquelles tout paraît fade et insupportable De toi je connais le poison et la beauté quand on en est dès la naissance inondé et qu’elle creuse notre vie en un manque affreux une exigence maladive Car ceux qui ont goûté au festin des Dieux rien d’autre jamais ne les rassasie et dans les mains érodées les yeux humectés du cow-boy la saveur poignante des pépites dérobées Ceux qui ont dans le sang la caverne d’Ali Baba jamais ne reviennent contents d’aucune trouvaille, d’aucun exploit Moi qui connaissais les Indes humides et vanillées de ton corps aux rumeurs de bistre pâli comme un lointain souvenir d’Italie, succombant à l’usure d’un trop long hiver je humais les plus fines épices remplissant mes poumons inquiets du puissant narcotique

des bouffées de cannelle et d’anis où ton âme exhalait en concentré ses confondantes ambiguïtés et je m’imprégnais de ta peau comme d’un onguent efficace contre la gueule triste et molle des courants d’air filasses Et dans ton lit soudain mué en sous-marin nous nous laissions choir au fond des mers invisibles, inaccessibles lovés dans une intimité brûlante et inaliénable O ! Ma mère, ma reine, ma déesse toi, la source émulatrice de mon pénis absent de mes vaines crâneries Tel un Œdipe piqué à vil par l’aiguillon de ta moquerie je t’aurais mise au pas comme un poulet égorgé poursuit sa course folle retardant l’instant maudit de l’arrachement final Et je hurlais, et je criais que non que ne voulais pas mais les bourreaux d’enfants aux pattes blanches tiraient, tiraient par derrière multitude innombrable, anonyme de cerbères, de démons en cohue et sûrs de leur victoire, ils attiraient vers eux la corde de mon corps D’ici là je les mitraillais en rafale de mes coups de pieds tenaces, énergiques D’ici là le plafond devait s’écrouler du tonnerre de mes hurlements les fondations chavirer sous l’invocation torrentielle de mes larmes Mais peine perdue : le couperet tomba et je sus alors que la volonté de l’homme n’était que fétu de paille et sa souffrance une tête qui se fracasse sur la pierre du vide et du silence une tête que rien ne sent saigner à part elle-même. (…) ■

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anne gielczyk

Chronique populiste

B

onne année les amis! Figurez-vous qu’on a localisé mon ordinateur volé ! Il se trouve très exactement rue Zénobe Gramme à… Charleroi! Mais oui, figurez-vous qu’il est muni d’une puce comme dans les iPhone et qu’un jour, deux semaines après les faits, le service « Find my iPhone » m’a informée par mail de sa localisation ! Vous imaginez ma joie. Malheureusement, la police ne peut rien faire, même celle de Charleroi (et je peux vous assurer qu’ils ont fait leur possible), car voyez-vous, nous vivons dans un État de droit, Madame, et on ne peut décemment faire une descente dans tous les immeubles de la rue Zénobe Gramme pour mettre la main sur l’ordinateur d’Anne Gielczyk. On peut dire donc que l’année 2013 a démarré sur les chapeaux de roue. Je dis ça chaque année ? Mais d’où vous sortez ça ? Détrompez-vous, en 2012, nous avions commencé l’année avec trente secondes d’orgasme politique. Trente secondes…ça n’a rien d’un tsunami, vous serez d’accord avec moi. Alors, pas de formules à l’emporte-pièce s’il vous plait. Pas de populisme hein dites. Nous y voilà, ‘populisme’, c’est le mot clé en ce début d’année. C’est le roi qui a lancé le jeu lors de son discours de Noël. Gardons-nous, a-t-il dit en substance, des discours populistes qui font de l’Autre:

Localisation de mon ordinateur.

l’étranger, les habitants d’une autre partie de leur pays, les boucs émissaires de la crise, comme dans les années trente. « Les habitants d’une autre partie de leur pays » c’est ce petit bout de phrase qui a mis le feu aux poudres. Certes la Belgique est un pays comportant plusieurs parties : la mer, les Ardennes, la ville, la campagne… Dieu sait ce qu’il a voulu dire le roi. On comprendra que ce point de vue strictement géographique, c’est une façon un peu minimaliste de parler des entités fédérées de notre pays. Un peu populiste en quelque sorte. Mais soit, le roi, c’est bien compréhensible défend son job : être le roi de toutes les parties de la Belgique.

T

oujours est-il que dans un premier temps, les élus de la N-VA ne sont pas montés sur leurs grands chevaux. Bart De Wever a même fait savoir que la N-VA ne se sentait pas visée

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par la référence aux années 30. On appelle ça une dénégation, je crois. Ils n’étaient même pas nés, nous certifie leur député Ben Weyts. Tandis que le père d’Albert, persifle Bart De Wever, Léopold III, ne s’était pas gêné lui pour aller boire « een tas koffie » avec Hitler à Berchtesgaden. Bon, on ne va pas faire comme BDW, on ne va pas lui reprocher le passé VNV de son grand-père, il n’était même pas né BDW, ni sa présence aux obsèques du fondateur du Vlaams Blok, Karel Dillen, c’est pas de sa faute quand même si cet ami de la famille était un fasciste, ni même ses propres vacances à Berchtesgaden, puisque Hitler était déjà mort depuis longtemps. Non, franchement, ça serait du populisme.

N

on, la N-VA ne se sentait pas visée par le discours du roi, mais elle en a quand même profité pour réclamer une réduction des pouvoirs de la famille royale. C’est logique, la N-VA est républicaine. Enfin républicaine, n’exagérons rien, et l’exagération c’est bien connu, c’est du populisme. La N-VA, en toute modestie, veut une République en Flandre. Une Flandre indépendante, cela va de soi. Avec à sa tête, bien sûr, un président élu. Comme l’actuel bourgmestre d’Anvers, qui a pourtant, même s’il est élu, des allures d’empereur, et les empereurs, au contraire des

rois en Belgique ont plus qu’un pouvoir protocolaire. Le tout nouveau bourgmestre d’Anvers, lors de son ascension triomphale des marches de l’Hôtel de ville et de son discours impérial, le 14 octobre, avait annoncé en paraphrasant le slogan de la ville ‘t Stad is van iedereen (La ville appartient à tous) que, ‘t Stad n’était plus « van iedereen ». ‘t Stad, ce soir-là était « van ons », c-a-d à eux, les nationalistes flamands. Vous imaginez un peu le Roi dire : Le pays n’est pas à « iedereen », Le pays est à « ons » ? Il se fait virer aussi sec. Surtout, que nous venons d’apprendre que l’État belge (« iedereen » donc) verse chaque année à sa belle-sœur la somme faramineuse de 1,44 millions d’euros, qu’elle veut refiler en douce à ses « ons» à elle justement !

E

nfin, pour en revenir à Anvers, aujourd’hui, c’est officiel, le nouveau collège (N-VA, CD&V, Open-VLD) a retiré le slogan de la ville d’Anvers si cher à l’ancien bourgmestre Patrick Janssens. Ceci dit, ce n’est pas parce que ‘t Stad is van iedereen n’est plus que ‘t Stad n’est plus van iedereen. Vous me suivez ? D’ailleurs, Bart de Wever est le premier à s’en défendre, il dit que la ville est à tout le monde… qui le mérite. Nuance donc. Et la nuance, c’est le meilleur antidote au populisme. Il est très clair là-dessus: « les Musulmans ont leur place à Anvers. Mon seul problème c’est le fondamentalisme. De toutes religions d’ailleurs ». Par contre, l’autre jour à Borgerhout, quartier populaire à forte population d’origine immigrée, les jeunes qui appelaient à manifester contre la publication

d’une BD sur la vie de Mohammed jugée islamophobe, dans Charlie Hebdo, ont été frappés d’interdiction de rassemblement pendant 24 heures. Des fanatiques religieux qui menaçaient l’ordre public, selon De Wever. Et pour les fanatiques religieux, de toutes religions rappelons-le, pas de quartier, Borgerhout ou pas Borgerhout. Zéro tolérance, ça fait partie de l’accord politique de la nouvelle majorité à Anvers. Deux personnes, je dis bien DEUX personnes ont été appréhendées dont un membre, je dis bien UN membre supposé de Sharia4Belgium. Le nouveau conseil du district de Borgerhout, le seul des trois conseils de district que compte Anvers où la gauche (Groen!, sp.a et PVDA) a remporté une majorité absolue, s’est indigné. Ils ont trouvé ça franchement peu « nuancé » comme mesure.

A

utre exemple, l’« opération frimeurs » du procureur anversois Herman Dams. Qui sont donc ces frimeurs ? Mais ce sont nos jeunes oisifs de Borgerhout, qui friment en BMW X5 et en Mercedes S600. Ne me demandez pas ce que c’est qu’une BMW X5 ou une Mercedes S600, je ne fais que reprendre les exemples cités par Herman Dams dans une interview donnée au quotidien De Standaard1. Apparemment, ce sont des voitures qui coûtent très cher et que ces jeunes ne sont pas censés pouvoir se payer, si ce n’est avec de l’argent illicite. L’opération frimeurs a pour but de vous inciter, vous et moi, honnêtes citoyens, à signaler à la police la présence de tels engins si vous avez un doute

sur la provenance de l’argent de leur propriétaire. D’autant plus que leurs conducteurs ont tendance à rouler beaucoup trop vite, à mettre la musique à fond la caisse et à se garer n’importe où, bref à vous pourrir la vie, vous, honnêtes citoyens. Oui mais c’est pas de la délation ça ? Nenni nous certifie le procureur, c’est du contrôle social. Nuance. « Je suis à la recherche du citoyen qui voit tout. L’homme qui sort son chien le soir et voit une camionnette avec une plaque étrangère. Cet homme doit appeler la police ». Á ces mots le sang de Wouter Van Besien, le président de Groen ! n’a fait qu’un tour. Il a porté plainte contre le procureur Dams pour propos discriminatoires. À tort, s’exclame Bart de Wever. Wouter van Besien aurait du s’informer avant de porter plainte, il se serait rendu compte de son erreur d’interprétation. C’est ce qu’il a fait lui, il est allé boire la légendaire « tas koffie » avec le procureur et il peut nous assurer que celui-ci ne visait pas l’immatriculation étrangère, mais les faits suspects. Oui, mais alors, pourquoi parler d’une plaque étrangère ? Une nuance m’échappe sans nul doute. Et dire que sur une simple « indication » d’un voisin à Anvers, le propriétaire d’une BMW 5X pourrait se faire confisquer sa voiture, tandis que moi j’attends toujours que la police aille récupérer mon ordinateur, pourtant localisé à Charleroi. Comme quoi il y a « parties » et « parties » dans notre pays, et le populisme n’est pas toujours là où on l’attend…■ 1De

Standaard du 12 janvier 2013

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! ‫יִידיש ? יִידיש‬

Yiddish ? Yiddish ! par willy estersohn

‫האלטן ַזײן ּפנים‬ ַ ‫רבא‬ ַ ‫ֿפא‬ ַ ‫האט‬ ָ ‫גאט‬ ָ

Traduction littéraire de Rachel Ertel Toutes les routes menaient à la mort, / toutes les routes. / Tous les vents soufflaient trahison, / tous les vents. / Sur tous les seuils aboyaient des chiens, / sur tous les seuils. / Toutes les eaux se riaient de nous, / toutes les eaux. / Toutes les nuits s’engraissaient de nos peurs, / toutes les nuits. / Et les cieux étaient nus et vides, / tous les cieux. / Dieu avait caché sa face.

got hot farbahaltn zayn ponem Dieu s’est voilé la face Nous avons déjà insisté ici sur l’importance de la contribution des femmes à la richesse de la poésie yiddish. Voici, cette fois, Reyzl Zykhlinsky (Pologne, 1910 – USA, 2001) dont les premiers poèmes ont été publiés en 1928 dans le quotidien folkstsaytung de Varsovie. Elle parvint à se réfugier en URSS au début de l’invasion allemande. La quasi-totalité de sa famille restée en Pologne périra à Auschwitz. Reyzl Zykhlinsky s’installa à New-York en 1951 et, en 1975, reçut le prestigieux Itsik Manger Prize. Un de ses recueils de poèmes, shvaygndike tirn, a été traduit en français par Rachel Ertel sous le titre Portes muettes (Éditions de l’Improviste, Paris, 2007). « Ses vers libres, courts ou longs et sinueux, n’obéissent à aucune contrainte formelle mais à une irrésistible pulsion interne », commente Ertel.

,‫האבן געֿפירט צום טויט‬ ָ ‫ַאלע װעגן‬ toyt

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,‫האבן געבילט בײזע הינט‬ ָ ‫אויף ַאלע שװעלן‬ hint

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hobn

.‫אויף ַאלע שװעלן‬

,‫אויסגעלאכט‬ ַ ‫האבן אונדז‬ ָ ‫װאסערן‬ ַ ‫ַאלע‬ oysgelakht

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hobn

.‫װאסערן‬ ַ ‫ַאלע‬

,‫געװארן ֿפון אונדזער שרעק‬ ָ ‫ַאלע נעכט ַזײנען ֿפעט‬ shrek

undzer

fun gevorn

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zaynen nekht

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.‫ַאלע נעכט‬

,‫נאקעט און לײדיק‬ ַ ‫און די הימלען ַזײנען געװען‬ leydik

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geven zaynen himlen di

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.‫האלטן ַזײן ּפנים‬ ַ ‫רבא‬ ַ ‫ֿפא‬ ַ ‫האט‬ ָ ‫גאט‬ ָ ponem zayn

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farbahaltn

remarques

‫ צום‬tsum = ‫ צו דעם‬tsu dem. ‫ געָאטעמט‬geotemt : participe passé de ‫ ָאטעמען‬otemen = respirer (‫ אטעם‬otem = respiration et aussi souffle). ‫ געבילט‬gebilt : participe passé de ‫ בילן‬biln = aboyer. ‫ בײזן‬beyz = méchant. ‫ הינט‬hint : plur. de ‫ הונט‬hunt = chien. ‫ איוסגעלַאכט‬oysgelakht : part.passé de ‫ איוסלַאכן‬oyslakhn = ridiculiser. ‫ נעכט‬nekht : plur. de ‫ נַאכט‬nakht = nuit. ‫ ֿפַארבַאהַאלטן‬farbahaltn = cacher, dissimuler. ‫ ּפנים‬ponem (hébr.) = face, visage. février 2013 * n°333 • page 15


mémoire La reconstruction de Varsovie et les vestiges du ghetto roland baumann

A

ujourd’hui, à Varsovie, il ne subsiste quasi rien des rues où vivaient les Juifs, eux qui, jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale, formaient un tiers des habitants de la capitale. Le siège de septembre 39, la destruction du ghetto, puis l’insurrection de 44 et les travaux de la reconstruction ont presque tout anéanti. L’image photographique permet cependant d’explorer les paysages urbains disparus de la vie juive à Varsovie. Vestiges du « petit ghetto », les derniers immeubles d’origine de la rue Pró�na, proche du Palais de la Culture  et   de la rue  Marszalkowska, ont été inscrits au registre des monuments en mars 1987. Deux de ces édifices viennent d’être restaurés. De l’autre côté de la rue, au numéro 14, un orifice dans la porte cochère permet de voir le dos de « Him » (« Lui »), figure de cire représentant Hitler, agenouillé et en civil, exposée dans cet immeuble abandonné à l’occasion d’une rétrospective de l’artiste italien Maurizio Cattelan, organisée par le centre d’art contemporain. Un peu plus loin, rue Twarda, à côté du théâtre juif, se construit une énorme tour à appartements, dont la masse domine l’architecture éclectique de la synagogue Nozyk, inaugurée en 1902 et préservée de la destruction. Gazeta Wyborcza a publié en collaboration avec le Musée d’histoire des Juifs polonais et l’Institut Historique juif (ZIH) un ou-

vrage bilingue polonais-anglais évoquant les rues disparues de Muranow1 et s’intéressant en particulier à la vie de ce principal quartier juif de Varsovie durant l’entre-deux-guerres. Bien illustré, cet ouvrage contribue à la popularité du travail de mémoire sur le passé juif de la capitale. L’ouverture du Musée d’histoire des Juifs polonais, face au monument de Nathan Rapoport, sera un temps fort de l’année 2013, sep-

Les immeubles restaurés de la rue Prόźna

tantième anniversaire de la révolte et de la destruction du ghetto de Varsovie. Près du palais présidentiel, à la « Maison de rencontre des historiens » (Dom Spotkan z Historia), institution culturelle municipale fondée en 2006 à l’initiative de la fondation Karta, l’exposition Ruines en couleur2 nous confronte au paysage de cet anéantissement, parmi d’autres photographies des ruines de Varsovie, prises par une belle journée d’été. De belles « photos souvenir » d’une destruction. Images en couleur d’un passé semblant si atrocement proche et tout à fait irréel. Nous avons tous en mémoire les

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images bouleversantes de l’énorme champ de décombres créé par l’anéantissement du quartier de Muranow en 1943. Mais jusqu’à présent nous ne connaissions ce paysage dévasté qu’en noir et blanc et la contemporanéité de la couleur rend la réalité de la destruction totale du ghetto encore plus insoutenable et insaisissable. Ces splendides photographies documentaires sont l’oeuvre de l’architecte Henry Cobb, étudiant à Harvard en 1947. Participant à un voyage d’études sur la reconstruction de villes dévastées par la guerre, Cobb prend sur film couleur Kodachrome 35mm une centaine de vues de Pologne, dont 40 à Varsovie. Parti de New York le 2 août 1947, le petit groupe d’architectes nord-américains  v isite  l ’Angleterre, puis, via Paris et Zurich, la Tchécoslovaquie. Arrivés le 28 août à Varsovie, ils rencontrent le lendemain le ministre de la Reconstruction et visitent la ville. Leur « tour des ruines » les mène de l’ancien siège de la Gestapo, au quartier du centre, puis au ghetto et à la vieille ville. Le 30 août, ils visitent le siège du BOS (Biuro Odbudowy Stolicy), Bureau pour la reconstruction de la capitale, puis se rendent à Zoliborz, quartier connu pour l’architecture fonctionnaliste des immeubles sociaux contruits avant guerre par la Coopérative varsovienne de logements (WSM). Les amis locaux d’Henry Cobb, le couple d’archi-

tectes juifs Helena et Szymon Syrkus, très actifs au sein du BOS et influencés par les théories de Le Corbusier, ont créé sous l’occupation à Zoliborz un atelier clandestin d’architecture et d’urbanisme. Arrêtés pour leurs activités de résistance, ils ont tous deux survécu aux camps. Le groupe part ensuite à Cracovie et le 2 septembre visite Auschwitz-Birkenau où le Musée d’État vient d’être inauguré (14 juin 1947). L’interprète du groupe Agnieszka Glinka a passé 4 ans à Ravensbrück et facilite le dialogue des architectes étrangers avec d’anciens détenus. Le groupe visite ensuite Bedzin, Katowice... puis Wroclaw (Breslau) et Szczecin (Stettin), villes «  regagnées » par la Pologne après la défaite de l’Allemagne. Enthousiasmé par ce qu’il a vu en Pologne, Cobb exprime le souhait d'y revenir une fois ses études achevées. L’architecte  Hermann  H. Field, responsable du groupe d’étude  nord-américain à l’été 47, est arrêté à Varsovie en août 49. Son frère, Noël Field, « l’espion fabriqué », sera une figure clé lors des procès qui s’abattent sur la direction des partis communistes dans les « démocraties populaires  », moment décisif de l’épuration stalinienne d’après-guerre. Diplômé de Harvard en 1949, Cobb collabore dès 1950 avec l’architecte  I.M.Pei.  Cofondateur du célèbre bureau d’architectes Pei Cobb Freed & Partners. Il ne revient à Varsovie qu’en 2011, à l’occasion d’un concours pour la construction d’une tour de bureaux Ses photos de 1947 fascinent d’emblée ses  collègues architectes polonais. La circulation sur le Net de certains des clichés conduit alors à l’organisation de cette fascinante exposition qu’accompagne une excellente publication bilingue

reproduisant les superbes photos de Cobb et retraçant les stations de son voyage en Pologne3. Un autre ouvrage récent, fruit d’une exposition à la Maison de rencontre des historiens en 2011, documente les activités du BOS et le contexte politique des débuts de la reconstruction de Varsovie4. Les projets urbains du BOS, fondé dès février 45, témoignent d’une véritable tentative de reconstruction d’une partie importante de la ville historique mais sont aussi le fruit de la volonté politique de faire de Varsovie une ville socialiste modèle et donc d’effacer les traces de la « capitale bourgeoise » d’avantguerre. Au sein du BOS « monumentalistes » et « modernistes » s’affrontent, mais l’architecture éclectique ou l’Art nouveau pourtant caractéristiques de Varsovie avant guerre, par exemple le long de la rue Marszalkowska, n’intéressent pas ces architectes et urbanistes. Beaucoup de photos d’après guerre montrent de nombreux immeubles endommagés dont les façades et l’ornementation étaient conservées. Des édifices qui pouvaient être reconstruits mais seront abattus. Ces destructions d’après 1945 visent souvent à empêcher le retour des bâtiments à leurs anciens propriétaires privés. Le réseau des rues est modifié. Les noms de rues sont changés... Volonté de rupture avec le passé... Parmi les premiers grands projets urbains, citons le tracé de route est-ouest (Trasa W-Z) qui provoque la démolition d’une partie de la rue Leszno, épargnée par la guerre, et la construction des grands ensembles de logements pour 30.000 habitants à Muranow (1948-1952), une architecture conforme à l’esthétique du réalisme socialiste, érigée sur les déblais du ghetto, avec des briques

de réemploi et du béton fait à l’aide de briques concassées, recyclées des ruines. La reconstruction de la vieille ville (1949-1953) est emblématique des finalités identitaires de la reconstruction. Le caractère inédit de cette entreprise de reconstruction intégrale du vieux centre urbain explique pourquoi la vieille ville est inscrite sur la liste du patrimoine de l’UNESCO en 1980. Le dégel politique de 1956 met un terme aux projets de reconstruction des quartiers historiques à Varsovie. Le régime de Gomulka favorise une architecture moderniste à bon marché d’immeubles de bureaux et d’appartements construits en masse. Située au croisement des rues Gesia et Dzika, l’ancienne caserne d’artillerie de la fin du 18ème siècle, siège du Judenrath, est démolie en 1963 alors qu’il était possible de la restaurer pour en faire une bibliothèque. Les archives du BOS figurent aujourd’hui sur la liste du registre « Mémoire du Monde » de l’UNESCO depuis 2011, au même titre que les manuscrits de Chopin et les archives Ringelblum. ■ Exposition : 1947 Barwy Ruin, Dom Spotkan z Historia, ul. Karowa 20, 00-324 Varsovie Jusqu’au 30 avril 2013; ma-ve 11-18h, sa-di 12-18h www.dsh.waw.pl 1 Jerzy S. Majewski, Warszawa nieodbudowana. �ydowski Muranów i okolice, Varsovie, éd. Agora, 2012. 2 Ruines en couleur - Varsovie et la Pologne à travers les photographies d’Henry Cobb. 3 Maria Soltys et Krzysztof Jaszczynski (éds.). 1947, Barwy Ruin : Warszawa i Polska w odbudowie na zdjeciach Henry'ego N. Cobba. //1947, The Colors of Ruin : The Reconstruction of Warsaw and Poland in the Photographs of Henry N. Cobb. Varsovie, Dom Spotkan z Historia, 2012. 4 Jerzy Majewski et Tomasz Markiewicz, Budujemy Nowy Dom : Odbudowa Warszawy W Latach 1945-1952/ /Let’s Build A New Home : The Reconstruction of Warsaw in the Period 1945-1952.Varsovie, Dom Spotkan z Historia, 2012.

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réfléchir Circoncision, suite et fin ? Jacques Aron

L

e 12. 12. 2012, le Bundestag a adopté à une large majorité (434 pour, 100 contre et 46 abstentions) un projet de loi du gouvernement fédéral qui, en reconnaissant explicitement la circoncision pour motifs religieux, met sans doute un point final à l’inquiétude souvent exagérée, voire amplifiée, née du jugement d’un tribunal de Cologne, que j’avais commenté ici-même.1 Ce projet de loi, dont il faut saluer la sagesse, confirme la pratique antérieure, tout en l’encadrant mieux d’un point de vue médical. L’opération d’ablation du prépuce sera pratiquée par un médecin ou, pour les Juifs, par un mohel formé selon des normes sanitaires. Il n’est pas inutile de rappeler à ce sujet des pratiques peu hygiéniques encore en vigueur ou l’embarras de parents pratiquants à trouver un circonciseur compétent. Leur choix relève souvent – comme celui de tant de praticiens, il faut bien le dire – du bouche-à-oreille. Mais, sur le fond, il faudra bien considérer tout ceci comme une péripétie dans un débat de société qui n’est pas prêt de s’achever, car il ne s’agissait pas ici d’une manifestation d’antisémitisme (certains l’ont prétendu) ou d’un rejet de l’immigration musulmane, même s’il n’est jamais exclu que des passions irrationnelles motivent tel ou tel acteur sur la scène publique, devenue sans limite et incontrôlable dans ses débordements virtuels. Ce qui

est et demeure en cause, c’est la conception de l’État moderne démocratique, tel qu’il s’est esquissé au 18e siècle et qu’il a pris forme sous la Révolution française : l’État dont l’assemblée représentative dit le droit, et le fait évoluer dans un libre débat. Et même s’il s’agit là d’un projet dont la perfection théorique ne sera jamais atteinte, son application se heurte entre autres à l’épaisseur concrète de l’histoire humaine, au fait particulièrement pesant des religions et surtout de leurs différentes Églises et autorités, qui sont nées bien avant que l’évolution sociale ait permis l’émergence des droits de l’homme et du citoyen. Beaucoup de citoyens sont aussi des hommes de foi, imprégnés d’un droit ancien formalisé dans les livres sacrés. Que le Bundestag soit intervenu dans la question de la circoncision n’étonnera que ceux qui connaissent mal l’histoire de l’Allemagne, dans laquelle l’idée mal acceptée de la séparation de l’État et de l’Église a joué un rôle considérable, et dont les traces sont encore perceptibles. La « question juive » a été au centre des débats sur la nature de l’État (souhaité germano-chrétien), avant même que cet État ne naisse en 1871, suite à ce qu’il est convenu outre-Rhin d’appeler la guerre « allemande » de 1866 et à la victoire de la Prusse sur la France en 1870. Aussi la réforme de la religion juive avait-t-elle déjà suscité de vives controverses sous la Confé-

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dération germanique de 1815 : fallait-il faire évoluer ses dogmes et ses rites pour se rapprocher des autres cultes en vigueur ? Question d’autant plus difficile qu’elle se posait différemment dans les différents États de cette Confédération très disparate, officiellement ralliés, tantôt à l’Église romaine, tantôt aux Églises réformées. Les Juifs eux-mêmes étaient très inégalement représentés dans ces États confédérés, les communautés de Hambourg et de Francfort, de Cologne et plus tard de Berlin y occupant une position dominante. Ces passionnantes controverses historiques furent complètement refoulées et évacuées – et cela me semble très significatif – du débat récent suscité par un procureur trop zélé. Les relations judéo-allemandes actuelles restent plombées par le souvenir du génocide, tandis que la recomposition des communautés par des Juifs venus à 95% de l’ex-URSS a effacé leur propre passé allemand. Bel exemple d’une histoire qui bégaye. Les Juifs religieux sont représentés par un « Conseil central des Juifs en Allemagne », comme s’il s’agissait d’un corps social extérieur à la nation. Apparemment incapables de dépasser la blessure profonde du IIIe Reich, pour renouer avec la question de fond : la place de la religion dans un État démocratique. Tellement enclins à rappeler leur passé – pour peu qu’il ait au moins 2.000 ans d’âge –, les Juifs allemands ne sont pas

prêts à rouvrir le dossier de leurs propres tentatives de réformes internes, les seules à pouvoir assurer, sans contrainte extérieure, la survie de l’essentiel de ce à quoi ils demeurent attachés. Tel était bien l’objectif du mouvement pour «  la science du judaïsme  » fondé dès 1818 par Léopold Zunz (1794-1886) et des trois conférences rabbiniques de 184445-46. L’âme de la première qui ne réunit que 22 participants fut un homme remarquable, Samuel Holdheim (1806-1860). Ce réformateur audacieux et profond a suscité une véritable révolution intérieure qui obligea tous les courants du judaïsme à prendre position, notamment sur le maintien ou non de la circoncision. Une expertise fut confiée à Zunz2, qui trancha en faveur de son maintien car « pas une seule loi [religieuse] ne doit être sacrifiée à l’égalité civile » et « l’émancipation n’est pas la fin dernière de l’homme ». Mais Holdheim ne l’entendait pas de la sorte. Mesurant les enjeux politiques du problème, il répliqua aux critiques de certains rabbins et réagit au procès-verbal de la première conférence par un ouvrage qui vaudrait d’être republié et commenté aujourd’hui : « Le moment religieux et le moment politique dans le judaïsme, en relation particulière au mariage mixte ».3 Holdheim y a parfaitement saisi la contradiction entre la tradition religieuse juive qui sanctifie l’appartenance exclusive au « peuple d’Israël » et la participation citoyenne à la collectivité nationale tout entière. « Selon notre point de vue, le Juif n’est rien de plus et rien de moins qu’un homme qui a la connaissance vraie de Dieu et de sa volonté, qui vaut pour tous les

hommes. Cette connaissance ne lui confère pas le moindre privilège à l’égard des autres hommes, sinon celui qu’il acquiert par ce moyen pour lui-même et pour les autres. Si elle lui confère un rang plus élevé, ce ne peut être que celui du savant sur l’ignorant, de la vérité sur l’erreur. » Bref, la force du judaïsme est sa vérité intérieure ; le mariage mixte doit donc être autorisé ; le libre choix des parents (notamment en matière de circoncision) représente un sommet de tolérance et d’émancipation, d’autant que toutes les lois anciennes ne valaient qu’à l’égard des peuples païens refusant la croyance en un Dieu unique. Holdheim ne vivra pas la naissance du Second Reich. Plus se renforcera un nationalisme germanique par-delà la « guerre pour la civilisation » (Kulturkampf) entre catholiques et protestants, plus la religion juive sera considérée comme le substitut diasporique du sentiment national juif. Et le grand historien de la montée de ce nationalisme juif en Allemagne, Heinrich Graetz (1817-1891) finira par comparer Holdheim à saint Paul (Saül de Tarse) et l’accuser de pousser au suicide du judaïsme. Ce qui montre, une fois de plus, que les peuples comme les individus n’ont pas de mémoire, sinon celle qu’ils se donnent, effacent ou raniment au gré des circonstances et de leurs intérêts. L’histoire s’écrit sur la base d’une mémoire artificielle et profondément

sélective. ■ 1

Voir Points critiques, octobre 2012, n° 329. 2 Leopold Zunz, Gutachten über die Beschneidung, Frankfurt a. M., 2 avril 1844. 3 Samuel Holdheim, Das Religiöse und Politische im Judenthum, mit besonderer Beziehung auf gemischte Ehen, Schwerin, Berlin, 1845.

Pendant ce temps et sans grand bruit, l’Église catholique a renoncé à la Fête de la Circoncision du Christ le jour de Nouvel-An, preuve s’il en est de sa filiation et de sa sainteté.

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hommages Mireille Karolinski-Zimmerman

Nicolas Haber Nico, une semaine que je t’entends en boucle me dire « Allo, Anne, c’est Nicolas, bon alors quelle nouvelle, t’as pas un bon ragot, un truc drôle à me raconter » ? Non Nico, rien de drôle à raconter. Juste une immense tristesse, profonde. Et il n’y avait que toi qui savais faire rire en toute circonstance. Toi l’ami si précieux, rassurant, fidèle envers et contre tout. Nico, magnifique mélange de force, de sensibilité, de tendresse et de chaleur. Une amitié de près de 35 ans. Ces dernières années quand on s’appelait, comme toujours, pour nos anniversaires respectifs en automne, tu me disais avec un sourire dans la voix : « on devrait penser tout doucement à réserver notre place au club du 3ème âge de l’UPJB » : l’organisation où l’on s’est connu. Voilà, encore gagné Nico, je t’entends me le dire et ça me fait sourire. Avec toi Nico et tous les autres, on a grandi en groupe, ensemble on se sentait fort. On a géré un mouvement de jeunesse, organisé des camps pendant les vacances, des soirées autour du feu avec toi, et d’autres à la guitare, des week-ends, des fêtes, des veillées féériques auxquelles tu ajoutais les touches musicales. Tu étais un de nos piliers, celui sur qui on pouvait toujours compter, celui qui avait toujours le mot pour rire, l’humour ravageur et la douceur infinie. L’ami, le confident Le grand Nicolas que les enfants adoraient. Et déjà ta passion pour la musique que tu nous faisais partager. Y compris pendant les corvées vaisselle, quand ta guitare à la main, tu nous faisais l’animation musicale pour le plus grand bonheur de tous. Oui je sais, je t’entends me dire : encore nos histoires d’anciens combattants. Mais si tu voyais comme ils sont nombreux ici aujourd’hui pour toi, ces anciens combattants! Et puis les années ont passé, et on n’a pas cessé de vivre des journées, des soirées, des week-ends ensemble à refaire le monde. Tu étais toujours cet ami fidèle et précieux. Celui qui, sur un coup de tête, était capable de nous emmener un soir à Paris, et juste pour une nuit, faire une surprise à une amie de la bande qui faisait ses études là-bas. On a continué à se raconter nos amis, nos amours, nos études, nos rêves, nos envies, et parfois nos emmerdes. Comme pendant ton service militaire. Le vendredi soir en rentrant tu nous racontais tes mésaventures dans ce monde d’extraterrestres pour nous. Tes mésaventures ou tes bons

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Salut Mireille ! Incapable de dire « au revoir… partie… plus là… éteinte… ? » Je la vois, toujours en pleine forme, impeccable, maquillée, entreprenante ! Certes , avec quelques « coups de gueule » (preuves de bonne santé dit-on) Mais d’où tenait–elle tant d’énergie ? tant de force ? Jamais elle ne se plaignait ! Même si parfois elle avouait, tout bas…. ce n’est qu’une apparence… Et immédiatement, elle rassurait. : Ca ira ! Ca ira ! Hélas la maladie sera plus forte que son désir de vivre ! Elle avait encore tant de choses à faire ! Je l’ai connue dans les colonies de la Solidarité Juive ! Comme monitrice, et puis… comme parfaite secrétaire, comme femme d’affaires, comme maman soucieuse et attentive, comme grand’mère admirative, comme femme volontaire et responsable, Comme garde malade…et j’en passe ! Toujours de bonne humeur, positive, active, rayonnante ! Devenue bénévole au Service Social Juif elle aura exercé ses talents d’organisatrice jusqu’au bout ! Quel personnage ! Toute sa vie elle aura lutté contre l’oubli, c’était son devoir de mémoire ! Je te salue AMIE et avec moi tous « les copains d’abord… » Mina (4 janvier 2013)

Du 21 février au 21 avril coups grâce à la musique, ta fidèle alliée. Tu avais réussi à échapper à des semaines de corvées et d’entraînements pénibles en t’improvisant chef d’orchestre pour la chorale. Et puis on a grandi encore et on a continué toujours à se raconter nos vies, à partager les moments essentiels. Ta rencontre avec Caro, ta douce moitié, et la naissance de tes deux filles, Sarah et Léa, les prunelles de tes yeux. Je te vois encore à la maternité, rayonnant et si fier. On se parlait de nos boulots, tu me parlais de musique, des concerts, des spectacles, des tournées. Les années passent, on a chacun nos vies bien remplies, on se voit moins, mais il y a ce lien si fort qui reste, la complicité qui ne faiblit jamais. Il n’y a pas si longtemps, tu m’avais écrit par sms « tu es mon indéfectible amie ». Oui c’est ça Nico, indéfectible, mon ami de toujours et pour toujours. Et cette amitié restera présente auprès de Caro, Sarah, Léa, Fredo, Domi, Nicole, Michèle et toute ta famille. Anne Schiffmann

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droit de réponse Á propos de la Syrie pascal fenaux*

S

uite à la publication, dans votre livraison de janvier 2013, d’un article de Paul Delmotte où je me vois systématiquement et nommément mis en cause, je tiens à faire usage de mon droit de réponse. D’une part, cette mise en cause personnelle est diffamatoire et à mille lieues du débat d’idées. D’autre part, elle repose sur des arguments infondés et – plus grave – mensongers qui, une fois relevés, rendent cette démonstration ad hominem nulle et non avenue. Premièrement, à la lecture de « Quand la Syrie nous est contée », je me suis demandé si Paul Delmotte avait bien lu mon article. Si tel avait été le cas, peut-être ne se serait-il pas cru obligé de me faire une leçon de géopolitique. Où a-t-il lu que j’ignorais ou niais les l’existence d’agendas géostratégiques autres que ceux de la Russie ? Mon article se voulait une réaction à un éditorial de Points critiques largement inspiré de plusieurs textes d’Alain Gresh et dans lesquels le rôle néfaste de la Russie était largement sous-évalué, au contraire des motivations occidentales, à commencer par celles des États-Unis. C’est pourquoi j’avais écrit : « tout cela relève à la fois de la vérité, mais aussi hélas du mensonge par omission». Deuxièmement, si Paul Delmotte s’était contenté de compléter à la marge mon article ou de le nuancer, je n’y aurais ni vu malice ni éprouvé le besoin d’y opposer un droit de réponse. Je suis en accord total avec lui (et avec

l’International Crisis Group) pour considérer que « pointer du doigt la Russie [est] tout avantage pour les Occidentaux pour expliquer… leur décision de ne pas intervenir en force. » Je suis en accord total avec les préventions qu’il exprime envers certains théoriciens du complot – actifs dans certains secteurs de la gauche radicale – et envers certains amnésiques de tous bords qui oublient ou ignorent les transactions intéressées passées jadis entre la Syrie baasiste et ses ennemis ostensiblement déclarés. À l’époque où j’étais rédacteur en chef du mensuel d’Amnesty International, j’ai eu le loisir d’évoquer les relations de sous-traitance en matière de torture passées entre Damas et Washington. Et, contrairement à ce dont veut se convaincre Paul Delmotte, le «  globalo-démocratiste » (je reviendrai sur ce vilain néologisme) que je suis ne souffre pas « d’amnésie quant à la véritable nature des relations qui ont longtemps régné entre Damas et les principales puissances occidentales, dont Israël ». En effet, j’évoque des options stratégiques et confessionnelles de la Syrie baasiste « dont la gauche libanaise et la résistance nationaliste palestinienne ont fait l’amère expérience ». Troisièmement, je me demande si sa mémoire ne joue pas de mauvais tours à un Paul Delmotte qui semble oublier l’existence des articles et analyses que je publie depuis bientôt un quart de siècle, entre autres, dans la Revue nouvelle. Un mensuel auquel Paul Delmotte a également eu

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l’heur de collaborer. Un mensuel dans lequel, par exemple, nous avons jadis, lui et moi, eu le loisir de démonter ensemble – durant la guerre civile algérienne de 1992-2002 – un « anti-islamisme primaire » et rhétorique « propagé par les dictatures et leurs ‘parrains’ occidentaux  », pour paraphraser Paul Delmotte. Quatrièmement, Paul Delmotte me range dans ce qu’il qualifie de mouvance « globalo-démocratiste » où se retrouvent objectivement alliés des « wilsonistes », des « reaganistes », des « néoconservateurs » et des « nouveaux philosophes  » (n’en jetez plus). La preuve, «P. Fenaux a approuvé les interventions otaniennes en Bosnie, en Irak, en Libye». Cette « preuve », j’aurais aimé que Paul Delmotte la livre dans ses notes de bas de page, ce qu’il ne fait pas car c’est tout simplement impossible. Et pour cause, son affirmation est tout simplement fausse, voire mensongère, à moins qu’elle ne témoigne d’une difficulté à appréhender des textes dans leurs nuances. Je ne me suis jamais positionné en faveur de l’intervention « otanienne » en Bosnie-Herzégovine. Si je me suis bel et bien exprimé sur l’invasion de l’Irak par la coalition américano-britannique au printemps 2003, c’est pour me positionner explicitement contre cette guerre, comme le prouvent au moins deux textes que je soumets à vos lectrices et lecteurs. Le premier texte1 est un positionnement politique non signé (mais rédigé avec mes confrères Donat Carlier, Théo Hachez et

Pierre Vanrie) qui servait d’introduction à un long dossier consacré aux 35 années de régime baasiste irakien et publié en octobre 2002, quatre mois avant l’invasion2. Le second texte3 a été publié 15 mois après l’invasion, en juin 2004, et exprime, dans un contexte évidemment transformé de façon radicale, une position toujours hostile à cette intervention que, soit dit en passant, Paul Delmotte qualifie erronément d’« otanienne ». Quant à la Libye, si j’ai pris position, c’est contre l’anti-améri-

canisme pavlovien et l’anti-arabisme néo-colonial inconscient de certains secteurs de gauche, mais pas en faveur d’une intervention de l’Otan. Cette prise de position4, je l’ai publiée dans Le Soir en mars 2011, sous la forme d’une carte blanche cosignée avec mes confrères Pierre Coopman et Pierre Vanrie, carte blanche dans laquelle, par ailleurs, nous dénoncions l’appui donné par les États-Unis aux régimes saoudien et bahreini dans la répression de leurs oppositions respectives. Contrairement au sort qu’il ré-

serve à mes propres écrits, il ne m’est pas possible d’ignorer le texte de Paul Delmotte. Jusqu’ici, ses appréciations de mes positions n’avaient jamais été exprimées qu’oralement et en mon absence. Leur teneur ne m’étant jamais rapportée que par des témoins, il m’était difficile d’y réagir. Le fait qu’il ait désormais choisi de publier, contre toute évidence, de telles affirmations me donne enfin l’occasion d’y mettre le holà. Non sans m’interroger sur la rigueur et l’honnêteté avec laquelle un professeur censé former

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activités vendredi 1er février à 20h

Le Non-conformiste.

Portrait de Marcel Liebman (1929-1986) RÉALISÉ PAR HUGUES LE PAIGE, 1996 – FRANCE – 57 MINUTES En collaboration avec l’Institut Marcel Liebman L’intellectuel critique est un homme rare dans ce pays. Rare et précieux. Marcel Liebman, disparu en 1986, l’incarnait mieux que quiconque. L’enseignant qui bouscule le conformisme académique, l’historien rigoureux et engagé du socialisme ou le précurseur – oublié – du dialogue israélopalestinien : à contre-courant, Liebman a marqué son temps et les questions qu’il a posées continuent de nous interroger. Le Non-conformiste n’est pas un film sur l’œuvre de Marcel Liebman. Il n’est davantage un portrait complet de l’homme. Un film documentaire ne peut prétendre ni à cette exhaustivité, ni à cette complexité. J’ai préféré tenter d’approcher une démarche, d’ébaucher les multiples facettes du personnage, d’esquisser la place qu’il occupait au sein de la gauche et le vide qu’il a passé. Mais ce film sur Marcel Liebman, travail de mémoire sur un homme de mémoire, est aussi une tentative de réflexion sur l’identité juive, le rôle de l’intellectuel et le sens de l’engagement politique. Hugues Le Paige PAF : 6 €, 4 € pour les membres, tarif réduit : 2 €

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activités lundi 4 février à 20h15 Anna BALZER, Witness in Palestine Conférence-débat en partenariat avec l’Association Belgo-Palestinienne Juive américaine de 28 ans, Anna Baltzer est une des organisatrices de « US Campaign to end Israeli Occupation ». Elle part la première fois en Israël dans un tour organisé par Birthright pour des jeunes Juifs et ne voit que le beau côté du pays. C’est lors d’un voyage à travers le MoyenOrient qu’elle rencontre des réfugiés palestiniens qui lui racontent leur histoire. Á partir de ce moment-là, elle s’engage comme volontaire avec l’International Women’s Peace Service en Cisjordanie. Elle a écrit de nombreux articles sur la situation en Palestine et un livre non traduit : Witness in Palestine : A Jewish American Woman in the Occupied Territories . Depuis, elle fait des tournées aux USA et ailleurs pour ouvrir les yeux sur ce dont les médias ne parlent pas et aussi promouvoir le boycott. PAF : 2 €

vendredi 22 février à 20h15 Conférence-débat Qu’en est-il aujourd’hui du « cas belge » du judéocide ? avec

Insa Meinen, auteure de La Shoah en Belgique

Á l’occasion de la sortie de son livre en français en octobre, nous avons invité Insa Meinen, à ce jour la seule historienne allemande, à avoir étudié les mécanismes de la persécution des Juifs en Belgique. Elle sera introduite et présentée par Laurence Schram, historienne (ULB) et l’une des pionnières du musée de la déportation de Malines, l’ancêtre du tout nouveau Musée Kazerne Dossin, qui suscite déjà pas mal de débats et dont elle est la responsable du centre de documentation. Elles aborderont l’actualité de l’historiographie du judéocide en Belgique à la lumière des découvertes faites par Insa Meinen, qui viennent compléter le travail de Maxime Steinberg. La question continue d’agiter la société belge et la communauté juive de Belgique, depuis la reconnaissance - tardive de la reponsabilité des autorités belges cet automne par le premier ministre et le bourgmestre de Bruxelles. Aujourd’hui c’est au Sénat de prendre position puisqu’il a (enfin) entamé la discussion de la proposition de résolution, qui fait suite au rapport du CEGES, La Belgique docile publié en 2004. PAF : 6 €, 4 € pour les membres, tarif réduit : 2 €

vendredi 8 février à 20h15 Conférence-débat avec

Bertrand Herremans, docteur en histoire Autour de son livre ENTRE TERREUR ROUGE ET PESTE BRUNE, LA BELGIQUE LIVIDE (19181940), La diplomatie belge face aux Juifs et aux antisémites. Ed. André Versaille. Avec l’armistice de 1918, l’Europe entre dans une période particulièrement tourmentée. Incarnation caricaturale de l’establishment, la diplomatie belge panique face à cette situation nouvelle. Bousculée par la vague rouge puis par la peste brune, elle tâtonne dans ses jugements sur les Juifs et les antisémites. En revenant sur ses attitudes et ses opinions, ce livre aborde des questions terriblement actuelles comme la politique de l’asile, la haine et la peur de l’autre. PAF : 6 €, 4 € pour les membres, tarif réduit : 2 €

vendredi 1er mars à 20h15 Conférence-débat avec

Eric Fassin

Autour de son livre DÉMOCRATIE PRÉCAIRE. CHRONIQUES DE LA DÉRAISON D’ÉTAT. Ed. La Découverte Une déconstruction du discours politique sur l’immigration sous l’ère Sarkozy ainsi que des accents de plus en plus xénophobes qui s’en dégagent. Alors que les populismes se développent dans toute l’Europe, menaçant les démocraties, ce thème ne concerne pas seulement la France, il traverse allègrement les frontières. Eric Fassin est sociologue, professeur en sciences politiques à l’université Paris VIII. Il a surtout travaillé sur la politisation des questions sexuelles et raciales et sur leurs articulations autour de la politique d’immigration. Il fait partie du collectif « Cette France-là » qui vient de publier Xénophobie d’en haut, les choix d’une droite éhontée . Introduction : Mateo Alaluf PAF : 6 €, 4 € pour les membres, tarif réduit : 2 €

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activités

dimanche 24 mars à 15h

samedi 2 mars dès 19h

Première en Belgique : Would you have sex with an Arab ? (1h25 - sous-titré en français - 2012) En présence de la réalisatrice Yolande Zauberman et du coscénariste Selim Nassib

Entrée : en prévente 14 €, 11 € pour les membres et 6 € pour les jeunes et les chômeurs sur place 16 €, 13 € pour les membres et 8 € pour les jeunes et les chômeurs gratuit pour les moins de 12 ans En prévision du bal, nous proposons à qui veut, de tous âges, une initiation aux danses juives avec, pour maître de danses, André Reinitz. RDV au local, samedi 23 février. 19h, petite restauration (3 €) 20h, on danse, entrée libre.

Finalement, ce fut une chance de visionner le film dans ses langues originales (hébreu, arabe, anglais) et sous-titré en anglais : je ne connais aucune de ces langues et je devine le global english. La question-titre du film en devient d’autant plus frontale, un corps-à-corps, moins avec l’ennemi supposé (le Juif ou l’Arabe) qu’avec les corps, leurs visages et leurs désirs irrépressibles dans la chaleur de la nuit. Leur beauté ruisselante. La question posée par Yolande Zauberman et Selim Nassib n’est pas « Would you make love... ? », quand bien même celle-ci demeure passionnante et passionnelle, tantôt déclinée dans « L’hiver de Rita », l’amour DU poète palestinien Mahmoud Darwich pour une femme juive, ou dans « The Bubble » du cinéaste Eytan Fox, l’amour d’un Palestinien pour un Israélien, mais « would you have sex... ? ». Yolande Zauberman promène sa caméra dans les boîtes de Tel-Aviv et traverse la moiteur des décibels, sous le regard des yeux qui brillent. Le film épouse les mouvements organiques des corps déchaînés : un film aux rythmes et aux lumières techno où s’insinue la question au plus intime de l’être dépouillé - ou non - de son identité. Le film nous atteint d’autant plus qu’il fait parler Juliano Mer Khanis peu de temps avant son assassinat et lui est dédié ainsi qu’à Szimon Zaleski, notre luftmensh à qui nous avions rendu hommage dans Points Critiques. Bref, un film qui donne le tournis tant il entraîne la vie - et la mort -, la paix- et la guerre - dans une bourrasque d’identités à fleur de peau. Dessin de Mathieu Burniat C’est un film aussi qui, par la brutalité fougueuse de sa question, met à l’épreuve le statut de la vérité discursive dans le film documentaire. Gérard Preszow en collaboration avec Jonathan Gross (Entr’act) P.A.F. 6 €, 4 € pour les membres, tarif réduit : 2 € Projection privée sur réservation

Au plaisir de vous y retrouver.

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UPJB Jeunes

Quelques nouvelles de l’UPJB-Jeunes

de futurs journalistes – qui plus est, dans une Haute École – traite ses sujets et ses sources. Et non sans m’inquiéter du fait qu’une position se référant aux droits de l’homme (et à l’intégrité physique et morale5) soit fournie comme preuve d’une collusion coupable avec les idées néo-conservatrices. Quand on veut à tout prix « se payer » un auteur, on finit par prétendre connaître d’avance ce que ledit auteur va écrire. Au risque de ne plus se donner la peine de lire ce que ce dernier écrit réellement. Et au risque de se heurter à l’iceberg des faits. Pour le plus grand malheur d’une démonstration qui, dès lors, prend l’eau aussi rapidement que le Titanic. ■

Julie Demarez

N

ous terminions les réunions de 2012 par une vente de massepain en vue de se procurer une nouvelle installation sono. Opération réussie ! Nous tenons à féliciter tout le monde pour l’effort fourni et nous vous remercions également de l’accueil que vous avez réservé à cette vente. Une nouvelle installation investira les lieux pour le camp. La période d’examen terminée, les vacances achevées, quelques réunions pour se mettre en jambes et nous sommes déjà dans les starting-blocks pour le camp de Carnaval. C’est à Wiesmes, en

maine. L’équipe de moniteurs est actuellement en train de s’organiser pour proposer une foule d’activités, des jeux, des veillées, des jeux de nuits sur un thème gardé secret jusqu’au camp. Ce camp sera l’occasion pour les nouveaux monos de se retrouver de l’autre côté du grand manège, c’est-à-dire dans les ‘coulisses’ du camp. Ils pourront ainsi se rendre compte des journées (et longues soirées  !) bien remplies que représentent l’organisation et le déroulement d’un camp. Par ailleurs, comme vous avez pu le lire dans notre dernier article, la

Une partie de l'équipe mono

menter notre réflexion en matière de pratiques pédagogiques mais qui a également proposé de nouveaux outils pour la suite de notre expérience d’animateurs. Nous tenterons de mettre cela en place plus concrètement encore lors du camp et contribuer ainsi à un renforcement dans nos différentes pratiques. Alors n’hésitez pas, ne tardez pas, les inscriptions sont presque clôturées.... sans quoi vous risquez de rater la bonne ambiance des camps ! Suivez les activités du mouvement sur le page Facebook ‘UPJBJeunes’. ■

C’est à Wiesmes que nous poserons nos valises pour une semaine.

région namuroise, que nous poserons nos valises pour une se-

formation du mois novembre fut un moment qui a permis d’ali-

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*Pascal Fenaux est journaliste et traducteur à la Revue nouvelle et à Courrier International. Professeur invité à l’IHECS

1

« La question irakienne, dix ans après », La Revue nouvelle, octobre 2002. http:// www.revuenouvelle.be/rvn_abstract. php3?id_article=1227 2 Ce dossier est d’ailleurs évoqué dans une de mes propres notes de bas de page dans mon article POC de décembre 2012. 3 Pascal Fenaux, « Méprises irakiennes », La Revue nouvelle, juin 2004. http://www. revuenouvelle.be/IMG/pdf/020-025_Dossier_Fenaux.pdf 4 Pierre Coopman, Pascal Fenaux et Pierre Vanrie, « Pourquoi ne pas aller manifester ce dimanche  », Le Soir, 18 mars 2011. http://www.lesoir.be/archives?url=/ debats/cartes_blanches/2011-03-18/ pourquoi-ne-pas-aller-manifester-ce-dimanche-829096.php 5 Et se fondant sur la démystification de l’imposture mortifère baasiste à laquelle procéda, il y a déjà trente ans, Michel Seurat, qui l’a payé de sa vie en 1986.

Carte de visite L’UPJB Jeunes est le mouvement de jeunesse de l’Union des progressistes juifs de Belgique. Elle organise des activités pour tous les enfants de 6 à 15 ans dans une perspective juive laïque, de gauche et diasporiste. Attachée aux valeurs de l’organisation mère, l’UPJB jeunes veille à transmettre les valeurs de solidarité, d’ouverture à l’autre, de justice sociale et de liberté, d’engagement politique et de responsabilité individuelle et collective. Chaque samedi, l’UPJB Jeunes accueille vos enfants au 61 rue de la Victoire, 1060 Bruxelles (Saint-Gilles) de 14h30 à 18h. En fonction de leur âge, ils sont répartis entre cinq groupes différents.

Bienvenus

Les pour les enfants nés en 2006 Moniteurs : Léa : 0487.69.36.11

Juliano Mer-Khamis

Les Moniteurs : Milena : 0478.11.07.61 Selim : 0496.24.56.37 Axel : 0471.65.12.90

pour les enfants nés en 2004 et 2005

Marek Edelman

Les pour les enfants nés en 2002 et 2003 Moniteurs : Sacha : 0477.83.96.89 Lucie : 0487.15.71.07 Tara-Mitchell : 0487.42.41.74 Youri : 0474.49.54.31

Janus Korczak

Les pour les enfants nés en 2000 et 2001 Moniteurs : Charline : 0474.30.27.32 Clara : 0479.60.50.27 Jeyhan : 0488.49.71.37

Émile Zola

Les pour les enfants nés en 1998 et 1999 Moniteurs : Sarah : 0471.71.97.16 Fanny : 0474/63.76.73

Yvonne Jospa

Les pour les enfants nés en 1996 et 1997 Moniteurs : Maroussia : 0496.38.12.03 Totti : 0474.64.32.74 Manjit : 0485.04.00.58

Informations et inscriptions : Julie Demarez – upjbjeunes@yahoo.fr – 0485.16.55.42

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vie de l'UPJB Palestine, sous mandat anglais. Il avait aussi dressé un plan pour sauver des enfants juifs de la France de Vichy. Il ne pût le mettre en œuvre car son avion fût abattu le 1er juin 1943 au-dessus de Biscaye, par des Junker allemands. Il avait 44 ans !

Les activités du Club Sholem Aleichem Jackie Schiffmann Voici 37 ans que fût créé le Club Sholem Aleichem, par des membres seniors de l’UPJB désireux de poursuivre une activité culturelle et sociale d’après-midi et non du soir. Cela permettait ainsi aux plus âgés, ayant terminé leur parcours professionnel, de se retrouver dans l’ambiance conviviale propre à l’UPJB. Les activités variées du Club réunissent actuellement chaque semaine de l’ordre de 20 personnes, dont plusieurs octogénaires ! La longue histoire du « CLOUB » et de ses animateurs, mériterait d’être relatée. Nous y songerons pour un prochain numéro. Mais d’ores et déjà, le Club a décidé de vous tenir informés, par des brefs compte-rendus dans Points Critiques, des conférences, visites et autres activités culturelles ouvertes à tous, qu’il organise. C’est donc cette rubrique que nous inaugurons dans ce numéro.

C

avait été, au sein du groupe sioniste Werkleute, un des fondateurs. De mère anglaise, il avait un réseau relationnel important et était aussi l’ami d’Einstein, de Buber et de Weizmann. Bien au courant, par son travail qui l’amenait à beaucoup voyager, de la situation des Juifs dans toute l’Allemagne, il utilisa sa fonction pour faire libérer des Juifs des camps de concentration et organiser avec des fonctionnaires anglais à Berlin, des filières pour les faire sortir d’Allemagne et à les faire transiter par l’Angleterre. Il fit de même pour les 700 employés juifs des Grands magasins Israël, qui reçurent deux ans de salaire pour les aider à entamer leur nouvelle vie. Mais son action la plus remarquable fût son rôle dans le fameux « Kindertransport » qui permit de sauver 10.000 enfants juifs après le pogrom de la Kristall-

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nacht de novembre 1938. À cette date la majorité des leaders juifs avaient été arrêtés et W. Israël avait repris la direction du Hilfsverein, l’organisation d’entraide juive de Berlin, qui obtint, grâce à l’aide d’un groupe Quaker, de pouvoir sauver les enfants, mais sans leurs parents, en les transférant en Angleterre. La firme Israël, familiale et indépendante, agissait aussi comme banque où de nombreux allemands avaient leurs comptes. Elle fût vandalisée mais tint malgré tout jusqu’en 1939 avant d’être arianisée. Wilfrid Israël avait été surveillé étroitement et même arrêté et battu par la gestapo. Averti de son arrestation imminente, il s’enfuit en Angleterre. Il poursuivit son action depuis Londres, notamment en voyageant en Espagne et au Portugal, sous régimes fascistes, pour fournir aux Juifs des certificats d’entrée en

L’UPJB est soutenue par la Communauté française (Service de l’éducation permanente) Secrétariat et rédaction : rue de la Victoire 61 B-1060 Bruxelles tél + 32 2 537 82 45 fax + 32 2 534 66 96 courriel upjb2@skynet.be www.upjb.be Comité de rédaction : Henri Wajnblum (rédacteur en chef), Alain Mihály (secrétaire de rédaction), Anne Gielczyk, Carine Bratzlavsky, Jacques Aron, Willy Estersohn, Tessa Parzenczewski Ont également collaboré à ce numéro : Roland Baumann, Eric Corijn Julie Demarez, Pascal Fenaux, Jonathan Gross, Mina Kostelaniec, Antonio Moyano, Gérard Preszow, Anne Schiffmann, Jackie Schiffmann, Frédéric Thomas

10 janvier : Wilfrid Israël,1899-1943, le sauveur de Berlin, par Christian Israël ’est Christian Israël, scénographe au Musée Juif de Bruxelles, qui nous a retracé le parcours hors norme d’un cousin de son grand-père, Wilfrid Israël. Ce Juif berlinois, directeur d’un des plus grands et anciens Grands Magasins de Berlin créé par sa riche famille, le « Harrods de Berlin », a sauvé près de 30.000 Juifs allemands dont 10.000 enfants, en les faisant sortir d’Allemagne après la nuit de Cristal de 1938. Wilfrid Israël était quelqu’un de discret et modeste, un peu mystérieux, progressiste et engagé très tôt, à 19 ans dans le social, notamment la Croix Rouge. Il avait ramené de ses nombreux voyages en Orient une importante collection d’œuvres d’art. Mécène, il déplaça sa collection à Londres et elle fût léguée après guerre, au musée créé en 1952 au Kibboutz Hazorea près de Meggido, dont il

est le mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique (ne paraît pas en juillet et en août)

Conception de la maquette Henri Goldman Seuls les éditoriaux engagent l’UPJB.

Il est étonnant qu’une telle vie et de telles actions hors du commun, soient si peu connues. Merci à Christian Israël de nous les avoir fait connaître, par son exposé et ses réponses à nos nombreuses questions : et aussi par un court film en anglais qu’il nous a projeté. Il nous informe qu’un long metrage est en préparation. Et aussi qu’un livre très documenté a été publié en 1984 en anglais : A refugee from darkness-Wilfrid Israël and the rescue of jews-Naomi Sheperd. ■

Compte UPJB IBAN BE92 0000 7435 2823 BIC BPOTBEB1 Abonnement annuel 18 euro ou par ordre permanent mensuel de 2 € Prix au numéro 2 € Abonnement de soutien 30 € ou par ordre permanent mensuel de 3 € A b o n n e m e n t    a n n u e l   à l’étranger par  virement de 40 € Devenir membre de l’UPJB Les membres de l’UPJB reçoivent automatiquement le mensuel. Pour s’affilier: établir un ordre permanent à l’ordre de l’UPJB. Montant minimal mensuel: 10 € pour un isolé, 15 € pour un couple. Ces montants sont réduits de moitié pour les personnes disposant de bas revenus.

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agenda UPJB

Sauf indication contraire, toutes les activités annoncées se déroulent au local de l’UPJB, 61 rue de la Victoire à 1060 Bruxelles (Saint-Gilles)

vendredi 1er février à 20h

Le Non conformiste - portrait de Marcel Liebman. Film réalisé par Hugues Le Paige (voir page 23)

lundi 4 février à 20h15

Conférence-débat avec Anna Balzer, Witness in Palestine en partenariat avec l’Association Belgo-Palestinenne (voir page 24)

vendredi 8 février à 20h15

Conférence-débat avec Bertrand Herremans Entre terreur rouge et peste brune, la Belgique livide (1918-1940) (voir page 24)

vendredi 22 février à 20h15

Conférence-débat avec Insa Meinen et Laurence Schramm Qu’en est-il aujourd’hui du « cas belge » du judéocide ? (voir page 25)

vendredi 1er mars à 20h15

Conférence-débat avec Eric Fassin Démocratie précaire. Chronique de la déraison d’État (voir page 25)

samedi 2 mars dès 19h

Grand Bal yiddish de l’UPJB avec le Yiddish Tanz Rivaïvele et le traditionnel mega-buffet (voir page 26)

dimanche 24 mars à 15h Éditeur responsable : Henri Wajnblum / rue de la victoire 61 / B-1060 Bruxelles

Première en Belgique : Would you have sex with an Arab ? En présence de la réalisatrice Yolande Zauberman et du coscénariste Selim Nassib (voir page 27)

club Sholem Aleichem Sauf indication contraire, les activités du club Sholem Aleichem se déroulent au local de l’UPJB tous les jeudi à 15h (Ouverture des portes à 14h30)

jeudi 7 février

« L’actualité du Proche-Orient après les élections israéliennes du 22 janvier », par Henri Wajnblum, rédacteur en chef de Points critiques.

jeudi 14 février

Congé Carnaval - Pourim.

jeudi 21 février

Le temps de lire  : « Vie et mort pour la poésie, l’œuvre du poète russe Ossip Mandelstam,victime du stalinisme », par Tessa Parzenczenwski, chroniqueuse littéraire à Points critiques.

jeudi 28 février

«  Le surréalisme belge en peinture et en littérature », par Paul Aron, professeur à l’ULB

jeudi 7 mars

Prix : 2 euro

À l’occasion de la journée de la femme, Jamila Si M’Hammed, psychiatre et présidente du Comité belge « Ni putes ni soumises », viendra nous parler d’un sujet brûlant « Féminisme, égalité, mixité et laïcité : état des lieux aujourd’hui » Les agendas sont également en ligne sur le site www.upjb.be


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