n°317 - Points Critiques - juin 2011

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mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique juin 2011 • numéro 317

éditorial L’amnistie est inaudible et irrecevable

Bureau de dépôt: 1060 Bruxelles 6 - mensuel (sauf juillet et août)

ANNE GRAUWELS

L

’irruption de la Deuxième Guerre mondiale dans le débat politique est un fait récurrent dans la plupart des pays d’Europe occidentale. La Belgique ne fait pas exception, mais chez nous, cela se teinte de clivage communautaire. La Flandre nationaliste aurait collaboré bien plus que la Wallonie et les collaborateurs flamands auraient été victimes d’une répression plus dure de la part de l’État belge. Pourtant, les historiens, qu’ils soient francophones ou flamands, sont unanimes : ceci ne correspond en rien à la réalité historique. Justice a été rendue après la guerre de façon rapide et efficace1 sans erreurs manifestes et, à partir de 1947, une forme d’amnistie a déjà eu lieu dans

les faits. Même sur le plan socioéconomique, on peut dire que le gros des conséquences matérielles étaient effacées dès les années 19602. Grâce à la dite « loi Vermeylen » de 1961, tous les repentis ont été réhabilités dans leurs droits ; il s’agirait de quelque 50.000 personnes. L’amnistie est donc avant tout un enjeu symbolique basé sur des mythes. Pas étonnant dans ce cadre que le Vlaams Belang revienne régulièrement à la charge puisque c’est son fond de commerce. Ce qui étonne et indigne plus, c’est l’attitude des autres partis flamands (sauf les écologistes de Groen !, on ne le répètera pas assez) qui ont jugé opportun, non seulement de soutenir une demande de mise à l’agenda d’une proposition de loi

BELGIQUE-BELGIE P.P. 1060 Bruxelles 6 1/1511

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sommaire éditorial

1 L’amnistie est inaudible et irrecevable .................................... Anne Grauwels 1 M. Stefaan De Clerck n’est pas très adulte ......................... Simon Gronowski

israël-palestine

4 Enfin un État palestinien ? ....................................................... Henri Wajnblum

lire

7 Sur les pas de Dante. L’enfer sur terre ...........................Tessa Parzenczewski 8 Un regard de médecin sur la province russe ........................... Françoise Nice

lire, regarder, écouter

10 Notules de mai ........................................................................... Gérard Preszow

relire

12 Marcel Liebman : Né Juif ................................................................Mateo Alaluf

mémoires

14 Quand les nazis filmaient le ghetto ..................................... Roland Baumann

extrême droite

16 Pour en finir avec (l’imposteur) Dieudonné .................... Manuel Abramowicz

réfléchir

18 Fühlen, Wissen, Wohlen ............................................................... Jacques Aron

yiddish ? yiddish !

! widYi ? widYi

20 leyg ikh mir in bet arayn – Je me mets au lit..... ...................Willy Estersohn

humeurs judéo-flamandes 22 Grave maar niet hopeloos ...........................................................Anne Gielczyk

le regard 24 La Belgique va-t-elle disparaître ? ...........................................Léon Liebmann 26

activités upjb jeunes

28 Nos différences font qu’on avance ....................................... Noémie Schonker

écouter

30 Du rouge et des passions .............................................................................. Noé

tribune

32 Les Roms discriminés ...................................................................... Maude Cols 34

droit de réponse........................................................... Souhail Chichah campagne BDS

35 Plainte contre Agrexco & Co. L’UPJB s’y associe ............................................... 36

les agendas

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éditorial ➜ sulfureuse d’un parti d’extrême droite (la proposition de loi parle d’actes d’incivisme « prétendument » commis), mais surtout de rouvrir ce débat, jugeant donc qu’il n’est pas clos. La « sortie » du ministre de la Justice Stefaan De Clercq (CD&V) est particulièrement heurtante et, même s’il s’est rétracté depuis, elle dénote une forte tendance à la banalisation et même à l’occultation voire la scotomisation – un « oubli » freudien en quelque sorte – de la gravité des conséquences des actes de la collaboration. Nous sommes dans le même registre que la réaction de Bart De Wever lors des excuses présentées à la Communauté juive par le bourgmestre Patrick Janssens. Notons au passage qu’à ce jour, Patrick Janssens (avec Philippe Moureaux et Willy Demeyer, le bourgmestre de Liège)) est le seul élu politique à avoir présenté ses excuses au nom d’une autorité de l’État belge. Pourtant là aussi tous les historiens sont d’accord, l’État belge a été, à divers endroits, plus que docile face à la persécution des Juifs sur son territoire. Pour L’Union des Progressistes Juifs de Belgique, la question de l’amnistie – à deux lettres de l’amnésie – est inaudible et irrecevable. Nous publions ci-dessous le cri d’indignation de Simon Gronowski, jeune déporté du XXème Convoi pour Auschwitz, militant infatigable contre l’« oubli » de la Shoah dans un esprit de fraternité et d’humanisme. ■ 1 Voir entre autres Bruno De Wever et Pieter Lagrou dans Le Soir du 17 mai 2011. 2 C’est ce qui resort de la thèse de doctorat de Koen Aerts défendue le 18 mai 2011 à l’Université de Gand.

Monsieur Stefaan De Clerck n’est pas très adulte Le Sénat vient de prendre en considération une proposition de loi du VB effaçant pour l’avenir tous les effets des condamnations infligées du chef d’actes d’incivisme prétendûment commis entre le 10 mai 1940 et le 8 mai 1945. L’expression « prétendûment commis » accuse les magistrats belges de les avoir prononcées à tort et porte atteinte à l’autorité de la chose jugée. Le terme est en plus équivoque : il ne dit pas si ces condamnés étaient innocents des crimes dont ils étaient accusés ou s’ils ont eu raison de les commettre. Admettre un tel débat est un pas vers la négation des crimes hitlériens, un pas qui je l’espère et le crois, sera sans lendemain. J’ai sauté du 20e convoi le 19 avril 1943. Ce train avait quitté Malines avec plus de 1600 déportés juifs, dont 262 enfants. J’avais onze ans et demi. J’ignorais que j’étais condamné à mort et que ce train me conduisait vers le lieu de mon exécution. Ma mère a mis son petit garçon sur le marchepied du wagon, marchepied de la liberté et la vie, et a continué son voyage jusqu’à la mort dans la chambre à gaz d’Auschwitz-Birkenau Dans ma fuite je suis tombé sur un gendarme flamand du Limbourg qui m’a dit : « Tu ne dois pas avoir peur, je suis un bon Belge, je ne te dénoncerai pas ». Il m’a sauvé la vie en risquant la sienne. Ma sœur Ita, mon aînée de 7 ans, grande pianiste classique, partira le 19 septembre 1943, avec le 22ème Convoi, celui des Juifs belges, et ne reviendra pas. Mon père mourut désespéré en juillet 1945. Mes parents avaient commis une faute, une seule mais grave, non pas d’avoir fait quelque chose mais d’être quelque chose, être né Juif, ce qui à l’époque ne pouvait être puni que de mort. Les jeunes Allemands d’aujourd’hui ne sont pas responsables des crimes de leurs parents et grandsparents. Les jeunes Belges d’aujourd’hui, enfants et petits-enfants des tueurs de Rex et de De Vlag, ne sont pas davantage responsables. Je n’ai pas de haine. Je veux bien pardonner au criminel à condition qu’il demande pardon et qu’il regrette sincèrement son acte. Comment pardonner à celui qui est fier de son crime ? Une amnistie d’aujourd’hui, sans repentir, porte en elle les germes de l’oubli.

L’oubli est un danger pour la démocratie. Il ouvre la porte aux révisionnistes, qui nient les crimes d’hier pour en commettre d’autres demain. Pour défendre la démocratie d’aujourd’hui, il faut connaître la barbarie d’hier. La démocratie est un combat de tous les jours. La mémoire est un combat : - contre la guerre, le fascisme, le négationnisme, - pour un monde meilleur, un monde de paix et d’amitié entre les hommes, - pour remercier les héros qui ont secouru les persécutés, - pour rendre hommage à toutes les victimes de toutes les barbaries, - pour montrer aux jeunes le chemin de la liberté et du bonheur. Il faut informer les jeunes pour qu’ils gardent la Belgique comme elle est : libre, en paix, démocratique, tolérante, pour que eux, leurs enfants et petits-enfants ne rencontrent pas un jour par malheur la barbarie comme je l’ai rencontrée. Et voilà que M. De Clerck trouve qu’il faut aborder la question en « adulte », qu’il faut « oublier, car c’est du passé », que « c’est nécessaire pour rétablir une société ». Venant d’un ministre fédéral de la justice, de tels propos sont pour le moins surprenants, sinon inquiétants. Il parle du « droit international, universel, de l’imprescribilité des crimes contre l’humanité, etc... » : la question ne se pose pas car l’amnistie ne concerne pas des poursuites à engager maintenant mais l’effacement de condamnations prononcées il y a 60 ans. Quant à « rétablir une société », pour autant qu’elle fût déstabilisée, cette proposition du VB votée par tous les partis flamands (à l’exception de Groen !),les partis francophones votant contre, était le meilleur moyen de la diviser. Elle risque de porter atteinte à l’image de la Flandre qui ne le mérite certainement pas. Il y a autant de démocrates en Flandre qu’en Wallonie. Finalement M. De Clerck ne se montre pas très « adulte » car je ne puis croire qu’il ne soit pas très démocrate. ■ Simon Gronowski Évadé du 20e Convoi – Ancien président de l’Union des Déportés Juifs – Avocat

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israël-palestine Automne 1947 – automne 2011. Enfin un État palestinien ? HENRI WAJNBLUM

C

’est peu dire que le Proche-Orient est en pleine effervescence, non seulement en raison des révolutions arabes – Égypte, Libye, Yémen, Bahrein, Syrie... –, mais aussi de par la ferme intention, du moins on l’espère, de Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne, de porter la question de la reconnaissance de l’État palestinien à la session d’automne de l’Assemblée générale des Nations unies. La perspective, bien réelle cette fois, d’une telle reconnaissance a, comme il fallait s’y attendre, mis le gouvernement NetanyahouLieberman-Barak en ébullition. La diplomatie israélienne se déploie actuellement tous azimuts afin de convaincre les gouvernements occidentaux de ne pas la voter, estimant qu’il s’agirait là d’un obstacle au « processus de paix ». On se demande bien de quoi elle veut parler... Ce qui est réconfortant, c’est de constater que cette manière de voir est loin de faire l’unanimité en Israël même...

DEUX INITIATVES ISRAÉLIENNES MARQUANTES À la mi-avril en effet, diverses personnalités, et non des moindres puisque la plupart d’entre elles ont appartenu au Mossad, au Shin Bet, à l’armée ou au monde des affaires, rendaient public une « initiative de paix » préconisant la création d’un État pales-

tinien aux côtés de l’État d’Israël sur la base des lignes d’armistice de 1949 avec des modifications acceptées par les deux parties... « Nous avons regardé autour de nous, constaté ce qui se passe dans les pays voisins et nous nous sommes dit qu’il est temps pour les Israéliens de faire entendre leur voix, eux aussi », avait déclaré l’ancien chef du Mossad des années 90, Danny Yatom. Et d’ajouter... « Nous pensons qu’une telle initiative peut rassembler un grand nombre d’Israéliens ». Et de fait, deux semaines plus tard c’était au tour de plus de soixante personnalités issues du monde intellectuel, parmi lesquelles 17 lauréats du Prix Israël, la plus haute distinction dans le monde des arts, des sciences et des lettres, de lancer une pétition appelant à la création d’un État palestinien dans les frontières d’avant la guerre de juin 1967. Parmi ses signataires, Yael Dayan... « En 1948, c’était notre tour, maintenant, c’est le leur », et Zeev Sternhell... « La création d’un État palestinien est tout à fait naturelle, elle aurait dû avoir lieu il y a une soixantaine d’années. Aujourd’hui, il faut qu’elle se réalise pour assurer l’existence d’Israël, pour mettre un terme à l’occupation et pour éviter que les Juifs ne deviennent une minorité dans un grand État binational ». De façon très symbolique, cette pétition, intitulée « Déclaration d’indépendance de l’occupation », a été présentée devant Indepen-

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dence Hall où David Ben Gourion proclama, le 14 mai 1948, la naissance de l’État d’Israël... Elle déclare notamment, après avoir rappelé que « la fin complète de l’occupation est une condition essentielle pour la libération des deux peuples, israélien et palestinien », que « La terre d’Israël est le berceau du peuple juif, où son identité a été formée. La terre de Palestine est le berceau du peuple palestinien où son identité a pris forme ». Et elle appelle à « saluer l’indépendance escomptée d’un État palestinien aux côtés d’Israël, selon les frontières de notre indépendance fixées lors de l’armistice de 1949 ».

UN APPEL AUX GOUVERNEMENTS ET À LA SOCIÉTÉ CIVILE Quelques jours plus tard, c’est un appel aux gouvernements et à la société civile de l’UE qui voyait le jour, initié par des intellectuels français tels que Jean Christophe Attias, Esther Benbassa, Jean Daniel, Pierre Nora, Dominique Vidal... Un appel, intitulé « l’État palestinien, c’est maintenant », que l’UPJB a appelé ses membres et amis à signer, un appel qui, à l’heure où ces lignes sont rédigées, a déjà recueilli plus de six mille cinq cents signatures et que chacun peut encore signer à l’adresse www.petitions24.net/ letat_palestinien_cest_maintenant. Ce texte dit notamment...

Le Proche-Orient est à la croisée des chemins. La poursuite de la colonisation israélienne de la Palestine a conduit les négociations de paix dans l’impasse. Le désespoir risque de provoquer l’éclatement d’une troisième Intifada. À l’heure où les peuples arabes reprennent en mains leur destin, seule une reconnaissance généralisée de l’État de Palestine dans les frontières d’avant la guerre de 1967, avec Jérusalem-Est pour capitale, peut ouvrir une perspective nouvelle. Or, le 24 septembre 2010, le président Barack Obama a proposé à l’Assemblée générale des Nations unies de « revenir l’année prochaine avec un accord qui amènera un nouvel État membre aux Nations unies, un État palestinien indépendant et souverain, qui vive en paix avec Israël ». Depuis, la plupart des États latino-américains ont reconnu cet État de Palestine. Le 21 avril, le président de la République Nicolas Sarkozy a fait part au président palestinien Mahmoud Abbas de son « soutien très clair aux efforts visant la création d’un État palestinien ». Et le ministre des Affaires étrangères Alain Juppé estime que la reconnaissance de l’État palestinien est « une hypothèse qu’il faut avoir en tête », mais qu’ « il faut le faire avec l’Union européenne ». Laquelle s’est engagée, le 13 décembre dernier, à en faire autant « le moment venu ».

UN MOMENT HISTORIQUE ? L’automne prochain pourrait donc bien constituer un moment historique dans la résolution du conflit israélo-palestinien. Parce que si l’Assemblée générale des Nations unies votait la reconnaissance de l’État palestinien, c’en serait fini des querelles sémantiques sur la notion de territoires occupés, disputés, convoités... Il s’agirait tout simplement, et cela modifierait radicalement la donne, d’un État, membre de l’ONU, occupé par un autre, et de la colonisation d’une partie du territoire d’un État par un autre ! Et pour que cela advienne, nous, la société civile, allons devoir massivement nous mobiliser pour faire pression sur notre gouvernement, fut-il d’affaires courantes, pour qu’il vote cette re-

Ce moment est venu. Le président Mahmoud Abbas a entamé une tournée afin d’obtenir la reconnaissance de l’État de Palestine. En Israël même, des personnalités pour la plupart issues du Mossad, du Shin Bet, de l’armée et du monde des affaires ont rendu publique une « Initiative de paix israélienne » en faveur de la création d’un État palestinien à côté de celui d’Israël. Cette initiative a été suivie d’une pétition dans le même sens signée par une soixantaine de personnalités dont dix-sept lauréats du Prix d’Israël (...). Nous saluons ces démarches et exhortons la communauté internationale à prendre enfin ses responsabilités : soixante-quatre ans après l’avortement du plan de partage de la Palestine qu’elle ne s’est pas donné les moyens d’appliquer, il lui revient d’assurer un règlement définitif, juste et durable fondé sur le droit international. La France et l’Union européenne doivent prendre l’initiative en reconnaissant sans attendre l’État palestinien dans les frontières d’avant la guerre de 1967 avec Jérusalem-Est pour capitale et en appelant l’ONU à en faire de même sans délai. Mais nous ne pouvons nous en remettre aux seules autorités nationales et internationales. Notre responsabilité de citoyens est aussi de mobiliser l’opinion pour qu’elle pèse dans ce sens. (...)

connaissance. Ce sera notre part du boulot. Car Mahmoud Abbas a rempli la sienne... Il était en effet impensable qu’il se présente devant les Nations unies en ne représentant que la seule Cisjordanie. Il fallait qu’il soit habilité à représenter la Cisjordanie ET la bande de Gaza. Il a fait ce qu’il fallait pour qu’il en soit bien ainsi. Fin avril en effet, sous l’égide de l’Égypte, le Fatah et le Hamas sont en effet parvenu à un accord. Le texte de cet accord, il semble en effet prématuré de parler de réconciliation, prévoit la formation d’un gouvernement de technocrates ou d’indépendants ; la tenue d’élections présidentielle et législative d’ici un an ; la réforme de l’OLP et une solution à la division des organes de sécurité. Comme il est prévu par

les accords d’Oslo, c’est l’OLP et elle seule qui sera habilitée à négocier des solutions de paix avec le gouvernement israélien. Comme le soulignait Alain Gresh le 3 mai sur son blog, http://blog.mondediplo.net/-Nouvelles-d-Orient, « ce texte facilitera sans aucun doute la campagne de l’Autorité en faveur de la reconnaissance par l’Assemblée générale des Nations unies d’un État palestinien indépendant dans les frontières de juin 1967, avec Jérusalem-Est comme capitale. Il a donc suscité un rejet immédiat de la part des Israéliens et a reçu un accueil très froid de l’Administration américaine. Il est encore difficile de savoir comment il sera appliqué, mais le texte reflète les profonds changements qui affectent la région ». Alain Gresh voit plu-

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lire ➜

Sur les pas de Dante. L’enfer sur terre TESSA PARZENCZEWSKI

sieurs raisons à la finalisation de cet accord... certaines tenant à la situation palestinienne, d’autres à l’évolution régionale du fait, notamment, des changements en Égypte. Il note en effet que « les deux partis ont été confrontés, depuis les révolutions dans le monde arabe, à la montée d’un mouvement de contestation, certes limité, mais réel. Ici, le but n’était pas « la chute du régime » mais « la chute (la fin) de la division ». Les deux y ont répondu par un mélange de pressions et de répression, mais aussi en reprenant à leur compte les demandes populaires. Plus largement, les deux organisations sont dans une impasse stratégique. Le processus de paix est mort et toute la politique de négociations du Fatah et de l’Autorité palestinienne se heurte à un refus sans faille du gouvernement israélien. Celle du Hamas aussi, qui parle de résistance, mais cherche à maintenir un cessez-le-feu avec Israël et même à l’imposer aux autres forces palestiniennes ». (...) « L’accord entre le Hamas et le Fatah reflète aussi et surtout la nouvelle politique extérieure égyptienne. Le Caire, sans rompre avec les États-Unis, sans remettre en cause le traité de paix avec Israël, se dégage de la politique de soumission aux intérêts israéliens et américains. Moubarak s’opposait à l’unité entre le Fatah et le Hamas, notamment parce qu’il craignait l’influence des Frères musulmans dans son pays ; il considérait Gaza comme un problème sécuritaire et participait à son blocus. Alors que les Frères

musulmans s’apprêtent à participer aux élections de septembre en Égypte, et peut-être même au gouvernement, ces craintes ne sont plus de mise. D’autant que le climat démocratique en Égypte permet l’expression plus forte de la solidarité avec les Palestiniens et du refus massif du blocus, dont le gouvernement doit tenir compte ».

AH ! LE CON… Comme on pouvait s’y attendre, Bernard-Henri Lévy qui ne rate jamais une occasion de dire tout et n’importe quoi sur tout et n’importe quoi, n’est pas resté insensible à l’accord intervenu entre le Hamas et le Fatah. Dans un article intitulé « Ah! les cons » (sur un Munich palestinien) et publié sur le site laregledujeu.org, il tire au lance-flammes sur tous ceux qui ont l’outrecuidance de se réjouir de cet accord... « Mais comment peuton être aussi « con » ?, et comment tant de commentateurs, comment telle éminence de telle commission parlementaire, tels ministres ou anciens ministres, comment le Parti socialiste, bref, comment tant d’esprits raisonnables peuvent-ils accueillir comme une bonne nouvelle, un bon signe, comme la réunion trop longtemps différée d’un peuple trop longtemps divisé, cette réconciliation Fatah/Hamas qui est, en réalité, une catastrophe ? C’est une catastrophe pour Israël qui voit remise en selle une organisation dont le mode d’expression diplomatique privilégié consiste, depuis son putsch de 2007, à tirer des missiles sur les civils

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de Sderot et qui, il y a tout juste un mois, faisait tirer sur un bus scolaire à l’arme antichar Kornet. C’est une catastrophe pour le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, qui vient de ruiner en quelques instants, le temps d’un paraphe au bas d’un accord auquel lui-même ne croit peut-être pas, tout le crédit politique et moral qu’il avait pu accumuler en tenant bon, depuis des années, face à un Hamas classé « organisation terroriste » par tout ce que le monde compte, Union européenne et États-Unis en tête, de voix autorisées ; le voilà revenu, Mahmoud Abbas, au pire temps des pires doubles langages, quand Yasser Arafat, d’une main, déclarait « caduque » la charte de l’OLP et, de l’autre, en sous-main, encourageait les attaques terroristes diverses et variées. C’est une catastrophe pour le peuple palestinien lui-même – mais peut-être nos grands réconciliateurs, ces amis du peuple palestinien qui savent mieux que les Palestiniens euxmêmes ce qui est bon pour eux, n’en ont-ils cure. C’est une catastrophe pour une paix dont il est faux de dire qu’elle était au point mort : une majorité d’Israéliens, tous les sondages l’attestent, y étaient et y sont prêts. » ! Ce qui est une vraie et immense catastrophe, c’est Bernard-Henri Lévy lui même. Comment peut-on être aussi con ? On croirait entendre Netanyahou et Lieberman. À bien y réfléchir, on peut d’ailleurs se demander si ce n’est pas tout simplement lui qui écrit leurs discours… ■

I

l est venu à l’UPJB avec sa traductrice, Marguerite Pozzoli. Il nous a parlé de son itinéraire, entre Hongrie et Italie, de sa démarche d’écrivain, des préoccupations qui sous-tendent toute son oeuvre. Juif, Hongrois, devenu italien sur sa terre d’exil, Giorgio Pressburger n’a cessé de refléter dans ses romans et nouvelles les grandes tragédies du 20e siècle. Aujourd’hui, mettant ses pas dans ceux de Dante, il réécrit une sorte de Divine comédie où le guide n’est plus Virgile mais le Docteur Freud qui accompagne l’auteur-narrateur dans un au-delà qui, hélas, n’a rien d’imaginaire. Comme dans une psychanalyse mise en images, nous plongeons dans les affres intimes du narrateur-patient et le suivons dans son effroyable voyage. D’Auschwitz-Birkenau à la Kolyma en Sibérie, et jusqu’au Rwanda, les morts se lèvent pour raconter leur calvaire. Rien ne nous est épargné, aucun détail sordide. L’auteur met littéralement les doigts sur les plaies et le lecteur n’en sort pas indemne. Célèbres ou inconnus, ce sont des innocents qui peuplent l’enfer du siècle dernier. Quelques figures lumineuses surgissent de ces paysages désolés, de ces eaux stagnantes, poètes assassinés ou suicidés : Mandelstam, Maïakovski, Lorca, Pasolini, Tsvetaëva…, philosophes et révolutionnaires : Benjamin, Rosa Luxembourg, Gramsci… et dans un autre re-

gistre, sur l’autre versant, là où toute humanité est niée, Pound, Céline, Hamsun, sous les traits du tricéphale Cerbère. Trains fantômes, péniches en dérive, taxis énigmatiques, véhiculent tout un peuple de victimes que le narrateur interroge, inlassablement, à la poursuite d’une impossible réponse. Et à la fin, apparaît, emblématique, Primo Levi, vénéré par l’auteur, mais qui a droit lui aussi à une question, sur sa position critique vis-à-vis d’Israël. S’ensuit une discussion sur la notion de justice, sur la passion en politique, et en filigrane, sur la légitimité de juger. Pressburger s’est attelé à une œuvre ambitieuse, presque une gageure. Brosser le tableau d’un siècle meurtrier, jongler avec des concepts philosophiques et idéologiques, décrypter à l’aide de la psychanalyse sa propre complexité. L’émotion n’est pas toujours au rendez-vous, mais était-ce le but ? Et les nombreuses notes en bas de page destinées à éclairer le lecteur semblent parfois superflues. En conclusion, un roman foisonnant, riche, où langues et dialectes se télescopent, qui fait revivre des individualités majeures du

20e siècle et qui nous met d’une manière brutale face aux horreurs d’hier, un hier très proche, sans échappatoire, en privilégiant parfois un langage démonstratif au détriment d’un propos plus allusif et non moins fort. ■ Dans l’obscur royaume Giorgio Pressburger Traduit de l’italien par Marguerite Pozzoli Actes Sud 283 p., 22,50 EURO

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lire Un regard de médecin sur la province russe FRANÇOISE NICE

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ardiologue et éditeur de livres scientifiques traduits en russe, Maxime Ossipov s’est lancé en littérature. Son premier livre, Ma province (traduction Anne Marie Tastis Botton, Éditions Verdier, 2011) a reçu une critique encourageante dans Le Monde. Mais étrangement, Raphaëlle Rérolle n’évoque pas un des thèmes pourtant présent dans ce livre, la condition des Juifs de Russie ces trente dernières années. Nouveau venu en littérature, Maxime Ossipov rejoint l’aventure de son père, un écrivain qu’il a vu se débattre avec la censure soviétique. Son expérience de médecin de province fait aussi inévitablement penser à Tchekhov, le médecin-écrivain qui n’avait pas hésité à partir à ses frais loin de Moscou, pour ouvrir des écoles ou dresser l’état sanitaire accablant des prisonniers déportés dans l’île de Sakhaline.

UN MONDE ENFERMÉ La deuxième nouvelle du recueil, La rencontre évoque les dernières années de l’URSS et le couple de Genia et Natacha. Elle est lettone et juive, il est moscovite et chrétien, ils se sont rencontrés à l’époque de leurs études à Moscou. Un couple de musiciens sans enfants, une vie ordinaire. Tout bascule quand Genia se fait tuer par des voyous lors d’une visite dans un quartier mal famé. Ce fait divers est le point de dé-

part d’une fiction qui replonge le lecteur dans les années 80. Ossipov dépeint un monde enfermé. Les copains de Genia sont juifs, et même les non Juifs du groupe ne rêvent que d’une chose : obtenir leur visa et partir. « C’était cela la force du système : personne n’avait le droit de partir ». Ce n’est plus l’époque du complot des blouses blanches (195253), la dernière grande vague antisémite. En décembre 1952, Staline avait donné le ton au Politburo : « Chaque nationaliste juif est un agent potentiel des renseignements américains. Les nationalistes juifs pensent que leur nation a été sauvée par les U.S.A »1. Lors d’une rencontre avec des Juifs américains, Gorbatchev témoignera de cette époque, en racontant avoir assisté à une scène où il vit un Juif jeté à bas du tram. L’univers de La rencontre, ce n’est plus non plus l’époque des Juifs du silence rencontrés en1966 par Elie Wiesel2. Au cours des années 80, l’antisémitisme d’état repose sur l’antisionisme. L’interdiction de voyager est la discrimination la plus visible, mais ce n’est pas la seule. Toute vie religieuse ou culturelle spécifique reste interdite ou dangereuse. Les études supérieures ne sont pas toutes accessibles aux Juifs, sauf en médecine. Le passeport soviétique mentionnait aussi l’appartenance nationale : Juif, Tatar, etc.

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Maxime Ossipov évoque ce monde clos et morose, où le rare visiteur étranger est considéré comme la plus haute des curiosités. Dans cette société bloquée, « heureusement il y a Bach », Après la mort de son compagnon, Natacha trouve du réconfort auprès d’un prêtre d’origine juive. Cahin caha, Juifs et non Juifs coexistent et se rencontrent. Ossipov campe trois personnages paradoxaux, Natacha qui se découvre enceinte de son compagnon décédé, le faux prêtre d’origine juive qui lui fait découvrir l’ancien Testament et un vieux médecin qui s’accuse d’avoir provoqué la mort de sa mère et tente de noyer sa culpabilité dans l’alcool.

COMA PROVINCIAL Dans Le centième kilomètre, Maxime Ossipov raconte la Russie d’aujourd’hui, ses trois années de cardiologue en chef dans un hôpital public à Taroussa, une petite ville à une centaine de kilomètres de Moscou. Le diagnostic est effrayant : « Chez les malades comme d’ailleurs chez beaucoup de médecins, ce qui frappe avant tout, c’est qu’ils ont peur de la mort et n’aiment pas la vie. Ils ne veulent pas penser à la l’avenir : tout doit rester comme avant. Ils ne vivent pas, ils subsistent. » Et d’énumérer les plaies : abrutissement des hommes « quasiment analphabètes » et incapables de prendre en charge leur traitement, alcoolisme et violence ordi-

naire : « dans toutes les familles, il y a eu dans un passé proche des cas de mort violente ». Il relève la solitude, l’absence de solidarité et la tendance à un darwinisme médical : pourquoi soigner une vieille personne pauvre ? La corruption se double aussi d’une banalisation du recours au banditisme pour régler les problèmes. Et pourtant. Grâce aux dons d’un oligarque anonyme, son équipe tient de bons résultats sanitaires. Mais des bureaucrates locaux vont s’en mêler : la médecin-chef est virée. Ossipov et son adjoint se battent. Ils vont recourir à « une Personne Haut Placée » et à une campagne de solidarité sur le web. Un combat qu’ils gagneront, non sans s’être attiré un article anonyme dans la presse locale, un article qui reprend l’antienne de « l’allogène venu s’emparer des forces et des moyens que le peuple russe a mis des milliers d’années à constituer ». Caustique, Ossipov ajoute : « Comment c’est,

d’être Juif dans la Russie actuelle ? » me demande une bonne dame membre d’une organisation juive internationale – ils n’ont que cela en tête. Je réponds : « c’est dur mais c’est légal. » La Russie juive d’aujourd’hui a beaucoup changé : Un million de Juifs ont quitté l’ex Urss, Moscou a perdu presque la moitié de ses Juifs. La vie religieuse et communautaire s’affiche librement. Mais en même temps, le vieil antisémitisme russe s’est déchaîné avec l’apparition d’associations nationalistes (Pamiat) et de groupuscules monarchistes ou néo-nazis. En 2005, à l’époque ou Maxime Ossipov découvre la misère morale de la province russe, 500 personnes demandent à la justice d’examiner les activités des organisations juives en Russie. Ils les comparent aux sectes sataniques. L’appel est publié dans un journal orthodoxe russe extrémiste, il recueillera dix mille signatures. 19 des signataires, députés à la Douma, demanderont la fermeture de toutes les organisations juives. Il n’y a pas seulement les appels à la haine, il y a aussi les voies de fait : Le11 janvier 2006, un homme scandant des slogans antisémites fait irruption dans une synagogue de Moscou et blesse huit fidèles. Dans son rapport de 2007, SOVA, l’observatoire spécialisé des faits de racisme, d’antisémitisme et des violations des droits de l’homme constate que les agressions physiques contre les Juifs et leurs biens sont minoritaires. Les principales victimes les « Caucasiens », souvent qualifiés de « noirs » ou « bougnoules ». SOVA

note aussi que la justice poursuit davantage que par le passé. Mais si les pouvoirs publics semblent vouloir se départir d’une attitude complaisante, la littérature antisémite circule librement dans les librairies et sur le net3. Et les préjugés antisémites persistent : en 2006, l’institut indépendant de sondage Levada révélait que 41% des Russes voulaient réduire l’influence des Juifs dans la vie publique4. Une tendance en recul, mais un cliché persistant. Les fortunes scandaleuses réalisées par les oligarques et parmi eux par des personnalités juives (Tchoubaïs, Goussinski, Berezovski, Abramovich), les deux procès contre l’ancien patron du groupe Yukos, Mikhaïl Khodorkovski, ont permis au pouvoir de cristalliser le désenchantement et les frustrations sociales nés de vingt ans de réformes brutales et inégalitaires. À mots couverts ou explicites, l’antisémitisme s’exprime dans la plupart des milieux politiques. La figure de l’agent du capitalisme mondial a succédé à la figure de l’agent sioniste. Loin de Moscou et des médias, Maxime Ossipov prend le pouls d’une société traumatisée, que ne tiendrait ensemble que son inertie et note, aigre-doux : « Notre vie est tellement moche, c’est pour cela qu’on a une si belle littérature ». ■

Wikipedia, Nezavissimaïa Gazeta, 1999. Les Juifs du silence, Seuil, 1966. Son témoignage sera à l’origine des deux congrès internationaux de solidarité avec les Juifs d’URSS, organisés à Bruxelles en 1971 et 76, avec le rôle moteur de David Susskind et du CCLJ. 3 http:/www.sova-center.ru/en/xenophobia 4 Immigration and refugee Board of Canada, Antisémitisme et réaction du gouvernement à l’antisémitisme, 2005 -2007, http:/www.unhcr.org/refworld 1 2

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lire, regarder, écouter Notules de mai GÉRARD PRESZOW

- Mais qu’est-ce qui vous arrive, les Belges ? C’est à n’y rien comprendre ! - Et bien, les Lyonnais, venez passer une semaine ici, un peu d’immersion…

A

ger pour renouveler votre regard et sortir des sentiers battus. Mais vite, il faut rebrousser chemin et retrouver Bruxelles. Au centre culturel Jacques Franck et organisée par Lézarts Urbains de notre ami Alain, projection de 93 la bel-

ra les paquets et on descendra les pintjes à l’Autobus…. 3) Après le sud forestier, le nord médiéval. Direction Gand, la plus agréable ville de Belgique. Mais d’abord, visite du musée du Docteur Guislain, un asile néogothi-

u cours de cette semaine, on n’aura pas fait le quart de la moitié de ce que j’avais prévu mais…

1) Souper d’accueil, repas ÉtatNation : asperges (blanches) à la flamande (œufs durs écrasés, beurre fondu), pommes-de-terre nature et carbonnades à la gueuze Cantillon, fraises de Wépion 2) Pour faire éprouver à mes amis l’étroitesse du territoire, je les ramène à la frontière franco-belge, direction Rimbaud. Je me suis planté sur les distances. A vouloir épouser les méandres de la Meuse jusqu’à CharlevilleMézières, à suivre en parallèle le trajet de la micheline, à monter et descendre par Monthermé, la matinée s’en est trouvée épuisée. Le musée consacré au poète nous réserve une belle surprise : une expo tout en finesse du photographe Bernard Plossu sur le « paysage français ». Des petits formats encadrés et perdus dans des grands passe-partout. Presque partout des ciels plombés sous un silence quasi religieux de solitude. Pour arriver jusque là, on aura pris l’ancienne rue des Juifs que je n’avais jamais parcourue. Ah, faites venir les amis de l’étran-

le rebelle, film du cinéaste français Jean-Pierre Thorn, spécialiste de la culture Hip Hop. Beau public d’une jeunesse bruxelloise resplendissante. Cerise sur le gâteau : après l’avoir vu dans le film, le voici en vrai aux galettes dans un coin du bar, le DJ Dee Nasty himself. Old school pour l’enfant vieux… que je suis. Mais il fait faim. Les frites sont encore ouvertes chez Antoine. Pas de chance, les chaises sont sur les tables chez Bernard. On étale-

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que fondé par l’ordre des Frères de la Charité (Broeders van Liefde), transformé quasi totalement en musée d’art brut et d’histoire de la psychiatrie. Expo du jour : « le corps imposant, obésité, anorexie… ». Ca tombe bien. Il y a peu, mon médecin m’a dit : - Monsieur Preszow, vous n’êtes plus en surpoids (je me réjouis discrètement) - Vous êtes obèse ! (enfin un médecin qui sait comment me parler)

Nous prenons goût à prendre le temps dans le cloître, à nous réjouir des trilles des merles. Et nous n’avons pas vu ce temps passer et nous n’aurons pas vu Gand…, Robert nous attend pour souper au point de convergence des frontières linguistiques et étatiques, à l’exacte équidistance de Mouscron-Courtrai-Roubaix, du picard, du flamand et du français. On se rattrape sur une rapide visite du béguinage de Courtrai dont la retenue introspective n’a d’égal que le charroi m’as-tu-vu des rues de la capitale du Texas flamand. Robert règne sur le dernier kolkhoze de Belgique où un groupe d’amis cultive très « permaculturellement » le potager hérité du grand-père ; cette étendue paradisiaque (il suffit de lever le bras ou de le baisser pour se servir) est d’ailleurs une vedette récurrente de l’émission « Le Jardin extraordinaire » pour laquelle il a souvent été filmé ! Et c’est là, chez Robert, dans la foulée d’un barbecue bien arrosé, que la grande explication a lieu. Le clash franco-belge ! La France n’a toujours pas compris qu’elle est si française que c’est elle qui fait exception, que son jacobinisme radical n’a pas son pareil, que France-culture n’a pas d’équivalent sur la planète. Soit, la France n’a pas encore réalisé qu’elle n’est plus la France ! Ce qui arrive à la Belgique est somme toute commun, par delà les histoires particulières des uns et des autres : la Catalogne en Espagne, l’Écosse en Grande-Bretagne, le Nord en Italie… et que dire de la Yougoslavie et de la Tchécoslovaquie si proches dans le temps et dans l’espace ? - Ça pourrait se passer chez vous à la manière yougoslave ? - Je ne crois pas les hommes meilleurs ici qu’ailleurs… - C’est quand même idiot de vous séparer, non ?

La belle Rosine vue de Lyon

- Mais pourquoi les formes d’organisations politiques seraient-elles immuables ? Pourquoi l’État-Nation devrait-il perdurer, pourquoi pas l’Europe des régions avec une Europe renforcée ? ou encore autre chose que j’ignore ? Mais il est vrai que l’avenir de la Belgique m’apparaît selon mon humeur au réveil : expérience excitante du vivre ensemble, dissemblables, dans la solidarité ou chacun chez soi et advienne que pourra… Au retour, je m’endors dans la voiture une fois passé le panneau « Vlaamse Ardennen ». 4) Un écrin, quasi un secret ce lieu insoupçonné aujourd’hui écrasé par le camembert européen : l’atelier du peintre Antoine Wiertz (1806-1865). « Symboliste, romantique, pompier… » : le gardien du jour est peintre lui aussi et raconte avec bonheur et sensibilité le parcours de celui qui, refusé à Paris, fit de Bruxelles l’épicentre, et de la France, la périphérie. En contrepartie d’un atelier attribué par Léopold 1er sur le con-

seil de Charles Rogier, il lègue à la Belgique son œuvre… intransportable ; œuvre si monumentale qu’il faut désormais l’exposer en oblique, dégagée des murs pour qu’elle ne s’écrase pas sous son propre poids. « Dans 50 ans, dans 100 ans, il n’en restera plus rien ; Wiertz a conçu et testé tellement de pigments que ceux-ci rongent la texture des toiles ; lui-même en est mort précocement ». Survit pour l’éternité « La belle Rosine » dont on a le plus souvent oublié le nom de l’auteur. Et la pulpeuse « Lectrice de roman », en voyage pour l’instant… Le groupe des quatre ensuite se sépare, les femmes font les fringues à Dansaert et Bailli tandis que les hommes font les bouquineries Pêle-Mêle et Évasion 1 et 2. Au moment de la mise en commun, elle dira l’extase d’avoir croisé Arno au bas de son immeuble et lui dira sa joie d’avoir trouvé d’occase un disque qu’il ne pensait même pas pouvoir trouver neuf : Great Jewish Music : Serge Gainsbourg qui se trouve désormais dans ma discothèque. ■

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relire ne nazie ». À travers ce récit sensible, émouvant, intime et pudique, Marcel pose les questions que nous nous posons et qui divisent toujours. Que signifie être juif aujourd’hui ? Le culte du passé et l’exaltation des valeurs juives peuvent-elles fonder un particularisme juif ? Peut-on promouvoir les pratiques ségrégationnistes (concentrer les

Marcel Liebman : Né Juif MATEO ALALUF

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armi les livres de Marcel Liebman, Né Juif. Une famille juive pendant la guerre, paru en 1977 aux éditions Duculot, a été sans doute le plus personnel – il s’agit d’une autobiographie – et le plus controversé. Un passage mettant en cause le bourgmestre d’Anvers dans la rafle des Juifs avait même dû être retiré, passage qui vient seulement d’être rétabli dans l’édition actuelle, les recherches récentes sur la déportation ayant confirmé les faits relatés par Marcel. Ce livre lui aura aussi valu la haine corse de l’establishment de la communauté juive qui, faut-il le rappeler, ne l’avait guère ménagé auparavant. Né Juif est aussi son livre le plus édité et traduit à l’étranger après sa mort. Il a été réédité en 1996 (éd. Labor) avec une préface de Pierre Vidal-Naquet et une postface d’Hugues Le Paige. Sa traduction anglaise Born Jewish a été publiée en 2005 (Verso) avec une introduction de Jacqueline Rose, la traduction italienne Nato Ebreo le fut en 2008 (Shahrazad Edizioni) avec une introduction d’Enzo Traverso. Aujourd’hui, il est réédité par les éditions Aden avec la préface de Vidal-Naquet. Imprégné de culture religieuse juive et de nationalisme belge conservateur, le jeune Marcel vécut la période de l’occupation, marqué par la perte de son frère Henri déporté à Auschwitz en

1942, caché d’abord avec ses parents, ensuite avec ses frères Léon et Jean-Claude dans une maison des « Demoiselles de Jean-François de Salles » à Schaerbeek. Il passa la dernière année de guerre avec son frère Léon à Schaltin près de Ciney, dans une institution catholique pour enfants anémiques appartenant à la Jeunesse Ouvrière Chrétienne. Il relate dans ce livre « l’espèce de conversion » par laquelle il s’est détaché « d’une enfance indûment prolongée et du traditionalisme juif dans lequel elle avait baigné ». Fouillant dans son passé familial, il montra que la persécution nazie n’était pas la tragédie d’un Juif abstrait mais que les Juifs étaient différents les uns des autres et que la passivité des uns se distinguait de la lucidité des autres et surtout de l’esprit de refus de ceux d’entre eux engagés dans la résistance. Dans ce récit, Marcel Liebman s’était fait tour à tour témoin, historien et acteur engagé du passé et du présent.

CLASSES ET CLIVAGES La guerre et l’occupation n’avaient pas fait disparaître les clivages de classe ni en Belgique, ni parmi les Juifs. Liebman juge sévèrement la servilité de l’Association des Juifs en Belgique (AJB). Alors que celle-ci, dirigée par des notables juifs, ficha et enregistra des dizaines de milliers de Juifs et les convoqua en-

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suite en vue de leur déportation, d’autres Juifs de gauche, souvent communistes, organisèrent la résistance clandestine. Le Comité de Défense des Juifs se constitua ainsi peu après l’AJB comme son antidote. S’il souligne le soutien populaire dont les Juifs persécutés ont pu bénéficier, Marcel ne passe pas pour autant sous silence le soutien dont lui-même et sa famille ont pu bénéficier de tel riche entrepreneur qu’il soit ou non juif suivant la circonstance. La commune condition des Juifs promis à la mort collective n’empêchait pas les différences sociales. « Si être juif constituait alors le pire des malheurs, écrit Marcel, la condition des Juifs pauvres les rapprochait encore de la condamnation absolue et de la totale strangulation ». À cette règle cependant une exception. Les Juifs de Charleroi, de condition modeste, petits artisans, petits commerçants et ouvriers, n’ayant pas acquis la nationalité belge mais liés aux organisations socialistes, communistes et syndicats belges de la région se regroupèrent dès le début de l’occupation dans la résistance et créèrent Solidarité Juive de Charleroi. Cette solidarité entre Juifs et non-Juifs de gauche avait permis de surmonter l’isolement de la population juive et, suivant les termes de Marcel Liebman, de dresser « une barrière contre l’agression allemande » et avait même « enrayé la machi-

re, alors que lui comme sa famille n’avaient pas la nationalité belge, ils se considéraient non pas comme étrangers, mais comme Juifs et Belges. Belges donc, mais différents. « Différents de nos camarades d’école puisque, écrit Marcel, le samedi nous allions en classe mais sans être autorisés à écrire. C’était un assouplissement jugé raisonnable de l’interdiction prononcée par la religion contre le travail du Sabbat ».

UN RAPPEL

jeunes Juifs dans des écoles particulières, empêcher les mariages mixtes…) ? Et bien sûr la question palestinienne et le soutien inconditionnel à Israël. Marcel Liebman écrivait ainsi à une époque où le soutien à Israël faisait consensus en Occident : « les communautés juives, non contentes de vouloir recréer, dans la mesure du possible, leurs différences culturelles, se présenteraient également comme des centres politiquement liés à un État étranger. Qui n’aperçoit là les germes possibles d’un nouvel antisémitisme ? » Au temps bénit de l’avant-guer-

Cette anecdote, écrite à une époque où l’expression « d’accommodement raisonnable » aurait été un anachronisme, résonne à présent chez le lecteur comme un rappel salutaire. Comme l’observait déjà Marcel, alors que la population juive échappe à la précarité d’antan et accède à des positions établies et à des modes de vie plus aisés, « le racisme se choisit aujourd’hui, parmi les travailleurs immigrés, des victimes plus démunies ». Il dresse ses cibles les unes contre les autres et cela s’applique, écrivait-il, « au cas des Juifs et des Arabes dont l’antagonisme est, à tant d’égards fratricide ». Pendant la guerre d’Algérie, engagé dans les réseaux de soutien au FLN, Marcel Liebman s’était rendu compte, comme il le relate dans le dernier chapitre de son livre, « les ravages qu’un racisme anti-arabe avait opéré parmi certains Juifs ». Pour leurs bourreaux, les Juifs étaient des judéo-bolcheviks. L’amalgame alimentera la propagande antisémite jusqu’au génocide. Trotsky, Kamenev, Zi-

noviev, Sverdlov, Radek et nombre de leurs camarades, assassinés d’ailleurs par la suite par Staline, n’étaient-ils pas Juifs ? Peut-on désormais rester indifférents au racisme qui stigmatise l’immigration arabo-musulmane ? L’amalgame pervers opéré jadis entre Juifs et Bolcheviks ne devrait-il pas nous rendre vigilants à celui opéré entre islam et terrorisme et aux stigmatisations en termes d’islamo-fascisme ? L’arabo-musulman ne paraît-il pas occuper la place de l’altérité naguère réservée aux Juifs ? Comme auparavant le complot judéo-maçonnique, de manière symétrique le fantasme conspiratif désigne désormais l’islam et les Arabes, accusés d’une manipulation planétaire fondée sur les richesses pétrolières et le djihad qui, audelà des sionistes et des Juifs, viserait le « monde libre ». Vis-à-vis de ses fantômes surgis du passé, Marcel se reconnaît une obligation : « tenir le racisme qui les a assassinés pour un crime avec lequel on ne pactise pas ». Son obstination à « refuser le racisme d’où qu’il vienne » et son engagement pour la reconnaissance des droits des Palestiniens l’exposera à des accusations incroyables et aux pires injures. Pour un journal Juif d’Anvers, il « eût incontestablement été le plus fidèle des hommes de main des nazis à Auschwitz ». Comme le souligne à ce propos Pierre Vidal-Naquet dans sa préface, c’est ensemble, que bien des fois, Liebman et Vidal-Naquet ont dû faire face à la « bêtise à front de taureau ». ■

Soirée de présentation du livre le mardi 7 juin à 20h15. Voir annonce page 26.

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mémoires Quand les nazis filmaient le ghetto ROLAND BAUMANN

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résenté au Sundance Film Festival et au festival de Berlin, puis diffusé sur Arte en décembre 2010, A Film unfinished, de Yael Hersonski, décrypte un film de propagande allemand tourné dans le ghetto de Varsovie en mai 1942, quelques semaines avant le début des déportations en masse vers Treblinka. En 1954, les bobines de pellicule, simplement annotées Das Ghetto, de ce film documentaire nazi, sans bande son ni générique et d’une durée de 62 minutes, sont trouvées en RDA dans un ancien dépôt d’archives cinématographiques de la propagande allemande. C’est avec ce « film inachevé », déposé au Yad Vashem Visual Center, que Yael Hersonski réalise un long-métrage, reprenant dans l’ordre l’ensemble des plans de film montés par les Allemands sur les quatre bobines de Das Ghetto. La jeune cinéaste israélienne alterne le noir et blanc des prises de vues allemandes avec des extraits de témoignages de cinq survivants du ghetto, filmés en couleur dans la pénombre d’une salle de projection et commentant le film nazi. Des extraits des journaux de mémorialistes du ghetto (Czerniakow, Ringelblum, etc.) évoquent les détails du tournage nazi. Enfin, la cinéaste met en scène des extraits de rapports du commissaire allemand du ghetto, Heinz Auerswald, et reconstitue une déposition recueillie dans les années soixante par la justice allemande du caméraman Willy Wist, associé au tournage de mai 42. Le rôle de Wist,

décédé en 1999, est joué par l’acteur Rüdiger Vogler. Tirant parti d’un bobine de rushes du film nazi, découverte en 1998, ainsi que d’images couleur du tournage prises par un des opérateurs allemands avec sa caméra 16mm, Hersonski explore le contexte de réalisation de cette oeuvre inachevée de la propagande.

UN REPORTAGE TRUQUÉ Dans ses interviews, la réalisatrice souligne que les historiens ont considéré les images du film de mai 42 comme un document sur la vie du ghetto, sans trop bien réaliser à quel point ce reportage truquait la réalité. Prises pour contribuer à la propagande nazie, ses images montrent l’indifférence des Juifs aisés face aux mendiants moribonds et aux cadavres qui jonchent les rues du ghetto. Elles soulignent l’écart socio-économique entre les Juifs riches, bien vêtus et nourris, qui, sablent le champagne dans une soirée dansante, font bombance au restaurant, ou s’amusent au théâtre, tandis qu’au cimetière, on inhume en masse les victimes de la malnutrition et des épidémies. La construction ingénieuse du film de Hersonski, dévoile les coulisses du tournage nazi, révèle comment les images ne cessent de trafiquer le réel. Au théâtre Nowy Azazel, les comédiens doivent caricaturer leur jeu devant des spectateurs rafflés en pleine rue au petit matin et forcés de jouer « la bonne humeur » ! Le bureau de Czerniakow au Judenrat, puis son appartement privé, sont transformés en décors de stu-

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dio par l’équipe allemande pour y filmer des tableaux imaginaires de la vie bourgeoise dont jouirait l’élite du ghetto. De même, c’est sous la contrainte que sont filmées des scènes de la vie religieuse : Shabbat, un mariage... et une circoncision cadrée par le cameraman de manière à en « documenter » tout l’exotisme « barbare ». La reconstitution de la déposition de Willy Wist s’attarde sur le tournage du bain forcé d’hommes et de femmes au mikvé, un temps fort du film mais dont le cameraman se souvient surtout en terme de prise de vues difficile par manque d’éclairage ! Une question de lumière sur laquelle revient Wist lorsqu’il parle de son tournage au cimetière et de ces corps accumulés qu’on va jeter à la fosse commune et qu’il veut filmer. Un moment chargé d’émotions face à des images insoutenables mais que l’opérateur allemand évoque d’abord en technicien de l’image...

PSEUDO-DOCUMENTAIRE Hersonski révèle comment certaines scènes de rues qui semblent documentaires sont totalement mises en scène. Grâce aux rushes, elle montre la multiplication des prises de vues pour une même scène qui semblait « prise sur le vif ». Par moment, l’arrêt sur image capture la silhouette fugitive de l’un ou l’autre membre de l’équipe allemande, saisie en plein travail, ou dévoile la participation au tournage des policiers juifs qui assurent la « spontanéité » des passants, figurants forcés de scènes de rues pseudo-documen-

taires. Le film incite à l’analyse critique des images documentaires et montre comment la marche à la « solution finale » passe par la déshumanisation des victimes dans la propagande visuelle nazie. Mais, faut-il prendre au pied de la lettre les déclarations de la cinéaste et de la critique mettant en valeur le caractère novateur de ce documentaire dans l’approche critique des images allemandes du ghetto ?

UNE CRITIQUE ANCIENNE Ces images sont pour la plupart bien connues depuis le procès Eichmann. Dans Le temps du ghetto (1961), Frédéric Rossif utilisa de nombreuses scènes du « film inachevé ». Certes, Rossif utilise les prises de vues nazies pour faire voir le ghetto, mais il les associe aux témoignages de survivants et à la lecture d’extraits de documents officiels et d’écrits des mémorialistes juifs. Et d’emblée, son film pionnier nous met en garde sur l’origine des images utilisées : « Tous les documents que vous allez voir, films et photographies, furent pris dans le ghetto de Varsovie, sur ordre de Goebbels, par les Allemands eux-mêmes ». Rossif attire l’attention du public sur l’origine des images de son film et l’incite à questionner leur « objectivité ». De même, la « vérité » documen-

taire des photographies faites par les Allemands au ghetto de Varsovie est depuis longtemps mise en question. Ainsi, Ulrich Keller, dans The Warsaw Ghetto in Photographs (Dover Publications, New York, 1984) procède à l’analyse critique des centaines de photos prises dans le ghetto en 1941 par Albert Cusian et Ehrhard Knobloch, photographes d’une unité de propagande de la Wehrmacht. Keller évoque le tournage de mai 1942, cite Czerniakow. Notant que le choix des sujets photographiés par Cusian et Knobloch trahit leur regard de photographes de la propagande, il souligne la proximité des photos de 41 avec les images du « film inachevé » de 1942. Même volonté de faire croire qu’une poignée de Juifs continuent à vivre dans l’abondance et les plaisirs sans se soucier du sort des pauvres du ghetto. Même contraste entre la souffrance des moribonds sur les trottoirs et l’abondance de nourriture dans les magasins, etc. Keller publie aussi deux photos documentant la mise en scène de l’horreur : une femme élégante et sa fille passent à côté du corps d’un jeune homme évanoui en pleine rue, comme si de rien n’était... « indifférence des nantis » mise en scène par le photographe allemand assisté de policiers juifs. Et Keller de conclure que les photos de 41 tout comme le film « documentaire » de 42 cor-

respondent à une vision nazie du ghetto et non à une représentation « réaliste », « à la Rembrandt » de la réalité. Ces images nazies contrastent avec le réalisme des photos clandestines prises par Mendel Grossman à Lodz, ou dans le ghetto de Varsovie par Joe Heydecker (The Warsaw Ghetto, Londres, 1990), photographe militaire allemand ayant vécu en Pologne avant guerre, qui a des amis juifs et prend des images de la « vraie vie » du ghetto, à commencer par des instantanés des gardes à l’entrée du quartier prison... Ceci dit, A Film Unfinished a le mérite de revenir sur le tournage d’un film dont les images ne cessent d’accompagner tout récit historique sur le ghetto de Varsovie, sans que ceux qui reproduisent ces « icônes de l’horreur » soient toujours conscients du regard nazi étroitement associé à leur origine. Les cinq témoins du film de Hersonski servent surtout à transmettre de l’émotion et donner un contre-point critique aux images nazies, mais en fin de compte ces survivants ne parviennent à donner un nom qu’à un seul des innombrables fantômes capturés sur la pellicule allemande : Rubenstein, le célèbre « fou » du ghetto... Projeté au Mémorial de la Shoah fin janvier 2011 et diffusé récemment par la télévision suisse romande (TSR2, 22 mai 2011), le film de Yael Hersonski, co-produit par Arte, est sorti en DVD aux États-Unis, en Pologne et en Allemagne mais pas encore sur le marché francophone. ■ Site officiel du film : www.afilmunfinished.com DVDs publiés à ce jour en versions anglaise, allemande et polonaise (langue de la narration et du sous-titrage des témoignages et extraits de documents dits en hébreu, polonais, allemand et yiddish) : A Film Unfinished (Oscilloscope Pictures) ; Geheimsache Ghettofilm (Absolut Medien GMBH) ; Niedokonczony film (Planete Doc).

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extrême droite Pour en finir avec (l’imposteur) Dieudonné MANUEL ABRAMOWICZ/RÉSISTANCES.BE

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’est à la fois une mauvaise nouvelle pour Dieudonné, mais également pour les quelques publicistes et politiciens néoréacs obsédés par cet individu, depuis son dérapage antisémite en 2003 sur les plateaux de France 3. Cette mauvaise nouvelle est la sortie d’un livre levant le voile sur la « galaxie Dieudonné ». Une à une, il démonte les impostures « dieudonnistes » et celles de ses « compagnons de route ». Les auteurs – le juriste Michel Briganti, le journaliste André Déchot et l’historien Jean-Paul Gautier – de cette enquête inédite proviennent de la gauche radicale, antifasciste et non sioniste, comme la maison d’édition (Syllepse) qui édite leur ouvrage. Par leur démarche critique et leurs investigations poussées, ils prouvent que Dieudonné n’appartient plus au camp des progressistes, contrairement à ce que dit la propagande des néoréacs sur l’« islamogauchisme ». Passé à l’extrême droite, avec armes et bagages, le comique s’est allié aux « sectes » antisémites se trouvant à l’opposé des combats propalestiniens menés par la gauche anti-impérialiste, est-il observé dans La galaxie Dieudonné. Pour en finir avec les impostures. Ce livre collectionne une mine d’informations utiles à ceux qui manquaient encore d’arguments pour contrer les sé-

ductions de Dieudonné chez certains. Il s’agit d’une réponse de gauche à une dérive ayant pris le chemin de la droite contrerévolutionnaire.

ANTISÉMITISME CAMOUFLÉ Dieudionné M’bala M’bala est devenu le chantre d’une thématique antisioniste radicale attirant à elle un essaim d’individus et de groupuscules des plus suspects. La thématique antisioniste de l’artiste français est en réalité un « cache-sexe qui dissimule mal un antisémitisme qui, pour des raisons alimentaires, est le plus souvent camouflé », notent Briganti, Déchot et Gauthier. Grâce à ses discours et ses multiples provocations antisionistes ciblant ledit « lobby sioniste » (pour ne pas dire juif), il participe au tissage d’un patchwork rassemblant des courants marginaux de l’extrême droite et de l’islamisme radical. Chez les premiers se localisent des activistes venant de la mouvance national-catholique contre-révolutionnaire, des membres de la tendance NR (nationaliste-révolutionnaire) ou des purs et durs issus du Front national lepéniste. Du côté des islamistes radicaux, ils sont surtout originaires de sa branche chiite, formant en France une poignée de groupuscules souvent très folkloriques et totalement ignorés de l’ensemble de la communauté musulmane.

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Ce patchwork se fera remarqué lors des élections européennes de 2009 avec la « liste antisioniste » conduite par Dieudonné en personne. But : prouver que la République française est sous la coupe du sionisme, voire une colonie israélienne, rien de moins. « Dieudonné développe une vision conspiratrice de l’Histoire », il n’est donc pas étonnant dès lors de retrouver dans sa « galaxie » des propagateurs des théories du complot venant de l’extrême droite. Il a ainsi été élu au rang de star par Flash, un journal satirico-politique néofasciste parisien. Comme encore Alain Soral, l’un des plus acharnés complices de Dieudonné, au point d’en être devenu son éminence grise personnelle. Parmi les collaborateurs de Flash, se trouve Christian Bouchet, un personnage adepte de sociétés secrètes païennes et meneur de la tendance néofasciste agissant dans l’ombre de Marine Le Pen. D’autres proches de la nouvelle cheffe du Front national le sont aussi de Dieudonné, comme cet ex-leader du Groupe union défense, célèbre et violente organisation étudiante d’extrême droite. L’imposture est la clé de voute du « système dieudonniste ». L’ami personnel du négateur Robert Faurisson et de Jean-Marie Le Pen, comique hier bien connu et fortement apprécié par le showbizz, est depuis, devenu un simple « mystificateur ». Son masque

en toc de héraut de la lutte contre le sionisme doit tomber. Le livre de Briganti, Déchot et Gautier a l’objectif de parvenir à l’arracher en démontant ses impostures qui « derrière la forme politiquement correcte d’un antisionisme fédérateur, développe en fait un antisémitisme de plus en plus marqué et virulent. La thématique antisioniste lui permet en théorie d’éviter les foudres de la justice, qui, c’est bien connu, « est aux mains des Juifs ». Le monde tel qu’il le voit est un monde dans lequel les Juifs règnent en maître sur la pensée et le discours. Un monde aux mains du ‘puissant lobby des youpins sionistes’ ». Pour les auteurs du livre, Dieudonné est un bon élève qui aurait suivi à la lettre les leçons d’un Charles Maurras, théoricien national-catholique royaliste de l’antisémitisme à la française.

LE « JUIF DE SERVICE » « Deux courants antisémites se retrouvent et cohabitent chez Dieudonné : un antisémitisme anticapitaliste développé à gauche par certains socialistes du 19e siècle (Fourier, Proudhon, Toussenel...) et un antisémitisme d’extrême droite », précisent les auteurs du livre. Ce double « héritage » s’est confirmé dans l’élaboration de sa liste antisioniste pour le dernier scrutin européen, puisque « tous les poncifs de l’antisémitisme y étaient présents ». Mais pour parer à toute accusation de racisme anti-Juifs, Dieudionné s’est adjoint son « Juif de service ». L’homme de la situation est Belge. S’identifiant comme rabbin, il vient d’Anvers et se nomme Shmiel Mordche Borreman. Sans en être membre, il est proche des thèses des Neturei Karta (Les Gardiens de la Cité), un mouvement ultra-orthodoxe juif opposé pour

des raisons religieuses à l’existence de l’État d’Israël, partisan du gouvernement iranien d’Ahmadinejad et lié à l’extrême droite identitaire européenne et américaine. Ce rabbin fidèle à Dieudonné travaille aussi avec le Centre Zahra, un petit groupe chiite installé en France. La caution de Dieudonné pour éviter toute accusation d’antisémitisme ne vaut pour finir rien du tout : Borreman ne représente que lui-même, soit un antisioniste isolé et un pseudo rabbin qui, en réalité, s’est jadis converti de manière étrange au judaïsme. La conclusion des auteurs de La galaxie Dieudonné : « On peut considérer que le combat de celuici dessert la cause antisioniste et donne du grain à moudre à ceux qui tirent un trait d’égalité entre antisionisme et antisémitisme. Dieudonné tente de réaliser entre l’antisémitisme et l’antisionisme ce que Marcel Liebman qualifie « d’impossible amalgame ». On peut considérer que la trajectoire actuelle de Dieudonné comporte des points communs avec la ‘dérive fasciste’ ». Le mot de la fin : « Dieudonné et sa galaxie sont à combattre tant pour leurs impostures, qu’en tant qu’utiles « rabatteurs » du lepénisme ».

LE RÉSEAU BELGE « DIEUDONNISTE » Le principal « agent » de promotion de Dieudonné est un Belge : il se nomme Olivier Mukuna. Journaliste, il a multiplié ses collaborations dans la presse nationale. Il signait notamment des articles dans Le Journal du Mardi, dont le rédacteur en chef était alors Claude Demelenne, singularisé à cette époque par un antisionisme identique à celui d’Olivier Mukuna. Auteur de deux ouvrages prenant la défense de l’hu-

moriste français, Olivier Mukuna co-anime depuis 2004 le réseau belge dieudonniste. Ce réseau fait l’objet de plusieurs pages dans le livre La galaxie Dieudonné. En son sein, s’y trouvent : Nordine Saïdi, le meneur du mouvement politique Égalité, Michel Collon, ex-cadre stalinien et animateur d’un site de contre-informations, les universitaires Jean Bricmont (UCL), Pierre Piccinin et Souhail Chichah (ULB),... O. Mukuna est par ailleurs bien connu à l’UPJB : dans les années 80, il fréquenta assidûment son mouvement de jeunesse. Ses anciens potes de colo ont été extrêmement interloqués et choqués lorsqu’ils constatèrent sa présence parmi les plus acharnés proDieudonné. En réaction, Mukuna tenta alors une « médiation » pour leur expliquer que son idole était en réalité la victime d’un lynchage politico-médiatique orchestré par « le » lobby. Les ex-amis UPJBistes ne furent aucunement convaincus des arguments de Mukuna. S’il perdit en un coup tous ses amis de l’UPJB, il gardera cependant de bons contacts ailleurs, notamment parmi certains militants du Cercle des étudiants du Libre Examen de l’ULB, mais aussi au PS. Comme en témoigne sa présence récente dans la délégation socialiste qui rencontra, à Bruxelles, le responsable international des jeunes démocrates américains. Délégation conduite par Bea Diallo, député régional bruxellois du PS... ■ Michel Briganti, André Déchot et Jean-Paul Gautier, La galaxie Dieudonné. Pour en finir avec les impostures, Éditions Syllepse, 2011, 190 pages, 10 EURO Plus d’informations sur les dérives de Dieudonné : www.resistances.be

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réfléchir Fühlen, Wissen, Wollen. Rêverie printanière sur Freud, Herzl et Schnitzler JACQUES ARON

S

ous cette trinité de concepts, « Sentir, Savoir, Vouloir », le philosophe juif-allemand Constantin Brunner entendait rassembler les attributs qui permettent à l’homme d’agir sur le monde extérieur. Mais par quelle alchimie se distribuent-ils et s’organisent-ils en œuvres et en actes, voilà le mystère sur lequel n’ont cessé de s’interroger les créateurs eux-mêmes. Et combien de fois n’avons-nous pas parcouru certains lieux pour tenter de ressentir et de reconnaître dans quel temps et dans quel cadre cette alchimie avait opéré ? Paris, Venise, Vienne ? C’est à Berlin, quelques années avant la chute du Mur, que le Retour de Casanova, le merveilleux récit de Schnitzler1 sur les échecs amoureux du vieux séducteur, m’était tombé entre les mains, superbe édition à bas prix, illustrée de collages, qui permettait aux intellectuels de la RDA de rêver d’un autre art que l’officiel ; quelques lignes d’une postface expliquant pourquoi la classe ouvrière n’apparaissait pas dans cette nouvelle suffisaient aux censeurs. Ultimes contradictions d’un régime finissant. En 1906, Freud avait écrit à Schnitzler : « Monsieur le Docteur, Depuis des années, j’ai pris

conscience de la profonde concordance qui existe entre vos conceptions et les miennes sur bien des problèmes psychologiques et érotiques, et j’ai trouvé il y a peu le courage de l’exprimer ouvertement (Fragments d’une analyse de l’hystérie, 1905). Admiratif, je me suis souvent posé la question de savoir où vous trouviez cette connaissance mystérieuse que je n’ai pu acquérir que par une recherche laborieuse, et j’en suis venu à envier l’écrivain que j’admire par ailleurs. Vous pouvez donc penser combien ces lignes m’ont réjoui, dans lesquelles vous Herzl, juin 1899, détail de la photo réalisée par me dites l’inspiration que le Studio Elliott & Fry, Londres vous avez trouvée vous-aussi dans mes écrits. Je suis presque compte si vous auriez souhaité un gêné d’avoir dû atteindre l’âge de tel rapprochement). cinquante ans pour être honoré de La réponse à cette question la sorte. »2 Quelques années plus contient ce que cet aveu a de plus tard, à l’occasion du soixantième intime. Je veux dire que je vous anniversaire de l’auteur (Freud a ai évité par une espèce de crainsix ans de plus que lui), le psy- te du sosie. Non que j’aie si facichanalyste revient sur le sujet : lement tendance à m’identifier à « Je veux vous faire un aveu que, un autre ou que je veuille ignopar égard pour moi, vous garde- rer la différence de talent qui me rez pour vous et ne communique- sépare de vous, mais j’ai toujours rez à personne, ami ou ennemi. Je cru, quand je me plonge dans vos me suis tourmenté à l’idée de sa- belles œuvres, retrouver derrièvoir pourquoi, pendant toutes ces re l’apparence poétique, les exiannées, je n’avais pas essayé de gences, les intérêts et les résultats vous rencontrer et de m’entretenir que je connaissais par moi-même. avec vous (sans même prendre en Votre déterminisme comme votre

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scepticisme – ce que les gens appellent pessimisme – la manière dont les vérités de l’inconscient vous touchent, la nature instinctive de l’homme, votre dissolution des évidences conventionnelles de notre civilisation, l’attachement de vos pensées à la polarité de l’amour et de la mort, tout cela me touchait par son angoissante familiarité. […] Oui, je crois bien qu’au fond de vous, vous êtes un explorateur de la psychologie des profondeurs, plus sincèrement impartial et audacieux qu’aucun autre avant vous ; si ce n’avait été le cas, vos facilités artistiques, votre maîtrise du langage et votre force créatrice auraient eu plus libre jeu et auraient fait de vous un écrivain comme ceux que la foule préfère. Je suis bien près de préférer l’explorateur. Mais pardonnezmoi d’être tombé dans l’analyse, je ne suis capable que de cela. Et je sais que l’analyse n’est pas un moyen de se faire aimer. »3 Après la mort de Herzl, Freud, dans une conférence sur sa théorie de l’interprétation des rêves, révéla que l’auteur de L’État juif lui était apparu en songe comme une créature majestueuse, le visage basané mais pâle entouré d’une barbe d’un noir de corbeau, mais dont les yeux l’avaient frappé par leur infinie tristesse. L’apparition s’efforçait de lui faire comprendre la nécessité d’agir rapidement pour le sauvetage du peuple juif ; Freud affirma avoir été impressionné par la logique de son discours et le sentiment qui s’en dégageait.4 Selon Freud, il n’aurait rencontré Herzl dans une diligence viennoise qu’après ce rêve et l’aurait trouvé particulièrement ressemblant à l’image qu’il s’en était faite dans son sommeil. Il lui avait envoyé en 1902 son ouvrage sur

Klaus Noeske, Collage 1985 pour le récit de Schnitzler

l’interprétation des rêves avec le souhait d’une recension dans le journal auquel Herzl collaborait de longue date. Il le lui adressait « en signe de la considération, que je porte – comme tant d’autres – depuis des années à l’écrivain et au lutteur pour les droits de l’homme de notre peuple ». J’ignore si Freud a porté un jugement sur le romancier Herzl dans sa vision idéalisée de l’État à venir. Mais ceci est une autre histoire. ■

Arthur Schnitzler, Casanovas Heimfahrt, Verlag der Nation, Berlin, 1985. Avec 10 collages de Klaus Noeske, postface de Ingeborg Harnisch. 2 Lettre du 8 mai 1906, in « Die Wiener Moderne », Reclam, 1981. Traduction : J. A. 3 Lettre du 14 mai 1922, idem. 4 Dr Leo Goldhammer, Theodor Herzl und Sigmund Freud, in : « Theodor Herzl Jahrbuch », édité par Tula Nussenblatt, Glanz Verlag, Wien, 1937. 1

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! widYi ? widYi

Yiddish ? Yiddish ! PAR WILLY ESTERSOHN

TRADUCTION Je me mets au lit / Et j’éteins (je m’éteins) le feu / Il viendra aujourd’hui auprès de moi / Celui qui m’est cher. Les trains passent deux fois par jour (deux un jour)/ L’un arrive (dans) le soir ; / J’entends le tintement : glin glin glon / Oui, il est déjà tout près. J’entends (qu’) on approche, (qu’) on frappe à la porte, / On m’appelle par mon nom ; / Je me précipite en bas pieds nus / Oui, il est venu !

NUr= teb Nij rim Cij giil

leyg ikh mir in bet arayn Je me mets au lit

L’auteur de ce poème, Joseph (Yoysef) Rolnik (Biélorussie, 1879 – New-York, 1955), débarque dans la métropole américaine en 1906. A peine installé, il adhère au groupe d’artistes (écrivains, poètes et peintres) qui vient de se constituer sous le nom de di yunge (« Les Jeunes »). Les yunge « s’insurgent contre une conception utilitariste et instrumentale de la littérature, celle des écrivains prolétariens et réalistes. [...] Refusant la tradition et l’engagement, ils choisissent le repli, l’individuel et l’intime » (*). Le poème sera, bien plus tard, mis en musique par Bertha Kling (1886 – 1979). On entendra la chanson en Pologne dans les années trente. *) Rachel Ertel dans son introduction à Royaumes juifs, Trésors de la littérature yiddish. Edit : Robert Laffont, collection Bouquins.

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REMARQUES Ngiil leygn = poser, déposer, mettre (à plat, en position couchée), allonger. rim Cij giil leyg ikh mir = je me couche, en langage standard la forme est riz giil Cij ikh leyg zikh. NUr= arayn = dans (mouvement vers l’intérieur). Nfiul loyfn = courir, filer. reh’c kh’her = reh Cij ikh her = j’entends. Niig geyn = aller ; mais aussi : marcher, venir, approcher, fonctionner. Nfur rufn = appeler, nommer. Nfurn] onrufn = idem + appeler au téléphone. MUb baym = Med Ub bay dem. seuur]b borves (à la fois adv. et adj.) = pieds nus (dans ce texte-ci : adj.).

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ANNE GIELCZYK

Grave maar niet hopeloos

N

on mais je rêve ! Reçu l’autre jour une invitation pour une assemblée régionale d’Écolo. A l’ordre du jour : la qualité de l’air à Bruxelles. On n’a toujours pas de gouvernement et Écolo discute de la qualité de l’air ! Et pourquoi pas du sexe des anges tant qu’on y est ? ! Mais peut-être ont-ils raison après tout, la qualité de l’air, n’est-ce pas infiniment plus important que l’avenir (hypothétique) de la Belgique ? L’absence de gouvernement n’a jamais empêché quiquonque de respirer, tandis que l’air vicié… Justement, je trouve que ça commence à sentir le ranci. Le « négociateur » Wouter Beke a remis ses conclusions : 8 cm de paperasse, mais pas l’ombre d’un accord négocié en vue et tout ça en citant Confucius. Comme si Confucius y pouvait quelque chose le pauvre. Même Jules César, qui a bien connu les Belges pourtant, ne nous a été d’aucun secours. Nil volentibus arduum pour qui veut, rien n’est impossible… L’ennui c’est qu’on ne veut pas ! Ou alors, on n’ose pas, on ne peut pas, on ne sait pas... qu’importe. Tout ce qu’on sait après un an de palabres, c’est que si « on peut amener le cheval au bord de la rivière, on ne peut pas l’obliger à boire ». C’est pas énorme, énorme. Mais bon, toujours est-il que nous avons maintenant un

« formateur ». C’est quoi encore un « formateur» ? Ah mais oui, c’est celui qui doit former le gouvernement pardi ! Ah mais en voilà une bonne nouvelle, on va avoir un gouvernement bientôt alors ? Bientôt, bientôt, c’est sûr qu’un jour on finira bien par avoir un gouvernement, mais bientôt, faut pas rêver les amis. Tout ce qu’on sait, c’est qu’il aura pour mission de passer l’été. Overzomeren ça s’appelle. (Non les amis, pas « ovèrezomèrenne » mais « oveurzomeureunne ». Bien ! On voit que vous avez passé un an sans gouvernement en ma compagnie, si cette crise dure encore un peu, vous allez terminer bilingues ! Sans Belgique, mais bilingues). Overzomeren c’est l’équivalent estival de overwinteren, hiberner. Voilà, comme ça, vous aurez au moins appris un nouveau mot en néerlandais. D’ailleurs pour les néerlandophones, il est nouveau aussi. On connaissait overwaarderen (surestimer), overwerken (se surmener) et overzitten (doubler son année). C’est clair, notre classe politique ne s’overwerk pas ces derniers temps, elle est franchement overgewaardeerd et devra sans nulle doute overzitten. Tous les étudiants de la révolution des frites vous le diront, pour bien moins que ça, tout élève est gebuisd, busé, recalé. Je ne suis même pas sûre qu’il aurait le droit de se représenter en septembre.

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Oui les amis, on ne rigole plus, en tous les cas JE ne rigole plus, et quand je ne rigole plus, c’est que la situation est grave.

G

rave mais pas désespérée? Ernstig maar niet hopeloos titrait De Morgen1 récemment à propos de la jeunesse bruxelloise. En fait, il s’agit de la jeunesse des écoles secondaires flamandes à Bruxelles qui a fait l’objet récemment d’une étude sociologique tout ce qu’il y a de plus sérieux (leurs auteurs sont des chercheurs reconnus des universités de Bruxelles, Gand et Louvain)2. Saviez-vous que dans l’enseignement néerlandophone bruxellois, seulement 16% des élèves sont issus de parents néerlandophones ? ! Par contre, 32% d’entre eux ont deux parents francophones, le reste étant issu de familles mixtes (dont 10% NL+FR) ou allophones (27%). L’échantillon de l’étude compte 2800 jeunes environ, 25% se disent catholiques, 46,5% musulmans, les autres se déclarant noncroyants. Pas un seul Juif donc (si ce n’est parmi les noncroyants ?) mais selon les auteurs de l’étude, l’enseignement néerlandophone compte très peu de Juifs. Cela a son importance car un des sujets de l’étude, c’est l’antisémitisme. Même si certains semblent le déplorer et

Le formateur Di Rupo en tenue de travail

auraient préféré qu’on investigue les sentiments islamophobes, il est vrai que l’antisémitisme n’a pas encore fait l’objet d’une étude sérieuse en Belgique. On ne dispose que des résultats d’une étude européenne, commanditée par la très controversée « Anti Defamation League »3. Quatre affirmations, quatre clichés à propos des Juifs, ont été soumis à la (dés)approbation de ces jeunes : « La plupart des Juifs pensent qu’ils sont mieux que les autres », « Les Juifs sont des va-t’en guerre et rejettent la faute sur les autres », « Les Juifs veulent tout dominer » et, at last but not least, « Il faut faire très attention quand on fait des affaires avec les Juifs ». 30% en moyenne se dit d’accord ou tout à fait d’accord avec ces assertions, 10% parmi les nonmusulmans et 50% parmi les musulmans. Est-ce dû à la place symbolique qu’occupe le conflit au Moyen-Orient parmi cette population ? La question n’est pas vraiment creusée dans ce sondage et mériterait qu’on s’y attarde plus. À la question « Les

Juifs sont des va-t’en guerre et rejettent la faute sur les autres », le contraste est en effet le plus grand (7,7% des non-musulmans et 53,7% des musulmans adhèrent) mais la question qui rencontre le plus d’adhésion parmi les élèves musulmans est la question de la prétendue domination des Juifs (56,8% se dit d’accord, contre 10,5% parmi les non-musulmans). Les « autochtones » privilégient eux le Juif élitiste et adroit en affaires (13% sur ces deux affirmations). Pour l’auteur de l’étude, Mark Elchardus4, il s’agit chez ces jeunes Musulmans d’un antisémitisme de nature philosophique et religieuse et non pas socio-économique, ce qui est le cas pour les 10% d’antisémites non-musulmans. Ce type d’antisémitisme est également plus fort parmi les élèves catholiques mais dans une moindre mesure, sauf, qu’en l’occurence, on ne leur a pas demandé si, selon eux, les Juifs ont tué le Christ (pas moins de 19% en moyenne des Belges toutes religions confondues répondrait oui à cette question selon les études de la « AntiDefamation League »).

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uoiqu’il en soit, il faut se rendre à l’évidence, les préjugés antisémites sont bien ancrés chez les jeunes de culture musulmane, le nier ne rend pas service à la lutte antiraciste en général. C’est pourtant ce que fait Nordine Saïdi sur le blog de « Free Palestine »5. Pour lui les résultats de cette « étude », qu’il met entre guillemets, ne sont pas fiables. Selon lui, il s’agirait d’un « douteux sondage » qui « avance le principe que les musulmans, en bloc, seraient antisémites par nature en ajoutant qu’il s’agit

«d’un postulat raciste ». Si, pour Nordine Saïdi, les résultats sont nuls et non avenus, à l’inverse, Joods Actueel, l’organe des Juifs d’Anvers se dit « ne pas être étonné de ces résultats »6 (qu’il attribue à Jessy Siongers et pas à son auteur Mark Elchardus, mais soit). Suit une tirade contre « les universités de Bruxelles » qui seraient « complices » en admettant que « des antisémites viennent faire des exposés ou des actions antiisraéliennes sur leurs campus ». Que certains Juifs s’en réjouissent car cela les conforte dans leur posture de victimes de l’antisémitisme en mettant sur le même pied la critique d’Israël et les sentiments anti-Juifs, est indéniable, mais n’enlève hélas rien à ce constat affligeant : un jeune musulman dans une école secondaire flamande à Bruxelles a cinq fois plus de chances de véhiculer des clichés antisémites qu’un jeune non-musulman. Et je vous assure que cela ne me réjouit pas, que du contraire ! Sur ce, il me reste à vous souhaiter un excellent overzomering. On se revoit en septembre, resourcés, reposés et ... toujours sans gouvernement. On parie ? Ah, vous êtes tous d’accord ? Bon dans ce cas... la situation est vraiment grave mais, soyons optimiste, pas (encore) désespérée. ■ « De Brusselse jeugd, ernstig maar niet hopeloos », De Morgen 12 mai 2011. 2 Nicole Vettenburg, Mark Elchardus en Johan Put (eds) : Jong in Brussel, Acco, Leuven, 2011. 3 Anti Defamation League, Attitudes towards Jews in twelve European countries, Mai 2005. 4 Sociologue à la VUB, spécialiste en sociologie des mentalités et des phénomènes culturels en général. 5 http://mcpalestine.canalblog.com/ 6 http://joodsactueel.be/2011/05/12/joodsactueel-niet-verrast-door-vub-onderzoek/ 1

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LE

DE LÉON LIEBMANN

La Belgique va-t-elle disparaître ?

C

ette question existentielle angoisse, à juste titre, beaucoup de nos compatriotes attachés à la survivance de l’État belge et à la consolidation de ses institutions. Mais cette perspective recueille une réponse positive correspondant à l’attente empressée d’un grand nombre de Belges qui souhaitent – quand ils ne l’exigent pas – la scission de la Belgique et l’édification d’au moins deux États sur ses décombres – la Flandre et la Wallonie – et un statut « approprié » pour la région actuelle de Bruxelles-Capitale. Les rédacteurs de l’excellent opuscule auquel j’ai emprunté le titre de ma chronique1 ont choisi tous deux de ne pas répondre eux-mêmes à cette question, se contentant d’exposer les rétroactes de la crise actuelle et les principaux motifs qui animent les partisans et les adversaires du maintien d’un État belge rénové et viable. Les auteurs de ce livre plus passionnant que passionné sont tous deux historiens et professeurs d’université, l’un – Marnix Beyen – à Anvers et l’autre à Mons – Philippe Destatte, par ailleurs président et directeur général de l’Institut Destrée, de tendance nettement socialiste et « wallonisante ». Ils ont publié en 2009 un ouvrage

beaucoup plus substantiel intitulé (prémonitoirement ?) Nouvelle Histoire de la Belgique (19702000). Un autre pays et, sans renier leurs origines opposées (l’un est Flamand et l’autre Wallon), ils ont pu s’apprécier l’un l’autre en participant à une œuvre commune. Ils ont remis le couvert en avril 2011 avec talent et le résultat de leurs démarches complémentaires s’avère d’excellente qualité.

S

elon ces deux auteurs, c’est à tort que la plupart des spécialistes font remonter la première remise en cause de l’État belge à la Première Guerre mondiale, quand des milliers de soldats flamands auraient dû, dans les tranchées des bords de l’Yser et au péril de leur vie, exécuter des ordres qu’ils ne comprenaient pas car ils étaient donnés en français par des officiers francophones. Selon les propagateurs de ces plaintes, moins répandues qu’ils ne l’ont prétendu, le peuple flamand commença alors à perdre la confiance et le respect dus à des chefs aussi peu compréhensifs que compréhensibles. Chassant sur les mêmes terres mais utilisant d’autres griefs, des leaders flamingants attribuèrent à une autre forme

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de discrimination la vague de nationalisme flamand qui déferla sur la Flandre pendant et après la Deuxième Guerre mondiale. D’une part, la collaboration, beaucoup plus étendue et plus poussée que pendant la guerre de 1914-1918, avec les occupants nazis et, d’autre part, la répression, jugée par eux excessive, de ces « collabos » par la Justice belge qui, par contre, épargna, selon les nationalistes flamands, leurs homologues wallons et bruxellois francophones. Loin de partager cette façon d’accommoder l’Histoire pour la mettre au service de leur idéologie fascisante et de leur propagande habilement ciblée, « nos » deux auteurs s’accordent pour situer dans un passé beaucoup plus lointain la genèse du séparatisme flamand. Ils le font remonter au Moyen Âge et plus précisément quand le Comté de Flandre faisait partie du Royaume de France : l’aristocratie et la bourgeoisie parlaient alors la langue officielle et dominante c’està-dire le français qui, en fait, s’imposait à l’ensemble de la population à tout le moins dans ses rapports avec les institutions publiques de l’époque. Marnix Beyen et Philippe Destatte retracent ensuite l’évolution de ces institutions

dans les territoires qui font aujourd’hui partie de la Belgique, et cela sous l’angle de la participation aux divers rouages de l’État à partir de sa fondation en 1830 et du statut linguistique imposé ab initio à l’ensemble de la population belge. C’est, en un raccourci saisissant, une excellente synthèse qui ne s’autorise aucun dérapage politicien ou sectaire. Comme je l’ai déjà mentionné plus haut, les auteurs ne répondent pas eux-mêmes à la question qui leur était posée, laissant ce soin à leur interviewer Luc Hossepied, journaliste belge travaillant pour le quotidien lillois La Voix du Nord. Son texte mérite d’être reproduit ici in extenso. « Deux histoires qui se racontent différemment, des caricatures qui s’installent dans les esprits des uns et des autres, le

prétexte linguistique qui escamote des histoires communes et différentes, un État fédéral faible qui laisse la place à des partis politiques qui instrumentalisent encore davantage la Belgique. Lorsqu’on vous demande comment vous imaginez la Belgique dans dix, vingt ou trente ans, il y a dix secondes de blanc… et un peu plus. Ca ne vaut pas une réponse, mais nous devrons nous en satisfaire. Merci et bonne chance à la Belgique et à tous les Belges ! » Les deux auteurs, clairs et précis dans leur travail d’historien, n’ont pas désavoué ce final en panache. Celui-ci rejoint le libellé de la seconde partie du titre de leur ouvrage précédent : Nouvelle Histoire de la Belgique (1970-2000). Un autre pays. En d’autres termes, cela peut se dire bien plus simplement comme suit : « la Belgique ne pourra échapper à sa disparition si elle ne devient pas, dans un avenir prochain, un autre État susceptible de satisfaire ses compatriotes flamands et francophones ». Et encore, pour parodier un slogan ultra célèbre : « Belges de tout notre pays, unissez-vous ! »

U

n livre presque aussi récent, La Belgique2,est l’œuvre de huit spécialistes – historiens, juristes, politologues et journalistes spécialisés – qui, avec brio, font le tour des principaux problèmes socio-

politiques auxquels sont confrontés tous les Belges, toutes tendances confondues. Parmi les contributions les plus marquantes, j’en citerai cinq dont voici les auteurs et les titres : deux textes de Vincent De Coorebytter « Principaux partis et dernières élections en Belgique » ainsi que « La Belgique entre compromis et ambiguïté » ; Els Witte « La question linguistique en Belgique dans une perspective historique » ; Marc Uytendaele « Chronique d’une législature maudite. Réflexion sur l’instabilité politique de la Belgique » et « Bruxelles, capitale de l’altérité » ; Bernard Bléro (co-directeur du Centre de Droit Public de la Faculté de Droit de l’ULB) « BruxellesHal-Vilvorde, couronne d’épines de l’État fédéral belge » et enfin Philippe Lauvaux « Le roi » (ses pouvoirs et la façon dont ils ont été exercés par Albert II depuis son accession au trône en 1993). Je ne résumerai pas ici la pensée de leurs auteurs aussi brillants que sagaces : leur pensée est si dense qu’on risquerait de l’affadir sinon même de la dénaturer. Je recommande à mes lecteurs de profiter des prochaines vacances d’été pour plonger dans cette littérature docte mais pas pesante, savante mais jamais ennuyeuse. Ils pourront ainsi mieux suivre l’actualité politique de la rentrée automnale et l’évolution de nos problèmes institutionnels dans notre petite mais surprenante patrie. ■ Marnix Beyen et Philippe Destatte, La Belgique va-t-elle disparaître ? Itinéraire d’une nation européenne, Éditions de l’Aube, avril 2011 (89 p.). 2 La Belgique, Éditions du Seuil, janvier 2011 (149 p.). 1

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activités

Le comité de rédaction de Points critiques souhaite de bonnes vacances d’été aux abonnés et lecteurs du mensuel de l’UPJB. Le prochain numéro sera daté de septembre.

mardi 7 juin à 20h15 Réédition de Né Juif de Marcel Liebman Les éditions Aden, l’Institut Marcel Liebman et l’UPJB ont le plaisir de vous inviter à la présentation de la nouvelle édition du récit autobiographique de Marcel Liebman*. Le débat sur la portée du témoignage de Marcel Liebman et les controverses qui ont pu l’entourer sera introduit par

Mateo Alaluf, président de l’Institut Marcel Liebman Nicolas Zomersztajn, rédacteur en chef de Regards et sera suivi par un verre de l’amitié en mémoire de Marcel Liebman ENRÉE LIBRE

* Voir article de Mateo Alaluf page 12

vendredi 10 juin à 20h15 À contre courant : le féminisme musulman Conférence-débat avec

Malika Hamidi Le féminisme est souvent invoqué pour dénoncer la religion musulmane et la place des femmes dans l’islam. A contre-courant du « choc des civilisations », des femmes musulmanes se dressent à leur tour contre la domination masculine tout en inscrivant leur combat dans une lecture féministe de l’islam. Malika Hamidi est doctorante en sociologie à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS) à Paris. Sa recherche doctorale concerne l’émergence d’un mouvement de pensée et d’action féministe musulman en Occident. Par ailleurs, elle a contribué au débat sur la construction d’une identité féminine musulmane en Europe et du rapport religion/sphère publique. Engagée au sein de diverses dynamiques associatives, elle est actuellement directrice générale du think tank « European Muslim Network » (EMN) à Bruxelles, vice-présidente du « Groupe International d’Étude et de Réflexion sur la Femme en Islam » (GIERFI) à Barcelone, membre du « Advisory committee » du Parlement des Religions du Monde 2014 qui se tiendra à Bruxelles et membre du comité scientifique du CIMEF à Bamako (Colloque des musulmans de l’espace Francophone). À ces divers titres, elle participe activement à de nombreux séminaires, conférences et débats au niveau international. PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO

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dimanche 26 juin de 12 à 18h

Après-midi de clôture 2010-2011, sportive (et musicale !), au Parc Schaveys (Kleetbos) Nous attendons tous les membres et amis, les anciens et les nouveaux, des plus jeunes aux plus âgés, les enfants de notre organisation de jeunesse, leurs parents et grands-parents au Parc Schaveys à partir de 12h00. Au programme, pique-nique (chacun amène le sien), plotkes (pensez au prendre à boire), farniente (de la crème solaire pour les peaux sensibles), jeux (tenues de circonstance), dont les incontournables tournois de crix et de grens ! Chaque génération sera contactée par ses « capitaines » afin de s’assurer des équipes complètes, fortes et motivées, prêtes à s’affronter ! Arrrg… Le parc se situe à Beersel, à la limite de Linkebeek. Le plus simple c’est de prendre la chaussée d’Alsemberg, vers Alsemberg. Il faut prendre à gauche, dans la Schaveyslaan, 3 kms après le grand carrefour du Bourdon, celui où le cirque Pauwels a pris racine. Ensuite il suffit de suivre la rue (le chemin est indiqué par un panneau), jusqu’au parking (gratuit !). Il suffit de traverser le petit sous-bois au fond du parking à droite et de nous retrouver au fond de la magnifique pelouse vallonnée et ensoleillée qui s’offre à vos yeux... En cas de difficulté pour s’y rendre, du covoiturage pourra être organisé (via la permanence)

Mazl-tov à Caroline Sägesser et Albert Maurice Seewald, heureux parents d’Ernest, né le 20 avril dernier. À sa soeur Tara-Mitchell et à ses frères Mortimer et Viktor, nous adressons tous nos voeux de bonheur fraternel.

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UPJB Jeunes Nos différences font qu’on avance NOÉMIE SCHONKER

U

ne formation pour devenir animateur ? Ils le sont déjà. Pour aguerrir les moniteurs, pour les « accoutumer à mener une vie de combattant, avec les fatigues et les dangers qu’elle entraîne », dirait le Trésor de la langue française ? D’accord… En effet, depuis huit mois, les Mala assument la relève éducative de l’UPJB-Jeunes, avec pour seul bagage, mais non des moindres, leur expérience d’enfants et de jeunes adolescents dans le mouvement. Quelques heures de réflexions préalables ont évidemment servi à les mobiliser et les débriefings réguliers à les confronter aux besoins des groupes, à questionner leur capacité à y répondre, à investir un rôle qu�ils découvrent, inventent, adaptent au fil des rendez-vous. Autorité difficile à instaurer, écoute impatiente, dynamique de groupe insaisissable… Existerait-il des trucs ? Une manière « démocratique » de répondre aux phénomènes de groupe ? L’autorité est-elle innée ou peut-elle se construire ? Si elle se construit, quel en est le fondement ?

FORMATION CÉMÉA – PÂQUES 2011 « 9 avril 2011, le grand départ. Sur la route de Wépion chacun rumine pensées, angoisses, a priori… Partir dix jours, c’est quand même quelque chose ! Se retrouver avec des inconnus… Est-ce que les jeux seront bien, est ce que ça va servir à quelque chose ? À l’arrivée, le choc ! « Où som-

mes-nous tombés ? ! » Filles voilées, mecs ‘perpet’… Gueules de voyous… Très vite, nous avons dépassé nos préjugés, appris à connaître l’ensemble du groupe et à fonctionner avec lui. Beaucoup de rencontres incroyables, même inimaginables, et de moments forts, une expérience humaine qui a largement dépassé nos espérances. Nombre de jeux et d’activités ne nous étaient pas inconnus… Ils font déjà partie de la culture UPJB… Nous rentrons heureux, certainement grandis, l’esprit ouvert et plein d’idées d’animations nouvelles ».1 Le Service de Jeunesse des Céméa, Centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active, est « un organisme de formation, d’animation et de conseil, [qui] s’adresse aux intervenants de terrain pour leur offrir des outils adéquats de développement et de changement et renforcer leurs compétences ». La formation de base consiste à « vivre en groupe : communiquer, travailler en équipe, prendre des responsabilités ; à pratiquer des activités : jeux, chants, danses, activités manuelles, corporelles… ; à réfléchir au rôle de l’animateur et à l’animation de groupes d’enfants et de jeunes ». Il va de soi, et le contraire eut été choquant, que les Céméa ne pouvaient pas inscrire dans leur programme « rencontre entre ‘Molen’ et ‘Ikkel’ ». Pourtant, cela constitue une des richesses des stages. Les moniteurs de l’UPJB, et ils ne sont pas les seuls sur la rive

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gauche, ont de beaux discours, prônent l’ouverture et manifestent régulièrement leur « bonne » volonté de rencontrer des jeunes « issus de milieux plus défavorisés », « de l’immigration », « des quartiers dits chauds », et autres étiquettes, mais n’ont – quasi – jamais, l’occasion de s’y frotter. Écoles, quartiers, activités… préjugés mutuels. « Lorsque nous sommes arrivés, nous qui avons été éduqués selon des principes de respect et de tolérance, nous étions gênés. Un simple regard sur le groupe et nous savions que nous n’appartenions pas au même « monde ». Lorsque l’on m’a demandé d’où je venais, j’étais embarrassée : je viens d’Uccle, je suis toujours à l’école, en générale, je n’ai jamais doublé. Pour eux, c’était exceptionnel ! Comment allionsnous pouvoir partager 10 jours de formation avec des jeunes si différents ? Pourtant, ils ont su nous mettre en confiance très vite. Ils nous ont raconté, sans complexe, leur parcours et nous en sommes restés bouche-bée, quelque peu admiratifs devant leur capacité à rester si généreux, à rebondir, à croire encore en ce monde. Nous n’aurions jamais imaginé rencontrer, fréquenter, des jeunes au parcours pareil… Si différents. Nous nous accordons tous pour dire que cette formation nous a apporté énormément sur le plan humain. J’ai appris à découvrir une autre façon de vivre, un monde différent que je croyais inaccessible. Nous avons eu des discussions

comme j’en ai rarement eues, émouvantes – certaines finissant en pleurs, en larmes – sur nos vies, nos parcours, nos familles, la religion. Le simple fait de pouvoir partager nos différences était terriblement touchant. Je n’avais jamais rencontré des personnes pour qui la religion était si importante. La plupart d’entre eux étaient musulmans, mangeaient hallal, priaient cinq fois par jour, avaient amené leur Coran. La religion leur était chère et je n’osais pas leur en parler, de peur qu’ils croient que je me mêle de ce qui ne me regarde pas. Mais, je l’ai déjà dit, on était en confiance et très vite, on s’est mis à parler de tout. Je ne connaissais pas grand-chose à l’islam et ils m’en ont tellement appris… Lorsque nous avons dit que nous étions juives, l’un d’eux a répondu que c’était la première fois qu’il rencontrait un Juif de sa vie, « ça me fait bizarre ! ». On a ensuite discuté de notre mouvement de jeunesse, de notre point de vue sur le conflit israélo-palestinien. Ils ont eu l’air rassurés même s’ils avaient du mal à comprendre que nous soyons Juifs mais pas croyants, Juifs mais pas proisraéliens. Ce que nous avons vécu ces dix jours fut assurément une des plus belles expériences de ma vie. Quand nous avons appris que nous partions en formation tous séparés, on n’était pas du tout emballés, on n’avait plus envie d’y aller. Aujourd’hui, je remercie Noémie de nous avoir poussés à nous inscrire parce que cela n’aurait jamais été pareil si on était parti entre nous ! »2 ■ Brèves impressions de Shana. Retour de Maroussia, partie avec Clara et Sarah et Lucie.

1 2

Carte de visite L’UPJB Jeunes est le mouvement de jeunesse de l’Union des progressistes juifs de Belgique. Elle organise des activités pour tous les enfants de 6 à 15 ans dans une perspective juive laïque, de gauche et diasporiste. Attachée aux valeurs de l’organisation mère, l’UPJB jeunes veille à transmettre les valeurs de solidarité, d’ouverture à l’autre, de justice sociale et de liberté, d’engagement politique et de responsabilité individuelle et collective. Chaque samedi, l’UPJB Jeunes accueille vos enfants au 61 rue de la Victoire, 1060 Bruxelles (Saint-Gilles) de 14h30 à 18h. En fonction de leur âge, ils sont répartis entre cinq groupes différents.

Bienvenus pour les enfants de 6 ans ou qui entrent en

Les 1ère primaire Moniteurs :

Alice : 0477/68.77.89

Axel : 0471/65.12.90 Josepha : 0479/19.15.15 Charline : 0474/30.27.3 Les pour les enfants de 7 à 8 ans Moniteurs : Shana : 0476/74.42.64 Sacha : 0477/83.96.89 Lucie : 0487/15.71.07 Milena : 0478/11.07.61 Les pour les enfants de 9 à 10 ans Moniteurs : Mona : 0474/42.37.72 Manjit : 0485/04.00.58 Fanny : 0474/63.76.73 Clara : 0479/60.50.27 Les pour les enfants de 11 à12 ans Moniteurs : Lenny : 0474/94.88.15 Valentine : 0494/59.43.09 Sarah : 0471/71.97.16 Totti : 0474/64.32.74 Les pour les enfants de 13 à 14 ans Moniteurs : Yvan : 0474/35.96.77 Marie : 0472/67.11.09 Noé : 0472/69.36.10 Maroussia : 0496/38.12.03

Marek

Janus Korczak

Émile Zola

Yvonne Jospa

Informations et inscriptions : Noémie Schonker - noschon@yahoo.fr - 0485/37.85.24

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écouter

est le mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique (ne paraît pas en juillet et en août)

Du rouge et des passions NOÉ

« Ça les perdra De mondialiser l’injustice D’s’en asperger de bénéfices Ça les perdra…J’suis communistes, à c’qui parait… »

I

l s’appel Cyril Mokaiesh. Il a la force, la plume. Belle gueule. Fougue éclatante. La voix, il l’a. Un nouvel opus, Du rouge et des passions. Mélodies efficaces et sens de la formule. Le tout soutenu par un orchestre tourbillonnant. Si je n’étais pas chancelant de nature, je vous affirmerais qu’il est l’enfant de Léo Ferré. J’hésite encore. Jours de désillusion à flotter entre

les buildings et les grosses – voitures, sûr, les rimes de Cyril rassurent. Tout n’est pas encore perdu. Mais après « Société tu m’auras pas » de Renaud, ou « J’accuse » de Saez, la poésie du jeune Cyril parait légèrement bénigne. Et s’il promet « Des jours inouïs » qui laissent présager le meilleur, la route

est encore longue… « On se voit toujours dimanche soir ? » D’avance, je sais la réponse. L’ami Sacha ne m’aurait pas fait ça. Depuis le temps qu’on en parle. Bien sûr, Sacha a déjà assisté à deux concerts de Cali. Alors un troisième ? Oui, j’en ai moimême vu quatre. Déjà. Le temps galope ! Eté 2006, Couleur Café, « Tes doigts sont des couteaux, tes yeux des lance-flammes… » . Il entraîne. Mai 2008, Forest National, « Nous sommes des milliers, un fleuve extraordinaire… ». Il épuise. Mai 2009, Cirque royal, « L’espoir est dans la rue ! ». Il bouleverse. Juillet 2008, Francofolies de Spa, « Mon Dieu comme j’étais beau, putain, comme j’étais en vie… ». Il festoie. Un concert, encore ? Y’a pas école le lendemain, on peut s’épuiser. Alors rendezvous devant l’entrée, où tu sais : entre l’arrêt du bus et le friteskot. Avril 2011, Forest National, « Elle attendait le baiser de ses amoureux Et sous son kilt trop court Ses fesses qui hurlaient Comme un cadeau de dieu ! ». Cali brûle, c’est bouillant. Il électrise. Un grand concert. L’homme ne vieillit pas, il grandit. De belles retrouvailles. Dimanche 24 avril 2011, au cœur de la nuit Avec les camarades, on s’est donné rendez-vous place Rouppe. Hormis pour le plaisir de s’y

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retrouver, nous avons nos buts de promenade. Ils vendent des journaux, j’y suis pour la musique. Un groupe belge qui chante en anglais, histoire de mettre tout le monde d’accord : Machiavel. Et pourquoi pas ? Ça mange pas d’pain, hein. Je les écoute de loin. Je prends place devant la scène. J’attends Eté 67. Je les avais quittés il y a un an. Ils chantaient à Spa, juste avant l’immense Dutronc. Longues barbes et bottes de cuir, ils y croient. Et ils ont raison. Ça sonne plutôt bien. « Passer la frontière sans encombre… ». Nicolas Michaux, chanteur du groupe, insiste. Aujourd’hui ça sera la frontière linguistique. Promesse tenue. Exceptionnellement, pour ce concert de premier mai, les jeunes folkeux invitent un chanteur néerlandophone à partager le podium avec eux. Les chansons sont interprétées en duo. Et s’il est vrai que le néerlandais n’est pas la plus mélodieuse des langues, sa fermeté fait sa force. Si les paroles n’avaient pas été chantées en français également, on aurait presque pu croire qu’Eté 67 avait de véritables messages à faire passer. « Faites de la musique, pas des centres fermés ». Samedi sept mai, un après-midi musical est offert aux détenus du 127 bis. Accompagnés de quelques anciens, Maroussia et moi emmenons les Jos-

pa’s à Steenokkerzeel. Okapi et moi nous imaginons le rassemblement : estrade face aux grilles, manifestants faces aux musiciens, sans-papiers face à des milliers de dos. De quel côté me tourneraije alors ? Le problème est vite réglé car nous ne sommes que quelques centaines. Y’a pas foule. Ni dehors, ni dedans. La prison semble vide et les manifestants paraissent fatigués. J’attends l’étincelle. Peut-être est-ce la musique, un peu frêle. La poésie de Claude Semal et l’exquise vitalité d’ExtraSystole m’auraient convaincu d’avantage. Ou était-ce juste une indécision générale : manifestant ou spectateur ? « Chanter c’est lancer des balles /Des ballons qu’on tape/ Pour que quelqu’un les attrape ». Mais lorsque la balle est trop fragile et que le destinataire est enchaîné, on ne peut qu’espérer une foule plus large pour la prochaine édition du festival. Je l’apprends à l’instant : les captifs ont été retenus à l’intérieur du bâtiment. Fête de l’Iris, Place des Palais. J’ai mon cul dans ma tête ! Démarche chaloupée et cheveux dans les yeux. Arno impressionne. Il est le seul. Il est tout seul. Seul à tenir ce cap parsemé d’imprévisibles. Des mélodies radiophoniques ? Il en a. Mais il s’en fout. Il offre son bide au Palais Royal et son derrière au public. Mais Bruxelles, il l’aime. Et ça frappe sur la batterie. Et on fait hurler les guitares. Un rock vrai. Arno ne fait pas de cadeau. Ce n’est pas un spectacle. C’est une suite de morceaux. Impossible d’apprécier l’ensemble. De loin, c’est chaotique. Sans rythme et sans finesse. Une suite de crachats qui perforent les

oreilles puis qu’on oublie. Mais il faut s’approcher. Mais il faut décomposer. Déguster chaque note.

L’UPJB est soutenue par la Communauté française (Service de l’éducation permanente) Secrétariat et rédaction : rue de la Victoire 61 B-1060 Bruxelles tél + 32 2 537 82 45 fax + 32 2 534 66 96 courriel upjb2@skynet.be www.upjb.be Comité de rédaction : Henri Wajnblum (rédacteur en chef), Alain Mihály (secrétaire de rédaction), Anne Gielczyk, Carine Bratzlavsky, Jacques Aron, Willy Estersohn, Tessa Parzenczewski

Lire entre les lignes. Regarder Arno. Surtout le regarder. Comme il bouge, comme il crie. Comme il hésite. Et savourer chacune de ses phrases. « Elle porte toujours un sac en plastique/ Avec de la bouffe macrobiotique/ Elle s’appelle Marguerite/ C’est une femme pas une pipe/ T’as pas d’chance/ Elle pense quand elle danse…/ Il y a plus de femmes que de Chinois/ Elle pense à lui et à toi aussi/ Elle a trop de tout et assez de choix/ T’as pas d’chance/ Elle pense quand elle danse…/ On peut être chaud comme un lapin/ Quand est jeune et quand on a rien/ Touche le mauvais et goûte le bien/ T’as pas d’chance/ Elle pense quand elle danse…/ Ne joue pas trop le sérieux/ Avant d’être un con, avant d’être vieux/ Avant de perdre la tête/ Et de tomber amoureux/ T’as pas d’chance/ Elle pense quand elle danse… » ■

Ont également collaboré à ce numéro : Manuel Abramowicz Mateo Alaluf Roland Baumann Léon Liebmann Françoise Nice Noé Gérard Preszow Noémie Schonker Conception de la maquette Henri Goldman Seuls les éditoriaux engagent l’UPJB. Compte UPJB IBAN BE92 0000 7435 2823 BIC BPOTBEB1 Abonnement annuel 18 EURO ou par ordre permanent mensuel de 2 EURO Abonnement de soutien 30 EURO ou par ordre permanent mensuel de 3 EURO Abonnement annuel à l’étranger par virement de 40 EURO Devenir membre de l’UPJB Les membres de l’UPJB reçoivent automatiquement le mensuel. Pour s’affilier: établir un ordre permanent à l’ordre de l’UPJB. Montant minimal mensuel: 10 EURO pour un isolé, 15 EURO pour un couple. Ces montants sont réduits de moitié pour les personnes disposant de bas revenus.

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tribune Les Roms discriminés MAUDE COLS

L

e 8 avril 2011, « Journée Internationale des Roms », entre dans les annales, par la voix de Madame Milquet, comme celle du début de la discrimination officielle à l’encontre des roms et gens du voyage en Belgique. Cette nouvelle offensive contre les Tsiganes se déclare désormais haut et fort, car préparée de longue date et propagée sans vergogne dans les media. L’image des Roms/Gens du voyage en est devenue telle, que les nouvelles mesures volontaristes de leur mise à l’écart passent sans protestation citoyenne aucune. Il s’agit pour l’heure de la mise en place d’une institution mettant directement le focus sur nos minorités : un Comité racial nommé par le cabinet « Égalité », le « Conseil national des roms et gens du voyage » et qui fait suite aux « Assises de l’Interculturalité ». La lecture du rapport final des « Assises de l’Interculturalité » donnait déjà toutes les clefs de la politique que ce cabinet nous résevait. Cette nouvelle institution sans fondement conceptuel, ni modélisation de ce qu’est l’« Interculturalité » (c’est donc juste un mot d’ordre sur un vide conceptuel), sans fondement démocratique puisque non-élue, sans qualité représentative des communautés, s’imposait pourtant de fait dans le jeu démocratique en mettant ses propositions et recommandations en balance avec

les institutions élues. Mais dans quel but ? La réponse est donnée d’emblée dès l’introduction du « Rapport Final des Assises de l’Interculturalité », page 8 : « (…) l’interculturalité entendue comme projet de société impose que soient revues, renouvelées, et si nécessaire abrogées les approches existantes en matière de droits de la personne et de leur protection ». Tout est dit. Ainsi cette nouvelle sorte d’institution tire la chasse sur les droits de l’homme et le traité de Genève et l’ethnicisme est son projet de société. Dans cette « nouvelle » perspective politique, l’effacement de la référence à la Shoah est un donné. Car la Shoah est le seul génocide où un travail de mémoire a été entamé. C’est donc un symbole qui sert précisément d’exemple à toutes les autres reconnaissances de génocides pour lesquels aucun travail de mémoire n’a jusqu’à ce jour été entamé parmi lesquels le Poxajmos ou génocide des Tsiganes. Pour cette raison, ce sont donc des communautés politiques juives, dont l’UPJB, qui se sont fait l’écho de notre histoire, qui en ont pris, pour nous, la responsabilité. Cette spécificité fait et montre toute l’utilité de ces Communautés juives au côté de nos Communautés gitanes. À cette même date symbolique du 8 avril 2011, « Journée Internationale des Roms », Melchior Wa-

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thelet, le secrétaire d’État de Mme Milquet, a annoncé le renvoi systématique de 7000 demandeurs d’asile en provenance du Kosovo, majoritairement des Roms, des extracommunautaires qui partent donc pour un aller simple sans possibilité de retour. Or les victimes sont terrorisées à l’idée d’être remises dans les mains de leur bourreau.

LA SITUATION AU KOSOVO Selon l’ex-procureure du Tribunal pénal international pour l’exYougoslavie Carla Del Ponte, de hauts responsables albanais du Kosovo ont organisé le meurtre de centaines de prisonniers serbes, dont les organes étaient ensuite revendus pour être implantés sur des patients qui payaient. « Les victimes privées d’un rein étaient de nouveau enfermées dans une baraque jusqu’au moment où elles étaient tuées pour d’autres organes ». Toujours selon Carla Del Ponte, « les dirigeants d’un niveau intermédiaire et élevé de l’UCK étaient au courant et étaient impliqués de manière active dans la contrebande des organes ». Or, les responsables de l’organisation indépendantiste kosovare à l’été 1999 étaient Agim Ceku, premier ministre du Kosovo de mars 2006 à janvier 2008, et Hashim Thaçi, actuel premier ministre. Mme Milquet et Mr Wathelet devraient avoir un peu de tenue au lieu d’aller serrer la main de

chefs mafieux accusés de crimes contre l’humanité. Depuis l’épuration ethnique, le Kosovo est devenu albanais et il n’est pas du tout prêt à accueillir les Roms. Il est bien loin de demander pardon pour les exactions commises. À titre d’exemple, dans les quartiers roms qui se sont constitués en bordure des frontières, ils sont intoxiqués au plomb, au su de la communauté internationale, qui laisse faire, pendant que les enfants meurent. Depuis plusieurs années, les rapports officiels confirment les reportages des journalistes et les témoignages des personnes en provenance faisant état d’une descente aux enfers accélérée et globale de l’ensemble des Roms d’ Europe de l’Est. Une pression accrue doit être exercée à l’égard des pays qui comme la Belgique rapatrient ou expulsent des extracommunautaires. Or la Belgique a mis en place depuis des années un système qui lui a permis de n’attribuer le statut de réfugié à aucun Rom, ce qui permet aujourd’hui de justifier les expulsions de ces même Roms. Aujourd’hui avec l’expulsion des Kosovars, c’est aussi le statut subsidiaire, relatif au traité de Genève, qui passe à la trappe sans que les démocrates ne s’en émeuvent. Melchior Wathelet demande aux communes et à FEDASIL de collaborer à l’identification de ces demandeurs d’asile et de fournir

systématiquement des listes des résidents pour faciliter leur enfermement et leur expulsion... Le nouveau « Conseil national des Roms et gens du voyage » aurat-il pour tâche de faciliter les expulsions de Roms vivant en Belgique ?

UNE INSTANCE Ce « Conseil national des roms et gens du voyage », ourdi par Madame Milquet, sera, selon le cabinet « Égalité » lui-même, une structure « chargée de préparer la stratégie nationale de la Belgique, de faire des recommandations aux gouvernements et de créer des relations constantes avec les administrations »1. Cette nouvelle instance, aura un rôle de représentation, voire de « communication entre les Roms et les Gens du Voyage d’une part et le gouvernement fédéral et des entités fédérées d’autre part ». Sa mise sur pied est confiée à un obscur organisme en provenance d’Europe de l’Est (European Roma Information Organisation, une agence de renseignements et d’information sur les Roms ), qui représentera des nationaux, des non-Européens et des ressortissants européens,... Cet organisme étranger, en provenance de Bulgarie, sera en outre chargé de produire des recommandations au Gouvernement belge ce qui est normalement la tâche de notre parlement, et d’être le référent pour les administrations bel-

ges en ce qui concerne l’avenir des Roms et des Gens du voyage dans tous les domaines de leur vie,logement, emploi, éducation, santé, ... et sera composé d’une trentaine de personnes qui représenteront les « communautés Roms et Sinti, des gens du voyage et des associations de terrain » ainsi que les autorités ! Pourtant des consultations ont abouti à un refus de ce « Conseil » sur une large majorité des communautés visées ! En toute cohérence démocratique, dans un gouvernement en affaires courantes, il n’y a pas de légitimité à organiser une nouvelle institution qui contourne les pouvoirs démocratiques et élus, les droits de la personne et les traités. Cette institution crée d’ores et déjà un précédent irréversible. La situation dans laquelle les Roms et Gens du voyage sont volontairement poussés par ces politiques aujourd’hui déclarées haut et fort, ces actes de mise en œuvre menés tambour battant accompagnés de campagnes de propagande, compte tenu du contexte séparatiste et de l’intérêt d’une bombe ethnique dans un tel contexte, fait présager du pire. Face à cette offensive, dans les intentions et dans les faits, tous ceux qui ont à cœur les droits de l’homme et la démocratie seront saisi par la gravité de la situation. ■ 1

L’Avenir.net, jeudi 7 avril 2011.

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droit de réponse

campagne BDS

Points critiques a publié en décembre dernier un dossier « De la libre expression » consacré aux débats déclenchés par les propos tenus à l’Université Libre de Bruxelles (ULB), dans le cadre d’une conférence du Cercle du Libre Examen, par Souhail Chichah. Ce dernier nous a adressé un droit de réponse que nous publions ci-dessous in extenso.

D

ans ses éditions de décembre 2010 et avril 2011, Points Critiques laisse entendre que j’aurais tenu des propos antisémites et négationnistes lors du débat de rentrée académique du Cercle du Libre Examen de l’ULB (Librex), débat tenu le 20 septembre 2010 et intitulé « La liberté d’expression dans notre société ». Ces mêmes accusations furent initialement portées par la parlementaire Vivianne Teitelbaum et M. Sosnowski, président du CCOJB, qui interpella le Conseil d’Administration de l’ULB en lui demandant la condamnation de mon intervention dans ledit débat pour antisémitisme et négationnisme. Dans un article publié sur le site de l’Agence Diasporique d’Information, Mme Caroline Sägesser m’accuse également de négationnisme pour des propos tenus lors du débat précité, tout comme M. Marc Reisinger sur ce même site. En sa séance du 14 mars 2011, le Conseil d’Administration de l’ULB classa sans suite la plainte de M. Sosnowski sur la proposition du Recteur de l’ULB, M. Didier Viviers, qui après instruction et examen du film du débat du Librex du 20 septembre dernier conclut que je n’y ai tenu aucun propos anti-

sémite ou négationniste. Dans sa dernière livraison, Points Critiques évoque également ma polémique avec Mme Sägesser et m’accuse de sexisme. Je reviens sur cette accusation dans l’article suivant : http://bougnoulosophe.blogspot.com/2010/12/lettre-ouvertecaroline-sagesser.html Toujours en la séance du CA de l’ULB du 14 mars 2011, le Recteur de l’ULB, M. Didier Viviers, révèle que Mme Caroline Sägesser lui a demandé de saisir la Commission de discipline à mon encontre suite à notre différend. Comme ce « différend apparaît très largement d’ordre privé » à M. Viviers, il se refusa à aller plus avant sur ce sujet en la séance. Par la suite, une transaction me fut proposée : l’abandon de la plainte de Mme Sägesser à mon endroit contre mon engagement « à ne plus faire état, d’aucune manière » de mes échanges avec elle. J’ai refusé cette transaction. Je pense en effet que les polémiques nées à la suite du débat tenu à l’ULB le 20 septembre dernier sont riches d’enseignement en ce qui concerne les rapports sociaux actuels.

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Souhail Chichah

Plainte contre Agrexco & Co. L’UPJB s’y associe C’est en février 2011 que Action pour la Paix, le MIR-IRG et Vredesactie ont lancé l’action de plaintes contre les entreprises Agrexco Ltd., CAL (Cargo Air Lines) et LACHS (Liège Air Cargo Handling Services). Il s’agit d’entreprises qui participent à l’économie de guerre dans le cadre du conflit israélo-palestinien. Ces entreprises sont en effet en infraction avec le droit international. Profiter de violations graves des Droits de l’Homme est illégal et nos gouvernements ne réagissent toujours pas. C’est pourquoi Action pour la Paix, le MIR-IRG et Vredesactie, auxquels se sont jointes l’ABP et l’UPJB, ont appelé chacun d’entre nous à déposer une plainte en son nom contre ces entreprises entre février et novembre 2011. Le samedi 14 mai a été déclarée journée nationale de plaintes. Ce jour-là, dans toute la Belgique, des citoyens se sont rendus à leur bureau de police local afin de déposer plainte contre les entreprises visées, pour recel et complicité de crimes de guerre. Ceux qui n’ont pas eu l’occasion de participer à cette journée d’action peuvent encore déposer plainte dans les jours et les semaines qui viennent. En voici le texte...

Par cette lettre, je souhaite porter plainte contre les entreprises Agrexco Ltd., LACHS, CAL pour recel et pour complicité de crimes de guerre. Ces entreprises importent des biens provenant d’un crime ou d’un délit, et plus particulièrement concernant les biens agricoles cultivés dans les colonies israéliennes des Territoires occupés palestiniens. L’entreprise israélienne Agrexco achète et exporte la plus grande partie de la production agricole des colonies dans la vallée du Jourdain et est aussi impliquée dans l’exportation de produits agricoles d’autres colonies. Dans la vallée du Jourdain, Agrexco exploite trois entrepôts dans les colonies de Massu’a, Netiv Hagedud et Beqa’ot et participe ainsi directement à la colonisation. Agrexco donne des indications directement aux agriculteurs des colonies, par exemple concernant l’emballage de leurs produits. Agrexco exporte d’Israël ses produits agricoles vers le Benelux via l’aéroport de Bierset. La livraison aérienne est prise en charge par la compagnie aérienne CAL. À Bierset, le traitement des biens est fait par LACHS, une entreprise belge, filiale d’Agrexco (50%) et de CAL (50%). Ensuite, Agrexco assure la distribution en Belgique et aux Pays-Bas par le biais de son implantation de Schiedam (Pays-Bas) tandis que les fleurs passent, elles, par celle de Aalsmeer (PaysBas). Agrexco est actif en Belgique par ses représentants commerciaux. L’implantation des colonies israéliennes dans les Territoires Occupés palestiniens va à l’encontre du Droit International Humanitaire. L’article 49 de la 4ème Convention de Genève interdit le transfert par la puissance occupante d’une partie de sa propre population civile dans le territoire occupé par elle. Les colonies constituent une in-

fraction importante selon l’article 147 de cette Convention, ce qui en Belgique est punissable (art 136 quater, 31°CP) car passible de peine pour crime de guerre. Les colonies sont construites sur des terrains confisqués à la population locale palestinienne, terrains qui ne cessent de croître dû à l’appropriation des terres locales palestiniennes par des colons israéliens et ce, avec le soutien de l’armée israélienne. De plus, l’accès aux sources aquifères est interdit à la population palestinienne et les réserves d’eau sont monopolisées par les colonies, comme dans la vallée du Jourdain où le manque d’eau ne permet pas à la population palestinienne de développer son agriculture de façon durable. De plus, les villages palestiniens dans la vallée du Jourdain sont constamment menacés de destruction par l’armée israélienne ; ainsi en 2010 le village d’Al Farasiya a été presque totalement détruit à deux reprises. Tout cela revient à la destruction et à l’appropriation de biens justifiées pour des besoins militaires. De plus, cela est exécuté sur une grande échelle de façon illégitime et intentionnelle, alors que l’art. 53 de la 4ème Convention de Genève l’interdit explicitement. Il s’agit ici d’une infraction grave (art. 147) à cette Convention et, en Belgique, cela est passible de peine pour crimes de guerre (art 136 quater, 31°CP). Les produits agricoles cultivés dans ces colonies sont donc des biens provenant de crimes et délits. Agrexco achète ces produits et prend en charge la distribution dans le Benelux, soutenue par LACHS et CAL. Cela constitue du recel, passible de peine (art. 505 CP). De plus, Agrexco se rend complice des crimes de guerre mentionnés ci-dessus, par le bénéfice provenant des exploitations agricoles et entrepôts dans les colonies.

juin 2011 * n°317 • page 35


agenda UPJB Sauf indication contraire, toutes les activités annoncées se déroulent au local de l’UPJB, 61 rue de la Victoire à 1060 Bruxelles (Saint-Gilles)

mardi 7 juin à 20h15

Soirée de présentation de Né Juif de Marcel Liebman, à l’occasion de sa réédition. Avec Mateo Alaluf, président de l’Institut Marcel Liebman et Nicolas Zomersztajn, rédacteur en chef de Regards (voir page 26)

vendredi 10 juin à 20h15

À contre-courant : le féminisme musulman. Conférence-débat avec Malika Hamidi, doctorante à l’EHESS (voir page 26)

Éditeur responsable : Henri Wajnblum / rue de la victoire 61 / B-1060 Bruxelles

dimanche 26 juin de 12 à 18h

Après-midi de clôture 2010-2011 (voir page 27)

club Sholem Aleichem Sauf indication contraire, les activités du club Sholem Aleichem se déroulent au local de l’UPJB tous les jeudi à 15h (Ouverture des portes à 14h30)

jeudi 2 juin Congé

jeudi 9 juin

« Loin de Moscou- 1991-1992 » par Jean-Marie Chauvier, qui présentera son film : Exploration d’une région d’Ukraine au moment de la fin de l’URSS. Portrait d’un groupe de jeunes et de leurs parents villageois

jeudi 16 juin

« Un (récent) voyage politique et musical en Israël et en Palestine » par Arthur Taszman, qui présentera également un film et des photos

jeudi 23 juin

« Chantons et rions ensemble » avec André Reinitz

Prix : 2 EURO

Les agendas sont également en ligne sur le site www.upjb.be


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