n°328 - Points Critiques - septembre 2012

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mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique septembre 2012 • numéro 328

éditorial Droit des étrangers. Un consensus xénophobe Bureau de dépôt: 1060 Bruxelles 6 - P008 166 - mensuel (sauf juillet et août)

DANIEL LIEBMANN

T

emps de crise – économique, sociale, politique, écologique. Les réponses gouvernementales européennes vont dans le sens de toujours plus de libéralisme. En ce qui concerne le droit des étrangers, le gouvernement belge semble suivre deux préceptes : faire payer la crise aux plus faibles, et surfer sur la vague électorale de la xénophobie. Cette tendance s’est manifestée dès la formation du gouvernement Di Rupo avec les premières mesures de la nouvelle secrétaire d’État à l’Asile et aux Migrations, Maggie De Block (Open VLD). Première cible : les demandeurs d’asile. Dans la lignée de ses prédécesseurs, De Block avance des chiffres ima-

ginaires qu’elle répand dans la presse : « 90% des demandeurs d’asile n’ont pas de raison de venir ici ». Il s’agira donc de réprimer les fraudes, d’enfermer et d’expulser toujours plus. Un nouveau centre fermé a d’ailleurs été créé, au nom sympathique et tellement belge de « Caricole ». Quant à l’enfermement d’enfants, le gouvernement réitère qu’il s’y oppose en « principe » (c’est en effet contraire au droit international) mais de nombreuses exceptions ont été prévues sous le gouvernement en affaires courantes d’Yves Leterme. L’exécutif actuel prévoit cependant un enfermement « adapté » pour les enfants. Des balançoires et des play-stations derrière les barbelés ?

BELGIQUE-BELGIE P.P. 1060 Bruxelles 6 1/1511

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sommaire

éditorial

1 Droit des étrangers. Un consensus xénophobe ................... Daniel Liebmann

israël-palestine

4 Le gouvernement israélien sourd à la contestation ......... Thérèse Liebmann

lire

6 Leïb Rochman. Une errance hallucinée .........................Tessa Parzenczewski

lire, regarder, écouter

8 Éphémère toi-même ................................................................ Antonio Moyano

histoire(s)

10 Les Juifs et la Bible. Une relation tourmentée ...................... Henri Wajnblum 12 La guerre d’Espagne en yiddish ...............................................Willy Estersohn

mémoire(s)

14 La bataille de Berlin ............................................................... Roland Baumann 16 La généalogie juive en congrès ..................................................Marie Cappart

réfléchir

18 Qu’est-ce que l’antisémitisme ? De l’essai au roman............... Jacques Aron

yiddish ? yiddish !

! widYi ? widYi

22 der boym fun libe - L’arbre d’amour ........................................Willy Estersohn

humeurs judéo-flamandes

24 Le temps des concombres ..........................................................Anne Gielczyk 26

activités écrire

34 Des châteaux et des hommes........................................................ Andrés Sorin

upjb jeunes

28 Entre terre et mer. Camp d’été 2012 ...........................................................Julie 32

les agendas

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éditorial ➜ D’autre part depuis des années, la droite réclame l’établissement par les autorités belges d’une liste de « pays sûrs ». Le principe de cette liste a été adopté par le gouvernement Di Rupo. Il s’agit de pays où les Droits de l’Homme sont prétendument respectés et dont les ressortissants pourraient donc se voir automatiquement déboutés, sur la simple base de leur pays d’origine. Le problème que pose cette liste de pays sûrs, c’est qu’elle contrevient ouvertement à un principe fondamental du droit d’asile : l’écoute individuelle. Il est plus que probable que les considérations prises en compte auront très peu à voir avec les Droits de l’Homme, mais plutôt avec les relations diplomatiques et surtout la lutte contre l’immigration « massive ». En particulier, les Roms d’Europe de l’Est, réputés ressortissants d’États « démocratiques » pourront facilement se voir refuser l’accès même à la procédure d’asile « normale ». Plus inquiétante encore, et pas seulement pour les Roms, la volonté affichée par le gouvernement de collaborer avec les pays d’origine… c’est-à-dire précisément avec les autorités que les demandeurs d’asile fuient ! Une cruelle illustration de cette politique de refus nous vient de Flandre, où l’expulsion du jeune Afghan Parwais Sangari a créé une large vague d’émotion, de solidarité et d’indignation. Vivant dans une famille d’accueil flamande, ce jeune demandeur d’asile s’est vu brusquement débouté de ses droits en Belgique et expulsé vers l’Afghanistan. Il s’agit d’une violation frontale du droit d’asile, dans la mesure où personne n’ignore que l’Afghanistan est un pays en guerre (les autorités bel-

ges déconseillent d’ailleurs à nos concitoyens de s’y rendre). Ce qui va à contre-courant de l’idéologie dominante, c’est que de nombreux citoyens belges, relayés par les médias, se sont fermement opposés à cette mesure qui frappe un jeune homme parfaitement intégré à la société. Mais le gouvernement s’est arc-bouté sur la position de sa secrétaire d’État et Parwais Sangari se retrouve à présent, sans aucun soutien, seul dans un pays où il craint pour sa vie. Rien de bien neuf dans toute cette affaire, qui rappelle l’acharnement administratif et politique dont avait été victime en 1998 la jeune Semira Adamu, fuyant un mariage forcé au Nigéria. Mais les expulsions s’élargissent désormais à d’autres étrangers : des citoyens européens ! La presse française a ainsi révélé que durant les six premiers mois de cette année, 1.224 Français, Italiens, Polonais ont été expulsés de Belgique. La raison ? Trop pauvres, ils constituent une « charge déraisonnable » pour notre système de protection sociale. Pour les autorités belges, mobilisées par la chasse aux chômeurs et à la « fraude sociale », la citoyenneté européenne n’est plus une protection en terme de droit de séjour. Il y a une base juridique à cela : une directive européenne permet ce genre d’expulsion de citoyens pauvres qui pèsent sur le système de protection sociale. C’est l’argument qu’avait trouvé en 2010 Nicolas Sarkozy pour procéder à l’expulsion de Roms de nationalité roumaine et bulgare. Le gouvernement papillon approfondit donc la politique de forteresse assiégée qui est celle de tous les États européens depuis

les années 90. Et en cette matière (comme en bien d’autres) il n’y a pas de différence perceptible entre la gauche et la droite au gouvernement. Mais le droit des étrangers, ce n’est pas seulement la question des demandeurs d’asile et des sans-papiers, ceux qu’on appelle aujourd’hui les « primo-arrivants ». Il y a aussi la problématique de l’accès à la nationalité belge pour les étrangers qui séjournent légalement dans le pays. Et là aussi le gouvernement papillon, sous prétexte de traquer des « abus », procède à un recul qui ne va pas dans le sens de l’intégration. Nous sommes déjà loin du temps où Louis Michel poussait son parti à adopter une réforme libérale (au sens noble du terme) de la loi sur l’accès à la nationalité. Aujourd’hui, ce sont Didier Reynders et Charles Michel qui dictent au MR une politique xénophobe, selon laquelle « le multiculturalisme est un échec », reprenant presque mot pour mot les slogans défendus ailleurs par Angela Merkel et David Cameron. La réforme sur laquelle les partis de la majorité gouvernementale se sont mis d’accord met fin au principe selon lequel, pour faire simple, la durée du séjour légal en Belgique était le critère principal ouvrant l’accès à la nationalité. Si les textes sont votés à la rentrée (ce qui est à prévoir puisque seuls les verts ont le courage de s’y opposer), de nouveaux critères linguistiques, sociaux et économiques entreront en ligne de compte. Passons sur le critère linguistique : dans un pays aussi crispé que la Belgique sur les questions de langues, il était à peu près inévitable que les étrangers candidats à la nationalité doivent

s’exprimer dans une des langues nationales. L’essentiel n’est pas là : ce sont les autres critères qui introduisent des discriminations de langue et de genre. Il faudra désormais avoir travaillé 468 jours complets sur les cinq dernières années pour avoir accès à la nationalité. En temps de crise, ce nouveau critère est un frein important, surtout pour les femmes migrantes qui sont les plus concernées par le travail à temps partiel et le travail domestique (qui n’est évidemment pas pris en compte). Il faudra en outre avoir suivi une formation ou présenter un diplôme obtenu en Belgique (comme si un diplôme obtenu ailleurs ne valait rien). Il est notoire que le fait de disposer de la nationalité belge aide à trouver un emploi. Avec la nouvelle procédure, c’est le serpent qui se mord la queue : sans emploi, pas de nationalité. Sans surprise, la N-VA votera ces propositions avec la majorité, le député Theo Francken précisant même que « ce texte s’appuie sur le compromis que nous avions conclu avec les partis de la majorité flamande l’été dernier ». Cela en dit long sur qui dicte l’agenda politique dans ce pays… Toutes ces réformes font de notre pays un territoire de plus en plus fermé à l’autre. Comme progressistes, nous ne pouvons l’accepter. Et comme Juifs, immigrés ou descendants d’immigrés, nous connaissons la valeur d’un titre de séjour et d’une carte d’identité et nous continuerons de plaider pour une politique ouverte, généreuse et sociale, à contre-courant du consensus xénophobe ! ■

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israël-palestine Le gouvernement israélien sourd à la contestation THÉRÈSE LIEBMANN

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’été 2011 en Israël avait été marqué par des manifestations géantes dans les grandes villes israéliennes : plus de 400.000 personnes, dont 300.000 à Tel Aviv, où elles avaient planté des tentes sur le résidentiel Boulevard Rothschild. Le principal mot d’ordre était la « Justice sociale ». Ce succès de foule eut un effet de surprise sur les manifestants eux-mêmes, sur l’ensemble de la population et les média et sur le gouvernement israélien. Ce dernier chargea une commission de présenter des mesures économiques et sociales pour calmer les contestataires mais, en dépit de leur caractère modéré, il les rejeta et se contenta de faire quelques concessions mineures, de sorte que la situation économique et sociale ne cessa de se dégrader. D’aucuns s’imaginèrent donc que l’été 2012 allait voir revivre la contestation sociale. Mais le premier ministre et le maire de Tel Aviv avaient, eux aussi, pensé au réveil de la contestation et ne souhaitaient plus être pris au dépourvu : le boulevard Rothschild fut interdit à toute manifestation et l’armée et la police reçurent l’autorisation d’user de violence contre les manifestants. Elles ne s’en privèrent pas. C’est ainsi que, le 21 juin dernier, les forces de l’ordre attaquèrent violemment quelques dizaines de protestataires, les frappant, les jetant à terre et leur donnant des coups de pied. Da-

en rangs séparés. On pouvait y voir les leaders du « Forum israélien pour un service (militaire) universel », les meneurs des manifestations de l’été 2011, ainsi que ceux de nouvelles tendances apparentées.

LA PROBLÉMATIQUE DE L’OCCUPATION phni Leef, qui avait déclenché les grandes manifestations de l’été 2011, était parmi les blessés de ce 21 juin 2012.

LA MANIFESTATION DU 14 JUILLET Cela ne l’a pas empêchée de se retrouver, le 14 juillet, comme à la même date l ‘année dernière, parmi les manifestants de Tel Aviv, proclamant que leur message n’avait pas changé : « le peuple demande la justice sociale ». Mais cette fois, ils étaient moins de 10.000 et leur mouvement n’était plus du tout homogène. En effet, même dans le domaine de la contestation sociale proprement dite, certains groupes, moins proches de la classe moyenne, défendaient plutôt les classes défavorisées. Il y avait surtout la présence d’un nouveau mouvement « Israeli Forum for Equal Service » qui revendiquait, outre une égalité de droits, une égalité de devoirs, sous la forme d’un service militaire ou civil national pour tous, incluant les Juifs orthodoxes et les Arabes israéliens : « un partage équitable du fardeau national » et surtout la « conscription universelle ». Parmi eux se trouvaient des laïcs et aussi des Juifs religieux qui sont appelés à faire leur service militaire. Ils expliquaient leur présence dans la manifestation par le sentiment d’injustice qu’ils éprouvaient à cause du grand nombre d’Israéliens exemptés du service militaire.

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Cette manifestation du 14 juillet à Tel Aviv se termina par un fait tragique. Moshe Silman s’immola par le feu après avoir donné lecture d’une lettre dans laquelle il déclarait : « L’État d’Israël m’a laissé sans rien… J’accuse Israël, le premier ministre et le ministre des Finances pour l’humiliation constante que les citoyens d’Israël doivent endurer quotidiennement. Ils prennent aux pauvres pour donner aux riches… ». Ce petit entrepreneur de 57 ans était devenu, au fil de sa vie professionnelle, une victime du système des banques et des assurances, comme bien d’autres Israéliens qui n’ont pas la chance de se trouver parmi les grands patrons. Benyamin Netanyahou minimisa ce fait le qualifiant d’acte isolé. N’empêche que ce geste fut reproduit par d’autres désespérés, comme Akiva Mafi, un ancien combattant de 45 ans, handicapé à la suite d’un accident survenu pendant son service militaire et qui ne pouvait plus faire face à ses difficultés financières. Ceux qui avaient pris la tête de la manifestation du 14 juillet ont compris que, pour assurer le succès de la contestation, les différentes tendances devaient être rassemblées en un seul cortège. Les interminables palabres entre les représentants des différentes tendances n‘ont cependant pas changé la donne et la manifestation du 3 août réunit seulement 2.500 participants qui défilèrent

Lors des tables de discussions qui avaient précédé cette dernière manifestation, il est un problème important qui ne fut pas abordé : l’occupation des territoires palestiniens. Et pourtant, il avait été d’actualité depuis la manifestation du 3 juin à Tel Aviv, où des groupes de militants avaient proclamé : « pas de justice sociale sans arrêt de l’occupation » et « paix, égalité et justice sociale ». Aussitôt une scission apparut parmi les protestataires, la majorité d’entre eux ne souhaitant pas que le mouvement social prenne une tournure politique à propos du conflit avec les Palestiniens. Aucun argument ne réussit à les faire changer d’avis, même pas les raisons économiques qu’avançaient certains militants pour démontrer que la part du budget consacrée à la colonisation et aux colons – qui bénéficient, en outre, d’énormes avantages fiscaux – dépasse de loin celle qui est consacrée aux services sociaux à l’intérieur d’Israël. L’organisation Shalom Achshav (La Paix Maintenant) a montré que le gouvernement israélien pouvait économiser 325 millions d’euro si les dépenses pour chacun des colons étaient égales à celles faites pour les citoyens en Israël. Or rien que pour les 12 derniers mois, la population juive de Cisjordanie a augmenté de 4,5%, dépassant ainsi le chiffre de 350.000. Ainsi, l’opinion publique israélienne et les manifestants ne

pourront pas plus infléchir la politique de colonisation israélienne en Cisjordanie que les résolutions du Conseil de Sécurité des Nations unies. Il est à craindre que pour un certain temps encore le gouvernement israélien poursuivra les expulsions de Palestiniens et la construction de nouvelles colonies en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, même si elles sont jugées illégales par le droit international. La Cisjordanie vient d’ailleurs d’être dotée d’une université à Ariel. Le fait que le centre d’études de cette colonie a obtenu le titre d’université lui procure en même temps un budget important.

LA SURDITÉ DU GOUVERNEMENT NÉO-LIBÉRAL Si les manifestants avaient inclus la fin de l’occupation dans leurs revendications, cela n’aurait probablement changé en rien la politique gouvernementale. En ce qui concerne leurs revendications sociales, ils n’ont guère obtenu beaucoup plus. En effet, un nouveau plan d’austérité a été approuvé par le Cabinet ministériel, ce 30 juillet, prévoyant la hausse de plusieurs taxes, dont la TVA, et de nombreuses restrictions budgétaires. La seule aumône faite aux plus démunis est que l’impôt sur leur revenu ne sera pas augmenté, alors qu’il sera augmenté d’1% sur les revenus moyens et de 2% sur les hauts revenus. Et Benyamin Netanyahou, fier de lui, de déclarer dans un communiqué : « C’est une décision responsable qui va préserver l’économie d’Israël et les emplois de ses citoyens. » Son gouvernement tient en tous cas en place. Ce ne sont pourtant pas non plus les manifestants qui avaient

revendiqué un service militaire universel qui l’ont mis en péril. Ils avaient, en effet, espéré pouvoir faire pression sur le gouvernement pour que celui-ci respecte l’expiration, au 31 juillet 2012, de la loi « Tal », adoptée 10 ans plus tôt et permettant aux Juifs ultra-orthodoxes d’étudier dans les yeshivot au lieu de faire leur service militaire. La Cour suprême avait d’ailleurs, dès février 2012, déclaré que cette loi serait inconstitutionnelle à partir du 1er août. En outre, le parti de centre-droit Kadima, ayant saisi qu’une majorité d’Israéliens (64%) étaient favorables à l’extension de la conscription à tous, était entré dans la coalition gouvernementale en mai 2012 pour obtenir cette réforme. Il en sortit cependant le 17 juillet, lorsqu’il se rendit compte que Benyamin Netanyahou, préférant ménager le parti ultra-orthodoxe Shass, également membre de la coalition, n’était pas prêt à faire enrôler les ultra-orthodoxes dans l’armée. Les manifestations des « indignés » israéliens se soldent donc par un échec. Michel Warschawski (1) avance l’explication suivante : « Une des raisons de cet échec est le refus de la direction du mouvement d’aller au-delà du côté « non politique » de leurs revendications. (…) Cette approche est (…) auto-destructrice : afin de contrer la stratégie néo-libérale, le mouvement a besoin d’une stratégie politique alternative et d’une ligne de confrontation avec la politique globale de Benyamin Netanyahou, en particulier sa fomentation de la guerre contre l’Iran. Sinon, « l’unité nationale contre la menace extérieure » va tuer toute chance d’un mouvement social de masse. » ■ 1 Alternative Information Center, 16 juillet 2012.

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lire Leib Rochman. Une errance hallucinée TESSA PARZENCZEWSKI

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n 1968, paraît à TelAviv un roman écrit en yiddish par un auteur peu connu, Leïb Rochman. Il n’était pas anodin à l’époque d’écrire en yiddish en Israël, alors que tout y était mis en œuvre pour effacer cette langue et la culture qui s’y rattache de l’espace public. Mais l’odyssée des rescapés, l’évocation des morts, Leib Rochman ne pouvait l’écrire que dans la langue du peuple anéanti, comme une main tendue, comme un dernier hommage. Il a fallu attendre plus de quarante ans pour découvrir, grâce à Rachel Ertel, infatigable exploratrice de la littérature yiddish, l’œuvre en français. À pas aveugles de par le monde, ouvrage touffu, foisonnant, de longue haleine, conte, à travers villes et pays, de Lodz à Rome, en passant par Amsterdam et Leysin, l’errance hallucinée des rescapés à travers l’Europe. La trame nue du récit recoupe l’histoire même de Leïb Rochman. Né en 1918 à Minsk-Mazowiecki en Pologne dans un milieu hassidique, Rochman a connu le ghetto et le camp de travail d’où il s’évade. Il passera le reste de la guerre chez une paysanne polonaise, caché entre deux murs. En 1946, il se trouve à Kielce, au moment du pogrom.

Plus tard, il séjournera en Suisse, en Italie, en France et finira par s’installer en Israël en 1950. Si le roman est ancré dans l’effroyable réalité, il s’en échappe, non pas dans une fuite, mais plutôt en approfondissant le réel, en le transposant dans une sorte de vision parallèle, où les lieux d’extermination sont à peine nommés mais désignés sous le nom générique de Plaines. C’est des Plaines que s’en revient S., « il » d’abord, « je » ensuite, car le narrateur est pluriel, porteur d’identités floues. Nous suivons le flux des rescapés à Lodz où, dans des chambrées délabrées, tout un peuple en désarroi tente de reprendre pied, de retrouver les gestes de la vie, du désir… mais l’hostilité des habitants les pousse à un nouvel exode. C’est à Amsterdam que nous retrouvons les survivants dans un étrange procès d’un tribunal rabbinique comme au temps de Spinoza, où les faits et gestes des vivants et des morts sont passés au crible, à travers siècles. Rochman nous mène dans des univers inso-

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lites et angoissants. À Offenbach sur le Main, un bibliothécaire rassemble tous les livres profanés, les livres sacrés et les autres, ceux de la modernité, écrits par des Juifs au sein des nations, et là aussi s’engage un procès, comme une vaste allégorie, les livres prennent la parole, s’interpellent, lesquels représentent le judaïsme ? Lesquels n’ont rien vu venir ? Et puis Leysin, dans la paisible Suisse. Et l’on pense, enfin l’apai-

sement. Mais non, au sanatorium, dans leurs coquilles de plâtre, avec leurs morts accrochés à eux comme autant de dibbouks, les rescapés cherchent en vain la paix. Des personnages surgissent de la masse anonyme, des histoires individuelles prennent forme, un implacable retour du réel. Plus tard, nous sommes à Rome. Images rassurantes d’une ville qui revit, mais sous terre, dans les catacombes, survivent ceux qui ne veulent plus frayer avec les autres nations et qui creusent des tunnels pour se tapir et se protéger alors que d’autres continuent leur marche, forçant les frontières, pour atteindre le pays promis. Une écriture qui exploite plusieurs registres, d’un réel méticuleux à des échappées oniriques, des images fulgurantes, des scènes surprenantes, comme cet étrange concours de tir à la colombe à Rome, métaphore sans appel. Un très grand écrivain nous est révélé sur le tard. À la question de savoir comment entrer dans ce livre, Rachel Ertel répond : « Il faut se laisser engloutir ». En réalité, on n’a pas le choix. Le lecteur est englouti, aspiré, comme pris dans une nasse plombée. Contrairement aux romans d’Aharon Appelfeld, qui explorent le même univers mais

Leib Rochman et sa femme Esther dans le ghetto de Minsk Mazowiecki

d’où sourd toujours une lumière ténue, Leïb Rochman n’offre aucune échappatoire et le lecteur n’en sort pas indemne. ■ À pas aveugles de par le monde Leïb Rochman Traduit du yiddish par Rachel Ertel Préface d’Aharon Appelfeld Denoël 829 p., 35 EURO

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lire, regarder, écouter Éphémère toi-même (De quelques couples au cinéma ou dans la vie...) ANTONIO MOYANO

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e Hasard, quartz ou ersatz ? C’était le dimanche 27 mai 2012, tu regardes en clair sur BeTV le Palmarès du Festival de Cannes. La Palme d’Or ira au film Amour de Michael Hanneke, et montent sur scène les deux protagonistes, non certes des jeunes premiers mais certainement pas des « vieux derniers ou vieux croûtons », bien au contraire, l’un et l’autre, inoubliables, scintillent dans nos mémoires de cinéphiles : Emmanuelle Riva, Jean-Louis Trintignant. En clôture de festival, la projection du dernier film de Claude Miller, Thérèse Desqueyroux. Ce roman de François Mauriac est paru en 1927, l’année de naissance d’Emmanuelle Riva et la même Emmanuelle Riva était la Thérèse Desqueyroux du film réalisé par Georges Franju il y a exactement un demi-siècle, c’était en 1962. Une par contre dont j’ignorais tout, oui, cette femme que je croyais Grecque, cette Génica Athanasiou, le grand amour d’Antonin Artaud (1896-1948), hé bien j’ai enfin pu la découvrir grâce à ce livre que j’ai déniché à l’Espace Maurice Carême-Bibliothèque d’Anderlecht (descendre Métro Saint-Guidon) et comme d’hab il était à la « réserve », faut croire que j’aime les livres que personne ne lit ! Lettres à Génica Athanasiou (Gallimard, 1969, Collection Le Point du Jour, 377 pages). Génica Athanasiou (1897-1966) est née à

Bucarest, elle débarque à Paris en 1919 ; deux ans plus tard, elle fait la connaissance d’Artaud dans la troupe de Charles Dullin. Elle jouera dans trois spectacles mis en scène par Artaud. Elle est la Servante dans le Don Quichotte de Pabst en 1935, sa carrière se poursuivra jusque dans les années 1950. Et surtout, elle sera en 1922, l’Antigone de Jean Cocteau (musique Arthur Honegger, décors Pablo Picasso, costumes Gabrielle Chanel, pardonnez du peu !) Et que se disent ces deux-là pendant plus de dix ans ? Pour en juger, nous n’avons que le point de vue d’Artaud. S’ils s’écrivent c’est qu’ils sont souvent séparés. Et lui, follement amoureux, panique à l’idée de la perdre. Et Artaud n’est pas encore Artaud-le-Momo, édenté et plein de tics, le visage tout de travers mais le fringant jeune homme aux yeux hallucinés tel qu’il apparaît dans la Jeanne d’Arc de Dreyer ou le Napoléon d’Abel Gance. Il a encore des doutes, le théâtre ? une carrière d’acteur ? ou la littérature ? Il ne cesse de lui réclamer des sous, il a une addiction qui revient cher, l’opium. Il signe ses lettres Naky ou Nanaqui, et ça se lit comme un roman ; il me reste encore à découvrir les photos que Man Ray avait fait de la belle en ces années-là. Tous deux avaient-ils un mot de passe au surgissement du désir, du genre faire catleyas comme Charles Swan et Odette de Crécy ? En ce

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qui me concerne, j’ai relégué les très chics orchidées au frigidaire et j’ai fait mienne l’expression « t’es opé ? » Opé c’est quoi ? Opérationnel, ça vient tout droit du superbe film de Jacques Audiard De rouille et d’os, film que j’ai vu deux fois, la première en solo, la seconde avec l’amour qui est, c’est selon, opé, ou pas. De couple en couple, parlons aussi de ce film qui m’a fortement déçu, À perdre la raison de Joachim Lafosse, tous les acteurs sont parfaits mais malheureusement le réalisateur a manqué d’humilité, ce sujet de la mère qui assassine ses quatre enfants est trop écrasant pour lui (comme pour nous tous). Et à quoi bon nous présenter « leur existence » sans enquête et sans procès ; tout le suc des séries policières qu’on dévore à la télé le prouve : ce qui nous passionne c’est le pas à pas de celui qui cherche à comprendre et les témoins et le dévoilement des non-dits, et ensuite le procès. « Ah, enfin ! oui, là, ça va vraiment commencer » me suis-je dit, quand la mère ouvre la bouche et parle un peu, un peu à la psy. Stop, c’est déjà fini, la scène est fort courte. Et de nouveau je me suis senti aussi coincé qu’une cale bloquant la fermeture d’une porte. Consolons-nous en réécoutant Maria Callas dans la Médée de Cherubini, ou la Médée de Marc-Antoine Charpentier ou celle de Mikis Theodorakis. Un amour exclusif (Collection 10/18,

traduit de l’allemand par Françoise Toraille, 184 pages), Johanna Adorján (Stockholm, 1971) a écrit un livre pour tenter de comprendre comment ? pourquoi ? quelles sont les racines de ce double suicide : ses grands-parents paternels ont décidé de mourir ensemble. Seize ans après, leur petite-fille se lance dans une enquête qui la mène à interroger ses proches mais tout différemment qu’auparavant, des membres éloignés de la famille, des survivants, les voisins, des témoins, la plupart d’entre eux déjà fort âgés. Elle scrute les photos familiales, elle retourne sur les lieux mêmes que les photos indiquent, cherchant à mêler ses pas sur le sentier irrévocablement effacé du temps passé et révolu. Ce petit livre sans prétention est exemplaire de ce genre à part entière : le roman familial, on cherche à recomposer un puzzle dont on ignore que des pièces essentielles manquent et manqueront toujours. Le romanesque, c’est le descriptif minutieux de leur dernière journée, derniers gestes, derniers conseils avant de s’endormir à tout jamais côte à côté dans le même lit. « Que font deux êtres humains pendant une matinée dont ils savent que c’est la dernière de leur vie ? Je me dis qu’ils mettent tout en ordre. » (p.27) Et c’est dans les petits détails que surgit l’émotion (attention, ce livre n’est pas du tout pleurnichard !) : « …elle colle à côté sa propre lettre d’adieu, écrite sur un post-it tellement minable que ses enfants vont longtemps en chercher une autre, une vraie. » (p.176) « Le père de mon grand-père, le libraire, s’appelait à sa naissance Samuel Adler. Mais comme en Hongrie les noms allemands indiquent une origine juive, il décida – on ne sait jamais – de donner au sien une consonance hongroise. Samuel devint Sandór,

et Adler, Adorján. » (p.88) Les grands-parents ont fui la Hongrie le 20 novembre 1956 et sont arrivés au Danemark. « Ces Juifs de Budapest étaient devenus citoyens danois. (…) personne ne devait savoir qu’ils avaient été communistes, qu’ils étaient juifs, qu’ils étaient des Juifs communistes originaires d’Europe de l’Est. » (p.126) Après avoir parlé de tous ces couples, laissons place aux enfants, les voici tout endormis, s’abandonnant les yeux fermés, plein de confiance, comme des poupées de chiffons, et des adultes les manipulent tels des marionnettes, et les mioches sont comme des jouets et les adultes comme des enfants. Et le joueur de cornemuse sera suspendu par les pieds, est-il une sorte de joueur de flûte de Hamelin désirant entraîner tous les enfants derrière lui ? De quoi je parle ? Le Musée de la danse, une chorégraphie pour 9 adultes et 9 enfants de Boris Charmatz. Aucune parole mais par contre que d’émotions nées de l’entremêlement, du surgissement de tant et tant d’images : enfants morts qu’on tente d’enterrer, épidémie de la peste, du choléra, massacre des Innocents, rayon lumineux faisant office de filet d’eau ou de vasistas d’air frais, petits corps qu’on essaye de ranimer, corps entassés dans les wagons à bestiaux de la déportation… Et voici d’autres enfants dansant, bougeant, courant avec des vieilles personnes ou des plus jeunes et doucement, va, cours, cache-toi du perfide rayon lumineux du mirador, as-tu besoin d’une main pour t’accrocher ? cherche, cherche comment ne pas tomber, et tous nous murmurent Y a-t-il quelqu’un ? encore et encore ; sur une bande sonore où se mêlent Camille s’adressant à Hidelgard (von Bingen ?), la Duras parlant des enfants, de la mu-

sique baroque et clavecin, le laisse venir de L’Imprudence d’Alain Bashung, et d’autres musiques, c’est casse-tête énumérer tous ces sentiments qui te font comme un bouillon-sanglots au fond de la gorge ! Quand je songe que t’as failli rater ce spectacle, t’es pas normal !? alors que tu travailles dans la rue de ce théâtre. De quel théâtre tu parles ? Les Tanneurs rue des Tanneurs. Le titre : Personne(s) : avec 21 participants seniors, juniors, enfants, un projet participatif et intergénérationnel imaginé et chorégraphié par Thierry Thieû Niang. Certains se disent : À quoi bon parler d’une chose qui n’existe déjà plus à l’heure même qu’on en parle ? L’éphémère est autant l’essence même du théâtre que notre lot à tous (à longue ou brève échéance). Alors oui, le plaisir de ne pas (ne pas) cueillir le coquelicot, juste accueillir l’émerveillement qu’il nous procure… ■

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histoires Les Juifs et la Bible. Une relation tourmentée HENRI WAJNBLUM

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ans son ouvrage précédent, (voir Points critiques n° 311 de décembre 2010)1, JeanChristophe Attias nous invitait à un passionnant périple à travers l’histoire du judaïsme en compagnie d’une pléiade d’exégètes rabbiniques. Le lecteur non croyant pouvait être déconcerté par les innombrables références bibliques auxquelles l’auteur avait recours, mais faut-il rappeler que si elles ne constituent pas des livres d’histoire, les Écritures et leurs exégèses font partie intégrante de l’histoire du judaïsme ? Aujourd’hui2, et toujours avec les mêmes innombrables références bibliques, ce sont les relations tumultueuses entre les Juifs et la Bible qu’il nous convie à analyser. Et c’est tout aussi passionnant, tout aussi marqué du sceau d’une phénoménale érudition. Dès l’entame, l’auteur frappe fort… Relations tumultueuses ? En effet. Car, comme il nous l’explique, les Juifs se sont définis, selon les temps et les lieux, « avec la Bible, sans la Bible, contre la Bible. Avec la Bible, mais pas avec elle seulement. Sans la Bible, mais jamais complètement sans elle. Contre la Bible, mais en même temps toujours ‘tout contre’. On verra la Bible elle-même échapper à toute définition univoque. Livre un, ou bibliothèque disparate ? Texte ou objet ? Révélation divine ou mythe national ? Littérature ou code législatif ? (…) Pour les Juifs, au fil

de plus de deux millénaires, la Bible a été tout cela. Cela, et bien d’autres choses encore. Parce qu’à travers elle et les divers rapports que les Juifs ont historiquement construits avec elle, ce sont les multiples métamorphoses des Juifs eux-mêmes qui se donnent à lire. (…) ». Les Juifs et la Bible, ou bien faudrait-il dire les Bibles ? Car, « estce bien toujours au même ‘Livre’ que songe chacun en prononçant le mot ? Hétérogénéité des genres littéraires, diversité des langues et des canons, texture composite et fiabilité douteuse des documents, contradictions internes : tout semble conspirer à ébranler ce qui, par ailleurs, nous est régulièrement présenté comme l’un des piliers d’une, voire de plusieurs ‘civilisations’ – la juive, la chrétienne, la ‘judéo-chrétienne’ »… Bibles multiples en effet, car « la Bible de Philon n’est pas celle des massorètes. La Bible des Juifs n’est pas celle des chrétiens. La Bible des catholiques n’est pas celle des protestants. Toutes sont pourtant bien la Bible, lieu de partage et de confrontation intra et inter confessionnels ». « Enlevez la Bible aux Juifs, ils ne seront plus juifs. Ne leur laissez que la Bible, le seront-ils encore ? » se demande Jean-Christophe Attias. Et de répondre à son propre questionnement… « Toute l’ambiguïté du rapport des Juifs à la Bible semble être là. Ce rapport

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paraît essentiel à leur identité. Il reste en même temps insuffisant à la fonder. ». Car il faut admettre que « la problématique de l’ ‘identité’ elle-même est une problématique foncièrement moderne. Qu’elle ne s’est en tout cas pas posée de la même manière tout au long du parcours historique plurimillénaire des Juifs comme collectivité d’une part, et du judaïsme comme doctrine ou comme culture, d’autre part. Et que l’ ‘identité’ dont on parle n’est pas moins improbable que le ‘lieu’ où l’on voudrait l’installer ». Rien n’indique d’ailleurs que « la question même de son identité, du moins au sens où nous entendons aujourd’hui couramment ce mot, soit si centrale dans l’expérience quotidienne du Juif prémoderne. Son appartenance à sa communauté est alors une donnée de fait qui tient à sa naissance, qui s’impose à lui et en dehors de laquelle il n’a tout simplement pas d’existence légale. (…) La définition de son ‘identité’ intime est sans doute secondaire. La judéité est ainsi beaucoup plus une condition qu’une identité, une condition dont le Juif ne peut éventuellement s’émanciper que par une conversion à la religion dominante. Et dans la définition de cette condition, le rapport à la Bible comme livre ne joue manifestement qu’un rôle très secondaire. » C’est ainsi, référence explicite à l’ouvrage de Shlomo Sand3, qu’il « ne suffira jamais de ‘démontrer’

que le ‘peuple juif’ a été ‘inventé’, pour faire que le peuple juif n’ait jamais existé, n’existe pas et ne continue pas d’exister ». Après avoir magistralement analysé, décortiqué, les relations millénaires entre les Juifs et la Bible, Jean-Christophe Attias nous ramène à une époque beaucoup plus contemporaine… « Le thème de la biblicité de l’identité juive ne s’impose au

fond que dans des contextes historiques de dissolution avancée de cette identité, que l’Écriture serve d’ultime point d’ancrage à ceux que le courant de l’assimilation menace d’emporter ou qu’elle soit brandie en dernier recours par les maîtres juifs du moment eux-mêmes pour conjurer, si faire se peut, les effets dévastateurs de ce courant. Il n’est dès lors guère étonnant que l’époque contempo-

raine, à la différence des précédentes, ait été témoin d’un massif réinvestissement juif de la Bible, comme si elle seule, dans un environnement socio-historique profondément bouleversé, pouvait encore servir de boussole et de point de ralliement à un monde juif à la fois égaré et éclaté. » C’est que le sionisme est passé par là… C’est à David Ben Gourion que l’on doit la valorisation-appropriation sioniste de la Bible… « Au prix d’une réinterprétation parfois acrobatique de sa législation, elle sera, pour finir, un manifeste présocialiste, ce qui permettra d’en faire un texte ‘kasher’ même aux yeux des ‘hérétiques’ socialistes juifs. Elle devient, en un mot, ‘le livre saint du sionisme laïc’. (…) La Bible, qui enseigne, tout autant que son passé, l’avenir de la nation et le rassemblement de ses exilés, est en outre en mesure de servir l’unité du peuple juif revenu sur sa terre. » On sait ce que cette réinterprétation de la Bible a provoqué comme dégâts… Pour une partie importante des Israéliens, la Bible est tout simplement un livre d’histoire, de leur histoire. Mais pour certains, elle est encore bien plus que cela, un cadastre, c’est chez elle qu’ils vont chercher et « trouver » les frontières de la Terre d’Israël idéale avec les conséquences que l’on sait. C’est de toute cette histoire tourmentée entre les Juifs et la Bible que Jean-Chritophe Attias viendra nous parler le 5 octobre prochain (voir page 32). ■ 1

Jean-Christophe Attias, Penser le judaïsme, CNRS éditions. 2 Jean-Christophe Attias, Les Juifs et la Bible, Éditions Fayard. 3 Shlomo Sand, Comment le peuple juif fut inventé, Éditions Fayard.

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histoire(s) La guerre d’Espagne en yiddish WILLY ESTERSOHN

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es éditions Syllepse annoncent la parution en décembre 2012, dans leur collection « Yiddishland », du livre La compagnie Botwin. L’ouvrage, traduit du yiddish, relate l’engagement des volontaires juifs dans les Brigades internationales lors de la guerre d’Espagne (1936– 1939). Son auteur : Efraïm Wuzek, qui n’est autre que le père de notre amie Larissa Wuzek-Gruszow. Points critiques ne manquera pas d’en parler. Hasard du calendrier des parutions, la traduction française d’un autre livre consacré à la guerre d’Espagne, écrit lui aussi en yiddish, a été publiée en mai 2012. Édité au Seuil, l’ouvrage s’intitule sobrement Ma guerre d’Espagne, avec toutefois un sous-titre qui annonce d’emblée la couleur : Brigades internationales : la fin d’un mythe. Le livre fut publié en yiddish, en 1961, sous un titre moins polémique : Der birger-krig in shpanye. Zikhroynes fun a militsyoner (« La guerre civile en Espagne. Mémoires d’un milicien »). Son auteur, Sygmunt Stein, Juif polonais membre de l’appareil du Komintern (l’Internationale communiste dans l’entre-deux-guerres) avait fait ses premières armes au Bund. Le récit de Stein fut d’abord publié en feuilleton, en 1956, dans le journal yiddish new-yorkais Forverts, encore quotidien à l’époque. Cette publication fit grand bruit. Un collaborateur de Der Veker (« L’éveilleur »), bimensuel américain en yiddish, écrivit : « Les mémoires de Stein

représentent un document humain terrifiant... » Les mythes que Stein entendait mettre à mal dans son livre sont parfaitement résumés par deux phrases extraites d’un troisième ouvrage – écrit lui aussi en yiddish ! – publié à Paris en 1967 et édité en français en 1979. Son titre : Yidn in shpanishn krig 19361939 (« Des Juifs dans la guerre d’Espagne »). Son auteur, David Diamant, est, quant à lui, resté fidèle au Parti communiste français et à l’URSS. Voici les deux phrases en question : 1. « L’Union soviétique a exprimé les sentiments des masses populaires de tout les pays en déclarant le 16 octobre 1936 : ‘La libération de l’Espagne de l’agression réactionnaire et fasciste n’est pas l’affaire privée des Espagnols mais la cause générale de toute l’humanité avancée et progressiste.’ » 2. « Tous les combattants des Brigades internationales formaient une grande famille. » (Cité par l’historien Jean-Jacques Marie dans sa postface au livre de Stein.)

ARMÉS DE PELLES ET DE PIOCHES Il est entendu, dans la vulgate communiste, que Staline s’est engagé sans compter (si l’on ose dire) aux côtés de la jeune république espagnole en lutte contre l’insurrection militaire dirigée par le général Franco. Stein relate ce qu’il en est réellement. L’armement envoyé par l’URSS à un prix prohibitif (dès les premières négociations entre Madrid et Moscou, il a été convenu que l’or de la

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Banque d’Espagne financerait les fournitures soviétiques) parvient au compte-gouttes et se révélera souvent obsolète. Conclusion : il est arrivé qu’on envoie à l’assaut de positions fanquistes des bataillons dont les miliciens étaient armés... de pelles et de pioches. Ce fut le cas pour 150 hommes du bataillon Thälmann. Stein décrit, pour l’avoir vécu – et y avoir miraculeusement survécu – le carnage qui décimera presque totalement la compagnie Botwin à la fin de mars 1938 : ici, la plupart des miliciens n’avaient pas d’armes du tout. La dirigeante communiste espagnole Dolorès Ibarruri, la Pasionaria, rétorque à ceux qui se plaignent, dans une de ces envolées dont elle est devenue coutumière : « Vous dites que vous avez peu d’obus ! Mais avec quoi se battaient les ouvriers et les paysans russes contre leurs fascistes et les conquérants étrangers ? Ils s’emparaient des cartouches et des obus de l’adversaire. » Stein décrit la Pasionaria comme une marionnette récitant des discours rédigés à sa mesure par les plumes de la direction communiste. « Une bulle de savon », dit-il, fabriquée par la propagande stalinienne. C’est elle, faut-il le rappeler, qui avait lancé le fameux No pasaran ! (« Ils ne passeront pas ! »). Ce récit du front avec les Brigades a trait à la deuxième période de la présence de Stein en Espagne. En 1937, il avait dû être évacué durant quelques mois en France à la suite d’un accident de santé. En fait, Stein s’était por-

té volontaire pour se battre avec les Brigades dès qu’elles furent constituées. Mais ses supérieurs, dans l’appareil kominternien, lui ont fait comprendre qu’étant donnés ses états de service militants (en Pologne, puis en Tchécoslovaquie) et ses compétences – il était polyglotte – il serait plus utile à la cause communiste parmi les stratèges du quartier général des Brigades à Albacete, à 300 kilomètres au sud-est de Madrid. On le désigna commissaire à la propagande. D’où l’intérêt de l’ouvrage.

L’EMPRISE STALINIENNE C’est peut-être la première fois, en effet, que les événements sont rapportés de l’intérieur même de l’appareil. Car le fait que les Brigades ne formaient pas « une grande famille », on le savait déjà (du moins ceux qui voulaient savoir) avant même la fin de la tragédie espagnole. Hommage à la Catalogne de George Orwell parut en 1938. Dans ce livre – qui devait inspirer le film Land and Freedom de Ken Loach – l’auteur décrit ce qu’il a vécu à Bercelone après avoir été évacué du front où il combattait dans les rangs d’une compagnie du Parti ouvrier d’unification marxiste (POUM), une organisation issue d’une scission anti-stalinienne du PC espagnol et principalement implantée en Catalogne. En mai 1937, Barcelone sera le théâtre d’un affrontement militaire entre les frères ennemis de la gauche espagnole, d’une part les socialistes et les communistes – dont l’influence, faible jusque-là, croît avec l’arrivée en nombre des conseillers soviétiques – et de l’autre, le camp « autogestionnaire » composé des anarchistes et du POUM. Ceux-ci subirent une défaite qui « normalisera » une Barcelone qui s’était mise à vivre littéralement

en autogestion. L’implication des communistes dans cette normalisation, qui fit 500 morts et un millier de blessés, laissera des traces chez les habitants de la métropole catalane. Sygmunt Stein en prend conscience lorsqu’à Albacete, au QG des Brigades, on lui conseille de ne pas se rendre à Barcelone en uniforme. Il écrit : « Je savais qu’après l’écrasement du POUM les gens n’éprouveraient pas de vives sympathies pour les Brigades internationales mais je ne savais pas que l’on devait se camoufler en civil.» Le livre confirme, avec une multitude d’exemples, l’emprise stalinienne sur les Brigades internationales. Stein en arrive à qualifier celles-ci de « Légion étrangère de Staline. » C’est d’ailleurs l’ensemble de l’appareil d’État espagnol, en particulier l’appareil policier, que les communistes et derrière eux les conseillers soviétiques entendent infiltrer. Stein raconte une de ses découvertes qui vont le marquer à jamais : des brigadistes ont été abattus d’une balle dans le dos. Des liquidateurs aux ordres du QG d’Albacete se débarassent ainsi, à l’occasion d’affrontements avec les troupes fascistes, de miliciens suspectés, par exemple, d’ « hitléro-trotskysme », une expression en vogue à l’époque pour désigner ceux qu’il fallait éliminer. On lira par ailleurs avec effroi comment le communiste français André Marty, membre de la direction du Komintern, qui a été nommé à la tête des Brigades, dirige d’une main de fer, et dans l’arbitraire le plus absolu, l’état-major d’Albacete. Incompétent mais d’une brutalité redoutable, il sera surnommé « le boucher d’Albacete », une expression venue, semble-t-il, de l’intérieur même du QG des Brigades. Stein apprendra que Marty, que l’on ne voit jamais

sans son révolver à la ceinture, a exécuté froidement des subordonnés coupables d’avoir semblé mettre en doute le bien-fondé de certaines de ses décisions. Il écrit : « Je ne me souviens pas d’une seule rencontre entre camarades où le nom de cet assassin détraqué ne fut évoqué. »

« LE TEMPS DES RABBINS PRIVILÉGIÉS EST PASSÉ » Chapitre à coup sûr interpellant dans le récit de Stein, celui où il fait remarquer que les hommes qui se sont engagés dans les Brigades sont loin d’avoir tous été des idéalistes. Celles-ci ont accueilli dans leurs rangs, venus de toute l’Europe, des repris de justice, des déclassés et même des tueurs de la pègre. Il y relate aussi des exemples d’antisémitisme. Il a entendu des brigadistes, surtout polonais, maudire les « traîtres juifs ». Lorsque Staline décide de liquider toute la direction du PC polonais – qu’il avait invitée à Moscou – les apparatchiks polonais d’Albacete, dont nombre de Juifs, tombent eux aussi en disgrâce. Ils se retrouvent simples miliciens des Brigades. Stein se voit interpellé par un communiste allemand qui lui hurle : « Le temps des rabbins privilégiés est passé ! » On est parfois tenté de se dire à la lecture du livre que, de temps en temps, l’auteur « en remet une couche ». Après avoir comparé le récit de Stein avec d’autres témoignages – dont ceux de communistes fidèles – Jean-Jacques Marie conclut, dans sa postface : « Les souvenirs de Stein sont un long cri de colère d’un homme révolté, qui se sent trompé et trahi. Sa déception est à la mesure de son enthousiasme initial, mais il ne sombre pas dans l’aigreur. Il exagère peut-être, mais ne fabule pas. » ■

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mémoire(s) La bataille de Berlin ROLAND BAUMANN

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e printemps à Berlin, sous la houlette d'un commissaire polonais, l'artiste Artur Zmijewski, la 7e biennale d'art contemporain s'est organisée sous le signe de la critique politique « de gauche », privilégiant l'art comme moyen de transformer la société. Parmi les projets artistiques insolites inscrits au programme de ce festival d'art « engagé » figurait une reconstitution historique de la bataille de Berlin en 1945, représentée dans la capitale allemande puis à Varsovie. Ce spectacle de masse, « Battle of Berlin '45 » est le sujet de deux courts-métrages documentaires projetés cet été au Centre d'Art Contemporain de Varsovie (Centrum Sztuki Wspolczesnej Zamek Ujazdowski), comme « action de solidarité » avec la Biennale. Montrés en boucle dans une salle du Centre, au Château Ujazdowski, ces documentaires se veulent la restitution fidèle du spectacle historique et du contexte social de sa réalisation. Le premier court-métrage (25 min.) documente la reconstitution faite le 29 avril à Berlin, dans le décor verdoyant du Spreepark. Début du film tout en gros plans, pris caméra à l'épaule, comme dans un « vrai reportage de guerre ». Des soldats allemands dans un retranchement. Visiblement éprouvés par les combats, épuisés, blessés... Cette poignée de défenseurs du Reich, dont un groupe de SS de la division Wiking, vont livrer leur dernier com-

bat. On découvre le champ de bataille, ceinturé de barrières Nadar qui tiennent à distance quelques centaines de spectateurs. En voix off, un « bonimenteur » présente les enjeux de la bataille, en allemand et en anglais. Un sidecar et un camion Opel transportent sur le terrain les soldats allemands qui prennent position derrière une barricade. Arraché à un groupe de réfugiés, un civil est exécuté comme déserteur par l'officier des SS, d'une balle dans la nuque. Ce meurtre est suivi par l'entrée en scène de quelques soldats soviétiques qui se jettent sur les civils, femmes et enfants, affolés. Le narrateur évoque les « 100.000 femmes » violées à Berlin par les troupes soviétiques... liant ces viols collectifs aux conséquences de la guerre d'extermination menée par les Allemands en URSS. Le combat s'engage entre Soviétiques lancés à la poursuite des civils en fuite et soldats allemands venus à leur rescousse. Un détachement de soldats (et soldates) soviétiques et polonais se joint au combat. Comme le précise le narrateur, 200.000 soldats polonais participèrent en effet à la bataille de Berlin en avril-mai 45. Sous un « déluge de feu » et après un « combat acharné », « au corps à corps », Polonais et Soviétiques triomphent de l'adversaire dont ils achèvent les blessés... Les applaudissements du public marquent la fin de la bataille. Le court-métrage s'attarde alors sur le « picnic » organisé après le combat. Des

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dialogues s'engagent entre spectateurs et reconstituteurs, parfois en allemand mais surtout en anglais. Le visage maculé de poudre, un SS explique les dangers des armes à feu même lorsqu'elles tirent à blanc. Commentant la provenance de son équipement, il exhibe son casque, vraie pièce de musée, acheté en Ukraine, et montre la trace d'un impact de balle, suggérant que ce trophée a été pris sur un SS tué au combat. S'adressant à la caméra, une dame conclut ironiquement sa conversation avec un soldat de l'armée rouge, en saluant le retour des Soviétiques en Allemagne.

DOCUMENTER OU RECONSTITUER Filmé à Varsovie le 13 mai, dans le parc du château Ujazdowski, le second court-métrage (13 min.) est plus « esthétique ». La caméra s'attarde d'abord sur l'équipement des reconstituteurs, caisses de munitions, armes, insignes et casques d'acier des SS... Une série de plans en noir et blanc alternent avec la couleur, brouillant les frontières entre le « vrai » documentaire et la reconstitution historique. Le même scénario est commenté par un narrateur en voix off, cette fois en polonais. Quatre « déserteurs » sont exécutés par les SS. Ici, l'assassinat commis par l'officier nazi à Berlin fait place au meurtre collectif perpétré par le peloton d'exécution. Le film décrit mieux les grands moments du combat, ainsi lorsque

les Soviétiques mettent en batterie deux mortiers puis un canon antichar dont les tirs ravagent la position allemande. Un lanceflamme participe aussi à l'assaut soviétique. Fin du combat. Après un fondu au noir, la caméra décrit le « contexte social » du spectacle. Peu de dialogue avec le public, habitué à ce type de reconstitution historique, mais beaucoup de photos souvenirs : Enfant autorisé à manier l'arme d'un reconstituteur et même parfois à tirer en l'air une de ses dernières cartouches. Image finale : Pris en photo par son papa, un ado pose fièrement à côté d'un Allemand, derrière une mitrailleuse... Selon les organisateurs, « Battle of Berlin '45 » s'inscrit dans la tradition du « théâtre populaire » et questionne les relations entre spectacles de masse et représentations du passé, en particulier d'événements historiques douloureux, tabous, réprimés... Il s'agirait de contribuer au débat politique et historique sur l'histoire du vingtième siècle, d'inciter les Berlinois au dialogue et à la réflexion sur leur passé national en les confrontant à un mode de représentation historique devenu populaire en Pologne depuis la démocratie et qui aujourd'hui fait partie intégrante du programme de nombreuses commémorations historiques officielles, par exemple de l'Insurrection de Varsovie en 1944.

COURSE DE LA MÉMOIRE Ce 28 juillet, comme chaque année lors de la Course de l'Insurrection de Varsovie, (Bieg Powstania Warszawskiego), organisée en mémoire du début de l'insurrection populaire le 1er août 1944, de petits groupes de reconstituteurs ont livré des escarmouches en divers points

du parcours des coureurs autour du centre ville. Avant le départ de cette 22e course commémorative, on projeta sur écran géant le clip vidéo de la chanson « Uprising » de Sabaton, groupe suédois de Power Metal. Immortalisant les insurgés de 44, cette vidéo musicale met en scène des figurants membres du groupe Radoslaw, principale association varsovienne de reconstituteurs. La projection de cette vidéo « édifiante » fut suivie du chant collectif de « Rota », hymne célèbre de la résistance polonaise à l'oppression allemande, entonné par la masse des 5000 coureurs...

QUEL DÉBAT ? « Battle of Berlin '45 » veut susciter les débats. La muséologue chargée par le Centre d'art contemporain de la coordination de cette « action de solidarité » me restitue fidèlement le discours de Zmijewski et des organisateurs de la Biennale sur la pertinence de cette reconstitution de la bataille de Berlin dans la capitale allemande. Mais, curieusement, elle ignore à peu près tout de l'histoire de tels spectacles de masse et n'avait jamais assisté auparavant à une reconstitution historique en Pologne... L'ignorance favoriset-elle les débats artistiques et politiques sur les traumatismes du 20e siècle ? Des « SS du dimanche » livrant bataille à des « Ivans d'occasion ». Certes le public vibre au son du canon... L'indéniable fascination des spectateurs pour les uniformes et les symboles nazis ne semble pas l'objet d'un débat. Pas plus que l'héritage historique dont se réclame le groupe de reconstitution historique Wiking, co-organisateur de la bataille. Comme le décrit clairement son site internet1 le GRH (Grupa rekonstrukcji historycznej) Wiking tire ses racines de la

division SS créée à l'automne 1940 et formée de volontaires du Nord de l'Europe, Norvégiens, Danois, Hollandais, Finlandais, Lettons... Elle fut engagée surtout en Ukraine puis en Pologne et en Hongrie. Les membres du GRH Wiking, basé à Torun, ne sont pas des néo-nazis. Leur identité se fonde sur l'histoire locale de la Deuxième Guerre mondiale en Pologne. L'été 44, la division Wiking combat l'Armée rouge sur la Vistule. Elle occupe la forteresse de Modlin. Cette ancienne placeforte au Nord de Varsovie a été le lieu de grandes reconstitutions de la bataille de Berlin en 20062009 (Szturm Berlina). Spectacles de masse auxquels a participé la GRH Wiking et dont la « Battle of Berlin '45 » n'est qu'une version courte ! Le docteur Mengele aurait servi dans la Wiking avant d'être muté loin du front... La Wiking participa aussi à certaines actions des Einsatzgruppen en Ukraine... Le site web du GRH Wiking omet ces « détails de l'histoire » mais mentionne par contre la présence de volontaires flamands et wallons dans la Wiking, unité de volontaires SS dont l'histoire vraiment européenne nous confronte aussi à une « mauvaise mémoire » belge. Fin 1943, cette division de panzergrenadiers est transformée en division blindée et on lui rattache la 5e SS Sturmbrigade Wallonien. C'est aux côtés des SS de la Wiking que les hommes de Degrelle combattent dans la poche de Tcherkassy en janvier-février 1944. Une bataille commémorée le 1er avril 44 par un « défilé triomphal » à Charleroi puis, à Bruxelles, devant la Bourse. ■ 1

www.ghrwiking.pl (en polonais)

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mémoire(s) est le mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique (ne paraît pas en juillet et en août)

La généalogie juive en congrès

L’UPJB est soutenue par la Communauté française (Service de l’éducation permanente)

MARIE CAPPART*

F

aire de la généalogie, s’intéresser à celles et ceux qui nous ont précèdés, quelqu’aient été leurs vies et leurs destins, c’est retrouver ses racines,en apprendre plus sur ses origines mais également sur le contexte politique et social dans lequel vivaient nos ancêtres. C’est en général un générateur d’émotions, d’informations inédites et bien souvent une activité révèlatrice de nous-même pratiquée par un nombre toujours grandissant de personnes. Ceci est d’autant plus vrai quand cela concerne des recherches sur une communauté spécifique et encore plus véridique lorsque cette communauté a affronté à plusieurs reprises les tempêtes de l’Histoire. Du 15 au 18 juillet dernier s’est tenu à Paris le 32ème congrès international de généalogie juive, organisé par le Cercle de Généalogie Juive (CGJ) sous l’égide de l’International Association of Jewish Genealogical Societies (IAGJS) et avec le partenariat des associations généalogiques juives de Belgique, Suisse et Luxembourg. Les deux éditions précedentes se sont tenues aux États-Unis (Washington et Los Angeles) Ce congrès a réuni prés de mille participants du monde entier sur quatre jours et a permis des rencontres et des échanges fructueux

autour de différents thèmes. Parmi les sujets proposés, on pouvait se pencher sur les études concernant les communautés d’Afrique du Nord, la généalogie juive en Europe (Belgique, Angleterre, Europe de l’Est...), sur la problèmatique de la conservation des archives, sur la question des rapports entre Shoah et généalogie, de même que sur des questions de paléographie ou d’onomastique. Il était possible d’assister à des ateliers informatiques pour se familiariser avec divers sites, dont les très connus JewishGen et Ancestry ou des logiciels spécialisés tel Family Tree Maker. Il est à noter que ces conférences et ateliers s’adressaient tant à des personnes débutant leur généalogie qu’à des chercheurs (beaucoup) plus avancés : de quoi satisfaire le public venu nombreux en curieux ou en averti. Des conférences tranversales permettaient aux personnes interessées par un même secteur géographique de se rencontrer et d’échanger informations et données sur des endroits ou ascendances précises. Dans le Hall central, des stands présentaient les activités de différentes associations parmi lesquelles le Cercle de généalogie juive de Belgique, bien représenté, ou l’Église des Saints des Derniers Jours, connue pour avoir, entre autres, mis les registres de notre

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État civil sur microfilms. Pour les avides de lectures, un coin librairie proposait un large éventail de publications spécialisées, permettant aux uns d’entamer des recherches dans les parcelles des cimetières juifs de Paris ou aux autres d’en apprendre plus sur les « shetls » de leurs ancêtres. Outre ces très nombreuses conférences – et l’on peut se réjouir d’un programme aussi fourni qu’alléchant même si l’on doit forcément émettre le regret de ne pouvoir assister à tout – des activités culturelles étaient organisées (Visite du Marais, du musée du Louvre, soirée musicale, soirée de Gala...). Pour les nombreuses participants venus de l’étranger et désireux de prolonger leur visite en France, un voyage postcongrés en Normandie était également proposé. Un moment plus solennel a permis de se souvenir de la rafle du Vel d’Hiv dont on commémorait le 70eme et triste anniversaire. Épinglons certaines conférences. Harmen Snel, archiviste de la ville d’Amsterdam nous fit un brillant exposé sur la problématique de la mortalité infantile juive dans l’Amsterdam du XIXe siècle, son analyse démographique et ses répercussions pour les chercheurs et généalogistes. Il fut également trés intéressant d’écouter Nathalie Zajde sur les traumatismes psychologiques des

survivants de la Shoah ou comment des recherches généalogiques permettent parfois de mettre des mots sur des maux. Nicholas Evans de l’université de Hull nous fit un bon exposé de la manière dont s’organisaient les migrations en Angleterre et aux États-Unis dans les années vingt, tandis que Jeanette Rosenberg de la Jewish Genealogical Society of Great Britain nous donnait les outils nécessaires pour la recherche de nos ancêtres dans les archives de presse britanniques. Certaines conférences avaient des consonances plus personnelles (« Ma généalogie de l’Algérie à l’Alsace » ou « Mes familles juives de Lunéville »), d’autres étaient plus généralistes (« Rédigez votre histoire de famille maintenant ! » ou « L’importance généalogique des vieilles photos et cartes postales »). Toutes ces activités partageaient cependant un même but : faire avancer les recherches, par le partage d’une expérience précise ou par la formation à des outils utilisables par tous. Pour la Belgique, Philippe Pierret (Musée Juif de Belgique) nous a retracé les lieux de mémoires importants pour la communauté, principalement les cimetières du Dieweg et d’Arlon. Pascale Falek et Gertjan Desmet (Archives Générales du Royaume) ont exposé les différentes possibilités de recherche dont le très précieux fond

d’archives de la police des étrangers – qui contient les dossiers de toute personne établie en Belgique en provenance de l’étranger – ainsi que la toute nouvelle numérisation des archives du International Tracing Service (ITS) de Bad-Arolsen, disponible dans la salle de lecture du bâtiment principal des Archives à Bruxelles. À tout point de vue, ce congrés fut une réussite et une expérience aussi passionnante qu’enrichissante. Espérons qu’il ait également permis de présenter aux chercheurs et futurs chercheurs les ressources espérées pour relancer des recherches ou qui sait « s’y mettre pour de bon » ! Le prochain congrés se déroulera l’an prochain à Boston (USA), Avis aux amateur(e)s ! ■ * Marie Cappart est historienne (ULB) et généalogiste professionnelle

http://www.paris2012.eu http://www.jewishgen.org http://www.new.mjb-jmb.org/index. php?option=com_content&task=view&id= 373&Itemid=113 http://www.genealoj.org/ Le programme complet du congrès est consultable en ligne à l’adresse suivante : http://www.paris2012.eu/system/Planning_Provisoire_FR.pdf

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réfléchir Qu’est-ce que l’antisémitisme ? De l’essai au roman JACQUES ARON

A

près plus de deux ans de recherches et de travail intensifs, qui avaient abouti à la publication de deux livres du philosophe juif allemand Constantin Brunner (1862-1937)1, traduits et présentés pour un public francophone trois-quarts de siècle après sa mort, j’emportais en vacances quelques-unes de ces lectures dont on espère, sinon une distraction, tout au moins un autre éclairage de ses préoccupations familières. Notre petite histoire personnelle croise inévitablement de manière plus ou moins prégnante la « grande » histoire. Comment d’autres ont-il tissé leurs liens avec elle, à partir de quels lieux, de quelles formations, de quelles expériences nous livrent-ils aujourd’hui leur éclairage des évènements marquants des derniers siècles ? Voilà sans doute l’interrogation qui m’avait poussé à glisser dans mes bagages deux volumes fraichement parus, bien différents mais si convergents à plus d’un titre. Un condensé pédagogique de l’antisémitisme, par un spécialiste belge de l’histoire des religions, Jacques Déom, et un roman original du psychiatre américain, Irvin Yalom, qui recoupe abondamment ce thème2. Deux livres intelligents qui ne

manqueront pas de stimuler la curiosité du lecteur. Histoire et mémoire identitaire pour le premier ; histoire comme matière romanesque pour le second. L’antisémitisme, on le sait, est une idée moderne, qui s’est rapidement répandue en Europe, voire dans le monde, à partir de 1880. Objectifs : refuser, ou faire régresser, là où il avait pris pied, le mouvement général d’intégration des Juifs amorcé par la Révolution française dans des sociétés se libérant à grand peine des structures féodales d’Ancien Régime et lassées d’interminables guerres de religion pour la possession symbolique des faveurs du Dieu unique. Un mouvement totalement enraciné dans la montée en puissance des grands États-nations du continent ; comme d’ailleurs sa réaction mimétique juive, le sionisme. Jacques Déom, fidèle continuateur d’une description phénoménologique qui, de Bernard Lazare à Léon Poliakov, étend cette dénomination aux siècles antérieurs à sa naissance et la prolonge après l’échec de ses objectifs, réussit un survol synthétique qui, bien que nuancé, me laisse sur ma faim d’une réflexion plus philosophique sur la place de ce phénomène singulier dans les rivalités permanentes des groupes humains pour im-

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poser, le plus souvent par la force, le développement privilégié de leurs intérêts exclusifs. Comparer, à partir de principes universels, la nature des conflits en présence au fil de l’évolution historique générale, aurait peut-être évité cette impression de fatalité victimaire liée à une condition juive en perpétuel mouvement. Un mot dénué de toute pertinence objective (Sémites versus Aryens) recouvre ainsi des problématiques bien différentes, donnant à l’interprétation de l’histoire une continuité idéologique illusoire. Brunner, dans son ouvrage capital sur la « question juive », « La haine des Juifs et les Juifs » (1918) avait tenté de prendre plus de distance à l’égard des confusions inévitables de cette démarche. L’une des figures historiques de référence du philosophe juif-allemand (après Socrate et le Christ), Spinoza, se retrouve, elle, au cœur du roman de Yalom : « Le problème Spinoza ». Rencontre fascinante, qui mérite bien quelques développements.

HISTOIRE, RÉCIT, ROMAN Auteur de nombreux bestsellers traduits en plusieurs langues, Irvin Yalom est né en 1931. Ce fils d’émigrés Juifs russes de-

Étonnante inversion de l’iconographie chrétienne (tapisserie de Bruxelles de 1510, cathédrale Saint-Vincent de Chalon-sur-Saône)

vient professeur de psychiatrie à l’Université de Stanford en Californie. À côté d’ouvrages fondamentaux (Thérapie existentielle, en français, Livre de Poche, 2012), ce chercheur féru de philosophie a résolu de tracer de façon romanesque quelques grandes figures de cette discipline. Et Nietzsche a pleuré (1992, Livre de Poche, 2010) fut un succès mondial, dont la méthode inspirera ses romans ultérieurs : la mise en scène historiquement plausible de rencontres imaginaires de personnages réels. La construction du roman

historico-politique Le problème Spinoza alterne ainsi systématiquement les chapitres consacrés à la vie et à la pensée de Spinoza, de 1656 à 1670, et à la carrière politique d’Alfred Rosenberg à partir de 1910, l’un de ces hommes qui ambitionnèrent d’être le principal idéologue du nazisme et qui fut, entre autres pour cette raison, condamné et pendu à Nuremberg en 1946. Rosenberg s’est peu préoccupé de Spinoza ; le prétexte à cet entrelacement est la saisie aux Pays-Bas en 1942 de la fameuse bibliothè-

que du philosophe en rupture de ban avec sa communauté sépharade par le ERR3, véritable machine de spoliation du patrimoine culturel des pays occupés, dont Rosenberg était parvenu à se réserver la direction dans sa lutte de pouvoir incessante avec Goebbels. Cette saisie devait soi-disant permettre de résoudre « le problème Spinoza », d’où le titre du livre de Yalom. Plus que d’autres auteurs qui n’ont pas hésité à mêler étroitement réalité et fiction, le romancier américain, en bon scientifique, a tenu, dans plusieurs annexes au récit, à nous donner les clés de ses choix et du bienfondé de ses hypothèses. Rosenberg, on le sait, a été étroitement impliqué dans la création du parti nazi et dans son orientation antisémite (les Juifs, par nature, ne font pas partie du peuple allemand), dans le putsch manqué de Hitler à la fin de l’année 1923 et ensuite dans toutes les querelles idéologiques internes, dans le détail desquelles je n’entrerai pas ici. Admirateur et continuateur de la pensée de Houston Stewart Chamberlain (Les fondements du XIXe siècle, 1899), il allait être de ceux qui radicalisèrent l’antisémitisme après la Première Guerre mondiale et lui donnèrent sa coloration « judéo-bolchevique ». Le Mythe du XXe siècle (1930) se voudra le pendant de l’œuvre de son maître à penser. De Chamberlain à Rosenberg, nous glissons graduellement d’un pangermanisme protestant antisémite encore « civilisé », hostile « à Jérusalem et à Rome », très admiré par Guillaume II, à la « solution finale » clairement

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➜ formulée début 1942 à la Conférence de Wannsee. Le lecteur tient-il cependant toutes les cartes en mains pour s’orienter dans ce genre littéraire difficile, dont le plaisir esthétique se nourrit en partie des nombreux recoupements qu’il est constamment sollicité de faire ? Je n’en prendrai qu’un exemple pour montrer que chaque genre à ses règles et sa logique interne, et qu’il est très difficile de les concilier sans sacrifier aux unes ou aux autres. Parmi les documents authentiques que Yalom a glissés dans ses pages figure la seule lettre que Chamberlain ait adressée à Hitler, après la visite de ce dernier à Bayreuth, où notre philosophe, devenu le beau-fils de Wagner après la mort de ce dernier, jouit de toute l’aura de l’entourage du musicien, véritable icône

de la mythologie teutonne (teutomane aurait dit Nietzsche). Yalom nous dit avoir reproduit cette lettre verbatim (mot pour mot). Mais non seulement il l’a antidatée et tronquée pour les besoins de sa construction romanesque (Hitler annonce plus tard à Rosenberg que le Général Ludendorff soutient son projet de putsch inspiré de la Marche sur Rome de Mussolini, alors que la lettre en fait mention), mais on peut se demander s’il n’en a pas éliminé la partie essentielle, un portrait d’Adolf Hitler qui ne cadre absolument pas avec l’image que l’histoire (ou le mythe) ont construite. Je traduis ici ce passage, à ma connaissance peu connu. Chamberlain, partiellement paralysé depuis 1914, y adoube en quelque sorte le nouvel homme providentiel qui va conduire l’Allemagne (l’empereur

est en exil en Hollande), le caporal illuminé qui marchera aux côtés du Maréchal Hindenburg (élu en 1925 président de la République) pour détruire tous les fondements démocratiques de la constitution de Weimar. Voici le cœur de la lettre de Chamberlain à Hitler, l’ultime message délivré peu avant sa mort par ce nostalgique de l’empire wilhelminien, incapable d’admettre la responsabilité de ce dernier dans l’échec de la guerre : « Vous n’êtes absolument pas le fanatique que l’on m’avait décrit, je vous caractériserais volontiers comme l’opposé direct d’un fanatique. Le fanatique échauffe les têtes, vous réchauffez les cœurs. Le fanatique veut forcer les gens à agir, vous voulez convaincre, seulement convaincre – et voilà pourquoi cela vous réussit ; je vous verrais également comme le contraire d’un politicien – dans le sens habituel du terme – car l’appartenance à un parti est la mort de toute politique ; tandis que chez vous tous les partis disparaissent, dévorés par l’ardeur de l’amour de la patrie. Ce fut, je pense, le malheur de no-

La souplesse excessive du concept d’ « antisémitisme » se reflète dans l’illustration du livre de Jacques Déom, qui manque parfois de légendes explicatives. Alors que les empereurs s’agenouillaient devant Dieu ou son représentant terrestre, Moïse, le prophète des Juifs (des chrétiens et des musulmans), inspiré ici de MichelAnge, avec ses “ cornes ” issues d’une traduction latine erronée de la Bible, dépose humblement les Tables de la Loi entre les mains de Napoléon

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tre grand Bismarck, que le cours de son destin – et sûrement pas ses facultés innées – l’ait un peu trop impliqué dans la vie politique. Pourvu que ce sort vous soit épargné ! Vous avez de grandes choses à réaliser, mais malgré la force de votre volonté, je ne vous considère pas comme un homme de violence. Vous connaissez la différence que fait Goethe entre violence et violence ! Il y a une violence qui provient du chaos et ramène au chaos, et une violence dont la nature est de construire un monde, et de cette violence-là il dit : ‘Elle donne forme à toute chose selon une règle – et même à grande échelle elle n’est pas violence.’ C’est dans ce sens de créateur d’un monde, que je veux vous ranger parmi les hommes constructifs et non parmi les hommes violents. Je me demande toujours si le reproche souvent fait à l’Allemand de manquer d’instinct politique, n’est pas davantage le symptôme d’une disposition profonde à la création étatique. Le talent d’organisation allemand est en tout état de cause inégalé (voyez KiaoTchéou !)4 et sa capacité scientifique est sans pareille. C’est làdessus que se basent les espoirs décrits dans mon livre « Idéaux politiques ». L’idéal de la politique serait de ne pas en avoir. Mais cette non-politique devrait être franchement affirmée et imposée avec force au monde. On ne parviendra à rien tant que règnera le système parlementaire ; et Dieu sait si les Allemands n’ont aucun talent pour ce système. Je tiens sa domination pour le plus grand

des malheurs, il ne peut que nous replonger sans cesse dans le marais et anéantir tous les plans de guérison et de rétablissement de la patrie. »5 Revenons à l’essai de Jacques Déom. L’histoire renouvelle sans cesse ses acteurs et ses enjeux. Elle est le nom donné au mouvement même de la présence humaine sur la terre. « Antisémitisme » a été le nom barbare d’un conflit emblématique qui a menacé l’existence de groupes d’hommes dispersés dans des ensembles organisés mais profondément ébranlés dans leur capacité d’assurer la vie des populations incluses dans leurs frontières et placées sous leur autorité. Désignés non pour leur place et leur rôle réel dans ces ensembles profondément différents, ces hommes ont été dépersonnalisés par une démarche irrationnelle, fantasmatique, ramenant chacun d’eux à incarner « le Juif ». Cet héritage de toutes les superstitions anciennes (qu’ils partageaient aussi) les a métamorphosés en une essence magique et maléfique. Ce conflit, né des guerres européennes, a trouvé dans le Reich allemand de 1871 son terrain d’élection et sa conclusion tragique au sein de la Seconde Guerre mondiale. Nous n’avons pas encore pris la pleine mesure de cet évènement. Est-il judicieux pour autant d’en extrapoler les limites temporelles, pour conclure avec Jacques Déom, « qu’à chaque époque, les peurs du temps produisent une peur du Juif » ? Dans le contexte du Moyen-Orient après la proclamation de l’État d’Israël, l’invocation d’un nouvel « antisémitisme » des « Sémites » arabes ou la fabri-

cation d’un antisionisme « antisémite » favorisent-t-ils le règlement d’un drame dont les Palestiniens sont à l’évidence les nouvelles victimes ? Le refus de l’extension sans bornes d’un mot-valise à double-fond (ou sans fond) comme « antisémitisme » ne constituet-il pas une partie de la question du vivre-ensemble ? Toute image (peuple élu ou déicide, sémitisme, sionisme, holocauste, etc.) entretient sa propre logique illogique et contribue à la survie (je dirais l’auto-combustion) des croyances qui l’ont fait naître. Et de leurs grands prêtres, qu’ils soient religieux ou profanes. Ce cercle sans fin ne peut qu’affecter la lucidité de tous les acteurs en présence et retarder la paix des peuples. ■

Constantin Brunner, Écoute israël, Écoute aussi Non-Israël (Les sorcières), Didier Devillez éditeur, Bruxelles, 2011 ; Constantin Brunner, Des devoirs des Juifs et des devoirs de l’État, Aden, Bruxelles, 2011. 2 Jacques Déom, Qu’est-ce que l’antisémitisme ? Quelques éléments de réponse, Fondation de la Mémoire contemporaine, Bruxelles, 2012. Irvin Yalom, Le problème Spinoza, roman traduit de l’américain par Sylvette Gleize, Galaade Éditions, Paris, 2012. 3 Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg (Étatmajor d’Intervention du « Reichsleiter » Rosenberg. 4 Aujourd’hui Jiaozhou. Allusion à une expédition coloniale allemande en Chine (1897). 5 Houston Stewart Chamberlain, Briefe 1882-1924 und Brifwechsel mit kaiser Wilhelm II, F. Bruckmann, Munich, 1928. 1

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! widYi ? widYi

Yiddish ? Yiddish ! PAR WILLY ESTERSOHN

ebil Nvf Mivb red

der boym fun libe L’arbre d’amour

TRADUCTION Ils n’ont pas su / que l’amour est un arbre rare (un arbre, un rare) / (fait) d’un bonheur tendre et ténu / dont une branche, une fois coupée, / ne repousse plus jamais (qui, si on lui coupe une branche, / elle ne repousse plus jamais). Ils se sont étonnés / que le sourire (échangé) entre eux / avait le goût (tous les goûts) d’une larme / et n’ont pas compris qu’un tronc dépourvu de branches / n’est plus un arbre.

Les femmes sont loin de jouer un rôle mineur dans la littérature yiddish du XXème siècle. Nous avons déjà publié des textes de Myriam Ulinover, Anna Margolin et Malka Heifetz-Tussman. Nous en rencontrerons d’autres encore au cours des prochains mois. Cette fois-ci, c’est au tour de Chava Rosenfarb (Khave Rozenfarb). Née en 1923 en Pologne et décédée au Canada en 2011, elle est considérée comme un des auteurs yiddish les plus importants de la deuxième moitié du siècle écoulé. Après avoir été enfermée dans le ghetto de Lodz en mai 1940, elle survécut à la déportation à Auschwitz et à Bergen-Belsen. Au sortir de la guerre, elle erre en Europe, d’un camp de réfugiés à un autre, avec le statut de « personne déplacée », séjournant notamment en Belgique. Elle s’établira à Montréal en 1950. Quelques années plus tard, elle abandonnera la poésie pour se consacrer au roman.

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Deuxième à gauche, Chava Rosenfarb.; à sa droite, le poète Melekh Ravitsh.

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REMARQUES

iiz Nwivvq lciimw red s]vv zey tsvishn shmeykhl der

Nk=h hakn = hacher, couper ; Nk=hp] ophakn = retrancher. Nsk=vv vaksn = croître, grandir, pousser ;

vos

Nsk=vvsivj oysvaksn = parvenir à la taille attendue. kirvq tsurik = en arrière, de retour, de nouveau. Nivw

_ rert = Nvf Nemet el= t]h trer

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shoyn a de multiples traductions : déjà, tout de suite, enfin, depuis, bien. met tam (hébr.) = goût, saveur.

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M=tw rez]lngUvvq = z= ,Nen=twr=f tin Nvj shtam

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gUvvq tsvayg = branche ; z]lngUvvq tsvaygnloz = dépourvu de branche ; z]l loz : suffixe privatif.

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ANNE GIELCZYK

Le temps des concombres

B

onjour les amis, voilà un bel été qui se termine. Je vous écris une fois encore de Lyon : la ville de la soie, des Canuts, de la Résistance et de la gastronomie, souvenez-vous. J’espère qu’entre-temps vous y êtes allés faire un petit tour. Ceci dit, je ne vous recommande pas le mois d’août, c’est mort. Eh oui, c’est le temps des concombres, le komkommertijd, comme on dit dans le Nord du pays, le temps où il ne se passe pas grand-chose. Pourquoi les concombres ? Ça reste un mystère, que même Wikipedia ne nous aidera pas à élucider totalement. L’expression pourrait être d’origine berlinoise : au 18ème siècle le Sauregurkenzeit marquait les mois d’été avec leur arrivage de concombres/ cornichons frais, mais elle pourrait être également d’origine anglaise : cumcumber-time, désignant une période de désoeuvrement pour les tailleurs (juifs, les tailleurs ?) au service des nobles partis en vacances, certains allant même jusqu’à suggérer qu’elle serait carrément d’origine yiddish (Zóres- und Jókresszeit, le temps des tsures, des soucis, des malheurs)1. Personnellement, je peux vous confirmer la version tsures. En effet, dans la nuit du 15 au 16 août, la nuit la plus « concombre » que l’on puisse imaginer, j’ai été transportée d’urgence à l’hôpital Saint Joseph, l’hôpital le plus glauque de Lyon. L’avantage d’une nuit de 15 août, faut-il le répéter,

c’est qu’il n’y a personne. La ville est déserte. L’ambulance peut tracer sans problème même le long des quais du Rhône en général fort encombrés. Et puis à l’hôpital personne non plus, on aurait dit un hôpital désaffecté, abandonné après une alerte nucléaire. Même pour les malades, c’est le temps des concombres. Par contre, côté personnel soignant, il faut leur rendre ça, si l’environnement est glauquissime, on assure à l’hôpital Saint Joseph. Ça fonctionne bien la santé publique, il me semble, en France. J’ai croisé pas moins de trois médecins, une stagiaire en médecine (qui m’a quand même piquée trois fois avant de trouver la bonne veine), un radiologue, quatre infirmiers et deux brancardiers. Autant dire que je me sentais totalement prise en charge. En une nuit, ils m’ont fait un check-up complet. Rassurez-vous rien de grave, je suis tout à fait rétablie. Et puis j’ai appris quelque chose : quand vous claquez des dents et que votre corps est pris de tremblements convulsifs, ça n’est pas plus qu’une petite poussée de fièvre (genre 40°). Les médecins de l’hôpital Saint-Joseph appellent ça des « frissons ». Et moi qui croyais que les frissons c’était quelque chose d’agréable…

S

inon, grâce à la télé et grâce à Internet, j’ai pu me tenir informée de ce qui se passe en Belgique. La mort de Michel

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Daerden près d’une plage de la Côte d’Azur – adieu « papa » – ; des fissures dans nos centrales nucléaires. Bizarrement, on n’en a plus reparlé, des fissures. Et puis, j’ai pu, comme vous d’ailleurs, suivre les JO de Londres, bien que, vu de France, les JO même à Londres c’est toujours la France : athlètes français, handballeurs français, nageurs français, basketteuses françaises, escrimeurs français (pas terrible-terrible) bien que j’aie quand même décelé un engouement certain, (oserais-je dire un « frisson ») pour Kevin et Jonathan. C’est un peu la France n’est-ce pas, surtout quand ils sont bons les petits Belges. Dommage pour les frères Borlée mais nous avons eu quand même trois médailles, paraît même que c’est très bien pour un petit pays comme la Belgique : judo, ça je vois à peu près ce que c’est et puis deux disciplines dont je n’avais franchement jamais entendu parler, la « carabine couché » (non non, pas « couchée », ce n’est pas la carabine qui est couchée apparemment) et le « Laser Radial » ? Une petite enquête m’apprend qu’il s’agit d’un voilier (de mon temps, il n’y avait que des Vauriens, des 420 et des catamarans). Elio était très content, il a félicité tout le monde dans les deux langues. D’ailleurs je viens d’apprendre que ça y est, c’est officiel, Di Rupo est bilingue. Selon son professeur de néerlandais, Bert Brusselmans, Elio est maintenant capable

de tenir en Néerlandais une conversation sur n’importe quel sujet, avec n’importe qui et se faire comprendre. Bon, le professeur ne nie pas qu’il a encore des progrès à faire, surtout du côté des accents toniques et de la prononciation des g. Le voilà donc geslaagd, bravo Elio.

J

’ai aussi suivi « l’affaire Sofie Peeters », cette jeune flamande, étudiante en cinéma qui a fait Femme de la rue, un travail de fin d’études sur le harcèlement sexuel dans le quartier Anneessens de Bruxelles où elle habite. On peut dire que ça a fait le buzz, « concombres » obligent. Même qu’on en a parlé dans les grands medias français, si si : France Inter, Rue 89, Libé, Médiapart, Nouvel Obs... C’est vrai que c’est un peu ch… ces harcèlements. Remarquez que moi je supporte de mieux en mieux en fait et surtout ça m’arrive de moins en moins… (On en viendrait même à les regretter parfois). Sans rire, c’est une question délicate le harcèlement sexuel, surtout quand on est à la fois progressiste et féministe. C’est vite récupéré ce genre de sujet pour démontrer qu’il y a « échec de l’intégration ». Mais il faut bien admettre que dans certains quartiers c’est une véritable plaie. Alors culturel ou universel ? Moi je dirais que c’est plutôt un problème de quartier « défavorisé », les p’tits gars ados, qui trainent dans la rue et qui ont du mal à gérer leur taux de testostérone. Et qui se croient tout permis, évidemment vis-àvis des femmes. C’est sur, on n’est pas encore sorti du schéma de la maman et la putain. Et ça, c’est universel.

Ça traverse les classes sociales et les cultures ça, la maman et la putain. Rien qu’un exemple : DSK. Ah mais lui c’est un gros cochon malade ? Ah mais vous ne disiez pas ça, il n’y a pas si longtemps encore ! A l’époque vous étiez d’avis qu’il n’y pas de mal à ça, juste un homme qui aime les femmes et que, de toute façon, en France la culture est plus libertine. Pour autant que je le sache, toute femme se pose un jour la question, comment être libre et bien dans sa peau … sans risquer sa peau. Être séduisante sans être brusquée, décliner des avances sans être traitée de putain, éviter d’être tripotée, voire violée par des inconnus, dans la rue, dans les transports en commun. Au Caire, c’est une vraie plaie, les filles ne peuvent pas prendre un bus sans se faire pincer les fesses, ou pire. Canvas a diffusé en juillet un documentaire stupéfiant sur ce sujet de Mohamed Diab, Les femmes du bus 678. Et puis combien de femmes ne trouvent pas la mort chaque jour dans l’intimité de la chambre à coucher conjugale. La misogynie est un mal qui dépasse de loin le quartier Anneessens.

L

es rabbins ultraorthodoxes de Jérusalem ont semblet-il trouvé une solution « à la source » si j’ose dire. Non contents d’avoir séparé les hommes des femmes dans les bus et sur les trottoirs de Mea Shearim, et mis en place des patrouilles qui traquent les femmes « mal couvertes », ils portent désormais également des lunettes solaires qui brouillent la vue. Au moindre orteil dénudé, cheville découverte, avant-bras aguicheur, hop ! ils chaussent

leurs lunettes. Et puis par temps de concombre, à la plage, que faire ? Une seule solution pour avoir la paix, le burkini. C’est quoi le burkini ? Non ce n’est pas un bikini des Bermudes, ni la capitale du Burkina Faso, c’est le bikini halal. A la différence du bikini, ça couvre tout le corps, des pieds à la tête, un peu comme nos nageuses de 1900 mais avec le voile en plus. Personnellement je trouve que ça a l’avantage d’aller à toutes les femmes, ce qui n’est pas le cas du bikini, vous en conviendrez. Et au moins, ça protège des UV. Pas de la testostérone, je le crains. En tous les cas, Valérie Trierweiler, la première dame de France, ne porte pas de burkini, elle. Ça, on a pu le constater récemment encore lors de leurs vacances normales, à François et à elle à Brégançon, la résidence d’été du président. On a pu les voir en couverture de tous les journaux people de France et de Navarre, la main dans la main, lui en maillot version boxer short et elle en bikini (normal, le bikini). Elle était furieuse et a voulu faire interdire la publication des photos. Pourtant, en tant que journaliste, elle devrait savoir qu’en août c’est le temps des concombres.

E

n Belgique, Bart De Wever aurait été aperçu en string sport homme sur une plage de la côte flamande. Malheureusement cette information n’a pas pu être vérifiée… ■ 1

http://nl.wikipedia.org/wiki/Komkommertijd

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activités Dans le cadre de la Journée Nationale du Martyr Juif de Belgique L’Union des Déportés Juifs en Belgique – Filles et Fils de la Déportation

samedi 15 septembre à 19h à La Tentation

vous appelle à participer au

56ème Pélerinage National à l’ancienne Caserne Dossin à Malines Rue Goswin de Stassart 153

Le dimanche 9 septembre 2012 à 11h En présence du prince Philippe et du premier ministre Elio di Rupo

Rassemblement devant la caserne dès 10h30

Pas eu le temps de me retourner... déjà 60 bougies qui coulent sur le gâteau !

Départ des autocars à 9h30 Bruxelles : Place Rouppe Antwerpen : Loosplaats

À cette occasion je voudrais revoir tous les anciens potes de virées, les complices et les « copains », les amis d’un jour et de toujours, ceux d’hier, ceux d’aujourd’hui, les amis des amis, et leurs enfants et les amis des enfants, et tous ceux que ça inspire... afin de se déhancher sur la question : « L’âge est il soluble dans la rythmique ? »

Points critiques présente à ses lecteurs, membres de l’UPJB et abonnés, ses meilleurs voeux à l’occasion de la nouvelle année 5773

Test collectif le 15 septembre 2012 avec

YIDDISH TANZ + guests (un groove sur le toît) RED & BLACK + guests (après 30 ans d’hésitation...) C’est après le bouclage du numéro de Points critiques paru en juin dernier que nous avons appris le décès, survenu le 30 mai dernier, de Rosy Chauvier. À son compagnon, Paul Dewals, à ses filles Maïa et Vivyane, à sa soeur Micheline Blust et son beaufrère Jacques Ravedovitz, à Jean-Marie Chauvier, père de Maïa, et à sa compagne Annick Louviaux, nous présentons nos condoléances. Rosy Chauvier fit partie de l’USJJ et de l’UJJP dans la section Sam, dans les années 1950-1960. Elle milita à la JC et au PC jusqu’en 1973. Psychothérapeute et psychanalyste, elle fut l’une des « militantes » enthousiastes d’Aimer à l’ULB.

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LOUIE-LOUIE + guests (maximum r’n’roll rien que pour le plaisir) + DJ’s +++ ... bref une java comme on n’en fait plus... La Tentation, 28 rue de Laeken, Bruxelles Alain Lapiower

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activités dimanche 23 septembre à partir de 10h

vendredi 28 septembre à partir de 19h

L’UPJB fait peau neuve Les trois temps d’une journée particulière, riche et multiple 10h -13h : vente aux enchères, animée par Zidani, l’humoriste – et plasticienne – que Le Tout-Paris nous envie, avec la généreuse complicité de nombreux artistes réputés qui nous aiment et qu’on aime*.

Nous avons réalisé un rêve que nous caressions depuis un certain temps : égayer de mille façons notre salle pour mieux accueillir nos publics et rendre plus chaleureuses et plus toniques les rencontres que nous suscitons. Nous avons refait les peintures, transformé l’éclairage, changé le mobilier, équipé aux nécessités du jour le son et l’image (nouveau projecteur, nouvel écran, nouvelle table son, nouveau câblage...). Bref, nous avons voulu faire de notre lieu judéo-bruxellois un outil qui soit à la hauteur des nombreuses activités qu’il accueille et qu’il soit aussi, par lui-même, un stimulant pour la pensée et l’action collectives plus que jamais indispensables aujourd’hui.

La salle telle que nous ne la verrons plus

Outre une campagne de dons auprès de nos membres et sympathisants, des artistes nous aident à réaliser ce rêve.

* les oeuvres sont exposées et accessibles les 20 et 21 septembre de 9 à 12h et sur rendez-vous

À partir de 12h : picnic de rentrée de l’UPJB-Jeunes au Bois de la Cambre, sur la

plaine en face du châlet Robinson (trams 25,94, arrêt Marie-José).

Faire connaissance avec les nouveaux venus, se rappeler les bons souvenirs de l’année passée mais aussi, se mettre en jambes avec le ‘drapeau liégeois’, ‘le crikx’, ‘le mort à, vie à’, etc. Pour cette première réunion, parents et enfants, venez découvrir la nouvelle équipe de moniteurs autour de quelques salades et boissons fraîches que vous prendrez soin d’apporter.

L’UPJB est fière et heureuse de vous inviter à la soirée de lancement de l’ouvrage d’Anne Grauwels,

Humeurs judéo-flamandes, chroniques 2001-2011, publié aux éditions Ercée, Bruxelles 2012 À partir de 19h :

Drink et signature de l’ouvrage

À 20h15 :

Présentation et lecture

Une rencontre animée par Elias Preszow, 11 ans lors de la publication de la 1ère chronique. Avec, notamment :

Tessa Parzenczewski, membre du comité de rédaction de Points Critiques et chroniqueuse

littéraire ;

Sender Wajnberg, fervent lecteur de ladite revue et desdites chroniques ; Éric Corijn, fin connaisseur des humeurs flamandes en général. « De Bagdad à la Nouvelle-Orléans, de Lyon à Tel-Aviv, de Bruxelles à Anvers en passant par Malines... chronique de la décennie 2001 – 2011, sous l’angle de la politique et de l’actualité belgobelges. Une écriture avant tout, un style, qui traduit la liaison passionnelle d’une « mauvaise juive » et « mauvaise flamande » (les deux étant cumulables) avec son temps. Intellectuelle engagée à gauche, née à Ostende, vivant à Bruxelles, enseignant l’économie à Gand, Anne Grauwels scrute au quotidien la marche de la société autant que ses états d’âme. Les « Humeurs judéo-flamandes » paraissent dans le mensuel Points critiques de l’Union des progressistes juifs de Belgique, sous le nom d’Anne Gielczyk ». Alain Esterzon, éditeur

16h-18h : inauguration de la salle avec goûter et animations diverses. Au plaisir de vous retrouver nombreux ! Le Comité

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activités Mouvement pour la Civil-isation de la société israélienne

Du samedi 29 septembre au samedi 6 octobre 2012

Exposition photos de New Profile qui montre et dénonce l’omniprésence de la pensée militariste à tous les échelons de la société israélienne

Rencontres avec un de ses représentants

Raanan Forshner

En partenariat avec plusieurs associations amies « Nous, un groupe de femmes et d’hommes féministes, sommes convaincus que nous n’avons nul besoin de vivre dans un état militariste. Aujourd’hui Israël est en mesure de mener une politique tournée résolument vers la paix qui ne nécessite pas une société militariste…. Alors qu’on cherche à nous faire croire que le pays est confronté à des menaces qui échappent à son contrôle, nous réalisons maintenant que l’expression « sécurité nationale » a souvent masqué des décisions prises pour adopter des actions militaires en vue de la réalisation d’objectifs politiques. Nous ne voulons plus partager de tels choix. Nous ne voulons plus être mobilisés en permanence, élever des enfants pour qu’ils soient mobilisés, soutenir des partenaires, des frères et des pères mobilisés, alors que les responsables du pays continuent à avoir recours à l’armée plutôt que chercher d’autres solutions… » C’est ainsi que débute la « charte » de New Profile, mouvement pour la civil-isation de la société israélienne.

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Ce que le Mouvement souhaite et ce pourquoi il milite : une société plus démocratique et plus égalitaire entre les hommes et les femmes, mais aussi entre l’ensemble des citoyens israéliens, qu’ils soient juifs ou non. Il soutient aussi les mouvements de ceux qui refusent de servir dans les territoires palestiniens occupés. New Profile fait également partie de la Coalition des Femmes pour la Paix et est très actif dans ces différents domaines : Replantations d’oliviers arrachés par les colons ; Ramassage des olives ; Actions contre le mur de l’annexion ; Soutien aux ONG palestiniennes ; Soutien aux Bédouins israéliens du désert du Néguev expulsés de leurs terres.

Nous vous invitons à venir voir l’exposition de photos que New Profile a collectées et qui montre et dénonce l’omniprésence de la pensée militariste à tous les échelons de la société israélienne, et à en débattre avec notre invité Raanan Forshner.

Programme de la tournée Samedi 29 septembre à 15h30 : Vernissage de l’exposition à l’Union des Progressistes Juifs de Belgique (UPJB), 61 rue de la Victoire, 1060 Bruxelles, drink, présentation, commentaire et débat avec Raanan Forshner, représentant de New Profile. Dimanche 30 septembre à 14h30 : Visite de l’exposition par l’UPJB-jeunes et dialogue avec Raanan Forshner. Á 16h : Accès de l’exposition à tous. Lundi 1er octobre à 17h30 heures : Visite de l’exposition et, à 19h30, conférence-débat avec Raanan Forshner à Wavre, à la Maison de la Laïcité, 33 rue Lambert Fortune. En partenariat avec la coordination du Brabant wallon des groupes PJPO (Pour une Paix Juste au Proche Orient). Mercredi 3 octobre à 19h : Visite de l’exposition et conférence-débat avec Raanan Forshner à Leuven, Damiaancentrum, 5 Sint-Antoniusberg. En partenariat avec Vrouwen in ‘t Zwart Leuven, Leuvense Actiegroep Palestina et Intal Leuven. Jeudi 4 octobre à 18h : Visite de l’exposition et, à 20h, conférence-débat avec Raanan Forshner à Mons, Université de MONS, Bâtiment Warocqué-Auditoire Hotyat-1er étage, 17 Place Warocqué. En partenariat avec L’Association Belgo-Palestienne Mons-Borinage. Vendredi 5 octobre à 19h30 : Visite de l’exposition et conférence-débat avec Raanan Forshner à Antwerpen, Vrijzinnig Karel Cuypershuis, 57 Lange Leemstraat. En partenariat avec Pax Christi Vlaanderen, Vredesactie, Masereelfonds, Oxfam Wereldwinkels et Humanistische Vrijzinnige Vereniging. Samedi 6 octobre à 12 heures : Visite de l’exposition et conférence-débat avec Raanan Forshner à Mouscron, dans les locaux «de l’aut côté», 21A rue des Brasseurs. En partenariat avec l’Association Belgo-Palestinienne - Plateforme mouscronnoise pour la Palestine. Avec le soutien de la Fondation Heinrich Böll et de l’Échevinat pour l’Égalité des Chances de Saint-Gilles.

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activités les dimanches 7, 14 et 21 octobre à 16h30

vendredi 5 octobre à 20h15 Conférence-débat avec

Inédit!

Jean-Christophe Attias

La trilogie de Vienne, le chef d’oeuvre d’Axel Corti

autour de son ouvrage

historiens de la seconde guerre mondiale

Les Juifs et la Bible

« Enlevez la Bible aux Juifs, ils ne seront plus juifs. Ne leur laissez que la Bible, seront-ils encore juifs ? Comme l’identité qu’elle est censée fonder, la Bible échappe à toute définition simple. Livre un ou bibliothèque disparate ? Texte ou objet ? Révélation divine ou mythe national ? Littérature ou code législatif ? Pour les Juifs, la Bible a été tout cela. À travers les rapports changeants qu’ils ont noués avec elle, ce sont leurs propres métamorphoses qui se donnent à lire. Ainsi que celles de leurs adversaires. Car la Bible a aussi été brandie contre les Juifs – par les chrétiens – pour les convaincre de leur erreur et pour les convertir. Ni somme ni essai, ce livre est d’abord la libre exploration d’un imaginaire. Une fenêtre largement ouverte sur une tradition qui à la fois nous interroge et nous engage tous, aujourd’hui comme hier. Ici même comme sur les collines de Cisjordanie. Que nous soyons Juifs ou pas. Que nous croyions au Ciel ou que nous n’y croyions pas. » Jean-Christophe Attias est Directeur d’études à l’École Pratique des Hautes Études (Sorbonne). Spécialiste de la pensée juive, c’est aussi un intellectuel engagé dans le débat public français, il a notamment publié, avec Esther Benbassa, Israël, la terre et le sacré et Les Juifs ont-ils un avenir ? Il a également présenté à l‘UPJB son ouvrage précédent, Penser le judaïsme. PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO

mardi 9 octobre à 20h15 Conférence-débat avec

Pascal Boniface,

directeur de l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS) et enseignant à l’Institut d’Etudes européennes de l’Université de Paris 8 à propos de son livre

Les intellectuels faussaires

Pascal Boniface est un intellectuel sérieux et pondéré. L’écriture pamphlétaire n’est pas son genre. Et voilà pourtant qu’il publie un essai au vitriol, dans lequel il s’interroge sur les raisons du « triomphe médiatique des experts en mensonge » (sous-titre de Les intellectuels faussaires). Il y critique âprement quelques intellectuels hyper médiatisés, tels Bernard-Henri Lévy, Caroline Fourest, Alexandre Adler, Philippe Val et quelques autres, les accusant de mentir sciemment. De quels mensonges s’agit-il ? Qu’est-ce qui amène ces « intellectuels-vedettes » à mentir ? Qu’ontils en commun ? Comment expliquer que, malgré leurs mensonges répétés, ils continuent à être plébiscités par les responsables des grands médias ? Comment expliquer que quatorze éditeurs ont refusé de publier l’essai de Pascal Boniface ?

Avec la participation de Julie Maeck et Pieter Lagrou,

Peut-être avez-vous vu Welcome in Vienna et en avez-vous gardé un souvenir inoubliable. Ce film d’Axel Corti (1933-1993) fait partie d’une trilogie. En trois films, Axel Corti raconte l’épopée de quelques jeunes Juifs autrichiens (et d’un résistant allemand joué par Armin Mueller-Stahl) durant la Seconde Guerre mondiale. Contraints à l’exil, ils partent pour les États-Unis d’où ils viendront libérer l’Europe avec l’armée américaine. Seul Welcome in Vienna était sorti en salle à l’époque. Aujourd’hui les trois fillms ont été Santa Fe remastérisés. Nous vous les présentons en trois séances : dimanche 7 octobre première partie Dieu ne croit plus en nous (la fuite) - 1982 Cette séance sera suivie d’un débat introduit par Julie Maeck, historienne FNRS-ULB, auteure de Montrer la Shoah à la télévision, Paris, 2009 dimanche 14 octobre Santa Fe, (l’exil aux ÉtatsUnis) - 1985 dimanche 21 octobre Welcome in Vienna (le retour à Vienne en libérateurs) - 1987, suivi d’un débat animé par Pieter Lagrou, professeur d’histoire contemporaine à l’Université libre de Bruxelles

Welcome in Vienna

PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO

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écrire Ferrat par Aaron Messiah, qui fut, soit dit en passant, l’auteur présumé de la Villa Léopolda (nom de vieille matrone, dirait-on) pour le deuxième Roi des Belges. Le propriétaire actuel de cette villa, la plus grande de la Côte, est Lily Safra, veuve du banquier et philanthrope Juif libanais Edmond Safra.

Des châteaux et des hommes ANDRÉS SORIN

P

endant un séjour à Nice il y a fort longtemps, j’avais vu de belles images de la villa Ephrussi de Rothschild. Ma connaissance sommaire de la Côte ne me permettant pas de la situer avec précision, mon imagination la nimba d’une aura magique : construction invisible et merveilleuse, elle devait le rester ainsi pendant de longues années. Visible enfin mais non moins merveilleuse, je pus l’admirer de près au cours d’une visite au cap Ferrat il y a quelques étés. Mon compagnon de voyage et moi-même suivîmes une visite guidée à laquelle s’était joint un groupe de jeunes américaines apprenant le français. La villa Île-de-France est le produit de l’imagination très capricieuse de la Baronne Béatrice Ephrussi de Rothschild. Elle se fit construire sur la presqu’île du cap Ferrat, en arasant celle-ci à la dynamite, un petit bijou de palais florentin, vu de l’extérieur, et sorte de nouveau Petit Trianon dans sa décoration intérieure. Le bâtiment est équipé de tous les agréments du confort moderne : électricité, eau courante, téléphone, gaz à tous les étages. Consolation de son mariage raté avec le richissime et oisif banquier Ephrussi qui lui avait transmis une syphilis la rendant stérile, et dont la famille était originaire d’Odessa (ah !), la construction de la villa et sa déco-

ration avec des œuvres d’art rares et raffinées l’enthousiasma. * Le site officiel de la villa nous apprend qu’elle organisa une... fête de « mariage » entre Diane, son caniche femelle préféré et un caniche mâle appelé Major. « Des centaines d’invitations sont lancées, adressées à des convives canins et à leurs maîtres. Tous les mâles, bipèdes comme quadrupèdes, se présentent le jour convenu en tenue de soirée : queuesde-pie, cols cassés et nœuds papillon. […] Au son de la marche nuptiale, trois petits caniches en habit apparaissent pour ouvrir la marche. « Demoiselles » et « garçons d’honneur » canins escortent les futurs mariés. À l’autre bout de la pièce les attend un sage et loyal bouledogue affublé d’un chapeau haut-de-forme et d’une écharpe tricolore. […] La mariée se verra glisser à la patte une bague en or sertie de diamants ». La conférencière nous présenta l’intérieur de la villa dans un français simplifié mêlé d’anglais à l’intention de son public de demoiselles venues faire leur éducation en Europe. La frustration de la guide dut être grande car, le tour terminé, elle nous proposa de le refaire entièrement, à notre intention exclusive. Nous en apprîmes bien plus alors et la remerciâmes sincèrement. La visite frappa mon

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imagination et la nuit suivante j’échafaudai tout un argumentaire que je me proposai de confier à la conférencière à la première occasion (!). Le temps et mon indolence naturelle calmèrent mes ardeurs intellectuelles mais ce que mon esprit avait conçu confusément cette nuit mûrit, pour s’énoncer plus clairement, selon le sage adage de Boileau. * À l’issue de cette nuit agitée, j’avais compris un phénomène qui m’avait choqué pendant les voyages dans mon pays d’origine, et que je saisissais enfin dans sa véritable dimension : l’aristocratie argentine avait fait construire, en plein XXe siècle, des châteaux et hôtels particuliers à la française, allant du style renaissance au Louis XVI, alors qu’en même temps à Bruxelles, Vienne ou même dans d’autres quartiers de Buenos-Aires, l’art nouveau finissant annonçait déjà la géométrie de l’architecture rationaliste et que le Bauhaus était sur le point d’éclore. Ringardise de nouveaux riches sans culture, pensais-je. Ma nuit porteuse de conseil m’avait montré mon erreur. La villa Îlede-France fut construite, elle, entre 1905 et 1912 dans un style qui n’avait rien d’avant-gardiste, pour une grande dame française qui, comme la plupart des aristocrates, admirait aussi le bon goût des sty-

*

Villa Efrussi de Rotschild

les du passé. Dans une belle mise en abîme, l’hôtel, aujourd’hui musée Jacquemart-André, boulevard Haussmann, à Paris, s’inspira directement des demeures du siècle des lumières, mais il servit à son tour de modèle pour l’hôtel Pereda, à Buenos-Aires, occupé aujourd’hui par l’ambassade du Brésil. Les façades sur rue des deux bâtiments sont identiques. Je connaissais l’immeuble argentin, pas le musée parisien, et quand je vis celuici, je ne pus m’empêcher de rire. René Sergent (1865-1927), architecte spécialisé dans le « néoLouis XVI » (on parle parfois d’un style Louis XVI idéal ou même de style Louis XVII) construisit ou fit construire autant de bâtiments en France qu’en Argentine. Le phénomène était donc général des deux côtés de l’Atlantique et la culture architecturale des grandes familles argentines était aussi en avance – ou en retard – que celle de l’aristocratie française. Mais revenons sur « la Côte » . La villa Ephrussi de Rothschild fut construite à Saint-Jean-Cap-

Non loin de la villa Îlede-France, à Beaulieu-surMer, se trouve une autre demeure, plus extraordinaire encore : la villa Kérylos. Il s’agit d’une construction à fleur de l’eau, édifiée sur le modèle des villas grecques de l’antiquité. Je ne connaissais que le nom de son maître d’ouvrage : Théodore Reinach. Je croyais avoir affaire à quelque esthète allemand de la belle époque, admirateur peut-être de beaux éphèbes méditerranéens, à l’instar d’un Wilhelm von Gloeden. Ce n’est qu’en visitant la villa que je compris mon erreur de jugement. Un panneau expliquait que les parents de Théodore, originaires de Francfort, s’étaient établis en France au XIXe siècle. De fidèles sujets de leur pays émigrant en France en plein essor du nationalisme allemand ? Tiens donc... J’apprends en poursuivant ma lecture que les frères de Théodore s’appellent Joseph et... Salomon. Les chansonniers les appelaient d’ailleurs « Les frères Je Sais Tout » (Joseph-Salomon-Théodore) tellement ils excellaient dans tous les domaines du savoir. Je m’étais donc trompé de minorité. Théodore Reinach n’était pas homosexuel, il était juif.

La villa est une reconstruction minutieuse de ce que l’on savait il y a un siècle sur les intérieurs grecs antiques. Meubles, fresques, accessoires, disposition des pièces, tout fut étudié dans le détail. La maison ne devait pas être facile à vivre. C’était plutôt une utopie devenue réalité par la volonté d’un admirateur de la Grèce, grâce au talent d’un architecte, Emmanuel Pontremoli... petit-fils de grand rabbin. Reinach se trouva lié aux Ephrussi par son deuxième mariage. Le fils de Théodore, Léon, se maria avec une autre Béatrice, Mademoiselle de Camondo. Le couple et ses deux enfants furent, des années plus tard, assassinés à Auschwitz1. L'hôtel de Camondo, soit dit en passant, devenu le musée Nissim de Camondo, avait été commandé par Moïse, le père de Béatrice, à... René Sergent. Il y a là une nébuleuse de personnages ayant marqué une époque, unis par des liens familiaux, par des affinités au-delà des frontières, par leur origine. On pourrait écrire des romans sur tous ces Juifs qui, faute d’être acceptés partout, créaient leur propre monde fait de réminiscences du passé et d’originalité parfois extravagante. Mais l’histoire qui suit, faite aussi de personnages et de demeures hors du commun, mérite au moins d’être portée au cinéma. * Fritz Mandl... Un nom qui fleure bon/sent fort la culotte en cuir, le chapeau en feutre à plume, la moustache en guidon de bicyclette ou rasée au carré (choisissez vous-même vos références). Il y a aussi dans ce nom un soupçon d’errance séculaire, un tout petit grain de sable atterri en plein Danube en prove-

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➜ nance d’une contrée où le lait des rivières est désormais asséché, où les Temples ne sont plus. Fritz Mandl est un bon autrichien, catholique, industrieux. Il est même industriel, il fabrique des cartouches et munitions en tous genres. Il admire le fascisme et souhaiterait peut-être un régime similaire pour sa chère patrie. Fritz est un vrai Germain. Mandl est un ex-Juif. Il était né en 1900, d’un père juif converti et d’une mère catholique. Il hérita de son père Alexander la Hirtenberger Patronen-Fabrik, usine de fabrication d'armements. Il se maria jeune, divorça (l’histoire se répétera cinq fois) et fit prodigieusement fructifier la fortune paternelle. Il tomba éperdument amoureux de sa future deuxième femme en la voyant nue au cinéma dans un film tchèque2. Elle ne s'appellait pas encore Hedi Lamarr, la star de Hollywood à la beauté exotique, mais simplement Hedwig Kiesler, scandaleusement belle et juive, an emese yidishe

Villa Kérylos

sheynheyt. Le sang ancestral l'attirait. Il se maria avec elle, tenta de détruire toutes les copies du film sulfureux, lui interdit de poursuivre sa carrière artistique et l’enferma dans la cage en or d’un château de sa propriété. Hedi s’enfuit déguisée, dit-on, en femme de chambre, et finit par arriver à Hollywood où elle avait rendez-vous avec son destin. Pendant ce temps, à Hirtenberg, Mandl produisait (ne trafiquait pas !) des armes pour les Suédois, les Français, les Allemands (qui se réarmaient en secret), les Italiens et leurs ennemis éthiopiens, les Espagnols et... les autres Espagnols à partir de 1936. Accusé de sympathies nazies par les Américains (ce qui est faux, il est austro-fasciste) et visé en tant que Juif par les nazis (ce qui, selon leurs critères, est vrai, mais cela ne l’aurait pas empêché de bien s’entendre avec eux), Mandl voit venir l’orage et décide de s’éloigner de sa Mitteleuropa. Grâce à l’un de ses amis, prénommé Benito, qui à son tour est intime d’un certain Adolf, Mandl réussit à quitter l’Autriche accompagné de toute sa famille, dont une partie était déjà dans les griffes des nazis, accompagné aussi d’une immense fortune, provenant entre autres de l’indemnisation payée par Goering pour l’expropriation de son usine. Installé d’abord sur la Côte d’Azur (probablement dans une de ces villas extravagantes, voir plus haut) il estime plus prudent de s’éloigner encore et choisit... l’Argentine, où il se lie d’amitié avec un jeune officier promis à un extraordinaire avenir politique. Mandl et Juan Domingo Péron partagent par ailleurs une même admiration pour le régime fasciste italien. Il n’en oublie pas ses anciennes accointances, et il propose à Goering de créer une

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joint-venture pour le commerce du fer ! En pleine guerre mondiale, il fait transformer au goût du jour un château vaguement « néomédiéval » situé dans les montagnes de Cordoba. Ce sont les frères Andrés et Jorge Kalnay, architectes d’origine hongroise, qui sont chargés des travaux. Avec ses nouveaux toits en pente et un soubassement en pierre brute sombre, la construction prend une allure plus racée et moderne, plus virilement germanique, entre le chalet et le nid d’aigle. Imaginez une petite ville agréable dans de verdoyantes montagnes moyennes3. Des villas cossues entourées de grands jardins, occupées depuis les années 20 par des membres de la haute bourgeoisie argentine, par des artistes, des politiques. Levez les yeux vers la crête montagneuse et vous verrez là, à mi-pente, surplombant le tout, le superbe « Castillo de Mandl », le « Château-fort de Mandl », sur un promontoire élargi artificiellement par une esplanade engazonnée. La route, non goudronnée, monte en lacets, de sorte que vous perdez de vue un moment le but de votre voyage. Puis, tout à coup, vous arrivez à l’entrée d’un tunnel en béton revêtu de pierre. La galerie souterraine dessine une courbe vers la droite dont vous n’apercevez pas le bout. Vous vous croyez dans un film de guerre, avec des soldats allemands qui pourraient apparaître à l’improviste pour vous demander Ausweis, bitte !... Vous émergez enfin à l’air libre sur le versant opposé du promontoire : en face, à gauche, la montagne sauvage, à votre droite, presque en surplomb au-dessus de votre tête... le Castillo. Imaginez un rectangle flanqué sur ses deux petits côtés de deux cercles et vous aurez une

Villa Kérylos

idée du plan de la villa. Un grand escalier à vis en bois occupe l’un de ces espaces circulaires ; dans l’autre est une salle à manger meublée d’une immense table en bois massif, avec, accroché au plafond, un lustre en fer forgé digne du château de Neuschwanstein. Mais Mandl n’est ni un halluciné à la Louis II de Bavière ni un extravagant, comme pouvaient l’être certains aristocrates sur la Côte : c’est un grand bourgeois amateur de confort et de bon goût. Pour l’aménagement des pièces de sa villa, il fait appel à la prestigieuse maison Comte, entreprise de décoration d’intérieur, fabricants et importateurs de mobilier des plus grands designers. Mandl sait à qui il s’adresse : pendant ses trois décennies d’activité (années 30 à 60), Comte décore les palais officiels, les ambassades d’Argentine à l’étranger, les grands hôtels. L’entreprise, créée par des architectes argentins de renom, est inspirée par le grand créateur français Jean-Michel Frank, qui se lie avec elle par un contrat d’exclusivité. Le style dépouillé et intemporel de Frank est célébré partout ; celui-ci travaille pour Guerlain, Schiaparelli, les Rockefeller. Il côtoie les plus grandes personnalités artistiques de l’époque : Stravin-

sky, Matisse, Diaghilev, Mauriac, le vicomte et la vicomtesse de Noailles, collabore avec Giacometti, Dali. Né en 1895, Frank a une jeunesse difficile : il perd au front ses deux frères aînés pendant la Grande Guerre, son père se suicide peu après ; quelques années plus tard, sa mère disparaît à son tour, internée depuis longtemps dans un asile en Suisse. Cousin du père d’Anne Frank, il préfère quitter la France pour s’installer à BuenosAires pendant l’hiver 1939-40. Il devient alors le directeur artistique de Comte. Se sentant peutêtre exclu malgré ses succès, par ses origines, par son homosexualité, consommateur de drogues, Frank sombre dans la dépression et se suicide en se jetant d’un immeuble à Manhattan en 1941. Ses meubles occupent le « rectangle », le grand salon du « Château-fort » : voici un long canapé qu’on ne voudrait jamais quitter ; il est placé contre le mur, sous une immense baie vitrée ouvrant sur l’esplanade engazonnée qui constitue le toit du tunnel d’entrée, et au-delà, sur le panorama des montagnes. Des tables, des fauteuils, des chaises à l’élégance discrète, des camaïeux de couleur reposants, accueillants... Accueillants, ces meubles le sont restés. Du temps de Mandl,

des personnalités de la politique, des affaires, des arts, d’Argentine et d’ailleurs, y passèrent. Quelques années après la guerre, l’industriel autrichien retourna chez lui retrouver sa chère usine d’armements. Il y eut des disputes successorales, mais la maison demeura et reste encore dans sa famille. Par une sorte de prédestination singulière, elle fut occupée par le chef des services de renseignements argentins pendant les années de la présidence ultra-libérale et corrompue de Carlos Menem (1989-1999). Qui sait ce que ses murs purent entendre alors, de secrets et de conciliabules à peine avouables. Abandonnée ensuite, elle fut reprise enfin – décision intelligente – pour en faire un hôtel, par l’un des administrateurs du « Comité Comte », qui s’attache à préserver et à étudier l’héritage et le patrimoine de cette entreprise légendaire. J’ai rarement vécu (juste une nuit, je vous rassure !), dans une demeure aussi chargée d’histoire. * Villas, hôtels, châteaux, nids d’aigle, en France, en Argentine ou ailleurs ; rois, aristocrates, magnats, savants, fous, savants fous, des êtres sublimes ou infâmes. Des deux côtés de la mer immense des gens ont voulu créer un monde réel et irréel à la fois, européen à l’origine, sans patrie (apatride !) en fin de compte. Un monde touchant parfois, inquiétant peut-être, mais toujours, et dans toute sa complexité, terriblement humain. ■ Voir du même auteur « Une nuit à l’opéra » , Points critiques n° 296, mai 2009. 2 Ecstasy-Extase, 1933. 3 Ville de La Cumbre, province de Cordoba. adresse du Comité Comte : www.comtecommittee.com 1

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UPJB Jeunes Entre terre et mer. Camp d’été 2012

Carte de visite

JULIE

P

lounevez-Lochrist, Finistère (finibus terrae : aux limites de la terre), la pointe extrême occidentale de la France. Entre terre et mer, entre vallées pittoresques et plages de dunes. C’est dans ce petit bourg, à 5 km de la plage que nous avons jeté l’ancre pendant deux semaines. Si la pluie tombera presque pendant tout le camp, c’est dans une ambiance de contestations et d’insurrections que l’aventure s’est déroulée. Pour cause, c’est le thème des ‘Résistances’ qui a fait écho au pays breton. Chaque groupe a tenté d’exploiter à sa manière une forme ou un acte de résistance : la décroissance, l’art et la résistance, le soulèvement du ghetto de Varsovie, la désobéissance civile, la résistance littéraire et enfin l’adaptation du roman de George Orwell, 1984, comme Grand Jeu.

Ce sont les notes de Cali – Mille coeurs debouts – qui ont résonné pendant ces deux semaines en guise de chanson de camp.

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L’équipe de moniteurs était accompagnée par un nouveau venu, Selim, qui a accompagné Charline et Milena dans le groupe des Juliano. Nous aurons bien entendu le plaisir de le revoir aux activités de cette année. Le milieu du camp a été quelque peu précipité par le passage des sachems. Petits et grands ont pu assister à la cérémonie de totémisation à la fin de laquelle chaque moniteur s’est vu attribué un totem. C’est dans une ambiance chaleureuse de retrouvailles qu’une quinzaine d’anciens moniteurs sont restés avec nous le temps d’un week-end. Les randonnées du hike ont toutes fait un détour par la mer. Ainsi, chacun a pu profiter de l’air salé et les plus courageux se sont même octroyés une baignade. Les incontournables upjibiades,

la soirée casino, les veillées, le hike, les jeux de nuit, le radio-crochet, la boum de fin de camp, etc. Ces moments intenses et activités qu’on ne peut pas contourner lors d’un camp et qui font désormais partie des moeurs de l’UPJB, en ont fait vibrer plus d’un tout au long du camp. Un tout grand merci à tous ceux qui ont contribué à faire de ce camp une réussite : Valentine et Mira pour le coup de pouce à tout niveau, Marie-Paule et Laetitia pour tous les plats concoctés, les monos bien sûr pour leur engagement et leur créativité et enfin tous les enfants sans qui nous ne serions pas grand chose. Merci à tous pour votre présence et votre bonne humeur. Enfin, la nouvelle saison démarra avec quatre nouveaux recrutés. En effet, il est temps pour quelques uns des Jospa de s’adonner aux joies du monitorat. Dès septembre, l’équipe accueillera Léa, Tara-Mitchell, Jeyhan et Youri. Vous pourrez découvrir la fraîche équipe lors de la journée d’ouverture prévue le dimanche 23 septembre. Nous aurons le plaisir de nous retrouver autour d’un picnic au bois de la Cambre, de faire connaissance avec les nouveaux venus et de nous rappeler les bons moments de l’année passée. Si vous voulez un aperçu un peu plus concret de notre aventure bretonne, nous vous proposons ensuite de nous suivre jusqu’aux locaux. Une expo photo du camp y sera organisée pendant la soirée d’ouverture. ■

L’UPJB Jeunes est le mouvement de jeunesse de l’Union des progressistes juifs de Belgique. Elle organise des activités pour tous les enfants de 6 à 15 ans dans une perspective juive laïque, de gauche et diasporiste. Attachée aux valeurs de l’organisation mère, l’UPJB jeunes veille à transmettre les valeurs de solidarité, d’ouverture à l’autre, de justice sociale et de liberté, d’engagement politique et de responsabilité individuelle et collective. Chaque samedi, l’UPJB Jeunes accueille vos enfants au 61 rue de la Victoire, 1060 Bruxelles (Saint-Gilles) de 14h30 à 18h. En fonction de leur âge, ils sont répartis entre cinq groupes différents.

Juliano Mer-Khamis

Les 2005 Moniteurs : Charline : 0474.30.27.32 Miléna : 0478.11.07.610

pour les enfants nés en 2004 et

Marek Edelman

Les pour les enfants nés en 2002 et 2003 Moniteurs : Sacha : 0477.83.96.89 Lucie : 0487.15.71.07

Janus Korczak

Les pour les enfants nés en 2000 et 2001 Moniteurs : Manjit : 0485.04.00.58 Fanny : 0474.63.76.73 Clara : 0479.60.50.27

Émile Zola

Les pour les enfants nés en 1998 et 1999 Moniteurs : Totti : 0474.64.32.74 Sarah : 0471.71.97.16 Axel : 0471.65.12.90

Yvonne Jospa

Les pour les enfants nés en 1996 et 1997 Moniteurs : Maroussia : 0496.38.12.03 Noé : 0472.69.36.10

Informations et inscriptions : Julie Demarez – upjbjeunes@yahoo.fr – 0485.16.55.42

septembre septembre2012 2012* *n°328 n°328• •page page39


agenda UPJB Sauf indication contraire, toutes les activités annoncées se déroulent au local de l’UPJB, 61 rue de la Victoire à 1060 Bruxelles (Saint-Gilles)

dimanche 9 septembre à 11h

56ème Pélerinage National à l’ancienne Caserne Dossin (voir page 26)

vendredi 23 septembre à 19h Soirée de rentrée (voir page 28)

vendredi 28 septembre à partir de 19h

Soirée de lancement de l’ouvrage d’Anne Grauwels, Humeurs judéo-flamandes 20012011 (voir page 29)

du samedi 29 septembre au samedi 6 octobre

Exposition photos phot de New Profile, mouvement israélien pour la civil-isation de la société israélienne et rencontres avec a un de ses représentants Raanan Forshner (voir pages 30 et 31)

vendredi 5 octobre à 2Oh15

Conférence-débat avec Jean-Christophe Attias autour de son ouvrage Les Juifs et la Bible (voir pages 10/11 et 32)

mardi 9 octobre à 20h15

Conférence-débat avec Pascal Boniface à propos de son libre Les intellectuels faussaires (voir page 32)

dimanches 7, 14 et 21 octobre à 16h30

La trilogie de Vienne, trois films d’Axel Corti avec la participation de Julie Maeck et Pieter Lagrou, historiens de la Seconde Guerre mondiale (voir page 33)

Éditeur responsable : Henri Wajnblum / rue de la victoire 61 / B-1060 Bruxelles

club Sholem Aleichem Sauf indication contraire, les activités du club Sholem Aleichem se déroulent au local de l’UPJB tous les jeudi à 15h (Ouverture des portes à 14h30)

jeudi 13 septembre

Séance de rentrée dans un local totalement remis à neuf avec un Concert de « Chansons françaises » par Maroussia Buhbinder, accompagné par le pianiste Yvan Kerekowski

jeudi 20 septembre

« Le camp d’été de l’UPJB-Jeunes » raconté par Julie Demarez, nouvelle animatrice et coordinatrice du mouvement de jeunesse de l’UPJB

jeudi 27 septembre

Le complot contre l’Amérique de Philippe Roth, analysé par Tessa Parzenczewski, chroniqueuse qui inaugure une nouvelle rubrique mensuelle au Club Sholem Aleichem : Le temps de lire

jeudi 4 octobre

« Une enfance pendant la guerre » Edna Bratzlavsky ( se ) raconte. Présentation par Johannes Blum, « compagnon de la mémoire »

et aussi samedi 15 septembre à 19h

À La Tentation. Yiddish Tanz, Red & Black, ... (voir page 27)

Prix : 2 EURO

Les agendas sont également en ligne sur le site www.upjb.be


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