n°314 - Points Critiques - mars 2011

Page 1

mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique mars 2011 • numéro 314

éditorial Les dix-huit jours qui ébranlèrent l’Égypte

Bureau de dépôt: 1060 Bruxelles 6 - mensuel (sauf juillet et août)

HENRI WAJNBLUM

S

’il a déçu beaucoup de ses plus chauds partisans depuis son accession à la Maison Blanche, Barack Obama aura à tout le moins réussi à faire faire école à son célèbre slogan de

campagne : Yes We Can. Lorsque le peuple tunisien est descendu dans la rue pour exiger de l’emploi, et puis des réformes, et puis, encore, la liberté d’expression, personne n’aurait pu imaginer que, trois semaines plus

BELGIQUE-BELGIE P.P. 1060 Bruxelles 6 1/1511

mars 2011 * n°314 • page 1


sommaire éditorial

1 Les dix-huit jours qui ébranlèrent l’Égypte .......................... Henri Wajnblum

israël-palestine

6 Prisonnières politiques en Israël ....................................... Thérèse Liebmann 6 Le pire ennemi d’Israël n’est pas celui qu’on croit .............. Henri Wajnblum

lire, regarder, écouter

8 Notules de février....................................................................... Gérard Preszow

diasporas

10 La Pologne, les Juifs et le communisme .............................. Roland Baumann

politique d’asile 12 Rien n’est fini, tout (re)commence .................................. Youri Lou Vertongen

marcel liebman 1986-2011

16 Je me souviens de Marcel ...................................................Carine Bratzlavsky 18 Liebman – Miliband : Fragments d’une correspondance ..........Mateo Alaluf 20 Marcel et la Palestine .................................................................Willy Estersohn 22 Tel que vous ne l’avez pas connu.............................................Léon Liebmann

yiddish ? yiddish !

! widYi ? widYi

24 di gayster fun amol - Les esprits d’antan ...............................Willy Estersohn

humeurs judéo-flamandes

26 Shame ! ...........................................................................................Anne Gielczyk

réfléchir

28 Pays fêlé dont je raffole ............................................................... Jacques Aron 32

activités écrire

37 1942.............................................................................................. Henri Erlbaum

upjb jeunes

38 Y a qu’à danser !...................................................................... Noémie Schonker

vie de l’upjb

40 Le Bal Yiddish .........................................................................................................

écouter

42 Ils voyagent en solitaires .............................................................................. Noé

courrier 44 Souhail Chichah n’est ni antisémite ni négationniste ............. Jacques Bude 47 48

annonce de recrutement les agendas

mars 2011 * n°314 • page 2

éditorial ➜ tard, le couple Ben Ali s’enfuirait comme les voleurs qu’ils étaient. Il aura fallu moins que ça, dixhuit jours exactement, au peuple égyptien pour obtenir la démission de Hosni Moubarak, au pouvoir depuis trente ans et qui s’apprêtait, en bon monarque qu’il se voulait, à céder son fauteuil présidentiel à son fils Gamal. Dix-huit jours d’une révolution toute pacifique mais déterminée, les seules armes à avoir été utilisées et à avoir tué étant celles des forces policières et des vrais faux partisans du pouvoir qui avaient été rameutés par lui contre monnaie sonnante et trébuchante, pour mettre à bas un pouvoir que l’on croyait d’une solidité à toute épreuve. Ce qui est remarquable, et des plus réjouissants, dans les événements tunisien et égyptien, c’est qu’ils ont démontré que lorsque les peuples transcendent leurs peurs, ils deviennent invincibles. Et on peut comprendre que la plupart des pays arabes craignent la contagion. Parce que ça bouge aussi en Algérie, au Yémen, en Jordanie… et que ça risque de ne pas s’arrêter là.

ET MAINTENANT ? Si on peut raisonnablement penser que la Tunisie s’est d’ores et déjà engagée sur la voie de la démocratisation, en Égypte, rien n’est définitivement gagné. En partant, Hosni Moubarak a confié les clés de la maison au Conseil suprême des forces armées dirigé par le ministre de la Défense, le maréchal Mohamed Hussein Tantaoui qui a promis, dès le vendredi 11 février, que l’armée serait garante d’élections libres et transparentes, ainsi que d’une transi-


tion pacifique du pouvoir menant à une société démocratique libre. Acceptons-en l’augure. Et ce ne serait peut-être pas une mauvaise chose que l’armée donne un peu de temps au temps, le temps précisément que la société civile s’organise et que se dégagent de ses rangs des personnalités qui pourraient la représenter. Mais il est cependant difficile de croire que l’armée renoncera à jouer un rôle important dans la direction du pays. Il ne faut pas oublier que, depuis 1952 et le coup d’État dit des « officiers libres » contre le roi Farouk, les présidents qui se sont succédé, Muhammad Naguib, Gamal Abdel Nasser, Anouar El-Sadate et enfin Hosni Moubarak, étaient tous des militaires et l’armée a toujours été le pilier de leur pouvoir.

ET LES FRÈRES MUSULMANS ? Incontestablement, les Frères musulmans constituent la force d’opposition la mieux structurée et organisée. Sont-ils appelés à jouer un rôle dans la future Égypte démocratique ? Personne ne peut en douter. Des sondages les créditeraient de 30% des voix lors d’élections libres. Mais, même si cela se confirmait, 30% ne font pas une majorité et il est peu probable que les manifestants de la première heure de la place Tahrir, qui étaient massivement laïcs, se laissent voler leur victoire pour laquelle plus de trois cents d’entre eux ont donné leur vie. Les Frères musulmans font d’ailleurs profil bas à l’heure actuelle, admettant qu’ils ont pris le train de la révolution en marche et que la victoire du 11 février est celle de l’ensemble du peuple égyptien et surtout de ces jeunes qui ont donné le signal de la révolte le 25 janvier. Il faut également noter que le mouvement des Frères musulmans n’est pas homogène… Si certai-

nes de ses composantes n’admettent que le Coran comme Constitution, d’autres au contraire se disent, et sont incontestablement démocrates.

GARDEZ-MOI DE MES AMIS… Il n’y a pas que les Frères musulmans qui ont pris le train en marche… Gardez-moi de mes amis a en effet dû se dire Hosni Moubarak, comme devait l’avoir fait un peu plus tôt Zine el-Abidine Ben Ali, jusqu’il y a peu, l’un et l’autre, alliés privilégiés du monde occidental dans « la lutte contre le terrorisme islamique ». Car c’est fou ce que les États-Unis et l’Union européenne ont été rapides à leur tourner le dos pour sacrifier à la Realpolitik. Si gouverner c’est prévoir, nous sommes décidément très mal gouvernés, car personne parmi les dirigeants politiques occidentaux n’avait rien vu venir. Et ne désirait d’ailleurs pas vraiment voir venir. Parce que, tout de même, si les peuples se mettent soudain à limoger leurs dirigeants que va-til advenir de l’« ordre mondial » ? ! Il ne faut en effet pas se leurrer… Sous les beaux discours, la main sur le cœur, des dirigeants occidentaux sur le droit des peuples à la démocratie et à la liberté se cache une peur bleue. Non pas de voir le monde arabe s’islamiser mais de le voir retirer son doigt de la couture du pantalon.

LE GOUVERNEMENT ISRAÉLIEN SUR LE QUI-VIVE Le gouvernement israélien n’est pas le dernier à avoir peur du tsunami égyptien, non pas, comme il le prétend mais sans vraiment y croire, de voir un régime islamiste s’installer au Caire, mais de voir le peuple égyptien exiger très rapidement la levée du blocus de la bande de Gaza et contraindre

ses nouveaux dirigeants à ouvrir le passage de Rafah. Dans un premier temps Benyamin Netanyahu a ouvertement soutenu Hosni Moubarak – la population israélienne était, elle, beaucoup plus nuancée – et appelé les pays occidentaux à ne pas le lâcher (seul Silvio Berlusconi a entendu son appel, qui lui aussi doit avoir peur d’être prochainement limogé pour les casseroles de plus en plus lourdes qu’il traîne), mais il a dû se rendre à l’évidence et ne souhaite plus, officiellement, qu’une chose : que l’Égypte ne dénonce pas le traité de paix qu’elle à signé avec Israël, ce à quoi s’est d’ailleurs engagée l’armée égyptienne qui a déclaré qu’elle respecterait les traités internationaux signés par l’Égypte. Mais cela risque de ne pas rassurer Israël qui a toujours pu compter sur la « neutralité » du régime égyptien même lors des pires exactions israéliennes, comme ce fut le cas pour l’opération Plomb durci, et qui risque fort de ne plus l’être à l’avenir.

L’AUTORITÉ PALESTINIENNE DANS SES PETITS SOULIERS Si la population de Cisjordanie, de même que celle de Gaza, est en liesse depuis le 11 février, ce ne doit pas vraiment être le cas de l’Autorité palestinienne. Tout comme Israël, celle-ci perd en effet, en la personne de Moubarak, son principal allié au Proche-Orient et il n’est pas du tout certain que les futurs nouveaux dirigeants égyptiens seront aussi complaisants que lui à l’égard des importantes concessions sans contrepartie que Mahmoud Abbas semblait vouloir consentir à Israël dans le cadre de ce qu’il est encore convenu d’appeler les négociations de paix. Ce ne serait que justice pour le peuple palestinien. ■ 12 février 2011

mars 2011 * n°314 • page 3


israël-palestine Prisonnières politiques en Israël et « Intifada » égyptienne THÉRÈSE LIEBMANN

M

es informations concernant les prisonnières politiques palestiniennes proviennent des bulletins mensuels de la WOFPP1 de décembre 2010 et début janvier 2011. Elles sont donc antérieures aux soulèvements populaires en Tunisie et en Egypte. Au début 2011, ces prisonnières étaient, en Israël, au nombre de 37 : 20 à la Prison de Hasharon (Tel Mond), 16 à la Prison de Damoon (Mont Carmel) et une à la Prison de Névé Tirza (Ramle). PRISON DE DAMOON SUR LE MONT CARMEL Le 2 décembre 2010, tandis que Taghreed Jahshan, avocate de la WOFPP, rendait visite aux détenues, éclatait le gigantesque incendie qui allait ravager en grande partie les forêts du Carmel. L’avocate, désirant s’assurer que les prisonnières seraient évacuées, n’a quitté la zone sinistrée qu’après avoir vu que les véhicules du Service de la Prison étaient repartis avec les prisonnières… pour les transférer à la prison de Hasharon. (Les media ont rendu compte, non pas de ce transfert, mais du décès de plus de 40 personnes ayant procédé à cette évacuation, des gardiens et des cadets en formation : leur bus s’était trouvé encerclé par les flammes).

Le 8 décembre, les 16 détenues ont pu réintégrer « leur » prison sur le Mont Carmel. Taghreed Jahshan porte un intérêt particulier à ces prisonnières et au bâtiment qui les abrite. Construit pour devenir un entrepôt de tabac, il a gardé le haut degré d’humidité nécessaire pour conserver les feuilles de tabac mais nuisible à la santé des personnes. C’est pourquoi, les 25 et 27 janvier 2010, l’avocate avait écrit aux autorités de la prison – avec copies au Ministère public et à l’Association israélienne du Barreau – pour dénoncer les conditions dans lesquelles les prisonnières étaient amenées à vivre : de l’eau suintant en permanence par le sol et les murs, la puissance électrique insuffisante pour l’utilisation d’appareils électriques, comme des bouilloires ou des réchauds, mais aussi l’absence d’eau chaude dans les cellules et même dans le bâtiment. Son appel a été entendu et les autorités de la prison ont donné l’ordre d’entreprendre des travaux d’amélioration. Taghreed Jahshan s’est engagée à les contrôler. PRISON DE HASHARON L’avocate de la WOFPP se rend évidemment aussi auprès des autres prisonnières politiques palestiniennes. En gros, elles subissent des conditions similaires

mars 2011 * n°314 • page 4

dans les autres prisons, comme des humiliations infligées par les gardien(ne)s et l’insuffisance de nourriture, y compris d’eau potable, On les contraint aussi à une pénible inactivité. Elles ne peuvent même pas faire de petits travaux manuels : ainsi lorsque le Comité International de la Croix Rouge leur apporte du matériel, les autorités des prisons le leur distribue en trop petites quantités. Quant aux jeunes filles désireuses d’étudier, elles ne peuvent consulter presque aucun livre en arabe. Parmi les prisonnières de Hasharon on compte Hadeel Abu Turki de Hébron, qui a été arrêtée près du « Caveau des Patriarches » le 14 novembre 2010. Âgée d’à peine 15 ans, elle est considérée comme la plus jeune « terroriste » palestinienne. L’isolement par rapport à leur famille est particulièrement pénible pour ces femmes. Les rares parents qui reçoivent un permis pour leur rendre visite sont confrontés à de telles difficultés pour y arriver qu’ils sont souvent amenés à y renoncer. C’est évidemment la présence même de la famille qui manque le plus aux prisonnières. Mais il y a aussi des problèmes matériels car les prisonnières ont besoin d’argent de poche pour s’acheter dans la cantine de la prison des compléments indispensables


à leur alimentation et à leur toilette. Plusieurs d’entre elles n’ont même pas de chaussures pour l’hiver : les autorités de la prison interdisent aux familles de les leur apporter, arguant qu’elles peuvent les acheter à la cantine. Or elles y sont si chères que la plupart des prisonnières ne peuvent se les payer. Les soins médicaux sont insuffisants, y compris les soins dentaires, parce que, généralement sous de faux prétextes, les autorités de la prison refusent qu’ils soient administrés. L’avocate de la WOFPP obtient néanmoins quelquefois gain de cause, à force de lettres qu’elle adresse aux autorités de la prison, Plusieurs femmes sont en détention administrative. Emprisonnées sans inculpation ni procédure judiciaire, elles ne peuvent être défendues en justice, même si au cours de leur incarcération elles font l’objet de traitements inhumains, comme la mise en isolement cellulaire, et cela pour une période indéterminée. La durée de la détention administrative est décidée arbitrairement par les autorités militaires et peut être prorogée, arbitrairement, le plus souvent de 6 en 6 mois. Plusieurs Palestiniennes sont victimes de ce procédé. C’est notamment le cas de Linan Abu Ghulmeh (30 ans). Elle avait été libérée le 2 octobre 2009, avec 19 autres prisonnières, en échange de la vidéo montrant que le soldat Gilat Shalit était en vie. Mais le 15 juillet 2010, en pleine nuit, elle a de nouveau été arrêtée en même temps que sa sœur et trois autres membres de sa famille. Emmenée au Centre de détention de Petah Tiqva, elle y fut soumise, pendant de longues heures, souvent 20 heures par jour sans

arrêt, à des interrogatoires intensifs, avec les mains liées au dos d’une chaise. Les interrogateurs la menaçaient d’arrêter encore d’autres membres de sa famille et de faire durer longtemps son emprisonnement. Détenue ensuite à la prison de Hasharon, elle essaya d’obtenir de poursuivre sa détention dans la prison de Damoon, où se trouvait déjà sa sœur. Pour ce faire, elle entama, le 26 octobre, une grève de la faim qui n’eut d’autre effet que son transfert en isolement cellulaire. L’avocate de la WOFPP, qui lui avait rendu plusieurs visites, finit par obtenir son transfert à Damoon. Elle y arriva le 16 janvier dernier, alors que sa sœur Taghreed Abu Gulmeh avait été libérée le 2 janvier ! MISES EN LIBERTÉ Il y a d’autres cas, rares, de femmes qui ont été libérées récemment. Quelquefois, elles ont dû payer cher leur libération. Ainsi, 6 femmes ont été arrêtées par l’armée israélienne le 1er janvier 2011. Elles avaient participé à une marche de soutien à une Palestinienne décédée après avoir inhalé des gaz lacrymogènes lors d’une manifestation pacifique à Bil’in. Leur arrestation, qui a été très pénible, n’a certes duré que 3 jours. Mais les sommes qu’elles ont dû débourser pour leur libération sous caution étaient, elles, très élevées : 6000 NIS (1220 EURO). C’est la WOFPP qui nous a transmis toutes ces informations qui lui ont été rapportées par son avocate. Celle-ci plaide, en outre, régulièrement auprès des autorités judiciaires et carcérales pour obtenir, un tant soit peu, une amélioration des conditions de vie des prisonnières politiques.

MANIFESTATIONS DE SOUTIEN AU SOULÈVEMENT POPULAIRE EN EGYPTE Elles ont eu lieu en ce début de février 2011 tant dans les Territoires palestiniens qu’en Israël, bien que, par crainte de la contagion, elles aient été désapprouvées par l’Autorité palestinienne ainsi que par les dirigeants politiques israéliens, tous de grands « démocrates » et amis déclarés de Moubarak. D’autre part, comme l’a révélé le récent Israeli Democracy Index for 2010, près de 40% des Israéliens considèrent que la liberté d’expression est trop grande en Israël car elle risque de nuire à la sécurité du pays. Il est donc à craindre que dans les jours ou les semaines à venir, la répression à l’égard de ceux qui manifesteraient ne se durcisse et n’entraîne des arrestations. Dans ce cas, le nombre des prisonnières politiques s’accroîtrait. L’avocate de la WOFPP aurait dès lors à intervenir davantage en faveur des anciennes et des nouvelles prisonnières politiques. Mais pour qu’elle puisse continuer à rendre fréquemment visite aux détenues, elle a besoin d’honoraires suffisants et de la couverture de ses frais de déplacements. C’est pourquoi les « Femmes belges solidaires de la WOFPP » font appel à votre esprit de solidarité et à votre générosité en vous demandant de faire un don à la WOFPP sur le compte de l’UPJB : 000.0743528-23, avec la communication « WOFPP ». ■ Women’s Organization for Political Prisoners (Tel Aviv), P.O.Box 31811, Tel Aviv, www.wofpp.org ; info@wofpp.org 1

mars 2011 * n°314 • page 5


israël-palestine Le pire ennemi d’Israël n’est pas celui qu’on croit HENRI WAJNBLUM

L

’auriez-vous cru ? les pires ennemis d’Israël, ceux qui constituent un « danger pour sa survie », ne sont ni le Hamas, ni le Hezbollah, ni la Syrie, ni l’Iran, ni même le goy, c’est tout simplement la judéophobie juive et tout particulièrement la judéophobie des Juifs de gauche, qu’ils soient américains, européens ou encore, comble de l’horreur, israéliens ! C’est du moins ce qu’affirme Dora Marrache, professeure de lettres vivant à Montréal, sur le blog du site terredisrael.com. Et qui sont ces Juifs de gauche antisionistes, car bien sûr un qualificatif ne va pas sans l’autre, quand on est Juif de gauche et qu’on a l’outrecuidance de critiquer la politique d’Israël, on ne peut être qu’antisioniste et, limite antisémite… Qui sont donc ces judéophobes juifs aux yeux de Dora Marrache ?

JUIFS « ANTI-JUIFS » AMÉRICAINS Côté américain, c’est sans conteste Noam Chomsky, Norman Finkelstein et Georges Soros, ce « financier juif américain, exemple par excellence du self haiting Jew ». Et pourquoi est-il cet exemple par excellence du self haiting Jew ? Parce que, « au lieu d’aider son pays, il finance, à coups de millions de dollars, des groupes de gauche avec lesquels il a formé un mouvement anti-Israël dont il est fier et il plaide pour que l’Amé-

rique raye le Hamas des organisations terroristes » ! Et aussi parce que, vous vous rendez compte, « il aurait financé le mouvement JStreet » ! À cette liste de judéophobes juifs américains, il convient encore d’ajouter le nom de Richard Goldstone qui « a dirigé la Commission de l’ONU et a produit le rapport qui porte son nom, rapport qui discrédite et condamne Israël, l’accuse de crimes de guerre, mais qui blanchit le Hamas. Dans son rapport, le juge ne s’est basé que sur la narration des événements présentés par le Hamas et n’a même pas permis à Israël de se défendre ». Dora Marrache a dû mal lire, ou n’a tout simplement pas lu, le rapport Goldstone, sinon elle saurait qu’il n’épargne pas le Hamas et l’accuse tout au contraire d’avoir lui aussi commis des crimes en s’attaquant à des populations civiles en Israël. Et elle semble aussi ignorer qu’Israël a catégoriquement refusé de collaborer avec la Commission Golsdstone. Mais qu’importent ces détails, puisqu’ils n’entrent manifestement pas dans le schéma que Dora Marrache s’est fixé pour étayer sa « pensée » ? Il est par ailleurs fort étonnant de trouver le nom de Hannah Arendt parmi la liste des judéophobes juifs. Que lui vaut donc cet honneur, elle qui est décédée en 1975 ? Le fait, éminemment judéophobe, d’avoir « prôné la création d’un État fédéral mixte judéo-

mars 2011 * n°314 • page 6

arabe » !

JUIFS «ANTI-JUIFS» ISRAÉLIENS Venons-en au côté israélien, les judéophobes juifs « s’appellent Charles Enderlin, Israël Shahak, Tanya Reinhart, Rahela Mizrahi, Miko Peled, pour n’en citer que quelques uns »… Michel Warschawski devrait énergiquement protester auprès de Dora Marrache pour ne pas avoir été repris dans sa liste ! Charles Enderlin donc… « Faut-il rappeler que c’est à Charles Enderlin, journaliste franco-israélien, que l’État d’Israël doit une des accusations les plus graves qui aient été portées contre lui ? Les images de la « mort » de l’enfant ont eu des répercussions planétaires et ont servi à justifier des crimes – entre autres, la mort du journaliste Daniel Pearl – et des attentats qui ont fait plus de mille morts » Qu’attend donc Israël pour empêcher de nuire ce dangereux terroriste qui a le sang de plus de mille morts sur les mains ? Et que penser de Israël Shahak, « historien et professeur de chimie à l’Université hébraïque de Jérusalem [qui] critique avec une virulence rare le gouvernement de son pays. Il est d’ailleurs l’auteur d’un livre Le Racisme de l’État d’Israël dont le titre a lui seul en dit long sur la vision que l’auteur a de son pays. Dans un autre de ses livres Histoire juive, on peut lire : à mon avis, Israël en tant qu’État juif, constitue un danger


non seulement pour lui-même et pour ses habitants, mais aussi pour tous les Juifs et pour tous les autres peuples et États du MoyenOrient et d’ailleurs ». Et de Miko Peled, fils du général Peled, « [qui] déclarait : étant moi même juif et israélien, ayant un père qui fut général dans l’armée israélienne et y ayant moi même servi, je dis ceci : nier ou justifier les actions israéliennes équivaut à nier ou défendre tous les crimes contre l’humanité » ? Mais pour qui se prennent-ils donc ?

ORGANISATIONS JUIVES « ANTI-JUIVES » On croit pouvoir pousser un ouf de soulagement lorsque Dora Marrache nous dit que ces Juifs qui ne méritent pas de l’être « ne constituent toujours qu’une minorité au sein du peuple juif », mais elle a vite fait de nous doucher car « ils sont [néanmoins] nombreux ces Juifs anti-Juifs, ils font de plus en plus d’adeptes qui, comme eux, condamnent le patriotisme juif, mais louent le nationalisme palestinien. Ils insistent sur leur refus du sionisme qui consiste selon eux à brimer les droits d’un peuple et à occuper leur territoire, et ils s’érigent en Ministère public. Ils se regroupent en organisations qui militent contre Israël et remettent en question jusqu’à son droit à l’existence. Ils se donnent des noms ronflants : La Paix maintenant, JEPJ (Juifs européens pour une paix juste), un réseau qui voudrait voir la communauté internationale enjoindre Israël de quitter les territoires occupés, JCall, pendant de Jstreet, MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples), UJFP (Union juive française pour la paix) ». L’UPJB ne devrait-elle pas elle aussi s’indigner publiquement de n’être pas reprise dans cette liste ? Ce n’est pas

beau de nous ignorer de cette façon. Mais quel est donc, selon Dora Marrache, le credo de toutes ces organisations juives anti-juives aux noms ronflants ? C’est simple… « Aux USA, JStreet se présente comme un nouveau lobby pro-israélien et favorable à la paix [quels hypocrites], alors que ses attaques contre le gouvernement israélien sont d’une telle violence que les Palestiniens eux-mêmes n’en reviennent pas ». Et que dire de Gush Shalom, « une organisation israélienne d’extrême gauche [qui] mène la vie dure aux groupes juifs pro-israéliens, [et dont] les membres sont allés jusqu’à demander que les dons versés aux localités de Judée Samarie ne soient pas déductibles d’impôts comme le sont tous les dons ! ». Mais il y a pire dans le machiavélisme… « en Israël, de nombreuses associations se disent pour la paix : Shalom Arshav, Machsom Watch, Women in Black, Bat Shalom, [alors qu’elles sont], semble-t-il, financées par des groupes arabes et des États européens, à coups de millions d’euros et qu’elles incitent, entre autres, les jeunes Israéliens à ne pas s’engager dans l’armée » !

LES « MAUVAIS JUIFS » VECTEURS DE L’ANTISÉMITISME Et viennent le questionnement et l’« analyse »… « Pourquoi tous ces Juifs feignent-ils d’ignorer que, dans leur Charte, par territoires occupés les Palestiniens entendent la totalité de l’État d’Israël ? Pourquoi ces Juifs sont-ils incapables de faire une analyse objective du conflit et des forces en présence ? (…) Capables d’expliquer l’inexplicable, de justifier le terrorisme, ces accusateurs semblent oublier qu’ils sont

en fait responsables d’un nombre incalculable de crimes et d’attentats. Leur présence au sein de la communauté juive est, par conséquent, extrêmement nuisible. Ils considèrent qu’Israël met en danger la sécurité des Juifs dans le monde, alors qu’eux mettent en danger la survie de leur nation. Pourquoi ce comportement ? Pourquoi choisissent-ils d’être des « collabos » ? Difficile de répondre à cette question. En fait, beaucoup parmi ces Juifs antisionistes sont des « Juifs honteux », mais pas dans le sens où on l’entendait en Europe. La haine de soi et de ses origines suppose qu’on fait tout pour cacher sa judéité, qu’on va même jusqu’à changer de nom. Ce n’est pas le cas de ces Juifs qui revendiquent haut et fort leur judéité, principalement dans le cadre de leur lutte pour la défense du peuple palestinien. Ces Juifs ont compris que, quoi qu’ils fassent pour cacher leur appartenance à la religion juive, ils resteront des Juifs aux yeux des non Juifs. Alors, contrairement à ceux qui les ont précédés, Ils ne cachent plus leur identité (…), je dirais même qu’ils revendiquent leur judéité, un peu comme si elle donnait plus de crédibilité aux accusations qu’ils portent contre Israël. Et c’est vrai qu’ils valident ainsi tous les propos antisémites. » Et voilà, la boucle est bouclée… Il est coutumier d’entendre dire, ce contre quoi nous nous insurgeons car l’antisémitisme étant un racisme rien ne saurait le justifier comme rien ne saurait justifier quelque racisme que ce soit, il est donc coutumier d’entendre dire que c’est la politique d’Israël à l’encontre des Palestiniens qui génère le nouvel antisémitisme… Et bien détrompez-vous, ce sont ces Juifs anti-juifs, c’est-à-dire vous et moi, qui en sont les principaux responsables. ■

mars 2011 * n°314 • page 7


lire, écouter, regarder Notules de février GÉRARD PRESZOW

C

’est un peu pour lui que je suis là, pour son nom au générique et sur les couvertures des livres « Maspéro » dans les années 70 : Armand Mattelart, le sociologue belgo-français tiers-mondiste. Et aussi, peut-être et sans doute, pour voir ce que ça donne aujourd’hui un film de 1976, La Spirale , sur la fin d’Allende au Chili (1973). C’est un film d’archives, un film d’amis, de militants. Au générique, on ne sait pas qui fait quoi, l’époque est au pluriel. Il y a bien quelques noms dont celui de Chris Marker et SLON, un collectif militant. Près de deux heures et demie. Avec une voix off qui explique dans la langue de Marx comment les enseignements de l’insurrection léniniste ont été victorieusement dévoyés et mis à profit par les forces réac-

tionnaires : occupations de la rue, immobilisation et destruction des moyens de transports, mobilisation large de la petite-bourgeoisie commerçante dont les femmes font retentir les couvercles de casserole avec une suffisance éhontée... et recours à l’armée et aux USA. De temps en temps, quelques bribes de chansons qui nous ont fait vibrer et auxquelles nous vibrons encore. Je me retiens de reprendre pour ne pas gêner la salle : Victor Jara, Quilapayun, Inti Ilimani… Et ces visages qui résistent : les masses organisées dans les syndicats et partis de gauche, les vrais prolétaires unis dans des vraies usines. Discours d’Allende, de Neruda… comment ne pas… ? El pueblo unido jamas sera vencido. C’est masse contre masse, les nantis contre les pauvres. Ce sont des foules vues de loin. Mais

l’évidence qu’il y a les bons et les mauvais. Il y a le peuple de gauche reconnaissable, identifiable : nous avons les mêmes slogans, les mêmes bannières, les mêmes références. Mais nous ne saurons rien de l’intérieur des âmes ni des paroles individuelles, la voix off les enserre sous la maîtrise d’un discours tout puissant et univoque. Si l’histoire est le présent qui écrit le passé, quel est notre présent ? L’armée ne tire pas sur le peuple, Obama soutient… une jeunesse petite-bourgeoise éduquée et consommatrice qui a trop peu à perdre pour ne pas avoir tout à gagner. Aujourd’hui, dans nos rues, peu de manifs conséquentes de soutien aux révoltes du Maghreb ou d’Égypte, peu d’empathie sinon plutôt une méfiance pour ces masses qui ne rentrent pas dans des canevas préconçus. Voilà le monde qui se remet en marche – comme s’il s’était un jour arrêté – et qui rappelle qu’il n’en fait qu’à sa tête. Nous avions oublié qu’il était imprévisible et que nul discours ne peut l’enfermer. * - Sold out ! On parle du même film ? Me voilà tout penaud à la caisse de Flagey. Un buzz, une rumeur, un bouche-à-oreille et plus de place une semaine à l’avance pour voir Les rêves dansants – sur les pas de Pina Bausch (de Anne Linsel et Rainer Hoffmann). - Il est question qu’il le reprennent à l’Actor’s mais je ne sais pas quand…

Gare de la Chapelle

mars 2011 * n°314 • page 8


Sur les pas de Pina Bausch

- Merci. Incroyable, c’est pas tous les jours qu’un docu excède la jauge. L’Actor’s n’a pas trop tardé à prendre le relais. J’y cours un dimanche midi. La salle est pleine. OK elle n’est pas trop grande mais quand même… un dimanche midi ! À la sortie, tous les yeux sont rouges, gonflés, humectés. La grande communion d’un public prêt à tomber dans les bras les uns des autres. Entre l’entrée et la sortie, un film modeste qui touche au sublime. Une chorégraphe – Pina Bausch – qui sait qu’il ne lui reste que peu de temps à vivre fait jouer par des élèves une des pièces de ses débuts : « Kontakthof ». Une mise en œuvre de la transmission sous forme d’atelier. Pina Bausch, cette chorégraphe qui a cassé les canons plastiques pour autoriser à danser sur scène : les petits, les grands, les gros, tous les corps ont droit à la danse. L’humanité, avec ses gestes du quotidien, ses tics secrets mis en scène, amplifiés, chorégraphiés. Du théâtre-danse. Une danse qui raconte par séquences. Et les élèves répètent sous la direction bienveillante de deux danseuses présentes à la création plus de trente

ans auparavant. C’est un gâteau pyramidal : des ados, des animatrices danseuses, et le maître qui flotte dans son absence radieuse (la maîtresse ?). « Va-t-elle venir ? Quand ? ». Les répétitions des adolescents à cet âge infini où le corps se cherche, où filles et garçons se côtoient, se touchent avec gêne et fébrilité, où alternent effondrements et éblouissements, où, tout à coup, entre les répétitions, des mots recueillis disent enjeux et fragilités… Sur fond de quelques rares images extérieures du métro aérien de Wuppertal. Et quand elle, Pina Bausch, apparaît, et vient assister aux dernières répétitions, toute la chaîne des âges tendue dans un projet confine à la pure beauté. Le film, dans son humilité, touche au sublime. * « Échange hébreu contre français ! »… Depuis cette soirée où je proposais cet échange de savoirs à Effi, je ne me débrouille guère plus en hébreu mais elle parle couramment le français et je n’y suis pour rien. Effi Weiss et Amir Borenstein ont choisi Bruxelles comme base de vie, sans cesser les allers-retours entre l’Israël fa-

milial et professionnel et la Belgique. Avec eux, je découvre un autre Israël, de l’intérieur, une perception et une façon d’en parler qui me sont inhabituels. Effi et Amir interrogent l’origine juive à rebrousse-poil, opérant des allersretours entre l’idéologie mythique de la Terre d’Abraham, la naturalité de leur nationalité et leurs respectives racines européennes. Quasi chaque semaine, ce couple de cinéastes envoie un « dish » à leur carnet d’adresses mails. Généralement, il s’agit d’un plan séquence fixe et court (autour d’une minute) dans lequel un grossissement du réel donne un coup d’arrêt poétique au monde. Le dernier « dish » en date : des gouttes de pluie, leurs tombées et leurs traînées – leur destin – sur un morceau de vitre de l’aéroport de Bierset ; on entend des voix d’enfants s’exprimant en hébreu. Cela peut être, dans leur voisinage bruxellois, une femme voilée vue de leur fenêtre et qui grimpe sur une échelle posée sur un toit, ou encore un orage illuminant le ciel du quartier Nord hérissé de tours célestes, cela peut être deux chats somnolant sur deux bancs sous le soleil dans un parc d’Israël, cela peut être beaucoup de moments et d’événements minuscules saisis à travers l’arrêt du temps et du déplacement, et qui donnent envie d’éprouver les effets de leur accumulation, de leur bout à bout. Pour Rosh Hashana et pour le Nouvel An, Effi et Amir envoient leurs vœux sous forme d’une courte fiction dans laquelle ils excellent à marier jeu d’acteurs, humour, grimage et habile chute. Effi et Amir animent aussi des ateliers vidéo : à Tirana, à Timisoara, à Hebron… En un mot comme en cent, Effi et Amir s’essaient à diverses formes dont rendra compte la soirée du 25 mars à l’UPJB*. ■ * Voir annonce page 34

mars 2011 * n°314 • page 9


diasporas La Pologne, les Juifs et le communisme ROLAND BAUMANN

S

ociologue, directeur de recherche au CNRS, Jean-Charles Szurek, a publié récemment La Pologne, les Juifs et le communisme1, fruit de 25 ans de recherches sur le passé juif en Pologne, un ouvrage indispensable à la compréhension des paradoxes de la mémoire juive en Pologne. Au fil de ses 15 chapitres, ce livre analyse l’occultation du passé juif en Pologne après le judéocide, puis le retour de ce passé occulté avec l’avènement de la démocratie. Soulignant les complexités de l’identité juive en Pologne communiste, l’auteur commente la photographie reproduite en couverture de son livre : Cette photo montre Marek Edelman très âgé, devant le monument du ghetto de Varsovie, inauguré en 1948, et où il se rendait chaque année. Pas du tout communiste, il était le dernier bundiste. Mais il a passé toute sa vie en Pologne après la guerre et participe donc à l’histoire du système communiste polonais. Alors que la plupart de ses amis étaient des « juifs communistes » ou des « communistes juifs », Edelman choisit de se lier à l’opposition démocratique. Figure emblématique de la révolte du ghetto de Varsovie, Edelman illustre bien la complexité des choix de ces Juifs polonais, survivants du judéocide, qui, après 1945, restèrent en Pologne. Jean-Charles Szurek souligne la centralité de la Pologne dans l’histoire moderne du judaïsme. La Pologne, où vivait la plus grande

communauté juive avant la guerre, avec une pluralité de partis politiques juifs, des clubs sportifs dans chaque localité, de multiples journaux et revues, en yiddish ou en polonais, de grands écrivains yiddish comme Peretz, les frères Singer, ou plus polonisés comme Tuwim... Une société juive à dominante yiddish et dont une minorité était en voie de polonisation. Mais la Pologne est aussi le pays de l’extermination des juifs polonais et des juifs européens. C’est le « pays témoin », témoin au sens institutionnel, avec son gouvernement en exil qui dès 1942 informe les alliés de la réalité du génocide sur base de rapports de ses envoyés, comme Karski. Pays témoin aussi au sens physique du terme avec tous ces Polonais qui ont assisté à la « Solution finale » et trop souvent n’en disent rien, en particulier dans les campagnes...

LE LIEU DE LA MORT Pour les Juifs, la Pologne reste avant tout le pays de l’extermination, le lieu symbolique de mort. Szurek précise : Dans les années « Solidarité », au milieu de l’immense mouvement de soutien à l’opposition polonaise, la réticence des milieux juifs polonais parisiens m’étonnait. Dans ces milieux, quand on parle de Pologne, c’est un trou noir, en particulier pour les générations qui ont quitté le pays avant la guerre, un moment où l’antisémitisme virulent de l’extrême-droite s’était propagé aux élites, favorables à l’émigration des Juifs. De fait, moins les Juifs français d’origine polo-

mars 2011 * n°314 • page 10

naise connaissent la Pologne et son histoire, plus ce trou noir est négatif et se transmet de génération en génération, parfois au point de rendre les Polonais responsables de la Shoah...

LE RÉCIT POLONAIS Face aux accusations du monde juif, le discours polonais met en valeur l’invasion de la Pologne par l’Allemagne et l’Union soviétique en septembre 1939, les énormes pertes en vies humaines – 6 millions de citoyens dont 3 millions de Juifs – et l’éradication des élites polonaises par les Allemands et les soviétiques – une politique délibérée de massacre dont les charniers de Katyn sont le fait le plus marquant. Seul pays européen dont la capitale a été entièrement détruite, la Pologne est un pays résistant, avec son État clandestin et son Armée de l’Intérieur, soumis à plus de sept ans de guerre, de 1939 à 1947, jusqu’à l’imposition du pouvoir communiste. Ce discours polonais met en valeur l’aide aux Juifs, les 6000 justes polonais honorés à Yad Vashem, le travail du conseil d’aide aux Juifs (Zegota), dans un pays où celui qui sauvait un juif risquait sa vie et celle de toute sa famille. Le sociologue remarque : Quand en 2000, survient l’affaire Jedwabne, c’est l’électrochoc pour l’opinion polonaise qui se voyait seulement comme victime héroïque du nazisme. L’affaire provoque un débat national et se solde par l’acte de repentance public du président de la République, à


Après guerre, des paysans-orpailleurs devant des fragments de squelettes à Treblinka

Jedwabne, le 10 juillet 2001. L’investigation des faits par les historiens de l’Institut de la mémoire nationale, chargés de vérifier les thèses de Jan Gross, amplifie les faits, documentant des dizaines d’autres massacres commis par des Polonais contre leurs voisins juifs dans l’Est de la Pologne en 1941. L’acte de repentance et l’investigation de l’IPN sont un geste important et font de la Pologne le troisième pays européen, après l’Allemagne et la France, a reconnaître sa responsabilité dans les crimes commis contre les Juifs sous le nazisme Szurek s’interroge sur l’oubli, l’absence de débat et l’amalgame entre camp de concentration et lieu d’extermination qui caractérisent la politique mémorielle en Pologne communiste. Son analyse des manuels scolaires montre l’occultation, avec de rares nuances. Et pourtant, dès 1945-1946, la Commision centrale des Juifs de Pologne recueille des témoignages et établit l’information sur le judéocide. Les publications de l’Institut historique juif, en yiddish et en polonais, se multiplient alors que la Pologne n’est pas encore soviétisée, mais il n’existe pas d’information massive sur le judéocide destinée à l’ensemble de la population polonaise. Comme l’expose le sociologue : Le mu-

sée d’Auschwitz, ouvert dès 1947, était une véritable entreprise d’occultation, comme le traduisait bien sa dénomination de « Musée du martyre de la nation polonaise et des autres nations » ; emblème du crime commis par les nazis et outil de propagande, occultant le génocide des Juifs au nom de « l’antifascisme ». Moi-même, j’ai visité Auschwitz en 1964, lorsque j’étais lycéen et je n’avais aucun moyen de savoir qu’un million de Juifs y étaient morts ! Szurek analyse cette muséographie de l’oubli dans sa visite d’Auschwitz-Birkenau et lors d’une rencontre avec les responsables de la Fondation Auschwitz qui, visiblement, ne partageaient pas son analyse critique.

LE DÉBAT Dans les années 1980, plus que l’affaire du Carmel, la diffusion de Shoah à la télévision polonaise commence à ébranler l’opinion. Manipulée par les autorités communistes qui ne montrent que la partie polonaise du film, cette diffusion engage néanmoins un débat public, surtout dans la presse clandestine. En 1987, l’article de Jan Blonski, « Les pauvres Polonais regardent le ghetto »2, paraphrasant le poète Milocz et fruit d’une réflexion avec des intellectuels français et occidentaux,

pose la question de la culpabilité polonaise, un sujet tabou. Avec la venue de la démocratie, les esprits peuvent enfin s’intéresser au passé et se confronter aux pages obscures de l’histoire nationale. Szurek constate aujourd’hui un « retour vers l’histoire » : pour bien comprendre la mémoire, de nombreuses équipes d’historiens se sont lancé dans la quête d’archives inexploitées, documentant les réalités de la collaboration sous l’occupation. Dans son livre, Szurek souligne les carences de l’historiographie et des témoignages en général sur les relations judéopolonaises dans les zones rurales sous l’occupation allemande. La sortie du nouveau livre de Jan Gross (Moisson d’or) sur les spoliations des Juifs commises par des polonais durant cette période va lancer ce débat : La recherche de Gross révèle l’hostilité des paysans aux Juifs en fuite et la peur des allemands n’explique pas cette animosité meurtrière. L’élimination des Juifs entraine l’ascension sociale des masses polonaises qui, grâce à l’occupation, voient se réaliser le rêve de l’extrême-droite antisémite d’avant-guerre. Dans son analyse, Gross parle d’un pacte tacite entre un gouvernement communiste en quête de légitimité et les paysans, dont les crimes et les actes de spoliations commis envers les Juifs ne sont pas poursuivis, et qui, en échange de cette impunité, assurent le nouveau pouvoir de leur soutien. Une thèse difficile à prouver, mais qui ne me semble pas fausse... ■ Jean-Charles Szurek, La Pologne, les Juifs et le communisme, Paris, Michel Houdiard, 2010. 2 Publié dans Tygodnik Powszechny, n° 11, janvier 1987 et en français dans Les Temps Modernes, n°516, juillet 1989. 1

mars 2011 * n°314 • page 11


politique d’asile

Rien n’est fini, tout (re)commence YOURI LOU VERTONGEN

E

n avril 2008, débutait sur le campus universitaire de l’ULB, une lutte de personnes sans-papiers occupant plusieurs bâtiments du Solboch (129 av. Buyl et le Hall des Sports) afin de réclamer des autorités belges une régularisation de leur situation. Un Comité d’Actions et de Soutien (CAS) aux sans-papiers composé, entre autres, d’étudiants et de chercheurs de l’ULB, se constitue autour de ces deux occupations pour porter avec elles une lutte politique qui durera plus de deux ans. Le CAS dessine un horizon idéologique autour de trois revendications – Régularisation de tous les sans-papiers – Arrêt des rafles et expulsions – Destruction des centres fermés (camps pour étrangers) – et s’attèle à faire valoir ces revendications dans les rues de Bruxelles (et d’ailleurs) dans un rythme effréné de manifestations (quasi hebdomadaires) et d’actions de blocage en tout genre. La réaction policière sera à la mesure de la puissance dégagée par le mouvement du CAS. De semaine en semaine, c’est tout un

dispositif de contrôle qui va prendre en engrenage les militants du CAS : présence policière systématique aux abords du Campus (facilitée par la collaboration du service de sécurité de l’ULB en la personne de monsieur Haumont), lignes téléphoniques mises sur écoute, mailing list placée sous surveillance. Cette stratégie aboutira à enfermer huit d’entre nous dans les méandres d’une procédure judiciaire devenue kafkaïenne. Initiée en octobre 2008, elle est aujourd’hui toujours en cours. La stratégie du Pouvoir est claire et s’applique autant aux « Huit » qu’à leurs soutiens : faire durer la procédure le plus longtemps possible afin d’isoler les inculpés jusqu’à ce que condamnation s’en suive et individualiser les soutiens par des mécanismes de contrôles personnalisés. La police s’assure la maitrise du mouvement en étant chaque fois plus nombreuse (lors de la séance au tribunal correctionnel du 27 janvier dernier, l’arsenal policier présent ce jour là aux abords du Palais est tristement impressionnant : 4 combis de police, 3 voitures banalisée, 10 agents en uniforme à l’entrée de

mars 2011 * n°314 • page 12

la salle et en son sein, 5 membres de la Sûreté de l’État (oreillettes et regards suspicieux en prime)). Si, ce jour là, on voulait assister à la séance (publique) du tribunal correctionnel, il fallait, ordre de police, donner ses papiers d’identité afin que les noms et prénoms de chaque soutien soit répertorié dans les données de la Sûreté de l’État. Pratique aussi dangereuse qu’éloquente ! Il aura fallu l’intervention des trois avocats de la défense, ainsi que celle du bâtonnier du Barreau de Bruxelles pour que cette liste soit remise à la juge qui la déchirera publiquement par après. Nous retenons donc de l’aventure du 27 janvier dernier que la présence massive de soutien durant une séance publique dépasse de loin le simple entendement symbolique. Elle est une constituante essentielle du renforcement d’une position politique minoritaire. Se retrouver aux cotés des inculpés, c’est continuer l’action initiée il y a deux ans, c’est se positionner et se démarquer de l’ordre dominant dans la lutte politique en cours. Porter ensemble, c’est aussi s’approprier les malai-


ses latents d’une procédure judiciaire pesante. Il est impératif à ce stade de démontrer un soutien sans égal aux huit inculpés du CAS et de se tenir à leurs cotés dans les moments où l’on tente de les isoler, notamment lors de la prochaine séance prévue le 3 mars 2011. Il s’agit de construire une présence et une position commune qui ne pourra en aucun cas s’apparenter à un accord de principe, à un symbole. Cela passe, selon nous, par un retour sur l’évènement lui-même. Mais il nous faut également saisir ce qu’il y a au delà du dossier, saisir l’enjeu commun que représente la poursuite des huit inculpés par delà ce qui se jouera pour eux. Comprendre ce qu’une « victoire » ou une « défaite » (entendons-nous sur les termes) peut constituer comme précédent pour notre devenir politique.

SUR LES ABÎMES D’UNE PROCÉDURE Pour qu’un tel dossier puisse être porté par un collectif, il est impératif que chacune des composantes du groupe puisse avoir en sa possession les outils permettant d’être aux prises avec le réel. C’est pourquoi, ce qui suit est un rapport factuel et chronologique de la procédure judiciaire, entamée il y a plus de deux ans à l’encontre de huit d’entre nous, et qui maintient au dessus de nos têtes une épée de Damoclès vacillante. 16 octobre 2008 54 personnes sans-papiers d’origine afghane et

iranienne occupent le bâtiment du CGRA, après 30 jours de grève de la faim, pour réclamer leur régularisation. Plusieurs étudiants du Comité d’Actions et de Soutien aux sans-papiers (CAS) sont présents et soutiennent de l’intérieur et de l’extérieur l’action politique en cours. Six d’entre eux s’asseyent devant le cordon de police lorsqu’il enclenche la machine à rafler. Ils sont tous arrêtés. Trois d’entre eux, arbitrairement désignés, seront poursuivis judiciairement pour les accusations suivantes : manifestation sauvage, violences contre policiers, vol de matériel de police, incitation à l’émeute, rébellion, destruction de matériel policier (excusez du peu). 15 avril 2009 Le CAS s’invite au meeting de lancement de la campagne des partis libéraux européens, en vue des élections de Juin 2009. Le meeting se passe dans une des salles de Tour et Taxis. Vingt-et-une personnes font irruption dans le meeting en scandant « No Border, No Nation, Stop Deportations ». Elles sont toutes mises dehors par le service de sécurité de Tour et Taxis. Une fois sur le parking, elles s’apprêtent à quitter le site selon les ordres de quelques policiers présents à ce moment, lorsqu’elles sont violemment interpellées par le reste de la brigade obéissant à un ordre vraisemblablement différent. Les vingt-et-une personnes sont arrêtées. Parmi elles, six écopent d’arrestations judiciaires. Elles sont poursuivies pour « coups et blessures sur agents de

police ayant entrainé des incapacités de travail » (pour l’un d’entre eux). Six policiers reconnaissent formellement chacun des six inculpés comme étant LA personne lui ayant porté un/des coup(s). Les « six » sont également poursuivis pour rébellion. Pendant la garde à vue, l’un des arrêtés administratifs se fait taper à plusieurs reprises dans sa cellule. À sa sortie il portera plainte. Non seulement, la plainte est restée sans suite mais en plus elle ne sera jamais versée au dossier de l’instruction de l’Affaire des Libéraux . Après 24h de garde à vue, les six arrêtés judiciaires passent devant la juge d’Instruction. Celle-ci prononce pour chacun d’eux une ordonnance de non-inculpation mais décide de poursuivre l’instruction. Les six sont relachés à 16h le 16 avril 2009. 11 juin 2009 Première séance au tribunal correctionnel pour les trois inculpés de l’Affaire du CGRA . L’affaire est reportée à la demande de la défense (période d’examen oblige !) Novembre 2009 Première (deuxième) séance « officielle » au tribunal correctionnel pour les trois inculpés de l’Affaire du CGRA , un peu plus d’un an après les faits. Le commissaire divisionnaire de la Ville de Bruxelles Pierre Vandersmissen se porte partie civile. À peu près cent personnes sont présentes dans la salle pour soutenir les inculpés. Parmi elles, également présents dans la salle, au moins dix policiers en civil avec oreillette as-

mars 2011 * n°314 • page 13


➜ sisteront à l’ensemble du procès. Devant le Palais de Justice, deux combis de police stationneront pendant toute la séance. Les trois inculpés sont accusés de rébellion. En plus de cela, le premier d’entre eux est également poursuivi pour incitation à l’émeute et « organisateur » de l’action des sans-papiers afghans et iraniens. Le second, pour coups sur agent de police (en la personne du commissaire Vandersmissen) ayant entrainé « une effusion de sang » (ceci est le terme juridique consacré pour ce que l’on appelle dans le référentiel commun une griffe (cf. Le dossier d’instruction page 34)). Le procureur réclame une peine de 150 heures de travaux d’intérêt général pour chacun des inculpés. La défense (composée de trois avocats) réclame un nonlieu pour chacun des inculpés et une suspension du prononcé à titre subsidiaire. La partie civile (M. Vandersmissen) réclame une condamnation à un EURO symbolique pour sa veste de fonction qui aurait été déchirée pendant l’arrestation. En plus de cela, le dit commissaire reconnait formellement les trois inculpés comme appartenant au « noyau dur anti-police du CAS ». Le verdict est prévu pour le 24 décembre 2009. 24 décembre 2009 Lors de la séance officiellement prévue pour le verdict de l’Affaire du CGRA, le procureur fait remarquer qu’un des inculpés de l’Affaire du CGRA sera également poursuivi dans l’Affaire des libéraux pour des « faits similaires ». Il propose de suspendre le verdict jusqu’à ce que la chambre du conseil se prononce sur l’Affaire des libéraux, dans le but de lier les deux affaires si cette dernière est renvoyée en correctionnelle.

30 mars 2010 Première séance à la chambre du conseil pour les 6 inculpés de l’Affaire des libéraux. La séance est reportée à la demande de la défense pour « devoirs d’instructions complémentaires » au 26 octobre 2010. 6 Mai 2010 Seconde séance en correctionnelle de “l’Affaire du CGRA. La salle est de nouveau comble, remplie de personnes soutenant les inculpés. La présence policière est la même qu’à la séance précédente. La juge décide de joindre les deux procès : celui du CGRA et celui des Libéraux (à venir), au cas où ce dernier serait renvoyé au tribunal correctionnel. La séance est renvoyée au 16 décembre 2010 26 octobre 2010 Chambre du conseil pour les 6 inculpés de l’Affaire des Libéraux. La séance se passe à huis clos. Lors de son intervention, la juge d’instruction rappelle qu’elle n’avait inculpé personne dans cette affaire faute d’éléments probants dans le dossier. De plus, les devoirs d’instructions complémentaires ont été accomplis, à savoir l’ajout au dossier de plusieurs témoignages de témoins présents sur les lieux lors de l’action chez les Libéraux. La juge termine par préciser que le dossier contient toutefois une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel. Au vu des éléments du dossier, le procureur décide alors d’opter pour une position plus sage et propose de suspendre le prononcé de la condamnation. Les avocats refusent catégoriquement cette proposition, car elle équivaudrait à reconnaitre les faits. Ils réclament le non-lieu pour tous, c’est à dire l’arrêt total des poursuites. Le ver-

mars 2011 * n°314 • page 14

dict sera connu le 23 novembre 2010. 23 novembre 2010 La Chambre du conseil renvoie les 6 inculpés de l’Affaire des Libéraux devant le tribunal correctionnel. Néanmoins, l’ensemble des charges pour « violence contre policiers » sont abandonnées faute de preuve. Les six inculpés sont donc renvoyés pour faits de « rébellion ». Les deux affaires seront donc liées l’une à l’autre à l’avenir : fusion des affaires du CGRA et des Libéraux. 16 décembre 2010 Le tribunal correctionnel acte que les deux affaires sont désormais liées. Les huit inculpés font désormais front commun. Le procès est renvoyé au 27 janvier 2011. 27 janvier 2011 Une cinquantaine de personnes est présente devant le Palais de Justice pour soutenir les désormais 8 inculpés du CAS (3 de l’Affaire du CGRA et 6 de l’Affaire des libéraux, moins une personne dont le nom est cité dans les deux affaires). Devant la salle 1-17 du Palais de Justice se tient un cordon de barrières Nadar devançant un parterre de policiers. Les consignes sont claires : si l’on veut assister à la séance (publique) du tribunal correctionnel ce jour-là, il faut au préalable donner ses papiers d’identité afin que les noms et prénoms de chaque soutien soit répertorié dans les données de la police. La liste rédigée par un policier à l’entrée ne cesse de s’allonger au fil des personnes qui passent. Au bout de quinze minutes de passage, l’un des policiers referme arbitrairement la barrière qui sépare la salle du tribunal du reste du grou-


pe en attente de pouvoir rentrer. Les inculpés eux-mêmes refusent de rentrer dans la salle si les soutiens n’y sont pas autorisés. Les avocats de la défense tentent de faire valoir le droit constitutionnel de la foule recalée face à l’agent assermenté. Rien n’y fait, le policier confirme qu’il a reçu ordre de ne plus laisser rentrer personne mis à part les prévenus. Les trois avocats de la défense se dirigent alors vers le bureau du bâtonnier afin de faire acter par celuici la non-publicité de l’audience. L’heure tourne. Le bâtonnier, les avocats des deux parties et le procureur sont ensuite appelés par la juge à se rejoindre en huis-clos, la séance est suspendue. Les avocats de la défense, soutenus par le bâtonnier, obtiendront auprès du juge la destruction de la liste des noms et prénoms des soutiens répertoriés par la police. La séance peut commencer, toute la mascarade aura durée près d’une heure. À l’intérieur de la salle, toisant du coin de l’œil les bancs qui se

remplissent, le commissaire Vandersmissen, en costume trois pièces, s’installe sur celui de la partie civile. Dix policiers en uniforme seront présents dans le fond de la salle pendant toute l’audience. Contre toute attente, trois policiers, plaignants de l’Affaire des Libéraux, à qui la chambre du conseil n’avait pas donné suite à leur demande de dommages et intérêts pour « coups et blessures portés à leur encontre », se portent partie civile contre l’un des huit inculpés. Le premier des trois réclame des dommages et intérêts à hauteur de 750 EURO pour des coups « reçus ayant entrainés une incapacité de travail de 30 jours ». Les deux autres réclament un EURO symbolique pour réparation du préjudice moral. L’affaire ne sera pas plaidée ce jour là, officiellement pour « retard de remise des conclusions de la défense ». La séance prévue à 9h se clôture à 11h30, après 2h de contrôle policier et cinq minutes de plaidoirie de la partie civile. La séance fina-

le est renvoyée au 3 mars 2011. Les inculpés et leurs soutiens se réunissent dans la salle des Pas Perdus pour discuter avec les avocats. Lorsque le Commissaire Vandersmissen croise le groupe sur le chemin de la sortie, des applaudissements ironiques émanant du groupe de soutien résonnent dans le hall du Palais. Sur la Place Poelart que surplombe le Palais de Justice, trois combis de police et deux voitures banalisées attendent sagement l’ordre de leur chef divisionnaire (porté partie civile) de décamper. La connivence n’est que trop flagrante ! Rien n’est fini et tout commence ! ■

Rendez-vous le 3 mars 2011 à 8h 30 devant les marches du Palais de Justice pour élaborer de nouvelles stratégies de soutien

Appel à la solidarité Par le passé, déjà, les membres de l’UPJB se sont mobilisés pour lutter aux côtés des sans papiers. L’investissement de chacun a permis à une soixantaine d’exilés de trouver pour un temps, une terre d’asile au 61 rue de la Victoire. Aujourd’hui encore de nombreuses occupations peinent à subsister dans notre ville. Il nous semble impératif de leur venir en aide. L’Entr’Act se propose d’ouvrir une permanence afin de récolter vêtements, couvertures, draps, essuies, nourriture non périssable, petit électroménager (petit frigo, cuisinière, percolateur, rallonge électrique...) ou encore de l’aide logistique (redistribution des récoltes dans les différentes occupations, trajets en voiture, ...). Toutes vos idées sont les bienvenues ! Où : à l’UPJB Quand : les samedis de réunion UPJB Jeunes, entre 14h et 18h.

mars 2011 * n°314 • page 15


marcel liebman 1986-2011 Je me souviens de Marcel CARINE BRATZLAVSKY

M

arcel Liebman est mort le 2 mars 1986. C’était il y a 25 ans. Il avait 57 ans. Il y a, dans les pages qui suivent, le Marcel de Léon et son hommage du petit frère au grand qui, déjà tout petit, défendait les valeurs de solidarité, de respect et de justice qui n’allaient plus le quitter et marquer, à tout jamais, le cadet ; l’un et l’autre déterminés à jamais par la déportation de leur frère Henri. Il y a le Marcel de Willy qui nous rappelle, en quelques mots limpides, l’objectif ultime qu’il avait donné à son militantisme de la première heure en faveur de la cause palestinienne. Il y a le Liebman de Matéo qui nous fait redécouvrir un Marcel aussi très engagé sur un terrain strictement belgo-belge. Au travers de sa correspondance outre-manche avec Miliband, non pas le possible futur premier ministre britannique ni son frère vaincu par les urnes du Labour Party mais bien leur père, Ralph, intellectuel engagé né à Bruxelles à qui Marcel confie sa rage et ses tristesses politiques, loin des appareils politiques et syndicaux de la gauche. Léon, Matéo, Willy, on aurait pu lire aussi Henri ou Hughes ou Jean-Jacques dans ce dossier d’hommage à Marcel. Autant de prénoms qui à eux seuls déroulent des patronymes familiers dans la rue juive, intellectuelle, de la gauche bruxelloise. Autant de visages croisés aus-

si dans la cuisine de mon amie d’enfance, Mouchette, sa fille. Je me souviens de la cuisine qui donnait sur l’arrière de l’appartement au rez-de-chaussée de la rue Antoine Depage. J’avais, quoi, Mouchette, 11, 12 ans ? Il y avait là toujours beaucoup de monde. Beaucoup d’hommes, surtout. Ils parlaient tous beaucoup, tous ensemble et fort. Je découvris plus tard qu’ils étaient journalistes et, bien plus tard, ils me rendirent la RTBF moins étrangère. C’est ainsi que « grâce à un ami de mon papa », je mis le pied pour la première fois à Liège, et pour la première fois en train et évidemment pour la première fois dans un studio radio, totalement fascinée par tant de nouveautés pour assister, en direct, à l’émission culte « Il y a folklore et folklore ». Parfois, plus tard, dans la cage d’escalier de la grande maison de la rue Général Patton, je croisais une femme. Je sus, bien plus tard, que c’était Micheline devenue, depuis, mon amie, par les grâces du documentaire. Je me souviens qu’un jour, les filles de Marcel ont dû se cacher. Avais-je bien compris pourquoi, pas sûre. Marcel avait reçu des menaces de mort, mais peutêtre est-ce depuis que je le sais. Ce que je me rappelle, c’est que ce n’était pas chez moi qu’elles se cachaient et ça, c’était triste. Je me souviens d’un repas familial mémorable que d’ailleurs, avec mon total consentement et une vraie connivence, Mouchette ne

mars 2011 * n°314 • page 16

se prive pas de raconter encore aujourd’hui. Il y avait là une tante venue de Paris. Je sais aujourd’hui que c’était la tante Rachel, celle qui trouvait qu’Adeline n’élevait pas bien ses enfants. Sur la table, un plat de maatjes. Je n’en avais jamais vu de ma vie. Au cours du repas, je demande qu’on me passe le plat de « smatchs ». Éclat de rire général et commentaires tous azimuts. Je me souviens que j’étais rouge de honte. Il fallait s’accrocher chez les Liebman. Je l’ai fait, la preuve, j’adore les maatjes et je dois même résister à en acheter hors saison. Quand j’arrivais chez eux, que je téléphonais, que je demandais à parler ou voir mon amie Mouchette on me répondait, attends, je ne sais pas si elle est là, je vais voir. On était tellement libres chez les Liebman, qu’on ne devait même pas dire quand on sortait. Et quand j’arrivais, je recevais les plaintes des filles : leurs parents avaient encore une fois raconté combien ma sœur et moi étions de gentilles filles bien élevées qui aidions leurs parents à faire la vaisselle et qui parlions sans gros mot. Jamais leurs parents ne semblaient les énerver, mais nous, les amies, oui. Je me souviens de formidables balades dans le Brabant wallon où nous refaisions le monde. Les tartes de Chaumont-Gistoux, qui ne sont plus ce qu’elles étaient, ont longtemps été associées à Marcel. Et la promenade, à la chanson. Car nous chantions beaucoup


avec Marcel dans ces balades. Aujourd’hui, je marche et je chante. Avec sa fille. Je me souviens de vacances à la mer, à la Mutuelle socialiste. Avec un Marcel détendu, disponible, attentif. Je ne suis pas prête, Mouchette, d’oublier notre interprétation d’un Malade Imaginaire – « Toineeeeette, mes piluuuules » – imaginé devant un Marcel hilare. « Plus tard, c’est lui qui me stupéfia quand je découvris, grâce à un spectacle de l’UPJB où il jouait un aveugle et chantait « Minuit chrétien » qu’il était en réalité un merveilleux comédien et surtout un bouleversant chanteur d’opéra. Un gourmet infatigable, aussi. Car la promenade le mettait en appétit et surtout en jambes pour attaquer le choix du restaurant. Cela pouvait durer des heures, du

moins à notre échelle d’enfants, ce qui avait l’art d’énerver sa fille ; moi, pas. Je me souviens que les années ont passé et que régulièrement, il apparaissait chez Henri. Ils allaient faire une revue et cette fois, ce serait la bonne. Je le saluais, curieusement alors un peu intimidée et je disparaissais. Je me souviens qu’il y eut ce repas. En janvier, février 1986, j’imagine. Il y avait là une grande tablée, Adeline, ses enfants, quelques amis. Il avait demandé à Henri de venir avec sa guitare. Et nous avons chanté tout ce qu’il demandait. Et surtout, « Yankl Finkelstein qui avait trois fils », qu’il adorait. À un moment, je me suis levée, je suis montée pleurer dans la salle de bains. Cela aussi Marcel me l’a fait dé-

couvrir : qu’il allait mourir et ce que ça voulait dire. De perte et de solitude. Je me souviens que souvent, plus tard, Gérard me racontait combien il avait été touché par la lettre que Marcel lui avait écrite à la mort de sa mère et qu’il s’en voulait de ne pas savoir où l’avoir mise. Aujourd’hui, me revoilà proche de sa fille. Et mes enfants, aujourd’hui amis de leurs filles, les petites-filles de Marcel. Curieux, avides même d’en savoir plus. « C’est pas compliqué, maman, pour nous, Marcel, c’est un mythe ». À nous aujourd’hui de leur faire partager l’homme et ses idées, dans toute sa simplicité, toute sa générosité, sa grande gaieté. ■

Le dimanche 13 mars à 17h30, au cinéma Arenberg L’Union des Progressistes Juifs de Belgique, en partenariat avec

l’Institut de la Mémoire Audiovisuelle Juive, IMAJ et le Centre Européen de Traduction Littéraire, C.E.T.L. ������������������������������������������������������������������������ ������������������������������� ������������������������������������������������������������������������������������������������������������� �������������������������������������������������������������������������������������������������������� ������������������������������������������ ���������������������������������������� �������������������������������������� ������������������������������������������ ������������������������������������������ �������������������������������������� ��������������������������������������� �������������������������������������� ������������������������������������ ����������������������������������������� �������������������������������������������� ��������������������������������������� �������������������������������� ������������������������������ ������������������������������������������� ����������������������������������� ������������������������������������� �������������������������������������������� ��������������������������������� ���������������������������������������� ���������������������������������������� �������������������������������������� ���������������������������������������� ������������������������������������������� ������������������������������ ������������������������������������ �������������������������������� �������������������������� �����������������������������

mars 2011 * n°314 • page 17


marcel liebman 1986-2011 Liebman – Miliband : Fragments d’une correspondance MATEO ALALUF

P

endant son séjour à Londres en 1953-54, où il poursuit des études en relations internationales à la London School of Economics, Marcel Liebman se lie d’amitié avec Ralph Miliband qui y enseignait. Tous deux partageront une même option marxiste indépendante des appareils organisés. J’ai eu la chance de pouvoir consulter l’abondante correspondance qui rend compte de l’amitié chaleureuse entre ces deux brillants intellectuels. Cette correspondance a été soigneusement conservée par Marion Kozak, l’épouse de Ralph Miliband, et a été confiée par Adeline Liebman à l’Institut Marcel Liebman. Un aperçu de cet échange, qui débute dès le retour à Bruxelles de Marcel et qui ne prendra fin qu’à sa mort en mars 1986 à l’âge de 57 ans, nous a été donné par Gilbert Achcar. Dans un recueil remarquable, il en a publié des extraits autour de la guerre des Six Jours en 1967 (lettres datées du 1er mai 1967 au 4 juillet 1967) qui restituent les tensions de la pensée de gauche sur la question israélo-palestinienne. 25 ans après la mort de Marcel, l’intérêt suscité par ses travaux sur la révolution russe et le léninisme ainsi que sur l’histoire du mouvement socialiste belge est resté très vif. Ses écrits inédits ont été rassemblés et ont fait l’objet de publications. Son récit autobiographique et politique, Né juif, a fait l’objet de nouvelles tra-

ductions et rééditions. On retient de Marcel Liebman la figure de l’intellectuel engagé, ses travaux académiques et son action militante anticolonialiste, en particulier dans les réseaux de soutien au FLN, dans ses prises de position et ses initiatives sur le conflit israélo palestinien, ou encore, en mai 68 à l’université. Par contre, ses engagements belgo-belges, à la lisière en quelque sorte des appareils politiques et syndicaux de la gauche, sont plus rarement évoqués. L’importance qu’il accordait à son activité militante quotidienne s’impose cependant à la lecture des lettres que s’échangèrent les deux amis pendant près de trente ans. La première lettre de cette correspondance dont nous disposons est de Marcel Liebman, datée du 2 octobre 1961 : il y commente Parliamentery Socialisme, livre majeur de Ralph Miliband qui venait

mars 2011 * n°314 • page 18

de paraître. La dernière lettre, datée du 24 novembre 1985, est de Ralph Miliband. Écrite depuis l’Université de York au Canada où il enseignait, à son ami Marcel déjà malade et souffrant, après s’être inquiété de sa santé, donné des nouvelles de l’état d’avancement du dernier Socialist Register, publication annuelle dans laquelle Marcel s’était très fortement investi à ses côtés. Ralph concluait : « Mais tout cela n’est que bavardage. Il nous faut nous retrouver et parler ». Entre ces deux moments, Marcel et Ralph s’interpellent sur tous les sujets. Dans les lettres de Marcel, la grande place occupée sur son activité militante dans la gauche du Parti socialiste, au sein du journal La Gauche, dans Mai et Hebdo et dans les multiples tentatives de regroupement d’une gauche socialiste et chrétienne témoigne de l’importance qu’il accordait à cet


aspect de son engagement. Sans doute était-il d’abord un opposant par rapport aux partis avec lesquels il était amené à frayer. Mais il était en même temps tout le contraire d’un franc-tireur. En conséquence, malgré l’audience dont il a bénéficié, Marcel Liebman s’est toujours senti isolé sur le plan politique. Dans une lettre datée du 29 août 1973, Marcel confie sa tristesse à son ami Ralph. « Tristesse comme il se doit politique, écrit-il, puisque Mai va cesser d’exister ». Il avait voulu en effet rassembler dans cette revue une gauche intellectuelle et syndicale, une gauche socialiste, chrétienne et communiste. Le printemps de Prague scellera la rupture avec les communistes et la politique quotidienne fera le reste. « L’équipe qui faisait vivre la revue s’est petit à petit effilochée (…). C’est un échec que je ressens (…) ajoutaitt-il, dans l’isolement dans lequel se trouvent les derniers collaborateurs ». La suggestion de Miliband, dans sa réponse du 3 septembre 73, de se consacrer momentanément entièrement à son travail intellectuel ne le convainc pas à se détourner du militantisme quotidien. Marcel s’était trouvé aux côtés d’Ernest Mandel et des trotskystes au sein du journal La gauche et de sa tendance au Parti socialiste. Il s’opposait cependant au « sectarisme des trotskystes » et à « l’orthodoxie » de Mandel. Il relate dans sa lettre datée du 20 janvier 1975 « la mise en cause plutôt idiote » à son égard « adressée (par Mandel) au couple imaginaire Deutscher-Liebman à qui Mandel reprochait presque explicitement d’être des révolutionnaires mais d’avoir peur de s’engager, ce qui les amenait à une espèce de centrisme académique ». C’est bien plus tard, à la mort de Man-

del, que j’apprendrai, par CharlesAndré Udry, intellectuel suisse qui fut très proche de Mandel dans la 4ème internationale, que celuici qualifiait de « Deutschériens » la mouvance autour de Marcel Liebman. Dans le cadre de l’Union de la Gauche Socialiste, petit parti créé à Bruxelles après l’exclusion de La Gauche du Parti socialiste en 1964, Liebman militera pour un rassemblement à la gauche de la sociale démocratie. « Les trotskystes, écrit-il le 12 janvier 1977 à Miliband, ont décidé de se présenter aux prochaines élections et proposent un accord électoral au PC. Il y a très peu de chances que ce dernier accepte. Mais le projet consiste à lancer un courant, un mini courant, pour une mini alliance de cette mini gauche dans ce micro pays, élargissant cette alliance à quelques autres courants et à contraindre le PC à accepter (…). Si le PC acceptait, poursuit Marcel, cela signifierait qu’il abandonnerait sa ligne opportuniste qui l’amène, depuis des années à poursuivre le PSB de ses assiduités (…) ». Miliband lui répond trois jours plus tard et fait part de son scepticisme face à cette alliance (15/01/1977) : « Les trotskystes, qu’elles que soient leurs vertus, ont un scénario révolutionnaire prédéfini. Les communistes sont empêtrés dans leurs traditions paralysantes. Il faudrait, écrit Miliband, faire du nouveau (…) et les contraindre à repenser leurs positions ». Il pense dès lors, « qu’il est essentiel que des gens comme nous travaillent pour dégager une voie qui ne soit ni celle du réformisme classique, ni celle de l’ultra gauchisme ». Il ne pense pas « qu’un grand parti de masse (puisse souscrire) à ces positions dans un avenir proche ou éloigné. Mais il ne semble pas impossible, écrit-il, de créer des organisations

d’un genre ou l’autre qui constituent des points d’appui pour ce genre d’orientations ». Comme son ami Ralph Miliband, Marcel Liebman se défiait des appareils. Il n’avait été d’aucun parti : il n’avait jamais adhéré au Parti communiste, ni à une formation trotskyste et n’avait été membre du Parti socialiste Belge, en fait de sa tendance de gauche, que pendant une courte période. Pourtant, la politique et le socialisme, était pour lui avant tout les partis et les organisations. Chaque fois qu’un courant de gauche se manifestait, il se trouvait proche du parti socialiste tout en ne le considérant comme « même plus réformiste ». Il soutenait le parti communiste. Il l’affublait pourtant de mille défauts. Pour éviter son effritement qui aurait inévitablement déforcé la gauche, il se présenta même aux élections sur une liste communiste, sans pour autant partager les analyses de ce parti. Il citait à l’occasion à ce propos Rosa Luxembourg pour qui « le pire des partis ouvriers vaut mieux que pas de parti du tout ». Dans sa lettre à Ralph Miliband du 17 mars 1984, Marcel dit toute l’importance que revêt pour lui « cette articulation, cette dialectique si difficile entre l’engagement radical et une volonté de critique lucide à laquelle ne doivent pas échapper les partis amis, les doctrines auxquelles on adhère, les camarades dont on est solidaire, et finalement… ses propres positions ». Les partis n’apprécient guère la critique, témoignent peu d’intérêt pour ceux qui n’en sont pas et rejettent souvent avec hargne ceux qui les ont quittés. Pourtant, à sa mort, le PC lui a rendu hommage, Ernest Mandel a reconnu en lui un marxiste révolutionnaire et Guy Spitaels, à l’époque président du PS, a évoqué sa mémoire au bureau de son parti. ■

mars 2011 * n°314 • page 19


marcel liebman 1986-2011 Marcel et la Palestine :

« réconciliation ultime dans la justice » WILLY ESTERSOHN

L

e Caire, 1969. La conférence internationale de soutien à la cause palestinienne va prendre fin. L’assemblée se prononce sur la résolution finale. L’un des points de cette résolution affirme que la conférence salue le courage des progressistes israéliens défenseurs des droits des Palestiniens. Cette mention suscite immédiatement la colère du responsable de la délégation syrienne, un ancien ministre des Affaires étrangères, qui exige sa suppression pure et simple en s’écriant qu’un véritable progressiste n’a pas sa place en Israël. Dans un silence tendu, Marcel se précipie à la tribune. Ce sont des instants que je ne suis pas près d’oublier. Avec une passion qui impressionne l’assemblée, il défend le maintien de ce point de la résolution, s’exclamant qu’il le fait non pas en tant que Juif mais en tant que socialiste et, donc, internationaliste. Tonnerre d’applaudissements. Un autre délégué se lance alors lui aussi dans la défense de ce point de la résolution. Il s’agit – tenezvous bien – ni plus ni moins, du responsable de la délégation palestinienne, le jeune Nabil Shaat qui est aujourd’hui conseiller de l’Autorité palestinienne (en 1969, ne l’oublions pas, sur la carte du Proche- Orient publiée par la tou-

te récente OLP, Israël n’existe tout simplement pas...). Le texte sera finalement adopté tel quel. J’ai fait la connaissance de Marcel au tout début des années 1960. Je venais de quitter mon mouvement de jeunesse sioniste de « gauche ». Ce sont les relations judéo-arabes qui ont été l’objet de notre première rencontre. La guerre d’Algérie n’était pas encore terminée. Marcel entendait promouvoir un appel des Juifs pour une Algérie indépendante (les responsables du FLN en Europe avaient été mis au courant de l’initiative et la soutenaient). Marcel, militant de la cause algérienne, y voyait l’occasion de poser un jalon sur la voie d’un dialogue judéo et, pourquoi pas ?, israéloarabe. Mais l’affaire resta sans lendemain. Au cours d’une réunion publique, un représentant du parti sioniste de gauche Mapam expliqua qu’avant de soutenir la lutte des Algériens pour leur libération, il fallait obtenir des garanties sérieuses quant à l’attitude d’une Algérie indépendante à l’égard d’Israël...

« PARCE QUE L’EUROPE A EU L’HISTOIRE QUI EST LA SIENNE » Au fond, pourquoi donc, chez Marcel, cette attention particulière à la cause palestinienne ?

mars 2011 * n°314 • page 20

« Pour beaucoup d’entre nous, expliquait-il, il y a le sentiment que le peuple palestinien est doublement victime. Il l’est en raison de tous les malheurs qu’il subit [...]. Mais il l’est doublement parce que, dans notre Occident, il a le privilège douteux d’apparaître comme coupable de ses propres malheurs... et de ceux d’autrui alors qu’il est la victime. Si personne parmi les humanistes, les démocrates et les progressistes ne refuse aux paysans guatémaltèques, par exemple, de les reconnaître pour ce qu’ils sont – des pauvres, des opprimés, des victimes –, avec les Palestiniens, c’est différent. Parce que l’Europe a eu l’histoire qui a été la sienne, parce que les Juifs y ont connu la tragédie, unique en son genre, qui a été la leur, on en est venu chez nous à fermer les yeux devant le drame palestinien. [...]1 Un peu plus tard, Marcel tiendra a définir sa démarche en se présentant comme « Juif de situation ». Tout en faisant un sort à l’équation antisionisme = antisémitisme, il n’évoque pas la position qui se résumera plus tard par le slogan « Pas en notre nom ! ». Une position que définissait ainsi le grand orientaliste Maxime Rodinson, son ami : « Il y a un petit nombre de Juifs dans mon genre qui sentent qu’ils ont un devoir par-


ticulier envers ce peuple [les Palestiniens] spolié par des Juifs. Je préfère me rattacher au judaïsme de cette façon-là que d’autres. »

« UNE PERSPECTIVE QUI N’EST PAS CELLE DE LA HAINE » « Mes analyses et mes prises de position dans le conflit du MoyenOrient, précisera Marcel en déployant tout son talent de dialecticien, n’ont qu’une source d’inspiration : un mélange d’humanisme bourgeois et de convictions socialistes et anti-impérialistes. J’ai la certitude que, fondamentalement, le fait d’être juif n’influence pas ma démarche. Et pourtant je tiens à ce que l’on sache, si besoin était, que je

suis juif. Cela ne signifie pas que je m’engage sur ce terrain parce que je suis juif, ni malgré que je sois juif, ni même en tant que Juif. Je m’engage aux côtés des Palestiniens et je suis juif. Ce sont deux positions, deux propositions où chacun des termes est indépendant de l’autre. Indépendant et cependant lié. Tout cela parce que, rationnellement, politiquement et presque tactiquement, il m’a paru opportun, il y a bien longtemps déjà, de montrer que l’on peut être « pro-palestinien » tout en étant juif. Autrement dit que la critique dirigée contre Israël et le sionisme ne peut être assimilée à l’antisémitisme. Calcul naïf : il suffit à vos détracteurs, sans l’ombre d’une démonstration

naturellement, en fait contre mille et une preuves patentes, de vous présenter comme un « Juif... antisémite », atteint de la célèbre maladie de la Jüdische Selbsthass2 et le tour est joué. »3 C’est sans doute dans l’hommage qu’il rendit à son ami Naïm Khader, le représentant de l’OLP en Belgique assasiné en 1981, que Marcel mit en avant le sens et l’objectif ultime qu’il avait donné à son militantisme : « ... même si le combat sera dur et long, on ouvre à l’ennemi d’aujourd’hui une perspective qui n’est pas celle de la haine ni celle du désespoir, mais une perspective qui est celle de la réconciliation ultime dans la justice.»4 ■ La Revue nouvelle, juillet août 1983. La haine de soi juive. 3 La Revue nouvelle, octobre 1983, cité dans Figures de l’antisémitisme, textes de Marcel Liebman coédités par Aden éditions et l’Institut Marcel Liebman. 4 Naïm Khader, le sens d’une vie, Éditions Vie ouvrière, Bruxelles 1981. 1 2

mars 2011 * n°314 • page 21


marcel liebman 1986-2011 Tel que vous ne l’avez pas connu LÉON LIEBMANN

C

’est le 2 mars 1986, il y a tout juste 25 ans, que mon regretté frère Marcel a perdu le dernier combat de sa trop courte existence. Après avoir lutté vaillamment contre le mal – un cancer impitoyable qui le rongeait – il se prépara mentalement à quitter une vie à laquelle il tenait tant et se résigna à dire adieu à ses proches. Mon propos n’est pas de rapporter et de commenter les faits les plus saillants de son parcours politique et universitaire : nombreux sont, parmi les lecteurs de Points Critiques, ceux qui les ont connus tant dans le monde académique que dans les affrontements où il se heurta à des adversaires aussi coriaces que lui-même mais pas toujours aussi bien documentés ni aussi persuasifs et, le plus souvent, de mauvaise foi. L’hommage fraternel que j’ai voulu rendre à l’être humain qui m’a le plus influencé et le plus marqué n’a qu’un but : révéler à ceux qui l’ont connu et apprécié l’évolution de sa personnalité et de son caractère tels qu’ils apparaissaient dans la vie de tous les jours à l’insu du grand public. Je suis, en effet, par la force des choses, le seul témoin d’une époque au cours de laquelle Marcel s’est formé et est devenu adulte : il n’était mon aîné que de 20 mois et nous avons vécu dans une intimité hors du commun depuis notre plus jeune âge jusqu’à la fin de nos études universitaires.

Pour rendre fidèlement sinon exhaustivement compte des traits essentiels de sa riche et foisonnante personNé juif, un récit autobiographique et politique nalité, je procèderai d’abord à un bref rele- tillons, je suivrai l’ordre chronolové de ses caractéristiques les plus gique, ce qui vous permettra de marquantes que j’illustrerai en- mieux connaître et comprendre suite par quelques exemples choi- la formation de son caractère et sis parmi les plus signifiants et les l’évolution de son comportement. plus significatifs. J’ai été personnellement témoin Il était mû par un sens très de ce que je rapporte ici succincpoussé de la solidarité – surtout tement. Le premier s’est passé dans la en faveur des plus faibles et des plus démunis – et de la fraterni- cour de récréation d’une école té, d’abord envers ses frères « de gardienne. Marcel était en 3ème sang » puis également envers tous année et moi en 2ème. Nos clasceux dont il se sentait et se voulait ses s’étaient mises en rang pour regagner leurs locaux respectifs, pleinement solidaire. C’était aussi un esprit fron- la classe de Marcel se tenant tout deur, contestataire et rebelle à juste devant la mienne. Le silentoute autorité hiérarchisée, déjà ce le plus absolu était de rigueur. présent et prégnant pendant son Je commis l’imprudence de dire enfance et qui n’allait pas cesser tout bas quelques mots à mon de se développer tout au long de voisin. L’institutrice n’en entendit sa vie et faire de lui un défenseur rien mais elle vit que nous étions en train de bavarder à voix basse. de tous les opprimés. Il avait une volonté, une téna- Elle s’élança vers nous et… me gicité et une pugnacité indompta- fla brutalement en me reprochant avec véhémence d’avoir désobéi à bles. Il faisait preuve d’un grand ses ordres. Marcel vit et entendit courage physique, intellectuel toute cette brève scène. Il s’élanet moral. Enfin, il manifestait un ça vers nous et porta à plusieurs amour passionné de la vie et de reprises des coups de poings à tous les plaisirs qu’elle peut pro- la « représentante de l’ordre public » en criant : « Vous n’avez pas curer. Pour en relever quelques échan- le droit de frapper mon petit frè-

mars 2011 * n°314 • page 22


re. Je ne vous laisserai jamais recommencer ». Furieuse, mon institutrice ordonna à Marcel d’aller présenter ses excuses et de lui demander pardon de son « méfait » et cela en présence du directeur. Refus à la fois immédiat et définitif de mon grand frère qui s’écria qu’il ne laisserait jamais qui que ce soit frapper son « petit frère ». « L’affaire » s’acheva d’une façon pour le moins inattendue et insolite : pour nous éviter, à Marcel et à moi-même, d’être renvoyés, c’est notre père qui, en lieu et place du « contrevenant », dut présenter ses excuses publiquement. Deuxième anecdote mettant en lumière la façon dont Marcel évoluait pendant son (encore) tout jeune âge. Il avait alors entre 10 et 11 ans lorsqu’il manifesta sa sensibilité ainsi que ce qui était déjà en gestation de son idéologie sociale : venir en aide aux plus faibles en n’hésitant pas à payer de sa personne. Il mit sur pied un groupe d’une demi-douzaine d’élèves de sa classe avec pour unique tâche de faire, avant le début des cours et pendant la récréation, plusieurs fois le tour des deux cours de l’école, l’une réservée aux élèves des trois premières années et l’autre à ceux des « grandes classes », et de venir en aide à tous ceux qui apparaîtraient comme des souffre-douleurs de condisciples abusant de leur nombre et de leur force physique. Cette façon de venir au secours des victimes s’avéra très efficace. Cette équipe de secouristes en vint bientôt à devenir à ce point redoutable qu’elle agit préventivement, les quelques voyous qui avaient pendant si longtemps sévi au sein de l’école ne se risquant plus à subir les foudres de ces « justiciers en herbe ». Troisième étape de ce singulier périple : l’adoption, moyennant

adaptation, de la même technique pour porter secours aux victimes de leurs condisciples à l’Athénée de Schaerbeek. Là aussi il mit sur pied tout un groupe qui intervint en faveur des plus faibles en butte aux insultes et aux coups de leurs pires condisciples. Sa méthode s’avéra tout aussi efficace. Sur le plan personnel et familial, deux autres faits méritent d’être épinglés pour les années 1942 et 1943. Le premier concerne la Bar-Mitzvah de Marcel (fin juin 1942).. C’est mon père qui s’était chargé de la préparation religieuse et musicale de ce passage de l’enfance à l’adolescence et à la responsabilité morale y afférente. Mais, très mécontent de voir Marcel « n’en faire qu’à se tête » dans la façon de psalmodier le texte de la Torah qu’il devait chanter dans la synagogue, il décida sur un coup de tête de mettre fin à leur préparation rituelle. Il était convaincu que Marcel, mis au pied du mur, capitulerait et se soumettrait aux ukases paternels. Il n’en fit rien et il prépara, sans consulter qui que ce soit et entièrement à sa guise, les deux parties de son programme, l’une chantée et l’autre parlée. Il fut fort apprécié et félicité pour sa double prestation et notre père ne fut pas le dernier à le congratuler. Un an plus tard, apprenant avec toute notre famille atterrée l’arrestation par la Gestapo de notre frère Henri, qui allait être déporté à Auschwitz où il mourut dans une chambre à gaz, il eut une réaction qui devait le marquer tout au long de sa vie : il décida d’exercer désormais toutes les responsabilités de son frère aîné envers ses deux frères cadets, moi-même et le benjamin, Jean-Claude. Il tint parole et fit preuve, dans des circonstances aussi tragiques, d’une

maturité dont il ne devait plus jamais se départir. Trois ans plus tard, Marcel montra un autre aspect de sa forte personnalité. Interpellé par son professeur de néerlandais, un certain De Bruyn, et cela dans les termes grossiers suivants : « Liebmerde au tableau ! », il répondit du tac au tac : « Je viens, De Bruynemerde ». Interloqué, ce professeur le mit à la porte mais n’osa pas le déférer devant la direction de l’athénée pour avoir osé l’insulter publiquement. Marcel savait se défendre et même contre-attaquer. Dernier fait de ce florilège tous azimuts. Marcel avait 17 ans et avait obtenu de nos parents que lui et moi puissions passer tout un mois d’été dans un camp de vacances pour adolescents. Ayant appris que la direction allait recevoir la visite de mécènes, il nous fut demandé de leur faire tous bon visage. Marcel n’en fit rien et obtint de tout le groupe qu’il manifeste bruyamment et publiquement son indignation d’être maltraité par les dirigeants du camp. Les visiteurs abasourdis furent fâcheusement impressionnés par ce qu’ils apprirent en entendant le message des manifestants contestataires. Nous ne connûmes pas l’épilogue de cette folle journée mais nous apprîmes le soir même que Marcel et moi étions renvoyés sur-le-champ et que nos parents sauraient pourquoi. Je pourrais multiplier les exemples de précocité dans son savoirfaire et dans sa maîtrise des mots. Ceux que j’ai choisis me paraissent suffisamment éloquents pour ne pas devoir en ajouter d’autres. En vous les révélant, j’ai voulu honorer sa mémoire et exprimer ma très profonde gratitude à celui qui, pendant toute sa vie, m’a servi d’exemple sinon de modèle. ■

mars 2011 * n°314 • page 23


Yiddish ? Yiddish ! PAR WILLY ESTERSOHN

l]m= Nuf retsUg id

di gayster fun amol Les esprits d’antan

On a pu voir récemment dans plusieurs journaux israéliens une annonce qui avait de quoi surprendre. Elle comportait une illustration représentant un personnage brandissant un journal yiddish qu’accompagnait l’inscription (toujours en yiddish) : « Travailleur, ton journal est le Folkstsaytung (Le journal du peuple) ». Il s’agit en réalité de la reproduction d’une affiche de propagande en faveur du quotidien du Bund en Pologne dans les années trente. En fait, l’annonce en question invitait à prendre part, dans une grande salle de Tel-Aviv, à une activité culturelle festive à l’occasion d’une nouvelle livraison de la revue en hébreu Davka (« justement », « exprès », utilisé aussi en yiddish où l’on prononce davke). Celle-ci est en grande partie consacrée à Marek Edelman (1919-2009), l’ancien commandant en chef adjoint – représentant le Bund - de l’insurrection du ghetto de Varsovie. Description de cette manifestation dans l’hebdomadaire yiddish new-yorkais Forverts.

zij « jkuud » ;BiB]-l{ Nij l=z red Nij Nwtnem egnui l]q esiurg = Neuueg iz

davka

tel aviv

in

zal

dem in mentshn yunge tsol

groyse a geven

t]h Mlue Nretle Med r=f reb] ,iiz r=f tpiuhrebij Nr]uueg Nf=weg C]d hot oylem

eltern

dem

far

ober

zey far

iberhoypt

gevorn

geshafn dokh

red Fiuj tc=rbegfiur= t]h re z= ,kurdnUj Med Nf=weg lk=tkeps red der

oyf

aroyfgebrakht

hot

er az

ayndruk

dem

geshafn

spektakl

der

Fiuj Nqn=g Nij temL ,gnuriffiuj id .tleuu redn= N= Nuf ,l]m= Nuf retsUg enib oyf

gantsn in kimat

oyffirung

di

velt

ander an fun

amol

fun

gayster

bine

,sretk=niij ,redil tim tletwegnem=zuq Nir]siwzer id t]h ,widYi eynakters

lider

mit

tsuzamengeshtelt

rezhisorin

di hot

yidish

Nemih red ,« heuBw id » tlefeg twin Ciuj t]h’s Vuu ,gn=zegr=c ,Negnuliiqred himen der

shvue

di

gefelt

nisht oykh s’hot

vu

khorgezang

dertseylungen

N= ,« N]iwziuuid iuj » _ lbm=sn=-k]r rekidneniutwred red Nuj « dnub » Nuf an

divizhyon

oy

ansambl rok

dershtoynendiker

der

un

bund fun

widYi Fiuj redil Celsilwsiuj tgniz s]uu srekizum egnui Nuf lbm=sn= yidish

oyf

lider

oysshlislekh

mars 2011 * n°314 • page 24

zingt

vos

muzikers yunge fun

ansambl


! widYi ? widYi TRADUCTION Il y avait un grand nombre de jeunes gens dans la salle à Tel-Aviv ; « Davka », comme on sait, a été créé surtout pour eux. Mais, pour le public plus âgé, le spectacle a suscité l’impression d’avoir installé sur la scène les esprits d’antan, d’un autre monde. La metteuse en scène a composé la représentation - quasi entièrement en yiddish - de chants, de pièces en un acte, de récits, de chants choraux, où n’a pas manqué non plus di shvue (« le serment »), l’hymne du Bund, ainsi que le surprenant ensemble rock « Oy Division », un ensemble de jeunes musiciens qui chante des chansons exclusivement en yiddish.

REMARQUES Neuueg geven (aussi Nzeuueg gevezn) : part. passé de NUz zayn = être (ici en lieu et place de Neuueg zij se es iz geven = il y a eu). Mlue oylem (hébr.) = public. retle elter : comparatif de tl= alt = âgé. tc=rbegfiur= aroyfgebrakht : part. passé de Nenerbfiur= aroyfbrengen = monter (trans.), “apporter d’en bas”. temL kimat (hébr.) = presque. Nir]siwzer rezhisorin : fém. de r]siwzer rezhisor = metteur en scène. Nletwnem=zuq tsuzamenshteln : composer (« mettre ensemble »).

mars 2011 * n°314 • page 25


ANNE GIELCZYK

Shame !

B

ravo dites! Vous étiez 35.000 le 23 janvier pour exiger un gouvernement, je n’en attendais pas tant quand dans ma chronique de janvier, je vous exhortais à « descendre dans la rue ». Bon, vous avez zappé les enjeux sociaux-économiques mais au moins vous avez montré que l’humour belge, ça existe. C’est déjà pas mal par les temps qui courent. J’ai particulièrement apprécié le « no government, great country » – que je préfère de loin au cri d’indignation « shame » – et jusqu’à présent les marchés ont l’air de vous croire ou peut-être ont-ils trouvé d’autres os à ronger du côté du Nil. 35.000 oui, mais toujours pas d’ébauche d’un accord gouvernemental, mais bon, même les millions de manifestants de la place Tahrir au Caire n’ont pas (encore) obtenu ce qu’ils voulaient et pourtant chez eux c’est bien plus simple. Ben oui, démissionner c’est quand même plus facile que de former un gouvernement. Demandez à Alexander De Croo, il confirmera j’en suis sûre. Les négociateurs en tous cas n’en ont fait qu’une bouchée de cette manifestation. Joëlle Milquet et Laurette Onckelinx en parlaient comme si c’étaient elles qui l’avaient organisée et pour Bart De Wever (non

pas De Weveur, combien de fois faudra-t-il que je le dise, neuf mois les amis et vous ne savez toujours pas prononcer De Wév’r !) donc pour Bart de Wever (mais non pas De Ouever, De Uev’r, c’est pas de la ouate cet homme) donc pour Bart De Wever (allez c’est déjà mieux mais pas de v einh dites, y a pas écrit De Vever, ni De Veuveur comme j’ai entendu dire par des journalistes francophones) bref ! pour BDW, c’est bien simple, c’était une manif antiflamande. En effet, selon un « sondage » du quotidien Le Soir il n’y aurait eu que 23% de Flamands à la manifestation et comme l’écrit l’éditorialiste flamand Yves Desmet1 c’est bien la première fois que De Wever croit d’emblée ce qui est écrit dans Le Soir !

V

ous étiez donc 35.000 Flamands, Wallons, Bruxellois… le 23 janvier et le 6 février nous, nous étions 350 pour manifester notre soutien à la révolution arabe (dont pas mal de Flamands d’ailleurs : flamands-flamands, turcoflamands, maroco-flamands, judéo-flamands et même un nationaliste flamand). Une des manifestations les plus surréalistes à laquelle il m’a été donné de participer je dois dire. Et pourtant j’en ai fait

mars 2011 * n°314 • page 26

des kilomètres à pied entre la gare du Nord et la gare du Midi. Pas vraiment foule donc, un petit groupe compact menait la danse sous les cris de « Moubarak dégage », jusque là rien d’anormal, quelques drapeaux palestiniens mais pas tant que ça finalement, trois farfelus convertis à l’Islam avec deux pancartes appelant à la Charia, pas mal de drapeaux rouges de la Ligue Communiste Révolutionnaire, section belge de la 4ème Internationale, labellisés « 100% de gauche » (texto), et même un lion flamand ( tenu par le manifestant nationaliste flamand susmentionné représentant j’imagine « Pour une Flandre indépendante et socialiste » en français dans le texte de la plateforme). Fermant la marche, le comité de l’UPJB au grand complet, c’est-àdire juste ce qu’il faut pour tenir notre longue banderole et derrière la banderole bien sûr, une foule compacte comme vous pouvez le voir sur la photo, dont quelques ami(e)s d’origine arabo-musulmane ravis de nous voir là, et même quelques personnalités dont oh surprise ! Eric Picard, l’animateur de l’ADI, l’Agence Diasporique de (dés)Information qui a réussi une fois de plus à faire dire à notre communiqué le contraire de ce qu’il voulait dire en mélangeant allègrement notre texte (sans


Parmi les personnalités UPJB à la manifestation du 6 février, oh surprise! Eric Picard, le responsable de l’ADI

guillemets bien sûr) et ses commentaires personnels, le tout agrémenté d’une illustration faisant référence à la Palestine qu’il présente comme étant l’affiche de la manifestation mais qui est en fait la photo d’un Tshirt vendu sur Internet sous le nom de « T-shirt Révolution palestinienne »2. Bref, nous en étions réduits une fois de plus à ces Juifs (honteux) qui vont manifester avec des antisémites (et avec Eric Picard).

À

croire qu’il n’y a pas d’autres chats à fouetter dans la diaspora juive de Belgique que les Juifs progressistes. Sur la visite de Filip Dewinter en Israël début décembre 2010 sur invitation du Shass, le parti ultra-orthodoxe, pas un mot sur le site de l’ADI ni dans la presse juive d’ailleurs, sauf un (excellent) édito signé Nicolas Zomersztajn dans Regards3 et un compte-rendu « neutre » avec photos à l’appui (Dewinter souriant serrant la

pince du député du Shass Nissim Zeev à la Knesset, Dewinter l’air grave soupesant un missile Qassam à Sderot…) sur le site de Joods Actueel4. Notre fasciste national (flamand) avait déjà exprimé son admiration pour le pays du « eigen volk eerst » comme il dit, sans que cela ne soulève à l’époque commentaires ou indignation. Aujourd’hui il est reçu à la Knesset, se balade dans les Territoires occupés et, cerise sur le gâteau, se recueille à Yad Vashem en compagnie de Geert Wilders, islamophobe mais judéophile ou doisje dire judéophile parce que islamophobe (méfions-nous de la judéophilie autant que de la judéophobie !) et rien moins que le successeur de Jorg Haider, un certain Heinz-Christian Strache qui vient de remporter 27% des voix aux dernières élections. Le Forum der Joodse Organisaties d’Anvers s’est exprimé en termes étonnamment modérés sur cette visite semiofficielle de Dewinter. Selon le Forum, Dewinter a « bien sûr

le droit de visiter Israël », on attend le « mais » sauf que c’est un « parce que » « il n’a jamais exprimé de remarques antiisraéliennes, bien au contraire ». Ah bon ? Donc selon cette logique tout qui critique Israël (en tant qu’individu) n’aurait PAS le droit de visiter Israël ? Par contre le Forum est d’avis qu’il ne peut y avoir de dialogue officiel entre Dewinter et les autorités israéliennes « parce que son parti ne vaut rien » (c’est le moins qu’on puisse dire) et parce que « Dewinter est contre l’Etat belge » et qu’« Israël entretient des relations diplomatiques avec la Belgique en tant qu’État fédéral »5. On croit rêver. Sur le Vlaams Belang comme descendant direct des nazis flamands ayant collaboré activement à la traque des Juifs pas un mot, au contraire, le Forum est d’avis que « la visite de Dewinter n’est en rien comparable à la visite de membres du Hezbollah au Sénat belge il y a un an » « car quoi que l’on puisse penser du VB et aussi répréhensibles que puissent être les déclarations de certains de leurs membres (c’est moi qui souligne), le Hezbollah est une organisation terroriste et le VB est un parti qui respecte l’État de droit ». Ici le mot « Shame » est vraiment approprié. ■ Dans De Morgen du 25/01 www.spreadshirt.fr/t-shirt-revolution-palestinienne-C4408A14350639 3 « Des liaisons honteuses », Regards du 2 février 4 du 7 décembre 2010 http://joodsactueel. be/2010/12/07/filip-dewinter-vlaams-belang-in-israel/ 5 Hans Knoop, porte-parole du Forum sur le site de Joods Actueel le 7 décembre 2010 http://joodsactueel.be/2010/12/07/filip-dewinter-vlaams-belang-in-israel/ 1 2

mars 2011 * n°314 • page 27


réfléchir Pays fêlé dont je raffole... JACQUES ARON

P

ar les hasards de l’histoire, je suis né Belge en Belgique. Comme j’aurais pu naître ailleurs, d’une autre nationalité ou apatride ; il s’en est fallu de si peu. Avec les années, j’en ai pris mon parti : c’est mon pays. Est-ce un mariage de cœur ou de raison ? les deux sans doute. De cœur, car j’y ai trouvé plus de gens aimables (à aimer) que de crapules, et de raison, car j’ai assez parcouru le monde pour me faire une raison de le préférer à bien d’autres. Je pourrais vivre ailleurs, certes, mais non sans un certain temps d’exil et d’adaptation, celui qu’avait vécu mes parents ou grands-parents. Après 180 ans d’existence (s’il faut nommer les choses pour qu’elles existent, mais déjà César…), je le croyais assez solide, ce petit pays, pour résister aux vents de tempête par lesquels les hommes sombrent régulièrement dans leur propre folie. * Je connais bien ses hommes, ses villes, ses paysages, bref cette histoire, son histoire. C’est celle à laquelle j’ai pu prendre part de plus près, sans avoir jamais eu la prétention de peser bien lourd, mais pourtant d’être là, quelque

part, plus qu’un fétu de paille, un peu responsable de sa santé mentale et physique. Je l’aime, lui-aussi précisément, pour cette absence de prétention que l’histoire lui a imposée : il n’avait pas ce profil de grand carnassier de ses voisins qui, après s’être entre-dévorés, avaient laissé entre eux un royaume remodelé qui n’avait vécu que 15 ans. Au Sud, deux peuples s’étaient finalement retrouvés à former une nation nouvelle sur un petit territoire triangulaire aux franges singulièrement morcelées. Beaucoup de choses les séparaient, que l’on n’a cessé de mesurer depuis, mais un bref « unionisme » d’intérêts contradictoires avait assuré le succès d’une révolution dite brabançonne (« le Belge sortant du tombeau »). Bruxelles devint la capitale fédératrice de l’aventure industrielle d’une bourgeoisie commune et, plus tard, d’une aventure coloniale à laquelle songeait déjà en 1861 un futur monarque ambitieux : « Entourés par la mer, la Hollande, la Prusse et la France, nos frontières ne s’étendront jamais en Europe. C’est au loin qu’il faut retrouver les demi-provinces perdues. Notre neutralité, qui est une sécurité et une sauvegarde [elle le restera si peu !], nous interdit, en dehors de nos neuf provinces, toute activité politique en

mars 2011 * n°314 • page 28

Europe. Mais la mer baigne notre côte, l’univers est devant nous, la vapeur et l’électricité ont fait disparaître les distances, toutes les terres non appropriées sur la surface du globe peuvent devenir le champ de nos opérations et de nos succès. […] Nous désignerons enfin quels sont les domaines que l’État pourrait acquérir et où se rencontrent des peuples à civiliser, à conduire au progrès en tous les genres, tout en nous assurant des revenus nouveaux, à nos classes moyennes des emplois qu’elles cherchent, à notre armée un peu d’activité et à la Belgique entière l’occasion de prouver au


monde qu’elle est aussi un peuple impérial capable d’en dominer et d’en éclairer d’autres. »1 * Ce roi eut un long règne sous lequel la Belgique devint une grande puissance économique, sans commune mesure avec l’exiguïté de son territoire et l’importance de sa population. La Wallonie industrielle accrut son écart économique avec la Flandre, malgré la tradition bourgeoise des villes flamandes et l’ancienneté de sa production textile. Cette dernière mit du temps à se remettre de la grande famine des campagnes en 1845. L’évolution du XIXe siècle entraîna le Nord et le Sud dans un développement capitaliste accéléré, avec cette dissymétrie qui allait en fin de compte miner l’émergence d’une conscience nationale belge : le ralliement des élites flamandes (industriels, commerçants, propriétaires fonciers, et même l’Église) à la francisation du pays. Majoritaire, la population flamande devait, paradoxalement, voir son influence politique croître avec la revendication démocratique du suffrage universel. Les dirigeants du pays reculèrent tant qu’ils le purent (et avec une extraordinaire capacité d’invention) cette échéance ; le suffrage

universel masculin ne fut instauré qu’en 1921, au lendemain de la Première Guerre. Les revendications nationales flamandes (la véritable « question nationale » du pays) demeurèrent sous-jacentes aux revendications sociales : à la veille de 14-18, le grève générale paralysait l’ensemble du pays. La richesse accumulée (la stabilité du franc-or) unissait les dirigeants, l’inégalité patente de sa distribution, les travailleurs. Le guerre renforça l’unité belge, mais le moment était venu, sous peine d’implosion du pays, de composer, tant sur le volet social que sur celui de la culture. Le parti ouvrier belge (POB), de révolutionnaire devint réformiste, et fut intelligemment associé par l’establishment aux décisions politiques ; l’ouverture de l’université de Gand, un siècle après l’indépendance, marqua symboliquement l’avènement d’une élite flamande s’exprimant dans sa langue. Celle-ci s’imposait à tous les niveaux du pouvoir étatique. La Seconde Guerre mondiale, par son intervention brutale (bien moins brutale qu’ailleurs), modifia pour un temps cette évolution interne.

UN OBSERVATEUR PERSPICACE Vingt ans après la fin du conflit, il était évident pour tout observa-

teur attentif que les institutions de « la Belgique à papa » devaient être repensées. J’ai relu récemment un document qui mériterait d’être republié, tant sa lucide intelligence éclate à chaque ligne. Intitulé L’idée de nation, paru en 1969, il n’a pratiquement pas pris de rides. Son auteur, Henri Buch2, brillant juriste (ULB, 1932), avocat puis magistrat avant guerre, conseiller d’État et spécialiste du droit administratif après guerre, parfait bilingue, fut sans doute sensibilisé à cette problématique par sa qualité de fils d’émigrés juifs de l’empire tsariste, de marxiste, et de belge baignant dans les deux cultures du pays. Ce qui étonne, à quarante ans de distance, dans l’analyse d’Henri Buch, c’est la conscience aiguë du retard déjà accumulé dans une réforme constitutionnelle vers plus de fédéralisme et plus d’autonomie des communautés. « Il faut dire que le facteur temps joue ici un rôle énorme. Pour avoir tellement traîné à prendre des décisions, dont l’on s’étonne qu’elles aient pu être tellement différées, l’on a largement amputé sur le temps nécessaire à la maturation des situations nouvelles. C’est pourquoi la situation se complique d’une hâte qui, pour n’être pas recommandable, n’en est pas moins la suite des re-

mars 2011 * n°314 • page 29


victoire politique des bourgeoisies modernes. » En 1969, on n’en est évidemment plus là. « Le maintien d’un cadre centraliste, rigide, incarné dans la position dominante exercée par Bruxelles n’est plus guère défendable. Au moment où la déconcentration et la décentralisation sont à l’ordre du jour dans l’Économie, il n’est pas étonnant qu’on reconnaisse leur nécessité dans le domaine politique. » *

Querelles linguistiques, collage de Jacques Aron

tards dans l’action. » Rappelant les grands traits de l’évolution du pays, Buch y ajoutait déjà « ce phénomène nouveau : les communautés européennes ». L’économie était en train de changer de taille, refoulant vers le passé l’alliance des bourgeoisies du Nord et du Sud, sans laquelle la nation belge n’aurait pas résisté aux tendances séparatistes déjà présentes dès sa formation. « Si le pro-

blème national belge ne s’était posé que dans les termes de la reconnaissance de l’existence de deux peuples, le jeune État belge de 1830, soumis aux pressions internes et externes de ceux qui voyaient d’un mauvais œil son indépendance, n’aurait pu résister longtemps. Dans le contexte du XIXe siècle, le sens national manifesté à l’échelle de l’État tout entier constitue un fondement de la

mars 2011 * n°314 • page 30

Toutefois, l’auteur ajoutait aussitôt : « Mais il y a décentralisation et décentralisation. Celle-ci peut être conçue dans le cadre d’un État qui, pour l’essentiel, resterait unitaire, autrement dit dans lequel les intérêts des deux communautés nationales et du complexe bruxellois seront, comme par le passé, tranchés par des organes centraux communs aux deux nationalités. Dans cette optique, la « décentralisation » ne dépassera pas le stade de la province, division administrative existante, ou de la région qui répondrait mieux aux besoins économiques. À la limite, nous aurons le fédéralisme dont l’attrait semble grandir. Il s’agira cette fois de faire régler un certain nombre d’intérêts plus ou moins importants de chaque communauté par cette communauté


elle-même ; et ces intérêts seront non seulement culturels, mais, comme il a été dit ci-dessus, ils dépasseront cette conception ancienne de la Nation pour recouvrir le terrain économique et social. » Vingt ans après, la Belgique entrait dans la voie fédérale. * Ce qui se présente aujourd’hui, après deux nouvelles décennies, s’inscrit dans un contexte de crise économique, où prédomine un modèle néolibéral et où les organisations ouvrières et syndicales, le monde du travail en général, se trouvent sur une position de repli, préoccupés à juste titre de la défense des acquis sociaux d’après-guerre. L’offensive est ailleurs, notamment dans les milieux de la droite nationaliste flamande. Leurs revendications s’appuient sur un singulier mélange de ressentiments déjà anciens, nous l’avons vu, et de tentatives (qui ne sont pas propres à la Belgique) des régions les plus riches de larguer les moins riches, voire les plus pauvres, et de mettre la main sur les bijoux de famille. L’opération rencontre toutefois ses limites dans le risque de perdre un certain nombre de positions acquises par la majorité flamande au niveau de l’État central,

voire de compromettre le rôle de Bruxelles dans la politique européenne, rôle dont bénéficie certainement le pays tout entier. Et, puisque j’ai commencé cet article sur un ton plus léger, dans cet esprit d’humour et d’autodérision que connaissent seuls les États sans prétentions impériales, finissons, comme il est aujourd’hui de mode, par une expression latine qui évite nos querelles linguistiques : Vade retro Bartanas ! ■

Le poème dont est extrait le titre de l’article a paru dans : Jacques Aron, La mémoire obligée, avant-propos de Serge Moureaux, Devillez, 1999

1 Le Duc de Brabant, futur Léopold II, in : Cte Louis de Lichtervelde, Léopold II, Les Presses de Belgique, 1949, p. 49. 2 Le Dictionnaire biographique des Juifs de Belgique de Jean-Philippe Schreiber (De Boeck et Larcier, Bruxelles, 2002) consacre une notice détaillée à Henri Buch (19101972) et à sa sœur Édith, avocate. La nomination (1936) de Henri Buch comme juge à Anvers entraîna la protestation antisémite du Barreau, relayée par le député Léon Delwaide. Nommé à Bruxelles en 1937, il entra en 1941 dans la résistance, fut arrêté en juillet 1944, torturé, puis déporté. Nommé conseiller d’État, il sera l’objet pendant la guerre froide d’une véritable cabale anticommuniste. En 1961, il devint professeur de droit administratif à l’ULB et dirigea le Centre de Philosophie du Droit avec Chaïm Perelman. C’est à ce titre qu’il intervint en 1965 à l’Institut International de Philosophie de Florence sur La question nationale en Belgique. La brochure L’idée de nation constitue le développement de cette intervention.

mars 2011 * n°314 • page 31


activités dimanche 13 mars à 17h30 – au cinéma Arenberg

(Galerie de la Reine 28 - 1000 Bxl)

L’Union des Progressistes Juifs de Belgique, en partenariat avec l’Institut de la Mémoire Audiovisuelle Juive, IMAJ, et le Centre Européen de Traduction Littéraire, C.E.T.L., vous invite à une projection exclusive de

Traduire, un film de Nurith Aviv en présence de la réalisatrice Enthousiasmés par ses films précédents, nous sommes heureux de vous présenter le dernier film de la trilogie de la cinéaste franco-israélienne Nurith Aviv qui fait ici un tour du monde des traducteurs de l’hébreu. Chez eux, à leur table de travail ou dans leur salon envahi de livres, des hommes et des femmes, passionnés passeurs de l’ombre, racontent leur histoire d’amour, riche, parfois compliquée, avec l’hébreu. Ils viennent du monde entier. Ce sont d’éminents traducteurs, de la kabbale, de romans classiques ou de poésies du XXe siècle. Chacun explique comment il a rencontré, assimilé l’hébreu, cette langue si particulière, à la fois sacrée et populaire, une langue théologiquement, historiquement et politiquement chargée. Les témoignages sont passionnants car ils éclairent des trajets personnels, mais aussi les arrière-plans linguistiques, les différentes strates (l’araméen, le yiddish, l’arabe...) contenues dans la Torah, dans la littérature hébraïque médiévale ou dans le Midrash, ces commentaires des textes sacrés. « Traduire, voyage polyglotte dans la chair de la langue, ouvre ainsi une entreprise érudite à la sensibilité ». (Jacques Mandelbaum, Le Monde) Image : Nurith Aviv, Sarah Blum, Itay Marom Son : Nicolas Joly, Michael Goorevich Montage et animation graphique : Effi Weiss Mixage : Michael Goorevich Musique : Werner Hasler Direction de production : Florence Girot, Florence Gilles Produit par : Serge Lalou, Les Films d’Ici et Itai Tamir, Laïla Films en coproduction avec KTO

PAF : 6,60 EURO membres UPJB et pré-vente au 02.537.82.45 (le matin) ou courriel upjb2@skynet.be 8 EURO sur place 5,40 euro étudiants

mars 2011 * n°314 • page 32


vendredi 18 MARS à 20h15*

L’antisémitisme à gauche Conférence-débat avec

Michel Dreyfus, historien et directeur de recherche au CNRS En publiant, aux Éditions La Découverte, un livre sous ce titre, l’auteur savait qu’il ferait évidemment débat : un antisémitisme à gauche ou de gauche ? C’est toute l’histoire d’un paradoxe qu’il analyse en détail de 1830 à nos jours. L’antisémitisme, quel qu’il soit doit être condamné, mais il faut bien le comprendre pour le combattre efficacement. Présentation et animation du débat par Jacques Aron PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO

mercredi 23 mars à 20h15 – dans le cadre de la semaine contre le racisme Le groupe de travail d’Éducation permanente « Gens du Voyage » du Mouvement contre le Racisme, l’Antisémitisme et la Xénophobie (MRAX), l’Union des Progressistes Juifs de Belgique (UPJB) et la section ULB des Étudiants FGTB proposent :

Roms et gens du voyage : entre Holocauste oublié et banalisation de l’exclusion ? avec au programme la projection du documentaire Des Français sans histoire de Raphaël Pillosio

et un débat, modéré par Azzedine Hajji, avec Frank Seberechts, chercheur à l’ADVN et auteur d’une étude à paraître sur la situation des Gens du Voyage avant, pendant et après la seconde guerre mondiale Vincent Lurquin, député ECOLO au parlement de la Région de Bruxelles-Capitale et auteur d’une proposition d’ordonnance visant à modifier le code du logement dans le sens d’une reconnaissance de l’habitat mobile comme habitation

- Reconnaissance progressive du génocide des Tsiganes - Des persécutions qui continuent toujours - Une soirée pour dynamiser le débat dans nos contrées Pour plus de détails, voir l’annonce sur le site www.upjb.be PAF: 5 EURO, tarif réduit: 2 EURO

mars 2011 * n°314 • page 33


activités vendredi 25 mars à 20h15 Après Tel-Aviv et en première diasporique (mondiale)

Épiphanie en vacances Un film d’Effie Weiss et Amir Borenstein (en présence des réalisateurs) Présentation : Gérard Preszow « Portant un petit sac-à-main et équipée d’une oreillette, Épiphanie, agent secret, entre dans la chambre 117 d’un l’hôtel de luxe de Bâle. C’est la vraie chambre où Théodor Herzl, le visionnaire de l’État juif, séjourna durant le premier Congrès sioniste il y a 130 ans, et sur le balcon de laquelle la fameuse photo a été prise. Après avoir inspecté la chambre et accompli quelques préparatifs, elle attend. Un appel téléphonique ? Le bon moment ? Une révélation ? Épiphanie en vacances, c’est la rencontre entre une utopie réalisée et ses origines fantasmatiques. Une rencontre de la réalité avec elle-même comme simple possibilité. C’est une part des préoccupations d’Effi et d’Amir à propos de la naissance de l’État juif et de la tension entre une Idée et les essais pour la concrétiser. » Epiphany On Vacation_2010_video_24’25 | versions : English s.t., Français Cette soirée sera aussi l’occasion de voir d’autres réalisations d’Effi et Amir, parmi lesquelles celles issues des ateliers qu’ils animent avec des enfants palestiniens à Hebron, dans les Territoires occupés. Pour en savoir plus : www.effiandamir.net PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO

vendredi 1er avril à 20h15

L’UPJB et « Paix juste au Proche-Orient Ittre » vous invitent à

une soirée de solidarité avec le village bédouin non reconnu

Al Araqib du Nakab-Néguev Le Fond National Juif, organisation semi-gouvernementale, avec l’aide de la police et de l’armée, a décidé de planter, grâce à l’aide de God-TV, télévision d’une secte chrétienne évangélique, une forêt à la place d’Al Arakib. Le groupe Paix Juste au Proche-Orient (PJPO) d’Ittre a décidé de lutter aux côtés des habitants de ce village d’Israël victime de la politique de judéisation du désert du Naqab – Néguev. Avec l’organisation judéo-bédouine « Negev Coexistence Forum (NCF) », nous voulons participer à 3 actions de solidarité afin d’aider la tribu Aturi à se maintenir sur ses terres : 1. Aide financière pour la reconstruction de leurs « cabanes » condition indispensable pour survivre plus ou moins décemment après chaque destruction. 2. Organisation d’expositions de photos prises par les enfants d’Al Arakib, afin de leurs permettre de participer à la résistance de leurs parents. 3. Cours d’anglais pour les habitants, langue indispensable pour communiquer avec les médias et les militants internationaux. Soutien financier au compte BE48 0014 3559 3027 PJPO Ittre, mention Al Arakib 2011 (pour plus de détails, voir www.upjb.be)

Le débat animé par Uri Zakheim, militant israélien et Marco Abramowicz sera précédé de la projection d’un film reportage de Patrick Monjoie sur le village d’Al Arakib. PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO mars 2011 * n°314 • page 34


samedi 2 avril à 20h15 Conférence-débat avec Benoît philosophe

Peeters autour du Jacques Derrida, Images d’une Vie

(1930-2004) « Que peut-on savoir d’un homme ? », se demandait Sartre. C’est une question qui me passionne. Je n’ai pas seulement voulu décrire le parcours de Derrida, j’ai tenté de le comprendre, depuis ses blessures de jeunesse : l’exclusion de l’école à 12 ans en tant qu’enfant juif né en 1930 dans l’Algérie coloniale ; la difficile intégration au milieu parisien ; la guerre d’Algérie, une autre expérience traumatique décisive qui a nourri sa pensée politique ultérieure et notamment ses interventions courageuses sur Nelson Mandela ou le conflit israélopalestinien, comme s’il avait cherché toute sa vie à réparer cette déchirure ; les rejets subis dans le monde universitaire français, qui ont contribué à donner à sa pensée et à son œuvre une dimension véritablement mondiale. Il ne s’est jamais senti Français, au sens restrictif du terme : il a toujours été du côté de « l’autre », des sanspapiers, de l’hospitalité... C’est l’une des raisons pour lesquelles il nous manque tellement aujourd’hui ». Auteur au talent protéiforme, Benoît Peeters a passé « Trois ans avec Derrida » et propose une nouvelle porte d’entrée dans cette œuvre abondante qui paraît intimidante. Faire vivre le philosophe en son siècle en soulignant notamment la dimension politique de sa pensée, entrer dans son intimité, montrer un Derrida fragile et tourmenté, un Derrida sensible et lyrique, qui se rêvait écrivain au moins autant que philosophe, c’est ce qu’il se prépare à faire avec nous, lors de cette soirée animée par Alexandre Wajnberg, sans pour autant prétendre qu’il s’agisse du « vrai » Derrida. La notion de vérité est d’ailleurs l’une de celles qu’il n’a cessé de déconstruire, pour reprendre l’un de ses maîtres-mots. PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO

UPJB-Jeunes — Visite du Musée de la Déportation et de la Résistance dimanche 3 avril à 14h30 Le dimanche 3 avril, l’UPJB jeunes organise une visite du Musée juif de la Déportation et de la Résistance à Malines. La visite sera guidée par Jo Szyster. Les moins jeunes de l’UPJB qui désirent y participer sont les bienvenus. Rendez-vous à 14h30 au Musée. Caserne Dossin, 153 Goswin de Stassartstraat à Malines. Un co-voiturage est possible. Téléphoner au secrétariat 02.537.82.45

mars 2011 * n°314 • page 35


activités Atelier d’écriture de récit de vie à l’UPJB Écrire pour ordonner des fragments épars découvrir une nouvelle teinte à un passé toujours changeant mettre le doigt sur les refrains de notre vie rendre hommage à -ou se distancer de- nos origines Écrire pour transmettre revivre les joies qui nous ont porté(e)s... À chaque séance, des propositions mèneront les participants à l’écriture de leur récit de vie. (Nous visiterons les racines, la transmission, l’identité, les différentes étapes de la vie,...) Il s’agit d’un cycle de 10 séances de 3 heures. Horaire Contact Prix Inscription

: de 10 à 13 heures les samedis 5, 19 et 26 mars, 2, 9 et 30 avril, 7, 14, 21 et 28 mai : 0476.99.32.96 – lara.erlbaum@yahoo.fr : 135 EURO (membres) / 160 EURO (non membres) : Lara Erlbaum 310-0755684-43

Les inscriptions sont limitées, dépêchez-vous !

À propos de l’atelier d’écriture de récit de vie Vous vous présentez à un atelier d’écriture de récit de vie pour deux grandes raisons. Même si souvent l’une cache l’autre. Soit vous aimez écrire. Que ça s’appelle récit de vie ou pas, peu importe, on écrit toujours à partir de soi. Ou alors il y a quelque chose qui vous brûle la gorge. Et vous n’arrivez pas à le crier. Petite ou grande déchirure, c’est à cet endroit que crépite la flamme, et tout ce qu’on écrit vient de là. Alors de deux choses l’une. Soit vous le gardez caché comme un trésor, parce que c’est ce secret qui vous fait écrire. Ou alors, votre fardeau pèse tant et tant que vous sentez le moment venu de le déposer, et peut-être de passer à autre chose. Parfois d’abord, on circonvolutionne et on périphrase par allusions. L’idée de se dévoiler devant des gens qu’on ne connaissait pas il y a une ou deux semaines nous prend de vertige. On attend d’abord d’être assurés qu’en dehors d’échos à propos de notre écriture, jamais nous ne recevrons de jugement quant à nos choix de vie. Alors seulement, forts de cette assurance, on peut désceller le fermoir qui murait nos blessures. Il se peut qu’en lisant, une larme perle au coin de l’œil. On l’accueille avec bienveillance. Émotions – rires ou larmes – ne sont pas proscrites. Il est arrivé aussi qu’à l’audition d’un texte, ce soit tout le groupe qui pleure. Parfois, il se produit qu’une tristesse soit enterrée si profond qu’on a oublié qu’elle existe. Et puis au détour d’une proposition d’écriture, la voilà qui ressurgit alors qu’on ne l’avait pas invitée. Ce qui se laissera montrer au travers du texte qui en découlera, certes pas un désespoir grandiloquent. Une émotion effleurée du bout des lèvres, pour qui saura la débusquer entre deux lignes. Perec n’est pas loin. C’est peut-être cela, l’écriture de l’enfant qui se cache. Lara Erlbaum

mars 2011 * n°314 • page 36


écrire 1942* Je ne sais pas quel jour nous sommes, mais on n’est pas dimanche. Ma mère me tient par la main. Je crois qu’elle a peur de me perdre, et pourtant c’est moi qui la guide. Je vois bien qu’elle est désorientée. Elle regarde de tous les côtés en même temps. Elle hésite. Je ne sais pas ce qu’elle cherche. Je crois que nous sommes perdus ou peut-être qu’elle attend quelqu’un. Je ne sais pas ce que nous faisons là. Il y a des arbres, c’est beau. Nous sommes sûrement au Bois de la Cambre, et pourtant, on n’est pas dimanche. Ça, je le sais. Maintenant, elle se dirige vers un inconnu. Ils se parlent. Ma mère m’explique qu’on va faire une belle photo de nous deux. Je n’en vois pas l’utilité. Elle sort un peigne de son sac. Je suis très étonné de cet objet, je ne l’ai jamais vu à cet endroit-là. Moi qui ai l’habitude de fouiller dans son sac à main. C’est mon jeu préféré. On y trouve tellement de choses pour grandes personnes. Mais ce peigne, dont j’ai horreur, je ne l’avais jamais vu là. Ma mère me le passe dans les cheveux. Je n’aime pas ça. Elle me dit que je suis belle. Je n’aime pas ça non plus. Cela me fait rire et j’ai peur. Elle ne parle pas bien le français. Elle dit une belle peigne, une belle homme, et moi je suis une belle garçon. Elle me peigne et j’ai peur de ressembler à une fille. Ma mère se met bien droite et regarde l’homme qui fait des photos. J’en profite pour vite me décoiffer. - Attention, le petit oiseau va sortir...Souriez... Il y a des gens qui ne parviennent pas à sourire. Pourquoi sont-ils si sérieux ? Un petit sourire s’il vous plaît. Et pourquoi il me fait une grimace ce petit ? - Attendez un instant. Écoute-moi bien, Harry. Nous allons faire une belle photo que tu garderas en souvenir de moi. Demain, on ira te cacher chez une dame, très gentille. Tu l’appelleras Bobonne. Et tu auras un nouveau nom. Je veux que tu souries rien que pour la photo, fais-moi plaisir. Elle me regarde, elle ressort son peigne, mais c’est avec ses doigts qu’elle me caresse les cheveux. - Madame, il y a un beau rayon de soleil maintenant. Il faut faire vite. La photo sera plus belle avec dans le fond, les arcades du Cinquantenaire bien éclairées. Je n’avais jamais remarqué ces arcades dans le Bois de la Cambre. - Je voudrais un souvenir de mes deux enfants. Malheureusement je n’ai pas eu le temps de faire une photo du plus grand, dans cette belle endroit de la forêt de Soignes. Il est déjà caché. - Attention... Ne plus bouger. Ne plus respirer. Souriez maintenant. Mais faites un petit effort... Souriez, s’il vous plaît... mais souriez... Ce n’est pas difficile... Fourmisseau (Henri Erlbaum) * Ce texte a été écrit dans le cadre de l’atelier d’écriture du Service Social Juif, donné par Lara Erlbaum.

mars 2011 * n°314 • page 37


UPJB Jeunes Y a qu’à danser ! NOÉMIE SCHONKER

B

al, réunion, préparation du camp de Carnaval, réunion, visite, rencontre, création et répétition du jeu de rôle pour la Museum Night Fever, réunion… Heureusement que tout cela est passionnant, voire enivrant, sinon la sinusite qui me presse la tête aurait tout aussi bien pu passer pour une réunionite aigüe… « Bal petit bal, où je t’ai connu »… Heu, non. « On s’est connu, on s’est reconnu, on s’est perdu de vue, on s’est reperdu de vue, on s’est retrouvé, on s’est réchauffé… » et puis on a dansé ! L’UPJB-jeunes attendait le Grand Bal Yiddish 2011 avec impatience et s’y donna à cœur joie ! Pour cette cuvée 2011, les jeunes ont investi les préparatifs de ce moment phare de la vie de notre communauté intergénérationnelle, de notre grande famille upéjibienne ! Peu de promotion et pourtant les places se vendent comme des petits pains. Fanny, bourse et tickets à la main, ne sait plus où donner de la tête : « Trois adultes, un enfant ! Deux enfants, un adulte, un non membre ! Quatre jeunes ! » Qui dit mieux ! Devant le 61, des anciens monos, des parents, des enfants et quelques autres membres de l’UPJB s’arrachent les « dernières » préventes. Les Jospa grimpent dans le tram, leurs vêtements de soirée

sous le bras, direction la Maison Haute de Boitsfort. Les tables sont déjà montées, restent à les décorer, à gonfler quelques ballons, à se rendre utiles là où on peut. Réquisitionnés dès l’aurore, Manjit, Judith, sa sœur, et ses copains s’activent en cuisine afin de mettre en musique le buffet signé « Dunkelman ». Ils sentent l’oignon, la betterave et le hareng, le foie, l’aubergine et le persil… Au local, Abeille et ses petits

mars 2011 * n°314 • page 38

m’assistent en cuisine, plongent leurs mains dans la farine, pétrissent la pâte, coupent les poires, goûtent les fruits qui chauffent sur le feu, lèchent le chocolat dans la casserole. Le crumble à peine répartit dans les ramequins, les tartes prêtes à être allongées, la salle du rez-de-chaussée est assiégée par les Korczak et les Marek venus répéter les pas de danse afin de ne pas rester sur le carreau le soir venu.


Les organisateurs – au passage mazl tov ! – comptent dix moniteurs sur la liste des tournantes à l’entrée et confient le bar à l’Entr’Act. Sans transition, une douche, des vêtements frais, un coup de rimmel, un sproutch de parfum, les tartes et les gâteaux dans le coffre, des monos à l’avant et à l’arrière de la voiture, « yiddish tanz rivaïvele », on arriiive ! Mouvements de tête gauche droite, claquages de bises en continu, embrassades chaleureuses... La première demi heure, on s’abaisse, on se hisse, on passe de bras en bras, les discussions s’entament mais ne se terminent pas. Ce n’est qu’après avoir abandonné l’espoir de saluer tout le monde, et quel monde !, que les papottes, les retrouvailles, les apartés se font. Le récit de mon récent voyage s’arrête net. « C’est la chorale, tu sais, celle que Mouchette a monté à l’UPJB, « Rue de la Victoire » ! Invitation à la danse, ouverture de bal, l’étincelle qui allume le feu qui s’embrase en un rien de temps. Je ne connais pas d’autres lieux à Bruxelles où vieux, parfois même très vieux, quinquagénaires, trentenaires, jeunes gens, ados et enfants dansent, avec égal amusement, les mêmes pas, sur la même musique… Ensemble, jusqu’au bout de la nuit, enfin presque. Les jeunes s’étonnent de la forme de certains, les anciens de la présence et de l’enthousiasme des jeunes : « Le bal était vraiment super ! J’ai surtout été impressionnée et touchée par les jeunes qui ont dansé beaucoup et très bien ! Même du temps de l’UJJ, il n’y avait pas autant de jeunes (et surtout pas du côté des hommes !) qui connaissaient si bien les pas et qui avaient autant de plaisir à danser ». ■

Carte de visite L’UPJB Jeunes est le mouvement de jeunesse de l’Union des progressistes juifs de Belgique. Elle organise des activités pour tous les enfants de 6 à 15 ans dans une perspective juive laïque, de gauche et diasporiste. Attachée aux valeurs de l’organisation mère, l’UPJB jeunes veille à transmettre les valeurs de solidarité, d’ouverture à l’autre, de justice sociale et de liberté, d’engagement politique et de responsabilité individuelle et collective. Chaque samedi, l’UPJB Jeunes accueille vos enfants au 61 rue de la Victoire, 1060 Bruxelles (Saint-Gilles) de 14h30 à 18h. En fonction de leur âge, ils sont répartis entre cinq groupes différents.

Bienvenus pour les enfants de 6 ans ou qui entrent en

Les 1ère primaire Moniteurs :

Alice : 0477/68.77.89

Axel : 0471/65.12.90 Josepha : 0479/19.15.15 Charline : 0474/30.27.3 Les pour les enfants de 7 à 8 ans Moniteurs : Shana : 0476/74.42.64 Sacha : 0477/83.96.89 Lucie : 0487/15.71.07 Milena : 0478/11.07.61 Les pour les enfants de 9 à 10 ans Moniteurs : Mona : 0474/42.37.72 Manjit : 0485/04.00.58 Fanny : 0474/63.76.73 Clara : 0479/60.50.27 Les pour les enfants de 11 à12 ans Moniteurs : Lenny : 0474/94.88.15 Valentine : 0494/59.43.09 Sarah : 0471/71.97.16 Totti : 0474/64.32.74 Les pour les enfants de 13 à 14 ans Moniteurs : Yvan : 0474/35.96.77 Marie : 0472/67.11.09 Noé : 0472/69.36.10 Maroussia : 0496/38.12.03

Marek

Janus Korczak

Émile Zola

Yvonne Jospa

Informations et inscriptions : Noémie Schonker - noschon@yahoo.fr - 0485/37.85.24

mars 2011 * n°314 • page 39


vie de l’upjb Le Bal Yiddish Le succès de notre Bal yiddish biennal ne se dément décidément pas. Il faut dire qu’avec L’orchestre Yiddish Tanz Rivaïvele égal à lui même, c’est à dire excellent, un somptueux buffet self-service et un public dans lequel plusieurs générations se côtoyaient et qui ne demandait qu’à vibrer au son de la musique, tout les ingrédients étaient une fois encore réunis pour créer une ambience électrique. Et ce fut le cas.

mars 2011 * n°314 • page 40


Photos Henri Wajnblum

mars 2011 * n°314 • page 41


écouter Ils voyagent en solitaires NOÉ

J

’ai les yeux rivés sur l’ordinateur familial. Mon père me glisse un CD qu’il a été me chercher à la médiathèque du passage 44. Avant d’en faire une de mes résidences secondaires, j’y envoyais d’autres que moi chasser la perle rare. Cette fois-ci, mon père me ramène une dizaine de morceaux qui font tache entre ceux de Jean-Roger Caussimon et ceux de Boby Lapointe qui m’avaient été offerts à la même époque par l’ami Fabian. Peut-être ai-je bien fait de tendre l’oreille à la trouvaille de mon paternel. Sans cela, j’aurais tracé une croix indélébile sur « Y’a une route » (1975) et sur Gérard Manset, son auteur, au risque de n’y jamais revenir. Tout au long de la dernière décennie, je croise la plume de Manset à plusieurs reprises, au détour de morceaux écrits pour d’autres. L’inquiétant « La nuit des fées » pour Indochine, les déments « Manteau Jaune » et « Concordia » pour Raphaël. En 2008, j’ai un choc lorsque je découvre l’album Manitoba ne répond plus. La version de « Comme un lego », initialement chanté par Alain Bashung, me glace. Je garde toujours ce texte à porté de main. L’hymne à l’humilité dans lequel je me réfugie quand je perds le nord : C’est un grand terrain de nulle part/Avec de belles poignées d’argent/La lunette d’un microscope/Et tous ces petits êtres qui courent/Car chacun vaque à son destin/Petits ou

grands/Comme durant les siècles égyptiens/Péniblement… La voix indécise de Manset qui s’irrite sur « Le pays de la liberté », c’est bouleversant. Quarante ans qu’il chante la même chanson. Quarante ans que le mystère Manset traîne son ombre, auréolé de sa mélancolie ravageuse. Manset c’est un interminable cri au milieu du silence. Un murmure quand les hurlements vagabondent. Il est l’anachorète de la chanson. Manichéen si l’on se limite à la façade, délicat si l’on creuse. Mais il faut creuser. Dépasser les effets sonores, les saturations, les échos caractéristiques et les mélodies analogues. L’homme est sans frontières. Il chante le chaos, les horizons déglingués, la captivité. Il voyage en solitaire/ Et nul ne l’oblige à se taire/ Il chante la terre. Ainsi va le poème elliptique de Gérard Manset, qu’il fait bon se rappeler pour qui s’est trompé de chemin. * Mars deux mille huit. Les louanges de la presse vont au dernier album d’Alain Bashung. Il m’est offert. C’est dans notre voiture, aux abords de la Rue Neuve, que je découvre Bleu Pétrole. J’introduis la galette dans la radio. Silence. Nous sommes bouche bée. Résidents, résidents de la république/ Où le rose a des reflets bleus/ Résidents, résidents de la république/ Chérie, des atomes, fais ce que tu veux...

mars 2011 * n°314 • page 42

En écrivant l’album, Gaëtan Roussel ouvre une brèche dans l’œuvre de son interprète en y cultivant la simplicité du verbe et des arrangements musicaux. Les

images sont décryptables, les textes sont concis. Mélodies soignées et accrocheuses. Je regrette l’absence de Jean Fauque et de ses envoutantes allégories tombées de nulle part avec des « La nuit je mens » ou « Angora ». Je regrette l’époque où Bashung et Gainsbourg éclusaient des nuits entières et dont les beuveries donnaient des « Volontaire », ou « C’est Comment Qu’on Freine ? ». Vingt-deux mai deux mille huit. Le Cirque Royal tout entier le sait. C’est la dernière fois. Dernière soirée avec le plus majestueux des rockeurs, avant de le laisser partir. La salle déborde d’impatients. S’écroulera, s’écroulera pas ? « Je vous souhaite la force », Alain Bashung arrive seul. Le chapeau recouvre les cheveux qu’il n’a plus. Les lunettes noires cachent les sourcils qu’il a perdus. Il


serre son immortelle Gibson noire et démantèle le lego de Manset. Le jeu de scène est rôdé, les musiciens habiles. La distance entre Bashung et nous est immense. Peu à peu tout me happe/ Je me dérobe, je me détache/ Sans laisser d’auréole/ Les cymbales, les symboles / Collent / On se rappelle / On se racole/ Peu à peu tout me happe… * 2005. Sur les conseils de l’ami Benjamin, je m’en vais à la médiathèque emprunter des disques d’Hubert-Félix Thiéfaine. Sale gueule du rock français. Fils de Lautréamont, de Léo Ferré. Laissé pour mort à plusieurs reprises, refusant catégoriquement de fai-

re partie de la meute. Isolé des médias quels qu’ils soient. Pas de concession. Stupéfiant dictionnaire vivant. Il jongle avec les mots comme le clown avec ses quilles. Car Thiéfaine est un farceur aux interminables tirades narquoises : J’me sens coupable de garder mes lunettes noires de vagabond solitaire/Alors que la majorité de mes très chers compatriotes ont choisi de remettre leurs vieilles lunettes roses/ A travers lesquelles on peut voir les pitreries masturbatoires de la sociale /En train de chanter « c’est la turlutte finale ! » Son œuvre est parsemée d’indé-

chiffrables messages codés. L’énigme est insoluble. Le poète est immense. Le personnage inabordable. Descendre dans la soufflerie/ Où se terre le mystère inquiet/ Des ondes et de l’asymétrie/ Des paramètres aux cœur violet/ Je vois des voiles d’aluminium/ Au fond de mon regard distrait/ Des odeurs de mercurochrome/ Sur le registre des mes plaies / Le vent glacé sur mon sourire/ Laisse une traînée de buée/ Quand je regarde l’avenir/ Au fond de mes yeux nécrosés/ Le vide à des lueurs d’espoir/ Qui laisse une ombre inachevée/ Sur les pages moisies de l’histoire/ Où je traîne ma frise argentée * Cet après-midi, Fabrice Luchini est l’invité de Michel Drucker. Le présentateur est mielleux, le comédien prodigieux. Leny Escudero vient chanter « Ballade à Sylvie » et « Pour une amourette ». Quatre-vingt ans. L’homme est maigre, la voix vacillante. Mais ses ardeurs d’il y a cinquante ans sont toujours là. Puis il raconte sa fuite d’Espagne, en 1939. Leny promet d’encore chanter les luttes pendant les vingt années à venir. Je m’en voudrais de le rater lors de sa venue à Bruxelles, puisqu’il repart sur les routes cette année, accompagné par ses petits-fils. * Andrée Chédid (1920-2011), « Qui reste debout ? » D’abord/ Efface ton nom/ Abolis ton âge/ Supprime tes lieux/ Déracine ce que tu sembles /Qui reste debout ?/ Maintenant/ Ressaisis ton nom/ Revêts ton âge/ Adopte ta maison/ Pénètre ta marche/ Et puis/ À n’en plus finir/ Recommence… ■

est le mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique (ne paraît pas en juillet et en août) L’UPJB est soutenue par la Communauté française (Service de l’éducation permanente) Secrétariat et rédaction : rue de la Victoire 61 B-1060 Bruxelles tél + 32 2 537 82 45 fax + 32 2 534 66 96 courriel upjb2@skynet.be www.upjb.be Comité de rédaction : Henri Wajnblum (rédacteur en chef), Alain Mihály (secrétaire de rédaction), Anne Gielczyk, Carine Bratzlavsky, Jacques Aron, Willy Estersohn, Tessa Parzenczewski Ont également collaboré à ce numéro : Mateo Alaluf Roland Baumann Henri Erlbaum Lara Erlbaum Léon Liebmann Thérèse Liebmann Noé Gérard Preszow Noémie Schonker Youri Lou Vertongen Conception de la maquette Henri Goldman Seuls les éditoriaux engagent l’UPJB. Compte UPJB IBAN BE92 0000 7435 2823 BIC BPOTBEB1 Abonnement annuel 18 EURO ou par ordre permanent mensuel de 2 EURO Abonnement de soutien 30 EURO ou par ordre permanent mensuel de 3 EURO Abonnement annuel à l’étranger par virement de 40 EURO Devenir membre de l’UPJB Les membres de l’UPJB reçoivent automatiquement le mensuel. Pour s’affilier: établir un ordre permanent à l’ordre de l’UPJB. Montant minimal mensuel: 10 EURO pour un isolé, 15 EURO pour un couple. Ces montants sont réduits de moitié pour les personnes disposant de bas revenus.

mars 2011 * n°314 • page 43


courrier Jacques Bude, ancien professeur de psychologie sociale à l’ULB, nous a adressé ce courrier en réaction à l’article « Une radicalité identitaire ? » d’Alain Mihály, paru dans Points critiques n° 311 de décembre 2010 (dans le cadre du dossier « De la libre expression ») SOUHAIL CHICHAH N’EST NI ANTISÉMITE NI NÉGATIONNISTE Dans son article Alain Mihály ne rapporte pas le moindre propos explicitement antisémite ou négationniste qu’aurait tenu Souhail Chichah. Il est dès lors inacceptable de proférer ou d’insinuer à son encontre les accusations infamantes d’antisémitisme et de négationnisme. Mais avant d’aborder l’univers étouffant et alambiqué de l’exégèse obsessionnelle – « (du) décryptage (d’une) stratégie discursive … (où) il faudra considérer qu’aucun des propos tenus n’est ni dénué de sens ni anodin » – attardons-nous un moment dans l’apaisante banalité des faits avérés. J’ai écouté et réécouté l’enregistrement des interventions de Souhail au cours du débat sur la liberté d’expression dont on se serait bien passé. Je n’y ai absolument rien détecté d’antisémite ou de négationniste. Vérifications faites, je suis loin d’être le seul de cet avis. De plus, je connais Souhail depuis très longtemps et je ne lui connais pas le moindre propos antisémite ou négationniste. Mais il y a mieux. Une amie, Barbara membre de l’UPJB, enseignait dans une école d’Anderlecht dont les élèves sont en quasi totalité issus de l’immigration maghrébine ou turque. Elle avait constaté que dans leur esprit, il y avait incompatibilité totale entre un musulman et un Juif ainsi qu’une animosité abstraite mais bien réelle et croissante

envers les Juifs. Barbara m’a demandé de venir dans son école, accompagné si possible d’une personne issue de l’immigration musulmane, afin de répondre aux questions de ses élèves. Je m’y suis rendu avec Souhail. Grâce à la vivacité d’esprit des élèves et à l’humour décapant de leur capacité d’autodérision, nous avons passé une après-midi très agréable et incroyablement instructive. À l’évidence, ces jeunes adolescents ne parvenaient pas à concevoir que des musulmans et des Juifs puissent être des amis. À leurs yeux, tous les musulmans de l’immigration étaient des petits commerçants, artisans, ouvriers généralement pauvres et peu instruits, alors que tous les Juifs étaient membres de professions libérales ou patrons généralement riches et très instruits. Il leur semblait aller de soi que tous les musulmans étaient pro-Palestiniens et anti-Israéliens et qu’à l’inverse, tous les Juifs étaient pro-Israéliens et anti-Palestiniens. Ils n’en revenaient pas que Souhail et moi étions amis, tous deux athées et issus du même milieu social – nos pères étaient tous deux manœuvres dans la sidérurgie, le sien aux hauts fourneaux de Clabecq et le mien à ceux d’Ougrée Marihaye –. Ils étaient sidérés d’apprendre qu’en 1940, plus de 90% des Juifs qui résidaient en Belgique étaient des étrangers, pour la plupart d’immigration récente constituée en grande majorité de petits commerçants, d’artisans indépendants, d’ouvriers peu qualifiés qui habitaient dans les quartiers où vivent aujourd’hui

mars 2011 * n°314 • page 44

des immigrations qui leur ont succédé. Ils ne tarissaient pas de questions sur cette immigration juive. Mais il n’a plus été question d’incompatibilité entre Juifs et musulmans ni de ce que tous les Juifs étaient puissants, riches et instruits. Je souligne au passage que Souhail porte autant d’attachement et de respect à son milieu d’origine que moi au mien et que comparer l’immigration juive des années 1920 et 1930 à celle de ses parents, n’a rien d’insultant, bien au contraire. C’est peu dire que Barbara, Souhail et moi étions sous le charme. Barbara a immédiatement proposé d’élargir l’audience aux autres élèves de l’école, leurs parents et particulièrement aux autres enseignants. Une date a été fixée, une salle communale d’Anderlecht réservée et des affiches ont été apposées. La veille de la séance, sans nous prévenir, la salle nous avait été retirée et la mention « annulé » barrait les affiches. L’explication donnée à Barbara était qu’on ne pouvait fournir une tribune communale à l’antisémitisme et, pour faire bonne mesure, il lui a été vivement conseillé de ne pas faire de vagues. Cette annulation venait directement du bureau de Jacques Simonet sur lequel des membres anderlechtois de la communauté juive avait fait pression. On le voit, l’aveuglement des obsessionnels de l’antisémitisme n’est pas neuf. Il s’est toutefois exacerbé ces dernières années. Ce qui nous ramène à l’article d’Alain Mihály. Les accusa-


tions d’antisémitisme et de négationnisme qui y sont proférées ou plutôt insinuées à l’encontre de Souhail, se fondent sur une accumulation d’amalgames et de procès d’intention qu’apparemment il considère comme une démons1 tration . Parmi les multiples amalgames, je ne mentionnerai que mon préféré : « S.C. (Souhail pour Alain Mihály) a, en deux mots, ‘condamné’ comme ‘racistes’ les propos de Dieudonné, moralement s’entend et non politiquement et a qualifié leur auteur de ‘bouffon’, ce qui enlève quelques degrés de gravité à cette condamnation et appartient, sans contexte, au lexique des défenseurs de l’ex-humoriste ». Donc, pour autant que j’y comprenne quelque chose, en qualifiant Dieudonné de raciste et de bouffon, Souhail se range parmi ses défenseurs. Parmi les procès d’intention : Pourquoi Souhail dit-il, redit et redit-il qu’il n’est pas antisémite ? Parce qu’il ne l’est pas ? Que non! Il s’agit de « la stratégie discursive mise en œuvre par S.C. (dont) le but est … d’évacuer la possibilité même d’être inquiété pour cause d’antisémitisme. » ; « L’association de l’adjectif ‘sales’ et du substantif ‘Juifs’ … ne pouvait que faire penser à … ‘sales Juifs’ et S.C. ne pouvait l’ignorer. »; Après avoir cité le raisonnement boiteux de Souhail qui se voulait sans doute provocateur – « Moi, la question du négationnisme, elle ne m’intéresse pas. D’ailleurs, je n’ai pas d’avis puisqu’il est interdit d’avoir un avis dessus donc en tant que légaliste, je m’en tiens à la vérité officielle. » – Alain Mihály commente : « Cette proposition n’est pas négationniste ‘au premier degré’ et son auteur n’a pas manqué d’insister ultérieurement sur sa reconnaissance du judéocide. Elle est cependant volontaire-

ment ambiguë puisque construite sur un mensonge juridique conscient. » À mes yeux, cette tortueuse et incompréhensible litanie d’amalgames et de procès d’intention démontre uniquement à quel point Alain Mihály est obsédé par l’antisémitisme. Tant ce qu’il dit me paraît tortueux et incompréhensible, tant ce qu’il ne dit pas me paraît limpide. Il est pour le moins étonnant qu’il qualifie de « scories médiatiques … hors propos » la Lettre ouverte officielle adressée aux Autorités académiques de l’ULB par M. Sosnowki en tant que Président du CCOJB et publiée dans Le Soir ainsi que la pétition adressée aux mêmes Autorités qui y fait suite et qui a recueilli plus de 1.500 signatures. Or, sans cette Lettre ouverte, le débat sur la liberté d’expression serait méritoirement passé inaperçu, il n’y aurait pas eu de pétition et l’article d’Alain Mihály tout comme d’ailleurs le dossier dont il fait partie, n’auraient pas existé. En fait, cet article et la lettre de M. Sosnowski sont indissociables. La projection d’un documentaire sur Dieudonné n’aurait pas dû s’inscrire dans un débat sur la liberté d’expression. Le Librex aurait dû prendre en compte le fait que depuis des décennies l’invocation de la liberté d’expression est l’un des instruments privilégiés de la propagande négationniste dont le but est de dédouaner l’extrême droite raciste. Souhail dont la prudence n’est manifestement pas la qualité majeure, n’aurait pas dû s’aventurer à débattre de la liberté d’expression sur ce terrain piégé. Mais de là à l’accuser d’antisémitisme et de négationnisme, il y a une ligne rouge qu’Alain Mihály n’aurait jamais dû franchir, d’autant moins qu’il le fait avec de bien tristes

« compagnons de route ». Dès le lendemain de ce regrettable débat, M. Sosnowski Président du CCOJB adresse officiellement aux Autorités académiques de l’ULB et au journal Le Soir une Lettre ouverte dont voici l’essentiel : « M. Chichah, assistant à l’ULB, n’arrêtera pas de franchir la ligne rouge par des propos vomitifs sur la Shoah ou sur les Juifs venus des pays de l’Est pour fuir les nazis, les qualifiant de ‘sales’.» … « Monsieur Van Damme, je vous accuse … (d’avoir laissé) la haine du Juif se développer dans l’enceinte de l’ULB, … ». « En temps que membre du corps académique de l’ULB, j’ai honte qu’un assistant de notre université soit autorisé à gaver ses étudiants de propos haineux. » « Cette soirée nauséabonde … nous aura appris une fois de plus que certains, par haine d’Israël, remettent en cause, sans complexe, la Shoah et mena2 cent la dignité des Juifs. » L’intention de nuire est évidente. Parmi les « scories médiatiques … hors propos », Alain Mihály place également une « pétition de soutien à SC ». C’est tout ce qu’il dit d’une pétition adressée aux Autorités académiques de l’ULB qui a recueilli plus de 1500 signatures et dont voici l’essentiel : « Nous, étudiants et chercheurs/professeurs de l’Université Libre de Bruxelles et nous, citoyens, demandons aux Autorités académiques de prendre leurs responsabilités face à la campagne diffamatoire de M. Sosnowski à l’encontre de M. Chichah et de M. Van Damme (; …) de rétablir M. Chichah et M. Van Damme dans leur honneur et nous réclamons des excuses publiques de M. Sosnowski. » Je résume. Les accusations calomnieuses portées à l’encontre de Souhail par M. Sosnowski en tant que président du CCOJB et

mars 2011 * n°314 • page 45


ses compagnons de l’UEJB d’une part et par Alain Mihály d’autre part, ainsi que les amalgames et procès d’intention que tous utilisent pour les étayer, sont les mêmes. Le fait que ces accusations soient abruptes et explicites chez les premiers et insidieuses et furtives chez le second, n’y change rien. Comme l’indique l’épisode anderlechtois, l’obsession de l’antisémitisme n’est pas neuve. Elle s’est toutefois exacerbée ces deux dernières années. Depuis l’opération « Plomb durci » et les attaques meurtrières contre les flottilles humanitaires, l’utilisation de la violence armée par l’État d’Israël contre les Palestiniens commence à perdre sa légitimité dans l’opinion internationale et même israélienne. Ce qui entraîne une mise en question de la légitimité de la colonisation de peuplement qui désintègre la société palestinienne, et des multiples crimes de guerre et crimes contre l’humanité au prix desquels cette colonisation se réalise. Ce n’est donc pas, comme on s’acharne de bonne ou de mauvaise foi à faire croire, la légitimité de l’existence de l’État d’Israël qui est mise en question, mais celle de sa politique délibérée et systématique de désintégration sociale – ce que le sociologue israélien Baruch Kim3 merling appelle « politicide » – des communautés palestiniennes en Israël-Palestine. La réaction d’un grand nombre de Juifs – fort heureusement pas tous, loin s’en faut – a été la conviction que cette perte de légitimité ne résultait pas d’une légitime révulsion envers la politique criminelle de l’État d’Israël mais de l’antisémitisme, porté notamment par l’immigration musulmane, que les justifications négationnistes ont débridé. Aujourd’hui, pour des raisons qu’il m’est impossible

d’analyser ici faute de place, cette poussée d’aveuglement communautariste déborde les milieux où il est, en quelque sorte traditionnel. Ce dont atteste, à mon sens, le bien curieux dossier de Points Critiques qui oublie les accusations publiques du CCOJB. Dénoncer les crimes de guerres et les crimes contre l’humanité perpétrés par l’État d’Israël n’est pas de l’antisémitisme. C’est tout simplement, que l’on soit juif ou non, refuser d’être complice de ces crimes. Par contre croire que parce qu’ils sont juifs, tous les Juifs avalisent ces crimes parce qu’ils sont commis par des Juifs, est de l’antisémitisme. Par conséquent tout ce qui porte à croire que tous les Juifs soutiennent l’État d’Israël quoi qu’il fasse, incite à l’antisémitisme. Cette incitation contribue à l’inquiétante renaissance de ce fléau bien d’avantage que les aboiements négationnistes – d’ailleurs très largement discrédités – de ceux que Vladimir Jankélévitch qualifie si justement de 4 chiens de la haine. À l’exception de quelques initiés, pour l’opinion publique et pas seulement dans les milieux de l’immigration musulmane, le président du Comité de Coordination des Organisations juives de Belgique, ne parle pas au nom de certaines de ces organisations, mais au nom de toutes ; pas au nom de certains Juifs mais au nom de tous. Que nous le voulions ou non, notre silence nous associe aux vociférants porte-parole d’une fantasmatique unanimité juive. Si l’on veut combattre la renaissance de l’antisémitisme, Il me paraît essentiel de briser cette fallacieuse image d’une unanimité juive, version auto-infligée des Protocoles des Sages de Sion. Le film Defamation de Yoav Shamir fait partie des remèdes contre la renaissance de l’antisé-

mars 2011 * n°314 • page 46

mitisme. La dénonciation par un Israélien juif des manœuvres de l’ADL (Anti-Defamation Ligue) et de la manipulation d’adolescents israéliens par le Mossad, met à mal l’image d’une solidarité juive à toute épreuve. Alain Mihály disqualifie ce film pourtant solidement étayé par l’unique commentaire : « film pour le moins 5 questionnable » . Il s’agit là d’une insinuation de plus. J’espère que l’UPJB organisera bientôt une projection de ce film suivi d’un de ces débats qui l’honorent depuis si longtemps. Après la large diffusion de la scandaleuse Lettre ouverte officielle du Président du CCOJB et du non moins scandaleux montage vidéo de l’UEJB, j’attendais une réaction de l’UPJB. Inutile de dire ma profonde déception à la parution du dossier de Points Critiques et mon écoeurement face aux calomnies, voilées ou non, à l’égard de Souhail qu’il contient. Souvent depuis cette diffusion et constamment durant la lecture du dossier, Marcel Liebmann me venait à l’esprit. Je suis certain que il nous aurait appelé à proclamer: « Pas en notre nom ». ■ Jacques Bude 1

Voici en quels termes Alain Mihály esquisse la « logique » de sa « démonstration ». Après avoir établi l’imbrication, – je le cite – « à l’inversion, il faudra donc ajouter la substitution et, subséquemment, la dépossession », puis la dépossession-identification et la forclusion. 2 Le 28/09/2010, Sosnowski demande, en tant que président du CCOJB, à être reçu par le Pro Recteur accompagné d’un délégué de l’UEJB et recommande « comme valant le détour » un montage vidéo sur le débat que cette organisation avait déjà largement diffusé et dont il fournit le lien électronique. Il est édifiant de comparer ce montage scandaleusement tendancieux à ce qui s’est effectivement passé au cours du débat. www.youtube.com/ watch?v=o4Ee0xjFZiI et www.sidimedia. blip.tv/ 3 Il s’agit de la politique mise en œuvre par A. Sharon au début 2002 – Opération


Remparts – et qui est toujours en cours. « Stratégie politico-militaire, diplomatique et psychologique ayant pour but la dissolution du peuple palestinien comme entité économique, sociale et politique légitime et indépendante. Cela peut inclure – mais pas nécessairement – leur nettoyage ethnique progressif, partiel ou complet, du territoire connu sous le nom de terre d’Israël ou de Palestine historique. » Baruch Kimmerling,

Du « politicide » des Palestiniens, Le Monde diplomatique, juin 2004, p.16-17. 4 « Aujourd’hui, quand les sophistes nous recommandent l’oubli, nous marquerons fortement notre muette et impuissante horreur devant les chiens de la haine ; nous penserons fortement à l’agonie des déportés sans sépulture et des petits enfants qui ne sont pas revenus. Car cette agonie durera jusqu’à la fin du monde. »

Vladimir Jankélévitch, L’Imprescriptible, Seuil, 1986. 5 Les éditorialistes du dossier – le Conseil d’administration de l’UPJB – ne font certainement pas mieux quand ils écrivent : « que le réalisateur soit israélien peut aider quelques âmes coupables à vider leur sac ». J’espère avoir mal compris.

L’UPJB recrute un/une permanent(e) mi-temps Contexte et description de la fonction L’Union des Progressistes Juifs de Belgique (UPJB) est une organisation juive militante ancrée dans le mouvement associatif progressiste. De plus amples informations peuvent être obtenues sur son site web (http://www.upjb.be , page « Qui sommes nous ? ») Le Conseil d’Administration recrute un/une permanent(e) a mi-temps. Cette fonction doit être assurée à partir du 1er avril 2011. Le/La permanent(e) est le point d’entrée de l’organisation, vers les membres et pour l’extérieur. Il/Elle anime et gère au quotidien la coordination des différentes commissions et bénéficie de l’appui logistique d’un trésorier et responsable des opérations, d’un secrétaire de rédaction, d’un responsable de la Maison de Jeunes ainsi que des compétences particulières de collaborateurs militants. Il/Elle •

• • • • • •

est la courroie de transmissions entre les membres, les commissions et le Conseil d’Administration , et veille au suivi et à la mise en œuvres des activités proposées par les commissions ainsi que de sa Maison des Jeunes et de sa revue mensuelle ; veille à une bonne information des membres via les outils de communications ( sites, newsletter, lettres aux membres) et à la mise à jour des fichiers des membres. veille à la promotion des activités vers les publics cibles, la presse,le monde associatif, culturel et politique veille à la tenue et au suivi des AG statutaires et des AG thématiques assure la liaison avec les différentes associations en lien étroit avec la nôtre veille à la disponibilité d’un porte-parole mandaté par le CA pour exprimer la position de l’UPJB, en particu lier lors d’événements réclamant une réaction urgente coordonne la rédaction de dossiers en vue de recherche de fonds ou subsides

Profil de compétences • diplôme universitaire (licence, master) • sens de l’organisation, esprit d’initiative, sens de la synthèse • capacité à rester serein dans les situations conflictuelles • bonnes aptitudes en communications orales et écrites • bonnes notions en néerlandais et/ou en anglais • maîtrise des logiciels de traitement de texte (Word) et de la messagerie électronique • Intérêt, affinité, sensibilité aux thématiques qui mobilisent l’organisation : la vie de l’UPJB ; cultures juives ; autres diasporas ; situation au Moyen-Orient ; politique belge et internationale ; mouvement de jeunesse • capacité à entretenir un réseau de relations dans le milieu associatif, et celui des médias. Conditions de travail et candidature • Contrat à durée indéterminée, répondant aux critères ACS • La fonction sera exercée à l’UPJB, 61 rue de la Victoire, 1060 Bruxelles • Date limite d’envoi des candidatures : 7 mars 2011 • Les candidatures ( lettre de motivation + CV ) doivent être envoyés à l’UPJB par courrier électronique, à l’adresse upjb2@skynet.be • Des renseignements complémentaires peuvent être obtenus auprès de Boris Gvirtman , par e-mail à la même adresse.

mars 2011 * n°314 • page 47


agenda UPJB Sauf indication contraire, toutes les activités annoncées se déroulent au local de l’UPJB, 61 rue de la Victoire à 1060 Bruxelles (Saint-Gilles)

dimanche 13 mars à 17h30 – Au Cinéma Arenberg

Traduire, un film de Nurith Aviv. Projection Traduire P exclusive en partenariat avec IMAJ et le C.E.T.L. (voir page 32)

vendredi 18 mars à 20h15

L’antisémitisme à gauche. Conférence-débat avec Michel Dreyfus, historien et directeur de recherche au CNRS (voir page 33)

mercredi 23 mars à 20h15

Roms et Gens du voyage : entre Holocauste oublié et banalisation de l’exclusion ? Projection du documentaire Des Français sans histoire de Raphaël Pillosio et débat avec Frank Seberechts, chercheur et Vincent Lurquin, député ECOLO au parlement de la Région de Bruxelles-Capitale (voir page 33)

vendredi 25 mars à 20h15

Épiphanie en vacances. vacances Un film d’Effi Weiss et Amir Borenstein (en présence des réalisateurs). réali sateurs). Après Tel-Aviv, première diasporique (voir page 34)

vendredi 1er avril à 20h15

Soirée de solidarité avec le village bédouin non reconnu Al Araqib du Nakab-Néguev. Débat animé par Uri Zakheim, militant israélien et Marco Abramowicz et projection d’un film reportage de Patrick Monjoie sur le village d’Al Arakib (voir page 34)

samedi 2 avril à 20h15

Conférence-débat avec Benoît Peeters autour du philosophe Jacques Derrida, Images d’une vie (1930-2004) (voir page 35)

club Sholem Aleichem Sauf indication contraire, les activités du club Sholem Aleichem se déroulent au local de l’UPJB tous les jeudi à 15h (Ouverture des portes à 14h30)

Éditeur responsable : Henri Wajnblum / rue de la victoire 61 / B-1060 Bruxelles

jeudi 3 mars

« Les pouvoirs publics belges face au culte israélite, 1830-1914 » par Caroline Sägesser, doctorante au Centre interdisciplinaire d’étude des religions et de la laïcité de l’ULB

jeudi 10 mars

Relâche (congé de « carnaval »)

jeudi 17 mars

« Leïca, ma Maman, mon héroïne. Une résistante de Solidarité Juive » par Monique Buhbinder

jeudi 24 mars

« De l’art holographique au stylo à bille ». Technique inventée et présentée par Paul Takahashi

jeudi 31 mars

« L’actualité politique » analysée et commentée par Léon Liebmann

et aussi jeudi 3 mars à 8h30

Rassemblement de soutien aux huit inculpés du CAS devant le Palais de Justice de Bruxelles (voir pages 12 à 15)

samedi 5 mars de 10h à 13h Prix : 2 EURO

Atelier d’écriture de récit de vie à l’UPJB, animé par Lara Erlbaum (voir pages 36 et 37)

Les agendas sont également en ligne sur le site www.upjb.be


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.