n°327 - Points Critiques - juin 2012

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mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique juin 2012 • numéro 327

éditorial Mêmes causes, mêmes effets ? Bureau de dépôt: 1060 Bruxelles 6 - P008 166 - mensuel (sauf juillet et août)

LE COMITÉ DE L’UPJB

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êmes causes, mêmes effets ? Le scénario manquerait d’originalité ? Années 30 versus aujourd’hui. Quasi partout en Europe, la crise produit une même maladie : la montée d’une extrême-droite venue des urnes. Avec les mêmes thèmes récurrents comme si l’histoire était vraiment une leçon condamnée à la répétition. Avec, à la clef, une droite qui n’hésite pas, pour sauver sa peau, à les banaliser : l’étranger comme bouc émissaire, le nationalisme étriqué, l’éloge du terroir, le repli prétendument salvateur… avec des variantes locales, le tout sur fond de chômage, de précarité, de misère, de recul des acquis

sociaux et des protections étatiques. En France, Marine Le Pen prend garde d’être poussée à la faute sur le négationnisme pour normaliser son parti aux yeux de tous. Résultat, elle en devient forcément et férocement ennuyeuse et… dangereuse. Les coups de langue du père, les faux lapsus pouvaient encore faire rire (jaune). Il fallait qu’il y cède et, fatalement, on guettait le moment. La mise à plat du discours de la fille fait apparaître le corpus pour ce qu’il est : un tissu de platitudes profondément haineux et rétrograde. En fait, jamais, dans cette position de soutien accru, l’extrême droite française n’est aussi bien apparue pour ce qu’elle est : un discours de la peur, un refus du

BELGIQUE-BELGIE P.P. 1060 Bruxelles 6 1/1511

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sommaire

éditorial ➜

éditorial

1 Mêmes causes, mêmes effets ? .......................................... Le Comité de l’UPJB

israël-palestine

4 Ils étaient trois, les voilà quatre. Shaul Mofaz, le retour ..... Henri Wajnblum

lire

6 Quand un soldat revient de guerre ................................Tessa Parzenczewski

regarder

7 Un monde à l’envers ................................................................. Gérard Preszow

lire, regarder, écouter

8 La bascule du souffle. Herta Müller ........................................ Antonio Moyano

mémoires

10 Art contemporain et Seconde Guerre mondiale ................. Roland Baumann

réfléchir

12 Nobel oblige ! De Thomas Mann à Günther Grass .................... Jacques Aron 14 Mémoire, politique et langues .......................................................Alain Mihály

yiddish ? yiddish !

! widYi ? widYi

18 arbeter-froyen - Femmes ouvrières. ........................................Willy Estersohn

humeurs judéo-flamandes

20 Septième ciel .................................................................................Anne Gielczyk 22

activités vie de l’upjb

26 Commémoration de l’insurrection du Ghetto de Varsovie................................

hommages

30 Michel Dubuisson. Un spécialiste du conflit israélo-arabe....Willy Estersohn 31 Régine Krochmal........................................................................... Claire Pahaut 32

les agendas

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mouvement. En d’autres termes : le refus de la vie. Le négationnisme par contre, le Jobbik hongrois ou l’Aube dorée grecque n’hésitent pas à s’en servir. À chaque pays ses cibles prioritaires : l’islam en France… mais là où on attaque le halal, on sait que le casher ne perd rien pour attendre. En Hongrie, en Tchéquie, en Slovaquie, ça fait belle lurette que la chasse aux Roms est ouverte tandis qu’un écrivain juif hongrois, Akos Kertesz, devant la montée de l’extrême droite et la complaisance gouvernementale, demande l’asile politique au Canada ! Peu de pays parmi les 27 échappent à cette montée en puissance des partis racistes et nationalistes… la Belgique ? Peut-être, et encore, la Wallonie sans doute ; le Vlaams Belang flamand est loin d’être mort. Nombre de ses soutiens se sont désormais alignés derrière le nationalisme indépendantiste de la NVA. On nous met en garde, et sans doute à juste titre, que le prochain méchant loup ne portera pas moustache, qu’il ne sera pas identifiable comme tel, quand bien même une nuée de petits louveteaux témoignent d’un goût plus que douteux pour les saluts virils, les graphismes anguleux, les vêtements raides et les rituels aux torses bombés. Et peut-être d’ailleurs qu’il est déjà là sans qu’on le sache, déjà à l’œuvre dans une forme inconnue et insaisissable. « On ne résout pas un problème avec les modes de pensée qui l’ont engendré », cette phrase attribuée à Einstein est comme un

On nous met en garde que le grand méchant loup ne portera pas moustache, mais…

fanal dans la grisaille. Oui, contre les appels aux archaïsmes, il nous faut avoir le courage de nous penser autrement dans le monde. L’identité n’est plus une, elle est multiple, l’enracinement est de l’histoire ancienne, les frontières une obsolescence, les relations au temps et à l’espace bouleversées sur la planète entière, l’exil une condition de masse. Le rêve d’Europe s’est réduit au calcul de l’Euro. Et peut-être que le temps des boutiquiers et des comptables, du bling bling et du people, est en train de ployer sous de nouvelles formes d’organisations et d’éner-

gie vivante et salutaire. Des formes de manifestations traditionnelles redeviennent le lieu où l’espoir relaie la résignation tandis que les tentatives alternatives n’ont pas dit leur dernier mot. La Bastille parisienne de la Gauche de la Gauche, de la Gauche social-démocrate ensuite, la place Rouppe bruxelloise du 1er mai syndical et la Puerta del Sol madrilène des Indignés témoignent d’un nouveau besoin d’occuper le pavé, de se rencontrer, de se solidariser et d’inventer de nouveaux liens. C’est loin d’être gagné. Le combat entre l’animalité régressi-

ve et l’humanité inventive est plus vif que jamais. Quant à nous, à l’UPJB, il est fort à parier que des débats anciens et mis sous le boisseau au sein des communautés juives remonteront en surface avec acuité. Dans cette reformulation du monde, et de l’Europe en particulier, nous aurons à réaffirmer notre place comme citoyens d’ici, immigrés de toujours et pour toujours, sans dévotion à aucun État, animés des valeurs de justice sociale et d’hospitalité. Un chantier à poursuivre d’urgence ! ■

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israël-palestine Ils étaient trois, les voilà quatre. Shaul Mofaz, le retour HENRI WAJNBLUM

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ela faisait longtemps qu’il rongeait son frein, lui, l’ancien militaire, faucon pur et dur, partisan de la liquidation de Yasser Arafat, ayant servi sous trois gouvernements. D’abord comme chef d’état-major successivement sous Benjamin Netahyahu et Ehud Barak, puis comme ministre de la Défense d’Ariel Sharon. Depuis, plus rien, si ce n’est une série de déboires… Candidat à la direction du Likoud en décembre 2005, il est battu par Netanyahu. Il décide alors de rejoindre Kadima, le parti que Sharon a créé après avoir rompu avec le Likoud et qu’il avait d’abord refusé de suivre. Le 4 janvier 2006, suite à une attaque cérébrale d’Ariel Sharon, Ehud Olmert est désigné premier ministre par intérim, et le 16 janvier, président par intérim de Kadima en vue des élections législatives du 28 mars suivant. Lors des élections du 28 mars 2006, Kadima obtient 29 sièges sur les 120 que compte la Knesset, devenant le premier parti d’Israël en nombre de députés. Olmert est confirmé au poste de premier ministre et forme un gouvernement de coalition avec les travaillistes (20 sièges) et les élus du parti des retraités (7 sièges). Il y associe également le Shass. Le 30 juillet 2008, mis en cause dans des affaires de corruption, il annonce qu’il ne participera pas aux primaires de son parti, sous-

entendant sa démission à la fin de son mandat. La bataille pour la présidence de Kadima est lancée, elle oppose Shaul Mofaz et Tsipi Livni, ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement Olmert. Mofaz est à nouveau battu. Il vient d’avoir sa revanche, le 27 mars dernier, en battant cette fois largement Tzipi Livni à cette présidence, Tsipi Livni qui, dans la foulée, vient d’annoncer qu’elle renonçait à son mandat à la Knesset. Ainsi que nous l’avons dit, Shaul Mofaz n’a rien d’une colombe, comme chef de l’armée puis comme ministre de la Défense, il a activement participé à la répression de l’intifada palestinienne au début des années 2000. Lors de sa campagne électorale au sein de Kadima, il y était allé d’une déclaration altière, affirmant qu’il refuserait toute alliance avec Nétanyahou, qu’il qualifiait de menteur… « Je n’entrerai pas dans une coalition dirigée par Bibi, ni maintenant, ni demain, ni après mon élection à la tête de Kadima. C’est un mauvais gouvernement, que Kadima remplacera sous ma direction ». Quelques semaines plus tard, Natanyahu annonçait qu’il convoquait des élections législatives anticipées, laissant entendre que le scrutin aurait lieu au mois de septembre 2012 au lieu du mois d’octobre 2013… « Je ne veux pas qu’il y ait un an et demi d’instabilité politique accompagnée de

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chantages et de populisme. Mieux vaut une campagne électorale courte de quatre mois pour assurer la stabilité politique ». Il ne fallut cependant attendre que quelques jours pour que Shaul Mofaz, en « fin stratège », crée l’événement en concluant un accord avec Netanyahou et fasse son entrée au gouvernement par la « grande porte » en tant que vice-premier ministre sans portefeuille. Plus d’élection anticipée donc. Pourquoi cette volte-face ? Mofaz assure que c’est « l’intérêt supérieur du pays » qui l’a motivée. Mais rares sont les Israéliens qui sont dupes… Kadima était en effet en très nette perte de vitesse dans les sondages et Mofaz espère que son parti se refera une santé avant les élections d’octobre 2013 en se donnant une visibilité, ainsi qu’à certains de ses amis qui pourront accéder à des postes importants, notamment à la commission parlementaire des Affaires étrangères et de la Défense et à celle des Affaires économiques… Si les élections avaient en effet eu lieu en septembre prochain comme Netanayahou l’avait prévu, Kadima risquait en effet de subir une véritable déconfiture. Les sondages prédisaient une large victoire du Likoud, 31 sièges (sur 120) contre 27 actuellement, les travaillistes de Shelly Yachimovich arrivant deuxièmes avec 18 sièges contre 8, suivis de Israël

Beiteinou d’Avigdor Lieberman avec 12 sièges contre 15, Kadima fermant la marche avec 11 sièges contre 28 actuellement, à égalité avec la nouvelle formation du journaliste Yaïr lapid, Yesh Atid (il y a un avenir) qui obtiendrait donc lui aussi 11 sièges. Faut-il préciser que ce retournement inattendu de situation a provoqué un véritable coup de tonnerre au sein du parti travailliste

hender déserteurs et objecteurs de conscience » dont le nombre s’est accru de manière très significative ces dernières années. Cette opération durera 10 jours et a pour objectif d’arrêter et d’amener devant les tribunaux plusieurs centaines de ces jeunes qui tentent d’échapper à la conscription. Selon les données de l’armée, le nombre de déserteurs est passé de 1800 en 2010 à 2700 en 2011 auxquels s’ajoutent près de 2000 objecteurs de conscience qui refusent de porter les armes. Sept cents de ces déserteurs – et 800 objecteurs – sont des femmes. L’année dernière, l’armée a changé ses critères : un soldat est porté déserteur après 21 jours d’absence conLa « bande des quatre » avec, de gauche à droite, Avigdor Lieberman, Shaul Mofaz, Benyamin tre 45 jours par le passé. Netanyahou et Ehud Barak Le resserrement de ces dont la nouvelle dirigeante, ShelUn appel qui restera plus que critères est en partie responsable ly Yachimovich, comptait, au con- vraisemblablement aussi vain que de l’augmentation du nombre des déserteurs. En 2011, une opératraire de Mofaz, sur les élections tous les précédents. anticipées pour assurer un peu Benyamin Netanyahu a bien tion similaire avait été interromplus de représentativité au parti. envoyé une lettre à Mahmoud Ab- pue après un jour en raison… du Aussi n’a-t-elle pas hésité à fus- bas dans laquelle il se dit prêt à manque de place dans les prisons tiger « un pacte de lâches, le plus rouvrir les négociations « n’impor- militaires. Cette année, l’armée a ridicule zigzag de l’histoire politi- te où, n’importe quand », mais à la pris ses précautions en créant un condition… qu’il n’y en ait aucu- centre de détention spécialement que israélienne ». Quoi qu’il en soit, le « nouveau » ne préalable posée par les Pales- dédié. « Nous aurions un problègouvernement Netanyahou-Ba- tiniens. Autant dire une fin de non me si tous les déserteurs se consrak-Lieberman-Mofaz se retrouve recevoir… puisqu’on sait que Ma- tituaient prisonnier s», reconnaisaujourd’hui avec une majorité de hmoud Abbas a précisément posé sait un responsable militaire. 94 députés sur les 120 que comp- des conditions : négociations sur Ceux qui ont entendu les témoite la Knesset. L’opposition étant la base des frontières de 1949 et gnages des anciens soldats isréduite à la position congrue avec gel de la colonisation. raéliens lors de l’exposition « BriRetour à la case départ donc. sons le silence » et des débats que 26 députés essentiellement issus du parti travailliste (8 élus après Mais pouvait-il en être autrement nous avons organisés en décemla défection de Barak), du Meretz avec la « bande des quatre » ? bre dernier aux Halles de Schaer(3 élus), de la Liste arabe unifiéebeek, n’auront aucune difficulté à Mouvement arabe pour le chan- LA CHASSE AUX « DÉSERcomprendre le pourquoi de cette gement (4 élus), de la liste arabe TEURS » EST OUVERTE augmentation des défections au Hadash (4 élus), et de la liste juTout autre chose… en Israël, sein de l’armée israélienne. Si au déo-arabe liée au parti commu- l’amour de l’armée n’est plus ce moins cela pouvait faire réfléchir qu’il était. On apprend en effet que les dirigeants du pays… Mais il niste, Balad, (3 élus). Mais une majorité pléthorique la police militaire vient de lancer ne faut malheureusement pas rêpour quoi faire ? Pour entamer une large opération pour « appré- ver. ■ enfin des négociations sérieuses avec l’Autorité palestinienne ? C’est ce que semble vouloir croire Mahmoud Abbas qui, par la voix de son porte-parole Nabil Abou Roudeina, a appelé « le gouvernement israélien à saisir l’occasion de l’élargissement de la coalition gouvernementale pour accélérer la réalisation d’un accord de paix avec le peuple et les dirigeants palestiniens ».

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lire

regarder Un monde à l’envers

Quand un soldat revient de guerre... TESSA PARZENCZEWSKI

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982, la guerre du Liban, le massacre de Sabra et Chatila. Après plusieurs films israéliens, dont Valse avec Bachir, voici à nouveau ce sinistre épisode évoqué par un écrivain israélien. Ici aussi le soldat peine à retrouver ses souvenirs, ici aussi le soldat s’allonge sur le divan du psy. Fiction, fantasmes et réalité se mélangent. Revenu à la vie civile, Pini n’en finit pas de ressasser, de gratter cette plaie béante qui a mis à bas ses certitudes et qui l’a mené au bord de la démence. Comme des acouphènes obsédants, les sanglots d’un enfant sifflent dans son oreille, d’un enfant qu’il a tué à Beyrouth. Il se souvient aussi d’un vieil homme croisé dans la ville et qu’il reconnaîtra des années plus tard sur la couverture d’un livre : Jean Genet. Jean Genet que Leila Shahid a emmené au Liban pour qu’il écrive sur la lutte des Palestiniens. Genet déjà malade, erre dans la ville. Il a aperçu un soldat israélien qui lui rappelle étrangement Hamza, un combattant palestinien. Les deux visages se superposent, s’effacent, se recomposent, dans une troublante ambiguïté. Nous sommes au matin du massacre. Toute la nuit, les fusées israéliennes ont déchiré l’obscurité et installé un éclairage brutal. Aux portes

be, la langue d’origine. Imprécations, supplications, insultes se succèdent pour essayer de conjurer le sort, pour que le soldat revienne sain et sauf. Dans une langue lyrique, poétique, au plus près des sensations, des désarrois, des malaises, une langue qui décolle dans des envolées et retombe, en contraste, avec force, dans la trivialité, Emmanuel Pinto essaie de débroussailler une réalité dérangeante, ouvre des portes, sans aller trop loin, comme s’il redoutait de voir en face ses propres conclusions. Fasciné par l’œuvre de Genet dont il cite des extraits, et en même temps sceptique sur ses motivations, l’auteur donne par contre une image réductrice de Leila Shahid, mais dans la fiction, l’imagination a, paraît-il, tous les droits… ■ du camp, comme implosé de l’intérieur, Pini perd tout contrôle et sombre dans la démence. À Bnei Brak, ville peuplée depuis toujours de Juifs orthodoxes, une mère se barricade sur son balcon depuis le départ de ses fils à la guerre. Elle qui n’a jamais écrit, se met à noircir des pages et des pages, des lettres à son fils Pini. Et c’est une guerre de langues qui se déclenche, où l’hébreu peu pratiqué auparavant, monte à l’assaut du français mâtiné d’ara-

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Acouphène Emmanuel Pinto Traduit de l’hébreu par Laurent Cohen Actes Sud 212 p., 22 EUROS

GÉRARD PRESZOW

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a m’apprendra ! Avant même d’avoir vu l’expo, que dis-je ? – avant même qu’elle soit accrochée – j’avais réservé une page comme on réserve sa place, sûr de mon fait. J’anticipais avec délectation le plaisir de vous faire partager mon goût pour cet artiste dont j’avais déjà vu de belles choses. Et boum patatras, j’ai trouvé l’expo ratée, sans doute une commande inappropriée. Et comme je n’aime pas dire du mal d’un artiste (en tout cas, écrire du mal sur…), je me suis mis dans le pétrin. C’est comme cette fois où j’avais réservé une place de parking pour une amie, le temps qu’elle refasse le tour du bloc pour qu’elle puisse mieux engager la manœuvre, et voilà que des malotrus veulent s’y mettre ; je vitupère, je m’énerve, Madame sort côté passager son chienchien dans les bras et voilà que le pékinois prend la tangente, saute sur le pavé et… se fait écraser par une voiture en sens inverse. Je n’ai pas écrit « bien fait, il y a un D. quelque part ! ». Soit, cette page est tournée, une autre m’engage. Voici. À la station Anneessens*, souterraine, gît une œuvre bien vivante. Après l’escalator en panne descendu à pied, passé les sentiers glauques, la pisse dans le coin, le pirelli noir et boutonneux à vos pieds, montré patte blanche et mobib au nouveau portillon, vous tombez nez à nez avec une série de colonnes carrées qui soutiennent le monde d’en haut. Elles sont tout entières recouver-

tes de photos jointes les unes aux autres qui disent avec enthousiasme et chatoiement le quartier qu’on vient de quitter. Et sans vous en apercevoir, vous regardez ces photos, vous faites le tour des colonnes, vous allez de l’une à l’autre… et vous laissez passer le tram. Le 3 ou le 4. C’est l’œuvre d’un jeune photographe, Vincen (non, ce n’est pas une coquille mais une coquetterie) Beeckman. Il connaît bien la ville. Il a sa base à Recyclart, un fief de culture urbaine établi à la gare de la Chapelle, à mi-chemin entre les pistes de skateboard et la danse des Brigittines. De là, il va et vient et parcourt Bruxelles en tous sens, délocalisant son « studio Marcel » aux quatre coins de la ville où qui veut, vient se faire tirer le portrait. Mais revenons aux colonnes. On venait du gris d’en haut et voilà que les catacombes et les sombres galeries chantent. Portraits de jeunes et de vieux, intimité des chambres, fragments de rues et de couloirs, encombrants à l’abandon… le tout rythmé par des décadrages, des syncopes d’images aux couleurs chaudes : c’est le monde à l’envers. Une transmutation du réel. Le quartier à la réputation la plus trash de Bruxelles prend les allures d’un hymne à la joie. Ne manque plus qu’Aznavour dans les baffles et « la misère qui serait moins pénible au soleil ». Vraie misère, soleil factice. L’art comme alchimie. On remonte à la surface et pour peu qu’il ne drache pas, on s’assoit sur le rebord d’un de ces énormes bacs à fleurs de béton (ou poubelles, selon la fonc-

tion qu’on leur attribue) qui balisent le boulevard et on regarde. Prenez place face au Pêle-Mêle, LA bouquinerie bruxelloise. Et vous verrez cette faune incessante, ma faune : promeneurs égarés, intellos fiers de leurs trouvailles, SDF au caddy déhanché, ladies bags aux cheveux gluants, élèves avec la liste-des-livres-à-lirepour-le-professeur, beautés voilées aguichantes, grandes blacks décomplexées, ados savamment tonsurés avec perfecto ajusté ou jogging informel et délavé… Bref, si le vivre-ensemble avait un lieu, ce serait celui-ci ! Et en prime, le sourire du vigile… Je revois, sur le trottoir d’en face, le Pêle-Mêle originel où mon argent de poche se consumait en livres de poche. Je n’avais que quelques pas à faire pour aller de ma chambre à ce paradis sur terre. Monsieur Henri, lunettes cerclées, cache-poussière gris façon Jules Ferry, régnait en maître sur une nuée de jeunes garçons dont il s’entourait comme aides, passait une main sur les boucles des uns, admonestait les autres. Une vieille femme toute cassée et cabossée, les doigts osseux recourbés, le bleu des veines saillantes architecturant les paumes, le corps caché derrière un tablier fleuri en nylon, prenait l’argent : Maman Pêle-Mêle veillait au grain. Toute cette enfance qui remonte. Mais j’ai mon 3 – ou mon 4 – à prendre… Je descends d’où je viens. ■ * Station Anneessens : trams 3 et 4

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lire, regarder, écouter La bascule du souffle. Herta Müller ANTONIO MOYANO

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uels sont les symptômes, les signes avantcoureurs que le livre que tu dévores est bel et bien un chef-d’œuvre ? L’insomnie, un effet dringdring au beau milieu de la nuit, et aussi, comme si le livre lui-même exigeait des atolls de silence et l’entière disponibilité de mon esprit : Va dormir, repose-toi, oublie les contingences, les soucis, les petits tracas, je te veux tout à moi, doooooorrrs, je me charge de te.. Dring ! Dring ! Le chef-d’œuvre c’est un peu le soulier de Cendrillon, un seul pied peut y entrer ; à chacun de trouver le sien. La bascule du souffle de Herta Müller était pour moi. J’ai appris l’attribution du Prix Nobel de littérature 2009 par un sms envoyé par mon ami Tanguy, et j’ai poussé un cri de joie, car moi, voyezvous, je l’avais déjà lue, Herta Müller, oui, messieurs-dames, et j’en suis très fier et c’est sans mérite, vous savez pourquoi ? Car tout bonnement Herta Müller, qui écrit en langue allemande, est née en Roumanie, dans le Banat. Et tout ce qui vient de ce pays-là tralala etc. L’homme est un grand faisan sur terre, Le Renard était déjà le chasseur, La Convocation (Folio et Points/Seuil). Et tout récemment Animal du cœur (Gallimard), celui-là je ne l’ai pas encore lu.

Tous ses livres portent l’empreinte (traumatisante) d’une personne ayant longtemps vécu sous un régime de flicaille, délation, répressif et dictatorial. La bascule du souffle est, en quelque sorte, comme au piano une œuvre à quatre mains : ici celui qui parle c’est Léo Auberg, déporté dans un camp de travail en URSS, il va y rester cinq ans, de ses 17 à 22 ans. « Aucun de nous n’avait fait la guerre, mais pour les Russes nous étions responsables des crimes d’Hitler, étant allemands. » (p.52) Et cet homme, Herta Müller l’a rencontré à Berlin : de son vrai nom, le poète Oskar Pastior (Sibiu, 1927Francfort, 2006 – Prix Georg-Büchner). Elle a écrit le livre sous son souffle mais il est mort avant qu’elle y mette le point final. Le livre est composé de 64 petits chapitres, sorte de miniatures qui ont l’émotion parfaitement ciselée d’un poème en prose. S’installe même une gêne : pourquoi une si belle langue pour décrire une telle horreur ? « Des objets qui n’avaient sans doute rien à voir avec moi viennent me chercher. Ce qu’ils veulent, c’est me ramener chez moi au camp. Quand ils arrivent en masse, ils ne se contentent pas d’être dans ma tête. J’ai des lourdeurs d’estomac qui me remontent jusqu’au palais. La bascule du souffle est chambou-

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lée, je suis hors d’haleine. Cette espèce brosse-peigne-aiguilleciseaux-miroir-à-dents est un monstre, de même que la faim en est un. » (page 40) Si j’ai choisi cet extrait c’est qu’on y trouve quatre éléments récurrents tout le long du livre : 1. la prégnance de la faim insatiable. 2. la panoplie des souffrances du corps. 3. les objets inanimés sont du « vivant ». 4. la langue se concasse, devient autre. Léo Auberg n’est pas seul au camp, il a d’autres compagnons d’infortune : Katie le Planton, Fenia la maîtresse du pain, Heidrun Gast la femme de l’avocat, Tur Prikulitch, Béa Zakel, Kobelian, Trudi Pelikan, Corina Marcu, Loni Mich la chanteuse, Konrad Fonn qui joue de l’accordéon. « Pour les trois premiers morts de faim, je savais parfaitement qui était parti, et dans quel ordre. (…)Quand soi-même on n’a que la peau sur les os et qu’on se délabre physiquement, on n’a qu’une envie, c’est de tenir les morts à l’écart. » (p.101) Une des forces de ce livre c’est de parler du retour, du retour à la vie normale après la sortie du camp, et les retrouvailles avec la famille et les autres. Et même dans un précipité de temps, de la disparition du témoin : « Et soixante ans plus tard, je fais ce rêve. Je suis déporté pour la deuxième, la troisième, ou même la septième

fois. (…) Je garde d’ailleurs de ma première déportation un bout de charbon noir bleuté, gros comme un scarabée, qui est planté dans mon tibia. » (p.280) « J’avais remis les pieds à la maison depuis plusieurs mois, et personne ne savait ce que j’avais vu. Personne ne me le demandait. Pour pouvoir raconter quelque chose, il faut d’abord

s’en dessaisir. » (p.318) Je me sens boiteux et maladroit en vous parlant de ce livre admirable. Désolé. Il ne me reste plus qu’à le relire. J’ai devant les yeux l’édition espagnole qui a choisi un autre titre : Todo lo que tengo lo llevo conmigo = Tout ce que j’ai je le porte sur moi. Ce titre est extrait de la fin du livre lorsque Léo décide de quitter, non, de fuir ce pays devenu irrespirable. Oui, c’est la fuite, il quitte la Roumanie avec un billet d’aller-retour, laissant Emma son épouse, cette femme qu’il a aimé mais qu’il a surtout épousé

par convenance et pour escamoter son homosexualité : « C’est ma plus grande faute, à ce jour. Je me suis travesti pour un voyage censé être bref et, avec une valise légère, je suis allé en train à Graz, d’où j’ai écrit une carte qui tenait dans la main : Chère Emma / La peur est implacable. / Je ne reviendrai pas. » (p.342). ) Dans le camp ou hors du camp, Léo doit se tenir sur ses gardes. Et rester vigilant et lucide 24 heures sur 24, ce n’est pas de tout repos ; en voici la preuve par quelques films : j’ai trébuché sur quelques énergumènes qui m’ont dégoûté, horrifié, horripilé, énervé, ému… Dieu fasse que je ne devienne jamais un salaud pareil ! me suis-je dit, en sortant du film Skoonheid (Beauty), film venu d’Afrique du Sud. Un autre m’a effrayé mais j’en avais de la compassion, c’est le héros de Tyrannosaur (film de Paddy Considine), avec Peter Mullan que nous avions tant aimé dans My Name is Joe, film de Ken Loach de 1998. Et voici le très sensible Adrien Brody dans un rôle de prof remplaçant dans Detachment, ce film de Tony Kaye est du genre « pâtes feuilletées de malheurs et je vous en remets un couche ! » Mais à quoi bon tant de défaitismes et de noirceurs ? Un par contre qui m’a ébloui c’est le danseur noir Panaibra Gabriel Canda (Maputo, 1980), je l’ai vu rue de Manchester lors du Kunstenfestivaldesarts, accompagné par un formidable guitariste, et quand il danse sur la Voix du fado la grande Amalia

Rodriguez, on frissonne ; le Mozambique a été colonie portugaise pendant 400 ans. Pour rester vigilant, il est impérieux de se donner courage, alors relisons quelques poèmes d’Ilarie Voronca, de son vrai nom Eduard Marcus, né le 31 décembre 1903 à Braila (Roumanie) et décédé (suicide) le 4 avril 1946 à Paris J’ai tapé son nom dans le catalogue en ligne et deux titres sont apparus. « Suis-je bien à la bibliothèque Brand Whitlock ? Bonjour, je cherche Le Marchand de Quatre Saisons, je vois qu’il est en magasin (à la réserve), vous croyez qu’il peut encore sortir ? car il est déjà vieux, 1938 ? – Aucun souci, je le mets de côté, à quel nom ? » Ce livre avait été édité à Bruxelles par Les Cahiers du Journal des Poètes. Et j’ai dû prendre un couteau. Et j’ai dû le couper. Jamais personne ne l’avait encore lu. Au cimetière parisien de Pantin, la tombe d’Ilarie Voronca est à l’abandon (renouvellement de la concession, réfection obligatoire de la tombe…) ■ « Ce fut une belle aventure Quatre saisons sur les mers Les écumes étaient les violettes de Mars, Les écumes étaient les lilas blancs et bleus de Mai, En janvier sous les eaux les perce-neige, En Juin la couleur de bronze des tulipes… » (Un extrait de Fin des mortes saisons)

La bascule du souffle, Herta Müller, traduit de l’allemand par Claire de Oliveira. Folio n° 5341, 354 pages

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mémoires Art contemporain et Seconde Guerre mondiale ROLAND BAUMANN

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u 17 au 19 mai, dans le cadre du Open House Festival, une série d’organisations d’artistes ouvraient leurs ateliers au public bruxellois. Occasion de découvrir des lieux de créations, d’échanges et de recherches collectives d’artistes, belges et étrangers, dont les travaux multidisciplinaires révèlent l’actualité de l’art contemporain, sa prodigieuse diversité, mais aussi ses dimensions collectives, en dehors des musées, des galeries, et des spéculations du marché de l’art. Le 4ème étage d’une ancienne structure industrielle, quai des Charbonnages à Molenbeek, abrite les ateliers de FoAM, « un réseau international de laboratoires interdisciplinaires de culture spéculative ». Les jeunes artistes associés à ce singulier laboratoire culturel transnational établi à Amsterdam, Stockholm et Bruxelles, oeuvrent à « la ré-invention de futurs potentiels » par des pratiques créatives touchant à l’art, la science, la nature et la vie quotidienne. Actuellement artiste en résidence au laboratoire bruxellois de FoAM, Coralie Stalberg exposait son projet « Débrouillardise et coquetterie ». Sur une table, livres de référence, carnets de notes, retranscriptions et enregistrements vidéo d’interviews de témoins présentent au visiteur les prémices d’un projet de recherche à long terme sur les pratiques vestimentaires durant la Deuxième Guerre mondiale.

LE PROJET Coralie explique : « « Débrouillardise et coquetterie » est une recherche que je mène sur les pratiques textiles et les stratégies de recyclage associées, pendant une période historique marquée par la pénurie absolue de ressources matérielles : la Seconde Guerre mondiale, et les années d’aprèsguerre. Mes travaux s’intègrent au projet « Resilients » de FoAM. Dans le cadre d’une recherche pour un futur qui investirait des stratégies plus durables pour la production textile, les solutions inventées pour palier la pénurie des matériaux de base pendant le conflit mondial pourraient bien nous servir d’inspiration et de boîte à outils… » Elle ajoute : « Anthropologue de formation, je m'attache aux pratiques du quotidien qu'on évacue souvent des livres d’histoire. Face aux masses de livres traitant de l’histoire militaire et politique en 39-45, seuls de rares ouvrages s’intéressent au vêtement et à la mode de cette période. De prime abord, le sujet peut sembler frivole. Le vêtement est pourtant associé à une histoire intime du corps. Et il fait partie de l’économie de guerre : comme le soulignent les magazines féminins de l’époque, chaque mètre de tissu épargné lorsqu’on fait une robe contribue à l’effort de guerre, jusqu’à la victoire... C’est aussi un sujet politique, dont témoignent la mode des zazous en France ou celle des Zoot suiters

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aux USA, jeunes noirs et latinos dont le style vestimentaire flamboyant choque le « patriotisme » des anglo-américains et provoque des émeutes, les Zoot Suit Riots en 1943-1944. Ce n’est donc pas du tout un thème de recherche « frivole » . Dans le cadre de sa recherche, Coralie collecte donc les « souvenirs textiles des années de guerre et de l’immédiat après-guerre » : descriptions de vêtements portés, des pratiques de confection à domicile, de l’usage des ersatz et matériaux de substitution aux produits devenus introuvables à cause du rationnement et des réquisitions (soie, cuir, etc.) et enfin stratégies mises en oeuvre pour rester coquet(te) et conserver sa dignité malgré la pénurie vestimentaire. Coralie remarque : « Dans un home de Molenbeek, j'ai rencontré des gens qui ont toujours vécu dans cette commune et dont les souvenirs génèrent des histoires très locales, souvent racontées en flamand. Jeanne, née en 1931, résume bien la précarité vécue par de nombreux enfants molenbeekois sous l’occupation lorsqu’elle décrit sa « garde-robe » : « Ik had twee rokken, een die ge kon dragen wanneer de andere in de was was. Een paar of twee drei koussen, vijf onderbroeken »... Dans mes interviews à Uccle, des dames issues de milieux aisés m’évoquaient dès la déclaration de guerre la ruée de leurs mères dans les magasins de vêtements,

Coralie Stalberg (à gauche) et son travail. Photo R. Baumann

pour acheter tissus, chaussures, etc. en prévision de la situation de pénurie radicale à laquelle tous les citoyens furent confrontés sous l’occupation. Même dans les familles bourgeoises tout était récupéré. C’est le manteau de soldat dont on fait un tailleur. Les blouses rapiécées. Les bas troués qu’on reprise maille par maille. Tout est racommodé jusqu’à l’usure extrême. Ce sont des histoires drôles, mais souvent aussi associées à la honte, du même vêtement rapiécé qu’on est bien forcé de porter jusqu’à ce qu’il tombe en lambeaux, parce qu’on n’en a pas d’autre. Bref, ce sont des souvenirs très émouvants. »

SOUVENIRS D'ENFANTS Coralie s'adresse aux témoins directs de la guerre mais recueille aussi les souvenirs véhiculés par leurs enfants : « Je suis intéressée par la dynamique de la re-création qui est celle de la transmission d’une narration – que ce soit par le biais de la première ou seconde génération consécutive aux personnes ayant vécu cette période. Je collecte ces témoignages pour en faire une « archive vivante ». Une fois

toutes ces pratiques textiles archivées, je sélectionnerai certaines d’entre elles pour les réaliser avec des enfants en ateliers mais en les réinterprétant, afin de les transmettre à la nouvelle génération. »

LES LEÇONS Le projet artistique FoAM concerne en effet tout ce que peuvent nous enseigner des situations de crises radicales telle que la guerre 39-45 : « Face à la crise écologique et économique qu’on vit aujourd’hui, il ne s’agit pas de se barrer le futur mais bien d’inventer des scénarios alternatifs positifs. Imagine par exemple que la production de coton se tarisse, que pourrait-on faire ? Je trouve intéressant d’exploiter la créativité dont firent preuve ces femmes dont je recueille les témoignages et pense organiser des stages avec des groupes d’enfants pour qu’ils apprennent directement des personnes agées les solutions trouvées durant les années de guerre, un temps de crise absolue. Il ne s’agit pas de faire de la reconstitution historique mais bien de s’inspirer de pratiques textiles anciennes et de les réin-

terpréter de façon créative, tout en expliquant aux enfants le contexte historique d’origine de ces pratiques. » Coralie lie la genèse de son projet à sa visite de l’exposition « Accessoires et objets, témoignages de vies de femmes à Paris, 1940-1944 » organisée à Paris en 2009 au Mémorial du Maréchal Leclerc-Musée Jean Moulin, ainsi qu’à sa vision du documentaire de Catherine Bernstein Assassinat d'une modiste (2005), un film poignant d'émotion dans lequel la cinéaste retrace le parcours de sa grand-tante, Fanny Berger, fondatrice d’un atelier de mode parisien dans l’entre-deux-guerre, victime des spoliations antisémites puis déportée et assassinée à Auschwitz. Elle conclut : « Aujourd’hui, la transmission de la mémoire de la Seconde Guerre mondiale se fait surtout avec des moments lourds et douloureux, en termes héroïques ou victimaires. Mais ce que je veux transmettre de cette histoire à nos enfants peut-il se limiter aux rapports entre victimes et bourreaux, à des souvenirs douloureux et tout ce matériel traumatique ? En tant que Juifs, nous avons été étroitement liés à l’histoire des pratiques vestimentaires en Belgique, comme tailleurs, maroquiniers, colporteurs, etc. Et cette mémoire m’interpelle. Pour moi, faire une « robe parachute » avec plein d’enfants, par exemple à Molenbeek, c’est une autre façon de raconter l’histoire et de leur transmettre la mémoire de la Deuxième Guerre mondiale en Belgique. » ■ Si vous souhaitez participer à ce projet sur les pratiques textiles, Coralie Stalberg vous invite à la contacter par mail : coralie_stalberg@msn.com FoAM : Quai du Charbonnage, 30 – 35, Molenbeek ; site web (anglais): www.fo.am

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réfléchir Nobel oblige! De Thomas Mann à Günther Grass

Thomas Mann parlant aux Juifs, caricature du journal satirique nazi « L’Ortie » (1930).

JACQUES ARON

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ous n’avions pas attendu le récent poème en prose du Prix Nobel allemand de littérature, pour dire notre inquiétude devant le soutien des milieux dirigeants d’OutreRhin à la politique d’Israël, s’enfonçant de plus en plus dans la colonisation, comme s’il s’agissait de rendre un jour inéluctable le Grand-Israël rêvé par le mouvement sioniste. Je dénonçais en avril d’inquiétants bruits de bottes germano-israéliens, comme je m’étais étonné, il y a un an qu’un grand pays européen permette aussi ouvertement à ses rabbins – au service de communautés religieuses officiellement reconnues et organisées par la constitution – de recruter leurs ouailles pour servir au nom de D. dans une armée étrangère d’occupation1. Quiconque suit un tant soit peu la vie politique de ce pays ne peut qu’y constater la confusion persistante de toutes les notions qui touchent de près ou de loin au judaïsme, à la judéité, aux Juifs ou aux Israéliens. Quelques auteurs et journalistes vivent de ces ambiguïtés permanentes, maniant tantôt l’ironie ou tantôt le cynisme. Le tout dans un climat d’hypocrisie que Grass dénonce, et qui, pour être général en Allemagne, n’en est pas moins partagé par de

nombreux États européens. Combien de temps faudra-t-il encore aux hommes pour vivre ensemble leur destin commun, sans s’inventer constamment de nouveaux épouvantails pour surmonter leurs différences et leurs divergences ? Qu’a donc dit l’écrivain dans son poème, sinon « Ce qui doit être dit » : « Was gesagt werden muss ». Des critiques et des mises en garde aussitôt passibles « du verdict d’antisémitisme », si courant dès qu’une voix contestataire s’élève dans ce pays – il a tenu à le rappeler – « aux crimes absolument incomparables ». Un écrivain choisit son mode d’expression dans le débat public. Je me souviens de la confrontation de Grass et Stefan Heym au Palais des Beaux-Arts, que nous étions nombreux à écouter avec beaucoup d’attention. Les exemples historiques ne manquent pas : Hugo contre la peine de mort ou le coup d’État de « Napoléon le Petit », Zola et sa « Lettre au Président de la République », Anatole France et ses discours pour l’Arménie, Jean-Paul Sartre et tant d’autres descendus de leur tour d’ivoire pour entrer dans l’arène impitoyable de la politique, et y être souvent maltraités. L’exemple allemand qui vient à l’esprit – de ceux, ils sont bien rares, qui ont un peu de mémoire et plus de cultu-

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re qu’un ministre israélien de l’intérieur – est le discours que prononça Thomas Mann, fraîchement « nobelisé », le 17 octobre 1930, après des élections au Reichstag qui avaient fait faire un bond de plus de 15% au parti nazi, passant de 800.000 à 6,4 millions d’électeurs. Et qui doublerait encore son score, hélas, deux ans plus tard. Bien moins politisé que son frère Heinrich, Thomas Mann s’engageait ainsi à découvert pour la première fois. Son « Appel à la raison », rien qu’un appel à la raison, à ne pas céder à l’aventure, fut conspué par les nazis, qui le représentèrent à la solde des Juifs. Si comparaison n’est pas raison, c’était pourtant bien l’inquiétude devant un avenir sombre et incertain qui avait fait réagir l’auteur de La Montagne magique. Qu’a donc dit Grass dans son poème en prose de moins de 70 vers ? Que les affaires sont les affaires et qu’elles ne sont pas propres, qu’il est d’autres voies que la guerre préventive, qu’il n’y pas de raison, 65 ans après la Seconde Guerre mondiale, qu’un auteur qui a fait de lui-même l’aveu de ses égarements de jeunesse dans la Hitlerjugend, ne puisse exprimer ce qui oppresse sa conscience, en espérant peut-être que d’autres se libèrent à leur tour du silence.

Source : Kunst-Metropole Berlin 1918-1933, AufbauVerlag, Berlin-Weimar, 1987

Warum aber schwieg ich bislang ? Weil ich meinte, meine Herkunft, die von nie zu tilgendem Makel behaftet ist, verbiete, diese Tatsche als ausgesprochene Wahrheit dem Land Israel, dem ich verbunden bin und bleiben will, zuzumuten. Pourquoi ai-je gardé si longtemps le silence ? Parce que je croyais que mes origines, marquées d’une tache indélébile, m’interdisaient d’oser dire ce fait, comme une vérité, au pays d’Israël, auquel je suis et je veux demeurer attaché. Mais quelles que soient les nuances et les précautions que

met un maître du verbe à formuler une pensée à transmettre aux générations à venir, il ne sait que trop la difficulté qu’il y a à se faire bien entendre ; et pourtant : Nur so ist allen, den Israelis und Palestinensern, mehr noch, allen Menschen, die in dieser vom Wahn okkupierten Region dicht bei dicht verfeindet leben und letzlich auch uns zu helfen. Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons les aider tous, Israéliens et Palestiniens, et davantage encore tous les hommes qui, dans cette région occupée par la folie, vivent en ennemis les uns contre les autres et nous aider enfin nous-mêmes

te le moins réconfortant, aura été l’écart entre le message d’un vieil écrivain, rédigé de sa « dernière encre », et la virulence des réactions qu’il a suscitées, avec toutes les bassesses des polémiques de bas étage, la suspicion de vouloir attirer sur soi l’attention, alors que tant de bateleurs dénués de talent et de scrupule occupent les devants de la scène médiatique et parlent le langage convenu des bien-pensants. Günther Grass a écrit un poème à la nécessaire cohabitation des peuples, parce que sa réussite ou son échec sont de notre responsabilité à tous. ■

Voir « Un rabbin recruteur », février 2011, n° 313.

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Le plus surprenant, et sans dou-

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réfléchir Mémoire, politique et langues ALAIN MIHÁLY

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ans le précédent numéro de ce mensuel, J. Bude a livré un article dénonçant l’utilisation des termes « Holocauste » et « Shoah » pour nommer le génocide nazi des Juifs1. L’opposition à ces termes, sinon leur condamnation sans rémission, est loin d’être récente. Deux articles ont été largement diffusés. Le premier, dû à J. Sebbag, « Pour en finir avec le mot Holocauste », publié en 20052 dans Le Monde, soutenait, de manière nuancée, « Shoah », un terme qui, selon cet auteur, permet de souligner « à juste titre, la spécificité religieuse et culturelle » de la victime et sa « judéité » et de distinguer le génocide des Juifs de ceux qui l’ont suivi (il cite le Rwanda et la Bosnie). « Holocauste » était rejeté sur la base de son sens premier : « consumation totale par le feu de l’animal sur l’autel du temple ». Le second article, « Pour en finir avec le mot Shoah »3 vint, en réaction, du linguiste, poète et traducteur de l’hébreu biblique Henri Meschonnic. Ce dernier condamnait « Shoah » pour différentes raisons dont nous retiendrons, ici aussi, le sens premier du terme : « c’est un mot qui, dans la Bible où il se rencontre treize fois, désigne une tempête, un orage et les ravages – deux fois dans Job – laissés par la tempête dévastatrice. Un phénomène naturel, simplement. » Meschonnic suggérait, sans certitude, le terme « judéocide ». No-

tons cependant que les dictionnaires (voir par exemple Reymond et Gesenius) contredisent le radicalisme de Meschonnic (Shoah signifie également, même si c’est à l’origine par extension, « ruine, dévastation » et « désert ») mais surtout qu’en hébreu moderne, le terme a les sens non confondus de tempête et catastrophe (et non seulement de « catastrophe naturelle » comme l’affirme dès l’abord J. Bude). C’est précédé de l’article défini qu’il désigne le génocide des Juifs : « ha-Shoah » (soit « La Catastrophe », à distinguer d’une catastrophe en général).

L’ORIGINE Les mots s’extraient de leur étymon. Il en est ainsi pour « antisémitisme » – il n’y a de sémit(iqu)es que des langues apparentées et seuls les Juifs sont visés – qui désigne, depuis le XIXè siècle, la haine des Juifs. Au même XIXe siècle, « holocauste » a acquis le sens, dénué de toute connotation sacrificielle, de « destruction totale, anéantissement ». On le retrouve en 1944 chez l’écrivain C. Mauriac (« l’holocauste indéfiniment renouvelé de son héroïque jeunesse ») qui l’appliquera, en 1958, aux victimes indifférenciées des camps nazis. On en est encore à l’ère de l’antifascisme niveleur et de l’absence de reconnaissance de la spécificité du destin juif et ce n’est qu’ultérieurement, et singulièrement à partir de 1979, avec la diffusion du feuilleton

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américain éponyme, que le terme se restreindra aux seuls Juifs. Dans le monde anglo-saxon (soit partout, sauf en francophonie) où il règne sans partage, « Holocauste » s’est libéré de tout sens sacrificiel et est strictement fonctionnel (voir, à titre d’exemples, M. Marrus, L’Holocauste dans l’Histoire, P. Novick, L’Holocauste dans la vie américaine, N. Finkelstein, L’industrie de l’Holocauste, tous auteurs « insoupçonnables »). Pour J. Bude cependant, le terme « inscrit le génocide dans le mythe religieux selon lequel l’expiation d’un péché porte sa rédemption ». Les penseurs ultra-orthodoxes, qui, seuls, lisent le désastre à la lumière d’une conception plus générale de la rétribution divine des actions humaines, n’ont pourtant pas initié l’usage d’Holocaust puisque leurs langues de référence sont l’hébreu et le yiddish. « Shoah » s’est, de la même manière, coupé de ses « racines ». Nous laisserons ouvertes, dans ce cadre restreint, la question de l’emploi d’un nom propre et/ou emprunté à une langue étrangère pour qualifier un événement historique. Le sentiment s’est en tout cas imposé à beaucoup de la nécessité ou de l’évidence de ce nom propre issu d’une langue juive. L’éditorial du dossier que consacra Points critiques4, alors revue trimestrielle, à la sortie du film Shoah, se félicitait de ce qu’enfin « un mot juif issu d’une langue juive s’impose pour nommer

une tragédie juive ». Les rédacteurs du même titre, devenu mensuel, évitent aujourd’hui ce terme, qui sonne trop « israélien » ou trop « communautaire » et non explicite et lui préfèrent « judéocide » mais il n’est pas rare que le mot leur « échappe » et, bien sûr, que des intervenants extérieurs ne l’emploient, sans que cela ne fasse scandale. « Shoah » a par ailleurs conquis partiellement le champ scientifique francophone (cf. la Revue d’histoire de la Shoah). Il serait déplacé de reprocher aux historiens impliqués de penser le génocide nazi des Juifs comme un « cataclysme naturel » ou, pour aborder un autre argument avancé par J. Bude (voir infra), de faire d’eux les complices de la vision du génocide à l’oeuvre en Israël et dans les communautés juives. Les chose semblent cependant plus complexes. La notion de « catastrophe » au sens « d’événement brutal qui bouleverse le cours des choses, en provoquant souvent la mort et/ou la destruction » s’applique en effet au premier chef à des « phénomènes naturels » et ensuite seulement, par extension, à tout « événement aux conséquences particulièrement graves ». Faudrait-il bannir un concept pourtant favorisé par le premier historien du génocide, Philip Friedman (1901-1960)5? Et qui pourrait dire que « la destruction des Juifs d’Europe » (R. Hilberg) ne fut pas un événement catastrophique ? Notons en tout cas que P. Friedman employait également « holocauste », sans majuscule et comme descriptif. et que la réédition de ses articles en 1980 nécessita le passage à Holocaust, évolution du vocabulaire oblige. J. Bude établit un lien entre la signification sacrificielle d’« Holocauste » et « la religion civique de la rédemption » comme « instrument politique » israélien (I. Zertal)

et en conclut que « la qualification d’Holocauste s’inscrit pratiquement toujours dans cette religion civique où elle se confond avec celle de Shoah ». « Holocauste » et « Shoah » ne se confondent cependant pas. Les deux termes ont des parcours totalement différents et ce n’est que par souci de compréhension que les auteurs israéliens traduisent Shoah par Holocaust. Il faut, quoi qu’il en soit, distinguer l’usage d’un terme et les discours politiques qui accompagnent la lecture de l’événement. Le génocide a fait l’objet d’instrumentalisations politiques en sens divers (« Arafat Hitler », « les frontières de 67 sont celles d’Auschwitz » ou, à l’inverse, « Israël nazi »). Que des dénominations soient associées à une instrumentalisation ne les damne pas par essence.

LES LANGUES Le lecteur de l’article de J. Bude est confronté à des considérations sociolinguistiques aux fondements erronés. On lit, en préambule, que « le yiddish n’a que de lointains rapports » avec l’hébreu et que « pour tous (yiddishophones et judéo-hispanophones), l’hébreu était une langue à usage exclusivement religieux, comme le latin pour les catholiques ». Livrer une description de type « soviétique », opposant « langue du clergé » et « langue du peuple », appartient strictement au registre de l’idéologie. Le parallèle fait avec le monde chrétien est, lui, caractéristique d’un refus de prendre en compte la dimension « nationale » complexe des cultures juives et de reconnaître à l’hébreu, dans le cadre de cette dimension, sa légitimité intrinsèque. Les sociétés juives traditionnelles se caractérisent par une configuration linguistique qualifiée de « diglossie interne » (non équiva-

lente au bilinguisme) : deux langues complémentaires sont utilisées dans des fonctions distinctes auxquelles sont associées un statut et des représentation différents. Une langue (ou une variété de langue dans d’autres cas) « de prestige » ou « haute » cohabite avec une langue « moins prestigieuse » ou « basse ». Dans le cas des Juifs ashkenazes de l’Est (et de toute l’Europe jusqu’à l’assimilation linguistique progressive qui a suivi les émancipations politiques), ces langues sont le loshn-koydesh ou « langue sacrée » (hébreu et judéo-araméen) et le yiddish. Le rapport fonctionnel entre ces deux langues non apparentées est complexe à décrire d’autant que le paradigme originel a été largement entamé par l’entrée dans la modernité qui a conduit, à l’extrême, à une « guerre des langues » entre hébraïstes et yiddishistes. Sans entrer dans le détail de l’histoire culturelle des Juifs, on retiendra au moins que la littérature hébraïque moderne est née en Europe centrale au XIXè (hors contexte « sioniste »), que la plupart des écrivains yiddish classiques ont également écrit en hébreu (de telle sorte qu’on a pu parler, même si cette formule est débattue, d’« une littérature, deux langues »), que dans l’entre deux guerres, le réseau hébraïque moderne Tarbut scolarisait plus d’enfants juifs que le réseau yiddish progressiste de la CYSHO, les deux restant marginaux face aux écoles polonaises et au réseau orthodoxe. Le yiddish, « langue de fusion » ou « de contact » selon les écoles, a, en outre, pleinement intégré dans son système linguistique une composante hébréoaraméenne (autour de 20 % du lexique). Les survivants yiddishophones ont nommé le

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➜ génocide : khurbm, « destruction, ruine, désastre ». La racine du mot est biblique et signifie « être asséché, désertifié » et, donc, « en ruine ». Le mot lui-même est post-biblique et renvoie à la destruction des premier et second Temples de Jérusalem (khurbm-bays-rishn et khurbm-bays-sheyni). Indubitablement du yiddish mais d’origine tout aussi indubitablement hébraïque et aux référents « théologico-politico-historiques » transparents. Partageant cette vision du génocide comme le troisième khurbm, le poète (yiddish et hébreu) et héraut nationaliste Uri-Zvi Greenberg, ainsi que quelques figures rabbiniques, ont défendu, en Israël et contre Shoah , jugé séculier et vide de sens, le terme dans sa prononciation hébraïque moderne khurban. Notons encore que les mémoires de la Première Guerre mondiale de l’ethnographe et écrivain S. An-Ski, publiées en 1920, s’intitulent Khurbm Galitsye6, « La destruction de la Galicie ». Nul ne pensait alors qu’une autre « destruction », sans commune mesure, des communautés juives allait advenir. Gageons en tout cas que si khurbm, par quelque miracle, s’était imposé, on lui aurait reproché, outre sa prononciation « difficile », son rappel d’un événement historique « national » et, sans doute, le fait d’être de « l’hébreu ». L’ironie voudrait également que les (pré-)Israéliens, dès 1940, puis le législateur avec la loi de 1959 sur la « Journée du souvenir de la Catastrophe et de l’Héroïsme » aient choisi Shoah pour éviter les connotations « archaïques » de khurban ou parce que l’hébreu moderne a privilégié, généralement du moins, les termes bibliques aux développements post-bibliques. Mais on est bien là face à un débat « interne » en-

tre deux « hébraïsmes » et la légitimité de « l’hébreu », comme langue juive, quelle que soit la strate linguistique érigée en modèle, ne peut être mise en doute. Autrement dit, l’affirmation selon laquelle « qualifier ces évènements dans une langue qui a été créée et qui n’est parlée que dans le cadre du mouvement sioniste, signe leur (des victimes) appropriation injustifiée par ce mouvement et donc par le nationalisme israélien » ne peut être retenue. Ce qui ne signifie pas, par ailleurs, que le mouvement sioniste n’ait pas intégré progressivement l’événement génocidaire dans un discours de légitimation élaboré bien avant le génocide. Des voix, marginales, s’élèvent d’ailleurs encore toujours en son sein pour condamner cette « dénaturation » de l’idéal originel.

LE SIONISME Le deuxième argument avancé par J. Bude, « seule une petite minorité d’entre eux (les Juifs d’Europe) était sioniste » rencontre deux obstacles. Le fait que le sionisme ait été ou non minoritaire n’a pas d’incidence sur l’emploi actuel d’un mot hébreu, non seulement, cela va de soi, en Israël mais aussi dans une diaspora aujourd’hui largement acquise aux modèles culturels israéliens. En deuxième lieu, cette affirmation doit être remise en perspective. Le fait, comme il est soutenu, que l’émigration juive vers la Terre d’Israël ait été très réduite dans l’avant-guerre, conditions économiques et préférence, quand cela était possible, pour d’autres destinations obligent, ne signifie pas que le mouvement sioniste n’ait pas bénéficié de la sympathie active ou passive d’un très grand nombre. Ce sont des députés sionistes – et également, pour faire bonne mesure, des ultra-orthodo-

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xes antisionistes – que les Juifs de Pologne envoyaient au Sejm pour défendre leurs intérêts. Les sionistes n’étaient pas majoritaires au sens strict mais, face aux traditionalistes, libéraux, bundistes et communistes, leur poids était manifeste. Ils étaient, sur le plan international, particulièrement actifs et il est difficile a posteriori de reprocher aux instances sionistes d’avoir négocié avec les autorités nazies un accord d’émigration (contesté à l’époque au sein même du mouvement sioniste) vers la Palestine britannique de dizaines de milliers de Juifs allemands et d’avoir, de ce fait, garanti leur survie. Pour J. Bude, cet épisode se résume à une sentence qui tend à inscrire le projet sioniste dans un cadre nazi : « L’émigration vers la Palestine était particulièrement favorisée par les autorités nazies ». Les nazis voulaient se débarrasser du plus grand nombre possible de Juifs, les frontières étant fermées, seule ou presque restait ouverte la voie vers la Palestine. Encore firentil payer lourdement cette émigration. L’existence de cet accord « réfugiés contre marchandises » est, de manière récurrente, utilisée (voir par exemple les publications électroniques pro-palestiniennes radicales) pour illustrer l’accusation d’une complicité sioniste dans le génocide des Juifs, génocide auquel bien sûr les « sionistes » auraient eu tout intérêt... S’il y a une téléologie sioniste du génocide qui s’élabora progressivement dès la nouvelle du désastre, on peut constater qu’une téléologie fondamentalement antisémite (et illustrant un processus plus général de démonisation du sionisme et d’Israël), puisqu’elle « décrit » un complot « sioniste » aussi invraisemblablement pervers, s’est également cristallisée. J. Bude rejoint cette thé-

Page de titre de « Khurbm Galitsye »

matique douteuse en soutenant que « l’idéologie de la Shoah-Holocauste […] justifie le « sacrifice » de communautés entières et de millions d’êtres humains par l’avènement rédempteur d’un État-Sauveur ». Le génocide appartient au corps des arguments avancé pour illustrer ou démontrer la nécessité de l’existence d’un État juif. Ceci posé, parler de « justification », au sens où l’entend J. Bude, revient à soutenir que les idéologues du sionisme donnent un sens positif à la destruction des communautés juives européennes : justifier l’État, ce n’est pas justifier le génocide. Tare supplémentaire, cet emploi conjoint de « Shoah » et « Holocauste », par nature idéologiquement connotés, « criminalise toutes les communautés non juives et leurs membres par une volonté endémique de massacrer les Juifs ». Nommer, même mal, le génocide ne criminalise pourtant que ses auteurs. L’idéologie sioniste s’est en effet construite sur

la conception d’une permanence de l’antisémitisme en un temps où ce dernier se révélait particulièrement virulent. À défaut de sa «permanence» dans l’histoire, on peut au moins conclure à la transmission jusqu’à aujourd’hui d’un antisémitisme toujours capable de se renouveler. Cette simple constatation relèverait donc du racisme « anti-Goy ». Tout à sa tâche de nier cette évidence de l’antisémitisme, comme s’il reconnaissait quelque pertinence à un argument « sioniste », J. Bude en vient à écrire que les « déportés aspiraient à un retour chez eux, chez eux, vers les personnes et les lieux dont ils avaient été arrachés » et non « vers un mythique État juif ». C’est oublier que, partout à l’Est, les rescapés juifs ont été rejetés et que des centaines de milliers d’entre eux ont, parfois par idéal et souvent par nécessité, gagné l’État juif en devenir. C’est aussi se conformer à une logique de démonisation et du sionisme et d’Israël, qui les réduisant à un projet strictement colonialiste

et criminel (d’où l’utilisation, absente ailleurs, d’un terme, sociocide, devant nécessairement rappeler le génocide), ne laisse aucune prise à la compréhension – idéologie, appareil et politique d’État mis à part – de ce qu’ont pu représenter et représentent encore le « sionisme » en action comme phénomène de réparation psychologique après la destruction. C’est aussi extraire littéralement le sionisme des Juifs et les Juifs du sionisme et faire de ce dernier un ectoplasme diabolique. L’idéologisation du génocide est, quoi qu’il en soit, inacceptable. À titre d’exemple, son incarnation dans des manifestations de masse telles que la « marche des vivants », de toute évidence totalement acceptée au sein des communautés juives, donne le sentiment d’une profanation d’un lieu qui, à l’instar de tout autre lieu de mémoire, devrait être préservé d’une intrusion de type politique. La narration sioniste, aujourd’hui dominante, de l’histoire des Juifs ne peut cependant conduire à ériger un contre-discours motivé par la condamnation absolue d’Israël bien plus que par le respect d’une mémoire que l’on idéologise à son tour et d’un peuple dont on méconnaît ou caricature la culture. ■ 1 « Ni Shoah ni Holocauste », Points critiques n° 326, mai 2012. 2 Le Monde, 27 janvier 2005. 3 Le Monde, 20-21 février 2005. 4 Points critiques n°26, octobre 1986. 5 Voir, par exemple, son article, co-écrit avec Koppel S. Pinson, « Some Books on the Jewish Catastrophe », Jewish Social Studies, Vol. 12, No. 1 (Jan., 1950), pp. 83-94. 6 Khurbm Galitsye : Der yidisher khurbm fun Poyln, Galitsye un Bukovine, fun togbukh 1914-1917, in Gezamlte shriftn, Vilna-Varsovie-New-York, 1920-1925. Voir également L. Khazanovitsh, Der yidisher khurbm in Ukraine. Materyaln un dokumentn, Berlin 1920.

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Yiddish ? Yiddish ! PAR WILLY ESTERSOHN

TRADUCTION

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arbeter-froyen Femmes ouvrières

Voici un poème de David Edelstadt, né en Russie en 1866 et mort aux Etats-Unis en 1892. Il a été publié en 1891 dans le journal anarchiste new-yorkais de langue yiddish Di fraye arbeter shtime (« La Voix ouvrière libre») dont Edelstadt était devenu le rédacteur en chef. Le texte devint rapidement un chant de lutte, notamment dans le yiddishland est-européen. Dans son anthologie de la poésie yiddish, Charles Dobzynski écrit à propos de David Edelstat : « Pendant sa brève période de création, ce fut un lyrique social, exaltant avec des accents pathétiques, sur des rythmes vibrants et simples, la lutte pour la dignité et l’émancipation du travailleur. »

Femmes ouvrières, femmes dans la souffrance ! / Femmes qui dépérissez à la maison, à la fabrique / Pourquoi vous tenez-vous à l’écart, pourquoi n’aidez-vous pas à bâtir / Le temple de la liberté, du bonheur humain ? Aidez-nous à porter la bannière rouge (la bannière la rouge) / En avant à travers la tempête, à travers les sombres nuits ! / Aidez-nous à propager la vérité et la lumière / Parmi les esclaves ignorants et en détresse. Plus d’une fois des femmes généreuses ont déjà / Fait trembler bourreau et trône / Elles ont montré qu’on peut leur confier / Le drapeau sacré dans les tempêtes les plus désastreuses.

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Le texte de cette publicité pour la «Fraye arbeter shtime», journal anarchiste new-yorkais dont David Edelstadt a été rédacteur en chef, est représentatif des germanismes qui envahissaient à l’époque le yiddish.

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REMARQUES Ce poème comporte plusieurs germanismes, un phénomène fréquent à l’époque, avant la standardisation du yiddish. Ainsi dndUl laydnd = souffrant (part. présent – en allemand - de NdUl laydn = souffrir) ; on écrira kidndUl laydndik. De même strevvr]f forverts (= en avant) est également de l’allemand ; on remplacera par sivr]f foroys. Il y a encore le cas de NgUq tsaygn (= montrer) qu’on remplacera par NzUvv vayzn. Au troisième vers de la première strophe, s]vv vos = s]vvr=f farvos = pourquoi. fun vaytn NtUvv Nvf = de loin. tcen nekht : plur. de tc=n nakht = nuit. l]m Niij tyn nit eyn mol = plus d’une fois (littéralement : pas une fois). etsretib biterste : superlatif de retib biter = amer, dur, pénible.

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ANNE GIELCZYK

Septième ciel

E

n parcourant ma pile de journaux en rade des dernières semaines, je tombe sur cette nouvelle incroyable, « Le point G est enfin localisé » (Le Soir du 6 mai). Ça alors !! Comment une information de cette importance a-t-elle pu m’échapper ? Rien vu, rien entendu, il n’y en avait que pour les élections présidentielles françaises. J’apprends dans cet article que l’existence de ce point mystérieux a été avancée pour la première fois en 1950 par un certain docteur Ernest Gräfenberg, qui lui a donné en toute modestie typiquement masculine, l’initiale de son nom. Et moi qui croyais que le docteur G était une invention de Philippe Geluck ! Point imaginaire ou point anatomique, voilà une question qui a agité les femmes pendant des décennies. Les féministes des années 1970, toutes à leur défense de l’orgasme clitoridien, n’y croyaient pas ou faisaient semblant de s’en foutre. Françoise Dolto, elle, n’avait qu’une piètre opinion de l’orgasme clitoridien qu’elle estimait « décevant » et même « ambigu »1. Elle distinguait pas moins de quatre types d’orgasmes féminins, allant du clitoris à l’utérus en passant par

le vagin. Le Nirvana se situant pour elle au plus profond de ce continent noir et tout en haut de l’échelle des plaisirs génitaux et de la maturité sexuelle féminine. Mais, même si la question du plaisir reste mystérieuse, voilà donc la question du point G tranchée. Il existe et il a été localisé. Il serait de forme trapézoïdale et se situerait très exactement à 16 millimètres de l’urètre dans un angle de 35 degrés avec celui-ci. Urètre ? 35 degrés ? Y a-t-il un GPS pour nous indiquer le chemin ? TomTom, à l’aide ! Tapons « septième ciel » et laissons-nous guider : « Dans trois millimètres, tournez à gauche, ensuite faites demi-tour » « arrivé au rondpoint, prenez la dernière sortie ». « Vous êtes arrivées ». Comme quoi, l’aventure est derrière le coin. Une idée peut-être pour vos grandes vacances. Une destination exotique, écologique et peu chère par ces temps de crise et de rigueur.

D

ans un tout autre genre, je lis que JeanLuc Dehaene a publié ses mémoires. Ici pas besoin de GPS : l’ouvrage est à l’image de son auteur, volumineux. 1000 pages, ne comptez pas sur moi pour lire tout ça, j’ai d’autres priorités.

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Une petite étude comparative des commentaires dans la presse du Royaume devrait suffire. Le Soir titre sur la mort soudaine et la succession du roi Baudouin, et consacre toute une page à la monarchie. Comment Albert a accepté tout de suite de succéder à son frère, comment Philippe l’en a remercié et pourquoi accorder une dotation à Laurent était une erreur. Palpitant. Dans les journaux flamands, on préfère traquer les petites phrases assassines, qui nous parviennent au compte-goutte au fil du décryptage de ces 1000 pages, un peu à l’image des révélations de WikiLeaks. La plupart aussi décevantes et ambigües que l’orgasme clitoridien de Françoise Dolto.

G

eert Bourgeois, lui par contre, ne déçoit jamais. Sous ses airs bonasses, Geert Bourgeois est un pur et dur de la N-VA. Le ministre de l’inburgering (l’intégration) du gouvernement flamand vient de sortir un starterskit pour les primo-arrivants en Flandre. Cela s’appelle « Migrer en Flandre. Coffret d’introduction pour les familles immigrantes ». Cela ne s’adresse pas, vous l’aurez compris, aux primoarrivants français fortunés post-

“ Volksgazet ”, un revenant qui annonce des lendemains qui chantent

Sarkozy. Nous y découvrons avec stupeur2 que les flamands sont des « cactus » – un peu comme les sabras – ils piquent de l’extérieur, sont doux à l’intérieur, mais difficiles à ouvrir et qu’ils sont ponctuels, qu’il est donc conseillé d’arriver à temps. Que la Belgique est un pays où il pleut souvent et où il vaut mieux toujours se munir d’un parapluie mais que par contre l’argent ne tombe pas du ciel et la vie y est très chère. Il vaut mieux donc travailler à deux, d’ailleurs en Flandre le travail est très important. Sachez qu’en Flandre, les hommes et les femmes ont les mêmes droits et qu’il y est interdit de battre votre partenaire et vos enfants. Et bien sûr pour trouver du travail et comprendre vos patrons, il est indispensable d’apprendre le néerlandais – non le français n’est pas la langue maternelle en Flandre nous raconte Rachid, en Belgique depuis pas mal d’années. Autant vous dire que la communauté marocaine (ainsi qu’une bonne partie de la presse et des internautes) n’a vraiment pas apprécié la prose insinuante

et franchement insultante, le ton paternaliste et bêtifiant de cette brochure « informative ».

J

e continue ma lecture, et je tombe sur ce journal distribué lors de la fête du 1er mai place Rouppe : Volksgazet, à ma connaissance le seul journal gratuit « au prix de 1 euro » (ça s’appelle un double message). Le Volksgazet, c’était le journal des socialistes d’Anvers, l’équivalent du Vooruit à Gand. Tous deux ont fusionné sous le label De Morgen en 1978 avec comme rédacteur en chef un ancien de mai 68, Paul Goossens, qui allait en faire un Libé flamand. Aujourd’hui, De Morgen n’a plus rien à voir avec la gazette du parti socialiste, c’est devenu un journal de référence indépendant en Flandre au même titre que De Standaard qui a perdu lui son label catholique-flamingant « AVV-VVK » (pour les plus jeunes d’entre vous : Alles voor Vlaanderen, Vlaanderen voor Kristus, tout un programme). Cette réédition de Volksgazet, « Journal socialiste », est une

émanation des dissidents du sp.a, qui se sont regroupés dans Rood!. On nous annonce qu’il paraîtra « quand nécessaire ». Comme le disait un ami, faudra-t-il s’inquiéter ou se réjouir de sa parution ? Je choisis pour la seconde option car Volksgazet – et avec lui Rood! – ne cache pas ses ambitions mélenchonniennes. De nos jours, tout le monde s’y met d’ailleurs : le PTB, les trotskystes de toutes obédiences, les syndicalistes de combat, le dissident Écolo Westphael, tous appellent de leurs vœux et veulent incarner en Belgique la gauche radicale. Toujours est-il qu’au moins pour un jour, il régnait une bonne ambiance « peuple de gauche » place Rouppe – notre Bastille(ke) à nous – en ce 1er mai 2012. On dirait bien que le vent tourne, un petit peu, même Écolo qu’on n’avait pas entendu depuis que la crise a éclaté en 2008, durcit le ton et opte pour un vocabulaire résolument lutte des classes. «GDF-Suez passe à l’action sur le dos des travailleurs» ! oui-da «des travailleurs» – titre Ecolo dans sa dernière newsletter. Alors, bienvenue au club, demain, vous verrez, ça ira, ça ira, ça ira, … En attendant, bonnes vacances les amis, n’oubliez pas votre TomTom, et en route pour le « septième ciel ». ■ Françoise Dolto, Sexualité féminine, Paris, 1982, page 174. 2 http://www.migreren.inburgering.be/fr/ fr/témoignage 1

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activités vendredi 1er juin à 20h15

samedi 2 juin à 10h30

Les conclusions de la Troisième Session du Tribunal Russell sur la Palestine (Le Cap, 5-7 nov. 2011) et le sociocide

Conférence-débat avec

Visite guidée du Musée Eugeen Van Mieghem à Anvers Ernest Van Dijckkaai 9, Anvers (à deux minutes de l’hôtel de ville et à 5 minutes de la Grenplaats) www.vanmieghemmuseum.com

Marianne Blume professeure pendant 10 ans à l’Université Al Azhar de Gaza Comment appeler une politique dont le but est d’éliminer une société dans son identité et son existence organisée ? Lors de la session du Tribunal Russel à Cape Town, Marianne Blume a, en qualité de témoin, plaidé pour que les juges prennent en compte la cohérence et l’intentionnalité de la politique israélienne. L’ensemble des mesures vise à la destruction de la société palestinienne. Le droit international devrait-il introduire un nouveau concept : le sociocide ? PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO

Sous la conduite de son conservateur, M. Erwin Joos, auteur de nombreux ouvrages sur le peintre. Eugène Van Mieghem (1875-1930), issu de milieu modeste, ayant lui-même connu la misère, élève de l’Académie d’Anvers, où il prit connaissance des œuvres de Van Gogh, Seurat, Toulouse-Lautrec, etc., devint le peintre du port et de ses travailleurs. Son père tenait café près de l’embarcadère des émigrés partant pour l’Amérique sur les navires de la Red Star Line. Il laissa ainsi de nombreux

vendredi 8 juin à 20h15 Le financement public du culte israélite Conférence-débat avec

Caroline Sägesser, collaboratrice scientifique au CIERL-ULB En 1831, le nouvel État belge se dote d’une Constitution très libérale, qui établit l’indépendance de l’Église et de l’État. Cependant, il maintient le financement public, et l’étend au culte israélite. Celui-ci restera, jusqu’à la reconnaissance de l’islam en 1974, le seul culte non chrétien soutenu par les pouvoirs publics. Comment un système conçu pour l’Église catholique lui a-t-il été appliqué ? Quelle a été l’attitude des pouvoirs publics, dans une Belgique alors catholique à près de 99 % ? Le traitement a-t-il été vraiment égalitaire ? Quelle est la situation aujourd’hui ? Voici quelques-unes des questions auxquelles cette conférence se propose de répondre. PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO

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témoignages sur l’émigration des Juifs de l’Est de l’Europe qui empruntèrent ce chemin. Les collections du musée occupent la maison d’un ancien échevin de la ville, au remarquable décor art nouveau, auquel nous aurons également accès. La visite dure environ 2h. Promenade libre dans le port après la visite. À proximité du nouveau MAS (Museum aan de Schelde) et du futur musée de la Red Star Line.

La Grande Synagogue de Bruxelles

PAF: 10 EUROS maximum, selon le nombre de participants Inscription auprès du secrétariat de l’UPJB 02.537.82.45 – upjb2@skynet.be

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activités Appel pour une rentrée en beauté Au bout de 20 ans de bons et loyaux services, notre local a été au bout de ce qu’il pouvait nous offrir. Nous voudrions préparer notre prochaine rentrée dans un lieu rafraîchi, plus hospitalier, plus lumineux. Vous le voyez sur le dessin ci-dessous : un rêve modeste. Et accessible, si vous nous y aidez ! En 20 ans, le porte-à-porte de nos aînés a changé de forme mais notre souhait est tout aussi fort : entrer dans une nouvelle période avec de nouveaux projets dans un lieu renouvelé. Notre espoir: rassembler, d’ici septembre, les 10.000 euros nécessaires aux premiers coups de pinceaux. Avec, à la clé pour les 10 premiers contributeurs de plus de 100 euros ou leurs amis, un abonnement gratuit à Points Critiques ou, au choix, l’entrée gratuite à nos activités pendant 1an. Le comité renouvelé Compte upjb : 000-0743528-23 communication: « rentrée en beauté »

La chorale Rue de la victoire cherche chanteurs, toutes voix Rue de la Victoire est une chorale trans-générationnelle qui aborde un répertoire de chansons de résistance, de lutte, de liberté. Bref, des chansons engagées d’ici et d’ailleurs. Un répertoire lié à l’histoire de la maison de la Rue de la Victoire, la maison de l’Union des Progressistes Juifs de Belgique. La lecture de la musique n’est pas nécessaire mais la justesse est requise. Les répétitions ont lieu le mercredi de 19hà 21h au 61, rue de la Victoire à St-Gilles (métro Hôtel des Monnaies). Renseignements : Mouchette Liebman 02/2416337 ou 048/6030268

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vie de l’upjb 19 avril 1943 - 19 avril 2011 COMMÉMORATION DE L’INSURRECTION DU GHETTO DE VARSOVIE

Allocutions au mémorial du martyr juif le 22 avril 2012

C

Vers les hommes et les femhers amis, nous voi- tsigane qui a eu le triste privilège là réunis, une fois en- de partager le sort des Juifs sous mes qui, plus près de chez nous, core, pour commémo- le nazisme. Nos pensées vont vers font entendre une indignation et même une colère de plus en plus rer ce19 avril 1943 qui vous. marqua le début de l’insurrection des habitants du ghetto de Varsovie, la première et la plus importante des révoltes urbaines contre l’occupant nazi. En avril 1943, dans le ghetto de Varsovie, quelques centaines de jeunes gens armés de revolvers, voués à une mort certaine, ont tenu en échec pendant trois semaines l'armée la plus puissante du monde. Cette nouvelle se répandit dans toute l'Europe occupée et devint le symbole de toutes les résistances. En ce 22 avril 2012 et en ce lieu si particulier où les murs sont Dépôt de gerbe au Monument aux résistants Juifs par Jérémie Potaznik et Edgar De Wolf couverts des noms de Dans notre histoire récente, perceptibles face à une situation nos disparus, où la simple inscription de leurs noms les fait en- vers les hommes et les femmes économique sombre, une crise sotrer dans la mémoire collective et du monde arabe qui se sont sou- ciale et identitaire qui relance la dans l’Histoire, leur rendant ainsi levés contre leurs dictateurs, qui question de la fraternité et du viun peu de leur dignité d’humain, ont fait basculer la peur de tout un vre ensemble. Vers vous, les sansnos pensées vont aussi vers tous peuple au péril de leur vie, préfé- papiers de la VUB dans lesquels ceux dont les noms ne sont pas rant mourir plutôt que vivre dans notre jeunesse qui s’est exprimée la misère. Nos pensées vont vers ici se reconnaît pour le droit à une même inscrits sur un mur. vie meilleure. Vers vous, nos voiVers ceux de la communauté vous.

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mais nous n’irons pas à Malines de notre propre gré . - Tu dis des bêtises, je ne veux pas que mon fils devienne un voleur. - Peut-être pis que ça, je suis prêt à assassiner ! - Oh, mon dieu, qu’il devient bête mon fils, dis-moi ce que tu as derrière la tête, ce que tu mijotes. - Eh bien voilà, j’ai demandé à adhérer aux Partisans, j’attends la réponse, encore quelques jours de patience. - Soit, je ne veux pas t’en empêcher, tu es bien jeune encore pour aller te battre, mais s’il le faut vraiment… - Il le faut, oui, on ne peut Allocution de l’UPJB-Jeunes par Sarah Desmedt, Maroussia Toungouz et Manjit Dunkelman pas laisser aux autres le soin de se battre pour nous. On nous trouvera un logement et sins musulmans, enfants d’immi- pars pas, et toi non plus. Elle a éclaté en sanglots, m’a de faux papiers. grés comme nous, trop souvent Le fils fut convaincant, sa mastigmatisés comme nous l’étions assailli de reproches : naguère. - Que tu es naïf, qui va donc nous man finit par s’engager avec lui. Il y a 60 ans et quelques an- aider ? Le Bon Dieu, j’y croyais (…) nées, ici, en Belgique, des hom- encore il y a quelque temps, mais En récompense de son courage mes et des femmes, ont choisi de c’est fini à présent, ça suffit. pour avoir veillé sur des caisses résister. Engagés dans cette zone de dynamite, grenades et armes (…) poreuse entre la légalité et la lé- Le Bon Dieu c’est pour les mi- de tout calibre, pour n’avoir, des gitimité, refusant de rester pas- racles dis-je à ma mère, ce n’est nuits durant, dormi que d’un œil sifs devant la loi et d’obéir, ils ont pas de ça que je veux te parler. Il en attendant le retour de son fils décidé d’agir. Des hommes, com- y a des gens qui vont nous aider, après ses actions d’éclat, elle a me notre ami Ignace Lapiower, et il faut qu’on tienne le coup, quel- été reconnue membre de l’Armée des femmes, comme sa maman, à ques jours encore, je ne peux pas belge des Partisans à titre honoriqui nous voulons rendre homma- tout te dire, mais tu verras. fique. De temps à autre, nous dége aujourd’hui ; Ignace, l’un des - Je verrai quoi ? Tant que nous posons une gerbe de fleurs dederniers partisans qui nous donne pouvions travailler, on pouvait vant cette stèle du souvenir et la chance et le privilège de nous plus ou moins se nourrir, mais chantons l’hymne des Partisans livrer un témoignage vivant et maintenant nous n’avons même juifs écrit par un Partisan durant poignant et à qui j’aimerais main- pas de quoi tenir jusqu’à la fin de la révolte du ghetto de Vilna. ■ tenant laisser la parole… la semaine. - Si on n’a plus rien on ira chez C’était le raisonnement de ma ta sœur, ma tante nous prêtera Carine Bratzlavsky, co-présidente de l’UPJB mère, c’était le raisonnement de deux ou trois cents francs. l’immense majorité des gens. - Oh, je lui en dois déjà pas Obéir, obéir. Elle préparait son mal, son mari nous mettra à la baluchon. Je lui ai dit : porte, il y a trois gosses là-bas. - Pas question de partir, je ne - Tant pis, j’irai voler s’il le faut,

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➜ est le mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique (ne paraît pas en juillet et en août) L’UPJB est soutenue par la Communauté française (Service de l’éducation permanente)

N

ous sommes aujourd’hui à nouveau réunis pour commémorer, nous souvenir et rappeler aux autres le sens profond du combat des insurgés, symbole d’une lutte pour la liberté et la dignité des peuples et des individus. Ces jeunes Juifs, à peine plus âgés que nous, ne se sont battus ni pour leur profit, ni pour un territoire. En se soulevant, ils ont rappelé leur appartenance au genre humain. En prenant les armes contre ceux qui voulaient les anéantir, ils se sont raccrochés à la vie et sont devenus des hommes libres. L’insurrection deve-

nait l’ultime acte de lutte contre la barbarie et pour la sauvegarde de la dignité. Leur message dépassait le cadre du génocide dont ils ont été victimes ; il visait à combattre toute oppression d’une communauté par une autre, toute forme d’injustice, d’intolérance ou de mépris. Si nous sommes aujourd’hui réunis, c’est pour nous rappeler le sens profond du combat des insurgés. C’est par cet appel aux générations futures que l’insurrection du ghetto de Varsovie constituera un symbole de lutte pour la liberté et la dignité des peuples. En tant que moniteurs à l’UPJBJeunes, nés au moment du géno-

Au 61, rue de la Victoire

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cide des Tutsi et de la guerre en Yougoslavie, témoins de conflits idéologiques, religieux et raciaux, de luttes politiques et économiques et héritiers d’une histoire, nous souhaitons que sa mémoire devienne l’affaire de tous, et pas seulement des Juifs. Aujourd’hui encore, des murs s’érigent, des voix cherchent à se faire entendre et des gestes de désespoir nous rappellent que le combat des insurgés est loin d’être gagné et est toujours d’actualité. La montée de l’extrême droite en Europe, la multiplication de centres fermés, les nombreuses victimes de conflits armés, les discriminations flagrantes et injustices sociales dont nous sommes témoins, exigent que nous combattions et condamnions ces dérives. Nous exigeons pour tous les peuples sans exception, le droit de vivre libres et dans la dignité. Notre engagement auprès des sans papiers, la participation aux manifestations contre la guerre et le racisme, le choix des noms de groupe, le choix de nos thèmes de camp visent à développer un esprit de solidarité, à éveiller le sens critique des jeunes et entend établir un lien entre les luttes passées et actuelles. L’année passée, en ce même lieu, nous revenions sur l’assassinat de Juliano Mer Khamis. Ce militant juif palestinien, armé de

Secrétariat et rédaction : rue de la Victoire 61 B-1060 Bruxelles tél + 32 2 537 82 45 fax + 32 2 534 66 96 courriel upjb2@skynet.be www.upjb.be Comité de rédaction : Henri Wajnblum (rédacteur en chef), Alain Mihály (secrétaire de rédaction), Anne Gielczyk, Carine Bratzlavsky, Jacques Aron, Willy Estersohn, Tessa Parzenczewski Ont également collaboré à ce numéro : Roland Baumann Antonio Moyano Claire Pahaut Gérard Preszow Conception de la maquette Henri Goldman

culture et d’art, visait à lutter contre la violence d’un État. Il entendait responsabiliser et éduquer les enfants afin de construire un futur nouveau face à l’occupation israélienne. Cette année, nous avons décidé de le mettre à l’honneur en attribuant son nom au groupe des plus jeunes. Nous espérons qu’en accordant le nom d’un ‘combattant pour la liberté’ au nouveau groupe des petits, l’appel des insurgés aux générations futures sera entendu et perpétué. ■ L’UPJB-Jeunes

Sacha Rangoni et Sacha Schiffmann, introduits par Gérard Preszow, interviewent Ignace Lapiower, auteur de “ Ma mère dormait sur de la dynamite ”

Seuls les éditoriaux engagent l’UPJB. Compte UPJB IBAN BE92 0000 7435 2823 BIC BPOTBEB1 Abonnement annuel 18 EURO ou par ordre permanent mensuel de 2 EURO Abonnement de soutien 30 EURO ou par ordre permanent mensuel de 3 EURO Abonnement annuel à l’étranger par virement de 40 EURO Devenir membre de l’UPJB Les membres de l’UPJB reçoivent automatiquement le mensuel. Pour s’affilier: établir un ordre permanent à l’ordre de l’UPJB. Montant minimal mensuel: 10 EURO pour un isolé, 15 EURO pour un couple. Ces montants sont réduits de moitié pour les personnes disposant de bas revenus.

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hommages Michel Dubuisson. Un spécialiste du conflit israélo-arabe WILLY ESTERSOHN

M

ichel Dubuisson, ancien journaliste au Soir, est mort le 6 mai dernier à l’âge de 82 ans. Parmi ses confrères belges, il avait été incontestablement le meilleur

n’effectuait aucun reportage sans avoir pioché à fond ses dossiers. Dans ses interviews ainsi qu’aux conférences de presse, cela lui permettait de poser les questions les plus pertinentes, les plus pointues, souvent les plus embaras-

Interview de Yasser Arafat par Michel Dubuisson à Tunis en 1984

connaisseur du monde arabe et du conflit israélo-palestinien. Grand reporter, il ne ressemblait en rien à l’image caricaturale (mais parfois bien réelle) que l’on donne souvent des journalistes qui roulent leur bosse de par le monde : il n’était ni hâbleur, ni rouleur de mécaniques. Silhouette frêle et d’apparence timide, il

santes. Homme de grande sensibilé, il ne s’était jamais départi de son indignation face au sort fait aux Palestiniens. Sa carrière professionnelle fut brutalement interrompue à la fin de l’année 1987 : au moment de la première intifada, il se trouvait à Jérusalem lorsqu’il fut terrassé par un accident de santé extrê-

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mement grave qui devait l’empêcher définitivement de poursuivre ses activités journalistiques. Mais, jusqu’au bout, il a continué à se tenir informé de l’évolution de ses sujets de prédilection. Les souvenirs qu’il égrenait étaient souvent émaillés de détails qui ne manquaient jamais d’intérêt. Il raconta notamment qu’au cours d’une manifestation anti-israélienne à Beyrouth, dans les années 1970, il avait vu des militants de la gauche libanaise, auxquels s’étaient joints des membres de l’OLP, faire barrage pour protéger le quartier juif de Wadi Abu Jamil. L’un de ses enfants, François Dubuisson, a manifestement été à bonne école. Spécialiste du droit international à l’ULB, un des derniers articles qu’il a publiés a pour titre « L’ONU, Israël et les droits de l’Homme » (revue Politique, maijuin 2012). ■

Régine Krochmal 1920-2012 CLAIRE PAHAUT

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égine Krochmal, née le 28 juillet 1920, à la Haye, est la fille de Juifs immigrés germano-autrichiens. Elle grandit dans les écoles bruxelloises et devient infirmière accoucheuse. À aucun moment de la guerre, elle ne quittera sa robe et sa cape d’infirmière. Par ses amis de l’immigration, elle connaît les ordonnances déjà d’application en Allemagne, selon les lois de Nuremberg de 1935, sur la protection du sang et de l’honneur allemands. Régine Krochmal s’engage dans diverses actions de solidarité et de résistance contre ceux qu’elle appelle les « voleurs de vie ». « La théorie nazie est la négation de la vie, aussi ai-je mis toutes mes forces à la combattre. » Elle rejoint des amis au Front autrichien de Libération rattaché au Front de l’indépendance, section des Partisans armés. Régine Krochmal sera arrêtée deux fois, chaque fois sur dénonciation. La première fois, le 20 janvier 1943, elle est emmenée dans les caves de la Gestapo, au 453 de l’avenue Louise, le jour où Jean de Sélys Longchamps mitraille l’immeuble. L’interrogatoire est interrompu et elle est envoyée, parce que Juive, à Malines, inscrite pour le XXe convoi vers Auschwitz. Le 19 avril, elle est désignée pour accompagner le wagon des malades. Le docteur Bach de la caserne Dossin la met en garde

de l’issue du voyage et lui donne un couteau pour qu’elle s’enfuie. Le couteau, la pleine lune et sa foi dans la vie poussent Régine à sauter du train. Elle saute au moment où trois jeunes résistants arrêtent le train à Boortmeerbeek. Après son retour à Bruxelles, Régine sera, par précaution, mise en quarantaine par son groupe de résistants mais elle reprendra assez vite son « travail ». Le 25 mai 1944, elle est à nouveau trahie. Incarcérée à la prison de Saint-Gilles, elle est emmenée trois à quatre fois par semaine, à la Gestapo, installée maintenant au 347 de l’avenue Louise. Les SS s’acharnent sur elle. La violence des interrogatoires croît. Elle reconnaît le SS qui « gère » son dossier, qui l’avait interrogée en 43, déjà. Cet officier allemand, dans le plus fort des interrogatoires, ouvrait la bouche, tirait la langue et bavait. Régine, dont le métier était de soigner, d’apaiser et non de faire la guerre, apprend, sur le tas, son métier de résistante. Elle trouve en elle des réponses, des moyens de vider son esprit et se répète inlassablement : « Je ne sais rien, donc je ne dirai rien. Oui, on va me libérer. Et « lui », je le regarde, le fixe aussi longtemps que je le peux. Mais pourrait-il m’arriver quelque chose de plus grave ? » Et, au plus fort de son espoir dans la vie, elle le reconnaît, ce SS , à la cicatrice qu’il porte à la langue. Elle ne parlera pas.

Elle est « libérée » de la prison de Saint Gilles et ne se doute pas du piège. Une voiture de la Gestapo l’attend au détour de la rue et la conduit à Breendonk. Un sac sur la tête, elle est poussée au bunker. Elle y subit 3 jours et 3 nuits d’interrogatoires. Pour la faire parler, ses bourreaux la confrontent à une amie, Herta Wiesinger, résistante du même réseau. Elles se partagent leur force et restent, toutes les deux, muettes. Terriblement affaiblies, elles sont envoyées dans les cachots de Malines où les interrogatoires continuent tout l’été, jusqu’à la Libération. « La nuit du 3 septembre 1944, deux jeunes gardes flamands, mitraillettes en bandoulière, pénètrent en pleurs dans ma cellule. Les SS ont quitté la caserne, les Alliés approchent et ils ne savent où aller. Ils me supplient de les emmener et de les cacher chez moi... » Après la guerre, Régine fonde une famille et part pour quelques années aux États-Unis. Elle reviendra avec une formation de psychothérapeute. Elle ne vit plus que dans la relation à l’autre. Apprendre à ceux qui s’adressent à elle à réveiller l’amour oublié. La vie ? Un conte, des réalités, la joie. « De tout pouvoir qui tient le monde enchaîné », conclut Régine Krochmal en citant Goethe, « l’être humain s’en libère quand il sait se gouverner. » ■

juin 2012 * n°327 • page 31


agenda UPJB Sauf indication contraire, toutes les activités annoncées se déroulent au local de l’UPJB, 61 rue de la Victoire à 1060 Bruxelles (Saint-Gilles)

vendredi 1er juin à 20h15

Les conclusions de la Troisième Session du Tribunal Russell sur la Palestine et le sociocide. Conférence-débat avec Marianne Blume, professeure pendant 10 ans à l’Université Al Azhar de Gaza (voir page 22)

samedi 2 juin à 10h30

Visite guidée du Musée Eugeen Van Mieghem à Anvers

(voir page 23)

vendredi 8 juin à 20h15

Le financement public du culte israélite. Conférence-débat avec Caroline Sägesser, colla boratrice scientifique au CIERL-ULB (voir page 22)

club Sholem Aleichem Éditeur responsable : Henri Wajnblum / rue de la victoire 61 / B-1060 Bruxelles

Sauf indication contraire, les activités du club Sholem Aleichem se déroulent au local de l’UPJB tous les jeudi à 15h (Ouverture des portes à 14h30)

jeudi 7 juin

« La condition des femmes en Tunisie après la révolution » par Fotoula Ioannidis, militante féministe

jeudi 14 juin

« Informations sur les lois de vie » par Francine Toussaint, Membre du Conseil d’administration de l’ADMD (Association pour le droit de mourir dans la dignité)

jeudi 21 juin

Concert de musique classique par le pianiste Yvan Kerekowski, présenté par Maroussia

jeudi 29 janvier

Réunion conviviale ouverte aux jeunes et moins jeunes. Bilan de la saison et projets d’avenir. Super goûter avec spécialités juives.

et aussi dimanche 24 juin à 14h

Fête des musiques juives 6ème édition. Théâtre Saint-Michel rue Père Eudore Devroye 1040 Etterbeek www.fêtesdesmusiquesjuives.wordpress.com

Prix : 2 EURO

Les agendas sont également en ligne sur le site www.upjb.be


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