n°321 - Points Critiques - décembre 2011

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mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique décembre 2011 • numéro 321

orient Printemps arabes ? Hivers islamiques ?

Bureau de dépôt: 1060 Bruxelles 6 - mensuel (sauf juillet et août)

PAUL DELMOTTE

C

’est Zhou En-Laï qui, lorsque qu’on lui demanda un jour quel bilan il tirait de la Révolution française, avait répondu : « il est encore trop tôt »… Voilà qui vaut certainement pour les dites « révolutions arabes ». Il est néanmoins permis de faire certains constats, de poser certaines questions. Sur les évènements eux-mêmes comme sur notre façon de les voir. Révolutions arabes, Printemps arabe… Ce n’est pas le lieu d’entamer des débats sémantiques, quant à savoir si le terme de révolution – passablement galvaudé depuis la chute de Ceaucescu et les révolutions colorées ou florales – s’applique aux soulèvements populaires tunisien, égyp-

tien, libyen. Dans ces trois pays, le bouleversement s’est borné au renversement d’un despote et d’une partie de son entourage. Ce qui n’est, certes, pas peu de chose. Pour ce qui est de l’ordre socio-économique, rien n’autorise à parler de révolution.

VOUS AVEZ DIT « RÉVOLUTION » ? Au contraire. Au Caire, la junte militaire au pouvoir – le Conseil supérieur des forces armées (CSFA) – prend de plus en plus des allures dictatoriales et peut légitimement être soupçonnée d’attiser les tensions interconfessionnelles en vue, précisément, de maintenir l’ordre social ancien, national et international, e. a. face à un mouvement ouvrier déjà remarquablement combatif

BELGIQUE-BELGIE P.P. 1060 Bruxelles 6 1/1511

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sommaire

orient ➜

orient

1 Printemps arabes ? Hivers islamiques ? ......................................Paul Delmotte

israël-palestine

6 Chronique d’un voyage ............................................................ Henri Wajnblum

lire

8 Une jeunesse juive au pays des gardiens de la révolution . Henri Wajnblum 10 Au palais de la mémoire. Les poètes yiddish ...............Tessa Parzenczewski

mémoire(s)

11 La caserne Dossin. Le nouveau musée.................................................H. Flores

lire, regarder, écouter

14 D’un enfant l’autre et que le dernier ferme la porte............ Antonio Moyano

histoire(s)

16 Carthagène. Une jouvence de mémoire ..................................... Jacques Aron 18 Paysages de guerre. 100 ans de bombardement aérien ... Roland Baumann

yiddish ? yiddish !

! widYi ? widYi

20 Khelem oyf der mape – Chelm sur la mappemonde .............Willy Estersohn

humeurs judéo-flamandes 22 AAA...aaaaaïaïaïïïïe ......................................................................Anne Gielczyk

le regard 24 L’enlisement de la crise............................................................. Léon Liebmann

politique d’asile

26 Un procès de perdu, dix de ............................................. Youri Lou Vertongen 28 34 36

activités upjb jeunes les agendas

bien avant la chute de Moubarak. En Tunisie, suite à des élections quasiment irréprochables, il n’apparaît pas non plus que cet ordre socio-économique soit menacé, le grand vainqueur du scrutin, Ennahda, ayant lui-même pour mot d’ordre la stabilité et l’appel aux investissements étrangers. Même si certains déçus des élections, en Tunisie comme chez nous, semblent regretter, comme hier en Algérie, de ne pouvoir « changer de peuple ». Par ailleurs, une administration largement compromise avec l’ancien régime reste en place. De même qu’un fort mécontentement social dans un pays comptant 800.000 sans-emploi et un taux de chômage de 30% dans certaines régions. Enfin, en Libye, les suites d’une révolte qui s’est rapidement muée en guerre civile, semblent autoriser bien des craintes. Et le pouvoir mis en place grâce à l’intervention occidentale pourrait bien augurer, en matière d’autonomie financière et économique, non pas d’une révolution, mais d’une quasi contrerévolution. Trois cas à eux seuls fort dissemblables. Sans parler des évènements, récents ou en cours, au Bahreïn, à Oman, au Yémen et en Syrie. Le Printemps arabe serait-il une illusion d’optique ?

DE L’ORIENTALISME… Printemps arabe… Depuis notre « Printemps des peuples », en 1848, l’expression a fait florès. Et quoi de plus confortable que de plaquer sur d’autres aires de civilisation, nos propres balises, nos propres repères historiques ?

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J’ai dit ailleurs1, combien notre regard « occidental » sur l’Autre arabo-musulman restait imprégné de ce qu’Edward Saïd a appelé une vision orientaliste qui, comme le montre Thierry Hentsch2, s’est enracinée dans nos esprits depuis les Lumières et Montesquieu. Quel est le discours qui découle de cet orientalisme ? Celui que nous connaissons et entendons quasi quotidiennement depuis, grosso modo, la révolution khomeyniste de 1979. Celui qui dit : attention à ce « bloc monolithique » ; attention à ces peuples « ne fonctionnant qu’à la religion », « obscurantistes », « fanatiques » et « agressifs » ! Plus : incapables de s’élever à LA modernité de leur propre chef... Une chose m’a particulièrement frappé dans la couverture médiatique des « révolutions arabes » : la brusque disparition de ce discours et celle, après au moins trois décennies d’omniprésence, du terme « arabo-musulman ». Les « révolutions » étaient soudain (re)devenues « arabes»... Autre chose : le regard posé sur celles-ci m’est apparu comme une sorte de processus d’autocongratulation. Car il est une autre face de l’orientalisme : volontiers bienveillante, paternaliste, « accueillante » (sous conditions !), confiante dans le fait qu’« ils » parviendront – avec, bien sûr, notre aide – à devenir « modernes », « démocratiques » et laïques. Comme nous… Or, quelques mois plus tard, tout semble à nouveau basculer, et l’orientalisme « classique » réapparaître en force. Il a suffi, pour cela que les Frères musulmans égyptiens apparaissent comme la première force politique en Égypte. Que le président du Conseil national de transition (CNT) libyen évoque la charia et la polygamie. Qu’Ennahda obtienne 35% aux élections à la Constituante tunisienne.

TUNIS: SOUVENIRS D’ALGÉRIE « Et si, en Tunisie, la démocratie passait par l’islam ? », s’interroge Le Monde (26.10.11), posant là une question déjà ancienne… et profondément refoulée. Elle renvoie en effet à un article écrit voici vingt-six ans (!) par le politologue algérien Lahouari Addi3. Qui écrivait e. a. que « le fait que les islamistes sont susceptibles d’accepter les élections ouvre des perspectives de démocratisation dans les pays musulmans […] La libéralisation de la société […] est appelée à évoluer et à s’enrichir sans cesse ». L’on sait ce qu’il advint en Algérie : « l’interruption du processus électoral » par, comme l’appelaient les Algériens, la « mafia politico-militaire » – au demeurant cautionnée par la dite « communauté internationale » – et une guerre civile qui fit quelque 150.000 morts. Or, que peut-on voir aujourd’hui en Tunisie ? La victoire d’Ennahda n’a pas été un « raz-de-marée électoral » et apparaît ainsi moins effrayante que celle du Front islamique de Salut algérien à l’époque. Plus, Ennahda, qui n’a cessé d’évoquer sa « modération » en cours de campagne serait le premier parti à être « effrayé » par son propre succès, d’où ses appels incessants à une large coalition4. Enfin, cette « modération » ne date pas d’hier et les insinuations de « tactique électorale » relèvent ici en bonne partie du procès d’intention. Déjà au début des années 1990, Rachid Ghannouchi estimait que la démocratie « faisait partie des valeurs de l’islam » et en constituait même « l’une des valeurs de base »5. Et, déjà, précisait François Burgat, « bien peu, verront [dans ses propos] la preuve d’une réelle conviction démocratique. On préférera n’y voir [qu’un] double langage qui serait

l’apanage de tout adepte de l’islam politique en situation minoritaire »… La victoire des islamistes tunisiens est due, beaucoup le rappellent, à leur image de « parti des emprisonnés et des torturés »6, mais aussi à leur proximité du petit peuple, au fait qu’ils n’ont pas, contrairement aux « laïques » négligé l’intérieur du pays, à un discours identitaire efficace et, enfin, au fait qu’après vingt-trois ans de corruption au plus haut niveau de l’État, le Tunisien « désire aussi le retour de certaines valeurs […] Moins de voleurs et plus de valeurs »7. « On a d’abord voté pour un parti qui rassure, le parti de l’ordre et de la sécurité ». Voilà pourquoi e. a. les partis qui ont misé sur la diabolisation d’Ennahda se sont effondrés. « L’alternative : soit la Tunisie islamiste, soit la Tunisie laïque » mise en avant par certains « intellectuels et bourgeois libéraux, souvent francophones », constate l’envoyé du Nouvel Obs’, s’est transformée pour eux en un piège mortel8. Par contre, écrit Henri Goldman9, « pour la plupart des leaders progressistes tunisiens, il n’a jamais été question de s’aligner sur les obsessions – pavloviennes – des maîtres-penseurs d’outre-Méditerranée. » Ce dont on peut, je pense, se réjouir avec lui.

UN CERTAIN GOÛT POUR LE THRILLER En Libye, les révélations savamment distillées après coup par les médias – quant aux motivations invoquées pour justifier une intervention occidentale qui se serait soldée, selon certains, par 30.000 morts – semblent ne susciter que l’indifférence. Ainsi, l’article du Monde (8.11.11) qui fait état du déploiement de sous-marins français et de discussions entre états-majors

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➜ français et britannique « pour répartir les zones d’intervention respectives » – et cela plus d’un mois avant les premières frappes censées « protéger les civils » de Benghazi d’un massacre certain, le 19 mars… Pourtant, voilà qui semble peser bien peu face aux propos du président du CNT libyen, Mustafa Abdel Jalil, affirmant le 23 octobre, que la charia serait la base de la nouvelle législation dans la Libye post-Kadhafi. Peu importe aussi que, face aux « vives inquiétudes » que son discours aurait suscitées chez ses « parrains » occidentaux, Mustafa Abdel Jalil ait ensuite tenu à « minimiser » la portée de sa « petite phrase » et affirmé : « nous sommes des musulmans modérés ». Dans une Libye où, au demeurant, « la majorité de la population se montre attachée à un islam du juste milieu » et estimerait que « l’islam doit être la source de la législation, mais dans le cadre d’un État civil »10. Peu importe aussi que, dans une interview au Monde (4-5.09.11), Abdelkrim Belhaj, gouverneur militaire de Tripoli et ancien membre du Groupe islamique combattant libyen, ait tenu à se déclarer favorable à un « État civil avec des libertés réelles », nie toute assimilation à Al-Qaïda et démente tout « agenda particulier » par rapport au CNT. Ne serait-ce là, comme chez R.Ghannouchi, que « double langage » ?

CHERCHER LES FEMMES Sans même trancher dans un sens ou dans un autre, il n’est pas inutile d’écouter la réaction au discours du président du CNT, d’une Libyenne11: « la Charia ? Allons ! Ce n’est pas le texte, le problème. C’est l’interprétation machiste qui en est faite ». Ni d’écouter

Baudouin Dupret, politologue et juriste belge, spécialiste du droit islamique et directeur du Centre de recherche Jacques Berque de Rabat12: c’est dans la plupart des constitutions arabes, à l’exception de la Tunisie et du Maroc, que la charia est source principale de droit, mais « cela ne présage en rien du type de lois qui sera adopté ». Par ailleurs, dans tous ces États, hormis l’Arabie saoudite et le Soudan, « l’influence de la charia ne se fait sentir que sur le droit de la famille ». Or, Ennahda s’est engagé à laisser en l’état le code de statut personnel bourguibien. Et la Libye détient le plus grand pourcentage de femmes juristes dans le Monde arabe13. L’on sait, grâce e. a. à Germaine Tillon14, que l’enfermement des femmes est plus dû à une société patriarcale et, plus encore, tribale ou clanique, qu’à l’islam en tant que tel. Par ailleurs, la femme a très souvent constitué un fantasme majeur des haines et des peurs humaines. En témoigne « l’arme du viol ». En témoignent les accusations des antisémites et des nazis de l’entre-deux-guerres, qui considéraient les Juifs comme une menace pour la « pureté » de la femme allemande, des propagateurs de la syphilis, les maîtres des réseaux de « traite des blanches »… Y aurait-il – outre cette insupportable tendance occidentale à « donner des leçons » – quelque chose de cet ordre à l’œuvre dans les cris d’alarme qui se multiplient chez nous au sujet du sort futur des femmes tunisiennes, égyptiennes, libyennes ? Joue ici aussi l’orientalisme, dont l’une des caractéristiques fondamentales consiste à systématiquement se fier davantage à des considérations abstraites fondées sur

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les textes fondamentaux de l’islam que, remarque Hentsch, sur « l’évidence directe tirée des réalités orientales modernes ». On l’a dit : Ennahda – dont on a peu souligné que la principale porte-parole était « en cheveux » – s’est engagé à laisser en l’état le code de statut personnel et à respecter les droits des femmes. Ce que « même les militantes féministes […] ne mettent pas en doute », selon le Nouvel Obs’. Sur les 49 Tunisiennes élues, 42 sont d’Ennahda. Et, ce, comme le concèdent deux universitaires françaises15 (tout en s’en désolant) «grâce» à une obligation légale de… parité des listes ! Ce qui n’est pas sans rappeler non plus l’Algérie de 1990, où une réforme électorale interdisant le vote par procuration des maris avait, à la grande surprise de certaines féministes laïques, contribué au succès du FIS…

LIBYE: LA BOÎTE DE PANDORE ? Comme en Irak, comme en Afghanistan, les « Protecteurs unifiés » du peuple libyen auraient-ils voué celui-ci à de nouvelles tragédies encore à venir ? À commencer par les risques de partition. Demain, le CNT aura encore affaire aux chefs tribaux dont l’autorité est restée prédominante sur le terrain. Or, les tribus les plus importantes ont soutenu Kadhafi ou au moins fait preuve d’attentisme. Plus, certaines tribus de l’Ouest ont vécu la victoire du CNT comme une invasion venue de l’Est. Il s’agira aussi de parvenir à soumettre le sud-ouest du pays, le Fezzan, où la « résistance » au CNT persiste, et d’affronter les aspirations autonomistes des Toubous du Sud. Déjà, le fief de la grande tribu des Warfalla, Bani Walid, se-

rait retombé aux mains des proKadhafi… Se focaliser sur un « péril islamiste » en Libye, risque donc d’occulter des dangers autrement réels et angoissants qui guettent le pays. Il apparaît comme évident que, demain, la part de l’État libyen dans les revenus du pétrole, jugée trop importante au regard des postulats libéraux – c’était là à l’évidence l’un des motifs de l’intervention occidentale – déclinera. Et partant les ressources que tiraient les tribus d’une redistribution savamment équilibrée de la rente pétrolière par le régime du Guide. Indubitablement, le Libyen verra chuter son niveau de vie qui, jusqu’au conflit représentait, on l’oublie trop souvent, trois fois celui de l’Égyptien et deux fois celui du Tunisien16. Qu’en ressortira-t-il dans un pays bourré d’armes ? L’on sait combien la politique sociale des mouvements islamistes a toujours compté dans leurs succès. Et l’on peut considérer qu’en cas d’éclatement du pays, seul le recours à l’islam sera à même d’apporter la légitimité symbolique nécessaire à sa réunification.

PAS D’ANGÉLISME « L’on ne change pas la société par décret » disait un sociologue français des années 1970. La sincérité des leçons de démocratie que prodiguent nos dirigeants peut à juste titre être mise en doute, venant de la part de ceux qui, jusqu’hier, furent les meilleurs soutiens des dictatures arabes. Quant aux appels à la démocratie imposée émanant d’une certaine « gauche bombardière », ils semblent, tout sincères soient-ils, relever en bonne partie de l’invocation. Peut-on croire que des sociétés

en proie à des inégalités sociales criantes, au sentiment d’appartenance nationale vacillant et soumis à des relations néocoloniales17 puissent « par décret » adopter un régime de démocratie parlementaire qui ne soit pas perverti ? Toute société recèle des « tendances lourdes ». Croit-on que le machisme qui « interprète » la charia – largement partagé en fait par les soi-disant « laïques » de la région – disparaisse du jour au lendemain ? Il est plus réaliste de compter sur certains signaux, comme le fait qu’en Égypte, une partie de la jeunesse des Frères musulmans s’est rebellée contre le conservatisme des leaders et a rallié la contestation18. L’éditorial cité du Monde (26.10.11) a raison : c’est « faire injure […] aux Tunisiennes que de décréter […] que le succès d’Ennahda sonne le glas de leur « printemps ». Cela vaut pour les Libyennes et les Égyptiennes. Cessons en effet de « faire injure » aux féminismes islamiques19, au grand nombre de femmes qui, en foulard, ont les mêmes aspirations à un mieux être et à des droits accrus que leurs consœurs laïques. Le processus est connu : en recrutant en masse les femmes, les partis islamistes leur offrent aussi, peut-être nolens volens, une tribune et une audience qui peut s’avérer plus large que celles dont disposent ces mêmes consœurs laïques. Et l’on peut penser qu’un mécanisme similaire agira en ce qui concerne tous les « laissés pour compte ». Il est tout aussi angélique de penser que les dirigeants des partis islamistes, parce qu’ils expriment les ressentiments et les aspirations du « petit peuple » et rejettent l’hégémonie occidentale,

se mueront en dirigeants révolutionnaires et tenteront d’instaurer un ordre socio-économique rompant avec le capitalisme libéral mondialisé. Mais, comment réagiront demain ces « laissés pour compte » si les états-majors politiques qui se targuent aujourd’hui, non sans raisons, d’exprimer leurs aspirations leur font défaut ? Comme le disait Antonio Gramsci, « on ne peut prévoir que la lutte ». ■

E. a. in Les « révolutions arabes » et nous. Regard autocritique, interview, Les Sentiers de la paix, n°54, avril 2011. 2 E.Saïd, L’orientalisme. L’Orient créé par l’Occident, Le Seuil, 1997 – T.Hentsch, L’Orient imaginaire, Ed. de Minuit, 1988. 3 L’islam politique et la démocratie : le cas algérien, in Hérodote, n°77, 2e trimestre 1995 – L. Addi enseigne à l’Institut d’études politiques de Lyon (IEP). 4 Kapitalis, journal électronique tunisien, in Courrier international, 3-9.11.11 5 François Burgat, L’islamisme en face, La Découverte, 1995, p.14. 6 Gilles Kepel, in in Le Nouvel Observateur, 3.11.11. 7 Kapitalis/Courrier international, 3-9.1111 8 François Reynaert, in Le Nouvel Observateur, 3.11.11 9 Sur son blog, le 31.10.11. 10 Libya-al-Youm/Courrier international, 27.10-2.11.11. 11 Le magazine du Monde, 12.11.11. 12 Interview au Monde, 15.09.11. 13 Le magazine du Monde, art. cit. 14 Le harem et les cousins, Le Seuil, 1966. 15 Barbara Loyer et Isabelle Feuerstoss, in Le Monde, 15.11.11. 16 Marc Vandepitte, in De Wereld Morgen (24.10.11) : au niveau de l’IDH, la Libye détenait la 53e place, la Tunisie la 81e, et l’Égypte la 101e . 17 Lire Ghassan Salame (dir.), Démocraties sans démocrates. Politiques d’ouverture dans le monde arabe et islamique, Fayard, 1994. 18 Le Monde Magazine, 9.07.11. 19 Lire à ce sujet Najate Zouggari, Féminismes islamiques, in La Revue des livres (RdL), n°2, novembre-décembre, 2011. 1

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israël-palestine Chronique d’un voyage HENRI WAJNBLUM La deuxième partie de cette chronique paraîtra en janvier

D

u 28 octobre au 5 novembre, j’ai accompagné un groupe de 17 personnes dans les Territoires palestiniens occupés. Pour la plupart d’entre eux, c’était leur première visite. Leur but était de voir par elles-mêmes si ce qu’elles avaient lu ou entendu dans les médias était conforme ou non à la réalité. Nos déplacements… Jérusalem, Silwan, les camps de réfugiés de Dheisheh et d’Aida, Jénine, Naplouse, Qalqilya, Jéricho, Hébron, Ramallah, Wadi Foukin, Sheikh Jarrah, se sont quasi tous faits au départ de notre hôtel à Bethlehem. Étant donné que nous avions délibérément choisi un car portant une plaque palestinienne, nous ne pouvions dès lors pas passer par Jérusalem distante de quelques kilomètres à peine, et nous avons vécu ce que vivent chaque jour les Palestiniens qui doivent se rendre à ou revenir de leur travail dans l’une ou l’autre ville ou village. Ce qui ne doit normalement prendre qu’une demi-heure ou une heure, en prend automatiquement le double en raison des routes en lacets et fortement escarpées.

BETHLEHEM Lorsqu’on se réveille à Bethlehem et que l’on commence à parcourir les ruelles de la vieille ville, on pourrait croire que tout va

La fête de l’olivier à Bethlehem

pour le mieux dans le meilleur des mondes… foule bigarrée et nombreuse qui se presse devant les échoppes du marché, il faut dire que nous étions à quelques jours de la fête de l’Aïd, ambiance bon enfant… Le jour de notre arrivée dans la ville, c’était la fête de l’olivier. Spectacle de danses, de chants et discours d’officiels dont Salam Fayyad, le premier ministre. Beaucoup de stands sur la place principale, surtout des stands d’associations féminines qui attestent de l’importance des femmes dans la société palestinienne d’aujourd’hui qui compte des milliers d’hommes incarcéré dans les prisons israéliennes. Ambiance de fête donc… Mais que l’on ne s’y trompe pas… En poussant un peu plus loin, on est soudain confronté à

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une autre réalité, celle de ce mur monstrueux qui serpente à travers la ville et l’enclave littéralement, rendant la situation de ses 30.000 habitants des plus précaires (40% de chômage) ; celle de ces colonies qui l’encerclent comme autant de miradors : Har Homa, Gilo, Maale Adoumim… et la coupent totalement de son hinterland.

DHEISHEH Dheisheh est un camp de réfugiés créé en 1949 aux portes de Bethlehem. Il compte aujourd’hui quelque 13.000 habitants sur moins d’un kilomètre carré (!) qui viennent de 46 villages juste de l’autre côté de la ligne verte dont ils ont été chassés en 1948 lors de la création de l’État d’Israël. Il est autogéré par un comité populaire constitué de représentants des

différentes organisations politiques et associations du camp. Une des principales préoccupations et tâches du comité est de fournir du travail et donc de quoi subsister aux habitants du camp où le chômage touche près de 80% de la population. Il s’évertue aussi à résoudre les problèmes d’accès (argent et transport) des étudiants à l’université. Un jeune représentant du camp nous fait visiter et nous raconte… Dheisheh a toujours été à la pointe de la lutte contre l’occupation et des deux Intifadas et il leur a payé un lourd tribut, nombreux morts et blessés et, aujourd’hui encore, quelques centaines de ses habitants sont incarcérés dans les prisons israéliennes. En raison de cette résistance, il a droit une ou deux fois par semaine à des incursions de l’armée israélienne à la recherche de tel ou tel activiste. Au camp de Dheisheh, l’occupation militaire a eu un impact particulièrement important sur la condition des femmes. Avec le nombre important d’hommes tués, blessés, emprisonnés ou infirmes, beaucoup de femmes sont devenues la seule source de revenus du foyer. Elles doivent subvenir aux besoins de leur famille tout en continuant d’entretenir la maison, s’occuper des enfants et de leur éducation. Mais ce sont les enfants, 50% de la population du camp, qui sont les plus touchés par la pauvreté croissante et la violence permanente qui les privent d’une enfance normale malgré les efforts fournis par le Centre culturel de Ibdaa, dont l’objectif déclaré est de créer une atmosphère positive pour les enfants, et la Société vision d’avenir pour le développement des capacités (Areen) qui vise à fournir un meilleur avenir pour les enfants et les jeunes. Les habitants du camp qui le

Sur le mur du camp d’Aïda

quitteraient perdraient aussitôt leur statut de réfugiés et, donc, l’aide de l’UNWRA (l’Agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens) qui assure les soins de santé, l’éducation et la fourniture de denrées de base. Ils restent donc, ce qui fait que le camp, ne pouvant le faire en superficie au sol, est obligé de se développer en hauteur.

AIDA Créé en 1950 à la limite nord de Bethléem, ce camp abrite environ 5.000 réfugiés palestiniens, originaires de 41 villages de la Palestine mandataire. Bordé au nord par le « Mur », ce camp a fréquemment été l’objet d’incursions de l’armée israélienne depuis la deuxième Intifada. Nous y rencontrons Abdelfattah Abusrour, coordinateur du centre Alrowwad (Les Pionniers), une institution indépendante, non gouvernementale qui n’est affiliée à aucun parti politique et à aucune organisation confessionnelle. AbdelFattah Abusrour a fait ses études en France. Né dans le camp, il y est revenu après l’obtention de son diplôme de docteur en génie biologique et médical. Mais il était également féru de

théâtre. C’est ainsi qu’il a créé le centre Alrowwad qui propose aux enfants des deux sexes, de 10 à 15 ans, des activités de théâtre et d’arts plastiques mais aussi une formation sur ordinateur et une petite librairie. Il s’agit pour lui d’offrir aux jeunes d’autres perspectives que la violence : la résistance à l’agression et à la violence israéliennes par l’expression artistique. Durant l’adresse qu’il nous a faites, il a répété à maintes reprises son credo et celui qu’il inculque à « ses » jeunes : demain sera meilleur que le jour qui passe… Nous avons eu droit à une depka endiablée par un groupe de jeunes garçons et filles, certaines d’entre elles portant le foulard et d’autres pas. À la question de savoir s’il avait des contacts avec des pacifistes israéliens, il nous a répondu très clairement par la négative, estimant que les Israéliens devaient d’abord et avant tout faire le ménage chez eux. Après, tout serait possible. Mais aujourd’hui, il n’est pas intéressé par la photo d’un Israélien et d’un Palestinien se serrant la main pour prouver que la coexistence est possible alors que celle-ci n’est pas à l’ordre du jour pour Israël. [à suivre... ] ■

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lire Une jeunesse juive au pays des gardiens de la révolution HENRI WAJNBLUM

T

éhéran, années ‘80, la révolution islamiste a eu lieu. Sheyda est une jeune fille juive née dans une famille traditionnelle mais sans plus, on mange casher à la maison mais pas lorsqu’on va au restaurant… Elle vit avec ses parents, sa sœur et l’un de ses frères, l’autre ayant émigré en Israël la veille même du départ du Shah, une émigration organisée par l’Ambassade d’Israël. Les personnes importantes de son entourage sont sa tante Sara qui, sous sa gaieté apparente, cache une énorme blessure, celle d’avoir été mariée avant même d’être pubère, et son oncle Darius, athée convaincu, qui a encore foi en cette révolution à laquelle il avait aspiré, malgré les exactions dont il est témoin. Sheyda fréquente une des plus anciennes écoles juives de filles de Téhéran. Quelle n’est pas la surprise des filles de s’entendre annoncer un beau jour que l’école serait désormais ouverte six jours sur sept ; jamais, au grand jamais, l’école n’avait été ouverte le shabat… Mais puisqu’il s’agissait d’une école juive, pourquoi n’avoir pas choisi d’ouvrir l’école le vendredi ? Est-ce en raison de la présence d’une petite minorité d’élèves musulmanes ? Alors pourquoi n’avoir pas décidé de donner cours aux élèves juives le vendredi et aux musulmanes le samedi ?

Les temps sont bien en train de changer, malgré les engagements des nouveaux dirigeants à permettre aux minorités religieuses de pratiquer leur religion. Sheyda a quinze ans et elle fréquente de plus en plus assidûment la maison de la jeunesse juive : « Être ici, me permet de fuir la réalité du dehors. Je me retrouve dans un autre monde où l’on ne me reproche plus de discuter avec des garçons ou de ne pas porter le voile ». Elle s’est inscrite au groupe de « la culture juive ». Les garçons ne portent pas la kippa : « En Iran, les juifs ne portent la kippa qu’à la synagogue ou lors des cérémonies et presque jamais dans la rue ». Sheyda ne nous dit pas s’il s’agit là d’une tradition ou tout simplement de la crainte d’être montrés du doigt… Ce jour-là, l’ordre du jour est aux présentations, et à la question de savoir en quoi chacun se sent juif… Sheyda observe les visages qui l’entourent. « J’essaie de repérer ce qui nous lie. Ces visages n’éveillent aucun sentiment en moi. Je me dis que cela ne changerait rien s’ils n’étaient pas juifs. Je ne les connais pas. Pourtant nous sommes tous juifs. Je me dis que peut-être, à force de passer trop de temps avec les Juifs, je n’ai jamais appris ce que « ne pas être juif » signifie vraiment ». C’est à son tour de s’exprimer, et lorsque vient le moment de devoir ré-

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pondre à la question, elle répond, sans réfléchir : « Je ne sais pas ». C’est là qu’elle se lie d’amitié avec Kamyar, un garçon qui, sous son sourire constant, cache une âme tourmentée, pleine de doutes : « Tu sais, je pense que c’est dans la souffrance que l’homme commence à remettre tout en question. La souffrance fait fonctionner le cerveau. Elle fait en sorte que tu as toujours ce mot en tête : pourquoi ? », tellement tourmentée qu’il finira par se suicider. Un jour, un jeune garçon, Ali, fait irruption dans la maison de la jeunesse juive en demandant qu’on le cache car il est poursuivi par des gardiens de la révolution. Kamyar, sans hésiter, lui demande de le suivre et l’entraîne au sous-sol. Soudain, le responsable du groupe explose et reproche violemment à Kaymar ce qu’il vient de faire, l’accusant de mettre ainsi en danger, non seulement leurs vies, mais aussi celles de tous les Juifs iraniens… S’ensuit un débat houleux sur le sens de la solidarité une fois qu’elle vous sollicite autrement que par des discours. La majorité du groupe prend le parti de Kamyar et Ali ne sera pas débusqué par les gardiens de la révolution qui le cherchent. Il sera arrêté plus tard et exécuté comme des milliers de jeunes qui avaient milité contre le régime du Shah mais qui ne peu-

vent accepter le régime obscurantiste qui l’a remplacé. C’est par Kamyar que Sheyda fait la connaissance de Pejman, un grand garçon, non juif, extrêmement brillant. Kamyar, Pejman et leur ami Hamed ont l’intention de créer un groupe littéraire et Kamyar propose à Sheyda d’en faire partie. Leur première rencontre a lieu à la place de l’Imam Hossein… Lorsqu’elle s’avance vers eux et qu’elle leur tend la main, Pejman regarde à gauche et à droite avant de la lui serrer. Il faut dire que les gardiens de la révolution n’admettent pas de voir se promener ensemble filles et garçons… Pejman est un garçon qui ne parvient à parler de lui que par écrit. Sheyda est tout étonnée de recevoir un jour une lettre de lui alors qu’elle ne l’a encore rencontré qu’une seule fois, tous les échanges des textes émanant de leur groupe littéraire, qui s’est élargi entre-temps, se faisant par des intermédiaires. Dans cette lettre, il confie combien il se sent

enfermé dans une cellule qu’il s’est lui-même construite et dont il voudrait tellement sortir… Les liens entre Sheyda et Pejman vont aller en s’approfondissant. Ils ne peuvent plus se contenter de se parler au téléphone. Ils ont besoin de se voir malgré le danger que cela constitue. Elle sait qu’elle ne doit pas lui serrer la main car cela pourrait attirer l’attention de ceux qu’il vaut mieux éviter, non pas parce qu’il s’agit d’une Juive et d’un musulman, mais tout simplement d’un garçon et d’une fille : « Malgré l’immense angoisse qui nous étreint lorsque nous nous baladons ensemble dans la rue, nous avons appris à l’apprivoiser. Ou peut-être que ce que nous obtenons en échange est tellement vital que nous acceptons de l’affronter sans grande difficulté ». Un jour, Pejman téléphone à Sheyda, il doit absolument la voir pour lui parler de quelque chose d’important. Lorsqu’il arrive chez elle, il commence par lui dire « La situation est grave. On doit faire très attention. Dorénavant, lorsqu’on se donne rendez-vous par téléphone, il faut éviter de citer des noms de lieux. Il faut qu’on remplace le nom de chaque endroit par des codes ». Sheyda n’y comprend rien mais Pejnam ne veut pas lui en dire plus, il dit que c’est préférable comme ça, qu’il vaut mieux pour elle qu’elle ne sache rien, qu’il préfère lui faire peur plutôt que de la mettre en danger : « Comme ça, si on t’interroge, tu n’es au courant de rien ». Il ajoute que ce n’était pas seulement pour lui parler de la situation qu’il voulait la voir, mais de quelque chose de plus important. Mais il ne lui est pas possi-

ble de le dire comme ça, il préfère le lui écrire et lui demande s’il peut aller dans sa chambre. Il en sort après un long moment et lui dit d’aller voir. Elle voit un billet de deux lignes sur son bureau : « Viendrais-tu avec moi. Je veux que tu me répondes sincèrement. Tu peux tout me dire. Mais s’il te plaît ! Sois sincère ». Lorsqu’elle lui demande où il voudrait qu’elle vienne avec lui, il lui répond : « Je ne peux plus rester ici. Cela devient trop dangereux. Je dois quitter ce pays pour aller vivre ailleurs ». C’est cette simple phrase, viendrais-tu avec moi, qui tiendra lieu de déclaration d’amour… Et c’est ainsi que la vie de Sheyda bascule… Oui, elle veut suivre Pejnam dans l’exil mais elle sait ce que cette décision va entraîner comme conséquences… Et de fait, c’est un véritable cataclysme qui s’abat sur sa famille… Comment peut-elle ainsi vouloir transgresser les tabous qui veulent qu’on n’épouse pas quelqu’un hors de sa communauté ? Même l’oncle Darius aux idées si avancées se détourne d’elle. Mais elle tiendra bon. Après moult péripéties, Sheyda finira par rejoindre Pejnan à Bruxelles où il a atterri par hasard, ayant été refoulé de Suède. Et c’est à Bruxelles qu’il a finalement obtenu l’asile politique.. Le roman autobiographique de Mojgan/Sheyda Kahen se lit d’une traite. Dans un style d’une grande inventivité, l’auteure nous fait partager ses joies, ses émotions, ses angoisses, son combat pour s’affirmer et assumer ses choix, dans un Iran en proie à la chasse aux opposants. ■ Mojgan Kahen Les murs et le miroir L’harmattan 266 p., 24,50 EURO

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lire

mémoire(s)

Au palais de la mémoire. Les poètes yiddish

La caserne dossin. Le nouveau musée H. FLORES

TESSA PARZENCZEWSKI

K

De g. à dr. : Mendl Elkin, Peretz Hirshbein, Uri-Zvi Grinberg, Peretz Markish, Melekh Rawicz, Israel Joshua Singer. Varsovie 1922

haliastra. Le mot-clé, le mot qui a tout déclenché. Pierre, jeune cadre dans une banque, déniche dans une bouquinerie, en traduction française, le numéro 2 de la revue Khaliastra, paru à Paris en 1924. La couverture est de Chagall : une tour Eiffel et une banderole en caractères hébraïques. Une mention y figure : « Paris-Varsovie ». Pierre achète la revue, et découvre un poème de Uri-Zvi Grinberg. Ébloui, il veut en savoir davantage. Il n’est pas juif, une grand-mère qu’il n’a pas connue et dont il ne sait rien était polonaise. Polonaise, Juive ? Il restera dans le doute. Il décide d’apprendre le yiddish pour lire Grinberg dans le texte original. Alors commence une longue quête. Dans un palais à Rome, vit Sulamita, presque centenaire. Une immense bibliothèque contient les œuvres des écrivains yiddish. Sulamita est une mémoire vivante. À deux voix, deux « je » monologuent ou, plus rarement, dialoguent. Telle une Schéhérazade en fin de vie, Sulamita fait revivre par bribes, comme un feuilleton à suivre, les poètes qu’elle côtoya pendant son enfance, ceux qui ont créé Khaliastra, la Bande : Peretz Mar-

kish, Uri-Zvi Grinberg et Melekh Rawicz. Et nous plongeons avec le narrateur dans la Varsovie des années 20, une Varsovie où la culture yiddish s’épanouit en revues, théâtres, où la maison de l’Union des Écrivains ne désemplit pas. Et où la modernité s’engouffre. Une avant-garde à l’écoute du monde mais aussi attentive aux signes avant-coureurs de la catastrophe annoncée, fait entendre une voix nouvelle qui dynamite le langage ancien et les codes figés. Des échos futuristes, des accents expressionnistes caractérisent les œuvres de ces écrivains. Inséparables à Varsovie, Markish, Grinberg et Rawicz emprunteront des chemins différents. A leur suite, nous parcourons l’Europe et bien au-delà. Melekh Rawicz voyagera dans le monde entier avant de se poser à Montréal. De ses périples, il ramènera des sortes de poèmes – reportages, réflexions sur la condition humaine aux quatre coins de la terre. Uri-Zvi Grinberg choisira très tôt la Palestine, renoncera au yiddish, écrira en hébreu et rejoindra la droite pure et dure. Personnage emblématique, impétueux, séducteur, Peretz Markish rentrera en Union Soviétique, où il poursuivra son œuvre

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poétique dans un État de moins en moins tolérant envers le yiddish et l’affirmation d’une identité juive. Et comme nous le savons, il finira sous les balles staliniennes. Il laisse une œuvre âpre, lyrique, aux images insolites, aux rythmes percutants. « Et je porte toujours sur l’épaule l’opprobre/ L’opprobre de la servitude/ La honte du pardon/ Mais sous le bras j’emporte/ Un rayon comme une cigogne/ En mille cœurs je l’écartèlerai/ Chantant de tout mon sang un cantique à la vie/. » Dans la dernière partie, nous suivons le narrateur à Tel-Aviv, à la rencontre des descendants des poètes disparus. Et là, le prête-nom semble s’effacer, c’est vraiment l’auteur qui nous parle, Gilles Rozier, l’animateur de la bibliothèque Medem de la Maison de la culture yiddish à Paris. Gilles Rozier, qui dans ce livre, a su capter et restituer l’extraordinaire effervescence littéraire yiddish qui régnait à cette époque à Varsovie, en ces temps où les rues Nalewki, Krochmalna et Mila n’étaient rien d’autre que des repères dans une ville… ■ D’un pays sans amour Gilles Rozier Grasset 443 p., 21,50 EURO

A

u plus tard lors de la dernière commémoration à la caserne Dossin – c’était le 11 septembre dernier –, on a pu se rendre compte que la construction du nouveau Musée avançait rapidement et que la date limite pour son inauguration – prévue pour septembre 2012 – serait sans aucun doute respectée. Si certains ne manqueront pas de se réjouir de ce qui sera un jour l’aboutissement d’un important projet, d’autres, et j’en fais partie, ne peuvent manquer de se trouver confrontés à de nombreuses questions, dont plusieurs laissent déjà perplexe l’observateur attentif. Qu’on se rassure : s’il est aussi certainement un édifice de prestige flattant à sa manière le pouvoir politique qui s’est associé à sa réalisation et qui l’a soutenue, le nouveau bâtiment, qui se situera donc en face de la caserne, manifestera à sa façon la préoccupation de ce pouvoir à l’égard de la Mémoire, et j’ai d’autant moins l’intention de le nier que, pour moi, les vrais problèmes sont ailleurs.

L’APPELLATION Pourquoi d’abord avoir changé le nom de l’endroit, puisque, dorénavant, on ne parlera plus du

« Musée de la déportation et de la résistance », mais de la « Caserne Dossin : Mémorial, Musée et Centre de documentation sur l’Holocauste et les Droits de l’Homme » ? « Holocauste » n’ayant son vrai sens que lorsqu’il renvoie très précisément à la « Shoah » ou au « Judéocide » au sens fort, et non à ce que par exemple les Américains en ont fait avec une série à grand succès portant le même nom, seule l’ancienne caserne, si elle avait été entièrement conservée telle quelle, serait restée capable de le rappeler vraiment. Ne reconnaît-on pas en effet qu’elle est « la preuve matérielle du plus grand crime de guerre qui se soit jamais perpétré sur le sol belge dans le cadre d’un génocide1 » et que, « depuis cette antichambre de la mort située en plein centre du pays, à Malines, 25.484 Juifs et 351 Tziganes ont été déportés vers Auschwitz-Birkenau2 » ? En ce sens, la caserne Dossin représentait déjà à elle seule l’anéantissement de ces Juifs et Tziganes, dont on sait vers quelle fin tragique leur déportation à partir de Malines les a conduits. Pourquoi aussi avoir remplacé le terme « résistance » par « droits de l’homme », comme si ces derniers ne reposaient pas sur la résistance au sens premier, celle donc qui, trouvant sans doute

son aboutissement dans la forme qu’elle prend généralement en temps de guerre, est la condition sine qua non d’une vraie démocratie au niveau de la vie quotidienne ? Dire que la « résistance » n’est plus actuelle n’a peut-être de vérité que lorsqu’on se borne à l’envisager sous l’angle de la place mineure qu’elle occupe parfois dans un certain paysage mémoriel ; il n’en a aucun lorsqu’on la considère dans ce qui, source et socle, fait d’elle le terreau dans lequel les droits de l’homme s’enracinent et se ressourcent constamment. C’est en tant que grand résistant que Stephan Hessel fut secrétaire de la commission ayant élaboré la Déclaration universelle des Droits de l’homme; il savait très bien à quoi il coopérait. Dans son sens fondamental, la « résistance » a un caractère corrosif et actif, qui engage en faveur des droits évoqués plus haut ; c’est elle d’abord qui est le vrai moteur de leur préservation. N’est-ce pas dans cette perspective qu’on pourrait songer à compléter un jour, dans les multiples inscriptions que l’on peut voir sur des pierres commémoriales ou à d’autres endroits, le terme « résistant » par « défenseur d’abord des droits de l’homme » ? Lorsqu’on parle de « déportation », on oublie

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Capture d’écran

➜ un peu trop souvent beaucoup de monde – la nouvelle appellation « Musée » pourrait le faire aussi : tous ceux qui, reconnus officiellement ou non – ceci constitue un autre chapitre –, et mettant là leur vie en danger, ont directement sauvé des Juifs, tous ceux aussi qui, via de multiples réseaux, se sont appliqués à saboter les plans des Allemands de toutes les façons possibles, et qui ont réussi ainsi à empêcher que le résultat de la « déportation » évoquée soit encore plus désastreux qu’il ne l’a été. Ce serait un lourd handicap pour un esprit se voulant de réforme d’avoir… perdu la mémoire, que ce soit en tout ou en partie ; en effet, aucune mémoire défectueuse ne peut être vraiment au service de la Mémoire.

POLITIQUE ET INDÉCENCE Une des questions que, selon moi, on aurait dû se poser avant de se lancer dans la construction du nouveau Musée, c’est celle de ce qui, avec cette construction, serait resté en définitive de la caserne Dossin elle-même, réduite d’ici peu à survivre à l’ombre de l’édifice grandiose et flambant neuf dont les dimensions ne pourront que l’écraser. Bien sûr, dira-t-on non sans fondement, c’est seulement de 75 % de cette caserne qu’il a été décidé un jour qu’ils appartiendraient

au secteur immobilier, cela après la rénovation et la transformation qui en feraient un tout loti en un grand nombre d’appartements. Mais ces 75% deviendraient nécessairement inaccessibles puisqu’ils seraient alors entièrement et définitivement consacrés à des propriétés privées. Il aurait été alors impossible , non plus – c’eût été trop tard – d’enclencher un processus comme celui auquel on peut parfois recourir lorsqu’il s’agit par exemple de stopper la réalisation d’une bretelle d’autoroute ou la construction d’un centre commercial ou sportif, mais de recourir à celui de l’expropriation ; ceci n’aurait pu, pour le moins, que valoir bien des problèmes inextricables aux autorités politiques et dresser contre elles des sensibilités dont il n’aurait peutêtre déjà pas fallu beaucoup pour les rendre plus hostiles que jamais. C’est bien avant que, témoignant par là d’un vrai sens de ce que peut être le tragique et montrant ainsi que préserver intégralement la caserne Dossin comme un des points de départ par excellence de la déportation avait une utilité vraiment publique, on aurait dû penser ou oser penser plus loin. Un peu de vrai courage – celui qui ne se laisse fléchir par aucun argument économique ou politique – aurait suffi pour que, plutôt que s’atteler à l’édification d’un gigantesque bâtiment

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qui présentera certes bien des côtés séduisants, on s’emploie à respecter absolument un lieu où tant de personnes ont passé leurs derniers moments sur le sol belge avant d’être déportées et anéanties dans les pires conditions. Les différentes parties engagées se seraient-elles senties mal à l’aise devant ce qui reste un sujet tabou ? Sans doute, les « visiteurs » pourront-ils, désormais et entre autres, « terminer leur visite (des nouveaux lieux) avec la vue sur l’ancienne caserne », « se détendre devant l’ancienne caserne » à partir du « banc de plusieurs mètres » qui leur permettra de « (la) regarder », et même « visiter » encore « le mémorial de l’ancienne caserne3 » ; voilà cependant qui n’empêchera pas que le nouveau Musée se sera en quelque sorte bâti sur les ruines de celui, pour toujours douloureusement vivant, qu’aura été et que restera l’ancienne caserne Dossin. Je n’ose penser ici aux sentiments éprouvés par les survivants et leur famille devant l’indécence d’une telle situation, d’autant que, du début du projet jusqu’à en tout cas aujourd’hui, on n’a rien entendu du tout du bruit des protestations et des manifestations qui ont entouré par exemple l’affaire du fameux Carmel à Auschwitz. Dans le cas qui nous occupe, c’est alors toute la question de la nature de l’accord qui a

dû être conclu entre les différentes parties qui est posée…

PRUDENCE COMMUNAUTAIRE À ma connaissance, devant la complexité du paysage politique et culturel en Belgique, la communauté juive préfère, par prudence peut-être, garder le silence : après tout, la caserne Dossin a jusqu’ici mis à sa disposition des lieux pour rappeler la tragédie qu’elle a vécue, et le nouveau Musée continuera à le faire, avec tout ce qu’il apportera à ces lieux à sa manière. Mais pourquoi sera-t-il advenu avec l’ancienne caserne Dossin ce qui n’est en tout cas pas encore advenu avec le Fort de Breendonk ou le Fort de Huy ? C’est que, en poursuivant dans le sens d’une certaine logique que je ne m’expliquerai jamais, on aurait pu tout aussi bien, pour le premier, lotir une bonne partie de son terrain, et, pour le second, ériger un hôtel sur un morceau de son espace ; à son avantage, l’hôtel en question aurait alors pu proposer une « vue imprenable » sur la ville de Huy et sur le pays qui l’entoure, avec les avantages touristiques qu’on devine… J’en resterai persuadé : il n’eût pas été trop que, parce que conservée alors telle quelle dans sa totalité, la caserne Dossin ait pu rester, jusque dans ses coins et

recoins les plus secrets, le témoin de ce à quoi, entretenue et même parfois attisée par certains pour satisfaire leurs ambitions personnelles, la « haine ordinaire » peut finir par conduire ; et c’est bien ce qui lui arrive lorsque, sur fond de racisme parfois à peine dissimulé, elle se confond déjà avec arrogance et mépris de l’autre. Notre pays lui-même en donne hélas un bien pénible exemple chaque fois que, sans être pour autant sévèrement sanctionnée en haut lieu comme il conviendrait, la « haine » évoquée s’autorise à aller chercher, jusque dans le vocabulaire le plus primaire dont sont capables même certains hommes politiques, des mots ou formules à la mesure de sa dangereuse stupidité. Ne pas permettre qu’on comprenne clairement cela aussi – et le nouveau Musée aura à le faire s’il veut être vraiment crédible – , ce ne serait aucunement éviter le piège consistant à « instrumentaliser dans les débats de politiques actuels les 25.835 victimes qui sont commémorées à Dossin4 » ; ce serait au contraire, par une forme de lâcheté déguisée en prudence, être ou se faire le complice de leurs bourreaux, quel que soit le manteau de respectabilité dans lequel on chercherait à se draper ici. On le sait ou devrait se le rappeler : même l’« enfer » peut être « pavé de bonnes intentions ». L’exemple de ce qui est arrivé aux

« victimes » évoquées ci-dessus est aussi, du côté de leurs tortionnaires cette fois, celui de ce qui peut arriver à n’importe quel individu lorsque, devenu lentement incapable de résister à des slogans ou à des idées toutes faites aussi manipulateurs que savamment distillés, il ne se confond plus qu’avec la bête qui sommeillera toujours en lui. Si donner à la pédagogie l’occasion entre autres de « partir des nombreux lynchages des Noirs aux États-Unis5 » ou de « travailler au harcèlement à l’école qui dégénère6 » est louable – le nouveau Musée ne se trompe pas en y voyant un bel exemple de travail à faire –, aller jusqu’au bout de ce qui fait partie de notre vérité belge, avec les odeurs nauséabondes qu’il lui arrive parfois de dégager, ne pourrait que l’être aussi… ■

In Kazerne Dossin : Mémorial, Musée et Centre de dcoumentation sur l’Holocauste et les Droits de l’Homme. Note conceptuelle, Herman Van Goethem, Version de la Journée d’étude SOMA-CEGES du 20 octobre 2010, p. 13. 2 Idem. 3 Pour ce qui est entre guillemets dans cette dernière phrase, voir op. cit., p. 13-14. 4 Op. cit., p. 9. 5 Op. Cit, p. 12. 6 Ibid. 1

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lire, regarder, écouter D’un enfant l’autre et que le dernier ferme la porte... ANTONIO MOYANO

D

es enfants, des ados, j’en vois tous les jours, je veux juste vous parler de ceux que j’ai croisés récemment dans des livres ou des films. La Fura dels Baus a mis en scène l’opéra Œdipe, et qui quittait la scène en dernier ? L’enfant (rôle muet) qui a tout vu, tout entendu, le gamin qui guide le devin Tirésias… Car une fois c’est trop peu, car une fois c’est pas assez. Alors, faute de mieux, je n’y suis allé que trois fois. Où ça ? Voir Œdipe, l’opéra d’Enescu à La Monnaie. Oui, trois fois ! Et à chaque fois, l’émotion était au rendez-vous, normal ! j’attendais cet instant depuis juillet 1996 ! Bravo la patience ! C’est vers cette époque, il est vrai, que la Sphinge se présenta à moi, s’exprimant en baragouin et d’une voix très fluette, elle me dit : Approche, approche, encore plus près, encore plus près – Sale garce, t’as vu tes griffes ?, lui dis-je. Tu me prends pour un con ou quoi ! ? Et puis tout à trac, péremptoire et sarcastique, elle gueule comme un putois : Veuxtu de l’amour, OUI ou NON ? Constantin Cavafis (1863-1933) l’avait écrit dans un poème intitulé Che fece… il grand rifiuto : « À quelques-uns arrive un jour / d’avoir à choisir entre le grand Oui / et le grand Non. »1 Revoir trois fois Œdipe était donc, en quelque sorte, un pèlerinage : je ravivais en moi la flamme d’une amour mor-

te. Mais les ouïes et les mirettes bien vivantes et ouvertes, oh que si ! Dis-nous, et musicalement, c’était comment ? Plus j’écoute plus j’aime, c’est sûr. Mais l’effet le plus bœuf c’est de tout écouter d’un coup, alors qu’à la maison, je savoure le CD comme du chorizo, par tranches +/- épaisses, +/- longues mais jamais en son entier. Alors que live, toute la musique est à l’avant de soi, tel un paysage qui vallonne, monte et grimpe et dont l’ascension ou l’horizon vont nous offrir surprises et allégresse ! Et visuellement, que t’en reste-t-il ? Beaucoup d’images mais par manque de place je ne peux tout te dire, alors disons : la Sphinge descendue du ciel en Stuka, avion que la foule en liesse va dépecer comme un gros animal, images du J.T. tout droit venues de Bagdad ou Tripoli, avion touché/tombé que la foule démantibule et emporte pièce par pièce. Et Œdipe ayant retrouvé la vue et se perdant dans l’éclatante lumière du bois sacré, qui reste en dernier ? Un enfant (rôle muet). Et d’un enfant l’autre… « Donc dépuis ce temps-là, partout où je vais les gens sont là m’appeler ‘ Pétit Minitaire ’, ‘ Pétit Minitaire ’. Même je suis très connu dans Doukana. Tous les jeunes jeunes sont là dire que je suis un dur. Marier jolie fille de Lagos… » Parler p’tit nègre ou « anglais pourri » ? Hé bien, voici Méné, l’enfantsoldat, le ‘ Pétit Minitaire ’, héros

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du roman Sozaboy (Poche/Babel, 312 pages) de l’écrivain Ken Saro-Wiwa (1941-1995). Né au Nigeria, cet écrivain a été condamné à mort et exécuté par pendaison le 10 novembre 1995 avec huit autres leaders du MOSOP (Mouvement pour la Survie du Peuple Ogoni) par le gouvernement nigérian du général Sani Abacha pour son activité militante en faveur de la communauté Ogoni dont il était issu. Et quelle aventure que de lire Sozaboy ! Avouons-le, au début il faut s’accrocher, même s’il y a un glossaire, on s’y perd, what is that : mousso ? mamiwatta ? tchoko-tchoko ? cui ? Et très vite, comme pour y voir clair, on se lance à tout lire à voix haute. Et c’est l’envol magique ! Car la voix est « le support » de ce long monologue où le naïf petit homme nous raconte ses malheurs et ses désillusions quand il voit l’atroce gueule de la guerre, et sa tristesse d’avoir perdu et sa maman et son Agnès qui avait des seins si beaux comme « avec ampoules 100 watts » ; et pourra-t-il un jour revoir son Doukana natal ? Village où le vieux Zaza, un ancien soldat, ne cesse de radoter sur une ancienne guerre du temps de sa jeunesse très loin du pays : « On appelle la place-là Birmanie. Oh, Birmanie, je peux pas oublier Birmanie-là. Mais c’est pas Blanc-là avec grand maison avec long long camion-là que je cherche. Pas de tout de tout. C’est Hitla je cherche

partout. Je pense dans mon ventre, où est ce couillon-là… » Birmanie ? Hitla ? Vous voyez c’est qui ? Hitler et Germanie, bien sûr. « La langue de Pétit Minitaire est ce que j’appellerais de « l’anglais pourri », c’est-à-dire, un mélange de pidgin nigérian, de mauvais anglais et, çà et là, d’expression en bon anglais ou même en anglais idiomatique », écrivait Ken Saro-Wiwa en 1985. Ce roman m’a totalement chaviré et cela pour quatre raisons : a) Le voyage dans cette langue qui est nôtre et une autre. b) Alors que c’est tragique, on sourit jaune et bizarrement. c) L’optimisme forcené du gamin finit par nous donner envie de chialer. d) Dès qu’il s’agit du destin d’un gosse, ça me prend aux tripes, allez savoir pourquoi ? ! D’un enfant l’autre… Élise B. vous connaissez ? Ce court roman de Yveline Stéphan (l’aube/poche n°92, 166 pages), avant même de le lire, c’est la couverture qui m’a tout de suite plu, je croyais y reconnaître un tableau de Moïse Kisling. Élise B. est une enfant cachée et qui a grandi dans la complète ignorance du destin de ses parents, de son passé, de sa vie d’avant. « Il existe des familles où l’on peut faire un arbre généalogique sans trous. (…) Mais quand vous ne connaissez plus les noms, quand il n’y a plus de traces, plus d’état civil, plus ou pas de pierres tombales. Quand il n’y a plus personne à qui demander comment c’était ‘ dans le temps ’ » . (p.91) et « …j’avais entrepris les démarches nécessaires et même fait un procès pour retrouver ma véritable identité, mon véritable nom. Et ceci, il y a plus de vingt ans. » (p.27) Ce roman en pointillés, aussi délicat qu’une esquisse laisse au fond de soi un goût d’amertume. Tout en se méfiant des « grands mots », il trace le portrait d’une femme hor-

rible et égoïste qui était persuadée d’être le parangon de la bonne salvatrice. D’un enfant l’autre… Le fils adolescent de celle qui est morte dans un attentat, et dont le corps est longtemps resté dans le frigidaire de la morgue, ce gaminlà en veut au monde entier. Difficile à amadouer, va-t-il un peu faire confiance au Directeur des Ressources Humaines venu depuis Jérusalem ramener la dépouille de sa mère dans son village natal en Roumanie ?2 D’un enfant l’autre… Voici les enfants de Madame la patronne, la maquerelle et gérante de la maison close L’Apollonide3, frère et sœurette jouent aux soldats, à la poupée, révisent leurs leçons parmi les putes déambulant en camisole. Et d’étranges larmes coulent des yeux de celle qu’on surnomme La Juive, des larmes aussi épaisses et gluantes que du lait concentré. Ah sacredieu ! Je me cache les yeux pour ne pas voir son sourire qui fait mal et les incises qui rappellent son supplice. D’un enfant l’autre… Voici Anto, le petit vendeur ambulant qui sillonne la nuit les maquis de Kinshasa où ça danse et ça drague, Anto qui vend des babioles, mouchoirs en papier, chewinggums ou téléphones portables et qui va gagner le gros lot par sa toute fraîche amitié avec Riva, ce mec qui flambe le fric pour une fille aux cheveux rouge dans Viva Riva !4 D’un enfant l’autre… Voici Violetta qui sous le Nikon de sa mère (folle d’ambitions et de renommées, et qui se gargarise du mot art ! art ! art ! sublime Isabelle Huppert, odieuse à souhait !) métamorphose sa fillette, sa très jolie princesse, My Little Princess5 en vamp, Marlène Dietrich, call-girl, pin-up, maquillée comme une catin, les lèvres rouge sang, « écarte donc tes cuisses, un peu plus,

un peu plus… », et tout ça sous un bric-à-brac mortifère de bondieuserie, dentelles et couronnes mortuaires. D’un enfant l’autre… Et terminons par une grosse, grosse déception… Qui sont Les Géants6 dans ce film ni chair ni poisson ? Certainement pas les trois jeunes ados Zak, Seth et Dany, ils se font shooter et entuber par tout le monde ! Ils ne croisent sur leur route que des monstres dégénérés, cupides et veules ! Et moulez muscade : les seuls êtres potables, aimables et gentils vous savez quoi ? L’une ne pipe pas un mot ou gagatise au piano un sirop écœurant, et l’autre est une débile profonde, est-on dans un conte cruel ? Non, en Wallonie, savezvous, merci ! Et pourquoi avoir enlaidi ces trois garçons d’une coloration de blondasse insipide ? Ils n’ont pas de bol, franchement ! Est-ce un clin d’œil à l’action très DADA des footballeurs roumains lors d’une Coupe du Monde de Football, ils sont montés sur le terrain tous teints en blond pétant ! Les enfants au cinéma, c’est pas toujours un label de qualité ! Où sont les gens de la production ? Offrez donc, en stoumelings, au réalisateur une poignée de scénaristes et quelques gagmen. D’un enfant l’autre et que le dernier… Ne claque pas la porte, s’il te plaît ! ■ Constantin Cafavis, En attendant les barbares et autres poèmes, préface, traduction et notes de Dominique Grandmont, Poésie/Gallimard. 2 Le Voyage du Directeur des Ressources Humaines, film de Eran Riklis, Israël, 2009, 103 min. 3 L’Apollonide, souvenirs de la maison close, film de Bertrand Bonello, France, 2010, 125 min. 4 Viva Riva !, film de Djo Tunda Wa Munga, Congo, Kinshasa, 2011, 98 min. 5 My Little Princess, film d’Eva Ionesco (Marc Cholodenko aux dialogues et scenario), France, 2011, 105 min. 6 Les Géants, film de Bouli Lanners, Belgique, 2011, 84 min. 1

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histoire(s) Carthagène. Une jouvence de mémoire JACQUES ARON

Inscription du parc public central

I

emporté le dernier numéro de notre consœur française diasporiques, qui rapportait précisément l’une des étymologies possibles du nom « Espagne » – scientifique ou légendaire ? – : I-chpanim, se seraient écriés les Carthaginois, « les lapins ! », en voyant détaler en masse ces mammifères*. Le mot sémitique (les Carthaginois descendent des Phéniciens) aurait été transformé par leurs successeurs romains en Hispania. Depuis deux décennies, ce creuset de cultures métissées a systématiquement axé sa politique urbanistique et culturelle sur la mise en valeur de cette sédimentation séculaire. Le fleuron en est le vaste théâtre romain (restauration et architecture muséale exemplaire du grand architecte Rafael Moneo), entièrement remis à jour après son ensevelissement pro« Que fais-tu pour éviter cela ? ». Affiche du Musée de la gressif jusqu’à sa Guerre civile

l y a 20 ans, cette ville espagnole sur la côte méditerranéenne, à la latitude de Palerme, faisait piètre figure dans les destinations touristiques du pays. Fondée par Hannibal en 227 avant notre ère, elle vit succéder aux Carthaginois, les Romains, les Wisigoths, les Byzantins, les Arabes, etc. J’avais

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disparition complète sous le quartier des pêcheurs qu’il a fallu raser. Des restes de la Muraille punique, jusqu’à l’architecture la plus récente, l’éventail d’un riche passé s’est ainsi déployé récemment dans le centre historique, autour des cinq collines que les Romains aménagèrent avec faste dès qu’ils eurent pris possession de la « Nouvelle Carthage ». Comme on le sait, plus le passé est proche et plus il fut le témoin de conflits politiques et sociaux, plus problématiques sont sa présentation et sa représentation. Les plaies de la guerre civile sont loin d’être cicatrisées et les traces des clivages politiques qui traversèrent la société, quasi jusque dans chaque famille, affleurent encore dans toutes les conversations avec des Espagnols. Carthagène fut un bastion fidèle à la République, le principal port de sa flotte, son dernier rempart. Aussi la Légion Condor, déjà connue pour son bombardement de Guernica (avril 1937), s’y livra-telle à de nombreux raids destructeurs, contre lesquels la ville se dota d’un réseau impressionnant d’abris creusés dans la roche ; l’un d’eux est aménagé aujourd’hui en musée. L’aide des fascistes italiens et des nazis fut détermi-

nante dans ce prologue à la Seconde Guerre mondiale. Le défilé franquiste de la victoire en 1939 s’ouvrit par un bataillon de chemises noires et les pilotes allemands fermaient la marche. Mais la pédagogie mémorielle connait là comme partout ses limites et ses ambiguïtés. À première vue, la crise économique est peu visible dans le centre urbain. Elle est pourtant présente et là comme ailleurs, dans ce terreau multiculturel, le racisme refait surface, dirigé surtout contre les travailleurs immigrés africains, comme en témoigne cette inscription du parc public accompagnée de croix gammées et des symboles habituels : « Nous devons assurer l’existence de notre race et un avenir pour les enfants blancs ». Quand la mémoire s’incarne dans la représentation de l’un de ces concepts-valises qui fleurissent aujourd’hui (terrorisme, totalitarisme, etc.) sans se référer à un évènement ou à un contexte précis, l’équivoque se prolonge dans la réception du mémorial et dans l’attitude du public à son égard. Sur la promenade du port, face à une baie naturelle d’une exceptionnelle grandeur, une sculpture monumentale évoque depuis 2009, sous une figure humaine,

toutes les victimes du terrorisme ; les enfants y grimpent volontiers et quelques femmes « libérées » se font complaisamment photographier, la main posée sur le sexe de l’homme nu et entravé. Nulle part la conscience civique ne se bâtit en un jour. ■ *

diasporiques, cultures en mouvement, n° 15, septembre 2011 (postmaster@diasporiques.org).

Monument aux victimes du terrorisme

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histoire(s) Paysage de guerre. 100 ans de bombardement aérien ROLAND BAUMAN

O

Harun Farocki. Serious games 4 : A Sun with no Shadow. 2009-2010 © Harun Farocki

uvert en septembre 2010, près de la place Clichy, à l’emplacement d’une guinguette dans les années 1920, le Bal, fondé par l’association des Amis de Magnum Photos, que préside Raymond Depardon, est un lieu de réflexion sur « l’image-document », photographie et vidéo, à l’heure où la surabondance d’images numériques liée à la crise actuelle de l’information visuelle et le triomphe planétaire de la société du spectacle suscitent toujours plus d’opacité et de confusion face au réel. La photographie de guerre reste un genre majeur définissant le photojournalisme et l’histoire de la coopérative Magnum Photos. Pourtant l’exposition montrée cet automne au Bal porte un regard insolite sur la guerre qui ne se réduit jamais à des séries d’images de bataille, ni d’instantanés de scènes de combats. Topographies de la guerre questionne le discours de l'image de guerre et les conditions dans lesquelles ce discours se construit et se propage aujourd'hui dans les médias. Privilégiant la neutralité et banissant les représentations stéréotypées des conflits contemporains, les oeuvres photographiques ou vidéo rassemblées dans cette exposition ne nous montrent pas en effet d’affrontements armés, ni de tragédies humaines. Donc, pas de combattants héroïques, ni de corps souffrants ou de victimes civiles pathétiques, mais une ambi-

tion documentaire manifeste, qui choisit la « totale désincarnation de la guerre ». Une focalisation sur les sites, les positions, les espaces... Des « essais topographiques » privilégiant une lecture de la guerre par sa géographie. Paysages d’un monde en guerre, désertés par les combattants et les victimes, mais qui restent habités par la mémoire des conflits. Ces visions topographiques de la guerre, bannissant l’humain du champ de bataille, coïncident dans le domaine stratégique avec l’usage croissant de techniques de simulation et d’armes qui agissent à longue distance. Alors que se généralisent la censure médiatique et l’impossibilité pour les photographes d’agir librement sur le terrain, le territoire de la guerre est en train de devenir une donnée abstraite, irreprésentable, sinon pour les images vidéo transmises en temps réel par les technologies visuelles indispensables à la mise en oeuvre des armes modernes. Ainsi, Paola De Pietri photographie dans les Alpes les stigmates de la Première Guerre mondiale, paysages sublimes dans lesquels l’artiste traque les ruines des combats acharnés que s’y livrèrent Italiens et Austrohongrois en 1915-1917. La Sudafricaine Jo Ratcliffe photographie les champs de bataille de la guerre civile angolaise (19752002), ce conflit aussi meurtrier qu’interminable dont elle s’efforce de retrouver les paysages. L’artiste d’origine irakienne Jananne AlAni réalise des séries de photos

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aériennes au-dessus du désert jordanien : vues énigmatiques de sites dont la nature nous échappe et le caractère militaire reste hypothétique, objectifs inconnus enregistrés par la caméra dont le mouvement imite celui de l’avion de bombardement. Photographe américaine, d’origine vietnamienne, AnMy Lê documente le camp d’entrainement de 29 Palms en Californie où sont formés les Marines destinés à combattre en Irak. Bien curieux jeux de la guerre dans des paysages dignes de studios de cinéma, censés être identiques aux sites du Moyen-Orient, notamment grâce aux savoir-faire d’accessoiristes hollywoodiens. Le cinéaste Harun Farocki dans Serious Games 4 évolue au coeur de la nouvelle topographie désincarnée de la guerre et s’intéresse aux jeux vidéo préparant les soldats à l’expérience du combat, mettant à leur disposition un catalogue de scénarios. Dans Outposts, le photographe Donovan Wylie s'intéresse aux tours de guet britanniques positionnées au sommet de collines à la frontière entre Irlande du Nord et du Sud. Aujourd’hui démontées, certaines de ces structures panoptiques se retouvent installées sur le théâtre d’opérations afghan, alignées comme des sentinelles et évoquant des scénarios de guerre anciens à l’ère des conflits sans visibilité, des missiles de croisière et des drones de surveillance et d’attaque. La préparation de la guerre

passe aujourd’hui par les jeux vidéo. Le film d’une bavure américaine commise au pringtemps 2010 dans les faubourgs de Baghdad et diffusé par Wikileaks témoigne de la « déréalisation » qui caractérise la guerre aujourd’hui. Cette vidéo prise d’un hélicoptère Apache montre le survol d’un attroupement suspect et le mitraillage d’une dizaine de personnes puis d’un véhicule venu aider les blessés. Une dizaine de morts dont deux journalistes et des enfants grièvement blessés. Un « fait d’arme » de militaires formés dans un monde virtuel et qui, comme l’attestent leurs échanges radio jubilatoires, sont tout à fait insensibles à la violence qu’ils infligent. Les travaux de Walid Raad documentent l’histoire contemporaine du Liban et sa longue guerre civile. Dans Aïda, Palestine, Till Roeskens demande aux habitants du camp Aïda à Bethléem d’esquisser des cartes de ce qui les entoure. Les dessins sont enregistrés en vidéo ainsiq que les récits animant ces géographies subjectives. Des récits comme actes de résistance à l’occcupation israélienne. L’architecte israélien Eyal Weizman et le photographe Luc Delhaye réalisent The Space of this Room is your Interpretation, oeuvre inspirée par l’essai de Weizman À travers les murs sur les nouvelles techniques de guerre urbaine montrant comment les soldats israéliens, pour ne pas se déployer dans les rues où ils

seraient vulnérables aux tirs de snipers, progressent en passant de maison en maison, à travers les murs des habitations palestiniennes. Technique de progression qui, selon Weizman a été conçue par des généraux inspirés par Deleuze et les Situationnistes, penseurs radicaux dont ces spécialistes de guerre subversive se réapproprient le discours radical.

UN SIÈCLE DE GUERRE AÉRIENNE Le 1er novembre 1911, durant la guerre italo-turque en Lybie, un officier italien effectuait le premier bombardement aérien en lançant des grenades sur un campement ottoman proche de Tripoli. Shock and Awe, « le choc et l’effroi », paraphrasant le titre d’un classique de la stratégie aérienne américaine dans les années 1990, un colloque à l’université de Londres s’est penché sur les dimensions historiques et culturelles d’un siècle de guerre aérienne, s’intéressant en particulier aux rapports entre l’Occident, son histoire coloniale et l’histoire de ses conflits. Une réflexion nécessaire alors que, depuis le 11 septembre et l’intensification des conflits du Proche-Orient à l’Afghanistan, certaines des théories sur la guerre aérienne développées dans l’Empire britannique après 1918 dans le cadre du maintien de la domination coloniale sont redevenues d’actualité dans les réflexions des stratèges militaires. Eyal Weizman était un des orateurs de ce colloque, dont l’exposé in-

augural a été présenté par Sven Lindqvist, auteur de Maintenant tu es mort. Le siècle des bombes (2002) et de Exterminez toutes ces brutes (1999), un essai retraçant la généalogie moderne du judéocide dans l’imaginaire occidental du colonialisme à la fin du dix-neuvième siècle. L’histoire du bombardement aérien retracée par Lindqvist est un réquisitoire implacable associant les écrits des penseurs de la guerre aérienne aux extraits d’oeuvres de fiction qui, bien avant l’invention des frères Wright, rêvent de suprématie aérienne et d’arme absolue destinée à mettre fin à la guerre par l’extermination de l’adversaire... Comme le montre l’historien israélien Martin van Creveld, dans son nouvel ouvrage de synthèse sur l’histoire de la guerre aérienne et les mythes de la puissance aérienne, l’ère des «chevaliers du ciel » est bien révolue. Ainsi, en Lybie, l’aviation de combat vient de montrer une fois de plus son manque d’efficacité dans un conflit non-conventionnel. L’aviation a été incapable de gagner à elle seule la bataille, contrairement aux prévisions des militaires lors du déclenchement de la campagne de frappes aériennes de l’OTAN contre les forces pro-Kadhafi. Les coûts exorbitants des avions de combat expliquent l’essor rapide des systèmes sans pilote, missiles, satellites et drones. La mystique du Top Gun fait donc place à l’hégémonie du joystick, brouillant les frontières entre le jeu de la guerre et sa réalité... ■ Exposition: Topographies de la guerre, jusqu'au 18 décembre 2011, La Bal, 6 Impasse de la Défense, 75018 Paris (Me-Ve 12-20h, Sa-Di 11-19h) ; www.le-bal.fr Colloque Shock and Awe, London School of Economics and Goldsmiths, University of London, 10-12 novembre 2011 Martin van Creveld, The Age of Airpower, Public Affairs, 2011

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! widYi ? widYi

Yiddish ? Yiddish ! PAR WILLY ESTERSOHN

ep=m red Fyvj Melec

khelem oyf der mape Chelm sur la mappemonde

TRADUCTION LITTÉRAIRE DE BATIA BAUM Chargé de deux besaces l’ange de Dieu / Plane d’un bout à l’autre du monde : / L’un des sacs bourré à ras bord de sottise, / L’autre plein de sagesse à éblouir les yeux. (...) Mais en chemin l’un des sacs s’est percé / Et tout le lot de sottise s’est renversé, / Et sous ce malheureux coin de ciel / Reposait justement la ville de Chelm.

Dans la tradition juive d’Europe orientale – pour des raisons qui échappent aux historiens – la ville de Chelm (Mlec khelm ou Melec khelem en yiddish), dans le sud-est de la Pologne, est celle des simples d’esprit. Chelm a été, pendant des siècles, la cible des blagues et des contes juifs.* Le poème qui suit nous raconte la légende à l’origine de la réputation des habitants de Chelm. Son auteur : Miryam Ulinover (Lodz, 1890 – Auschwitz, 1944), dont Points critiques a déjà publié deux textes. Nous vous soumettons la traduction littéraire de Batia Baum figurant dans l’ouvrage qui rassemble les poèmes de Miryam Ulinover : Un bonjour du pays natal, édit. Bibliothèque Medem, Paris. * Voir le site Akadem, « campus numérique juif ».

tbevvweg Cjlm st]g t]h yyvvq tim Celkez tym geshvebt

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di grod hot

k=z zak = sac ; dimin. lkez zekl (au pluriel : Celkez zeklekh). Cjlm malekh (hébr.) = ange. Nbevvw shvebn = voler, planer. Svtw shtus (hébr.) de même que tyykwyr=n narishkeyt =

tr] Ncelkylgmvj Nkiz]d Med retnvj Nvj ort

REMARQUES

un

sottise. Np]rp propn = bourrer (de Np]rp propn = bouchon). hmcx khokhme (hébr.) = sagesse. Ndnelb blendn = éblouir, aveugler. sgevv retnvj unter vegs = en chemin, chemin faisant. Nq=lp platsn = exploser, craquer. Ntyw shitn = verser, répandre. tr] ort = lieu, endroit, place. tr] rekiz]d red der doziker ort = cet endroit-ci. d]rg grod = justement, par hasard. Nevr ruen = se reposer.

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ANNE GIELCZYK

AAA...aaaaaïaïaïïïïe

B

on les amis, fini de rigoler. On en a bien profité pendant 500 jours (et des poussières) mais les affaires courantes, les petites dépenses au jour le jour, quelques soldats en Afghanistan, des avions de chasse en Lybie, une banque par ci, une banque par là… c’est fini tout ça. Maintenant c’est du sérieux, nous allons avoir un gouvernement, un vrai, avec de vrais pouvoirs, un vrai budget et un véritable premier ministre. Pas un pâle type, qui confond Brabançonne et Marseillaise, mais un flamboyant Wallon d’origine italienne ! Peu de pays qui peuvent s’enorgueillir d’avoir à leur tête un fils d’immigrés, homo de surcroit ! Mais – Belgique oblige – l’important, c’est le fait qu’il est wallon, les amis. Le dernier gouvernement dirigé par un Wallon date de 1973. Edmond Leburton – né à Waremme, mort à Waremme – et vivement critiqué par les Flamands pour son absence de connaissance du néerlandais, selon Wikipédia. De ce côté-là rien de neuf donc. Paraît que la femme de ménage nigériane de Bart De Wever maitrise mieux le néerlandais que notre futur premier ministre. Et elle n’est là que depuis deux ans, elle. C’est vexant. Mais soit, moi je trouve qu’il fait son possible cet homme et il a du mérite car il n’est vraiment pas doué. Tandis que la femme

de ménage nigériane de Bart De Wever, je suis sûre qu’il l’a sélectionnée rien que sur sa connaissance du néerlandais et si ça se trouve elle fait super mal le ménage. En tous les cas, les chemises de Bart sont très mal repassées. Il a vraiment l’air d’un shnorer cet homme, vous ne trouvez pas ? Tandis qu’Elio, lui, quelle allure ! Pas un cheveu de travers en toutes circonstances. Bon j’ai remarqué que sa teinture laisse un peu à désirer ces derniers temps, il y a des repousses, mais bon on ne peut pas tout faire, préparer des notes, négocier jour et nuit, faire un saut de temps en temps chez le roi, faire son jogging tous les jours et son fitness deux fois par semaine, sans oublier les leçons de néerlandais. Où voulez-vous encore mettre le coiffeur ?

D

onc fini de rigoler, les amis. Nous allons avoir un gouvernement, un vrai, avec un vrai budget. Ca prendra le temps qu’il faudra mais je vous fiche mon billet qu’avant la fin de l’année nous l’aurons notre gouvernement. Sinon, sinon... eh bien, sinon, les marchés vont nous bouffer tout crus. Standard & Poors nous attendent au tournant, le doigt sur la gâchette. On risque notre AA+. Ça n’est pas trop tôt, ditesvous ? ! Détrompez-vous les amis, le plus tard sera le mieux,

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car ça va faire mal, très très mal ! Ben oui, où est-ce que vous croyez qu’une tripartite sans les Verts ira chercher les 11,3 milliards ? Dans les banques ? Vous voulez rire sans doute. Ils viennent d’en dépenser quatre de milliards pour en sauver une de banque ! Oui mais, on va quand même mettre à contribution les grosses fortunes ? Mais vous voulez les faire fuir ou quoi ? Elles viennent ici justement parce qu’elles ne sont PAS taxées sur leur patrimoine enfin ! Des impôts sur les bénéfices des entreprises alors ? Vous n’avez jamais entendu parler des intérêts notionnels ? C’est simple, il suffit de dire qu’on investit ses bénéfices dans l’entreprise et on ne paie pas d’impôts. Arcelor Mittal vient d’éluder comme ça 1,6 milliards d’impôts et sans investir un euro cent dans l’entreprise, bien du contraire, puisqu’il supprime une (bonne) partie de la production. Lutter contre la fraude fiscale au moins, réguler les banques et les marchés financiers, qui sont la cause de tout ceci ? Vous rêvez ou quoi ? ! Ça coûterait beaucoup trop cher et l’État est à court d’argent justement. Bon ben alors… si c’est comme ça, eh bien vous feriez bien comme les banques alors, mettre vos factures impayées dans une « bad bank », pour redémarrer d’un bon pied ? Ben oui, je vous comprends mais comment

voulez-vous que les banques s’en sortent alors, si vous ne payez pas vos dettes ? ! Faut bien que quelqu’un le fasse ! Mais c’est trop injuste enfin !

B

ravo les amis, bien vu, en effet c’est injuste et ça fait des années que ça dure figurez-vous ! C’est même ça qui fait tourner l’économie. Après la guerre, pendant trente ans – les « trente glorieuses » – les travailleurs ont connu une hausse de leur pouvoir d’achat jusque là inégalée dans l’histoire. Ce pouvoir d’achat, ils l’injectaient dans l’économie en achetant voitures, maisons et biens d’équipement ménager. Il n’y avait quasi pas de chômage, les salaires étaient liés à l’index et des commissions paritaires contrôlaient les prix des biens de consommation de base. Depuis la grande dépression des années 30, les marchés financiers et les banques étaient strictement régulés, pas question de mélanger banques d’affaires et banques de dépôt ou de prêter à long terme sur base de dépôts à court terme comme l’a fait Dexia, quelques banques étaient même propriété de l’État (CGER, Crédit Communal...). Depuis la crise du pétrole et la libéralisation sur les marchés européens et ensuite la globalisation, tout a basculé. Désormais, il s’agissait d’être

avant tout « compétitif » sur un marché de plus en plus mondial et de plus en plus libre de toute contrainte régulatrice. Le chômage a augmenté d’un sérieux cran et n’est plus redescendu depuis. La part de la croissance dévolue au travail a baissé au profit du capital et les inégalités ont fortement augmenté. En Belgique, un pays encore relativement « égalitaire », 60% aujourd’hui des gens gagnent moins que le revenu moyen et les jeunes, s’ils trouvent du travail, sont payés une misère, sans compter les sans-abris et les pauvres dont le nombre atteint désormais 15% de la population.

R

ésultat des courses, poussés à la consommation pour faire tourner l’économie, les ménages s’endettent, ce qui rapporte gros aux banques. Car plus le risque est grand et plus les taux sont prohibitifs. Et puis, il arrive toujours un moment où les débiteurs surendettés ne savent plus faire face (voir la crise immobilière en Irlande, en Espagne et bien sûr aux ÉtatsUnis). Des banques qui ont pris d’énormes risques en spéculant sur ces dettes, font appel à l’État pour les sauver. Les États n’ont pas le choix car sinon c’est tout le système qui s’écroule. On connaît la suite… les États

voient leurs dépenses augmenter pour sauver le système et leurs recettes diminuer pour cause de récession. Les déficits et les dettes souveraines décollent. C’est là que les agences de notation, qui travaillent au profit des investisseurs, donc des banques, entrent en jeu. Elles distribuent les bons et surtout les mauvais points aux États. Pour chaque baisse de notation (« rating ») attribuée par les Standard &Poors, Moody’s ou Fitch, c’est autant de milliards en plus que les pays doivent payer en intérêts pour financer leur dette, ce qui renforce encore leur déficit et fait encore baisser leur « rating » et donc monter les taux d’intérêts de la dette, et ainsi de suite… jusqu’à la faillite (voir la Grèce, l’Irlande, le Portugal…). Et comment compte-t-on résoudre tout ça, les amis ? En appliquant des plans rigueur bien sûr et pas question d’augmenter les impôts et donc les recettes. C’est la Commission qui l’ordonne. Une nouveauté, la Commission nous presse d’effectuer quelques réformes structurelles, sous peine d’amende qui pourra monter jusqu’à 700 millions. Parmi les « recommandations » de la Commission : le relèvement de l’âge de la pension, la suppression de l’indexation automatique des salaires, la limitation des allocations de chômage dans le temps et at last but not least pour faire baisser les prix, la Commission préconise… plus de concurrence, bref, toutes les vieilles recettes néolibérales du tout au marché qui ont si bien fait leurs preuves... de désastre économique et social. Je vous le dis, on va le regretter amèrement le temps où nous n’avions pas de gouvernement. ■

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LE

DE LÉON LIEBMANN

singulièrement plus passionnés par les négociations communautaires que ne le sont leurs électeurs.

L’enlisement de la crise

E

n cette fin de la première décade de novembre et plus d’un an et demie après les élections du 10 juin 2010, ni la crise gouvernementale, ni la crise institutionnelle n’ont été résolues. Les protagonistes actuellement présents à la table des négociations sont les présidents des partis socialistes, libéraux et chrétiens. Les partis écologistes n’y ont pas été conviés (les libéraux flamands les jugeant trop à gauche), pas plus que la NVA, Bart De Wever jugeant la note de base d’Elio Di Rupo très insuffisante et trop déséquilibrée et cela au détriment des citoyens flamands. Deux grands chantiers ont cependant pu être menés à bien : la scission de BHV, préalable obligé par tous les partis flamands, et une réforme, de plus grande ampleur celle-là, de nos institutions. Les deux textes furent adoptés par tous les partis « démocratiques ». Reste surtout à débattre le volet « socio-économique » du budget fédéral pour l’année 2012. Les résultats importants déjà obtenus laissaient augurer une issue également favorable et cela dans un délai « raisonnable ». En effet, la sortie de Bart De Wever du groupe des négociateurs semblait être compensée par la prise en considération positive de cette note comme base d’un accord global par Wouter Beke, président du CD&V qui avait fait croire à la plupart des

observateurs politiques que le chemin à parcourir ne serait plus guère semé d’embûches. C’était omettre les clivages qui allaient constituer tour à tour des leviers et des entraves à la réalisation d’une entente sur ce qui subsistait du contentieux belgo-belge.

P

remier clivage : celui qui oppose les membres de la communauté flamande à ceux qui relèvent de la communauté française dans notre pays. Dans chaque cas observé, il suffisait qu’un ou plusieurs partis appartenant à une de ces communautés propose à l’ensemble des partis engagés dans la négociation une solution précise à un problème déterminé pour que la réaction de l’autre communauté soit négative. Le raisonnement suivi par ses contempteurs peut être décrit comme suit : « si le bloc d’en face le propose, c’est que cette mesure lui profite et nous nuit ». Deuxième clivage : l’opposition non plus clanique mais classique gauche/droite avec, parfois, le centre qui fait ressortir une solution de compromis et tente de la faire partager par ses partenaires plus « radicaux ». Certes, la plupart du temps, nos politiciens issus des rangs de la gauche ou plongés dans le camp de la droite veillent à faire endosser simultanément la paternité du projet à plusieurs fractions politiques. Mais si le panel des instigateurs n’est pas majoritaire, les chances d’obtenir

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les suffrages manquants sont fort réduites. Troisième clivage d’apparition récente en Belgique car liée à l’existence et au fonctionnement des entités fédérées : la recherche, au niveau fédéral, d’une alliance englobant les mêmes partis que ceux qui constituent la majorité au sein des Parlements régionaux. Le but proclamé – et avéré – est double : accroître l’influence de son parti et faciliter la mise au point et l’adoption de compromis « à la Belge » auxquels les mêmes dirigeants politiques prennent part et donnent vie. Le parti actuel qui s’y efforce le plus est incontestablement le MR, resté présent dans le gouvernement fédéral « en affaires courantes ». Il a, par contre, été évincé des exécutifs régionaux par des alliances de centre-gauche dans les tractations institutionnelles intercommunautaires et interfédérales. Il cherche systématiquement à faire porter le maximum de l’effort financier qui s’impose dans l’élaboration des budgets sur les régions dans lesquelles il a été écarté du pouvoir afin de rendre les partis qui dirigent telle ou telle entité fédérée plus impopulaire auprès des électeurs potentiels. Il va de soi qu’il ne le clame pas sur tous les toits. Mais sa propension à jouer sur ce registre a pu être mise en évidence par tous les concurrents de ce parti. Dernière sorte d’astuces à laquelle recourent parfois « nos » dirigeants politiques,

T

out d’abord, l’application de l’adage : « tant qu’il n’y a pas d’accord sur le tout, il n’y a d’accord sur rien ». Il semble être devenu la norme dans le monde politique belge. Elle consiste à traiter successivement les problèmes qui figurent à l’ordre du jour en convenant cependant de prime abord que les accords auxquels on aboutirait ne seraient tenus pour exécutoires que si tous les points en litiges étaient intégralement adoptés. Une variante de ce procédé mérite encore d’être épinglée : c’est celle qui consiste à scinder dans la négociation la mise au point d’un accord de principe et la mise par écrit de ses modalités d’application. Un exemple particulièrement frappant de la mise en œuvre de ces bombes à retardement demeurant chargées pour une durée indéterminée nous a été récemment présenté sur un plateau par le Président du CD&V, Wouter Beke. Il s’agit du fameux – mais tout aussi fumeux – problème de la scission de l’arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde dont des mandataires publics flamands en poste dans le Brabant flamand et qui avaient cru bien faire en félicitant W. Beke « d’avoir scindé BHV ». La réponse de l’intéressé ne tarda pas. Faisant preuve d’une apparente modestie, il déclina ce compliment empoisonné et s’exprima comme suit : « La condition préalable à la scission est remplie mais ce n’est pas suffisant. Il reste encore à le

concrétiser dans des textes de lois et à les voter au Parlement. » Ce texte résume la stratégie adoptée par les partis engagés dans les négociations intercommunautaires et la philosophie qui la sous-tend : les concessions faites aux partenaires, qui sont aussi des concurrents, ne sont adoptées que conditionnellement et peuvent toujours être rétractées si elles n’embrayent pas sur de nouvelles concessions arrachées à l’autre camp.

O

n se rappelle que tout ce travail, où très souvent on se contente de tourner en rond, a encore et plus que jamais cours après que Bart De Wever et « sa » N-VA ont quitté la table de négociations et qu’il s’est luimême placé dans une situation où il ne peut que critiquer « post factum » les résultats auxquels ses anciens partenaires sont parvenus dans la recherche d’un accord global et total. Les deux opinions les plus courantes en ce qui concerne les chances de réussite des six négociateurs actuels (socialistes, démocrates-chrétiens et libéraux) sous la direction d’Elio Di Rupo sont diamétralement opposées. Les uns croient que les divergences qui continuent à opposer entre eux les six partis précités, dont sont exclus les deux partis écologiques sous la pression des libéraux flamands, partisans inconditionnels d’une coalition de centre-droit, et la NVA, qui ne veut pas entrer dans une majorité dont elle ne serait pas le pivot, sont trop grandes et trop nombreuses pour qu’elles soient résolues dans un avenir rapproché. Ainsi, le 6 novembre, Geert Bourgeois, un des « ténors » de la

N-VA, fit savoir aux media que son parti était disposé à renouer les négociations à la condition sine qua non qu’elles reprennent à zéro sans tenir aucun compte des accords déjà intervenus entre les six. Ce procédé est pour le moins cavalier : il impliquait sans doute aussi un changement de formateur ! Voilà pourquoi « on » piétine et « on » fait pire que du surplace : marche arrière des négociations jusqu’au point zéro. L’échec paraît dès lors l’issue la plus probable et le recours à des nouvelles élections inévitable. À ces pessimistes irréductibles s’opposent les optimistes « de raison ». Ils pensent que l’échec des négociations serait si calamiteux pour notre pays que nos dirigeants préféreront à tout prix un terrain d’entente. Pour ma part, je ne me risquerai à aucun pronostic. Mais une réussite totale, quoique grappillée au compte-gouttes, ne peut être exclue si l’on tient compte des résultats partiels mais substantiels déjà obtenus malgré le « veto » de Bart De Wever et de ses acolytes. Un échec demeure cependant possible si la direction des partis susceptibles de former une majorité s’avérait incapable de conclure un accord « clair et net » sur tout ce qui reste encore à régler.

J

’opte très nettement pour des solutions de compromis à la fois sages et audacieuses, justes et équilibrées. Il faut y aller carrément en restant convaincu que ce n’est pas… la quadrature du cercle ! ■

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politique d’asile Un procès de perdu, dix de... YOURI LOU VERTONGEN

Une de leurs balles vient de m’atteindre, là, en plein cœur, Pas b’soin d’injures, d’indignation, ni même de pleurs, Juste un constat, une violence, beaucoup de douleur ! Paroles de flic contre paroles d’homme, y’a pas photo, Pour exprimer ce que j’ressens j’trouve plus les mots, Une de leurs balles vient de m’atteindre en plein dans le dos !

A

près trois années de poursuite, l’amère justice s’est finalement prononcée sur la culpabilité des huit inculpés du CAS, dont six écoperont d’une peine d’un mois de prison avec surcis étalé sur trois ans. À cela s’ajouterait une série de frais d’indemnité à charges des désormais coupables de « rébellion ». Cette sentence, bien que sévère à la lecture du dossier (qui l’a t-il lu réellement ?), n’en est pas moins des plus symboliques. Car ce verdict, si nous avons eu la chance de le subir en collectif, n’est qu’un verdict de plus que d’ordinaire l’anonyme affronte seul et isolé. Tout au long de ces trois ans de procédure, nous avons tenté d’imposer à la justice l’impossibilité de nous enfermer dans sa boucle processuelle. Il nous a fallu nous situer en dehors du couple coupable/innocent, c’est-àdire ne pas le reconnaître en tant

que possibilité de s’identifier à l’un ou à l’autre. Ne pas donner raison à l’index accusateur pointé, ni se démettre à démontrer la portée de nos actions. Refuser l’aveu de culpabilité. Refuser la parole de l’innocence. Ne plus se référer à la légitimité, elle n’était plus de notre côté depuis longtemps. Ne pas, non plus, la refondre dans un référent éthique que nous aurions fait nôtre. Car loin d’avoir accepté cette procédure-là, nous l’avons reconnue. Nous l’avons cautionnée en nous présentant à elle à plusieurs reprises, en nous organisant avec nos avocats, en mobilisant et investissant les (maigres) armes qu’ILS laissaient à notre portée. * Désormais, nous percevons (encore un peu plus) l’emprise que cette justice exerce sur nos corps et nos esprits. Nous sentons leurs regards, nous craignons leurs écoutes, leurs contrôles, leurs arrestations. Nous sommes à leurs yeux de moins en moins quelconques et de plus en plus pris en étau. Ils réussirent, malgré nos réticences, à nous projeter dans une temporalité judiciaire sur laquelle nous n’avons que peu de prises. La stratégie juridico-policière est celle appliquée dans bien des situations : ils ont atomisé la puissance subversive qui tentait de

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prendre forme en isolant les franges les moins institutionnalisées. Cette balle qu’ILS viennent de tirer nous atteint forcément sur le flanc et nous propulse dans un devenir des plus boîteux. Nous savons depuis longtemps que la justice n’est pas le pendant inverse de l’injustice. Au contraire, nous comprenons ici comment, et par quels procédés, la justice, ses juges et ses procureurs matérialisent, institutionnalisent et légalisent l’injustice, lui offrent un visage acceptable qui s’insère dans la norme du contrat social. Nous n’oublions pas non plus la fonction que le châtiment revêt dans nos « sociétés » juridiques : anesthésier les déviances, immobiliser les corps et marquer les imaginaires du sceau de l’infamie. Étouffer les cris irrévérencieux qui, au dessus des vacarmes du monde, osent encore s’élever. Les réduire aux chuchotements discrets, aux murmures imperceptibles, aux grésillements des âmes qui souffrent de la honte d’être parmi les hommes. Les tuer jusqu’à ne plus en sentir le souffle. * Point de surprise ni d’étonnement face à une telle condamnation, donc. Il n’y a qu’à en prendre acte. Prendre acte d’une violence qui n’a toujours été que déjà là. Le sursis par lequel ILS nous punis-

sent n’offre à cette condamnation aucune tangibilité, il ne fait que prolonger un sursis de trois ans de procédure et de mise à l’écart stratégique des mouvements de lutte. Plus largement, cette condamnation prolonge un sursis de vie, celui que nous subissons tous, même sans jamais avoir éprouvé la vindicte d’un procureur d’État. Le pacte social passé avec le Léviathan nous engage dans un surcis qui ne connaît de fin que la mort de l’être. Rien de nouveau dès lors depuis le verdict de l’autre jour, si ce n’est l’actualisation d’un état de fait, commun à tous les membres d’une « société ». * Aussi peu étonnés que nous soyons, cette condamnation ne fait pas moins office d’« événement ». Tout événement qu’il est, son impact se donne à percevoir dans les lignes de ruptures qu’il dégage (quelques unes de plus), dans les scissions qu’il dessine (une fois pour toutes ?). En ce sens, nous aurons rapidement fait de considérer ce procès comme quelque chose d’autre qu’une défaite. Pas pour autant une victoire, loin s’en faut. Cet événement porte en lui une histoire qui nous est singulière. Singulière en termes de rencontres, de brèches approfondies et d’interstices habitables. Singulière en termes de vécu et de sensations. Un événement surgi de l’histoire, sans en être lui-même fait historique. Un morcellement de cet espacetemps judiciaire pour y faire perdurer une intensité politique que l’on croyait furtive. Continuer à porter ensemble, en collectif et en commun, là où leur arme de division se faisait des plus effectives. La solidarité avec les inculpés du CAS : plus qu’une série de ren-

dez-vous sporadiques. Une prise de position sur le long terme. Les trouvailles se perpétuent, les amitiés s’élargissent tel un rhizome dans les fissures imparfaites dont ce présent regorge. * Aujourd’hui que le temps judiciaire semble s’être estompé (pour cette affaire du moins !), souvenons-nous que nul n’a jamais attendu le CAS pour faire retentir les intolérables dont ce monde abonde. Ces hurlements existent et ont toujours existé. Ils se font simplement de plus en plus pressants. De plus en plus massifs. Loin à l’horizon, nous les voyons s’intensifier, accroître leur portée et se métamorphoser. Sur ces grognements, c’est le couvercle d’un monde vacillant que l’ON tente de clore. Les souffles de révoltes dont nous humons les parfums printaniers – centres fermés brûlés, prisonniers évadés, expulsions sabotées – pèsent sur la lourdeur de ce couvercle et font de son entaille une béance toujours plus profonde. Aussi létales soient leurs balles, et aussi mince est la pointe qui coiffe nos flèches, il nous paraît vital de ne laisser aucune de leurs attaques sans réponse. Nous ne pouvons nous résigner à végéter en attendant que nous tombions tous, les uns après les autres, sous les coups de leurs sentences. Il est temps d’apporter une réponse pleine de nos mots, des mots de chacun-e-s, et de nos multiples façons d’exprimer notre haine de leur emprise sur nous. Que cette peur qu’ils pensent imposer en nous tapant sur les doigts puisse s’estomper dans les cris que nous portons collectivement. C’est pourquoi, le 12 novembre, avait lieu une manifestation (non-autorisée) dans les ruelles animées de

Schaerbeek. Elle rassemblait tous ceux qui contre l’intimidation et la ré-pression, avaient choisi la voie de la ré-action... Tous ceux qui pens(ai)ent que la nécessité d’une contre-attaque se fait aujourd’hui sentir. À l’heure de l’impression de ce document, nul ne sait si cette démonstration a donné lieu à une révolution ou à un emprisonnement, mais il nous a fallu nous sentir forts à nouveau et puiser dans un rassemblement toute la puissance dont ces quelques jours ont tristement manquée. Pas un fantôme, ni même un simulacre... Mais une catharsis collective, un exorcisme commun, un tremplin ! Renverser la faiblesse qu’ils pensent insuffler en nous. Déjouer les peurs qu’ils manipulent lorsqu’ils écartent quelques uns d’entre nous. Jusqu’à ne plus avoir besoin d’éviter leurs balles, jusqu’à ne plus les sentir ! Ce qui ne nous a pas tués nous rendra plus forts... Nous sommes encore là ! ■ Une de leurs balles vient de m’atteindre en plein dans le ventre, Dans ces moments on sait qu’la plume est lourde à prendre, Faut rien lâcher, continuer, je peux pas m’rendre ! Police partout, justice complice c’est évident, Tâche difficile que d’avancer tout en boitant, Une de leurs balles vient de m’atteindre, là, sur le flanc !

Papiers pour tous ou tous sanspapiers Arrêt des rafles et expulsions Destruction des centres fermés

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activités

deviennent les acteurs d’une éblouissante et macabre hallucination collective et se projettent dans un tourbillon vilent et national. Israël accélère sa fuite en avant désespérée et vaine : la dictature émotionnelle.

Du 1er au 17 décembre Les Halles de Schaerbeek en partenariat étroit avec

l’Union des Progressistes Juifs de Belgique (UPJB) et Dor Hashalom vous invitent à l’exposition* et aux activités présentées sur le thème de

BRISER LE SILENCE EXPOSITION : BREAKING THE SILENCE DES SOLDATS ISRAÉLIENS PARLENT DE L’OCCUPATION L’association israélienne Shovrim Shtika Breaking the Silence Brisons le Silence a collecté et compilé plus de 2 500 heures d’iinterviews à propos de la vie quotidienne à Hébron. L’exposition présente une centaine de photographies prises par les soldats dans l’exercice de leur fonction au sein des forces armées israéliennes. Des ex-soldats, membres actifs de Breaking the Silence, accompagnent la visite de l’exposition et parlent de leur mission en Cisjordanie et dans les autres Territoires occupés de Palestine. « Les soldats qui servent dans les Territoires sont les témoins et les acteurs d’actions militaires qui les changent profondément. Les cas d’abus envers les Palestiniens, les pilages et les destructions de propriétés sont la norme depuis des années mais sont toujours relatés comme étant des cas extrêmes et uniques. Nos témoignages décrivent une autre et bien plus sinistre réalité. Une réalité dans laquelle la détérioration des principes moraux trouve un moyen d’expression, sous la forme d’ordres et des règles d’engagement, et qui est justifiée au nom de la sécurité d’Israël. » Breaking the silence

Winter Family est un duo de musique expérimentale composé de l’artiste israélienne Ruth Rosenthal (textes, voix) et du musicien français Xavier Klaine (musique, pino, grandes orgues, harmonium, célesta) basé à Jérusalem et Paris. Ils se rencontrent à Jaffa en 2004. En 2008, à l’occasion des anniversaires simultanés de l’État d’Israël et de la « réunification » de Jérusalem, le duo enregistre la pièce sonore Jérusalem Syndrome qui sera diffusé sur France Culture. Les deux artistes décident ensuite de continuer ce travail et de créer la performance de théâtre documentaire Jérusalem-Plomb Durci. MERCREDI 7 DÉCEMBRE À 20H30 Z32 – UN FILM DE AVI MOGRABI Un ex-soldat israélien participe à une mission de représailles dans laquelle deux policiers palestiniens sont tués. Il cherche à obtenir le pardon pour ce qu’il a fait. Sa petite amie ne pense pas que ce soit aussi simple, elle soulève des questions qu’il n’est pas encore capable d’affronter. Le soldat accepte de témoigner devant la caméra pur autant que son identité ne soit pas dévoilée. Le cinéaste, tout en cherchant la solution adéquate pour préserver l’identité du soldat, interroge sa propre conduite politique et artistique. JEUDI 8 DÉCEMBRE À 20H30 BRISEURS DE SILENCE DE SIMONE BITTON Un documentaire sonore, un essai radiophonique, de la réalisatrice de Mur (2004) et de Rachel (2008) et inspiré par le travail de Shovrim Shtika – Breaking the Silence. Des voix d’exilés israéliens – qui ont pour la plupart été soldats dans l’armée israélienne (de même que Simone Bitton elle-même) –, disent les mots de la génération actuelle de soldats et de soldates. Sur une trame composée de sons ramenés de Gaza et de Cisjordanie, la banalité et l’universalité du mal s’entend en français, avec cet accent hébraïque que l’on ne perd pas. Comme on ne perd pas la mémoire des gestes que l’on a faits, de l’humiliation qu’on a infligée, de la mort qu’on a donnée – parce que c’était comme ça, tu comprends, là-bas, la routine c’était comme ça...

Avec le soutien de la Fondation Rosa Luxemburg VENDREDI 9 DÉCEMBRE À 20H30 AMIRA HASS – CONFÉRENCE AUTOUR DE BREAKING THE SILENCE THE DETAILS – AVI MOGRABI L’installation vidéo The details contient une série de scènes de et à propos des territoires occupés, montrés simultanément sur 8 écrans. Tournées et utilisées dans divers films d’Avi Mograbi, elles sont présentées pour créer un espace chaotique parallèle et non linéaire, une représentation tronquée de la vision qu’a l’artiste de la réalité des Territoires occupés. MARDI 6 ET SAMEDI 10 DÉCEMBRE À 20H30 WINTER FAMILY. JÉRUSALEM-PLOMB DURCI Une performance de théâtre documentaire à partir d’image de cérémonies et de célébrations mémorielles et nationales filmées et récoltées à Jérusalem dans les écoles, les quartiers, les médias et les lieux symboliques de l’État d’Israël. Une jeune femme de Jérusalem nous guide dans un voyage sonore, visuel et textuel à travers la société israélienne. En Israël, la douleur, la mémoire et le courage sont célébrés de tous côtés, les codes et les symboles étirés jusqu’à l’épuisement. Les chants, les discours, les sirène et les danses sont omniprésents de la naissance à la mort des individus, qui, pris en otage par le système implacable,

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Breaking the Silence a brisé le silence mais aussi les méthodes conventionnelles de l’information industrielle. La méthode de collecte de l’information de Breaking the Silence vérifie finalement ce que les médias «respectables» n’ont de cesse de nier : l’information palestinienne. SAMEDI 10 DÉCEMBRE À 10H00 TABLE RONDE AVEC SIMONE BITTON, AVI MOGRABI, AMIRA HASS ET, SOUS RÉSERVE, DEUX REPRÉSENTANTS DE NEW PROFILE ET DE BREAKING THE SILENCE L’occupation de la Palestine par Israël et son armée n’est pas sans effet sur la société israélienne puisqu’elle l’affecte en son cœur : son armée composée de jeunes hommes et femmes qui ne peuvent échapper à l’obligation du service militaire à moins de devenir des refuzniks. Après les images, les films, sons, vidéos, photographies, place aux mots pour éclairer, en reprenant les termes de Breaking the Silence « Une réalité dans laquelle la détérioration des principes moraux trouve un moyen d’expression, sous la forme d’ordres et de règles d’engagement, et qui est justifiée au nom de la sécurité d’Israël ». *

JE 01/12 > SA 17/12 13h00 > 18h00 Nocturne chaque jeudi jusque 21h00 et lors des autres soirées de Breaking the Silence. Fermé le lundi. Visites en matinée et en nocturne possible sur demande uniquement (groupe de min. 20 personnes).

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activités vendredi 2 décembre à 20h15 L’héritage juif à Lodz et l’émergence de l’intérêt pour la vie juive en Pologne Conférence-débat avec

Joanna Podolska Joanna Podolska, enseignante et spécialiste de l’héritage juif de Lodz, est très active dans le dialogue judéo-polonais et dans la transmission du passé juif aux jeunes Polonais. Elle est directrice du « Centre pour le Dialogue Marek Edelman à Lodz » (www.centrumdialogu.com) et une guide sensible, disponible et dévouée pour les visiteurs juifs à la recherche de leurs racines à Lodz. PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO

samedi 3 décembre de 14h à 17h

4ème atelier de cuisine juive Vous avez une recette de cuisine juive (ashkenaze ou sépharade) qui fait baver de plaisir tout votre entourage et que vous avez envie de transmettre ? Alors, nous comptons sur vous pour notre 4ème atelier de cuisine juive qui aura lieu au local

Avec repas à 19h

Hommage à Marcel De Munnynck J’ai connu Marcel De Munnynck à l’époque où il dirigeait le Centre Culturel Jacques Franck, à St-Gilles. J’étais tout le temps à la recherche d’une salle de spectacle pour permettre à notre troupe de Théâtre « La Magnanerie » de se produire. Recherche difficile ; salle trop grande, trop petite, sous-équipée, pas libre aux dates qui nous convenaient et surtout des exigences peu compatibles avec nos moyens. Et puis, il y a eu le CCJF et son directeur Marcel De Munnynck. Quel bonheur ! Un homme sympathique ; compréhensif, coopérant. Visiblement au courant des difficultés inhérentes à une troupe d’amateurs. Tout de suite, le courant est passé. Il nous a donné toutes les aides possibles, naturellement, avec bienveillance et compétence. Très vite, il est devenu un ami. Je le rencontrais parfois à la Zinneke Parade dont il était un des initiateurs, au bal de l’UPJB ou à d’autres manifestations. Toujours plein d’idées, de projets très éclectiques, de créativité. Il avait encore beaucoup de belles choses à vivre. Il manquera beaucoup au monde de la culture populaire. Au revoir l’ami ! Rosa Gudanski

Condamnation des militants du CAS

communiqué de l’Union des Progressistes Juifs de Belgique C’est avec consternation que l’UPJB a pris connaissance du verdict du Tribunal correctionnel de Bruxelles condamnant six militant(e)s du CAS (Comité d’Action et de Soutien) à un mois de prison avec sursis pour leur action d’avril 2009 lors du meeting des libéraux européens. L’action tout à fait pacifique de ce groupe d’étudiants avait pour objectif de dénoncer le rôle joué à l’époque par l’Open VLD et sa secrétaire d’État à l’asile et aux migrations, Annemie Turtelboom, qui refusait de mettre en œuvre la régularisation des sans-papiers convenue dans l’accord gouvernemental. Une grande partie de l’opinion publique était alors émue du blocage de ce dossier, dont les conséquences étaient très concrètes pour des milliers de personnes vivant dans notre pays. La lourde condamnation avec casiers judiciaires de ces six jeunes pour des faits mineurs à caractère clairement politique nous paraît dangereuse à plus d’un titre. L’indépendance de la justice est mise à mal lorsqu’un tribunal se met au service d’un parti politique au pouvoir. Il s’agit en outre d’un pas de plus dans le processus de criminalisation de la contestation : le tribunal n’a pas tenu compte des motivations politiques des accusés, pour les condamner comme des délinquants de droit commun. Fondée par des immigrés et résistants juifs, notre organisation se solidarise pleinement des actions de désobéissance civile menées par les membres du CAS (et d’autres) contre une politique d’asile et d’immigration injuste et absurde qui jette dans la clandestinité une masse grandissante d’hommes, de femmes et d’enfants qui ont cru trouver dans nos pays européens une vie et un accueil à la hauteur des proclamations officielles sur les Droits de l’Homme.

À l’occasion de l’admission de la Palestine comme membre à part entière de l’UNESCO, l’Union des Progressistes Juifs de Belgique a diffusé un communiqué de presse. Nos lecteurs peuvent en prendre connaissance sur notre site : www.upjb.be

Pour la commission Lokshn, contacter Nathalie Dunkelman : nathalie.dunkelman@brutele.be 0477/61.90.23 décembre 2011 * n°321 • page 30

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activités vendredi 13 janvier à 20h15 Le franquisme. 40 années de dictature, 40 années d’impunité pour crimes contre l’humanité Conférence-débat avec

José-Luis Penafuerte, cinéaste, réalisateur des Chemins de la mémoire

vendredi 20 janvier à 20h15 Marianne Sluszny présente son roman

Le frère du pendu Marianne Sluszny vit à Bruxelles et travaille depuis plus de vingt ans à la RTBF comme productrice d’émissions et de documentaires culturels. Elle est professeur de philosophie à l’Institut n a t i o n a l supérieur des arts visuels de la Cambre, après avoir enseigné à l’Institut national supérieur des arts de la scène (INSAS). Toi, Cécile Kovalsky, paru aux Éditions de la Différence en 2005, a obtenu le prix de la première œuvre de la Communauté française de Belgique et le prix Lucien Malpertuis de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique. Le Frère du pendu est son deuxième roman.

300.000 personnes dénoncées, 60.000 exécutions, 400.000 prisonniers, 3 millions de personnes fichées et environ 130.000 disparus, tel est le bilan des victimes du régime de Franco. En 1977, 2 ans après la mort de Franco et le rétablissement de la démocratie, une loi décrète l’amnistie et interdit d’enquêter sur les crimes franquistes. Récemment, le juge Garzon a été menacé de suspension pour avoir ouvert une enquête sur les disparus sous le régime franquiste... Fils d’exilés espagnols, José-Luis Penafuerte est né à Bruxelles en 1973. Il a passé son enfance et son adolescence entre la Belgique et l’Espagne. Après des études à l’IAD, il entame une carrière de réalisateur. Parmi ses films, Ninos qui retrace l’exil des orphelins de la guerre civile et Les chemins de la mémoire, film qui entend mettre à jour l’histoire récente de l’Espagne en rendant la parole à ceux qui furent condamnés pendant plus d’un demi-siècle à un silence forcé. Présent dans plusieurs festivals, ce film a obtenu de nombreux prix.

Toi, Cécile Kovalsky, premier roman de Marianne Sluszny, évoquait une légende familiale et le malheur d’une diaspora juive émigrée à Bruxelles, moins intégrée qu’elle ne le croyait. Marianne Sluszny revient sur ces thèmes dans Le Frère du pendu. Thomas, jeune cinéaste désespéré par sa rupture avec Rivka, fille de juifs orthodoxes, découvre dans un coffre lui appartenant une série de cahiers racontant la vie d’un aïeul de son exfiancée, un certain Meier, né en 1880 à Siedlice en Pologne. Il se passionne pour l’existence de cet homme, éternel exilé, révolté par la pendaison de son frère Saul par les cosaques en 1905, et décide de réaliser un film sur le destin mouvementé de ce personnage

PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO

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est le mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique (ne paraît pas en juillet et en août) L’UPJB est soutenue par la Communauté française (Service de l’éducation permanente) Secrétariat et rédaction : rue de la Victoire 61 B-1060 Bruxelles tél + 32 2 537 82 45 fax + 32 2 534 66 96 courriel upjb2@skynet.be www.upjb.be Comité de rédaction : Henri Wajnblum (rédacteur en chef), Alain Mihály (secrétaire de rédaction), Anne Gielczyk, Carine Bratzlavsky, Jacques Aron, Willy Estersohn, Tessa Parzenczewski Ont également collaboré à ce numéro : Roland Baumann Paul Delmotte H. Flores Rosa Gudanski Léon Liebmann Antonio Moyano Youri Lou Vertongen Les moniteurs de l’UPJB-J Conception de la maquette Henri Goldman Seuls les éditoriaux engagent l’UPJB. Compte UPJB IBAN BE92 0000 7435 2823 BIC BPOTBEB1 Abonnement annuel 18 EURO ou par ordre permanent mensuel de 2 EURO Abonnement de soutien 30 EURO ou par ordre permanent mensuel de 3 EURO Abonnement annuel à l’étranger par virement de 40 EURO Devenir membre de l’UPJB Les membres de l’UPJB reçoivent automatiquement le mensuel. Pour s’affilier: établir un ordre permanent à l’ordre de l’UPJB. Montant minimal mensuel: 10 EURO pour un isolé, 15 EURO pour un couple. Ces montants sont réduits de moitié pour les personnes disposant de bas revenus.

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UPJB Jeunes

L

a coordinatrice Noémie Schonker a décidé de s’adonner à d’autres combats, après cinq années de participation active et fructueuse à la vie du mouvement de jeunesse de l’UPJB. Les moniteurs lui souhaitent le meilleur pour sa vie future et c’est avec grand plaisir qu’ils vous écriront le plus souvent possible pour vous informer de la vie à l’UPJBJeune. À travers ce premier article, ils ont décidé de présenter les différents groupes ainsi que les activités qui leur sont réservées. Les Bienvenus sont âgés de six à sept ans et entament leur deuxième année à l’UPJB. Le groupe est constitué de onze enfants qui se complètent bien. Chacun y trouve sa place et les conflits sont réglés soit en groupe pour laisser place à la discussion, soit individuellement lorsqu’il s’agit de faits plus importants. Nous essayons de leur transmettre les valeurs qui sont ancrées à l’UPJB depuis plusieurs décennies. Sûr, il y a le partage, le respect, et ces petites choses que nécessite la vie en groupe. Mais notre rôle ne s’arrête pas là. À travers les activités, variées et adaptées à leur âge, nous essayons de développer leur créativité, leur imagination, leur sens de la réflexion. Il est également question d’actualité ou de faits historiques importants. Comme par exemple le premier jeu auquel ils ont eu droit cette année, qui traitait de la révolution mexicaine. Tout cela d�une manière simple, afin de faciliter leur compréhension. La prochaine étape sera

l’attribution d’un nom définitif pour le groupe. Il ne leur manque que ça. Milena et Charline Les Marek ont atteint l’âge de se poser des questions concrètes sur les différents sujets que nous leur proposons à travers nos activités. Nous leur préparons des jeux avec une structure simple, basés sur des faits actuels ou historiques. Ces jeux sont accompagnés d’explications claires pour les aider à comprendre facilement et pour développer leurs esprits critiques. Nous n’oublions pas l’âge qu’ils ont et nous alternons donc les jeux « à contenu » et ceux où ils peuvent laisser libre cours à leur imagination. Nous essayons de leur transmettre les valeurs qui nous tiennent à cœur de façon à ce que chacun puisse se les approprier et qu’elles s’insèrent de manière naturelle dans leur quotidien UPJBien. Cette démarche a, à nos yeux, de l’importance car elle empêche l’endoctrinement et permet leur épanouissement personnel. De manière plus générale, nous essayons, avec l’ensemble de l’équipe mono, de favoriser les relations intergroupes pour que de nouvelles relations émergent, afin de continuer à vivre dans cette atmosphère familiale et conviviale qui nous est chère. Sacha et Lucie Nous avons la chance de moniter les Korczak pour la deuxième année consécutive. Le partage, l’esprit de groupe, le respect. Ces petites choses facilitant le développement des différentes thé-

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matiques que l’on a choisi d’aborder avec eux. L’UPJB, son histoire, ses valeurs. Tout un programme. Les Korczak ont entre dix et onze ans. Un âge qui se traduit par des questions de préadolescents qui nous interpellent et une maturité qui continue à nous impressionner. Nous les voyons grandir au fil des samedis et nous nous réjouissons de pouvoir leur faire de plus en plus de jeux substantiels. Comme celui qu’on a fait au camp d’été, à propos de la situation actuelle des gitans. Malgré les conflits naturels de cet âge-là, les Korczak sont soudés et on tente de leur faire comprendre à quel point solidarité et complicité sont importantes dans un mouvement de jeunesse qui n’est pas n’importe lequel : l’UPJB. Quatre initiales qui reviennent souvent dans les activités que nous élaborons pour eux. C’est un plaisir de partager nos samedis et nos camps avec eux. S’il leur reste beaucoup de choses à apprendre, ils en ont surtout à nous apporter. Clara, Fanny et Manjit Les Zola on entre douze et treize ans et ont donc atteint un âge qui nous permet de ne plus seulement nous limiter à leur préparer des jeux mais également à avoir de riches discussions sur des sujets qui touchent l’UPJB. Les activités sont ainsi faites de façon à ce qu’ils se forgent leurs propres opinions sur les thèmes que nous leur proposons. Il nous semble également important de leur parler de ces valeurs dans lesquelles nous avons aussi grandi. Notre

groupe est formé de six enfants venant d’horizons différents mais une belle entente y règne. Et si, parfois, des disputes peuvent apparaître, elles sont toujours réglées immédiatement avec tout le groupe. Partager nos samedis avec eux est un réel plaisir pour nous trois et le restera sans doute longtemps! Axel, Sarah et Totti Ah, ces Jospa ! Ils sont vingt, ont entre quatorze et quinze ans, et mesurent deux fois notre taille. Et pourtant, le plaisir qu’on a de les retrouver tous les samedis reste intact. Le projet ? Profiter de nos réunions hebdomadaires pour prendre le temps de faire des choses qu’ils font rarement, voir jamais, chez eux. Marcher avec les Indignés du monde entier, aller voir des films ou se rendre à des expositions dont les thèmes touchent aux préoccupations de l’UPJB. Ainsi que toutes ces choses qui peuvent parfois leur paraître puériles, mais dont on oublie trop vite l’importance avec l’arrivée de l’adolescence. Peindre, griffonner, déchirer, recoller, chanter juste, chanter faux, manifester, crier, football sous la pluie, crix dans la boue. Cette longue liste nous l’allongerons encore, tant que nous serons leurs moniteurs. Car il ne nous reste que trop peu de temps avant qu’ils ne deviennent monos eux aussi. Alors nous faisons de notre mieux, dans cette Maison à laquelle nous sommes si fiers d’appartenir. Maroussia et Noé

Carte de visite L’UPJB Jeunes est le mouvement de jeunesse de l’Union des progressistes juifs de Belgique. Elle organise des activités pour tous les enfants de 6 à 15 ans dans une perspective juive laïque, de gauche et diasporiste. Attachée aux valeurs de l’organisation mère, l’UPJB jeunes veille à transmettre les valeurs de solidarité, d’ouverture à l’autre, de justice sociale et de liberté, d’engagement politique et de responsabilité individuelle et collective. Chaque samedi, l’UPJB Jeunes accueille vos enfants au 61 rue de la Victoire, 1060 Bruxelles (Saint-Gilles) de 14h30 à 18h. En fonction de leur âge, ils sont répartis entre cinq groupes différents.

Bienvenus

Les pour les enfants nés en 2004 et 2005 Moniteurs : Charline : 0474.30.27.32 Miléna : 0478.11.07.610

Marek Edelman

Les pour les enfants nés en 2002 et 2003 Moniteurs : Sacha : 0477.83.96.89 Lucie : 0487.15.71.07

Janus Korczak

Les pour les enfants nés en 2000 et 2001 Moniteurs : Manjit : 0485.04.00.58 Fanny : 0474.63.76.73 Clara : 0479.60.50.27

Émile Zola

Les pour les enfants nés en 1998 et 1999 Moniteurs : Totti : 0474.64.32.74 Sarah : 0471.71.97.16 Axel : 0471.65.12.90

Yvonne Jospa

Les pour les enfants nés en 1996 et 1997 Moniteurs : Maroussia : 0496.38.12.03 Noé : 0472.69.36.10

Informations et inscriptions : Catherine Daems – upjbjeunes@yahoo.fr – 02.347.27.20

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agenda UPJB Sauf indication contraire, toutes les activités annoncées se déroulent au local de l’UPJB, 61 rue de la Victoire à 1060 Bruxelles (Saint-Gilles)

vendredi 2 décembre à 20h15

L’héritage juif à Lodz et l’émergence de l’intérêt pour la vie juive en Pologne. Conférence-débat avec Joanna Podolska (voir page 30)

samedi 3 décembre à 14h

4ème atelier de cuisine juive. Repas à 19h (voir page 30)

vendredi 13 janvier à 20h15

Le franquisme. 40 années de dictature, 40 années d’impunité pour crimes contre l’humanité. Conférence-débat avec José-Luis Penafuerte, cinéaste, réalisateur des Chemins de la mémoire (voir page 32)

vendredi 20 janvier à 20h15

Marianne Sluszny présente son deuxième roman Le frère du pendu (voir page 33)

club Sholem Aleichem Sauf indication contraire, les activités du club Sholem Aleichem se déroulent au local de l’UPJB tous les jeudi à 15h (Ouverture des portes à 14h30)

Éditeur responsable : Henri Wajnblum / rue de la victoire 61 / B-1060 Bruxelles

jeudi 1er décembre

Projection du film Mazel Tov Tov, spectacle de l’UPJB en 1980, présenté par Maroussia Buhbinder

jeudi 8 décembre

La séparation parentale : quels risques pour l’enfant ? par Nadine Kacenelenbogen, médecin généraliste

jeudi 15 décembre

La situation au Moyen-Orient par Henri Wajnblum à son retour d’un voyage en Palestine

jeudi 22 décembre

Le « Parc’amour de l’artiste » par Michel Kacenelenbogen, qui évoquera les étapes clés de son parcours de comédien, metteur en scène et directeur du théâtre Le Public

jeudi 29 décembre et 5 janvier Congés

et aussi du 1er au 17 décembre

Exposition Breaking The Silence. Des soldats israéliens parlent de l’occupation. Aux Halles de Schaerbeek, en partenariat étroit avec l’UPJB et Dor Hashalom (voir page 28)

Prix : 2 EURO

Les agendas sont également en ligne sur le site www.upjb.be


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