n°323 - Points Critiques - février2012

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mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique février 2012 • numéro 323

exposition Briseurs de silence

Bureau de dépôt: 1060 Bruxelles 6 - mensuel (sauf juillet et août)

HENRI WAJNBLUM

D

u 1er au 17 décem- été amenés à faire durant leur bre, l’UPJB et les Hal- service dans les territoires palesles de Schaerbeek ont tiniens occupés, avaient décidé vécu une quinzaine de briser leur silence et de témoitout à fait exception- gner. Au départ, ils avaient refusé nelle sous le signe de « Briser le toute interview à la presse étransilence ». Cela faisait près d’un an gère et toute demande de témoique nous travaillions de concert pour la venue à Bruxelles de l’exposition Shovrim Shtika – Breaking the Silence, du nom de ce mouvement créé en 2004 par de jeunes ex-soldats israéliens qui, traumatisés par ce qu’ils avaient Simha Levental commentant l’exposition

BELGIQUE-BELGIE P.P. 1060 Bruxelles 6 1/1511

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sommaire

exposition ➜

exposition

1 Briseurs de silence.................................................................... Henri Wajnblum

antisémitisme

6 Une interview d’Edouard Delruelle, directeur-adjoint du CECLR ...................

12 13 14 16

lire

Être juif en Allemagne.......................................................Tessa Parzenczewski Racines et identités à l’ère de Google.............................Tessa Parzenczewski La tache aveugle.........................................................................Antonio Moyano Sortir de la cache et prendre langue..........................................Françoise Nice

regarder

18 Voyeurisme et judéocide..........................................................Roland Baumann

témoigner

20 Ma découverte de l’Amérique......................................Lucienne Lewin (Erville)

réfléchir

24 Les assassins sont parmi nous .................................................... Jacques Aron 26 Penser Nation ................................................................................. Alain Mihály 30 La définition sioniste ou militariste des Juifs ............................ Jacques Bude

yiddish ? yiddish !

! widYi ? widYi

32 zol zayn - Admettons. ................................................................Willy Estersohn

humeurs judéo-flamandes

34 Qui a peur d’Olli Rehn ? ...............................................................Anne Gielczyk 36 40

activités les agendas

RECTIFICATIFS Deux erreurs regrettables se sont glissées dans le numéro de janvier 2012 de Points critiques. Le lecteur averti aura rectifié de lui-même la date du décès de David Susskind mentionnée dans l’éditorial. Il s’agissait du 25 novembre et non du 25 décembre. Si son nom était bien mentionné dans le sommaire, il faisait malheureusement défaut en tête d’article. Rendons par la présente et avec nos excuses à Michel Staszewski son article « Israël-Palestine : Un ou deux États ? » publié en pages 22 et 23 du précédent numéro.

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gnage à l’étranger. Mais ils ont assez vite changé d’avis face, au mieux à l’indifférence, au pire à l’hostilité de ceux à qui ils comptaient s’adresser prioritairement : les leurs. Ils ont dès lors estimé que pour se faire entendre à l’intérieur, il fallait parfois passer par l’extérieur. Organiser une exposition durant quinze jours avec des photos prises par ces soldats euxmêmes relevait de la gageure. Qui est-ce que cela allait intéresser ? N’avons-nous pas été gavés d’images d’armées d’occupation tout au long de ces dernières décennies ? Mais les choses sont différentes, nous a-t-il semblé, lorsque ces images sont présentées par ces soldats non pas pour se vanter, comme à Abou Ghraïb, mais pour dénoncer leurs propres agissements et les faire connaître. C’est ce qui nous a convaincus de relever le défi. Pari gagné… Cette quinzaine « Briser le Silence », ainsi que les activités qui se sont succédé durant toute la première semaine, ont largement dépassé nos espoirs, tant par la qualité que par la fréquentation. Ce succès, nous le devons avant tout à l’étroit partenariat qui nous a réunis, les Halles et l’UPJB, et nous nous en félicitons. Certains, ici, ont fait, et font encore, la fine bouche face à Shovrim Shtika. Que n’ont-ils suivi l’exemple des refuznikim au lieu d’avoir accepté de servir dans les Territoires palestiniens occupés et de se lamenter et de se repentir ensuite ? Facile à dire… Se demandent-ils ce qu’ils auraient fait eux-mêmes dans des circonstances similaires ? Nous avons énor-


mément d’admiration pour les refuznikim, nous l’avons écrit et démontré à maintes reprises en en invitant plusieurs chez nous. Ce que ces « certains » oublient, ou ne savent pas, c’est que parmi le mouvement des refuznikim, ils sont nombreux à avoir fait leur service. Ce n’est qu’après qu’ils ont décidé de refuser de servir dans les territoires palestiniens occupés lors de leurs périodes de rappel (30 jours par an). Et ces mêmes « certains » émettraientils les mêmes critiques à l’encontre de ces ex-combattants palestiniens armés qui, avec d’ex-soldats israéliens, ont créé le mouvement « Combattants pour la Paix » ? Nous considérons quant à nous que Shovrim Shtika fait œuvre de salubrité publique par les té-

Avihai Stollar et Ruth Rosenthal

les autorités militaires ne s’y sont d’ailleurs pas trompés qui mettent tout en œuvre pour dénigrer et ostraciser le mouvement et tentent de faire passer ses membres

Shir Givoni

moignages qu’il recueille, plus de mille à l’heure actuelle, et diffuse. Le gouvernement israélien et

pour traîtres, ses membres qui ont été à la fois témoins et acteurs directs des exactions, et le mot est

faible, commises par l’armée israélienne à l’encontre des civils palestiniens. Pour ce qui nous concerne, nous avons été particulièrement impressionnés par les membres de Shovrim Shtika - Breaking the Silence qui se sont succédé tout au long de cette quinzaine pour commenter et contextualiser leur exposition, et qui l’ont fait avec un sens didactique, une maturité et une sincérité remarquables. Ils étaient jeunes, de 18 à 20 ans, lorsque, le service militaire étant obligatoire en Israël, ils ont été enrôlés dans l’armée. Quasi tous volontaires pour servir dans des unités combattantes avec la certitude, fruit d’une éducation qui commence dès le plus jeune âge, d’aller défendre leur pays… Avant de se rendre compte qu’ils n’étaient là que pour protéger les colons et humilier les Palestiniens, et de décider de témoigner de ce qu’ils avaient été amenés à faire. Tous les échos que nous avons recueillis parmi le nombreux public, près de 2.000 personnes,

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Simone Bitton

qui s’est pressé à l’exposition vont dans le même sens : admiration et émotion. Ce qui est réjouissant, c’est que nous avons drainé un public qui va bien au-delà du cercle, hélas trop restreint, des militants de la cause palestinienne. Les quatre pages que Moustique, hebdomadaire grand public, a consacrées à l’événement n’y sont certainement pas étrangères. C’est une leçon que nous devrons retenir. Ce qui a également fortement impressionné le public, et nousmêmes, c’est l’installation vidéo The Details réalisée par Avi Mograbi avec des extraits de ses films. Personne ne pouvait sortir indemne de cette vision agressive, au bon sens du terme, et quasi apocalyptique de l’occupation. Les soirées qui ont encadré l’exposition ont également été de très haut niveau. Dans l’ordre… Ruth Rosenthal et Xavier Klaine (duo Winter Family) qui nous ont présenté leur spectacle Jérusalem Plomb durci : Une performance de théâtre documentai-

re à partir d’image de cérémonies et de célébrations mémorielles et nationales filmées et récoltées à Jérusalem dans les écoles, les quartiers, les médias et les lieux

Z 32 : Un ex-soldat israélien participe à une mission de représailles dans laquelle deux policiers palestiniens sont tués. Il cherche à obtenir le pardon pour ce qu’il a fait. Sa petite amie ne pense pas que ce soit aussi simple, elle soulève des questions qu’il n’est pas encore capable d’affronter. Le soldat accepte de témoigner devant la caméra pour autant que son identité ne soit pas dévoilée. Le cinéaste, tout en cherchant la solution adéquate pour préserver l’identité du soldat, interroge sa propre conduite politique et artistique… Simone Bitton, cinéaste documentariste, avec son montage radiophonique de témoignages de soldats : Des voix d’exilés israéliens – qui ont pour la plupart été soldats dans l’armée israélienne (de même que Simone Bitton elle-même) –, disent les mots de la génération actuelle de sol-

Amira Hass

symboliques de l’État d’Israël… Avi Mograbi, cinéaste et parrain de Shovrim Shtika, et son film

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dats et de soldates. Sur une trame composée de sons ramenés de Gaza et de Cisjordanie, la bana-


lité et l’universalité du mal s’entend en français, avec cet accent hébraïque que l’on ne perd pas. Comme on ne perd pas la mémoire des gestes que l’on a faits, de l’humiliation qu’on a infligée, de la mort qu’on a donnée – parce que c’était comme ça, tu com-

Bitton, Amira Hass et Shir Givoni de l’Association New Profile, qui, elle aussi, a été impressionnante de maturité dans son analyse de la militarisation galopante de la société israélienne, Cette Table ronde, donc, a été un réel grand moment par la qualité et la sin-

est le mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique (ne paraît pas en juillet et en août) L’UPJB est soutenue par la Communauté française (Service de l’éducation permanente) Secrétariat et rédaction : rue de la Victoire 61 B-1060 Bruxelles tél + 32 2 537 82 45 fax + 32 2 534 66 96 courriel upjb2@skynet.be www.upjb.be Comité de rédaction : Henri Wajnblum (rédacteur en chef), Alain Mihály (secrétaire de rédaction), Anne Gielczyk, Carine Bratzlavsky, Jacques Aron, Willy Estersohn, Tessa Parzenczewski

Visite guidée de l’exposition par Itamar Shapira

prends, là-bas, la routine c’était comme ça... et Amira Hass, journaliste ; à la fois témoin et militante : Breaking the Silence a brisé le silence mais aussi les méthodes conventionnelles de l’information industrielle. La méthode de collecte de l’information de Breaking the Silence vérifie finalement ce que les médias « respectables » n’ont de cesse de nier : l’information palestinienne. Ces invités ont démontré, si besoin en était, qu’ils sont eux aussi, chacun dans sa sphère d’expression, des briseurs de silence. Enfin, la Table ronde qui a clôturé la première semaine et qui réunissait, Simha Levental et Avihai Stollar de Breaking the Silence, Ruth Rosenthal et Xavier Klaine de Winter Family, Simone

cérité des membres du panel tant dans leur intervention initiale que dans les réponses qu’ils ont apportées aux questions du public qui a lui aussi fait preuve d’une qualité d’écoute assez impressionnante. En conclusion, un grand succès qui a pleinement justifié tous les efforts consentis par les Halles et l’UPJB pour mener ce projet à bien. ■

Ont également collaboré à ce numéro : Roland Baumann Jacques Bude Henri Goldman Antonio Moyano Françoise Nice Conception de la maquette Henri Goldman Seuls les éditoriaux engagent l’UPJB. Compte UPJB IBAN BE92 0000 7435 2823 BIC BPOTBEB1 Abonnement annuel 18 EURO ou par ordre permanent mensuel de 2 EURO Abonnement de soutien 30 EURO ou par ordre permanent mensuel de 3 EURO Abonnement annuel à l’étranger par virement de 40 EURO Devenir membre de l’UPJB Les membres de l’UPJB reçoivent automatiquement le mensuel. Pour s’affilier: établir un ordre permanent à l’ordre de l’UPJB. Montant minimal mensuel: 10 EURO pour un isolé, 15 EURO pour un couple. Ces montants sont réduits de moitié pour les personnes disposant de bas revenus.

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antisémitisme L’Égalité des Chances au centre des interrogations UNE INTERVIEW D’ÉDOUARD DELRUELLE, DIRECTEUR-AJOINT DU CENTRE POUR L’ÉGALITÉ DES CHANCES ET LA LUTTE CONTRE LE RACISME (CECLR) PROPOS RECUEILLIS PAR HENRI GOLDMAN (HG) ET ALAIN MIHÁLY (AM)

Le 12 décembre dernier, le commissaire de police fédérale David Vroome portait plainte après avoir dénoncé sur le site du magazine juif anversois Joods Actueel les propos qu’il qualifiait d’antisémites tenus par une formatrice du CECLR lors d’une formation de police. Cette affaire faisait suite à celle du Zwinkrant, un mensuel gratuit de la côte belge qui publiait en juin dernier un «billet d’humeur» antisémite et à celle, en novembre, de l’agression verbale et physique à caractère antisémite d’une adolescente juive par ses «camarades de classe» d’origine marocaine. Notons, sans que cela n’ait été explicitement lié aux critiques émises par des institutions communautaires juives, que le mandat de Jozef de Witte, directeur du CECLR et candidat à sa succession, n’a pas été reconduit par le gouvernement. HG Vous a-t-on demandé de donner votre version ? La version de Joods Actueel a été reprise par tout le monde, que ce soit par les institutions ou par les médias, sans que nous n’ayons reçu la moindre demande de confirmation ou d’infirmation, à deux exceptions près. Quand un tsunami se déverse, même les gens de bonne foi n’instruisent pas à charge et à décharge. AM Il faut revenir sur les propos tenus. Vous ne les remettez pas en question ? Ces propos ont été tenus dans le cadre d’une formation de police. Celles-ci existent depuis plus de dix ans sans qu’il y ait jamais eu le moindre incident à propos de quelque communauté que ce soit. C’est un travail difficile et avec une méthodologie de libre discussion entre participants, basée sur

la confidentialité. Certains participants arrivent avec beaucoup de réticences voire agressivité. On travaille sur les stéréotypes et les représentations pour que la parole se libère. La formation porte sur les perceptions d’intégration des différentes communautés, sur les représentations que les policiers se font des communautés, etc. La discussion ne portait pas du tout sur la communauté juive mais sur les eurocrates, les Américains, les Japonais, les Indiens, des communautés qui vivent relativement refermées sur elles-mêmes, mais qui ne sont pas du tout perçues comme telles par la population. À une question posée « qu’en estil des diamantaires d’Anvers, de la communauté juive d’Anvers ? », il ne s’agissait donc pas des Juifs en général, notre collaboratrice a répondu que, comme les eurocrates, etc., c’est une communauté

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qu’on ne perçoit pas comme devant bénéficier des aides à l’intégration parce que, parole malheureuse, « ils ont du travail, de l’argent et du pouvoir ». La discussion se poursuit et elle dit avec une visée qui est compréhensive que cette communauté juive d’Anvers reste entre elle peutêtre aussi « parce qu’il y a eu le poids de l’histoire, parce qu’il y a eu la Shoah » même si, ajoute-elle, « la Belgique n’a rien à voir avec ces événements », ce que sa collègue rectifie immédiatement. En quoi est-ce de l’antisémitisme ? Il y a trois façons de parler de propos antisémites. Le premier sens est celui de l’incitation à la haine. Viennent ensuite les propos antisémites qui visent à nuire, qui sont une forme de « mépris », c’est le terme employé par le commissaire Vroome. Nous sommes persuadés du contraire. Nous avons


cinq témoignages spontanés de participants qui affirment qu’il n’y a eu aucune intention antisémite et certains disent même ne pas se souvenir de l’incident. Nous avons aussi les 15 évaluations en fin de formation. Certaines sont très négatives et même agressives mais aucune ne mentionne d’incident ou de propos antisémites. AM Ce qui pourrait dans un sens être considéré comme inquiétant... Peut-être, mais alors c’est une réflexion à un autre niveau, et en tout cas, les propos n’avaient aucune visée antisémite et ne pouvaient être perçus comme négatifs à l’égard de la communauté juive. AM Il s’agissait, vous l’avez dit, d’un travail sur les stéréotypes et les représentations. Vous dites également qu’il s’agit de la communauté anversoise et non des Juifs en général mais vous pouvez comprendre qu’on entende ces propos comme un stéréotype engageant les Juifs en général. C’est cela qui est perçu comme problématique et le contexte, c’est celui du travail du Centre. Le troisième sens de l’antisémitisme, j’y venais, c’est le stéréotype qui peut même être exprimé de bonne foi et de façon positive. Nous sommes dans ce troisième type de clichés. C’est d’ailleurs le principe de cette formation de déconstruire les clichés et stéréotypes en sachant que personne n’est à l’abri d’un stéréotype ou d’un cliché. AM Même un formateur... Évidemment. C’est pourquoi la méthodologie est un travail de réflexion et de déconstruction en commun, dans l’interaction. Dans le contexte de haute tension que

nous connaissons, nous devons nous demander si cette méthodologie est opportune. AM Le Commissaire Vroome n’est pas intervenu sur cette question pendant la formation ? Ni au moment même, ni durant les pauses, ni à la fin de la formation. Il ne s’en est plaint ni auprès de sa hiérarchie, ni auprès du Centre. Et pendant les deux jours de formation, il a eu une attitude constamment agressive vis-à-vis de notre collaboratrice. Dans plusieurs interviews données par la suite, il fait allusion à ses origines turques... Nous avons livré tous les éléments à l’Inspection générale de la Police et nous lui faisons confiance. Mais je reviens sur l’incident. C’est bien parce que cela s’est passé dans le cadre d’une institution qui doit se prémunir autant que possible de stéréotypes et de clichés que nous avons reconnu qu’il y avait faute. Ces propos pour le moins déplacés, même à l’égard d’une partie de la communauté juive, même sans intention, n’ont pas lieu d’être mais il n’ y avait pas intention. Reconnaître la faute, cela signifie que nous allons revoir la formation, revoir la méthodologie, revoir la façon dont les collaborateurs travaillent, en soulignant bien que personne n’est à l’abri d’un dérapage ou d’une erreur à un moment donné. L’institution a une obligation de résultats et va essayer de comprendre ce qu’il s’est passé pour que cela n’arrive plus. Et la faute on la reconnaît. Je me demande quelle autre réaction on aurait dû avoir et comment elle a pu être à ce point perçue comme pusillanime. AM Vous avez parlé de « maladresse » dans le chef de la formatrice et de « faute » dans le

chef du Centre. Exactement. Nous avons un code de déontologie et des critères de travail et si un collaborateur commet une faute professionnelle, on le sanctionne et nous l’avons déjà fait. En l’occurrence, nous considérons qu’il n’y a pas eu faute entendu en ce sens. Notre collaboratrice a tenu des propos maladroits et elle a également commis une erreur historique flagrante. Par contre, l’institution parle de faute pour elle-même. C’est vers la direction qu’il faut se tourner en lui demandant comment elle organise des formations où l’on peut entendre de tels propos. Ce sont des questions légitimes auxquels nous répondrons. AM Votre raisonnement est difficile à saisir. Vous condamnez ces propos mais sans les qualifier. Vous invoquez le contexte ou l’absence d’intention alors que ces propos font partie du bagage antisémite classique. Toutes les formes de racisme commencent toujours pas une forme de stéréotypisation, par une généralisation. Mais personne n’est à l’abri de reproduire quelque stéréotype, ni vous ni moi. AM À ce sujet, votre collègue Jozef de Witte a déclaré dans une interview « Dire que les Juifs ont de l’argent est une généralisation grossière ». Il a ajouté « On m’a dit à diverses reprises et de divers côtés qu’il y a même des Juifs pauvres à Anvers », ce qui reste une formulation assez particulière… Avant que cette affaire n’éclate, j’avais moi-même fait une chronique à la RTBF expliquant que la particularité de l’antisémitisme, qui explique l’extrême sensibilité de la communauté juive est de toujours commencer par

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➜ des mots, parfois anodins. Je veux bien qualifier d’antisémites des propos qui sont des stéréotypes, mais à condition de les distinguer des propos visant à nuire à la communauté, et de l’incitation à la haine, qui relève encore d’un tout autre registre. Confondre ces trois formes n’est correct ni sur le plan intellectuel ni sur le plan moral. HG On sait bien que les mots peuvent être lus de différentes façons même si pour les Juifs certains mots sont reçus comme des gifles. Il ne me semble pas scandaleux que la formatrice ait dit ce qu’elle a dit dans une tentative de généralisation où il est question d’autres groupes. AM Il faut distinguer deux choses. Le fait que les Juifs d’Anvers et d’ailleurs font partie des communautés qu’on sollicite moins en termes d’intégration n’oblige pas à utiliser des stéréotypes. D’autre part, on ne dit pas que les cadres japonais «ont du pouvoir», les fonctionnaires européens ne sont pas accusés d’avoir du pouvoir en tant que communauté et il n’y a d’ailleurs pas de communauté eurocrate. Il y a par contre une communauté juive et celle d’Anvers est particulièrement tangible. On est d’accord sur le fait que c’est problématique. AM Jusqu’à présent avez-vous fait appel à des spécialistes du monde juif ou de l’antisémitisme ou d’autres cultures ? L’antisémitisme est un racisme à lui tout seul avec une histoire plus que particulière et le reproche est fait que le Centre n’est pas assez sensible à cette questionlà. HG Les formateurs du Centre

ont-ils, entre autres formations pointues, une sensibilité suffisamment fine sur la manière dont, dans la communauté juive, on perçoit certains mots et allusions ? Nous allons travailler ces deux points. Quel est le bagage scientifique nécessaire dans les formations à l’interculturel où le but n’est pas d’initier aux cultures du monde mais de donner aux participants des clés pour mieux communiquer avec les différents publics auxquels ils ont à faire ? Quant à la sensibilité de la communauté juive, ce n’est pas la première fois que la question se pose. La plupart des dossiers où il y a eu une polémique sont dus sans doute à une sous-estimation par le Centre de la façon dont ses propos allaient être perçus. L’affaire précédente du Zwinkrant est typique de ce point de vue. Ce journal, pressé par Joods Actueel, demande au Centre si son article est contraire à la loi. Le Centre répond que ces propos «blessent, choquent et inquiètent», selon la formule consacrée, mais restent dans le cadre de la loi, sans insister sur le caractère nauséabond de l’article. On pose une question technique, le Centre donne une réponse technique, comme on le fait le plus souvent dans les 4 000 signalements ou demandes que nous recevons par an. Mais évidemment, pour la communauté juive, la question n’est pas « technique », donc notre réponse est perçue comme inadéquate. AM Mais n’est-il pas aussi du devoir du Centre de s’exprimer sur ces propos, de réagir ? Quelle est la fonction du Centre en ce domaine ? Dans un cas comme celui-là, celui d’une revue marginale, sans impact, notre politique est de ne

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surtout pas leur faire de publicité. Sans la publicité de Joods Actueel, l’article serait passé inaperçu. Mais Joods Actueel s’en est pris au Centre davantage qu’au Zwinkrant même, instillant l’idée que si le Centre ne faisait pas de procès au Zwinkrant, cela voulait dire qu’il minimisait ou tolérait le contenu de l’article sur le plan moral. C’est assez scandaleux. D’autant plus que Joods Actueel ou d’autres organisations de la communauté juive peuvent faire un procès s’ils estiment que ces propos sont contraires à la loi. Nous n’avons pas le monopole de l’action judiciaire. Par leur abstention, ils confirment ainsi notre analyse juridique... AM À l’origine du malentendu, n’y aurait-il pas l’opinion très répandue que, suite aux lois antiracistes, ce genre de propos ne pourraient plus être publiés ou qu’on ne verrait plus des affiches comme celles qui ont été arborées sur des chars estudiantins de l’ULB ou les déguisements à caractère antisémite du carnaval d’Alost. Ce malentendu concerne d’ailleurs toutes les victimes du racisme. Il y a en effet un malentendu. Dans l’idée de beaucoup, tout propos raciste ou antisémite est contraire à la loi. Ce n’est pas le cas. Les lois antiracistes n’interdisent en fait que certaines formes de racisme : les discriminations et les incitations à la haine, à la violence et à la discrimination. Pour le reste, c’est la liberté d’expression qui règne, qui en Belgique autorise même l’injure orale et certaines formes d’injure écrite, par exemple. Voilà qui fait une grande différence avec la France, où les propos racistes et antisémites sont beaucoup plus vite incriminés qu’en Belgique. L’outil juridique, la jurisprudence et l’histoi-


re y sont profondément différents. Or, le public belge francophone a les yeux rivés sur les médias français, où le degré d’intolérance aux propos antisémites est plus élevé, suite aux propos antisémites et négationnistes de Le Pen. Les gens voient qu’en France on condamne l’équivalent du Zwinkrant alors qu’en Belgique, selon notre analyse, c’est impossible. Il restait certes une possibilité d’action. Le Centre aurait pu faire le geste symbolique de déposer une plainte simple, laissant au parquet le soin de juger s’il faut ou non aller plus loin. Mais c’eût été un geste plus symbolique qu’autre chose. Et il aurait encore accentué le malentendu que vous pointez entre la réponse judiciaire et la réponse morale au racisme. Quoi qu’il en soit, on peut en discuter sereinement dans le cadre de la cellule antisémitisme du Centre, sans d’emblée accuser le Centre de pusillanimité envers l’antisémitisme ! HG Il faudrait aussi remonter à l’affaire de la manifestation du 11 janvier 2009 contre l’opéra-

tion israélienne à Gaza Encore un bel exemple. Après la manifestation, le CCOJB, dont Joël Rubinfeld est à ce moment le président, nous fournit un gros matériel photographique que toute une équipe de juristes analyse très sérieusement dans le but de chercher à poursuivre. Mais il faut aussi tenir compte du fait que, vu la médiatisation de cette manifestation, un échec lors d’un éventuel procès aurait des conséquences dramatiques dans la lutte contre l’antisémitisme. Le CCOJB nous demandait par ailleurs d’intenter un procès aux organisateurs de la manifestation ce qui nous semblait complètement ridicule. Il y a eu des tas de calicots à l’évidence antisémites mais entraient-il dans le champ de la loi ?... Nous avons remis un rapport d’une dizaine de pages au Conseil d’Administration. Dans la plupart des cas, il n’y a rien de répréhensible pénalement. Il y a deux ou trois cas « limite » pour lequel on pouvait avoir un mince espoir de revirement de jurisprudence (par exemple, le symbole nazi dans l’Étoile de David, qui n’est pas récriminé

en Belgique à ce jour), mais nous craignions un échec, vu la jurisprudence qui, surtout à Bruxelles, est très favorable à la liberté d’expression politique. Un débat très serein a lieu sur le fil du rasoir et le CA, composé de représentants de tous les partis politiques, décide à l’unanimité de ne porter plainte que pour un calicot négationniste « À Auschwitz la Shoah n’existe pas à Gaza elle existe ». L’ironie, c’est qu’il ne nous est pas arrivé via le CCOJB, mais l’ASBL Résistances. Ajoutons que comme Joods Actueel dans l’affaire du Zwinkrant, le CCOJB de 2009 a dénoncé la pusillanimité du Centre, mais sans entamer lui-même la moindre action judiciaire... Car je le répète, nous n’avons pas le monopole de l’action judiciaire. Il est déjà arrivé dans d’autres domaines que des associations, qui ont un rôle d’avantgarde, prennent le risque d’un échec et tentent de retourner la jurisprudence. Cela peut d’ailleurs se faire avec une certaine forme de soutien du Centre. Tout cela peut être discuté. J’ai eu beau, lors du conflit de Gaza, dénoncer

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➜ publiquement par tous les voies et moyens les débordements antisémites, cette parole n’a pas été perçue. Nous aurions peut-être dû avoir une parole plus forte encore, mais laquelle ? Dans les deux cas cités, il y a peut-être un certaine sous-estimation de la part du Centre de la façon dont ses propos risquent d’être interprétés et perçus (ou non perçus). J’accepte la critique, et nous allons y travailler, mais sans paralyser la parole et le travail du Centre. HG Dans le cas de l’affaire Océane Sluyzer, Viviane Teitelbaum vous a reproché d’avoir parlé de « tensions communautaires » alors que selon elle les agressions sont à sens unique. L’autre reproche est d’avoir voulu taire l’identité arabo-musulmane des agresseurs. Ce n’est d’ailleurs pas vrai parce que je ne l’ai jamais nié et, qu’au moment des faits, on n’en savait rien. Les faits se sont produits un vendredi, dès le lundi, on a pris contact avec la famille Sluyzer pour se mettre à sa disposition. Je suis interviewé, je condamne l’acte en tant que tel. J’insiste sur le fait que l’aspect répressif doit être pris en compte même si ce sont des jeunes. Le journaliste me demande ensuite comment on peut expliquer de tels actes. La référence au conflit israélo-palestinien est évidente dans le cas présent, puisque l’une des agresseurs lance à Océane « retourne dans ton pays ». C’est d’ailleurs ce que confirment les chiffres des agressions antisémites depuis 2004. Ils sont constants : 60 agressions physiques ou verbales par an avec un pic à 110 en 2009 autour de Gaza, pour retrouver leur niveau « moyen » dès 2010. L’évolution du conflit a donc une incidence objective, majeure sur le climat entre communautés.

C’est tout ce que j’ai voulu dire. De plus, parler de conflit entre communautés ne signifie pas que les forces en présence sont égales ni que leur responsabilité soit équivalente. Et puis, il faut éviter de confondre les niveaux d’analyse : d’un côté, on a l’agression dont a été victime Océane et, d’autre part, un contexte, notamment international, qui est une des causes pouvant expliquer l’antisémitisme. Mais si l’on veut me faire dire qu’il y a une communauté qui agresse et l’autre qui est victime, c’est non. Je me refuserai toujours, quant à moi, à faire porter sur l’ensemble d’une communauté la responsabilité d’actes individuels. AM Dans la communauté juive également, on critique « l’importation du conflit » et l’identification des communautés aux parties en conflit bien que ce soit interprété différemment. En même temps, il faut considérer que l’antisémitisme vient d’ailleurs. Il s’agit ici d’une « couche » supplémentaire et l’occasion lui est donnée de s’exprimer dans ce cadre-là. C’est aussi mon avis... J’ai peutêtre une autre explication de l’incompréhension de la communauté juive. Il y a deux formes de racisme en termes de nature et d’instruments juridiques : d’une part, les discriminations à l’embauche, à l’emploi, au logement ou autres, et d’autre part les paroles de haine. Les communautés arabo-musulmanes sont avant tout victimes de discriminations vis-à-vis desquelles la loi est très efficace. Par exemple, il y a un volet civil, ce qui signifie qu’on peut condamner même s’il n’y a pas eu intention de discriminer. La communauté juive, quant à elle, s’inquiète surtout (à juste titre, je n’y reviens pas) de paroles de haine, qui relèvent du

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champ pénal et requiert qu’on apporte la preuve que l’auteur a eu l’intention de nuire et d’inciter à la haine. Même s’il y a maintenant une jurisprudence importante, on peut donc beaucoup moins intervenir. D’où un sentiment (faux) de « deux poids deux mesures », dû aux outils juridiques et non, bien sûr, à une politique du Centre. Et dans ce domaine aussi, il y a une différence de perception dans la communauté juive. Il y a quelques semaines, nous avons déposé plainte pour antisémitisme contre le député populiste Laurent Louis, et une autre contre un politicien flamand pour négationnisme. Cela a été rendu public mais n’a eu aucun écho dans la communauté juive. Nous sommes à l’affût et dès que nous le pouvons, nous poursuivons. Nous sommes à l’origine de toute la jurisprudence sur le négationnisme ce qui a parfois nécessité une certaine imagination juridique comme pour faire considérer le salut hitlérien comme une manifestation de négationnisme. Il y a tout le travail concret dans la lutte contre l’antisémitisme au sein de la cellule de veille contre l’antisémitisme qui regroupe le CCOJB, le Forum anversois (FJO), le Consistoire, les cabinets ministériels et le Centre. Nous croisons les chiffres du Centre avec ceux d’antisemitisme.be. J’en profite pour dire que le chiffre de 60 agressions par an est énorme pour une toute petite communauté. Il faut d’ailleurs tenir compte du sous-rapportage. C’est trois ou quatre fois plus. Tout ce travail que nous faisons n’est ni reconnu ni valorisé. Par contre, le moindre faux pas est monté en épingle. Je regrette cette distorsion même si je ne demande pas qu’on nous jette des fleurs : nous faisons notre boulot. HG Une initiative est-elle pré-


vue pour renouer avec la communauté ? Une réunion est prévue prochainement avec les trois organisations juives faîtières. Ceci dit, au plus fort de ces affaires, les contacts n’ont jamais été rompus ni avec le CCOJB, ni avec le Consistoire ni avec le Forum. Je crois pouvoir dire que j’ai d’excellents contacts personnels avec les dirigeants actuels de la communauté. Nous sommes prêts à entendre leurs reproches, mais nous avons aussi nos reproches et frustrations. Mais il faut surtout dépasser tout cela et proposer des projets de collaboration concrets et positifs. HG Vous avez bien dû vous interroger sur le sens de cette violence disproportionnée. Très clairement le Centre est dans le collimateur de la communauté juive d’un côté et d’un courant politique. Vous n’avez pas hésité à mettre en cause deux personnalités du MR, Alain Desthexe et Viviane Teitelbaum. Il y a également, ce qu’on ne sait pas du côté francophone, la NVA. Est-ce que tout cela est dans un mécanisme unique ? Je pense qu’il y a trois phénomènes qui se conjuguent. Le premier est conjoncturel. Le Centre, qui est une institution fédérale, aspire à devenir inter-fédéral pour qu’il n’y ait qu’un seul Centre pour toute la Belgique. C’est dans l’accord de gouvernement. Il faut en effet couvrir tous les champs légaux, fédéral et communautaires, c’est une obligation vis-à-vis des directives européennes. Plus avant encore, il y a le projet de devenir une institution nationale des droits de l’homme qui serait à la tête d’une fédération d’institutions. Cette institution existe en France, en Angleterre, en Allemagne, aux Pays-Bas. Ce beau

projet rencontre l’hostilité farouche de l’ultra-droite qui recouvre d’ailleurs plusieurs partis du Nord comme du Sud, et l’hostilité des nationalistes flamands qui veulent une institution flamande. C’est la première raison pour laquelle toutes ces affaires ont été amplifiées. La deuxième raison, c’est, je crois, l’inquiétude de plus en plus forte dans la communauté juive par rapport aux faits persistants d’agression et d’antisémitisme, et une hésitation légitime quant à la ligne politique de défense à avoir. Historiquement, depuis 1945, la communauté juive de Belgique a embrassé le combat de l’universalisme et de l’antiracisme en général, tout en assumant pleinement une identité juive (voire sioniste). David Susskind a été un porte-parole emblématique de cette ligne universaliste. Une autre ligne, que je comprends et que je ne condamne pas en soi, s’est développée en particulier à partir de la seconde Intifada – une ligne plus agressive, ou plus lucide peut-être, par rapport au risque que représente une partie de ou l’ensemble du monde arabo-musulman. Dans le cadre de cette incertitude, des incidents comme ceux qui ont eu lieu au Centre font sur-réagir la communauté par rapport à sa déception, que je comprends, à l’égard de « l’antiracisme officiel » dont le Centre est en quelque sorte le symbole – ce qui est exagéré car nous travaillons sur base de lois, de missions légales, et non sur base d’une idéologie associative. Nous sommes donc la cible d’un courant plus agressif qui considère que la communauté juive ne peut plus compter sur le « droit-de-l’hommisme » officiel et doit faire alliance avec les forces politiques conservatrices contre le danger du «fascisme vert».

La troisième explication est plus générale. Le climat est hostile à l’égard de toute institution qui, aujourd’hui, a pour mission de s’occuper de près ou de loin des « immigrés », des « Arabes », des « musulmans ». Le Centre, mais aussi Fedasil, les CPAS, le CIRé, etc., font l’objet d’attaques très virulentes. Depuis 1945, la Belgique repose sur un fort compromis social et moral entre les trois grands piliers que sont le monde du capital, le monde du travail et le monde catholique. Il y a eu une première rupture de ce pacte démocratique dans les années 80 et 90, avec la remise en cause de l’ÉtatProvidence, mais elle a été compensée, à l’époque, par l’affirmation forte d’un certain nombre de valeurs sur le plan éthique. Durant « l’ère Verhofstadt », on a remis en cause un certain nombre d’avantages sociaux, on a durci la politique d’immigration, mais en même temps on a élargi les compétences du Centre, réaffirmé la défense des droits fondamentaux des étrangers, etc.. Depuis le tournant du millénaire, et plus encore avec la crise de l’euro, j’ai le sentiment que ce socle de valeurs est en train de se déliter dans l’esprit d’une partie de la population, et donc aussi d’une partie de la classe politique. Tout cela fait une lame de fond populiste inquiétante dont les partis traditionnels devraient se méfier, car elle sape les fondements du pacte démocratique belge. Toujours est-il que le Centre doit travailler dans ces conditions, qui favorisent hélas frustrations et incompréhensions, et bien sûr aussi, malveillances et récupérations politiciennes. À nous de garder le cap. ■

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lire Être Juif en Allemagne TESSA PARZENCZEWSKI

Ê

tre juif en Allemagne aujourd’hui ? Telle est la question qui parcourt le récit autobiographique de Maxim Biller. Né à Prague en 1960 de parents juifs russes, frère de l’écrivaine Elena Lappin, il a émigré en Allemagne avec sa famille en 1970. Romancier et journaliste, il signe dans la presse allemande des chroniques au vitriol, aux sujets récurrents : « les Juifs, les Allemands, Hitler, le sexe. » Délaissant la ligne droite, Maxim Biller nous entraîne dans une errance en zigzag, de Hambourg à Munich, et jusqu’à Tel Aviv, dans une chronologie chamboulée, passant du coq à l’âne, des années étudiantes à la vie littéraire et journalistique, avec retours sur image sur ses liaisons éphémères et les dragues désinvoltes. Et toujours l’interrogation lancinante sur sa propre identité, sur sa façon d’être juif dans une société, où malgré les apparences, ce mot crée toujours le malaise. En Allemagne, quelqu’un comme moi n’était pas prévu. Lorsqu’on me demandait qui j’étais, je disais : « Je suis juif. » je disais ça parce que c’était ainsi, et j’étais étonné que cela plonge les autres dans l’embarras. Je le remarquais au fait qu’ils changeaient immédiatement de sujet, affichaient un sourire ému ou répondaient à voix basse : « Ah bon. » Cela ne les dérangeait pas, certains étaient même intéressés. Et ce ne fit ja-

mais obstacle à une amitié entre eux et moi, le visiteur en provenance d’une époque qui s’était achevée en janvier 1933 à la demande de 33% des Allemands. Dans sa marche obstinée pour devenir écrivain, Biller nous entraîne sur le chemin de la création, lorsque chaque rencontre fait naître l’esquisse d’une nouvelle où un fait anodin donne naissance à des intrigues surprenantes. Il nous fait aussi entrevoir les coulisses de la vie littéraire allemande où règne sans partage le critique omniprésent Marcel Reich-Ranicki. Juif comme bon vous semble ? Comme il aurait aimé être allemand – le principe Walter Rathenau ! Mais ça ne fonctionnait vraiment plus. Et si ça fonctionnait tout de même ? Il s’était par conséquent arrangé une vérité existentielle, comme tant de rescapés : Allemagne moins Hitler, Goebbels et Auschwitz égale Heine, Rilke et Thomas Mann. D’autres Juifs ne faisaient pas la soustraction, ils additionnaient : Allemagne plus Hitler, plus Goebbels, plus Auschwitz égale vengeance, égale haine de soi que l’on ne peut venger que par la haine. D’une plume alerte, rageuse et sarcastique, Maxim Biller ne lais-

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se rien passer. Il fustige ces Allemands décontractés qui ne veulent plus se sentir concernés, qui veulent enfouir la mémoire sous le tapis et dénonce aussi la renaissance d’un certain nationalisme. Un seul bémol : Biller semble assimiler la solidarité avec le peuple palestinien à l’antisémitisme… Rien n’est parfait ! ■ Le Juif de service Maxim Biller Traduit de l’allemand par Olivier Mannoni Éditions de l’Olivier 161p., 19 EURO


Racines et identités à l’ère de Google TESSA PARZENCZEWSKI

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ean-Paul Rakover, un dentiste français, séjourne à Varsovie à l’occasion d’un congrès. Bloqué à l’aéroport à la suite d’une grève, il surfe sur internet. La rencontre de confrères juifs, une visite au mémorial du ghetto, jettent le trouble dans son esprit. Français de souche, croit-il, il ne s’est jamais posé de questions sur ses origines. Élevé par sa mère dont il porte le nom, il a grandi dans un collège catholique et ne connaît des Juifs que le Rabbi Jacob de De Funès ! Et commence alors la folle recherche sur Google. De site en site, de la ville de Rakov jusqu’au ghetto de Varsovie, il découvre toute l’odyssée de Joseph Rakover dans un récit dissimulé dans un bidon d’essence trouvé après la guerre dans les ruines. Récit écrit par le combattant Joseph Rakover pendant l’insurrection de 1943. Dans une sorte d’intuition, Jean-Paul Rakover s’approprie cet oncle potentiel, qui, dans des pages innombrables, évoque la tragédie familia-

nalité tragique du récit par un retour à la réalité du jour, cette attente interminable dans l’aéroport où des foules de passagers errent à la recherche d’un embarquement et où des situations absurdes et cocasses font penser à Tati. Un premier roman de Bernard Dan, neuropédiatre à l’hôpital des Enfants à Bruxelles, un premier roman qui navigue entre humour et tragédie, entre métaphores empruntées à la dentisterie et interrogations identitaires. ■

Le livre de Joseph Bernard Dan Éditions de l’Aube 199 p., 16 EURO

le, bénit Dieu et le maudit et conte en même temps l’insurrection. Un monde nouveau s’ouvre à JeanPaul, comme une révélation d’une nouvelle identité. Mais rien n’est simple, d’où vient réellement le récit de l’oncle Joseph ? Parallèlement à cette recherche des origines, l’auteur casse la to-

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regarder, lire La tache aveugle ANTONIO MOYANO

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ref, disons que j’ai tout faux, o.k. ? Ça ira plus vite. Les Neiges du Kilimandjaro, par exemple, le film de Robert Guédiguian, j’y suis allé, persuadé que j’allais voir une adaptation du récit d’Ernest Hemingway ! ? Rien d’étonnant à ça puisqu’en 1998, Guédiguian avait adapté le roman de James Baldwin Si Beale Street pouvait parler et ça donnait À la place du cœur. Hé bien, non ! En sortant du film, je me suis précipité sur Internet et j’ai tapé « Victor Hugo poème Les Pauvres gens » (petit conseil du générique final). Si je vous dis que les Neiges de l’Estaque m’ont fait pleurer, ça vous étonne ? Les Neiges du Kilimandjaro c’est une chanson, je l’avais oubliée. C’est un certain Pascal Danel qui chantait ça, et elle est toujours belle sa chanson, de même que ce couple Ariane Ascaride et Jean-Pierre Darroussin, ils étudient le swahili pour profiter au maximum du voyage que leur offrent leurs deux enfants, les amis, les camarades, tout le monde a cotisé ! Trente ans de mariage, ça se fête, pardi ! ! Mais d’abord, tout commence par un drame : on tire au sort les noms des travailleurs qui seront licenciés. Et cet appel des noms, dans un pesant silence, inévitablement on a des images qui nous viennent en mémoire, et notamment de son film L’Armée du crime. Ce film, c’est aussi l’impérieuse nécessité de la solidarité entre les pauvres. Car au-delà des luttes et

des revendications, il faut répondre à la question toute bébête mais dure comme le fémur : Que va-t-on faire pour s’en sortir ? J’admire chez ce cinéaste la fluidité de sa mise en scène, sa façon de mener le récit sans esbroufe. Serait-il un admirateur du western classique à la John Ford ? Cela ne m’étonnerait pas. Pudique, il place sa caméra au juste endroit, se tenant à distance, non par froideur ni chichi esthétisant mais pour laisser liberté aux acteurs, et capter quelques brefs instants de vérité. Et quel plaisir de retrouver Grégoire Leprince-Ringuet (souvenez-vous, il était dans le Voleurs de chevaux de Micha Wald). Ah oui, ce serait vachement intéressant une confrontation entre Robert Guédiguian et nos frères Dardenne ! Au-delà de leurs différences de tonalité, ces cinéastes sont travaillés de l’intérieur par une éthique et des préoccupations communes. Un petit détail qui les différencie, tout de même, c’est l’usage de la parole. Chez Guédiguian, il arrive qu’on éclate de rire. Tenez, observez la scène du bar : un Marie Brizard ou un Metaxa ? Chez les Dardenne, bien souvent, c’est le silence, le mutisme, l’aveu qui ne peut sortir. Alors qui organise la rencontre ? Un qui par contre aime l’esbroufe mais quel talent époustouflant, nom d’une pipe ! quel style, quelle maestria ! c’est le réalisateur de Drive Nicolas Winding Refn (1970). J’ose à peine vous

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l’avouer mais avant d’aller voir le film, j’ignorais même l’existence de James Sallis (Arkansas, 1944), l’auteur du roman Drive (Rivage/ Noir). Là aussi il y a des pauvres made in USA. Et un gars, ayant le sens de l’honneur, refuse que ce soit toujours les puissants qui l’emportent. Drive c’est plus dur, plus sanguinaire avec les mâchoires qui craquent, mais tout aussi… Oui, j’ai encore pleuré ! Vous allez croire que c’est mes yeux ! Mais non ! je suis passé chez l’ophtalmo pour mon contrôle annuel du fond de l’œil, et tout est nickel, ouf ! Oh quel vilain défaut que l’impatience, germe de tant de déceptions ! Temporisons, temporisons ! Tout commence par un article dans Babelia (supplément littéraire d’El País), article signé Antonio Muñoz Molina, l’auteur de l’admirable Séfarade (Points/Seuil, 2005, 476 pages). J’ai téléphoné à ma sœur : peux-tu m’acheter Semillas de gracia ? – Oui, quand j’irai à Malaga, elle me répond. J’ai téléphoné à Alex et Dorothea : pouvez-vous m’acheter Semillas de gracia ? – Oui, certainement, quand nous irons à Barcelone. Et moi, brûlant d’impatience, impossible d’attendre, je commande illico le livre sur Amazon.fr. Semillas de gracia a été écrit en anglais mais la première édition est parue à Madrid en avril 2011. Sera-t-il un jour traduit en français ? Je l’ignore. L’auteur se nomme Thomas Mermall, hispa-


niste, professeur émérite du Brooklyn College et de la City University of New York. Spécialiste de Miguel de Unamuno (Le Sentiment tragique de l’existence), de José Ortega y Gasset (La Révolte des masses). Mermall est né en Ruthénie, une région à cheval entre la Slovaquie, la Hongrie et l’Ukraine. Voici le titre complet du livre : Semillas de gracia : memorias de amor, guerra y amistad. Mais j’espérais quoi au juste ? Je ne sais pas, je ne sais plus ; de toute façon, l’impatience à posséder ce livre m’aura permis l’immense plaisir de lire 555 pages dans ma langue maternelle. Et ça, c’est déjà du bonus, non ? Semillas de gracia c’est Semence de gratitude. Gratitude à quoi ? A l’enchantement de vivre ou plutôt de survivre, car Thomas Mermall était condamné à la mort certaine – sa mère, elle, a bel et bien fini à Auschwitz – son père et lui se sont cachés dans la forêt avec l’aide d’un paysan, d’avril à octobre 1944 ; sept mois de cache et de peur qui vont marquer à tout jamais l’enfant Mermall qui n’avait alors que 6 ans. Tomika ! Tomika ! était alors son surnom. Formidable portraitiste, parfois doux, parfois acide, il nous livre ses mémoires non pas en ordre chronologique mais par thème : et tout d’abord, la figure de son père qu’il vénère, ensuite viendront la belle-mère (marâtre haïe), le demi-frère (joueur invétéré et malhonnête), le passage par le Chili avant de débarquer à Chicago, les déboires, joies et vicissitudes du cursus académique. Et puis les femmes ! Deux mariages (dix ans avec chacune), quinze ans avec une troisième, et quelques autres amourettes entre les entractes, d’autres et d’autres jusqu’à tomber sur Pénélope ! Et les amis, et pourquoi les amitiés sont décevantes ou exaltantes. En

1967, il obtient une bourse qui lui permet de résider une année entière en Espagne. Page 463 : « En plus de mon père j’ai encore deux héros. Le premier c’est Ivan Gartner, qui risqua sa vie et celle de son épouse et de ses cinq fils pour nous sauver mon père et moi des nazis. Et le second est une femme que j’appellerai Olga Aczel. » Et page 43 : « Objectivement c’était de la folie. On a beaucoup parlé de la banalité du mal, mais peut-on parler de la banalité du bien ? » Un des mystères de ces mémoires c’est pourquoi surgit, tôt ou tard, inopinément, en peau de banane, la déception ? Pourquoi irrévocablement la déception à répétition ? Une esquisse de réponse est-elle à chercher du côté de… Oui, du côté de la mère comme une sorte de tache aveugle ? La question restée sans réponse : pourquoi maman n’est-elle pas avec nous lorsque nous partons dans la forêt ? Voici le début du post scriptum, page 553 : « Le 25 janvier 2011, on m’a diagnostiqué un cancer du pancréas. Il y a plus ou moins soixante-sept ans, l’amour d’un père, le courage, la bonté et le sacrifice de quelques inconnus m’ont sauvé de la mort. Maintenant je m’affronte à une autre grande épreuve de survivance. » Thomas Mermall est décédé à New York le

29 septembre 2011. Et moi, triste clown ridicule, je vais me la jouer ah-pauvre-demoi (snif !) : je vous cite en vrac la pile de livres mettant mes nuits en péril : Miguel Hernández Chroniques de la guerre d’Espagne (Éditions Aden, 2011) – Mohamed Leftah Le Dernier combat du captain Ni’Mat (La Différence, 2010) – Alain Absire Vasile Evanescu, l’homme à tête d’oiseau (Calmann-Lévy, 1983) – Jacques Chevrier Littérature africaine : histoire et grands thèmes (Hatier, 1990) – Mathieu Lindon Ce qu’aimer veut dire (P.O.L., 2011) (échantillon de liste infinie). Et toi, ta montagne de livres, quand finiras-tu de la dévorer ? Ah ! la petite mort, la déception, la tache aveugle… ■

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lire Sortir de la cache et prendre langue FRANÇOISE NICE

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e débattre avec l’étude collective dirigée par Adolphe Nysenholc, L’enfant terrible de la littérature, Autobiographies d’enfants cachés, publiée par Didier Devillez et l’Institut d’études du judaïsme. Me débattre parce qu’il s’agit d’un essai de critique littéraire, et que la dizaine de contributions évoquent des livres que je n’ai pas lus, sauf Bubelè, l’enfant à l’ombre (L’Harmattan, 2007), et que les analyses sont, heureusement pas toutes, parfois très pointues. Me débattre aussi, sachant que cet article sera lu par d’anciens enfants cachés, qui ont vécu ce que je n’ai pas vécu. Alors me revient l’une des visions les plus bouleversantes lors de ma récente première visite à Auschwitz-Birkenau et Cracovie. Dans un des pavillons, derrière une vitrine, un tas de milliers de lunettes. Plus que les vitrines aux valises ou aux cheveux, transformés par le temps en une immonde et terrifiante étoupe informe, l’amas de lunettes m’évoque, dans une symbolique – sommaire, mais c’est comme ça –, la destruction de l’intelligence et de la culture juive et non juive voulue et perpétrée par les nazis et par toute force politique qui fait de l’intolérance, des cultes de la force et de l’irrationnel un moyen de do-

mination. Lunettes entassées, aux montures noircies mais dont les verres scintillent encore derrière la vitrine du pavillon où nous avançons dans la pénombre, guidés par Anieszka, une fille de la région, une femme professeur qui a les mots justes, qui ne nie pas comme d’autres nombreux Polonais la spécificité de l’extermination des Juifs, et qui, un peu plus tard, sourit en remontant la rampe de sélection à Birkenau en évoquant, admirative, la chaleur et le dynamisme d’Henri Kichka. Quel lien entre ces paires de lunettes et les contributions savantes sur les livres écrits sur le tard par d’anciens enfants cachés ? Rien, si ce n’est l’effort de connaissance et de transmission honnête. Quelque chose qui relèverait du tact de l’esprit. De Georges Perec à Thomas Gergely qui relit le journal de guerre qu’il entreprit d’écrire à l’âge de 7 ans, en 1950, ce recueil consacré à la littérature des enfants cachés s’applique à mettre en évidence la difficulté et la nécessité d’écrire pour de nombreux anciens enfants cachés. Car cette écriture est reviviscence d’une série d’événements traumatiques, elle impose une série de défis psychiques et littéraires. Commet retrouver la mémoire, alors que le refoulement a

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été choisi ou imposé, parfois par les parents d’adoption ou originels rescapés et retrouvés après guerre, « mais vous n’avez pas été dans les camps de concentration, alors ne vous plaignez pas et tournez la page », témoigne Renée Roth-Hano (auteur de Touch Wood, en 1989). Mais pour les autobiographes, il s’agit d’écrire la page, de retrouver le moi de l’enfant, ses perceptions d’autant plus rétives à la formulation que l’enfant était jeune, âgé de quelques mois ou adolescent, et de le confier à l’homme ou la femme âgée qu’il est devenu et qui se penche sur son « moi antérieur » pour écrire au plus vrai cette série d’épreuves de déculturation, de perte, de peur et de déni d’identité au moment-même où l’enfant est en pleine construction de soi. Certaines des contributions, celle de Nathalie Zajde à propos de Quand vient le souvenir de l’historien Saül Friedländer, (Seuil, 1978) évoquent les caractéristiques d’une psychologie de l’enfant caché. Les travaux sur la résilience de l’ancien enfant caché Boris Cyrulnik sont bien sûr évoqués. Mais l’intérêt de cet ouvrage réside principalement dans l’étude des procédés littéraires inventés par les différents auteurs pour écrire malgré tout. Car, à partir du vécu des enfants, qui ont du


devenir soi/contre soi, qui ont été arrachés à leur milieu familial, à leur langue maternelle, parfois à leurs pays, convertis au christianisme par leur parents comme gage d’anonymat et de protection, bref dépossédés d’une identité dont ils ne percevaient pas encore les contours, à partir de cette chaîne d’aliénation et de silences imposés à l’âge de la plus grande innocence, et des conflits de loyauté qui surviendront à la fin de la guerre, au temps des retrouvailles avec des parents survivants (cfr. Bubelè, l’enfant à l’ombre), il s’agit de trouver les mots les plus justes. « Trop souvent le simple acte de raconter ces histoires les mélodramatise, les sentimentalise, les réduit à des anecdotes inoffensives, et même à des feuilletons d’Hollywood, sans jamais atteindre l’événement central ineffable. Peut-être que ce

qui devrait être exprimé…n’est pas l’événement…mais l’absence de mots pour exprimer cet événement…mais dire ceci est aussi devenu un cliché, une impasse » explique Raymond Federman. En 1979, il est l’un des premiers à mener la tentative dans un livre-objet où il écrit en anglais et en français, avec les variations spécifiques à chacune des langues, son témoignage d’enfant précipitamment caché dans un cagibi par ses parents lors de la grande rafle de Paris le 16 juillet 42. Écrire, écrire, n’est que de la réécriture dit-il ailleurs, un infini palimpseste qui peut conduire à la renaissance. Les stratégies littéraires des uns et des autres sont très diversifiées. Dans son étude de W ou le souvenir d’enfance (Denoël, 1975), Claude Burgelin soutient que les inventions langagières, les glissements d’identité à l’œuvre chez l’Oulipien Georges Perec (Peretz à l’origine, une graphie malmenée par un employé d’état civil qui le protègera en lui donnant un patronyme d’apparence bretonne) viennent de son passé d’enfant caché, de ses essais pour transformer la cachette subie en cachette agie, en un jeu de cache-cache littéraire. Se pose aussi la question de la véracité : comment introduire l’histoire sans la trahir alors même que les enfants, et souvent leur parents, n’ont pas conscien-

ce, et tout est fait pour, de la politique de stigmatisation et discrimination à l’œuvre qui aboutira à l’extermination des Juifs d’Europe ? Certains auteurs ont inscrit leur témoignage au cœur de l’histoire, d’autres préfèrent éviter toute référence et mythologisent leur récit. Travail sur la langue, sur la composition, compromis à trouver entre la part de témoignage et le recours à la fiction, et puis questions de style : Marcel Gottlieb lui recourt à l’ironie et au langage le plus ordinaire, trivial et rigolard dans son Gotlib J’existe, je me suis rencontré (Flammarion, 1993). « Il écrit son histoire comme il la parlerait, sans élaboration. Il s’agit d’une écriture brute, faisant valoir ainsi la puissance des émotions et des traumas. Peut-être qu’une analyse des dessins de l’auteur permettrait d’en savoir davantage sur son processus d’élaboration, de pensée ou de pansée » écrit Marion Feldman dans sa contribution. Que retenir de ces études sinon l’envie de lire la trentaine d’œuvres d’anciens enfants cachés repris dans la bibliographie ? mais aussi que, quand on dit « devoir de mémoire », on n’a encore rien dit de cet effort sur soi pour arracher à l’oubli et au refoulement une parole, une geste émancipatrice, convaincante et créative. Dans la vitrine d’Auschwitz, des milliers d’yeux me regardaient comme je les regardais. ■ L’enfant terrible de la littérature, Autobiographies d’enfants cachés composé par Adolphe Nysenholc Didier Devillez Éditeur - Institut d’études du judaïsme, 2011 320 p., 25 EURO

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regarder Voyeurisme et judéocide ROLAND BAUMANN Le film documentaire israélien Stalags incite à s’interroger sur le voyeurisme macabre et l’exploitation sensationnaliste du judéocide et de l’univers concentrationnaire nazi

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résenté au festival du cinéma de Jérusalem en 2007 et édité en DVD l’an dernier en Allemagne, Stalags de Ari Libsker tire son nom de « romans de gare » en vogue il y a cinquante ans en Israël, surtout parmi un public jeune, et traitant le plus souvent de relations sadomasochistes entre militaires alliés et SS au Stalag, ou camp de prisonniers de guerre. Les images de couverture des Stalags étaient plagiées d’illustration de magazines d’aventures américains. Les textes étaient le fait d’auteurs israéliens déclinant le plus souvent un même scénario hautement fantaisiste mettant aux prises aviateurs alliés et femmes officiers SS aux formes généreuses, avec des passages clairement pornographiques. Son avion abattu, le pilote allié est jeté dans un Stalag que gardent des femmes SS aussi sadiques que lubriques. Le héros survit à leurs sévices, triomphe et prend sa revanche, faisant subir les pires outrages aux dominatrices nazies. Le récit se présente toujours comme le témoignage authentique d’un auteur anglosaxon traduit de l’anglais en hébreu, alors qu’il s’agit d’aventures imaginaires écrites en hébreu par une poignée d’auteurs israéliens, multipliant les pseudonymes anglo-saxons. La vogue des Stalags est éphémère. Les autorités alertées par les associations de dé-

portés finissent par en interdire la vente. Comme le précisait le cinéaste Ari Libsker dans une interview du New York Times (6/9/2007) « les premières images de l’Holocauste que j’ai vues furent celles de femmes nues ». La popularité des Stalags, s'explique d'abord par le puritanisme de la société ambiante et le voyeurisme d’adolescents fascinés par les filles pulpeuses des couvertures, d’où cette association singulière entre nudité, uniformes et insignes nazis dans un paysage concentrationnaire. Libsker interroge des collectionneurs et amateurs de ces « pulps israéliens », devenus rarissimes. Il retrouve un des principaux éditeurs ainsi qu’un auteur qui décrivent tant les aspects commerciaux que le contexte social et psychologique de diffusion de cette paralittérature. Lorsque Eli Keidar, alias Mike Baden, évoque le climat familial morbide de son enfance, sa mère tyrannique, imprévisible et dont toute la famille a été exterminée, il trahit implicitement la source de son inspiration pour la colonèle SS sadique et haïssable commandante du Stalag qui soumet Mike Baden aux pires tortures ! Libsker fait aussi parler des historiens. Ainsi, évoquant notamment le fétichisme des uniformes nazis, Omer Bartov souligne les ambivalences de la figure du mal

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dans les récits de survivants : incarnation du mal par excellence, Mengele est le plus souvent présenté en homme élégant, fort, « presque sexy », face aux victimes juives, faibles et impuissantes... Les Stalags évoquent le temps de la Shoah à une époque où plus de la moitié des Israéliens sont des survivants mais n’ont pas encore parlé de ce qu’ils ont vécu ou ne sont pas entendus. Uri Avneri, dont l’hebdomadaire Haolam Hazeh accueillait les publicités des nouvelles parutions de Stalags explique les relations complexes entre l'imaginaire de ces romans voyeuristes et les attitudes des israéliens, en particulier des jeunes, face à la mémoire du judéocide. La popularité des Stalags coïncide avec le procès Eichmann. Les témoignages faits au procès révèlent enfin aux israéliens l’horreur vécue par les survivants et contribuent aussi à la vogue des Stalags. C'est en analysant cette singulière coïncidence que Libsker s’attache aux rapports entre les Stalags, le procès Eichmann et l’univers romanesque de l’écrivain Ka-Tzetnik, alias Yehiel De-Nur (1909-2001). Juif de Sosnowiec, survivant d’Auschwitz, émigré en Palestine en 1945, De-Nur s’évanouit lorsqu’il veut témoigner au procès Eichmann et devient ensuite « Monsieur Shoah », la voix des survivants, le chef de file d’une littérature du ju-


déocide, jusque dans les années nonante. Ka-Tzetnik 135633, celui du KZ, qu’identifie son numéro matricule... Son roman le plus célèbre, Maison de filles, publié en 1955 en hébreu et en yiddish, traduit en français chez Gallimard en 1958, serait écrit à partir du journal de Daniella Preleshnik. Cette fille de quatorze ans raconte sa survie au ghetto, puis sa déportation dans un camp où elle est affectée à la « Division de la joie » après avoir été tatouée sur la poitrine, Feld Hure A 13656, et stérilisée. L’auteur décrit les violences subies par ces jeunes « putains de campagne » condamnées à satisfaire les désirs des soudards allemands en route pour le Front de l’Est. Le récit associe étroitement les souvenirs vécus du survivant à l’imaginaire du viol et de la violence sadique. Succès de librairie en Israël et dans les pays anglo-saxons, ce roman rencontra un échec retentissant en France où les lecteurs et en particulier les déportés dénoncèrent son voyeu-

risme et son manque de crédibilité, considérant que les lois raciales rendaient tout à fait invraisemblable la présence de filles juives dans un bordel pour officiers allemands. Les historiens interrogés par Libsker soulignent les aspects ambigus si pas pervers de l’oeuvre de KaTzetnik... qui initient au souvenir du judéocide par le biais d’un voyeurisme érotique et sadique. Mais, La maison de filles et l’oeuvre de KaTzetnik en général restent en vogue auprès des Israéliens et en particulier dans les écoles. Lorsqu’ils visitent Auschwitz les lycéens passeront devant « le bloc 24, qui était le bordel du camp comme l’explique Ka-Tzetnik ». En fin de film, le narrateur conclut : « Les images des livres de Ka-Tzetnik et des Stalags ont pénétré la conscience israélienne et jusqu’à nos jours ce mélange d’horreur, de sadisme et de pornographie sert à perpétuer la mémoire de la Shoah. » Bref une conclusion qui incite aux débats ! The Lampshade, « l’Abat-jour », de Mark Jacobson, journaliste au New York Magazine, est un récit passionnant sur l’imaginaire concentrationnaire associé à Ilse Koch, la « chienne de Buchenwald ». Tout démarre à New Orleans, après Katrina, lorsqu’un ami de l’auteur achète sur une brocante un abat-jour fait de peau humaine qui ressemble fort à celui de la lampe prise en photo et filmée dans une exposition improvisée à Buchenwald lors de la Libéra-

tion du camp, sur une table, avec d’autres icônes de l’horreur (têtes réduites, fragments de peaux tatouées...). Au long de son enquête, Jacobson explore l’imaginaire macabre lié à Ilse Koch et à l’énigmatique abat-jour dont l’analyse scientifique révèle qu’il est bien fait de peaux humaines ! Dans l’après-guerre, l’univers morbide de Buchenwald était l’objet d’une exploitation voyeuriste et sensationnaliste comme en témoigne par exemple La chienne de Buchenwald de Domenica di Constanza, « traduit de l’italien » et publié aux éditions Jean Froissart, à Paris, en 1952. Fiction concentrationnaire de Louis Sapin, cette pseudo-traduction est inspirée par le procès d’Ilse Koch et sa condamnation à perpétuité par la justice allemande. D’un érotisme misogyne délirant, le récit est ponctué de partouzes, viols et violences sadiques, y compris une scène de luxure entre Ilse et un capitaine SS, au crématoire, lors d’un gazage de Juifs polonais, «spectacle» contemplé avec volupté par « la chienne » « ivre de plaisir » et son amant d’occasion ! Quel était donc le lectorat d’un tel ouvrage, il y a soixante ans, dans notre francophonie alors si peu sensible au judéocide et ne l’évoquant que par la pornographie ? ■ Film de Ari Libsker, Pornografie und Holocaust (Stalags), ASIN: B004MRX85G, 2011, version originale hébreu avec soustitres allemands ou anglais, goodmovies.de (disponible sur amazon.de) Mark Jacobson, The Lampshade : A Holocaust Detective Story from Buchenwald to New Orleans, Simon & Schuster, Londres et New York, 2010. Ka-Tzetnik, Maison de filles. L'histoire de Daniella, Paris, Gallimard, 1958.

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témoigner Lucienne Lewin (Erville) Ma découverte de l’Amérique Ma mère, Félicie Aron-Lewin, née à Anvers en 1912 et assassinée à Auschwitz en 1942, avait une sœur puînée, Lucienne, née en 1914, et une sœur cadette, Rosine, née en 1920, ma tutrice après la guerre. Le décès de cette dernière, le 10 juillet 2010, a fait involontairement de moi, seul enfant des trois sœurs Lewin, l’héritier d’une mémoire familiale. Le texte ci-dessous relate l’arrivée de ma tante Lucienne à La NouvelleOrléans en février 1943, fuyant l’arrivée des Allemands dans le Sud de la France, via l’Espagne et l’Amérique du Sud. Son mari, René Epstein, s’engage aussitôt dans l’armée américaine, qui lui conseille de prendre un nom « plus français » au cas où il tomberait aux mains des nazis. Il choisira « Erville », qui demeurera leur nom officiel aux États-Unis, où ils travailleront bientôt tous deux à l’ONU. J’ai déjà fait allusion à cette tante dans Points critiques, n° 253, février 2005. Jacques Aron

J

e pourrais ici faire le panégyrique de l’Amérique. Il y aurait beaucoup à dire. J’y renonce, il a été fait avant moi. Je choisis de montrer une Amérique telle qu’il m’a été donné de la voir, et je le fais, persuadée qu’un Américain ne pourrait m’en vouloir de citer ce que j’ai entendu, de peindre ce que j’ai vu. C’est un jeu passionnant de juger de la valeur des hommes par les questions qu’ils vous posent. Sans doute risquerait-on de porter sur l’Amérique un jugement injuste si l’on ne devait s’appuyer que sur la première question qu’elle vous adresse : « À quelle race appartenezvous ? » On a presque irrésistiblement envie de répondre : à la race humaine. Mais le questionnaire entend : noire ?, jaune ?, sémite ?

LA NOUVELLE-ORLÉANS Dès la descente de bateau, de la curiosité nous accompa-

gne. Nous sommes là, un homme, une femme, seuls réfugiés débarquant d’un bateau ne comptant qu’Espagnols et Sud-Américains. D’emblée le sentiment poignant de n’être pas à notre place. Il n’y a pas place ici, pour des gens qui gardent en eux des images du côté de la guerre. Comment pourraient-ils y croire, ici, sous ce soleil ahurissant de joie ? Le lendemain au lunch, notre photo dans le principal quotidien de La Nouvelle-Orléans, sur un quart de page. La légende : « Deux réfugiés affamés devant un petit déjeuner américain ». Nous pensons : « c’est donc ainsi l’Amérique ? » « Nous sommes grands, généreux, pleins de pitié, hospitaliers, nous pouvons donner de la sécurité et du confort, et nous le disons pour qu’on le sache », ce douze février 1943, notre photo leur aura dit tout cela. Mais La Nouvelle-Orléans n’est qu’une étape, le voyage continue. Toute la question maintenant sera

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de trouver vite notre place dans une Amérique en guerre, de la remplir, de la tenir. Deux jours et deux nuits de train, non pas du genre « Hollywood », avec fumoirs, fauteuils-clubs et bar, mais un dur train, trop plein et moite. Traverser les États-Unis du Sud au Nord, voir des paysages plats et vides d’hommes, d’une navrante laideur… Songer aux champs parcimonieux de chez nous, rapiécés de toutes leurs cultures.

NEW YORK Aucun étonnement ; du déjàvu. Bien sûr, c’est la plus grande, la plus haute, la plus monstrueuse des villes ! Mais on connaissait cela, le film nous a promené cent fois à Wall-Street, comme aussi sur la 5e Avenue. Il a négligé de nous montrer le Parc et les bords de l’Hudson, que l’on découvre avec reconnaissance. Pendant ces premières semaines à New York, je n’ai connu aucun Américain. J’ai à peine


parlé anglais. À l’hôtel, on était Français, Hollandais, Allemands, Polonais… J’ai erré dans les rues, cherché à « sentir » vivre les gens, comme auparavant à Paris ou à Barcelone. Mais ça ne s’établissait pas. On ne regarde pas dans les visages là-bas. Un matin, scène brève et violente dans une épicerie, l’endroit croulait de nourriture, ça faisait plaisir et aussi mal à voir. La seule denrée rationnée : le beurre. L’épicier venait d’en refuser une livre à une cliente. Alors d’une voix pointue : « C’est tous ces étrangers qui viennent d’Europe qui sont la cause de ce que nous manquons du nécessaire. Mais outre cela, il faut encore que nous nous battions pour eux. » La rage au cœur et une colère qui montait, une vieille colère. Je l’ai empoignée aux épaules et secouée. « Si vous aviez eu faim une seule fois, vous n’auriez pas dit cela – et sachez aussi qu’on ne se bat jamais pour les autres, jamais ! » J’ai quitté New York deux mois après pour vivre momentanément en Virginie, à proximité d’un camp où mon mari reprenait son instruction militaire.

BLACKSTONE Village de quelques rues et de villas dispersées sur des kilomètres de campagne brûlée de soleil. Le tout plein à craquer de femmes de GI. Une chaleur de four. Chaque nuit, dormir ailleurs, et le jour, chercher où loger la nuit suivante. Pas de travail pour tant de femmes, des prix exorbitants. Le logement, quand on pouvait en trouver un, mangeait à lui seul toute l’allocation militaire. D’interminables journées de désœuvrement total. On ne peut se promener indéfiniment. Trop chaud, trop soif pour se perdre dans la campagne. Et quand on ne connaît personne.

En ce temps-là, aux États-Unis, sur tout document officiel, la « race » précède le sexe

Au bout de quelques jours, j’ai trouvé ce que faisaient toutes les femmes. Un U.S.O., énorme centre d’accueil pour les militaires et leurs familles, les engloutissait dès le matin dans ses locaux neufs, du genre club-modèle, muni de salles de lecture, de ping-pong, d’énormes lavabos blancs. On se retrouvait là, de cinquante à cent femmes, parfois quelques militaires. Les bribes de conversation, les attitudes, les disputes donnaient le climat de l’endroit. On manquait de chambres dans le village, on manquait de bière et surtout de whisky. On était mécontent, ce mécontentement se retournait contre les responsables, et les responsables, c’était cette guerre ridicule et superflue, c’était cette Europe et ces Européens. Ma colère remontait. Un matin, juchée sur une chaise, j’ai

crié dans cette salle pendant près d’une heure tout ce que j’avais sur le cœur. Un grand silence, les visages levés stupéfaits, une réponse enfin, on écoutait, on semblait comprendre. Je ne sais pas exactement ce que je leur ai dit, les phrases sortaient toutes seules, avec violence. Il était question de leur ignorance d’un danger qui était leur danger autant que le nôtre, de la guerre non pas « sur papier » en gras titres de journaux, mais de celle que l’on sent par la faim, par la peur, par la rage, par la haine. Je me suis arrêtée brusquement comme j’avais commencé, vidée. Les femmes s’approchaient, me touchaient, me parlaient. Elles étaient émues, s’excusaient, balbutiaient. Un officier qui avait suivi la scène me demanda de répéter ailleurs qu’à l’U.S.O.

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➜ ce que je venais de dire, de travailler avec eux, dans le but que je venais de me choisir. J’ai accepté tout de suite. Avant ce jour, je n’avais jamais parlé en public, mais il y avait des choses à dire, et elles seraient dites. Ainsi a commencé une vie neuve. Parler pendant des semaines, des mois, dans des collèges, des églises, des loges, des usines ; des Rotary et « Défense passive ». Passer de Virginie en Pennsylvanie, de Pennsylvanie en Maryland. Se heurter aux caractéristiques de chaque région.

CAMP PICKET En Virginie, véritable ville de baraquements divisée en deux zones : la zone des Blancs et la zone des Noirs. Dans chacune d’elle on forme des soldats qu’on lancera dans la même bagarre contre le même fascisme ! Et nul ne s’étonne, nul ne s’indigne des constantes vexations infligées aux Noirs. Un jour il y eut dans le village, à proximité du camp, des rumeurs inquiétantes. Les gens semblaient tenir de source sûre, qu’il y aurait sous peu (on disait tel jour, telle heure) une bagarre organisée entre Blancs et Noirs. Cela mûrissait lentement, en surface, rien de visible ; puis subitement une demiheure de lutte sauvage, quelques victimes. Aussitôt après, le village reprenait son air de puritaine innocence. Le lendemain dans le même village, au cours d’un repas auquel j’étais conviée dans la grande et respectable salle à manger de style colonial, quelqu’un émit : « L’Amérique est le seul pays vraiment démocratique au monde. » « Mais vos préjugés raciaux ? » Silence hargneux et une voix sè-

che à peine polie : « Parlez d’Europe tant que vous voudrez, mais laissez nos problèmes en paix, vous n’y entendez rien. »

LES DEUX GUERRES Après la Virginie, il y eut la Pennsylvanie avec ses larges secteurs de population d’origine allemande. Les publics se succédaient mais ne changeaient guère. Il était clair qu’il ne pouvait être question d’une seule guerre. Elle était double, leur guerre : l’européenne, qu’ils avaient acceptée pour nous sauver, la japonaise, qu’ils entreprenaient pour défendre leurs droits. Les populations allemandes n’ont pas été les seules à refuser de croire à nos histoires d’atrocités, les autres aussi, cela les dérangeaient, ils avaient pris l’habitude d’admirer dans l’Allemand son esprit scientifique, sa méthode, son ordre, sa propreté…, après tout c’était un Blanc et un « Gentil ». La presse exagérait, comme toujours. Les étrangers avaient intérêt à entretenir ces rumeurs horribles pour qu’on leur vienne en aide. « C’était de bonne propagande pour les gouvernements de faire naître notre haine. » Voilà ce qui se disait et se pensait, avec la meilleure foi du monde, pour le plus grand confort de chacun. S’il arrivait qu’il leur restât un doute, c’est dans le chef de la victime qu’ils cherchaient une justification des massacres et non dans celui du bourreau. Dans une église, un jour, quelqu’un leva la main et me demanda : « Pourquoi parlez-vous entre autres choses des massacres des Juifs par les Allemands, après tout, c’était écrit, ils ont crucifié le Christ. »

PEARL HARBOUR

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Pearl Harbour marque une date dans la mémoire des Américains. Il y eut là un déclenchement de haine unanime. Plus question de discuter. On leur avait marché sur le pied, ils avaient eu mal et ils avaient compris, chacun à sa façon. Que ce soit l’intolérable méthode d’attaque ou le fait qu’une race inférieure ait remporté sur eux un succès militaire, ou encore la peur de voir diminuer une puissance jusque-là indiscutée, leur haine était bien nourrie. Mais ici encore, cette guerre, ils la prenaient en victorieux. Dans un discours qu’un général américain prononça officiellement et dont le texte intégral parut dans les journaux, il était question « d’exterminer jusqu’au dernier ces affreux petits rats jaunes ». Quel est l’Américain qui oserait employer pareil langage contre les Allemands. Et comment expliquer les violentes protestations et controverses multiples parues dans la presse lors des bombardements alliés en Allemagne ? Comment pourrait-on parler ici de lutte contre le fascisme ?

PENNSYLVANIE Après une conférence, une femme m’interrompit : « Comment pouvez-vous haïr ainsi les Allemands. Mon père et ma mère étaient allemands. C’étaient de braves gens, pas des sauvages comme les Japonais. » J’ai demandé : « Connaissez-vous beaucoup de Japonais ? » – « Non, mais je les hais, parce qu’ils ont attaqué Pearl-Harbour un dimanche, le jour de Notre Seigneur, ce qui prouve bien que ce sont des sauvages. » En apparente contradiction avec ce qui précède, il reste un élément important dans la participation américaine à la guerre, c’est


un train électrique, le même journal, le lendemain, prie ses lecteurs d’arrêter leurs envois, le nombre de trains électriques ayant déjà dépassé le millier.) Des vagues de philanthropie se lèvent, déferlent et meurent, abondamment nourries par la presse et par l’image. Que ce soit en faveur de petits Chinois ou de Grecs affamés, le succès dépendra surtout d’une bonne mise en valeur. Ils sont heureux d’être généreux, ils en parlent comme d’une performance dans laquelle ils excellent, et se croient les seuls peuples capables de gestes chevaleresques. L’Amérique n’ayant aucune revendication, ne désirant les colonies de personFemme aux talents multiples, Lucienne Lewin fit de la ne, ne se battant en sculpture. Avec Catherine Barjansky à New York, à la Europe pour aucune Grande Chaumière ensuite, à Paris raison personnelle, le déclenchement subit et sans sa participation relève, lui semfrein de leur générosité. Ce n’est ble-t-il, de la philanthropie pure. pas un document relatant la mort Et c’est ainsi que s’explique la réde dizaines de milliers d’hommes flexion si souvent entendue : « Et qui la mettrait en branle, leur gé- la prochaine fois, nous les laissenérosité, mais une histoire bien rons se débrouiller tout seuls. » agencée, sentimentale et de préférence agrémentée de multiples LA BOMBE ATOMIQUE détails. Leur imagination doit être La sensation qu’un évènement aidée. Il faut qu’ils voient l’ob- énorme vient de se produire sejet de leur pitié. (Quand un jour- coue les Américains ; les journaux nal américain publie la photo d’un en sont pleins. On ne peut y croienfant atteint d’une maladie incu- re, on ne comprend pas encore, on rable et met en légende que son pense : « demain, on comprendra plus cher désir serait de posséder mieux ». La première bombe ato-

mique lancée par les Américains vient de détruire une île. L’effarement l’accueille et une crainte presque superstitieuse partage les esprits. Ainsi les Américains, ce monde familier, cet ensemble de qualités et de défauts qu’ils connaissent, viennent de lancer sur le marché de la guerre l’instrument de mort le plus perfectionné qui soit, le plus impensable, celui qui les rend, eux, les Américains, de toute évidence la nation la plus vulnérable. La voilà perdue, leur belle tranquillité ; c’est lentement qu’ils le réalisent. Ils sont inquiets, ils font un tour d’horizon des ennemis possibles de demain. Ils croient, comme tous les riches, qu’on doit leur envier leur richesse. Qui donc, plus que tout autre, l’URSS, cet autre grand de la terre (si pauvre encore) constituerait un danger pour eux ? La peur du parti communiste a existé de tout temps ; maintenant ce n’est plus un danger idéologique, un danger d’infiltration lente par la voie des cerveaux, c’est une menace tangible. Les bruits les plus inquiétants se propagent : l’URSS aurait, elle aussi, la formule de la bombe atomique. Et toute une presse travaille, monte en épingle chaque mot, rend suspect chaque geste… On parle d’une guerre contre l’URSS, on en pèse l’éventualité, on la nie, et ainsi l’idée se précise. Une hostilité, née croient-ils dans l’autre parti, prend racine et s’installe en maître en Amérique. New York, Noël 1946 ■

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réfléchir Les assassins sont parmi nous JACQUES ARON

V

iolence individuelle, violence collective ?, la question se repose après chaque manifestation meurtrière comme celle qui vient de frapper en plein cœur la ville de Liège. Si l’acte criminel perpétré place Saint-Lambert semble relever jusqu’à présent de la psychose individuelle, les réactions ou initiatives qu’il a suscitées débouchent rapidement dans les fantasmes récurrents du racisme, si prompts à déborder en période de crise. Ici, l’origine de l’assassin suffit à alimenter la xénophobie latente. On ne peut donc s’empêcher de situer cet acte singulier parmi nombre de manifestations semblables qui émeuvent à juste titre l’opinion, mais dont on prend difficilement la mesure des responsabilités sociales.

LE CAS BREIVIK Il y a peu, deux éminents psychiatres norvégiens, au terme d’un volumineux rapport d’auditions d’Anders Behring Breivik, l’auteur des tueries du 22 juillet dernier en Norvège, concluaient au dérèglement mental de l’accusé, inapte selon eux à répondre de ses actes devant la justice1. Entériné par une commission médico-légale, leur constat aurait évité le procès et, indirectement, le débat public sur le climat politique dans lequel un tel crime avait été perpétré en des lieux et sur

des victimes soigneusement ciblés. Non seulement celles-ci ou leurs familles n’auraient pas trouvé réponse à leurs interrogations, mais le pays tout entier serait resté dans l’expectative. Le rapport des psychiatres n’avait-il été évoqué que comme un ballon d’essai destiné à escamoter le procès ? Le premier à récuser ce diagnostic fut l’accusé lui-même, témoignant du même coup de sa volonté de justifier ses actes et les intentions profondes qui l’y ont poussé. Et si les psychiatres nous parlent volontiers de paranoïa ou d’autres pathologies psychologiques, pourquoi seraient-elles incompatibles avec une démarche rationnelle dans le cadre logique de la vision politique assumée du tueur ? Que n’aurait-on évité si la paranoïa d’Hitler avait été décelée et surtout condamnée à temps. Là aussi, les lieux et les victimes des crimes (à venir) étaient clairement énoncés. Au terme d’une guerre mondiale perdue, l’assassin affirmait encore avant son suicide avoir eu raison contre tous ; ne se plaignait-il pas d’un peuple, le sien, qui n’avait pas répondu à ses attentes, et ne revendiquaitil pas d’en avoir au moins éliminé un autre, responsable de tout le mal fait à l’humanité ?

INTERDIRE ? Tout cela semble hanter encore bien des cerveaux à la fois malades et bien portants (une contra-

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diction inhérente à la bête humaine, que seuls rejettent quelques positivistes bornés). L’Allemagne hésite encore à interdire les partis néo-nazis et découvre alors avec stupeur que des groupes de cette mouvance commettent depuis des années des assassinats ciblés d’innocents citoyens turcs (Döner-Mord), tout en manifestant ouvertement sous des slogans équivoques (voir notre photo) : « La société multiculturelle tue ! » et « Le système (?) se contente de regarder, nous nous défendons ! » La pèche en eaux troubles reste aussi, nous le savons, une tentation populiste d’autres partis. Nous en avions traité icimême avec le « cas Thilo Sarrazin ».

EN ISRAËL AUSSI Mais comme le faisait remarquer récemment l’historien israélien Moshe Zimmermann, professeur à l’Université hébraïque de Jérusalem et excellent connaisseur de l’histoire allemande, le phénomène est général2. Il y a quelques mois à peine, un tribunal israélien condamnait une « cellule néo-nazie » menée par un émigrant juif de l’ex-URSS pour ses agressions répétées entre 2005 et 2007 sur des gens de couleur, des homosexuels, des handicapés ou des sans-abri. L’historien constatait que la question était bien moins de savoir pourquoi les États, leur police ou leur justice, n’interve-


naient pas à temps (une question que l’on se pose aussi à Liège), mais si l’apparition simultanée de tels actes ne relevait pas d’un climat politique et idéologique largement répandu dans notre société. Et si le terrorisme d’extrême droite possède bien dans les pays évoqués ses propres traditions, sa réapparition ne paraît trouver son aliment, et ses chances de succès, que dans le marais du racisme. Plus que les excuses tardives auprès des victimes, c’est du combat préventif de l’ensemble du monde politique contre ses manifestations que nous avons besoin. Un constat s’impose : partout où ces actes criminels se sont produits, les assassins sont là, souvent à côté de leurs futures vic-

times, dans le même quartier, la même rue, le même immeuble. Rien ne les distingue de prime abord ; l’étincelle qui mettra le feu à ce baril de poudre est affaire de circonstances. Les risques augmentent avec l’élévation de la fièvre sociale. ■

La société multiculturelle tue

1 Voir Points critiques, n° 318, septembre 2011. 2 Moshe Zimmermann, Fehler im System (Une faille dans le système ; si l’État ne combat pas l’extrême droite, des violences racistes en résulteront nécessairement), in : Jüdische Allgemeine, 17 novembre 2011.

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réfléchir Penser Nation ALAIN MIHÁLY

D

ans le précédent numéro de ce mensuel, Michel Staszewki livre ses réflexions concernant l’avenir politique de l’ensemble israélo-palestinien1. Sa question initiale « un ou deux États ? » le conduit à quelques considérations sur lesquelles il est nécessaire de s’arrêter. Trois problématiques s’ouvrent qui, bien sûr, sont liées.

LA CAUSE La première, qui nous retiendra peu, est celle de la motivation : « Nous [les militants extérieurs (ni palestiniens, ni israéliens) de la cause palestinienne] nous battons pour la cause palestinienne parce que nous la pensons juste, pour que justice soit rendue aux Palestiniens ». Deux écueils se présentent. M. Staszewski n’est ni palestinien ni israélien mais il est membre d’une « organisation juive diasporiste » (selon les termes de sa charte), et se présente comme tel lors de ses prises de parole publiques. Cette dimension semble ici étrangère à sa réflexion. Il y aurait pourtant de quoi « penser juif » si, du moins, le nom « Juif » ne posait quelque problème à être reconnu dans son intégrité comme on le verra plus loin. Deuxième écueil, sans que l’affirmation initiale n’ait à être remise en cause sur le fond, la question devrait se poser de l’ampleur prise par la cause palestinienne à gauche et de la « passion » qu’elle implique souvent. En quelque sorte, tous, ou presque, « palestino-centristes »… sauf ceux, bien

sûr, qui sont israélo-centristes. Que l’argument soit souvent utilisé par les thuriféraires des gouvernements israéliens ne suffit pas à l’écarter. De nombreuses causes tout aussi légitimes sont négligées alors que celle-ci retient toutes les attentions, mobilise les énergies et, il faut y songer, entraîne de fréquents « débordements » que ne génèrent pas les autres conflits. Il est difficile de pas voir dans l’intensité de cet engagement les échos d’une relation très complexe vis-à-vis des Juifs et des sentiments qu’on nourrit à leur égard. À titre d’exemple extrême, si la droite chrétienne américaine se signale par une « furia sioniste » généralement stigmatisée, qu’en est-il, mis à part le soutien à une cause légitime, de la « furia palestinienne » de certains chrétiens européens qui, parfois, réactualisent des mystères médiévaux sans se soucier des images qu’ils réveillent.

DU BINATIONAL Se basant ensuite sur le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, M. Staszewski souligne qu’il faut prendre en compte « le fait qu’il existe maintenant deux peuples en Palestine-Israël : le peuple arabe palestinien et le peuple juif israélien ». Il ajoute qu’il ne faut pas confondre celuici « avec un soi-disant « peuple » juif qui engloberait tous les Juifs de la Terre ». Étant donné sa formulation, cette reconnaissance de l’existence d’une na-

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tion juive en Israël, a pour fonction essentielle de nier les liens entre les Juifs de Diaspora et les Juifs israéliens et l’existence des premiers en tant que collectivité. Aux yeux de la majorité des Juifs, les Juifs israéliens constituent cependant la partie du peuple juif qui s’est auto-déterminée et autonomisée sur le plan politique. Doit-on penser par ailleurs que l’existence d’un « peuple juif israélien » est si peu évidente qu’il faille la rappeler ? L’État d’Israël, avec sa majorité juive, existe « maintenant » depuis 63 ans et le Foyer juif qui l’a précédé remonte au XIXe siècle. Cette affirmation s’oppose cependant à tous ceux, fort nombreux, qui exigent le démantèlement de « l’État sioniste » en promettant, au mieux, aux « juifs » (avec minuscule) un statut confessionnel dans une Palestine paradoxalement « laïque ». Il reste que cette reconnaissance du fait israélien trouve ses limites, sinon son opposition dans l’exigence du droit au retour des réfugiés palestiniens. Ce droit au retour est indiscutable sur le plan juridique et demander aux Palestiniens d’y renoncer préalablement a toute négociation est dénué de sens, comme l’est la revendication de son application de principe. Le retour des réfugiés, même imaginé sur un mode pacifié, signerait sans détours la fin de la nation et de la société juive israélienne. Dans une Palestine majoritairement arabe, il n’y aurait à terme – restons dans le cadre de cette fiction – de place que pour des Juifs dénationalisés et confessionnali-


sés, si tant est que les « sionistes » ne soient pas conviés à « rentrer » dans le pays de leurs ancêtres.

PAR NATURE ? C’est, quoi qu’il en soit, dans l’énoncé qui nous est livré des « formes respectant les droits de l’homme et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » et qui devraient se concrétiser dans le cadre des deux options envisagées, un ou deux États, qu’apparaît notre deuxième problématique. Il faut lit-on « reconnaître l’existence de deux langues nationales, même dans le cas de la solution à deux États. Penser binational s’oppose à la vision sioniste qui exige un « État juif » c’està-dire un État où les non-Juifs sont forcément des habitants ou des citoyens de seconde zone ». La revendication justifiée des Palestiniens est de disposer d’un Etat « arabe palestinien » et nulle ouverture binationale ne semble apparaître dans ce projet, de même qu’aucun des États de la région n’envisage de « partager » son idée de la nation avec quelque autre groupe national que ce soit. De la même manière et conformément au modèle de l’État-nation, si le « peuple juif israélien » existe bien, l’État qui l’organise politiquement est donc, par définition, un État juif (et comprenant une forte minorité nationale arabe). Ce fait n’entraîne pas ipso facto que les citoyens non-Juifs de cet État soient « forcément de seconde zone », bien que ce soit actuellement le cas comme dans de nombreux autres États. Si elle est motivée avant tout par la volonté de dresser un obstacle de plus à la reprise de négociations, la récente exigence par le gouvernement israélien d’une reconnaissance préalable de l’État d’Israël comme État juif par la partie palestinienne met à jour le refus

arabe et palestinien de reconnaître une « entité nationale juive » en Israël/Palestine et exprime les angoisses juives (dont israéliennes) face à ce refus. Cette exigence de « penser binational » pour l’État d’Israël en agréera plus d’un. Les contradictions israéliennes de la citoyenneté, pour être évidentes et parfois tragiques, ne sont cependant pas fondamentalement différentes de celles que connaissent de nombreux sinon tous les Étatsnations. À l’exception de quelques États occidentaux qui semblent avoir dépassé le « stade ethnique » de l’État-nation, la planète politique n’est composée que d’États qui se confondent avec une nation/un peuple souvent éponyme et se conforment à un modèle d’organisation politique qui s’inventa en Europe pour ensuite s’imposer partout. L’aboutissement israélien du projet sioniste n’en est d’ailleurs in fine que la variante juive. La cohérence du binôme État et nation a du reste été pensée comme la condition nécessaire de la démocratie : il faut parler la même langue, appartenir au même ensemble culturel pour se comprendre et débattre des lois. Rien n’est cependant jamais parfait, des minorités résistent (et quelquefois des majorités comme en Belgique) et la quasi-totalité des États comprennent en leur sein des minorités nationales/religieuses parfois reconnues et généralement discriminées. Certains petits États-nations qui structurent sur le plan politique des peuples dotés d’une religion nationale comme les Arméniens ou les Géorgiens sont les jumeaux presque parfaits de la situation israélienne mais la déclinaison sioniste du modèle européen reste, semble-t-il, la seule à méri-

ter une appréciation négative. Ce traitement différencié et discriminatoire trouve nécessairement sa racine dans l’identité juive ellemême. Dans des contrées culturellement habituées à raisonner en termes de religion universelle et, paradoxalement, d’État-nation, la dualité ou la dialectique interne au judaïsme entre «religion» et «nation»4 et d’autre part la confessionnalisation des Juifs qui a suivi leur émancipation aux XVIIIe et XIXe siècles s’opposent à la compréhension de l’existence d’un État juif.

PAR DÉFINITION ? La troisième problématique est celle du « peuple juif » et l’impression s’impose que, bien que n’apparaissant que sous la forme d’une parenthèse et d’une note de bas de page, elle ne constitue le point central du message adressé. Car quel besoin y avait-il dans le déroulement de propositions concrètes destinées à « imaginer une solution durable au conflit » d’asséner « avec un soi-disant « peuple » juif qui engloberait tous les Juifs de la Terre » et de préciser dans une note « Les sionistes considèrent que tous les Juifs du monde font partie d’un seul et même peuple. Comme l’a remarquablement démontré l’historien israélien Shlomo Sand dans son livre Comment le peuple juif fut inventé (Fayard, 2008), cette vision relève du mythe car l’ensemble des Juifs du monde ne constitue ni un « groupe humain (…) qui se caractérise par la conscience de son unité (historique, sociale, culturelle) et la volonté de vivre en commun » (définition de « nation » dans Le Nouveau Petit Robert 2010, p. 1672), ni un « ensemble d’êtres humains vivant en société, habitant un territoire défini et ayant en commun

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➜ un certain nombre de coutumes, d’institutions » (définition de « peuple » dans Le Nouveau Petit Robert 2010, p. 1879). […] ». On notera en passant que Le Petit Robert (1988 il est vrai) après une définition plus qu’alambiquée de « Juif » ( « descendants d’Abraham, peuple sémite monothéiste qui vivait en Palestine ») emploie l’expression « peuple juif » (en l’associant à « peuple élu »!)... Seuls de rares extrémistes pro-israéliens se risquent à nier l’existence d’un peuple palestinien pourtant vieux de moins d’un siècle. Cette durée relativement courte – mais il n’y avait pas non plus « d’Indonésiens » ou de « Vietnamiens » au XIXe – ne satisfait certes pas tous les Palestiniens dont certains « s’inventent » une généalogie cananéenne : « nous étions là avant les Juifs » ou s’annexent un « Jésus palestinien », ce qui n’est plus de «l’invention» mais de la falsification. Il n’y a pas de ces réticences vis-à-vis des Juifs. On peut, sans crainte de blesser et sans vergogne, contester leur qualité de « peuple » sans tenir compte de ce qu’ils pensent et écrivent d’eux-mêmes depuis deux millénaires et alors même que ce qui construit les groupes humains est d’abord l’idée qu’ils s’en font. Toutes les tribus, tous les clans, toutes les nations se sont un jour inventées. Elles sont, comme l’a écrit l’anthropologue B. Anderson2 – que cite S. Sand mais en oubliant sciemment ses conclusions – « imaginées » mais ce processus abouti, quelles que soient la manière et parfois la rapidité, elles existent. L’historien juif américain D. Biale souligne que les Juifs, partageant « traditions textuelles et populaires », « crurent qu’ils avaient une biographie nationale et une culture communes » et que

« ces croyances sont également une partie intégrante de la culture juive parce que leur existence les rendit aussi véridiques que les « faits » historiques qui semblent les contredire ». Comparant la situation des Juifs à la formation des peuples allemands et français, D. Biale conclut : « De même, nous pouvons parler d’une dialectique entre, d’une part, l’idée d’un peuple juif et d’une culture juive unifiée et, d’autre part, l’histoire de communautés et de cultures multiples ». De telles subtilités ne peuvent sans doute arrêter qui se fonde sur des « définitions définitives » ou, pire, comme S. Sand et une grande part de ses affidés, sur une logique racialiste. Revenons à cet abracadabrant roman historique dont il faudra un jour faire le bilan des dégâts intellectuels, politiques et humains qu’il a causés. L’argumentaire de S. Sand4 est double. Dans la première partie de son ouvrage, une recension très datée des théories classiques de la Nation et d’une historiographie juive et sioniste qui s’arrête aux années cinquante, il exprime sa dilection pour la définition très normative de la Nation due à J. Staline. Le dirigeant bolchevik déterminait comme critères la communauté de langue, de territoire, de vie économique et de « formation psychique », autrement dit, de culture. S. Sand ajoute que celle-ci doit être laïque, ce qui, on s’en doutera, permet à ses yeux d’exclure les Juifs. Dans la pratique, le régime soviétique manifesta plus de pragmatisme et on sait que les Juifs furent reconnus comme « nationalité » en URSS. C’est à ce premier cas de figure que nous sommes ici confrontés, celui d’une anthropologie inversée, fondée sur des définitions préalables à la détermination de l’identité collective d’un groupe humain.

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D’UN SANG IMPUR En second lieu, S. Sand développe, dans la partie « historique » de son ouvrage, une théorie raciale-biologique de la non-existence des Juifs en tant que peuple. Imputant aux historiens juifs du XIXe (qui ont posé, avec les moyens intellectuels et matériels dont ils disposaient, les bases de l’histoire scientifique des Juifs) la conception d’un peuple-race, il construit un échafaudage bancal, fragmentaire et composé d’assertions dénuées de fondements, censé établir que les Juifs actuels ne sont pas les descendants de... leurs ancêtres et ne peuvent donc au mieux que se considérer comme les membres d’une communauté confessionnelle. En résumé, il reproche aux Juifs de ne pas se conformer au modèle racialiste qu’il accuse les sionistes d’avoir élaboré et qui n’est jamais que le sien. À quelle autre communauté humaine dénie-t-on le sentiment de sa continuité historique au prétexte que sa filiation « génétique » ne serait pas continûment parfaite… Cette invraisemblable biologisation de l’identité juive a conquis de larges spectres au sein de la gauche radicale pro-palestinienne. Citons à titre d’exemple cet extrait d’une intervention récente sur le site du Mouvement Citoyen Palestine5 « […], la principale motivation de ce débarquement d’Occidentaux dans un pays peuplé d’arabes/sémites a été « C’est le pays de nos ancêtres ! Nous y vivions et en avons été chassé ! Nous ne faisons que récupérer ce qui est à nous ! » Il est pourtant démontré aujourd’hui que les Romains n’ont jamais chassé les juifs et que les occupants actuels, étant essentiellement les descendants d’Européens et Arabes convertis au judaïsme, n’ont pas de lien « ethnique » avec ce pays...


l’impasse, dans son « essai à caractère historique » (selon ses termes) sur les obstacles que réprésentent à sa thèse l’autonomie des communautés au Moyen Âge, la circulation des textes et des idées au sein du monde juif ou la période de l’émancipation où « tout » fut préTaverne juive. Lithographie de E. Iakovlev, Russie 1868 cisément refusé Mais ce mensonge continue d’être aux Juifs « en tant que Nation ». brandi comme un étendard par UN PEUPLE DE TROP7 les fanatiques sionistes […] ». La déléguée générale de PalesL’adhésion à ce récit tronqué et tine, Leila Shahid, n’a pas craint purement idéologique se fonde d’aborder le même registre lors sur un désintérêt et une mécond’une conférence tenue dans le naissance de principe de l’histoire cadre du festival Masarat en 2008. des Juifs et, sans conteste, sur le S. Sand, affirma-t-elle, mon- dédain d’un consensus multitrait que les « vrais Juifs n’étaient séculaire. Au delà de la volonté pas ceux qui après avoir été de balayer par ce biais certains exilés seraient revenus après éléments du discours fondateur 2000 ans mais ceux qui sont res- de l’État d’Israël, la nécessité tés » et que « les Juifs sur le plan s’impose avant tout de se débaranthropologique appartenaient rasser d’une histoire qui pèse. En aux autres peuples ». Ce livre toile de fond, l’universalisme clasétait donc « une bombe, l’idéologie siquement abstrait d’une gauche sioniste ayant beaucoup travaillé historiquement rétive à reconnaître à sa mesure la question nasur un peuple juif unique »6. Ce ne sont pourtant pas « les sio- tionale et qui a toujours renânistes [qui] considèrent que les clé à accepter une identité juive Juifs du monde font partie d’un collective. Les commentaires méseul et même peuple » mais la qua- prisants des bolcheviks à l’égard si-totalité des Juifs contemporains des bundistes en furent une illusqui, à l’image de leurs prédéces- tration marquante. Se détachent seurs, partagent le sentiment ensuite une frange pro-palesd’une appartenance et d’un des- tinienne radicale et une nébutin communs, quelles que soient leuse « islamo-progressiste » raleurs affiliations et engagements. vies de partager un argument de La pensée et la littérature jui- plus, quel que soit la « qualité » de ves - in tempore non suspecto (!) celui-ci, pour justifier leur refus de – n’ont jamais considéré les Juifs l’État d’Israël. Est-il utile de soulique comme tenant d’un même gner que cela jette une ombre sur monde textuel, culturel (au sens leur « antisionisme » ? Vient enfin large) et juridique. Ce n’est donc une couche marxisante de «Juifs pas par hasard que S. Sand fait non-juifs »8 auxquels « l’invention »

fournit le viatique « théorique » indispensable à sa libération d’un lien qu’elle tient pour archaïque9. S. Sand ne peut penser l’identité en dehors de sa formation intellectuelle initiale et livre sa version du « Canaanisme », stade ultime du « sionisme statiste » des années cinquante et soixante, qui, en rejetant l’identité juive et la Diaspora, voulait fonder une identité strictement israélienne. La thèse de l’invention et l’exigence de critères obligatoires annulent toute possibilité d’Être un peuple en Diaspora10, un peuple sans État, et cela en un temps où les diasporas se multiplient. Point de salut hors l’Étatnation ? ■

M. Staszewski, « Israël – Palestine : un ou deux États », Points critiques n° 322, janvier 2012. 2 B. Anderson, L’imaginaire national, Réflexions sur l’origine et l’essor du nationalisme (titre original : Imagined Communities), La découverte, 1996. 3 D. Biale (sous la direction de), Les cultures des Juifs. Une nouvelle histoire, Éditions de l’éclat, 2005, p. 22. Du même auteur, malheureusement non traduit : Power and Powerlessness in Jewish History, Schocken, 1986. 4 Voir nos articles « Sand» ou la bonne nouvelle », Points critiques n° 300, novembre 2009 et « Sand ». Un point final ? », Points critiques n° 302, janvier 2010. 5 Une dialectique comparable est à l’oeuvre au sein du monde arabe sans attirer la réprobation. 5 In « Du compromis à la compromission... ou le politiquement bio selon Ecolo », R. Barnet, MCP 20/12/2011. 6 Voir D. Buch, « Anthropologiquement... », Points critiques n° 291, décembre 2008. 7 W. Rabi, Un peuple de trop sur la terre ?, Les Presses d’aujourd’hui, 1979. 8 S’il n’y a pas de peuple juif, il n’y a pas non plus de nom juif. Le slogan « pas en notre nom » est, dans ce cas de figure, dénué de sens et purement instrumental. 9 Dernier avatar, une vision du Juif comme figure a-historique et interchangeable de l’exclusion sociale et politique. 10 R. Marienstras, Être un peuple en Diaspora, François Maspero, 1975. 1

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réfléchir La définition sioniste ou militariste des Juifs JACQUES BUDE*

À

la fin de la guerre 1939-1945, la découverte de l’atrocité inouïe des camps de concentration et des chambres à gaz – mal absolu, extrême inégalé de déshumanisation - a profondément traumatisé les consciences, particulièrement en Europe et aux États-Unis. Une représentation des Juifs se généralise au niveau du sens commun, du politique et du savoir académique. Le Juif est défini comme la victime ou l’improbable survivant du massacre perpétré par l’Allemagne nazie, conçue comme une société pathologique et pathogène fondée sur la soumission fanatique totale – totalitaire – des individus à l’autorité politique. La destruction des Juifs par l’État nazi devient le critère de l’inhumanité1. Dans cette perspective, le moyen souverain de s’assurer que « plus jamais çà » est la sacralisation de l’humanisme, de la liberté individuelle et de la démocratie politique. C’est ce que j’entendrai par la définition humanitaire des Juifs. Parallèlement se déploie une campagne en faveur de la création de l’État d’Israël menée par les autorités de la communauté juive de Palestine et du mouvement sioniste international. Cette campagne – d’une extraordinaire efficacité notamment grâce à l’invocation du génocide – se fonde sur le dogme que l’incapacité des Juifs à se défendre par les armes

est la cause principale du génocide. Ce qui allait de soi d’entendre par Juif – une victime innocente de la férocité totalitaire – se charge de l’obligation d’avoir la capacité de recourir à la violence armée afin de « ne plus se laisser mener à l’abattoir comme des moutons », de « ne plus se laisser égorger à genoux ». Selon cette définition militariste – portée par le mouvement sioniste et solidement étayée par la violence de la création puis de l’histoire de l’État d’Israël – le Salut individuel et collectif des Juifs consiste à se réfugier en Israël afin de pouvoir se défendre. La solution du problème juif consiste à sacraliser à la fois l’humanisme en faveur des Juifs, victimes exemplaires de l’inhumanité, et la « montée en Terre d’Israël » – Alyia le Eretz Israël – postulée nécessaire à la survie. C’est ce que j’entendrai par la définition sioniste ou militariste des Juifs. Le passage de la définition humanitaire à la définition sioniste comporte deux modifications fondamentales. Première modification : alors que la définition humanitaire valorise en priorité la compassion et l’identification aux autres, la définition sioniste valorise en priorité l’opposition aux autres, la capacité à les combattre. Deuxième modification : alors que la définition humanitaire attribue la responsabilité du génocide aux seuls nazis allemands aidés par une petite minorité de

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« collaborateurs » de l’Europe occupée, la définition sioniste étend cette responsabilité aux non Juifs en général, à l’exception d’un petit nombre de « justes » dont l’héroïsme exceptionnel confirme la règle. Selon la définition sioniste, l’immémorial antisémitisme meurtrier, refoulé pendant quelques décennies du fait de la révulsion provoquée par le massacre des Juifs, se libère et s’affirme à nouveau sous couvert de la condamnation haineuse de l’État d’Israël, de son droit et de sa capacité à défendre les Juifs. En donnant la primauté au militarisme, la définition sioniste, subordonne à la capacité de combattre les autres, presque tout ce qui constitue l’être humain (les manières de vivre, faire, sentir et penser qui lui sont coutumières) et tout particulièrement la compassion et la capacité de se mettre à la place des autres qui sont en quelque sorte une négation du militarisme. Cette sacralisation d’un humanisme subordonné à un militarisme qui le nie, sous-tend le mythe fondateur de l’État d’Israël. La meilleure illustration en est la présentation de l’armée israélienne, dite Armée de Défense d’Israël2, présentée comme l’armée la plus morale du monde obligée, à son corps défendant, d’affronter des millions de « terroristes » fanatiquement voués à la destruction de l’État démocratique d’Israël. À l’instar de tant d’autres puissances occupantes, l’État d’Israël


déshumanise ceux qu’il opprime en les qualifiant de « terroristes ». Cette image de l’armée israélienne s’est maintenue durant plus de 60 ans en dépit d’innombrables opérations de nettoyage ethnique, de multiples massacres de civils3 et de plusieurs guerres d’agression. Bien que sérieusement écornée, elle semble même survivre chez certains à l’agression Plomb durci de décembre 2008 contre les 1.500.000 hommes, femmes et enfants « terroristes » de Gaza qui, en trois semaines, a fait au moins 1380 morts parmi les Palestiniens et 13 parmi les Israéliens, 3 civils et 10 soldats (dont 1 loin du front et 4 par « feux amis »). Dès la création de l’État d’Israël, les autorités politiques et judiciaires internationales et nationales, notamment aux États-Unis et en Europe, tendent à percevoir la politique et les actions israéliennes en termes de la définition sioniste. La quasi totalité des appels au dialogue de paix s’inscrivent dans cette perspective. Ils ont pratiquement toujours pour prémisse qu’« Israël a le droit de se défendre » et pratiquement jamais que « Les Palestiniens ont le droit de se défendre ». Cela me parait expliquer en grande partie l’invraisemblable impunité des autorités politiques et militaires de l’État d’Israël en dépit des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité qu’elles commettent officiellement depuis plus de 60 ans. Si ce n’était l’ombre portée de la destruction des communautés juives d’Europe, toute personne de bonne foi se préoccuperait des droits humains des Palestiniens, victimes d’une répression et d’une occupation meurtrières et non de la sécurité d’une puissance occupante qui ne cesse de violer le Droit international et qui de plus n’est nullement menacée.

La définition sioniste caractérise les Juifs qui ne sont pas « montés » en Israël et n’ont pas l’intention d’y « monter », par une lâche résignation à l’impuissance dans un monde voué à les détruire. Tous ces Juifs sont ainsi amalgamés à ceux qui, avant la création de l’État d’Israël, se seraient « laissés mener à l’abattoir comme des moutons ». Tout – notamment le système scolaire israélien – porte à croire que la quasi totalité des Israéliens juifs partagent cette vision des choses et se définissent par rapport à elle. Il en va de même pour une large majorité des Juifs de la diaspora. Chez tous ces Juifs, la condamnation d’une prétendue lâcheté face à l’antisémitisme meurtrier gouverne leur représentation d’eux-mêmes et se traduit par une sacralisation de la capacité à se défendre par les armes incarnée par l’État d’Israël. De là, chez la quasi totalité des Israéliens juifs et chez une large majorité des Juifs de la diaspora – bien que seule une infime minorité d’entre eux, sionistes inclus, émigreront en Israël et que moins encore y resteront – une identification exacerbée au militarisme de l’État d’Israël : aveuglement à tous ses méfaits et accusation d’antisémitisme à l’encontre de toute mise en question de la légitimité de l’exercice de la violence militaire israélienne. Ils ont de bonne foi la conviction dogmatique que la mise en question des violences militaires israéliennes exprime l’immémoriale haine meurtrière des Juifs, même lorsque cette mise en question émane de Juifs, dès lors accusés de se haïr eux-mêmes, d’être des « Juifs honteux » qui par lâcheté exhibent leur soumission dans l’espoir fallacieux d’apaiser ceux qui leur vouent une haine meurtrière. La définition sioniste des Juifs ne se réfère pas à l’épaisseur hu-

maine des diverses communautés juives, notamment celles qui ont été détruites par le nazisme. Elle valorise en priorité la capacité et le droit d’avoir recours à la violence armée – même préventivement, comme en 1948, 1956, 1967, 1981, 2006, 2008, …. Le fait que tant de Juifs valorisent à ce point le militarisme est une bien triste preuve du succès de la dévastation nazie4. Tous les Juifs – loin s’en faut – n’ont pas succombé à ce militarisme tribal. Ces Juifs tendent à se définir eux-mêmes et à définir les autres dans les termes de la définition humanitaire. Ils sont bien plus nombreux que ne laisse paraître la prévalence massive de la définition sioniste. En mémoire de la déshumanisation des Juifs par les nazis, la définition humanitaire doit – comme l’exige d’ailleurs la Charte des Nations Unies - être un droit pour tout être humain, y compris les millions de « terroristes » palestiniens. Il faut dénoncer l’ignoble justification de la deshumanisation des Palestiniens par l’invocation de la deshumanisation des Juifs d’Europe. Que l’on soit juif ou pas, c’est la solidarité avec la société palestinienne en voie de déstructuration délibérée par l’État d’Israël qui doit aller de soi et non une identification au militarisme expansionniste de cet État. ■ * Professeur émérite de psychologie sociale ULB. Mère et père morts en déportation. « Enfant caché » sauvé par des gens du Pays de Liège. 1 Exemple significatif, la définition du crime contre l’humanité par les différentes instances des Nations unies se fonde sur la destruction des Juifs par les nazis. 2 En hébreu Tzavah Hagana le Israel, généralement abrégé en Tzahal. 3 Pour les années 1947-1949, voir Ilan Pappe, Le nettoyage ethnique de la Palestine, Fayard, 2008. 4 Cela rejoint la thèse d’Avraham Burg, Vaincre Hitler, Pour un judaïsme plus humaniste et universaliste. Fayard, 2008.

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Yiddish ? Yiddish ! PAR WILLY ESTERSOHN

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zol zayn Admettons Le poète Yosef Papiernikov (Varsovie 1899 – Tel Aviv 1991) avait suivi des études de musique. Cela lui permit de composer des mélodies pour certains de ses poèmes qui devinrent des chansons populaires. Il s’installa en Palestine en 1924 et, jusqu’au bout, il continua d’écrire en yiddish. Il était membre du Linke Poaley-Tsien (« les travailleurs de Sion de gauche », en yiddish), seul parti sioniste favorable à l’usage du yiddish, même en Palestine.

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gang in

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! widYi ? widYi TRADUCTION Admettons que je construise mes châteaux dans l’air,/Admettons que mon dieu soit tout à fait absent,/ Dans (mon) rêve (les choses) me sont plus claires, dans mon rêve (elles) me sont meilleures,/ Dans (mon) rêve, le ciel est plus bleu que bleu. Admettons que je n’atteindrai jamais mon but,/Admettons que mon bateau n’arrivera pas à la rive,/Peu m’importe que je n’y sois pas arrivé,/Ce qui compte est de marcher sur une route ensoleillée.

REMARQUES NUz l]z zol zayn, littéralement : que ce soit. reselw shleser = châteaux (au singulier : s]lw shlos). Nqn=g Nij in gantsn = tout à fait (Jn=g gants = tout, entier). ]tin nito = absent, manquant, avec le verbe être. Mivrt troym et Mvlx kholem (hébr.) = rêve. ]lb Nvf reivlb bloyer fun blo = plus bleu que bleu. levv’c khvel = levv Cij ikh vel (+ verbe à l’infinitif indique le futur). Nij Niin geyn in = intéresser qqn, importer à qqn, avec datif. gn=g gang = marche.

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ANNE GIELCZYK

Qui a peur d’Olli Rehn ?

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epuis le départ d’Yves Leterme j’étais à la recherche d’un remplaçant, d’un nouveau personnage pour mes chroniques. Mais c’est Elio di Rupo ! me dites-vous. Mais non einh dites, vous imaginez Elio di Rupo devant la cathédrale un 21 juillet chantant La Marseillaise ? Ou déclarant à Libération que les Flamands sont « dans l’incapacité intellectuelle d’apprendre » le français ? Il sait trop bien les efforts que cela lui coûte de parler le néerlandais. Justement, je viens de voir Elio en néerlandais à la télé flamande, en direct alstublieft*. Il n’a peur de rien cet homme ! J’avais plus le trac que lui je crois. A chaque mot, j’attendais avec angoisse le blanc qui allait suivre immanquablement, le grand silence interminable ou le grand euhhhhh qui n’en finirait pas de s’étirer. Devant des centaines de milliers de spectateurs flamands. J’en avais déjà des sueurs froides et le cœur qui battait à tout rompre. Mais non, d’un mot à l’autre il a fini par y arriver, même si en passant il y avait quelques phrases – et je ne suis pas sûre que le mot « phrase » soit vraiment approprié – quelques « phrases » donc dont la signification nous a complètement échappé. Pourtant le propos était assez simple : il est le premier ministre de tous les Belges et de tous les Flamands et d’ailleurs il a découvert que les

Flamands in de straat (il voulait dire le tout-venant sans doute) étaient dynamiques, créatifs et solidaires (ouioui « solidaires », il n’a pas précisé avec qui) . Quel contraste avec les Flamands du Parlement, qu’il avait été les seuls à fréquenter jusquelà apparemment. Le journaliste, Ivan de Vadder, n’a d’ailleurs pas résisté à la tentation d’enfoncer le clou en lui demandant s’il avait donc fallu qu’il devienne premier ministre pour apprendre à connaître les Flamands ? Je ne sais pas très bien ce qu’il a répondu à cette question qui était à vrai dire plus une affirmation qu’une question. Ça devait faire partie de ces phrases sans queue ni tête et surtout sans verbe, à la prononciation totalement surréaliste. Enfin tout ça pour dire que le personnage Elio di Rupo ne remplacera jamais le personnage Yves Leterme, même s’il porte désormais un nœud pap gris.

N

on, je suis à la recherche d’un personnage influent mais sans aucun sex appeal, plus gestionnaire que politique, haut placé mais invisible. Grâce à Paul Magnette, je l’ai trouvé ! Il s’appelle Olli Rehn. « Qui connaît Olli Rehn ? » a demandé Paul Magnette, eh bien c’est fait, tout le monde le connaît maintenant. Comment ? ! Vous ne le connaissez pas ?

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Mais c’est le commissaire européen en charge des affaires économiques. C’est lui qui juge si notre budget est conforme aux règles européennes. Un pote à De Gucht. Des libéraux, comme beaucoup de commissaires. Même qu’il y aurait eu des contacts informels entre les négociateurs libéraux et Olli Rehn par le biais de Karel de Gucht. Maintenant on comprend pourquoi Alexander De Croo n’a pas voulu céder d’un pouce sur le budget. Ils se seraient mis d’accord entre amis politiques sur les mesures budgétaires que la Belgique doit prendre, ce qui énerve évidemment Magnette. On le comprend. Sans doute que ça énerve aussi Di Rupo mais maintenant qu’il représente tous les Belges, il ne le montre pas. Interpellé à la Chambre par la N-VA, il s’est même distancié officiellement des propos de Magnette. Chez les socialistes flamands, j’ai été très surprise d’entendre Johan Vande Lanotte soutenir Paul Magnette. Il a le droit de donner son avis selon Vande Lanotte et d’ailleurs il partage cet avis : cette politique d’austérité ne résoudra rien, bien au contraire. Elle ne fera que nous enfoncer encore un peu plus dans la récession. On en a pour 15 ans selon Magnette, pour 10 ans selon d’autres… bref, on a compris, pour longtemps. Il y a de quoi s’énerver.


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ais revenons-en à mon nouveau personnage. Olli Rehn, quel nom maginifique ! Même un enfant s’en souviendrait, d’ailleurs ça pourrait être un personnage de livres pour enfants, non ? Je le verrais bien dans une histoire de Fifi Brindacier ou de sa grande soeur, la punk surdouée Lisbeth Salander de Millenium. Fifi Brindacier, la petite fille la plus forte du monde, flanquée de ses amis Annika et Tommy, du cheval et de Monsieur Nilsson, le petit singe, s’en iraient à Bruxelles pour mettre un peu d’ordre dans tout ça et le remettre au pas ce commissaire Olli Rehn. D’ailleurs il est finlandais Olli, et Fifi, elle, est suédoise, donc ils sont voisins en quelque sorte. Je suis sûre qu’ils se comprendraient. Et si d’aventure, il ne comprenait pas, elle aurait vite fait de le mettre sur le premier train venu, direction Helsinki. Mais Olli Rehn lui raconte que ce n’est pas sa faute, que c’est la faute « des marchés » et de Standard&Poors qui a eu le culot d’abaisser la

notation de neuf pays européens sous prétexte maintenant que les mesures préconisées par l’Europe tueront la relance et hypothèquent l’assainissement. C’est exactement ce que dit Paul Magnette, ceci dit en passant. Olli n’y comprend plus rien, lui qui pensait bien faire en appliquant avec zèle les règles d’or de l’orthodoxie budgétaire. Quand on sait que la veille de la faillite de Lehman’s Brothers, les agences de notation leur attribuait encore un triple A, tout ce buzz à de quoi étonner... En tous les cas, le sang de notre intrépide Fifi n’a fait qu’un tour et le lendemain elle prenait l’avion pour l’Amérique. On attend avec impatience la suite de l’histoire, Fifi parviendra-telle à empêcher « les marchés » et Standard&Poors de s’enrichir sur notre dos ? Personnellement, j’enverrais bien aussi Lisbeth Salander fouiner un peu dans les ordinateurs de tous ces gens. Entre-temps, au sein du tout nouveau gouvernement belge, j’ai l’impression qu’à part les libéraux, personne ne soutient à fond cette politique d’austérité

budgétaire. Ça promet encore quelques heures chaudes et nocturnes au 16 rue de la loi lorsqu’il faudra adapter le budget aux prévisions économiques, qui ne manqueront pas d’être mauvaises. Sans compter la – première et sans doute pas dernière – grève générale du 30 janvier et bien sûr l’opposition qui tire à boulets rouges sur le gouvernement, c’est logique. Les Verts demandent qu’on investisse dans des emplois durables, c’est bon pour l’emploi et c’est bon pour l’environnement. Logique. La NVA, elle, estime qu’on fait payer le werkende Vlaming. On connaît la chanson. C’est pourquoi ils proposent qu’on fasse payer le chômeur wallon. Beaucoup de werkende Vlamingen semblent apprécier, la notation de la NVA sur le marché électoral en Flandre monte en flèche et Standard&Poors n’y est pour rien.

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ême les Congolais de MatongeBruxelles soutiennent maintenant la N-VA ! On a même vu des drapeaux flamands dans leurs manifestations. Les opposants congolais du terroir reprochent aux partis francophones de soutenir Kabila, là où les Flamands selon eux sont plus critiques. Ou comment les élections au Congo sont devenues une affaire communautaire belge. C’est dingue ça ? Totalement surréaliste ? Mais non, c’est la Belgique tout simplement. Réjouissez-vous les amis, on ne peut rêver meilleure preuve de son existence, non ? ■ * « De zevende dag », VRT één, dimanche 15 janvier

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activités vendredi 10 février à 20h15 Israël/Palestine : Un État, deux États? Débat entre

Dominique Vidal, éditeur de Palestine/Israël : un État, deux États ?

et

Leila Shahid, déléguée générale de Palestine pour la Belgique, le Luxembourg et l’Union européenne L’échec de la stratégie d’Oslo, après celui de la lutte armée, a rouvert le débat parmi les Palestiniens et leurs soutiens à travers le monde : un État, deux États ? Dominique Vidal a voulu faire le point sur cette question avec un ouvrage collectif. C’est à sa suggestion et avec plaisir que nous débattrons de ce problème stratégique (et de bien d’autres...) avec Leïla Shahid (déléguée générale de Palestine). Une discussion de fond indispensable... PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO

Jo Dustin 1936-2011

Jo Dustin, peintre et critique d’art, avait collaboré à Points critiques lui livrant articles et dessins politiques d’un humour acerbe et désenchanté. Il est décédé le 26 décembre 2011. Les membres du comité de rédaction de Points critiques adressent à Tessa Parzenczewski, son épouse, leurs sincères condoléances et l’assurent de leur plus profonde sympathie. Un dessin de Jo Dustin publié dans « Points critiques » en juin 2008

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samedi 11 février à 20h Nous serions très heureuses que les membres et amis de l’UPJB viennent découvrir nos deux chorales pour un

concert « sur mesure »

Rue de la Victoire La chorale de l’UPJB. Un répertoire de chansons de résistance, de lutte, de liberté, issus de différents pays et de différentes cultures et surtout puiser dans l’histoire de la maison...

Le Groupe

« Voix de voyageurs »

Une initiative du Planning Familial de la Senne, qui ouvre ses portes au chant. Un groupe ouvert à tous, personnes socialement fragilisées, demandeurs d’asile, femmes, hommes.. Chacun apporte une chanson de chez lui et l’apprend aux autres. Des chants du Rwanda, d’Afrique du Nord, de Bulgarie, d’Haïti forment ainsi notre répertoire. Mouchette Liebman et Lucy Grauman PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO

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vendredi 17 février à 20h15 Réflexions sur le débat libyen – un an après Conférence-débat avec

Gilbert Achcar, auteur notamment de L’Orient incandescent et de Les Arabes et la Shoah L’insurrection du 17 février 2011 en Libye a suscité un énorme débat dans les rangs de la gauche, et surtout de sa frange radicale. Plusieurs débats se sont croisés : sur la nature du régime de Kadhafi, sur la nature de la rébellion, sur les mobiles de l’intervention occidentale, sur les attitudes à l’égard de ces différentes questions. La discussion a mêlé désaccords de fond et nuances tactiques, beaucoup à gauche ne réussissant pas à faire la différence. Le débat le plus complexe a concerné l’attitude envers les interventions dites impérialistes, en raison du caractère exceptionnel du cas libyen. PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO

vendredi 16 mars à 20h15 La Grèce en morceaux, une évaluation de la crise Conférence-débat avec

Yannis Thanassekos, politologue, ancien directeur de la Fondation Auschwitz Modérateur : Jacques Aron

Seront abordées successivement les questions suivantes : •Spécificités de l’histoire grecque, unification tardive, convulsions sociales et guerre civile •Modernisation tardive et brutale (1974-2000) •Le maillon faible de la chaîne européenne. La dette souveraine, concentré de contradictions •2010-2012 : les mesures néo-libérales et leurs effets •Un champ d’expérimentation sociale et politique, le cobaye d’une épreuve de force •État-nation, démocratie, néo-libéralisme : peut-on avoir les trois à la fois ? •Les alternatives économiques et politiques, population, partis, mouvements

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vendredi 23 mars à 20h15 Les « gênes juifs » existent-ils ? Et dans ce cas... est-ce bon pour les Juifs ? Conférence-débat avec

Esther Vamos, chef de clinique et professeur honoraire en génétique médicale ULB Au cours de la dernière décennie, le champ d’application des analyses d’ADN s’est étendu, au-delà des domaines médical et juridique, à l’étude de populations d’organismes vivants, humaines en particulier. Une approche multidisciplinaire, combinant entre autres archéologie, histoire, littérature, linguistique et génétique moléculaire autorise désormais des tentatives de reconstitutions assez plausibles de l’histoire des grandes migrations de populations, caractéristiques de l’espèce humaine. La contribution de l’ADN est déterminante dans cette approche, en particulier quand on l’applique à l’étude de populations mobiles telles que les populations juives. On comprend donc l’intérêt suscité par ces recherches, tant à l’intérieur qu’au-delà de la communauté scientifique. À propos des populations juives, les résultats obtenus jusqu’à présent démontrent une étonnante diversité génétique, sous-tendue par quelques séquences d’ADN communes (mais non spécifiques !) aux trois grands groupes de populations juives : ashkenaze, sepharade et mizrahi (orientale). Ces données laissent largement ouverte la question des origines de ces populations juives. Au-delà d’un cercle restreint d’experts, le débat s’étend au grand public, par media interposés. Dans le climat passionnel qui prévaut actuellement au sein des communautés juives d’Israel et de la diaspora, on peut craindre une instrumentalisation politique des données, obtenues par ailleurs avec toute la rigueur scientifique voulue. PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO

Le

Regard de Léon Liebmann Cessant d’être une référence... je tire ma révérence

J’aurais pu donner un titre plus accrocheur à cet ultime « regard » dans une revue qui m’a accordé sa confiance pendant tant d’années et l’intituler « mon premier et mon dernier scoop ». Je dois en tout cas à mes lecteurs une explication de ma retraite, non pas anticipée – j’ai 80 ans bien sonnés – mais plusieurs fois postposée. Je laisse à des commentateurs plus jeunes et au moins aussi motivés que moi le soin de s’investir dans une rubrique permanente de Points Critiques. Par contre, je continuerai à assumer la revue de l’actualité politique belge dans le cycle des conférences du Club Sholem Aleichem. Place donc à mes cadets et cependant « à bon entendeur, salut ! ». Léon Liebmann

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agenda UPJB Sauf indication contraire, toutes les activités annoncées se déroulent au local de l’UPJB, 61 rue de la Victoire à 1060 Bruxelles (Saint-Gilles)

vendredi 10 février à 20h15 Israël/Palestine : Un État, deux États ? Débat entre Dominique Vidal, éditeur de Palestine/ Israël : un État, deux États ? et Leïla Shahid, déléguée générale de Palestine (voir page 36)

samedi 11 février à 20h

Concert des chorales Rue de la Victoire et Voix de voyageurs (voir page 37)

mercredi 17 février à 2Oh15

Réflexions sur le débat lybien – un an après. Conférence-débat avec Gilbert Achcar, auteur de L’Orient incandescent et Les Arabes et la Shoah (voir page 38)

vendredi 16 mars à 20h15

La Grèce en morceaux, une évaluation de la crise. Conférence-débat avec Yannis Thanassekos, politologue, ancien directeur de la Fondation Auschwitz (voir page 38)

vendredi 23 mars à 20h15 Éditeur responsable : Henri Wajnblum / rue de la victoire 61 / B-1060 Bruxelles

Les « gênes juifs » existent-ils ? Et dans ce cas... est-ce bon pour les Juifs ? Conférencedébat avec Esther Vamos, chef de clinique et professeur honoraire en génétique médicale ULB (voir page 39)

club Sholem Aleichem Sauf indication contraire, les activités du club Sholem Aleichem se déroulent au local de l’UPJB tous les jeudi à 15h (Ouverture des portes à 14h30)

jeudi 2 fevrier

« Mon parcours en écriture et, en particulier, l’écriture de récits de vie » par Lara Erlbaum, licenciée en philologie romane (ULB)

jeudi 9 février

« Autour de Garcia Lorca », textes lus et récités par Mina Buhbinder

jeudi 16 février

« La séparation parentale : quels risques pour l’enfant ? » par Nadine Kacenelenbogen, médecin généraliste

jeudi 23 février Congé

jeudi 1er mars

« Le Défi Energie ou comment réduire la consommation d’énergie par des petits gestes au quotidien? » par Jean Leseul , « animateur énergie » à Bruxelles-Environnement

Prix : 2 EURO

Les agendas sont également en ligne sur le site www.upjb.be


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