n°320 - Points Critiques - novembre 2011

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mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique novembre 2011 • numéro 320

éditorial L’indignation se mondialise

Bureau de dépôt: 1060 Bruxelles 6 - mensuel (sauf juillet et août)

HENRI WAJNBLUM

I

ls étaient des centaines de milliers à travers le monde ce samedi 15 octobre à crier leur révolte et leur exigence d’une société plus démocratique et plus éthique. Parti de la Puerta del Sol de Madrid, le 15 mai dernier, pour protester contre la politique d’austérité imposée au gouvernement Zapatero, le mouvement des «indignés» s’est répandu à la vitesse d’un incendie de forêt par temps de canicule. Gagnant tout d’abord Athènes et Rome, autres capitales d’États soumis à une cure drastique d’austérité par le FMI (Fonds monétaire international) et la BCE (Banque centrale européenne), pour, rapidement, gagner Francfort, Londres et Bruxelles, et pour enfin, traverser les océans et s’étendre à Hong Kong, Tokyo,

Sidney, Johannesburg, Santiago et New York, sans oublier TelAviv. Au total, ce sont 700 villes qui ont connu le bruit et la fureur des « indignés » en ce samedi 15 octobre. La plupart de ces manifestations se sont déroulées pacifiquement. Ce ne fut cependant pas le cas à Rome, et cela peut se comprendre dans la mesure où la population italienne est particulièrement frustrée, ayant affaire à un gouvernement qui se « contente » de répondre aux injonctions de la BCE, mais qui ne gouverne plus depuis des mois tout en se serrant les coudes car le seul souci des partis faisant partie de la majorité est d’échapper à des élections anticipées. Il est révélateur que les cibles principales des indignés ont été

BELGIQUE-BELGIE P.P. 1060 Bruxelles 6 1/1511

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sommaire éditorial

1 L’indignation se mondialise .................................................... Henri Wajnblum

israël-palestine

4 Barack Obama, ambassadeur d’Israël aux Nations unies .... Henri Wajnblum

lire

6 À l’ombre de l’inquisition ................................................Tessa Parzenczewski 7 Sous le signe de la solidarité.......................................... Tessa Parzenczewski

lire, regarder, écouter

8 Les bizarreries de l’admiration................................................Antonio Moyano 10 Notules de septembre et octobre.............................................Gérard Preszow 14 Brassens intime à l’UPJB...............................................................Jacques Aron

histoire(s) 16 L’ORT en Belgique ................................................................................ Jo Szyster 20 Le journal de Nelly Ptachkina ............................................... Roland Baumann

diasporas

22 Miropol ou la clé des songes (suite) ............................................. Andrés Sorin

yiddish ? yiddish !

! widYi ? widYi

26 ruslendisher toyt - La mort russe .............................................Willy Estersohn 28

activités urbanités/urbanisme

35 Avenue du Port : la démocratie a gagné ............................. Sender Wajnberg

politique d’asile

36 Un antitsiganisme au grand jour ......................................... Jean-Marc Turine 38 Place Gaucheret, une lutte exemplaire ........................................ Cédric Tolley 40

les agendas

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éditorial ➜

les quartiers de la finance, Wall street à New York, La City à Londres, la BCE à Francfort, Dexia à Bruxelles… Mais que veut donc exactement ce mouvement de contestation globale ? Il nous le dit dans le court manifeste que l’on peut lire sur la page d’accueil du site 15october.net : « Le 15 octobre, les gens du monde entier occuperont les rues et les places. De l’Amérique à l’Asie, en passant par l’Europe, les gens vont se soulever pour revendiquer leurs droits et demander une vraie démocratie. Le temps est venu pour nous tous de nous allier dans une protestation globale et non-violente. Le pouvoir en place travaille au profit de quelques-uns en ignorant aussi bien la volonté de la majorité que le prix humain et environnemental que nous payons. Cette situation intolérable doit cesser. Unis d’une seule voix, nous allons faire savoir aux politiciens, et aux élites financières qu’ils servent, que c’est à nous, le peuple, de décider de notre avenir. Nous ne sommes pas des marchandises dans les mains des politiciens et des banquiers qui ne nous représentent pas. Le 15 octobre nous nous rencontrerons dans les rues afin d’initier le changement mondial que nous voulons. Nous allons manifester pacifiquement, débattre et nous organiser jusqu’à l’obtenir. Il est temps pour nous d’être unis. Il est temps pour eux de nous écouter. » Il est certain que les révolutions tunisienne et égyptienne ont fortement inspiré le mouvement du 15 octobre. Sauf que pour celuici, il ne s’agit pas de faire dégager un autocrate, mais de contester les politiques ultra-libérales à la source de la crise économi-

Kol Nidrei célébré à Wall Street

que, le règne de la finance, les régressions des acquis sociaux et la mainmise d’une minorité sur les richesses. La question qui se pose aujourd’hui est de savoir si ce mouvement a un avenir. À ce sujet, l’historien Christian Delporte, professeur des universités en histoire contemporaine, a un avis très tranché : « une révolte peut déboucher sur une révolution, et débute avec des éléments d’indignation, en disant ‘non’. Mais une révolution se cristallise normalement autour d’un certain nombre de mots d’ordres et se traduit par des formes d’organisations propres qui permettent ensuite de déboucher sur des solutions concrètes. Or, on n’a pas tout ça., Je ne sais pas si le mouvement des indignés, enfin les mouvements, parce qu’il y en a plusieurs, vont prendre de l’ampleur. Mais s’il s’agit seulement de s’indigner, s’il n’y a pas d’objectif précis, et qu’on ne donne pas de solutions, ils vont s’effondrer, tout simplement ». Attendons donc de voir si le mouvement va se structurer et élaborer un programme, non pas de nouvelles actions protestataires mais de propositions concrètes, ou s’il n’aura été qu’une simple étoile filante. * Comme souvent, c’est la mobilisation des Américains qui a donné sa dimension planétaire au mouvement. Depuis deux mois, des

New-Yorkais de tous âges occupent un square près de Wall Street. Ils ont imposé le slogan « We the 99% », nous sommes les 99 % de la population mondiale face au dernier pourcent qui s’accapare les richesses. À propos des Américains, nous ne cacherons pas le plaisir que nous avons éprouvé en constatant que, pour ce qui est de la communauté juive, il existe des mouvements de solidarité active avec les précarisés, tels cette frange jeune, radicale et religieuse, qui a organisé un Kol nidrei en plein rassemblement à l’occasion de Yom Kippour, ou encore le Jewish Labor Committee, issu des syndicats juifs. * Ce même 15 octobre, ils étaient au moins 7.000 à manifester à Bruxelles, Belges et étrangers. Et c’est précisément ce jour qu’a choisi Le Soir pour interviewer Charles Michel, le président du MR… Une interview édifiante… Tout ce que défendra Charles

Michel, avec son compère Alexander De Croo, le président de l’Open VLD, c’est exactement tout ce que dénonce le mouvement des indignés… Pas d’impôt sur la fortune car, pensez donc, les capitaux pourraient fuir ! Par contre, baisse progressive des allocations de chômage car « on ne peut plus se permettre un système de chômage qui n’encourage pas les personnes à réellement travailler » ! Et ceci au moment même où plus de 500 travailleurs de ArcelorMittal, qui ne demandent qu’à travailler dans cette entreprise qui fait de plantureux bénéfices et ne paie que quelque 500 EURO d’impôts grâce aux intérêts notionnels, vont être laissés sur le carreau ! Que nous sachions, ni le MR ni l’Open VLD n’ont gagné les élections du 13 juin 2010. Ils en ont même été les grands perdants. Alors pourquoi Laurette Onkelinx, qui parlait, à propos du gouvernement Leterme, d’une alliance contre-nature avec les libéraux, a-telle accepté de se plier à l’ukase d’Alexander De Croo et d’exclure ECOLO et Groen ! de la future majorité ? N’y a-t-il pas de quoi être profondément indigné ? ■

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israël-palestine Barack Obama, ambassadeur d’Israël aux Nations unies HENRI WAJNBLUM

N

ombreux sont ceux qui, devant leur téléviseur le 20 septembre dernier pour assister à la séance inaugurale de la session d’automne des Nations unies, n’ont pas dû en croire leurs oreilles… « Nous estimons que toute paix durable doit reconnaître les préoccupations sécuritaires très réelles qui sont celles d’Israël jour après jour. (…) Israël est entouré de voisins qui lui ont fait la guerre à maintes reprises. Des citoyens israéliens ont été tués par des tirs de roquette dirigés contre leurs maisons et par des attentats suicides à la bombe dans des autobus. Les enfants d’Israël savent, avant même d’arriver à l’âge adulte, que dans toute la région d’autres enfants apprennent à les haïr. L’État d’Israël, petit pays de moins de huit millions d’habitants, voit autour de lui un monde où les dirigeants de pays beaucoup plus grands menacent de le rayer de la carte. Les Juifs portent le fardeau de siècles d’exil, et de persécutions, et de souvenirs encore frais dans la mémoire des six millions des leurs qui ont été tués uniquement en raison de leur identité (…) ». Que se passaitil ? Barack Obama s’était-il trompé de texte ? Lisait-il par inadvertance le discours que Benyamin Netanyahu devait prononcer le 23 et que celui-ci n’avait pas manqué de lui communiquer ? Oublié le splendide discours du Caire d’il y a deux ans. Oublié le discours prononcé à la même tribune des Nations unies il y a un

an dans lequel il appelait de ses vœux un État palestinien pour fin 2011. Oublié enfin le discours du mois de mai dernier affirmant que les négociations entre Israéliens et Palestiniens devaient se dérouler sur la base des frontières d’avant le 5 juin 1967 avec des échanges de territoires mutuellement consentis. Pas un mot dans son discours du 20 septembre dernier sur les ravages de l’occupation et de la colonisation, pas un mot sur les morts palestiniens, pas un mot sur les agressions commises au quotidien par les colons… Quelle différence avec l’intervention magistrale de Mahmoud Abbas ! Un parfait sans faute… « Notre demande (de reconnaissance de l’État de Palestine) ne vise pas à délégitimer Israël, mais

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à délégitimer l’occupation ». La solution à deux États, pour autant qu’elle soit encore possible, c’est lui qui tentait de la sauver, pas Obama, pas Netanyahu dont le discours fut tout aussi pitoyable que celui du premier cité. Mais pour pouvoir parler d’égal à égal avec Israël, il faut impérativement que la Palestine devienne le 194ème membre des Nations unies… C’était cela le message d’Abbas. Va encore pour Israël qui ne veut précisément pas se retrouver à table avec un égal, mais comment les États-Unis peuventils ne pas le comprendre ? Comment peuvent-ils se réjouir des révolutions arabes et ne pas comprendre que le peuple palestinien a lui aussi, peut-être plus que tout autre, besoin de connaître son printemps ?

GESTICULATION DIPLOMATIQUE Et que penser de l’attitude de la France qui propose aux Palestiniens un statut de membre observateur à condition qu’ils s’engagent à ne pas utiliser la possibilité, qui va normalement de pair avec ce type de statut, de saisir la Cour pénale internationale pour faire condamner la colonisation, ce qui constitue la crainte majeure d’Israël ? Et que penser de la position du Quartette qui se réveille soudain pour appeler les deux parties à reprendre les « négociations » sans conditions, ce que veut précisément Israël et qui a fait qu’Avigdor Lieberman, celui dont on sait qu’il ne veut en aucun cas d’un État palestinien aux côtés d’Israël, a été le premier à approuver cet appel ? Saluons incidemment la position de Shalom Ahshav, la plus modérée des composantes du camp de la paix israélien, qui dans un communiqué sans ambiguïté « considère que seules des négociations entre Israéliens et Palestiniens sont à même de résoudre le conflit en cours. La demande de reconnaissance d’un État palestinien formulée aux Nations unies par l’Autorité palestinienne résulte de l’échec de la politique étrangère d’Israël et de sa diplomatie. Le premier ministre B. Netanyahu pourrait aisément changer de cap en décrétant un gel immédiat des colonies et en reprenant sérieusement les négociations sur la base d’une offre significative à l’adresse des Palestiniens. En lieu de quoi, le premier ministre est occupé à calmer son ministre des Affaires étrangères d’extrême droite et à rejeter toutes les accusations dans la cour des Palestiniens. Il est de l’intérêt d’Israël de voter en

faveur de l’initiative palestinienne aux Nations unies, et de reprendre les négociations le lendemain même afin de mettre un terme au conflit (…) ». Mais revenons en aux propositions de la France et du Quartette… Pensent-ils sérieusement que Mahmoud Abbas, pour autant qu’il le veuille et il ne le veut certainement pas, pourrait vendre leurs propositions, aussi absurdes l’une que l’autre, à son peuple qui n’en peut plus d’attendre que justice lui soit enfin rendue ? En réalité, toute cette gesticulation diplomatique n’a qu’un seul objectif, sauver la mise à Obama en évitant aux États-Unis de devoir opposer leur veto à un projet de recommandation du Conseil de Sécurité des Nations unies si la demande palestinienne obtenait les neuf voix nécessaires à sa mise au vote. Y arriveront-ils ? Rien n’est moins certain.

ET PENDANT CE TEMPS… Et pendant ce temps, la colonisation des Territoires palesti-

niens s’intensifie… C’est ainsi que dès le 27 septembre, montrant le cas qu’il fait des efforts diplomatiques pourtant déployés en sa seule faveur, Israël annonçait avoir approuvé la construction de 1.100 nouveaux logements dans le quartier de colonisation juive de Gilo à Jérusalem-Est occupé et annexé. Oh, la décision a bien été vivement critiquée par les ÉtatsUnis, « profondément déçus », par l’Union européenne, par la France, qui a parlé de « provocation », par la Grande-Bretagne qui a demandé l’abandon du projet, par le coordinateur spécial de l’ONU pour le processus de paix au Proche-Orient, Robert Serry, qui a estimé que l’annonce israélienne « nuit aux chances de reprise des négociations en vue de régler le conflit par la solution de deux États ». Mais qu’et-ce que cela peut bien faire à Israël puisqu’il sait pertinemment qu’aucun de ces pays ou instances n’est disposé à prendre la moindre sanction à son encontre ? ■

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lire À l’ombre de l’inquisition TESSA PARZENCZEWSKI

A

u départ d’une anomalie avérée dans la signature d’un tableau du Louvre, L’Homme au gant, attribué au Titien, Metin Arditi a laissé libre cours à une imagination exubérante pour construire un roman fascinant. Si Le Titien n’est pas l’auteur du tableau, c’est donc un autre. Et cet autre, l’auteur l’invente, avec une telle conviction, que le lecteur se met à douter de la fiction. Un enfant naît à Constantinople, ses parents juifs ont été chassés d’Espagne. Peu de métiers sont accessibles aux Juifs. Le père travaille comme employé au marché des esclaves. Très tôt l’enfant observe, scrute avec acuité les visages qui l’entourent et se met à dessiner. Mais reproduire le visage humain est interdit par la religion. Elie dessinera en cachette et en imagination. Dans une Constantinople où se côtoient les trois religions, il s’initie à la calligraphie arabe et contemple fasciné les fresques à l’église. À la mort de son père, il s’enfuit à Venise, change d’identité et se fait passer pour chrétien. Élève du Titien, qui lui donne le surnom de Turquetto, petit Turc, il s’intègre à la société vénitienne et devient un peintre renommé. Mais jalousies et intrigues veillent et l’artiste sera démasqué. Jugé par le tribunal de l’Inquisition, il sera condamné à mort et toutes ses œuvres détruites, il ne resterait aujourd’hui que le portrait de l’homme au gant. Mais comme le chat, le Turquetto

a plusieurs vies … De Constantinople à Venise, Metin Arditi nous plonge dans des univers contrastés où le sordide côtoie le sublime. C’est d’une

plume généreuse et colorée que l’auteur fait vivre toute la foule grouillante du Bazar de Constantinople et nous transporte ensuite à Venise, où les noms seuls des lieux en évoquent toute la magie, sans descriptions précises, si ce n’est une vision globale d’une ville aux canaux putrides, aux immondices à l’air. Plusieurs thèmes traversent le roman : les rivalités entre pouvoirs, les différentes visions de l’Église catholique, entre persécutions et

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compassion, le rapport à l’identité, dans le personnage d’Elie qui cache et en même temps préserve sa judéité, et quelques traits qui font tragiquement écho, encore aujourd’hui, lorsque Rachel, le modèle, s’empresse de regagner le ghetto avant la fermeture et remet son bonnet jaune… Mais ce qui donne au roman une aura incomparable et qui semble presque en être le sujet principal, est la manière dont l’auteur nous fait littéralement voir la peinture. La peinture dans son élaboration, les couches successives des matières, la précision du trait et la diversité des textures colorées, jusqu’à l’expression finale qui fait naître ce sentiment indéfinissable, cette sorte d’émotion qui n’émane que de certaines œuvres, et dont la source est toujours mystérieuse. Metin Arditi nous fait partager cette émotion à partir d’œuvres qui n’existent pas ! Personnage atypique, Metin Arditi est né en Turquie et a émigré en Suisse. Ingénieur nucléaire, il a enseigné à l’École polytechnique de Lausanne, il est aussi le président de l’Orchestre de la Suisse Romande et préside avec Elias Sanbar « Les instruments de la Paix-Genève » qui favorise l’éducation musicale des enfants israéliens et palestiniens. ■ Le Turquetto Metin Arditi Actes Sud 285 p., 20,95 EURO

Sous le signe de la solidarité. La chronique de vie d’Eva Golgevit TESSA PARZENCZEWSKI

U

n visage de plus à ajouter à la longue liste des femmes juives résistantes. À l’aube de ses cent ans, Eva Golgevit s’est décidée à livrer son témoignage, afin qu’aucune trace ne se perde, qu’aucune voix ne s’efface. Dans la notice biographique, nous retrouvons le même itinéraire commun à toute une génération : émigration de Pologne en Belgique et puis en France au dé-

but des années 30, précarité des « sanspapiers », à l’époque c’était « nous », précarité économique et pour certains, déjà la lutte, souvent au Parti communiste. Nous suivons Eva et son mari à Paris, apprenant le français et si heureux de pouvoir lire Romain Rolland dans le texte, mais privilégiant toujours la langue et la culture yiddish, dans ce « yiddishland dispersé » comme l’appelle Maxime Steinberg dans la préface. En septembre 1940, Eva s’engage dans le mouvement de résistance « Solidarité », branche yiddish de la MOI, (Main d’œuvre immigrée, d’obédience communiste). Son mari est prisonnier de guerre et son fils, né en 1937, sera placé plus tard en lieu sûr. En 1943, Eva est arrêtée et envoyée à Auschwitz. Innombrables sont les récits sur la déportation, chacun ajoute sa pierre. Pour Eva, ce sera la solidarité. Dans un optimisme volontariste, elle en recueille toutes les manifestations

en ces lieux où toute humanité semble abolie. Elle y croisera notamment Mala Zimetbaum. Le retour à la vie se fera progressivement, la famille n’a pas été épargnée, les frères d’Eva, restés à Bruxelles, s’engagèrent dans la Résistance, deux n’y survécurent pas. Après la guerre, Eva s’investira à l’UJRE, Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide, et particulièrement dans la Chorale populaire juive de Paris qui se dédie à la sauvegarde de la chanson yiddish. Dans une postface sensible, Jean, le fils d’Eva Golgevit, nous dit l’énorme poids des récits entendus tout au long de son enfance « Moi je reconnaissais le malheur partout, tout le temps, jour et nuit. C’était mon compagnon de voyage ». ■

Ne pleurez pas, mes fils… Eva Golgevit Préface de Maxime Steinberg Édition Le Manuscrit 253 p., 21,90 EURO

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lire, regarder, écouter Les bizarreries de l’admiration ANTONIO MOYANO

L

’admiration est une espèce de maladie chronique, une fois installée, impossible de la chasser. Bien sûr, elle connaît des phases de chaud et de froid, des hauts et des bas. C’est un peu le cas du volcan dans le « Ne me quitte pas » de Jacques Brel. L’admiration c’est tout le contraire d’une maladie, c’est plutôt une vitamine, un élixir de longue vie, une potion magique. Dans le meilleur des cas, l’admiration est accumulatrice et englobante telle une poupée russe ou ces chapeaux claques d’où le magicien extrait quantité de choses les plus invraisemblables. En pharmacopée, on parle de certains médicaments « à large spectre », l’admiration en fait partie. Et peut-on s’inoculer l’admiration comme une huître perlière, chose bien venue quand on se sent un peu flagada ? L’opération se révèle délicate et non sans quelque danger : lavez-vous les mains, mettez des gants de vaisselle, prenez le couteau à huître et ouvrez votre cœur à un nouvel amour et puis vous recousez l’entaille avec du gros fil. Bien choisir son « amour » est d’une extrême importance, un amour de préférence extra-muros et hors-saison. L’exotisme, le sentiment d’étrangeté c’est selon chacun. On peut le traquer à Overijse ou à… Bucarest. Ah ! La Roumanie ! Ça tombe bien, La Monnaie nous offre un pur chef-d’œuvre : Œdipe de Georges Enesco (1881-1955), seul opéra du répertoire à raconter le

Enesco

mythe d’Œdipe dans sa totalité. Il fut créé à l’Opéra de Paris le 10 mars 1936. « Seul opéra de George Enesco et fruit d’un travail étendu sur plus d’une vingtaine d’années, c’est l’un des ouvrages lyriques majeurs du XXième siècle »1. En Belgique, nous avons un grand défenseur de l’œuvre de Georges Enesco, le toujours si passionné et inégalable Monsieur Harry Halbreich : « Œdipe est l’un des suprêmes chefs-d’œuvre du théâtre lyrique de tous les temps… »2. Le livret de cet opéra est dû à la plume de Edmond Fleg (Genève 1874-Paris 1963), diminutif littéraire de Fleggenheimer, auteur

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de la très célèbre Anthologie de la pensée juive, auteur également du livret de l’opéra Macbeth de Ernest Bloch. En cherchant dans le catalogue en ligne des bibliothèques de Bruxelles-Capitale, 13 titres sont apparus au nom de Edmond Fleg, preuve que cet auteur n’est pas « hors-circuit ». Cette nouvelle création de La Monnaie est une coproduction avec le Gran Teatre del Liceu de Barcelone et avec el Teatro Colon de Buenos Aires. À l’heure où je rédige ces lignes je ne l’ai pas encore vu. Je croise les doigts pour que ce soit une belle réussite car rater un Mozart ou un Verdi ce n’est point trop grave, on les monte et

remonte sans cesse ! Par contre, rater une œuvre méconnue c’est tout simplement criminel, déjà qu’on la joue si, si, si rarement ! Donc, on résume : j’admire tout ce qui vient de Roumanie – grâce à un amour, o.k. on a compris. Mais tout aimer c’est aussi avaler quelques arêtes, et j’en ai avalé une et ça durait trois heures : L’Autobiographie de Nicolae Ceausescu, film documentaire, exclusivement fait avec des images d’archives et sans nul autre commentaire que de la musique. Ce film d’Andrei Ujica fait partie de la trilogie qu’il a réalisée sur la fin du communisme en Roumanie, et c’est peu dire que son film m’a mis très mal à l’aise, j’en suis sorti comme si j’avais subi un lavage de cerveau. « Ceausescu ? Quel bonhomme sympathique ! Et c’est si émouvant de le voir nager avec son Helena dont il semble éternellement amoureux. Et quel accueil hollywoodien en Chine ou en Corée ! Des milliers et des milliers de figurants à la descente d’avion ! Notre belle Roumanie était respectée en ce temps-là. Il était tiers-mondiste avant l’heure, vous savez ? Et pas aligné, il a reçu Alexander Dubcek les bras ouverts… ». En sortant de l’Arenberg, j’étais abasourdi et en colère ; j’avais du mal à saisir les intentions du réalisateur. Et 24 heures plus tard, tilt ! j’ai compris : à quoi pense le Conducator dans les quelques minutes qui ont précédé son exécution ? La réponse c’est le film d’ Andrei Ujica : on plonge dans la réalité perçue/rêvée/idéalisée par le dictateur. Chacun se souvient, c’était le 25 décembre 1989, un fantoche de « justicier procureur » qui reste hors-champ, les condamne à mort lui et son épouse, et les images qui suivent ont fait le tour du monde et nous font encore honte.

Honte, voilà un sentiment très collé à moi, alors je cachais par une carte postale la photo que j’avais arrachée dans Photo (magazine très en vogue en ce tempslà), je vivais chez papa-maman au 256 rue d’Aerschot et la photo était signée Richard Avedon. Elle était punaisée au mur de ma chambre parmi un patchwork d’autres photos, c’était une image en noir et blanc, un type barbu et chevelu donnant la main à une autre type, et la carte postale c’était juste pour cacher qu’ils étaient nus, le barbu c’était Allen Ginsberg, et l’autre Peter Orlovsky, et ils vont vivre une histoire pendant plus de trente ans. Howl ça veut dire hurlement, c’est le titre du tout premier recueil de poèmes d’Allen Ginsberg, et je suis allé voir le « biopic » Howl qui raconte le procès fait à Howl et à l’éditeur phare de la Beat Generation, Lawrence Ferlinghetti qui dirigeait City Lights Books. Howl est un film très attachant car très hybride, on y voit du dessin animé, la reconstitution d’une interview d’Allen Ginsberg, des images d’archives en noir et blanc, et du noir et blanc imitant des archives, et le procès proprementdit avec témoins à la barre, avocats, procureur et magistrat. Le film tente de nous faire entendre la poésie, c’est courageux et casse-gueule. Chez moi, la greffe a bien fonctionné, je suis parti direct relire Howl, suivi du Kaddish (collection 10/18). Peut-on admirer un écrivain sans jamais l’avoir lu ? Oui, absolument. Ainsi, je voue une passion pour Amélie N. dont je n’ai lu aucun livre. Aucun ! Et cela fait dix-neuf ans que ça dure ! Dixneuf ans que chaque année elle nous offre un roman à date fixe. Je ne l’ai jamais lue et je ne la lirai jamais, Dieu m’en préserve, et cependant, très sincèrement je

l’admire. Et tous les rabats-joie, les grincheux qui font des « Meuh ! Bah ! Oui, mais… » dès qu’on évoque Amélie N. me rendent furax. Que je sache, Amélie N. ne vole le pain de la bouche de personne ! J’aime son talent, sa réussite, son personnage, ses chapeaux, ses mitaines, ses tirages, ses apparitions, sa dégaine, ses interviews, son sens de la répartie, sa théâtralité, son petit côté toquée flamboyante, les longues files qui l’attendent pour une dédicace… Bref, qu’ai-je besoin de la lire puisque je l’aime tant et tant ! Je l’aime car elle admire Luc Dietrich (19131944), l’auteur du Bonheur des tristes, publié en 1935. Je le sais car Amélie N. a dit ça un soir sur Music3. C’est bien simple, à force de l’aimer tant et tant, je suis tout ramollo devant ses livres. Ecoutez-la dans la nouvelle émission radio de Frédéric Taddéï sur France-Culture (Le Tête-à-tête, chaque dimanche à 20h) Amélie N. était l’invitée du 9 octobre 2011. Et pour finir, salut l’artiste ! A tout bientôt Dieudonné Kabongo (1950-2011). La dernière fois que je l’avais vu c’était au Théâtre Varia, en février 2011, dans « Notre Petit Poucet » d’après le conte de Charles Perrault, texte et mise en scène de José Pliya, il était fabuleux ! José Pliya est le fils de Jean Pliya, grand écrivain béninois de langue française. Béninois ? Le Bénin ? Mais oui, l’ancien Royaume du Dahomey, Angélique Kidjo, tu connais ? Non ? ! Je vous raconterai une prochaine fois comment le Bénin a été ma porte d’entrée en Afrique et source de multiples admirations… (à suivre) ■ Alain Cophignon, Georges Enesco, Fayard, 2006. Voir le coffret paru chez EMI en 1990, José Van Dam dans le rôle titre, sous la direction du chef d’orchestre Lawrence Foster (Los Angeles, 1941) grand défenseur lui aussi de Georges Enesco.

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lire, regarder, écouter Notules de septembre et octobre GÉRARD PRESZOW

C

hangement d’adresse. Ma grande sœur a déménagé. Elle est passée du 35, rue de la Glacière, SaintGilles, au 119, 22è Avenue, Ixelles (non, pas New York). Autrement dit, du home communautaire « altesheym », dont on pourrait croire que, dans une rue ainsi nommée, il assure l’éternité, au colombarium du cimetière d’Ixelles. Enfant, j’étais assidu de ce home et j’en prononçais d’oreille le nom dans un yiddish approximatif : « alte’haïm », mots que je répétais comme une formule, comme les paroles ânonnées d’une chanson mal comprise ; ou encore, dans la foulée des noms des « généreux » donateurs apposés en relief sur le mur du hall d’entrée : Simon et Lina Haïm. C’est bien le lieu d’avoir un patronyme qui se confond avec « la vie » ! Ou était-ce ma mère, salonicienne, plus agile en ladino qu’en yiddish, qui m’a transmis la formule à moitié ? Cela donnait « vieille vie » ou « vieillesse heureuse », un peu comme une suite logique à la colonie « Maison du Bonheur », un lieu pour grandir, un lieu pour vieillir. Rien que de la joie ! De fait, un lieu pour mourir. Un hospice, un mouroir mais… lumineux, lumineux… Ma sœur (se) repose désormais dans une urne. Elle est ainsi passée du froid piquant à la chaleur ex-

trême. Une première dans la famille, du moins de cette manière. Sans doute l’un des bénéfices des couples mixtes… J’ai toujours pensé que la crémation serait sacrilège et que l’inhumation allait de soi (au cimetière-kerkhof de Crainhem-Kraainhem, de préférence, moins pour des raisons de facilités linguistiques que… par tradition familiale). C’est beaucoup dire que je m’y habitue mais disons qu’après avoir assisté à quelques crémations (fautil d’ailleurs préférer le mot « crémation » au mot « incinération » et vice versa ?) choisies par des Juifs proches, je m’y fais. Enfin, à dire vrai, pas vraiment. Mais voilà que le mot « inhumation » s’utilise aussi pour une urne. C’est l’avis nécrologique du journal Le Soir qui m’en informe. J’y perds mon latin et ma foi en l’étymologie (10 ans de latin quand même et quatre d’étymologie) qui me laissaient croire qu’ « inhumer » revenait à mettre dans l’humus, dans la terre. « Après crémation à Silence, inhumation de l’urne à Ixelles », soit les deux en un. Cimetière d’Ixelles, c’est d’abord un lieu dit, un rond-point, un quartier qui évoque une trépidante vie étudiante jusqu’à pas d’heure (restos, cafés, boîtes, night shop…) et quelques enseignes à hauteur d’une certaine clientèle locale (Pain quotidien, Godiva, Neuhaus, Galler... )

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situé à mi-chemin entre les deux campus universitaires – le Solbosch et la Plaine –. C’est aussi le nom d’un arrêt de bus fort couru : 95 et 71. Et c’est, enfin et d’abord, l’emplacement d’un des plus jolis cimetières de Bruxelles, l’un de nos Pères Lachaise. Des personnalités illustres y séjournent : du général Boulanger exilé à Bruxelles et venu s’y tirer une balle sur la tombe de sa mie à peine disparue, à Marcel Liebman dont l’enterrement donna lieu à une longue manif sans slogans. Le lendemain, dès l’ouverture, j’en franchis les grilles. Il fait radieux. J’entre dans la loge du concierge. « Vous pourriez me dire où habite ma sœur ? ». « Son nom ? ». « De mariage ou de jeune fille ? » « De jeune fille ». Tiens, on meurt comme on naît. « Vous pensez qu’une plaque avec son nom est déjà apposée ? C’était hier ». « Cela dépend de la firme de Pompes Funèbres ». Il sort un classeur : « La plaque est déjà dessus. Pour le columbarium, vous allez tout droit, prenez le rond-point, poursuivez à 12 heures, descendez, longez une haie, vous verrez une barrière en bois, tout de suit à droite après le colombarium des enfants ». Et, plein d’attention, il me remet un papier avec l’adresse. Le colombarium est effectivement au fond en bas et j’aperçois bien vite la plaque lumineuse de cuivre toute étince-

Nouvelle adresse. Photo gépé

lante d’un soleil qui me renvoie le nom de ma sœur. Je m’étonne de mon émotion. Pas un choc mais une rencontre sous l’emprise du nom et de quelque chose d’elle qui, quand même, séjourne là. Je m’inquiète du devenir de cette présence et m’arrête chez le concierge avant de partir. « Les urnes, c’est à perpétuité ? » « Mais Monsieur, depuis 1971, c’est fini la perpétuité, les caveaux, tout ça…. Ça va de 15 ans en 15 ans. C’est comme une location, mais vous payez à l’avance. Ce qui se fait beaucoup maintenant, c’est le champ d’urnes » « Le champ d’urnes ? » « Oui, il y a une pelouse là-bas, on met l’urne dans une espèce d’étui en PVC et on l’enterre ». « C’est votre chien ? » « Oui, il est tout jeune, encore un peu fou-fou ; mon ancien est mort et incinéré. Non, les cendres ne sont pas ici… » « Vous avez besoin d’un chien pour votre travail ? » « Mais Monsieur, vous ne

vous rendez pas compte ; il y en a qui prennent le cimetière pour Ixelles-plage. Je dois les mettre à la porte, leur rappeler la solennité du lieu. Quand je fais mon tour, c’est plein de canettes, d’emballages de hamburgers, de cartes de banque, de sacs vides… Avec ces nouvelles boîtes de nuit dont certaines sont déjà fermées par ordre de police et le Quick qui a la permission de cinq heures du matin, un chien est indispensable. » Je repasse les grilles sans que quelqu’un me présente l’eau pour me laver les mains. * J’allais vous parler de l’un et c’est l’autre qui me vient. Je ne pensais pas vous parler de l’autre, je ne trouvais pas les mots, j’y avais renoncé. Et voilà que l’autre s’impose quand je m’apprête à vous parler de Mon nom, un film

d’Olivier Hespel, un titre qui, vous l’aurez remarqué, se lit dans les deux sens, un palindrome, comme se présente faussement l’identité face au miroir... C’est toujours quelqu’un d’autre face à soi. Et c’est de cela qu’il s’agit, sur un mode léger et touchant, dans ce film. Olivier Hespel s’est un jour rendu compte qu’il n’était pas le seul à s’appeler Olivier Hespel, que son nom ne suffisait pas à faire la différence, que son corps n’était pas le seul à porter son nom. Son nom ? Ce nom. À lui, l’ingénieur du son sur de nombreux films, prof à l’INSAS, on parlait plus volontiers de « son » dernier article paru que du film auquel il avait collaboré. Olivier Hespel est donc parti à la rencontre d’Olivier Hespel, le journaliste, et d’autres Olivier Hespel encore, le vendeur de voitures, le « Corse qui n’est pas corse ». Après avoir interrogé l’identité dans un film sur

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➜ le mariage surprise de sa sœur à la synagogue, « Variations sur une base obstinée » en 2006, Olivier Hespel, le cinéaste, poursuit son questionnement. Il n’est pas dans l’introspection, il ne vrille pas de l’intérieur, il esquisse un décor, il met le nom en situation, il thématise et organise la pensée plus qu’il ne médite. Et on l’accompagne volontiers. Chacun des protagonistes a droit a sa phrase qui nous le singularise et nous le rend attachant : - Olivier Hespel 1 : « mon père

s’est vite tiré, mon ancrage généalogique est plutôt du côté maternel, du côté des Katzenstein » - Olivier Hespel 2 : « je venais de recevoir un jouet revolver. Il m’a convaincu de le lui donner ; en fait, il me l’a volé ; il m’a donné un nounours en échange. Finalement, j’ai préféré » - Olivier Hespel 3 : « à la maison il y avait plein de photos d’une madame, qu’on appelait « la madame aux chiens ». Plus tard j’ai appris que c’était ma mère » - Olivier Hespel 4 : « pour quel-

qu’un qui n’est pas corse je suis corse, et à juste titre. Pour un corse je ne suis pas corse, et à juste titre ». Et chacun emmène les autres sur son lieu de naissance. Un road movie tendre et burlesque qui trouve son épilogue parmi les oliviers. L’autre qui me venait, au prénom androgyne, et dont je pensais ne rien pouvoir dire, c’est Claude Cahun (1894-1954). Et pourtant, ses photos ciselées et ses phrases offensives persistent. De son

vrai nom Lucy Schwob, nièce de l’écrivain Marcel Schwob, amie des surréalistes Breton et Desnos, elle expérimente la photographie en véritable artisane. Des petits formats quasi perdus dans des grands passe-partout : elle elle elle et elle. Lumière au couteau, transformée, le visage aigu, les seins écrasés, dissimulés ; un profil à la Cocteau. Masculin/Féminin : toute une vie à mettre en scène et en image ce que dit le corps à l’esprit, à le visualiser, à l’incarner. Elle et sa compagne frôlèrent la mort quand les nazis occupèrent Jersey où elles demeuraient. Elles y ont échappé tandis que leur maison fut mise à sac. En pensant au film d’Olivier Hespel, en repensant à l’exposition de Claude Cahun, c’est comme si les formes s’adressaient à des couches diverses de la vie sensible : un plaisir non boudé de l’immédiateté et d’un récit sans écueil d’une part, et le lent chemin des tentatives et bégaiements d’une vie qui se donne elle-même comme œuvre d’art, d’autre part.

de Marie Vassilieff (1884-1957), plasticienne et égérie des jours anciens. Expo consacrée au poète et éditeur Pierre Seghers (19061987), l’initiateur de la fameuse collection au format carré, des monographies de poètes et de chanteurs à texte. Hommage aux poètes de la Résistance (Char, Eluard, Aragon... ), quelques manuscrits de poèmes raturés et de correspondance amie. L’expo a sa bonne dimension tandis que passent en boucle Ferré et Caussimont. Je pars en emportant un petit livre – bel objet bien édité – : Alain Jouffroy (1928), La vie réinventée à Montparnasse, Éditions Musée du Montparnasse, 2011. Formidable petit texte qui rend hommage aux « métèques » des années 20 : Amadeo Modigliani (18841920), Haïm Soutine (1893-1943), Julius Mordehaï Pascin (18851930), TristanTzara (1896-1963), Man Ray (1890-1976)... Il y a tant d’amour et d’admiration dans la plume de Jouffroy qu’il nous les ressuscite pour demain. *

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Fanfare à l’abri. Photo gépé

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L’endroit est d’abord introuvable. Et pour cause, dans ce quartier de Paris écrasé par la pachydermique Tour Montparnasse, quelques numéros de la rue du Maine sont dissimulés à l’ombre du monstre. On a beau faire et refaire le chemin, rien ne mène au lieu convoité : le musée du Montparnasse. Pour finalement trouver cette exquise impasse dissimulée par la sortie d’un tunnel, où se tient ce qui fut la maison

Au centre d’art contemporain bruxellois, le Wiels, se tient l’expo d’Alina Szapocznikow (19261973)… Juive ayant échappé à Auschwitz, elle ne survivra pas à un cancer précoce. On nous dit qu’elle est célèbre dans son pays, la Pologne, et que désormais elle devrait l’être dans le monde entier. Coup de pub ? Coup de bluff ? On ne sait jamais avec l’art contemporain ce qui tient de la stratégie des collectionneurs ou de l’esprit curieux de quelques dé-

couvreurs, d’autant que l’expo se tient dans le cadre de la présidence polonaise de l’Europe. Mais soit, voyons. Après un démarrage académique, elle vire et bascule dans son époque en utilisant la résine synthétique. Elle conçoit des lampadaires flashy, dans les couleurs orange années 70, moulés sur ses lèvres pulpeuses ou celles de ses amies. De plus en plus, elle travaille les empreintes de la chair, recompose les agencements du corps – seins, bouche, visage. Un côté poupées de Bellmer sur des corps vivants. Le sien, le plus souvent. Le polystyrène se fait peu à peu garde-mémoire dans lequel elle enferme des photos de famille, des feuilles de journal. Et l’imprévisible surgit – à moins qu’elle ne l’ait anticipé et conçu pour – ; il se passe cette chose vibrante : alors que la matière enrobante devait laisser entrevoir l’intérieur, elle s’est mise à jaunir jusqu’à le soustraire au regard extérieur. La mémoire est redevenue organique et ne cesse de continuer à vivre. Pendant ce temps, en ce jour de Bruxelles sans voitures, le Musée avait mis les petits plats dans les grands. Et par les fenêtres, on pouvait voir l’inauguration d’un terrain vague transformé en potager pour le quartier et tomber nez à nez au rez-de-chaussée avec la fanfare qui venait s’abriter de la drache des commencements. Au Wiels jusqu’au 08.01.2012. ■

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lire, regarder, écouter Brassens intime à l’UPJB JACQUES ARON

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que ce chanteur-auteur-compositeur avait ainsi inextricablement mêlés, cette voix-là nous poursuit toujours. Et certains, trente ans après sa mort, parviennent encore à nous le restituer, à nous le rendre plus proche, je dirais presque à nous le faire toucher, à le rendre palpable, à le saisir dans son mouvement de lutteur forain, à nous faire deviner ce corps qui n’avait besoin sur scène que de sa seule présence, sans ce clinquant, sans cette drogue de sons et de lumières qui entourent tant d’éphémères feux d’artifice. Brassens fut accueilli à Bruxelles au début des anGeorges à la veste de velours. Photo Pierre Cordier, 1965 nées 1950 dans profondément savant qui remon- la famille Cordier qui avait fait la te à Villon. Nous en avons aimé et connaissance de Patachou, laentendu bien d’autres, quand ils quelle leur avait parlé d’un cerpassaient par Bruxelles, mais cet- tain Georges… qui prit bientôt ses te voix-là, inextricablement mêlée quartiers dans ce milieu ouvert et aux vibrations de la contrebasse chaleureux où manifestement il se de Pierre Nicolas, son vieil ami, sentait à l’aise. C’est là que le jeuqui soulignait les mots des notes ne Pierre Cordier, admiratif deour beaucoup d’hommes et de femmes de ma génération, Georges Brassens aura été cette voix chaude, inimitable, ces paroles qui surprennent encore, ce terroir imaginaire, populaire et

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vant ce grand frère qui paraissait si libre dans sa façon de vivre, si communicatif d’idées si peu conventionnelles, commença à le photographier et, passionné d’appareils d’enregistrement, à fixer la mémoire d’un groupe d’amis qui reprenaient en chœur les chansons naissantes de Brassens. Il y a dix ans, vingt ans après la mort de Georges survenue en 1981 – à l’âge de soixante ans – un petit CD1 nous a restitué ces prises de son d’amateur des années 19521955. On y découvre, surpris, dans une vingtaine de chansons, dont quelques textes abandonnés par la suite, cette étonnante révélation du débutant maladroit, que Pierre Cordier souligne volontiers aujourd’hui : « Mais comment on fait pour chanter dans un micro ? » Pierre Cordier a, depuis, suivi son propre chemin, devant comme Georges abattre bien des préjugés pour faire reconnaître la liberté créatrice (à laquelle Brassens n’est peut-être pas étranger) que lui a donnée l’invention en 1956 d’un procédé, le « chimigramme » qui, selon ses propres mots, « combine la physique de la peinture et la chimie de la photographie, sans appareil photographique, sans agrandisseur et en pleine lumière ». Aussi peuton parfaitement comprendre son hésitation à rassembler un jour ses souvenirs et ses innombrables photos, depuis ce Brassens

Chimigramme 1979 (détail) : Hommage à Etienne Marey (1830-1894). La gamme des chimigrammes de Pierre Cordier s’étend de la réinterprétation des classiques aux compositions les plus abstraites

aux chiens de 1952, dans la neige, près du Bois de la Cambre, qui ouvre la pochette du CD historique. Comme d’autres amis proches de Brassens, Pierre n’a pas voulu être de ceux qui exploiteraient indûment sa gloire posthume. Le livre qu’il vient de publier, ce Brassens intime qu’il viendra présenter à l’UPJB2 est à tous égards un beau livre : texte dense, redécouverte de la richesse et de la générosité de l’œuvre du chanteur, de sa compagne Püppchen, de ses amis de cœur, où l’image du jeune Pierre (sans sa barbe blanche d’aujourd’hui) n’apparaît qu’au détour d’une conversation

entre Brassens et l’écrivain JeanPierre Chabrol. Magie de la photo en noir et blanc, riche de tant de nuances parfois d’une telle intensité que la fumée d’une pipe parle encore à d’autres sens que la vue. Peut-être plus ouverte à l’imagination et au souvenir que la photo en couleurs trop saturée de menus détails. Et dans ce livre, Pierre Cordier se révèle comme une plume autant que comme un œil. ■

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Universal Music S.A. France, 2001. Éditions Textuel, Paris, 2011.

UPJB Vendredi 25 novembre 2011 à 20h15 Pierre CORDIER présentera et dédicacera son livre BRASSENS INTIME Photographies et souvenirs Introduction : Jacques Aron

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histoire(s) L’ORT en Belgique JO SZYSTER

L

e Musée Juif de Belgique présente en ce moment deux expositions temporaires. Elles se prolongent jusqu’au 31 décembre. L’une d’elles s’intitule « Artisans et paysans du yiddishland (1921-1930) ». L’exposition est centrée sur la présentation d’une soixantaine de tirages de plaques photographiques en verre qui représentent des scènes de la vie des champs, de colonies agricoles, d’ateliers. Les photos ont été prises dans les années 20 et 30 principalement en URSS mais aussi en Lituanie, Lettonie, Pologne et Roumanie. Quelques clichés ont aussi été pris dans des écoles de l’ORT de la même époque. Je ne vais pas m’étendre sur l’histoire de l’ORT ; allez voir cette exposition, elle vous en apprendra beaucoup sur un aspect peu connu de la vie juive dans le yiddishland d’avant guerre. Rappelons simplement que l’ORT a été créée en 1880 à SaintPetersbourg et qu’elle s’est particulièrement développée en Russie après la révolution d’octobre de 1917. Les initiales ORT sont les premières lettres du nom russe de l’organisme, nom qui translitéré en français donne : Obshestvo Remeslenogo zemledelcheskogo Truda (Société pour les métiers et le travail agricole) En français on a attribué aux initiales ORT la signification suivante : Organisation

Reconstruction Travail. Pour nous, anciens de l’USJJ et de la « Solidarité juive », l’ORT fait partie de notre vécu. On voit par exemple sur une célèbre photo de la cantine de « Sol » installée dans l’immédiat après guerre au niveau cuisine-caves du 61 rue de la Victoire, des élèves de l’ORT qui venaient y prendre régulièrement leurs repas. Parmi ces élèves, on voit notre amie Berthou (cette belle rouquine qui a fait battre tant de cœurs…) dont le totem « Tigresse » en dit long sur sa fière personnalité. Et en parlant de Berthou, on pense immédiatement à son mari Charles Erlbaum (Fourmi), de nombreuses fois moniteur à la Villa Johanna, célèbre à l’époque dans le petit monde de l’USJJ et des colos pour son humour et ses talents de comédien, lui aussi ancien élève de l’ORT. Mais il y en eut bien d’autres ; Charles Epstein (Autruche) de la section Michel, Maurice Haber, Sam Dunkelman, Jacques Dunkelman que des centaines d’enfants ont eu comme moniteur à la Villa Johanna, Bella Shriftgisser et son frère Maurice (Gazelle), Eugène Lipinski (Poulain) qui a fait partie du contingent USJJ parti rejoindre la Haganah lors de la guerre d’indépendance d’Israël. Tous ces jeunes qui sortaient de la guerre et se retrouvaient dans des familles brisées, ruinées, ou qui étaient parfois orphelins… Pour nombre d’entre eux, l’ORT a

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été une des institution qui les a aidés à reprendre une vie plus ou moins normale. En effet, immédiatement après la libération et essentiellement grâce aux fonds du « Joint » américain, avec l’aide de l’AIVG (Aide aux victimes de l’Oppression nazie, qui, depuis 1973, est devenue le Service Social juif ), l’ORT s’installe en Belgique. Elle ouvre une école à Anvers et une à Bruxelles. Dans l’immédiat après guerre, « Solidarité juive » et l’ORT participent activement à la reconstruction de la sociabilité de la communauté juive en ruine. Pour « Solidarité », pas seulement grâce à sa cantine où des élèves de l’ORT sans ressources viennent prendre un repas quasi gratuit, mais aussi grâce à son « vestiaire » et à son « service social » qui distribuent meubles et vêtements aux gens qui, affectivement et matériellement, avaient tout perdu. Et il n’y avait pas que les rescapés des camps ou de la clandestinité qui avaient vécu en Belgique avant la guerre, il y avait aussi ces milliers de « transitaires » juifs rescapés des camps, en provenance de pays de l’Est qui erraient à travers l’Europe de l’Ouest à la recherche d’un lieu où s’installer et dont aucun de ces pays ne voulait… À l’ORT Belgique, il y a aussi eu des professeurs qui étaient des amis proches de « Solidarité juive ». Tous les anciens élèves se

Paysans juifs dans la région montagneuse de Russie sub-carpathique (MJB-JMB)

souviennent encore du professeur d’électricité Hirsh Sapir et de son savoureux français coloré d’accent yiddish, du redouté professeur de math Max Epstein qui venait aux cours avec ses souliers à semelles amovibles fabriqués par son frère Wulf, l’inventeur du soulier démontable… Le directeur de l’école Boris Milgrom était un sympathisant de « Sol ». Le militant communiste et militant de « Sol » Roger Van Praag a été président de l’ORT après son retour de captivité. Dans l’immédiat après guerre, l’ORT Belgique a toujours été un sujet d’intérêt pour « Sol ». Les nombreux articles consacrés à l’ORT et à son activité publiés dans la presse en yiddish de « Sol » depuis 1945 en témoignent. Voici par exemple l’article paru le 6 juin 1947 dans la « Page belge » de Naye Prese (Presse Nouvelle), le grand quotidien en yiddish publié à Paris par l’UJRE, l’organisation soeur de « Solidarité juive ».

350 JEUNES JUIFS APPRENNENT UN MÉTIER À L’ÉCOLE « ORT » EN BELGIQUE Par B. Litvak [Boris Szyster]

L’AVENIR APPARTIENT AUX TRAVAILLEURS HAUTEMENT QUALIFIÉS Une des conséquences les plus tristes de la guerre est la psychose des gains faciles et immédiats. Encore plus triste est que cette psychose s’est installée chez une grande partie des jeunes. Eux et leurs parents ou tuteurs oublient que cela ne sera pas éternel, que les temps changeront finalement et que la vie prendra des formes normales auxquelles nous devons nous préparer. L’époque où être un « apprenti » chez quelqu’un pendant de longues années est depuis longtemps révolue. Les temps de faire des gains faciles partiront aussi. Alors que les développements de la science et des techniques font

des pas de géants, on demandera de plus en plus de travailleurs qui ont une bonne éducation et qui ont suivi un apprentissage de base théorique et pratique pour chaque métier. L’avenir appartient donc aux travailleurs hautement qualifiés qui devront avoir fait une école et être bien armés des connaissances théoriques et pratiques requises pour exercer leur métier. Les parents commettent une grande erreur en envoyant leurs enfants chez « quelqu’un » pour apprendre un métier, pensant en outre qu’après quelques semaines leur enfant gagnera de l’argent. En vérité, le garçon ou la fille va « peut-être » entre temps gagner quelque chose, mais le « peutêtre » est « presque rien » – en fait tout cela ne lui apprendra jamais son métier. Par conséquent, chaque père, chaque mère doit réfléchir correctement à la question : de quoi dépend la vie future de son enfant.

L’ORT ET SON ACTIVITÉ Chacun a entendu parler de l’organisation mondiale ORT dont le but est de former des ouvriers hautement qualifiés parmi les Juifs. Depuis un an et demi, il existe en Belgique (à Bruxelles) une division « ORT » qui, au cours de sa courte période d’existence, a réalisé de véritables miracles dans le sens de la préparation et de l’organisation d’une série d’écoles, de cours et d’ateliers où des professeurs et instructeurs expérimentés s’occupent de l’éducation professionnelle d’environ 350 élèves qui fréquentent l’école en ce moment même. La population juive de Belgique ne connaît ce-

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➜ pendant que très peu l’activité de l’ORT. Nous pensons donc intéressant d’apporter quelques informations et quelques chiffres qui montreront l’importance du travail de l’ORT. Le système d’apprentissage de l’ORT est subdivisé en 2 sections : école du jour et école du soir.

ment par des adultes. Les cours durent 8 à 10 mois et sont uniquement consacrés au travail pratique. On y apprend : la bonneterie, le tricot mécanique, le tissage artistique à la main, la coupe et la couture pour dames, la fabrication de corsets. Plus de 100 hommes et femmes fréquentent les cours. Dans les mêmes locaux, il y a aussi :

d’une école de Boisfort. Pour la nouvelle année, on prévoit des ateliers d’enseignement pour adultes où seront donnés des cours d’installations électriques, de fonderie, de radio-technique et de réparation de machine à écrire. La durée de l’apprentissage sera de 6 à 10 mois.

L’ÉCOLE DU JOUR AU 67 RUE VAN SOUST

LES COURS DU SOIR Principalement pour adultes, on y enseigne : tailleur pour hommes, tailleurs dames, couture et un cours de technique chimie dans un laboratoire de chimie très bien agencé. On y donne aussi un cours de cartonnage et d’emballage pour des enfants de 10 à 14 ans qui vivent dans les homes de Wezembeek et d’Auderghem. Ces cours sont donnés une seule fois par semaine par un professionnel belge

Après avoir donné les chiffres énoncés ci-dessus, il est intéressant de faire remarquer que tous les cours sans exception aucune sont conformes au programme de l’organisation ORT et qu’ils sont accompagnés de tous les outillages et machines utiles, du matériel et des installations, en un mot, de tout ce qui est nécessaire pour la formation totale et complète d’un ouvrier qualifié. À la fin de l’année, il y a des examens et selon le résultat l’élè-

Elle se trouve dans un grand bâtiment bien organisé et fréquenté par environ 60 élèves de 15 à 20 ans d’âge. On y trouve les sections Kolkhoze Sholem-Aleykhem. Ukraine (MJB-JMB) suivantes : Mécanique (forge et fonderie), L’ÉCOLE DU JOUR menuiserie, électromécanique et AU 42 BOULEVARD DE LA CAMBRE radio-technique. Dans chaque section, on donne Elle se compose de 2 sections : des cours théoriques et pratiques. l’école générale où la durée d’apLes cours théoriques sont donnés prentissage est de 3 ans, et l’écopar des professeurs expérimen- le de perfectionnement qui dure 8 tés, ils comprennent les branches à 10 mois. suivantes : physique, chimie, alLa première section est frégèbre, géométrie, technologie quentée par environ 60 élèves. et dessin technique. On y donne On y donne aussi des cours théoaussi un enseignement général : riques et pratiques. On y apporte français, géographie, histoire jui- beaucoup de soins à la pratique. ve, hygiène et exercices sportifs . Les divisions sont les suivantes : Le travail pratique pour lequel coupe, couture et bonneterie. Comme théorie, on donne : il y a un responsable instructeur dans chaque section est consacré technologie du textile, anatomie, pour plus de la moitié des heu- histoire du vêtement, dessin de res à l’apprentissage. Les ateliers mode, ainsi que français, histoisont destinés à la mise en prati- re, géographie, exercices sportifs, que des cours théoriques ensei- natation. gnés. L’école consacre une place spéLa durée des cours est de 3 an- ciale à la prise des mesures du nées après lesquelles chaque élè- corps humain et à la couture pour ve sort comme technicien qualifié jeunes et enfants. Après avoir terminé la prede 1ère classe.

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mière année, les élèves peuvent déjà réaliser de beaux pantalons. Après la deuxième, ils sont considérés comme de bons demiouvriers, après avoir terminé (3 ans) ils sont considérés comme ouvriers qualifiés de première classe en tant que tailleur sur mesure pour hommes. La deuxième section a spécialement été créée pour les adultes ou d’autres qui connaissent déjà un peu le métier. On y consacre une plus grande partie du temps au côté pratique et seules 6 heures par semaine sont consacrées aux cours généraux. Après 8 à 10 mois, les élèves sont de bons assistants pour le métier de tailleur sur mesure et les métiers de la confection.

UN ENSEIGNEMENT GRATUIT

ve monte de classe. À la fin des 3 années de cours, il y a un examen officiel devant un jury, en présence de professeurs confirmés par le gouvernement. Après un résultat positif de l’examen final, l’élève reçoit le diplôme ORT universellement reconnu. La formation à l’ORT est entièrement gratuite. Au cas où un(e) élève (orphelin ou nouvel immigrant) n’a pas de moyens d’existence, il (elle) reçoit une somme d’argent subventionnée par l’A.I.V.G. et d’autres organismes, somme d’argent qui est plus élevée que le coût de l’entretien du jeune étudiant. Il existe aussi un comité de Dames de l’ORT qui intervient par une aide matérielle dans des cas particuliers. Il est souhaitable et utile que l’intérêt de la population juive pour l’ORT soit plus grand, spécialement parmi ceux qui ont des enfants ou des adolescents qui doivent être dirigés dans la bonne voie pour en faire des travailleurs sains, conscients et productifs. ■

Musée Juif de Belgique rue des Minimes, 21 1000 Bruxelles 02.512.19.63 Paysans et artisans du yiddishland (1921-1938), jusqu’au 31 décembre 2011

L’ÉCOLE DE JOUR DU 8 RUE DE TRÈVE Elle consiste en ateliers d’apprentissage de diverses sections qui sont fréquentés principale-

Yaruga (Ukraine, Podolie). Vignes Grinberg. La cueillette des raisins (MJB-JMB)

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histoire(s) Le journal de Nelly Ptachkina ROLAND BAUMANN

L

a traduction en français du Journal de Nelly Ptachkina (1903-1920) nous plonge dans l'intimité d’une adolescente juive, en Russie, dans la guerre civile. Témoignage bouleversant de la vie intérieure d’une « petite fille » qui, pour Joseph Kessel, « avait une extraordinaire faculté d’analyse, une curiosité universelle, une raison singulièrement pénétrante et précoce, une science parfaite du style ». Document précieux sur la révolution russe, vue par cette « fille de bourgeois », rêvant au socialisme et à « l’amour libre », à la fois enthousiasmée et terrifiée par cette époque de grandes tribulations et de virulences antisémites. Lycéenne à Saratov lors de la révolution d’Octobre, Nelly et sa famille ont été forcés de fuir. Son père étant recherché par les bolcheviks, ils se sont réfugiés à Moscou lorsque commence le récit, en janvier 1918. La lecture du Journal de Marie Bashkirtseff (1858-1884) a incitée Nelly à écrire sa vie « jour par jour, comme si personne au monde ne devait la lire, et, en même temps, avec l’intention d’être lue ». Comme cette jeune artiste enlevée par la tuberculose, Nelly veut que son journal montre son évolution intellectuelle. Face à la guerre civile, l’introspection de l’adolescente, rêvant de devenir écrivain, faire de grands voyages et « rencontrer l’amour », devient le témoignage

d’une « enfant » confrontée à la misère, aux pénuries alimentaires et à l’explosion de violences politiques : «Nous savons ce que le lendemain nous réserve et nous savons que ce sera terrible. Demain... Qu’est-ce qui nous attend ? » À la veille du premier anniversaire de la révolution de février, elle remarque : « La fête du printemps où tout semblait illuminé par les rayons du soleil, s’est transformée en un drame terrifiant. Il n’y a plus d’illusions, le conte de fées s’est évanoui ». Nelly et sa famille doivent bientôt fuir la capitale pour se réfugier à Kiev, occupée par les Allemands qui soutiennent les nationalistes ukrainiens. Nelly reprend le lycée. Son journal ne cesse d’évoquer ses lectures : Tolstoï, Les Misérables, ... L'histoire de la révolution française d’Adolphe Thiers ! Elle adore la danse, rêve d’amour, d’université, de théâtre, de voyages... à Paris, Londres. L’adolescente décrit ses longues promenades dans le Jardin impérial et le long des falaises du Dniepr ; « tout au bord du gouffre ». Rien ne calme ni n’apaise son âme comme la nature. Mais elle aime aussi la vie citadine, « la gaieté d’une vie légère et bruyante ». Nelly espère que la Russie finira par sortir « régénérée» du conflit civil. Mais, elle dénonce la misère, les inégalités sociales, la prostitution. Ses sentiments et ses pensées sont « du côté du

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socialisme ». Elle se dit socialiste dans sa vision du pouvoir, de la situation de la classe ouvrière, de l’égalité des droits... « entièrement du côté du peuple et du socialisme ». Son devoir, comme celui de chaque personne, est de « Lutter pour un avenir radieux où il n’y aura plus de déshérités, où tous seront frères dans l’esprit ». Elle veut « sortir de l’ordinaire » sans pour autant renoncer à sa féminité : « [...] dans mes rêveries, je concilie les enfants et la vie indépendante, parfaitement confortable et belle. La question féminine me préoccupe au plus haut point. [...] de tout mon coeur et de tout mon esprit, je suis persuadée que les femmes doivent jouir des mêmes droits que les hommes [...] ». Elle exprime son hostilité au mariage, « un esclavage », et se déclare pour l’amour libre. L’adolescente dénonce l’obscurantisme et l’injustice sociale, « la pauvreté des ouvriers, l’existence sans espoir de leurs enfants, une lutte permanente pour un morceau de pain ». Elle s’offusque de l’indifférence bourgeoise : « Comment peut-on vivre tranquillement en sachant que des gens meurent de faim, qu’ils succombent dans les ténèbres ? » Effrayée par la misère de la société russe, elle veut rester en Russie, étudier le droit à l’université de Moscou afin de se consacrer ensuite au travail social et se mettre au service des travailleurs : « Il ne suffit pas de militer dans les partis, d'obtenir des droits

politiques. Il faut s'intéresser à la vie individuelle de chacun, il faut les aider un par un. Il ne suffit pas de voir en eux des « prolétaires », il faut voir en eux des hommes... » Révoltée par cette société injuste où « les uns possèdent tout, les autres rien », elle n’en est pas pour autant favorable aux bolcheviks. Février 1919, l’armée rouge prend Kiev. La Tcheka recherche son père et arrête son oncle. Favorable aux idéaux démocratiques de la révolution, Nelly accuse « l’arbitraire des subalternes, inconscients et dépourvus de principes la plupart du temps ». En août, lorsque les armées blanches vont s’emparer de la ville, elle confie à son journal ses inquiétudes face à l’avance victorieuse des armées de Denikine, de Petlioura et des Polonais. Mais elle conserve l’espoir d’un futur radieux : « De grands événements se préparent. Notre temps est un tournant dans la vie de l’humanité. Après de telles tempêtes, la vie ne peut pas continuer comme avant. Notre génération verra l’aube d’une ère nouvelle. Le tout est de survivre pour voir les résultats de la confusion actuelle ».

La « libération » de Kiev par les Blancs s’acompagne d’une vague de pogroms. Comme l’évoque Nelly, la furie antisémite s’abat sur la ville : exacerbée par l’ouverture des geôles de la Tcheka et les offices à la mémoire des victimes de la « terreur rouge », la haine aveugle de la populace vise les Juifs, tous indistinctement assimilés aux bolcheviks. La foule furieuse « brandit ses poings, prête à mettre en pièces le « youpin » qui tombera entre ses mains ». Fin octobre 1919, Nelly et ses parents quittent Kiev pour émigrer en France. Dans le train de Kharkov à Rostov, un incident entre sa mère et un officier achève de bouleverser Nelly, poussée à fuir son pays natal par « les terribles journées de pogroms à Kiev ». Cette « banale » manifestation d’ostracisme antisémite l’anime d’une « furie impuissante », lui donnant « encore plus envie de partir » et de quitter la Russie. Elle conclut : « ma haine ne sera jamais assez grande envers les pogromistes « cultivés » comme notre compagnon de route ». Février 1920, le journal se termine avec l’arrivée de Nelly à Paris, gare de Lyon : « Une brume bleue annonciatrice de l’aube enveloppe la ville. La journée commence. Un soleil clair et triomphant éclairera notre entrée dans cette vie nouvelle et inconnue qui m’a appelée et attirée à elle... » Le 25 juillet 1920, quelques jours après avoir passé le baccalauréat, Nelly fait une chute fatale dans la cascade du Dard, au pied du Mont-Blanc, à Chamonix. Elle venait d’avoir dix-sept ans. La publication (en russe) du journal de Nelly par sa mère est l’objet d’un article dans La tribune juive (1922), puis suscite l'intérêt de Joseph Kessel dans La Revue de France (1923). Visiblement fasciné par Nelly et voyant en elle

« une nouvelle Marie Bashkirtseff », Kessel publie en 1926 : Le journal d'une petite fille russe sous le bolchevisme, nouvelle reprise dans le recueil Mémoires d’un commissaire du peuple (1992). Adolescente lorsqu’elle quitte l’URSS en 1975 et s’établit à Paris, Luba Jurgenson enseigne aujourd’hui la littérature russe en Sorbonne. Romancière, elle est aussi l’auteur d’un essai sur la littérature des camps, L’expérience concentrationnaire est-elle indicible ? (2003), et des traductions récentes de témoignages essentiels sur le Goulag : Les récits de la Kolyma de Varlam Chalamov et Le voyage au pays des ZeKa de Julius Margolin. Dans son approche de la littérature des camps, Luba Jurgenson s’intéresse en particulier à la capacité de résistance du « je » face à l’État totalitaire, qu’il soit soviétique ou nazi. Elle commente sa traduction : « J'ai découvert le journal de Nelly Ptachkina par hasard dans une pile de livres qui provenait d’un grenier d’émigrés russes en France. Edité par la mère de Nelly en 1920, il était à peu près inconnu. Je travaille sur la mémoire des violences de masse au XXe siècle et en particulier sur la question des identités telle qu’elle se déploie face à ces violences. Dans ce cadre, j’ai pu m’intéresser aux témoignages d’adolescents et j’ai par exemple traduit le livre de Iouri Tchirkov (un adolescent au Goulag) aux Éditions des Syrtes. À ce titre, ce journal a attiré mon attention. Et bien sûr, une identité juive occultée qui émerge à l’occasion des pogroms, le fait que Nelly se voie soudain avec les yeux des autres, cela m’a paru particulièrement intéressant ». ■ Nelly Ptachkina, Journal (1918-1920), Traduit du russe par Luba Jurgenson, Paris, Éditions des Syrtes, 2011

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diasporas Miropol ou la clé des songes (suite) ANDRÉS SORIN La première partie de ce récit de voyage est parue dans Points critiques le mois dernier

E

ntre deux pèlerinages intimes, notre agence avait prévu une escale à Berditchev (ukr. Berdychiv), pour y rencontrer un représentant de la communauté juive : Il y a 120 ans, la population juive de la ville atteignait 80 % du total ; en 1924 le tribunal de Berditchev fut le premier en Ukraine à délibérer en yiddish. Des personnalités célèbres y naquirent ou y vécurent. Balzac, qui s’y maria, Sholem-Aleykhem, Goldfaden, Joseph Conrad, Vassili Grossman, Der Nister, Mendele Moykher-Sforim... Rendez-vous avait été pris avec notre « guide » au cimetière juif. Choc en sortant de voiture, face à un groupe de mendiants qui se protègent du soleil à l’ombre d’une benne à ordures. Le grand cimetière lui-même offre un aspect de désolation et d’abandon. Il est envahi par de hauts buissons qui cachent presque les tombes. Le guide nous met en garde contre ces personnes qui s’approchent un peu trop de notre voiture. Songe et réalité mêlés, je revois alors parmi eux le jeune de mon rêve. Il avait grandi : les yeux verts, les cheveux foncés coiffés d’une yarmoulka, moustache et barbiche soignés ; il me présente, presque suppliant, de petites peintures sur bois dans l’espoir d’en vendre quelques unes. Il obéit au « guide » et s’écarte. Pas le temps de réfléchir ni d’entamer le

Le guide à la synagogue de Berditchev

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dialogue. Quelques pas plus loin, une chapelle abritant quelque saint homme vénéré par les Juifs khassidiques. Et quels Juifs khassidiques ! Une volée de corbeaux barbus de toutes formes et couleurs entre déjà dans le bâtiment, tenant à passer à tout prix, sans égards pour ma mère, qui faillit perdre pied. Ils prient, pleurent, chantent dans leur transe, ignorant (heureusement) notre présence. L’un d’eux, brun, grand et assez fort, qui prie, marche, se retourne, repart dans l’autre sens et roule des yeux tout en croquant une pomme. Gênés par l’ambiance, nous préférons ressortir du bâtiment sans même nous enquérir de l’identité du grand ancêtre y enterré1. Nous allons visiter la seule synagogue en fonctionnement, dont un carreau avait été brisé par un jet de pierre quelques semaines auparavant : le responsable, un adolescent ivre, avait été trouvé, c’était le fils d’une employée de la mairie, il en était désolé, le gamin fut grondé, la plainte retirée. Le minian est à peine atteint actuellement, et nul ne sait de quoi l’avenir sera fait. Notre petit tour de ville nous mène devant la maison natale de Vassili Grossman, signalée par une belle plaque, mais qui menace de s’effondrer. Un peu plus loin, une double stèle commémorative récente à l’emplacement du ghetto à Yatki, en yiddish et ukrainien, mentionnant explicitement, cette foisci, que les victimes des massacres nazies étaient les Juifs de la ville. L’une relate les faits, l’autre est dédiée aux « justes » ayant sauvé des Juifs. Tout à côté, l’église et le couvent des carmélites, belle construction baroque, comprise dans l’enceinte du ghetto, en pleine restauration avec, probablement, des fonds provenant de Pologne (les églises catholiques

semblent toutes en restauration en Ukraine, mais pour ce qui est des synagogues...). En 1928, le couvent fermé, un musée d’histoire et de culture y fut ouvert, qui consacrait une grande partie de

Arrivée à l’hôtel, dans un quartier calme fait de maisons basses. L’architecte de l’hôtel doit être un admirateur de M.C. Escher. Je n’ai jamais vu autant de marches placées aux endroits les plus inat-

Au cimetière de Berditchev

ses collections à la culture yiddish. Des Juifs y furent massacrés pendant l’occupation nazie2. Finalement, nous en tirons une sensation d’abattement face à un monde qui disparaît. Du temps de mes grands-parents, le shtetl avait une composition diverse : mon zeyde était bundiste ; son frère aîné, communiste, le cadet, sioniste. Les khasidim côtoyaient les setselistn (« socialistes », « incroyants» en général). J’espérais une autre image de la vie juive dans la région : d’un côté des ultra-orthodoxes venant d’ailleurs, de l’autre des gens fragilisés, souvent âgés, dans un environnement hostile. Mais déjà la province de Vinnitsa nous appelle. Nous sommes presque soulagés de laisser derrière nous ces lieux si tristes. Vinnitsa, grande ville verdoyante aux tramways bleus et blancs offerts par la ville de Zurich. Son maire s’appelle Volodymyr Groysman. Le dernier juif de Vinnitsa ne l’est plus tout à fait3.

tendus, rendant difficile la progression du touriste chargé de lourds bagages sur roulettes. J’ai beaucoup pensé à la mère dudit architecte, je l’avoue, en considérant l’inutilité de la rampe placée avec ironie à l’entrée du bâtiment principal : un plan incliné à 45°, revêtu qui plus est de carrelage glissant. Résultat des courses... d’obstacles : dix bonnes marches à franchir entre la cour et le rez-de-chaussée, comme apéritif. On m’annonce ensuite que nos chambres sont au premier. Je gravis les escaliers, et mon hernie discale se rappelle à mon bon souvenir. Quelques mètres plus loin, je constate avec horreur que je dois descendre une autre volée de marches pour en remonter une... dernière (?) avant de parvenir, ô récompense suprême, à ma chambre. Le dernier tronçon fut tout sauf une promenade de plaisir : déjà fatigué, mon énervement augmentant proportionnellement à chaque traction ascendante, je me pris tous les

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➜ pieds de mon corps (à croire que j’en avais au moins trois, et tous du côté gauche) dans tous les obstacles que ce schieven archi-

mère étant pianiste professionnelle. C’est le directeur du musée qui nous fit les honneurs des quelques pièces aménagées en

La synagogue de Jmerinka

tek avait facétieusement placés sur mon chemin : mini-marches cachées de 4 ou 5 cm, baguettes en bois marquant tous les seuils possibles, dénivellations variées... Je me suis senti un moment dans la peau du Capitaine Haddock se cognant contre tous les obstacles imaginés par son dessinateur. Je me voyais déjà, comme lui, glisser sur une marche, me faire une entorse et proférer la liste d’injures que l’on connaît. Les murs de l’hôtel résonnaient de mes rage et désespoir, et je dus m’excuser auprès de notre interprète et notre conductrice qui me suivaient, passablement effrayées de ma transformation en harpie mythologique. Les visites du 8 juin nous emmenèrent d’abord à la maison-musée du Docteur Pirogov, construite dans un beau parc, à Vinnitsa, puis à l’ancien domaine von Meck. Madame von Meck, mécène de Piotr Ilitch Tchaïkovski, avait un manoir à Braïlov (ukr. Braïliv) , au sud de Vinnitsa. Cette visite musicale s’imposa naturellement, ma

salles d’exposition de photos, affiches et partitions du compositeur. Un vieux piano droit aux touches dépareillées et aux cordes enrhumées attendait ma mère. Elle s’y

d’Ukraine, en style art-nouveau, heureusement en cours de restauration. On y trouve aussi une communauté juive. Le lendemain, deuxième visite sentimentale, chez ma bobe, cette fois-ci : Louka-Moltchanskaïa (ukr. Louka-Movtchanska). L’arrivée au village se mérite, après des kilomètres d’une route non goudronnée et des poteaux indicateurs presque inexistants, mais une fois sur place nous tombons sous le charme : des maisons dans la verdure, fraîchement chaulées et décorées de motifs aux couleurs pastel, avec une jolie église en bois ayant survécu aux vicissitudes du siècle... Tout semble arrêté dans le temps. La succursale ukrainienne du château de la Belle au bois dormant, en somme. Nulle construction soviétique ou presque, qui aurait brisé cette harmonie presque naturelle. Et dans ce décor, le jeune maire, qui

Au Musée Tchaïkovski à Braïlov

assit et joua sur les touches que Tchaïkovski avait parcourues de ses doigts. Quelle émotion ! Nous étions tous sous le charme. Nous déjeunâmes ensuite dans la jolie ville de Jmerinka, que ma grand-mère évoquait souvent. Elle possède la plus belle gare

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sans chichis ni sourires superflus, se met tout de suite à téléphoner partout dans l’espoir de trouver des personnes qui auraient connu un membre de notre famille. Youri Vassyliovitch est la dignité même ; sa disponibilité, remarquable. Il parle de la possibilité de

En sortant de Luka

plus malheureux pour nous parler de son cancer galopant et son besoin pressant de fonds supplémentaires. Il nous remet même sa carte de visite... afin qu’on puisse lui faire des virements supplémentaires après notre retour... Décidément, nos contacts avec le monde juif en Ukraine auraient pu être plus heureux. Puis aéroport, adieux à nos deux compagnes de route et à la terre d’Ukraine. Retour à RoissyCDG : luxe, calme et volupté. Nous étions en France désormais, mais une partie de notre cœur est resté là-bas, pour tenir compagnie aux racines qui nous sont poussées dans la terre noire des plaines orientales. Finalement, nous n’avons rien trouvé de concret en Ukraine, personne qui se souvienne, pas d’adresses précises, encore moins des membres de notre famille. Seuls les lieux res-

nous accueillir à l’avenir, qui sait, l’ex-URSS, et le bâtiment le plus pour un séjour plus long, et j’ai ancien de la ville, est toujours une envie d’accepter la proposition. À usine produisant des jus de fruits. À Bratslav, visite du tombeau de la fin de la visite nous nous sentons presque obligés de lui lais- Nathan de Bratslav. Nous avions ser, outre de petits cadeaux « di- tous à l’esprit l’expérience de Berplomatiques », un billet en euros ditchev. Ici, un guide à l’air sympour la trésorerie de la commune. pathique, habillé de l’uniforme de Il refuse sans appel, ce qui ne le l’armée américaine. Là encore, de rend que plus méritant à nos yeux. En sortant du village, la route en terre longe des plantations de griottiers. Logique : après les fraises de Miropol, les griottes de Louka-Moltchanskaïa ! Je crois entrevoir le sourire de ma bobe entre deux nuages. Après Luka, arrêt à Shargorod, accueillis par l’adjoint au maire, responsable aussi de la communauté juive de la ville, et dont le numéro de téléphone nous avait été La tombe de Reb Nosn, le secrétaire de Reb Nakhman de Bratslav communiqué par le maire de Louka. Légère déception : petits groupes de corbeaux pèle- tent, dans une sorte de limbe ennous espérions trouver un centre rins ultra-orthodoxes qui lui po- tre rêve et réalité. ■ de population et de culture juives, saient devant nous des questions 1 nous avons trouvé une ville où il en hébreu sur notre compte sans 2 Il s’agit de Levi Yitzhok ben Meïr http://www1.yadvashem.org/untoldstone reste que 25 Juifs, et où les la moindre discrétion. D’autres ries/berdichev/commemoration.html maisons qui hébergeaient ceux préféraient nous ignorer, nous et 3 Allusion à la terrible photo où un SS est qui sont partis tombent en ruines. les tenues « non cachères » de ma sur le point d’assassiner un homme, à L’ancienne synagogue fortifiée mère et de l’interprète. La visi- Vinnitsa, au bord de la fosse commune. du XVI siècle, la plus ancienne de te finie, le guide prend son air le

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Yiddish ? Yiddish ! PAR WILLY ESTERSOHN

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ruslendisher toyt La mort russe

TRADUCTION LITTÉRAIRE DE CHARLES DOBZYNSKI La mort russe est mort / De toutes les morts. / Peine russe est peine / De toutes les peines. Plaie du monde à vif, / Comment va votre coeur à présent ? / Demande au petit enfant, / Demande à l’enfant juif.

L’auteur de ce poème, Leyb Kvitko, est né en Ukraine en 1890. Orphelin dès l’enfance, sa grand-mère le mit au travail à l’âge où il aurait dû entrer à l’école. À peine venait-il – tardivement – d’apprendre à écrire qu’il se lança dans la poésie. En 1918 il fut admis dans le groupe littéraire de Kiev qui éditait la revue Eygns (« À soi »). Dans les années 1920, il écrivit notamment des ouvrages pour enfants et enseigna dans des écoles yiddish (le régime soviétique favorisa, à ses débuts du moins, l’éclosion de la culture yiddish). Kvitko fut arrêté en 1949 lorsque Staline lança sa campagne contre les intellectuels juifs accusés de « cosmopolitisme ». Il fut exécuté en août 1952 en même temps que d’autres figures marquantes de l’intelligentsia juive. Nous vous soumettons ici la traduction de Charles Dobzynski dans Le Miroir d’un peuple – Anthologie de la poésie yiddish dont la dernière édition est parue dans la collection Poésie/Gallimard.

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Dos ketsele, Le petit chat : livre pour enfants de Leyb Kvitko, édité à Odessa en 1935

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REMARQUES dn=lsvr rusland = Russie ; widnelsvr ruslendish = russe (adj.). Neret=i yateren ou Nert=i yatren = suppurer. dnVvv = stlevv velts a vund = tlevv red Nvf dnVvv = a vund fun der velt = une plaie du monde. Ntl=h haltn = tenir ; ? ...tl=h ivv vi halt... ? = comment va... ? lkerb brekl : dimin. de k]rb brok = une miette, un rien du tout.

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activités vendredi 4 novembre à 20h15 La galaxie Dieudonné Conférence-débat avec

Michel Briganti,

co-auteur de La galaxie Dieudonné, Éditions Syllepse

Dans le contexte de progression du racisme sous toutes ses formes, l’ « humoriste » Dieudonné occupe une place de choix : en quelques années, il est devenu un des principaux porte-parole d’un courant antisémite qui rassemble autour de sa figure des individus et groupes issus autant du Front National et de ses dissidences, que de milieux Dieudonné avec Robert Faurisson « antisionistes » provenant de la gauche ou prétendant y appartenir. Audelà de son aspect médiatique, Dieudonné réussit à rendre à l’antisémitisme classique (le complot juif) une forme très actuelle, se présentant comme un porte-parole des opprimés. En invitant l’un des auteurs du livre La galaxie Dieudonné, nous voulons mieux informer sur l’horizon idéologique dans lequel Dieudonné et ses amis, français mais aussi belges, évoluent et tentent de réhabiliter, à coups de « blagues », ce que la droite radicale européenne a produit de plus nauséabond. PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO

samedi 19 novembre à 20h15

gérardW et Noé en concert gérardW a fait l’essentiel de sa vie professionnelle à la RTBF. Il la quitte à l’occasion d’un plan de réduction de personnel, s’entoure de musiciens, plonge dans les partitions, travaille la voix et la scène... et monte sur les planches. Depuis, il vit à 100% l’aventure de la chanson. À son actif plus de 80 concerts dans des cabarets et des centres culturels bruxellois et wallons ainsi que des tournées dans des prisons. La preuve qu’il y a une vie après la vie (... professionnelle !). En formule trio, avec Renaud Ziegler aux claviers et Olivier Catala à la basse. En deuxième partie de soirée : Il est moniteur à l’UPJB-Jeunes, auteur-compositeurinterprète, mais c’est en tant que chroniqueur musical de Points Critiques que Noé prendra place sur la scène du 61. Il chantera des chansons engagées, de révoltes, de luttes. Renaud, Ferrat, Ferré, Saez, Béranger, Lavillers, et d’autres encore. Sans oublier les classiques du répertoire de la Maison qui lui tiennent tant à coeur. La guitare en bandoulière, seul, ou accompagné pour des surprises.

samedi 19 novembre de 13h30 à 18h30 (coorganisé par l’UPJB) Colloque Israël-Palestine : un ou deux États ? au Centre Pôle Nord, avenue de l’héliport 39 – 1000 Bruxelles L’Autorité nationale palestinienne souhaite un État palestinien indépendant à côté de l’état d’Israël. Quelle est la meilleure solution au conflit israélo-palestinien selon l’avis des experts : un ou deux États? L’asbl Palestina Solidariteit organise un colloque où des spécialistes présentent leur point de vue sur la question :

Ali Abunimah, journaliste palestino-américain, cofondateur de The Electronic Intifada, auteur de One Country : A bold Proposal to end the Israeli-Palestinian Impasse

Leila Shahid, déléguée générale

de la Palestine auprès de l’Union européenne, de la Belgique et du Luxembourg

Lucas Catherine, auteur

de plusieurs ouvrages sur la question : De Israëllobby, Gaza: Geschiedenis van de Palestijnse Tragedie, Palestina: De laatste kolonie ?

Brigitte Herremans,

collaboratrice Moyen-Orient de Broederlijk Delen et de Pax Christi Vlaanderen

Ludo Brabander, de Vrede

vzw préside le colloque

Après les exposés, la parole sera donnée au public qui pourra poser des questions aux orateurs. Le colloque se conclura par un drink Langues utilisées: néerlandais, français, anglais www. palestinasolidariteit.be Prix et réduction : 6 EURO, 4 EURO (étudiants et chômeurs)

PAF: 9 EURO, jeunes et petits revenus: 5�EURO

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activités dimanche 20 novembre 2011 de 1Oh à 17h (ouverture des portes à 9h15) L’UPJB et la revue Points critiques organisent

Maxime Steinberg ou la passion indocile Journée de réflexion et de débats 9h15-10h00 Matin

12h45-13h45 Après-midi

Accueil et inscriptions Introduction Anne Grauwels, co-présidente de l’UPJB et membre du comité de rédaction de Points Critiques Maxime Steinberg, un Klarsfeld belge par Annette Wieviorka, historienne française du judéocide et des Juifs au XXème siècle (Auschwitz expliqué à ma fille ; Eichmann, de la traque au procès, ...) Transmission et enseignement de la Shoah avec Michel Staszewski, professeur d’histoire à l’Athénée Royal de Jette et formateur en didactique de l’histoire, Michel Hérode, chargé de mission-Démocratie ou Barbarie-Communauté française et Elias Preszow, étudiant en sciences politiques, membre d’Entr’act, issu du mouvement de jeunesse de l’UPJB La disparition des témoins avec Johannes Blum, enseignant et transmetteur de mémoire et Simon Gronowski, évadé du XXème convoi pour Auschwitz et passeur de mémoire dans les écoles lunch Images filmées de Maxime Steinberg, images, montage et commentaire : Sender Wajnberg et Anne Grauwels Échanges croisés, des historiens revisitent l’œuvre de Maxime Steinberg, table ronde avec : Julie Maeck, docteure en histoire FNRS/ULB, auteure de Montrer la Shoah à la télévision, Paris, Nouveau Monde Editions, 2009 Insa Meinen, Université de Oldenburg (Allemagne), auteure de Die Shoah in Belgien, premier ouvrage d’un historien allemand et dernier ouvrage paru sur la traque des Juifs de Belgique Laurence Schram, historienne, responsable du centre de documentation de « Kazerne Dossin », ex- Musée Juif de la Déportation et de la Résistance de Malines ; co-auteure de Mechelen-Auschwitz 1942-1944 Jean-Philippe Schreiber, directeur de Recherche FNRS /ULB, a dirigé avec Rudi Van Doorslaer Les curateurs du ghetto. L’Association des Juifs en Belgique sous l’occupation nazie, Labor, 2004 Modérateur : José Gotovitch, prof. hon. ULB ; auteur, avec Maxime Steinberg de Otages de la terreur. Le Bulgare Angheloff et son groupe de partisans juifs, Bruxelles, 19401943, Bruxelles, 2007 Pause café Maxime, dit Ourson, en culottes courtes, témoignages de ses amis d’enfance et anciens camarades de la section Leibke de l’USJJ (Union Sportive des Jeunes Juifs), Jo Szyster, dit Belette et Léon Ingber, dit Leontchik

17h00

vendredi 25 novembre à 20h15

Pierre Cordier

présentera et dédicacera son livre Brassens intime.

Photographies et souvenirs

Introduction : Jacques Aron (voir article page 14) PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO

vendredi 2 décembre à 20h15 L’héritage juif à Lodz et l’émergence de l’intérêt pour la vie juive en Pologne Conférence-débat avec

Joanna Podolska

La Grande Synagogue de Lodz, incendiée en 1939

Joanna Podolska, enseignante et spécialiste de l’héritage juif de Lodz, est très active dans le dialogue judéo-polonais et dans la transmission du passé juif aux jeunes Polonais. Elle est directrice du « Centre pour le Dialogue Marek Edelman à Lodz » (www.centrumdialogu.com) et une guide sensible, disponible et dévouée pour les visiteurs juifs à la recherche de leurs racines à Lodz. Le CV de Joanna Podolska se trouve sur le site www.upjb.be

Clôture

À la Maison du livre 24-28, rue de Rome, 1060 Bruxelles

PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO

Entrée : 8 EURO, 5 EURO étudiants et chômeurs, collation comprise Réservation (vivement souhaitée) : par téléphone : 02/ 537.82.45 du lundi au vendredi de 9h à 12h novembre 2011 * n°320 • page 30

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activités

Du 1er au 17 décembre

un tourbillon vilent et national. Israël accélère sa fuite en avant désespérée et vaine : la dictature émotionnelle.

Les Halles de Schaerbeek en partenariat étroit avec l’Union des Progressistes Juifs de Belgique (UPJB) et Dor Hashalom vous invitent à l’exposition* et aux activités présentées sur le thème de

Winter Family est un duo de musique expérimentale composé de l’artiste israélienne Ruth Rosenthal (textes, voix) et du musicien français Xavier Klaine (musique, pino, grandes orgues, harmonium, célesta) basé à Jérusalem et Paris. Ils se rencontrent à Jaffa en 2004. En 2008, à l’occasion des anniversaires simultanés de l’État d’Israël et de la « réunification » de Jérusalem, le duo enregistre la pièce sonore Jérusalem Syndrome qui sera diffusé sur France Culture. Les deux artistes décident ensuite de continuer ce travail et de créer la performance de théâtre documentaire Jérusalem-Plomb Durci. MERCREDI 7 DÉCEMBRE À 20H30 Z32 – UN FILM DE AVI MOGRABI

BRISER LE SILENCE EXPOSITION : BREAKING THE SILENCE DES SOLDATS ISRAÉLIENS PARLENT DE L’OCCUPATION L’association israélienne Shovrim Shtika/Breaking the Silence/Brisons le Silence a collecté et compilé plus de 2 500 heures d’iinterviews à propos de la vie quotidienne à Hébron. L’exposition présente une centaine de photographies prises par les soldats dans l’exercice de leur fonction au sein des forces armées israéliennes. Des ex-soldats, membres actifs de Breaking the Silence, accompagnent la visite de l’exposition et parlent de leur mission en Cisjordanie et dans les autres Territoires occupés de Palestine. « Les soldats qui servent dans les Territoires sont les témoins et les acteurs d’actions militaires qui les changent profondément. Les cas d’abus envers les Palestiniens, les pilages et les destructions de propriétés sont la norme depuis des années mais sont toujours relatés comme étant des cas extrêmes et uniques. Nos témoignages décrivent une autre et bien plus sinistre réalité. Une réalité dans laquelle la détérioration des principes moraux trouve un moyen d’expression, sous la forme d’ordres et des règles d’engagement, et qui est justifiée au nom de la sécurité d’Israël. » Breaking the silence Avec le soutien de la Fondation Rosa Luxemburg

Un ex-soldat israélien participe à une mission de représailles dans laquelle deux policiers palestiniens sont tués. Il cherche à obtenir le pardon pour ce qu’il a fait. Sa petite amie ne pense pas que ce soit aussi simple, elle soulève des questions qu’il n’est pas encore capable d’affronter. Le soldat accepte de témoigner devant la caméra pur autant que son identité ne soit pas dévoilée. Le cinéaste, tout en cherchant la solution adéquate pour préserver l’identité du soldat, interroge sa propre conduite politique et artistique. JEUDI 8 DÉCEMBRE À 20H30 BRISEURS DE SILENCE DE SIMONE BITTON Un documentaire sonore, un essai radiophonique, de la réalisatrice de Mur (2004) et de Rachel (2008) et inspiré par le travail de Shovrim Shtika – Breaking the Silence. Des voix d’exilés israéliens – qui ont pour la plupart été soldats dans l’armée israélienne (de même que Simone Bitton elle-même) –, disent les mots de la génération actuelle de soldats et de soldates. Sur une trame composée de sons ramenés de Gaza et de Cisjordanie, la banalité et l’universalité du mal s’entend en français, avec cet accent hébraïque que l’on ne perd pas. Comme on ne perd pas la mémoire des gestes que l’on a faits, de l’humiliation qu’on a infligée, de la mort qu’on a donnée – parce que c’était comme ça, tu comprends, là-bas, la routine c’était comme ça... VENDREDI 9 DÉCEMBRE À 20H30 AMIRA HASS – CONFÉRENCE AUTOUR DE BREAKING THE SILENCE

THE DETAILS – AVI MOGRABI L’installation vidéo The details contient une série de scènes de et à propos des territoires occupés, montrés simultanément sur 8 écrans. Tournées et utilisées dans divers films d’Avi Mograbi, elles sont présentées pour créer un espace chaotique parallèle et non linéaire, une représentation tronquée de la vision qu’a l’artiste de la réalité des Territoires occupés. MARDI 6 ET SAMEDI 10 DÉCEMBRE À 20H30 WINTER FAMILY. JÉRUSALEM-PLOMB DURCI Une performance de théâtre documentaire à partir d’image de cérémonies et de célébrations mémorielles et nationales filmées et récoltées à Jérusalem dans les écoles, les quartiers, les médias et les lieux symboliques de l’État d’Israël. Une jeune femme de Jérusalem nous guide dans un voyage sonore, visuel et textuel à travers la société israélienne. En Israël, la douleur, la mémoire et le courage sont célébrés de tous côtés, les codes et les symboles étirés jusqu’à l’épuisement. Les chants, les discours, les sirène et les danses sont omniprésents de la naissance à la mort des individus, qui, pris en otage par le système implacable, deviennent les acteurs d’une éblouissante et macabre hallucination collective et se projettent dans

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Breaking the Silence a brisé le silence mais aussi les méthodes conventionnelles de l’information industrielle. La méthode de collecte de l’information de Breaking the Silence vérifie finalement ce que les médias «respectables» n’ont de cesse de nier : l’information palestinienne. SAMEDI 10 DÉCEMBRE À 10H00 TABLE RONDE AVEC SIMONE BITTON, AVI MOGRABI, AMIRA HASS, YEHUDA SHAUL (BREAKING THE SILENCE) ET NURIT PELED-ELHANAN L’occupation de la Palestine par Israël et son armée n’est pas sans effet sur la société israélienne puisqu’elle l’affecte en son cœur : son armée composée de jeunes hommes et femmes qui ne peuvent échapper à l’obligation du service militaire à moins de devenir des refuzniks. Après les images, les films, sons, vidéos, photographies, place aux mots pour éclairer, en reprenant les termes de Breaking the Silence « Une réalité dans laquelle la détérioration des principes moraux trouve un moyen d’expression, sous la forme d’ordres et de règles d’engagement, et qui est justifiée au nom de la sécurité d’Israël ». *

JE 01/12 > SA 17/12 13h00 > 18h00 Nocturne chaque jeudi jusque 21h00 et lors des autres soirées de Breaking the Silence. Fermé le lundi. Visites en matinée et en nocturne possible sur demande uniquement (groupe de min. 20 personnes).

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activités

urbanités/urbanisme

samedi 3 décembre

4ème atelier de cuisine juive Vous avez une recette de cuisine juive (ashkenaze ou sépharade) qui fait baver de plaisir tout votre entourage et que vous avez envie de transmettre ? Alors, nous comptons sur vous pour notre 4ème atelier de cuisine juive qui aura lieu au local.

Pour la commission Lokshn, contacter Nathalie Dunkelman : nathalie.dunkelman@brutele.be 0477/61.90.23

La chorale Rue de la Victoire recherche des chanteurs ou chanteuses amateurs pour renforcer ses rangs !!! Qui sommes-nous ?

Une chorale trans-générationnelle qui aborde un répertoire de chansons de résistance, de lutte, de liberté... Bref, des chansons engagées d’ici et d’ailleurs. Un répertoire lié à l’histoire de la maison de la Rue de la Victoire, la maison de l’Union des Progressistes Juifs de Belgique (www.upjb.be). La lecture de la musique n’est pas nécessaire mais la justesse est requise.

Vous êtes intéressé ?

Alors... N’hésitez-pas à passer la porte pour venir nous rejoindre. Nous répétons les mercredis de 19h à 21 h au 61 rue de la Victoire à St Gilles. Renseignements : Mouchette 0486.03.02.68

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Avenue du Port : la démocratie a gagné SENDER WAJNBERG

O

n peut s’en réjouir, la démocratie a gagné… mais il aura fallu l’aider ! Au forceps : suite aux recours introduits par des associations de quartiers et de défense du patrimoine, la Justice a coulé le projet de la ministre Grouwels. Charlie, le platane que j’ai adopté, se porte bien, ouf ! Bref rappel : le bétonnage de la chaussée et l’abattage des 300 platanes de l’avenue du Port avaient été maintenus par Brigitte Grouwels alors que le projet de gare pour camions de transports internationaux (le « BILC »), à côté de Tour & Taxis, avait été abandonné. Les urbanistes et des citoyens alertaient sur l’imbécillité de cet aménagement à 12 millions d’euros alors que nos finances sont au plus mal, projet qui ne répondait qu’à un seul des cinq critères d’une bonne gestion définis par… la ministre elle-même. De plus, le permis accordé était illégal : il n’avait pas été précédé d’un rapport d’incidences et prévoyait l’aménagement d’un caniveau technique absent de la demande de permis ! La Justice a donc tranché et Grouwels s’est pris 300 platanes en pleine poire + une désapprobation unanime de la population bruxelloise concernée. Mais Grouwels s’accroche : « cette décision risque d’inciter d’autres habitants à bloquer de futurs chantiers » ose-t-elle, faisant porter un futur hypothétique chapeau sur les citoyens alors que c’est sa gestion à elle qui étale sa faillite au grand jour ! La mobilisation citoyenne ne visait qu’à s’impliquer, dans un

processus participatif, à la gestion de notre ville comme il est désormais de tradition démocratique chez nous, ce dont la ministre flamande n’a cure. Elle est « ministre bruxelloise » dit-on. Soit. Mais alors pourquoi a-t-elle participé au Gordel alors que ses collègues y ont renoncé — le Gordel, cette ballade à vélo autour de Bruxelles, qui symbolise l’étranglement de notre région par les nationalistes flandriens ? ! Cette victoire à l’arraché est le fruit d’un long combat, énergivore et coûteux pour les partisans du projet alternatif pour l’avenue du Port. Le groupe Action Patrimoine Pavés Platanes regrette d’avoir dû porter l’affaire en justice. Affaire qui aura des retombées : comme le dit Viviane Teitelbaum, du Groupe MR à la région bruxelloise : « En s’étant obstiné contre la volonté des riverains, d’un grand nombre d’observateurs et d’experts, la ministre se trouve désormais face à ses responsabilités (…) : au minimum 4,7 millions d’euros d’indemnités de dédit à charge de la Région, et donc des Bruxellois ! » Voilà qui est très étrange : à qui cela profite-t-il ? ! En effet, si l’on s’en tient aux usages en matière d’annulation de marchés de travaux, ce dédit devrait se situer entre 5 et 10% de la valeur du contrat. Ceux-ci viendront s’ajouter aux indemnités déjà payées à la société qui gérait le projet du BILC (3,5 millions d’euros), soit plus de 8 millions d’euros au total ! Les contribuables apprécieront. Mais la ministre s’accroche toujours à son fauteuil. Qu’attend-elle pour se — ou être démissionnée ? ! ■

est le mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique (ne paraît pas en juillet et en août) L’UPJB est soutenue par la Communauté française (Service de l’éducation permanente) Secrétariat et rédaction : rue de la Victoire 61 B-1060 Bruxelles tél + 32 2 537 82 45 fax + 32 2 534 66 96 courriel upjb2@skynet.be www.upjb.be Comité de rédaction : Henri Wajnblum (rédacteur en chef), Alain Mihály (secrétaire de rédaction), Anne Gielczyk, Carine Bratzlavsky, Jacques Aron, Willy Estersohn, Tessa Parzenczewski, Sender Wajnberg Ont également collaboré à ce numéro : Roland Baumann Antonio Moyano Gérard Preszow Andrés Sorin Boris Szyster Jo Szyster Cédric Tolley Jean-Marc Turine Conception de la maquette Henri Goldman Seuls les éditoriaux engagent l’UPJB. Compte UPJB IBAN BE92 0000 7435 2823 BIC BPOTBEB1 Abonnement annuel 18 EURO ou par ordre permanent mensuel de 2 EURO Abonnement de soutien 30 EURO ou par ordre permanent mensuel de 3 EURO Abonnement annuel à l’étranger par virement de 40 EURO Devenir membre de l’UPJB Les membres de l’UPJB reçoivent automatiquement le mensuel. Pour s’affilier: établir un ordre permanent à l’ordre de l’UPJB. Montant minimal mensuel: 10 EURO pour un isolé, 15 EURO pour un couple. Ces montants sont réduits de moitié pour les personnes disposant de bas revenus.

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politique d’asile Combien de temps encore un antitsignanisme au grand jour ? JEAN-MARC TURINE

COMMUNIQUÉ DE PRESSE DE LA LIGUE DES DROITS DE L’HOMME Un tramway pour les Roms : le gouvernement plonge dans l’indignité. Le 31 août à Saint-Denis, des familles de Roms roumains ont été entassées par la police dans une rame du tramway jusqu’à la gare de Noisy-le-Sec puis forcées à prendre le RER avec l’objectif de leur faire quitter le département. Cette traque inhumaine menée par l’État contre les plus précaires est inacceptable. La Ligue des droits de l’Homme condamne cette opération indigne de bannissement territorial. La réquisition des moyens de transport public est injustifiable et la complicité des représentants locaux de la RATP est inadmissible.

COMMUNIQUÉ DE PRESSE DU MRAP En prêtant spontanément ses wagons à la police pour évacuer des Roms, en séparant des enfants de leurs parents, la RATP renoue avec ces périodes honteuses où des agents de services publics se mettaient au service de l’ignoble. Au-delà de ce qui demeurera une tache sur la RATP, cet épisode illustre la dérive xénophobe et raciste qui gangrène la société. (…) Quand un ministre de la République, Claude Guéant,

cible les Roms qu’il qualifie de délinquants, quand des députés de la Droite Populaire s’illustrent par des saillies homophobes, on assiste alors à une résurgence des années sombres de l’Histoire. * Le jeudi 29 septembre, sur le site de Romeurope, le message suivant était envoyé « Hier matin, route de Paris, à l’heure où les enfants s’apprêtent pour l’école, des dizaines de policiers sont venus sortir nos petits du lit. Pendant des heures, enfants, femmes et hommes ont été interrogés et emmenés dans des fourgons. 58 ordres de quitter le territoire français ont été distribués en guise de petit déjeuner. L’ensemble des familles est concerné par ces mesures, bien que nombre d’entre elles aient eu un document prouvant l’arrivée en France depuis moins de trois mois. » Le 30 septembre, Amnesty International exhortait « les autorités bulgares à lutter efficacement contre l’escalade de la violence qui se traduit par des attaques à caractère raciste contre les Roms dans le pays. À la suite de la mort d’un jeune Bulgare de souche qui a été renversé par un minibus conduit par un Rom, le 23 septembre, des manifestations ont éclaté à Katounitsa. Le conducteur a été arrêté le lendemain et une enquête est en cours.(…)

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Des supporters du club de football de Plovdiv ont rejoint ces manifestations et des slogans incitant à la haine et la violence contre les Roms et les Turcs ont été scandés. (…) Les 25, 26 et 27 septembre, des rassemblements ont été organisés dans d’autres villes par des groupes locaux, des clubs de supporters et des groupes néonazis, soutenus par des partis nationalistes d’extrême-droite. Des quartiers et des citoyens roms ont été menacés voire réellement attaqués violemment. (...) » * Le 4 octobre, l’asbl Chapipe issue de la lutte pour les droits des Roms dans les Balkans, basée au Luxembourg, écrivait : « Nous suivons le sort des Roms du Kosovo qui sont aujourd’hui rapatriés dans un pays où ils sont traités comme des citoyens de troisième zone. Alors que les gouvernements occidentaux et la Commission européenne se félicitent de financer des projets de réinsertion, ces déboutés du droit d’asile se retrouvent souvent sans aucune aide. Nombreux sont ceux qui finissent dans des bidonvilles, où ils n’ont accès ni à l’eau, ni à l’électricité et où ils sont exposés à des violences. Ces oubliés profitent aujourd’hui de la libéralisation du régime des visas pour retourner en Europe, c’est-à-dire, dans un des pays de l’Union eu-

ropéenne où ils ont grandi et qu’ils ont intégrée comme leur vraie patrie. Suite aux pressions exercées par plusieurs États membres de l’Union européenne, dont le Luxembourg, les pays des Balkans ont récemment pris des mesures visant à limiter le nombre de demandeurs d’asile. Au lieu d’améliorer les conditions de vie des Roms, elles visent tout simplement à empêcher les Roms de quitter leur pays. Alors que l’Union européenne aime à se présenter comme défenseur des droits de l’Homme dans le monde, elle encourage aujourd’hui les États des Balkans à violer un des principes de base des droits de l’Homme, la liberté de circulation, qui concède à toute personne le droit de quitter tout pays, y compris le sien (art. 13 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme). Aujourd’hui, les Roms des Balkans sont reconduits dans leur pays. Leurs passeports sont tamponnés et rendus inutilisables comme document de voyage. (…) Personne ne quitte volontairement son pays sans y être poussé. Voilà pourquoi nous sommes consternés et nous dénonçons les propos calomnieux visant à faire des Roms des Balkans des « touristes de l’asile » (les mots ont été prononcés par le ministre luxembourgeois des Affaires sociales), qui viendraient au Luxembourg pour se remplir les poches et se refaire une santé. (…) Nous demandons au gouvernement de s’engager pour le respect des droits des Roms. » * Le 1er octobre, sur le site Myeurop, on pouvait lire ceci « Depuis le 1er septembre, le gouvernement nationaliste de Viktor Orbán oblige un millier de bénéficiaires d’allocations chômage,

en majorité des Roms, à travailler sur des chantiers publics. À terme, ce dispositif est censé toucher 300.000 personnes. « La Hongrie ne donnera plus d’avantages à ceux qui sont en mesure de travailler, alors qu’il y a tant de travail à accomplir », déclarait Viktor Orbán en juin dernier. Il a au moins le mérite de tenir ses promesses. Mais quelles promesses ! Mille chômeurs sont pour l’instant réquisitionnés pour participer à des travaux d’aménagement, sous peine d’être privés de leurs allocations. Ils sont répartis sur six lieux, de véritables « labostest » avant l’extension du dispositif à des centaines de milliers de personnes dans les prochains mois. Sandor Szöke, qui dirige le « Mouvement des droits civiques hongrois », s’est rendu à plusieurs reprises sur le chantier de Gyönggyöspata, au nord-est du pays. Il témoigne : « Avant d’arriver sur le lieu de travail, les personnes doivent parcourir environ 7,5 km. Elles enchaînent dix heures de travail sur la journée. Elles nettoient un terrain boisé en vue de la construction de résidences pour la classe aisée. Les outils semblent tout droit sortis du XIXème siècle : on travaille à la faucille ! Il n’y a rien à disposition : pas d’eau, pas de toilettes, pas d’abri contre le soleil, pas de protection contre les guêpes… (…) La paye est de 180 euros bruts mensuels, pour un travail qui aurait pu être fini en une après-midi avec des tracteurs. » Si le lieu de travail est à plus de 35 km, les travailleurs pourraient, alors, être obligés de dormir sur place dans des containers transformant alors, bel et bien, les chantiers en camps de travail. « Il ne faut pas beaucoup d’imagination pour comprendre que cette mesure vise principalement les Roms. Sur les quarante travailleurs du chantier, 39 sont

des Roms. En réalité, les Hongrois ‘de souche’ ont trouvé des justificatifs pour échapper à ce travail forcé. Ce que ne peuvent évidemment pas faire les Roms. » Ce n’est pas un hasard si le village de Gyönggyöspata est en pointe de la nouvelle politique. En avril dernier, une milice formée par le parti d’extrême-droite Jobbik avait défilé pour intimider les Roms et affirmer sa politique sécuritaire. « La dernière fois qu’un programme visait un groupe racial, c’était au début des années 1940 ! », s’insurge Sandor Szöke. Le gouvernement projette à terme d’encadrer les travaux forcés par des anciens de la police et de l’armée. Mais le plus étonnant de l’affaire reste l’absence de réaction du peuple hongrois. Sandor Szöke explique : « Le populisme du gouvernement se nourrit de l’ignorance de la population. La Hongrie n’a pas suffisamment travaillé sur son Histoire, donc celle-ci se répète. Le problème principal tient au fait qu’il n’y a pas d’opposition. Le Parti socialiste hongrois est vieillissant. Ses membres ne proposent plus rien, ils s’entredéchirent dans des luttes internes. » * En Belgique, la situation n’est guère plus réjouissante. Les Roms de la Place Gaucheret et ceux qui sont « parqués » dans les anciens studios AB3, chaussée d’Ixelles, en sont une honteuse illustration. Ces familles viennent de Tchéquie où les manifestations de haine se multiplient. À ce propos, le Courrier International titrait en septembre « Contre les Roms, « vous avez pris vos machettes ? » J’ai choisi quelques extraits de messages quotidiens qui donnent la mesure du désastre que vivent les Roms en Europe et du scandale qu’il représente. ■

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politique d’asile Place Gaucheret, une lutte exemplaire CÉDRIC TOLLEY

U

ne septantaine de personnes, majoritairement des familles roms et gitanes ont trouvé refuge durant quelques semaines sous le bâtiment de la gare du Nord. Défiant toutes les normes légales, la bourgmestre de Schaarbeek donne ordre à sa police d’expulser ces familles au prétexte de la situation sanitaire. Elle estimait sans doute que leur situation sanitaire serait meilleure dans les rue de Bruxelles-Ville qu’à la gare à Schaarbeek. Dans l’urgence, le Délégué Général aux droits de l’Enfant (DGDE), la Ligue des droits de l’Homme, Bruxelles Laïque, la Fondation des petits samouraïs, Médecins du monde (MdM), La Maraude, Sans-Papiers Belgique et quelques citoyens anonymes ont pris la décision de raccompagner ces familles vers la commune de Schaerbeek où elles avaient commencé des démarches à l’égard du CPAS. Et le DGDE a dépêché son autobus de campagne auprès de ces familles pour qu’au moins les enfants puissent s’abriter du froid et de la pluie. En définitive, ce sont 40 personnes qui ont décidé de s’installer place Gaucheret, s’adossant au bâtiment communal de l’intégration et de la solidarité (ça ne s’invente pas). À partir de là, la solidarité s’est organisée à l’initiative du DGDE et par la présence permanente de deux citoyennes anonymes qui ont coordonné l’aide humanitaire spontanée durant près de 15 jours.

Le DGDE, le directeur général de MdM et un membre de BL ont passé les trois premières nuits sur place en signe de protestation et pour assurer la protection de ces familles vouées à dormir dans la rue. Ensuite, dans le même esprit, chaque nuit durant la première semaine, un collaborateur du DGDE est resté sur place. De leurs côté, toutes les associations présentes ont organisé l’effervescence politique et médiatique autour de ces familles. Pendant ce temps, les différents niveaux de pouvoir impliqués n’ont eu de cesse de se renvoyer la balle au titre des statuts divers de ces familles et de la distribution de leurs compétences. Les pouvoirs publics restent dans une posture de relative irresponsabilité. Le souci pour eux, semble-t-il, était d’étouffer le problème et de le faire taire médiatiquement. Se sont succédés : le discours suranné de la bourgmestre à propos de « toute la misère du monde » (dont elle n’entendait pas « en prendre fidèlement sa part »*), le silence coupable des « responsables » régionaux et fédéraux et, c’est le bouquet, les attitudes xénophobes, l’intimidation et les menaces d’une partie importante des travailleurs sociaux pris schizophréniquement entre l’enclume de la réalité qu’ils avaient sous les yeux et le marteau de leurs hiérarchies. Ces postures et ces attitudes ont démontré, une fois de plus, à quel point notre corps politique et social est malade et combien il est temps d’instiller à

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nouveau une bonne dose de capacité d’indignation et de révolte chez certains travailleurs qui prétendent faire « du social » là où en pratique, ils se comportent comme des auxiliaires de police. À ce stade, il n’est pas inutile de rappeler quelques notions de droits que nous avons mobilisées dans le cadre de cette lutte localisée. Au niveau des traités internationaux auxquels adhère l’État belge, la norme supérieure est qu’un enfant est un enfant avant tout. Ce qui signifie que les enfants doivent être traités, lorsqu’il s’agit de leurs droits fondamentaux, sans aucune distinction de statut, d’origine ou d’un quelconque critère de discrimination. À ce propos, la jurisprudence du tribunal du travail est claire et incontournable : laisser un enfant à la rue revient purement et simplement à lui infliger un traitement dégradant et inhumain. Selon la Convention internationale des droits de l’enfant, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. Et il est contre son intérêt supérieur d’être séparé de ses parents (sauf dans des cas particuliers qui ne nous concernent pas ici). Il découle directement de ces éléments de droit que les autorités, quelles qu’elles soient, qui ont connaissance d’une situation où des enfants sont à la rue, sont dans l’obligation de remédier immédiatement à cette situation. Or, même si les services sociaux et d’hébergement d’urgence sont

surchargés, les communes ont un pouvoir qu’elles ont toujours refusé d’utiliser. Il s’agit de la loi Onkelinx de 1993 qui permet au bourgmestre de réquisitionner un bâtiment public ou, à défaut, un bâtiment privé. Seulement voilà, dans l’esprit affûté de la bourgmestre de Schaerbeek, laisser des enfants à la rue est moins grave que prendre des mesures pour les loger qui, à son avis, susciteraient un « appel d’air » qui fera débarquer tous les peuples miséreux des Balkans sur la place Gaucheret. C’était sans compter sur le fait que si les hébergements accessibles sont limités, l’espace en rue l’est beaucoup moins. Et comme Fedasil ne sait plus quoi faire des personnes qu’ils devraient légalement héberger, les opérateurs de Fedasil, confrontés aux familles qu’ils doivent renvoyer à la rue, n’ont d’autre possibilité que de leur pousser du bout des lèvres qu’elles trouveraient peut-être quelque assistance auprès des bénévoles anonymes qui croulent sous les responsabilités dont se défausse le CPAS, la commune et tous les autres niveaux de pouvoir. C’est ainsi que tant que les familles de la place Gaucheret ont été à la rue, chaque jours de nou-

velles personnes, notamment envoyées par Fedasil, se sont ajoutées au groupe. Et la solidarité prend de l’ampleur. Les riverains viennent soutenir les citoyennes anonymes, apportent des produits et des effets de première nécessité. Des médecins bénévoles viennent visiter les familles. Et, sur la proposition de Martine Cornil et d’Anne Löwenthal, nous avons organisé un rendez-vous festif pour renforcer la solidarité des riverains et pour augmenter la pression sur les autorités. Notre activisme et notre présence sur les lieux ont notamment permis de prévenir toute opération policière à la sauce « gare du Nord » et empêché les autorités communales de nier le problème. Le rassemblement de près de 300 personnes ce samedi-là a sans doute porté l’estocade à la stratégie de pourrissement des services sociaux de la commune et de la bourgmestre puisque, le lendemain soir, le chef du service de prévention de Schaerbeek assurait aux familles qu’elless seraient logées par la commune dans les quelques jours. Et effectivement, sur la septantaine de personnes qui se sont trouvées en définitive place Gaucheret (les 40 d’origine et cel-

les qui s’y sont associées ensuite) ,48 ont été logées dans une maison de maître de la chaussée de Haecht que la bourgmestre a été forcée de réquisitionner parce que la SLRB (propriétaire) aurait attendu la réunion de son CA pour donner son accord. Le sens des priorités est décidément le même à tous les niveaux de pouvoir. Ce faisant, 22 personnes dont deux familles avec enfants sont restées sur le carreau. Mais le DGDE d’une part et des citoyens engagés d’autre part, ont trouvé quelques logements précaires pour ces personnes. Si ceci ne règle en rien le problème de politique générale, il reste que la convergence de toutes les forces associatives, politiques et populaires qui se sont rencontrées sur la place Gaucheret autour de cette lutte locale, a été la cheville ouvrière d’une belle victoire symbolique qui est, pour la première fois, la mise en acte de la loi Onkelinx de 1993. La réquisition d’un bâtiment par un bourgmestre, dont il faut sournoisement saluer le grand courage politique, afin de loger des familles qui vivaient à la rue, représente un précédent inestimable. Car s’il est répété par d’autres bourgmestres dans des situations similaires, et nous y veillerons, l’attitude des propriétaires et des promoteurs immobiliers à l’égard des bâtiments vides devra sans doute souffrir d’un virage à gauche plus que souhaitable. ■ * « « La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde, mais elle doit savoir en prendre fidèlement sa part » prononcée par moi en 1990, la première partie de cette phrase a eu un destin imprévisible. [...] Ce rappel des contraintes pesant sur les responsables politiques a été perversement interprété comme un ralliement à une doctrine d’immigration zéro qui n’a jamais été la mienne et qui serait aussi irréaliste pour la France que dangereuse pour son économie. » Michel Rocard, Le Monde, 24/08/1996.

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agenda UPJB Sauf indication contraire, toutes les activités annoncées se déroulent au local de l’UPJB, 61 rue de la Victoire à 1060 Bruxelles (Saint-Gilles)

vendredi 4 novembre à 20h15

La galaxie Dieudonné. Dieudonné Conférence-débat avec Michel Briganti, co-auteur de La galaxie Dieudonné (voir page 28)

samedi 19 novembre à 20h15

gérardW et Noé en concert (voir page 28)

dimanche 20 novembre de 10h à 17h

Journée de réflexion et d’hommage. Maxime Steinberg ou la passion indocile. À la Maison du Livre, 24-28 rue de Rome à Saint-Gilles (voir page 30)

vendredi 25 novembre à 20h15

Pierre Cordier présentera et dédicacera son livre Brassens Intime (voir page 31)

vendredi 2 décembre à 20h15

L’héritage juif à Lodz et l’émergence de l’intérêt pour la vie juive en Pologne. Conférence-débat avec Joanna Podolska (voir page 31)

samedi 3 décembre

4ème atelier de cuisine juive (voir page 34)

club Sholem Aleichem Sauf indication contraire, les activités du club Sholem Aleichem se déroulent au local de l’UPJB tous les jeudi à 15h (Ouverture des portes à 14h30)

Éditeur responsable : Henri Wajnblum / rue de la victoire 61 / B-1060 Bruxelles

jeudi 3 novembre

« La violence : ses origines, ses conséquences et l’approche d’une solution » par Michel Henken, enseignant, diplômé en communication relationnelle, gestionnaire de logements sociaux

jeudi 10 novembre

« La situation politique et alimentaire dans la Corne de l’Afrique : que fait l’Europe ? » par Debaraty Sapir, professeur d’épidémiologie à l’UCL et directeur du Centre de recherche des désastres de l’OMS

jeudi 17 novembre

« Le statut de la femme juive en Israël et dans la diaspora » par Thérèse Liebmann, docteur en histoire

jeudi 24 novembre

« L’actualité politique en Belgique » par Léon Liebmann, magistrat honoraire

et aussi samedi 19 novembre de 13h30 à 18h30

Colloque Israël-Palestine : un ou deux États ? Au Centre Pôle Nord, avenue de l’Héliport, 39 – 1000 Bruxelles. Coorganisé par l’UPJB (voir page 29)

du 1er au 17 décembre

Exposition Breaking The Silence. Des soldats israéliens parlent de l’occupation. Aux Halles de Schaerbeek, en partenariat étroit avec l’UPJB et Dor Hashalom (voir page 32)

Prix : 2 EURO

Les agendas sont également en ligne sur le site www.upjb.be


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