n°312 - Points Critiques - janvier 2011

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mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique janvier 2011 • numéro 312

Interculturalité Y a-t-il des minorités en Belgique ?

Bureau de dépôt: 1060 Bruxelles 6 - mensuel (sauf juillet et août)

HENRI GOLDMAN

L

e rapport final des Assises de l’interculturalité, rendu public le 8 novembre, a ouvert un débat intéressant qui concerne la communauté juive, même si ce n’est pas cette question qui fut au cœur des principales réactions : y a t-il des minorités en Belgique ? En 2005, le rapport de l’ancêtre des Assises, la Commission du dialogue interculturel (CDI), proposait de nommer « minorités culturelles » la population cible de ses recommandations. Il ne s’agit pas, précisait la CDI, « d’enfermer les individus dans des identités closes sur elles-mêmes, mais au contraire de faire reconnaître la complexité et la richesse de la situation où ils se trouvent. » En 2010, les Assises

reprennent le même raisonnement, en précisant : « Ces minorités n’existent pas de façon figée. Elles doivent leur existence au libre choix des personnes qui s’en revendiquent, tout en étant conditionnées “ de l’extérieur ” par le regard que la société en général porte sur elles. » Et de souligner que « c’est un droit individuel des personnes d’affirmer une identité collective si elles le souhaitent et d’inscrire cette identité dans l’espace public. » Or, ce concept de « minorités » est contesté. Dans une note minoritaire annexée au rapport des Assises, Édouard Delruelle indique qu’il « regrette que le Rapport avalise la vision d’une société divisée entre une “ majorité ” culturellement dominante et des

BELGIQUE-BELGIE P.P. 1060 Bruxelles 6 1/1511

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sommaire Interculturalité

1 Y a-t-il des minorités en Belgique ? ......................................... Henri Goldman

israël-palestine

4 Barack Obama. Capitulation en rase campagne ................... Henri Wajnblum 6 Tribunal Russell. Des entreprises incriminées.................. Thérèse Liebmann

lire

10 De l’humour noir à la tragédie ........................................Tessa Parzenczewski 11 Indignez-vous ! .......................................................................... Henri Wajnblum

lire, regarder, écouter

12 Les notules de décembre .......................................................... Gérard Preszow

écrire

14 La mémoire et le sommeil .................................................... Marianne Sluszny

diasporas

16 Temps d’honneur .................................................................... Roland Baumann

yiddish ? yiddish !

! widYi ? widYi

18 di blayene platn fun roms drukeray . ......................................Willy Estersohn

histoires

20 Une exécution au milieu du XXe siècle (traduction) ........ Gennady Estraykh

humeurs judéo-flamandes

22 Ciel, mon marché ! .......................................................................Anne Gielczyk

le regard 24 L’issue de la crise et le patronat flamand................................. Léon Liebmann

réfléchir

26 N’ai-je donc vécu que pour cette infamie ................................. Jacques Aron 28 Sur les marches de la gare .............................................. Youri Lou Vertongen 29

activités courrier

33 Malaise ........................................................................................ Henri Goldman

Hommage

34 Préserver l’apport universaliste du judaïsme...................... Abraham Serfaty 38

vie de l’upjb upjb jeunes

40 La fête des Lumières sur fond blanc .................................... Noémie Schonker

écouter

42 D’hivers ........................................................................................................... Noé 44

les agendas Le comité de rédaction de Points critiques, auquel s’associe le conseil d’administration de l’UPJB, souhaite à ses lecteurs une bonne et heureuse année 2011.

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➜ “ minorités ” qui ne seraient pas suffisamment reconnues en tant que telles. » Dans une carte blanche publiée dans Le Soir du 10 novembre, Felice Dassetto – sans doute le spécialiste belge de l’islam le plus respecté – enfonce le clou : « Si on parle d’islam, la distinction majorité/minorité est tout aussi aveugle. Si l’islam est une minorité, qui incarne la majorité ? (…) Des jeunes musulmanes et musulmans de troisième, quatrième générations, qui recherchent à se vivre comme musulmans européens, vont-ils être figés dans une catégorie minoritaire, extérieure à la majorité nord-européenne ? » Ces critiques seraient justifiées… si le rapport des Assises développait une vision « multiculturaliste » de la société. Le modèle « multiculturaliste » postule que la société est structurée en « communautés » qui existent a priori et auxquelles les individus sont assignés. Ces communautés constituent des paliers intermédiaires dans la citoyenneté globale par lesquels il est obligatoire de transiter. Le plus bel exemple d’un tel modèle est… la Belgique actuelle, avec ses trois Communautés constitutionnelles. À l’opposé, le modèle « républicain » considère que l’assimilation culturelle est l’horizon naturel de toutes les trajectoires migratoires et qu’il ne faut surtout pas faire obstacle à cette évolution, et donc surtout ne rien faire qui puisse encourager le développement séparé. Prototype bien connu et en fait unique en son genre : la France. Il existe pourtant un troisième modèle : le modèle « libéral », qui reconnaît aux personnes un droit


individuel à l’affirmation collective. Ni obligation de se conformer au modèle culturellement dominant, ni assignation identitaire. Il affirme que la liberté ne s’exerce pas dans une société abstraite mais qu’elle doit permettre et rendre pratiquement possibles l’affirmation de solidarités électives. Dans un tel modèle, il peut y avoir des minorités… sans majorité : à une affirmation forte ne répond pas une contre-affirmation de même nature. Ainsi, il est probable qu’en matière religieuse, à côté des croyants et des athées, il y a sans doute au moins autant d’indifférents vaguement agnostiques pour qui la question n’est ni importante ni structurante. Dans le même ordre d’idée, le fait qu’il puisse exister une « minorité juive » ne signifie pas qu’il existe une « majorité non juive » de même nature : une « identité non juive », ça n’a aucun sens. Le terme de « minorité » est plus neutre que celui de «communauté », qui est pourtant le plus usité dans le langage courant. Ce dernier terme suggère une organisation collective, alors qu’on peut très bien vivre une situation minoritaire de manière individuelle ou familiale, ou simplement à travers une différence objective (la couleur de peau, le patronyme) perçue par le monde extérieur et qui finit par réagir en retour sur l’identité personnelle. En règle générale, une « communauté » est donc plus étroite qu’une « minorité ». Selon cette distinction, il existerait en Belgique une « minorité » juive d’environ 40.000 personnes identifiables comme juives et assumant cette identité à des de-

grés variables, tandis qu’il existe bien une communauté juive structurée en cercles concentriques et fréquentée par un nombre nettement plus restreint de personnes. De fait, seule la communauté juive correspond à ce modèle. Les communautés « marocaine », « turque », voire « arabo-musulmane » ne sont que des énoncés sociologiques, puisqu’elles ne disposent d’aucune organisation communautaire avec ce que ça implique de délimitation de ses « affiliés » et de leadership légitime. C’est bien d’ailleurs parce que ces communautés sont, dans ce sens, inexistantes, que la Flandre ne reconnaît pas des communautés mais bien des minorités. Celles-ci se manifestent par une myriade de zelforganisaties (plus de 1000) qui peuvent être reconnues et subventionnées sur base d’une identité ethno-culturelle affirmée, comme l’établit le décret flamand sur les minorités ethno-culturelles (1998). Ces associations sont rassemblées dans le Minderhedenforum (Forum des minorités) qui est l’interlocuteur légitime des autorités pour tout ce qui concerne les questions de diversité culturelle. Il s’agit bien d’un modèle libéral, puisqu’il ne reconnaît que des associations et pas des communautés structurées où des « majorités communautaires» auraient le pouvoir de délégitimer des courants minoritaires. La position de la communauté juive (dans le sens de « communauté organisée ») par rapport à ce modèle est totalement paradoxale. Contrairement aux autres minorités, elle est structurée en communauté pyramidale et s’est

dotée d’un leadership bicéphale qui prétend s’exprimer au nom de tous les Juifs : le Forum à Anvers et le CCOJB à Bruxelles. La communauté juive d’Anvers présente d’ailleurs un modèle presque chimiquement pur de « communautarisme », avec développement séparé à tous les étages : habitat, école, santé, travail, loisirs. Et pourtant, ni le Forum anversois ni ses composantes ne se sont affiliés au Minderhedenforum, histoire de bien manifester que la minorité juive n’a rien à voir avec les autres minorités. Un choix lourd de conséquences. À Bruxelles, une communauté juive très largement sécularisée fait désormais la promotion d’une identité laïque sourcilleuse sur le modèle républicain français, ce qui est tout de même un peu singulier pour des associations qui cultivent – de façon tout à fait légitime – la différence juive. À l’opposé, le rapport des Assises nous propose une lecture « libérale » de la société dans laquelle les Juifs devraient pourtant pouvoir aisément se reconnaître : une société où des minorités de fait ou de choix peuvent se manifester au grand jour sans que personne n’y soit assigné ou ne puisse en être exclu d’autorité. Cette option devrait les rendre plus sensibles aux demandes de reconnaissance des autres minorités, moins bien dotées qu’eux en capital social. Tout ce qui peut donner l’impression que la minorité juive est d’une essence différente des autres minorités est un poison pour le présent et l’avenir. ■

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israël-palestine Barack Obama. Capitulation en rase campagne HENRI WAJNBLUM

D

ans notre dernier numéro, je disais que, outre les républicains, le grand vainqueur des élections américaines de mi-mandat, était Binyamin Netanyahu. Cela n’a pas tardé à se vérifier. En moins de deux semaines, Barack Obama a essuyé deux énormes revers, l’un en politique intérieure et l’autre en politique étrangère. Cédant aux pressions des républicains, le président américain s’est en effet engagé à maintenir pendant encore deux ans les réductions d’impôts initiées par l’administration Bush, des réductions qui bénéficient essentiellement aux riches. Il est vrai qu’en contrepartie, il a obtenu le feu vert des républicains au Congrès pour reprendre pour treize mois le versement de l’allocation chômage interrompu fin novembre. Une mince consolation pour l’aile gauche du Parti démocrate dont certains membres n’ont pas hésité à parler de capitulation. Tout cela alors que les républicains nouvellement élus n’ont pas encore investi le Congrès, ce qu’ils feront en janvier. Échec, donc, face aux républicains, mais cuisant échec aussi face à Binyamin Netanyahu… Depuis le 26 septembre, date d’expiration du gel de la colonisation

en Cisjordanie — mais pas à Jérusalem-Est —, Obama n’avait cessé d’exiger du gouvernement israélien une prolongation de ce gel, ne fut-ce que de trois mois. Il était même allé jusqu’à promettre monts et merveilles à Israël en échange, sous la forme de quelques milliards de dollars et d’avions de combat. Rien n’y a fait. Netanyahu s’est arc-bouté sur son refus, glanant au passage les applaudissements des composantes les plus extrémistes de sa coalition. C’est ainsi que Danny Dayan, le secrétaire général du Conseil des implantations de Cisjordanie, exultait suite au revirement à 180 degrés de l’Administration américaine… « Israël a tenu bon et n’a pas cédé aux exigences étranges et extrémistes des Américains et le ciel ne nous est pas tombé sur la tête. Les Américains ne nous ont même pas critiqués. Finalement, la crédibilité d’Israël, qui a su défendre ses intérêts nationaux, sort renforcée ». Barack Obama a donc capitulé ici aussi. « Nous avons tenté de parvenir à un moratoire pour créer les conditions d’un retour à des négociations significatives et continues. Après des efforts considérables, nous sommes parvenus à la conclusion que cela ne crée pas de fondation solide pour

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parvenir à l’objectif commun d’un accord-cadre », a déclaré Philip Crowley, porte-parole de l’Administration Obama, ajoutant qu’il ne s’agissait pas « d’un changement de stratégie » mais « d’un changement tactique ». On m’excusera, mais, dans le cas présent, je ne saisis pas bien la nuance. C’en est en effet fini des négociations directes, pour autant qu’il y en ait jamais eu. On va revoir le commis voyageur George Mitchell faire la navette entre Jérusalem et Ramallah. Pour quoi faire ? Pour « pousser les parties à présenter leurs positions sur les sujets-clé sans délai et en détail » ainsi que l’a déclaré la secrétaire d’État américaine Hillary Clinton, à laquelle Binyamin Netanyahu a immédiatement rétorqué qu’il n’était pas question de négocier avec « un chronomètre en main ». Et si cela ne marche pas comme on a tout lieu de le penser ? Qu’à cela ne tienne, les américains trouveront certainement une nouvelle stratégie, ou tactique, à proposer.

RÉACTIONS Comme on pouvait s’y attendre, l’Autorité palestinienne a immédiatement réagi au revirement de Barack Obama… « Si Washington est incapable d’obtenir de l’État juif un arrêt de la coloni-


sation pour une période limitée, comment pourrait-il faire accepter par Israël une solution équilibrée fondée sur les résolutions internationales et une solution à deux États ? » s’est en effet interrogé le négociateur palestinien, Yasser Abed Rabbo. Et d’ajouter que « cet échec nous pousse une fois de plus à nous tourner vers la communauté internationale dans son ensemble ». Catherine Ashton, la chef de la diplomatie de l’Union européenne, a saisi la balle au bond, constatant « avec regret que les Israéliens n’ont pas été en mesure d’accepter une prolongation du moratoire comme le demandaient l’Union européenne, les ÉtatsUnis et le Quartet. Notre position sur la colonisation est claire : elle est illégale au regard du droit international et constitue un obstacle à la paix ». Malheureusement, l’Union européenne ne nous a que trop habitués à ce genre de paroles fortes qui n’ont jamais eu de prolongements, notamment par la menace de sanctions. En Israël, d’autres réactions que celles de l’extrême droite se sont également fait entendre… Ainsi, le mouvement Shalom Archav (La Paix Maintenant) a exhorté l’Administration Obama à « montrer aux parties que faire obstruction aux efforts de paix doit avoir des conséquences. Il faut que le président redouble de pressions tant sur les Israéliens que sur les Palestiniens pour qu’ils prennent les mesures nécessaires pour la paix ». On reste sidéré devant une telle réaction d’un mouvement qui se dit fermement opposé à la colonisation et qui, d’ailleurs, en dénonce régulièrement l’extension. Exercer des pressions sur les deux parties ? Mais l’Autorité palestinienne a clairement dit qu’elle était tout disposée à se rasseoir à la table de négociations si

Regards en chiens de faïence

Israël acceptait un moratoire sur la colonisation en Cisjordanie et à Jérusalem-Est… Alors pourquoi ne pas appeler un chat un chat ? Comprenne qui pourra.

CADENASSAGE Et si, par on ne sait quel miracle, le changement de tactique américain portait quelques fruits ? Notamment sur la question de Jérusalem. Binyamin Netanyahu a tout prévu qui a trouvé un cadenas d’un tout nouveau modèle pour ne pas endosser la responsabilité d’un échec final… Un projet de loi, déposé par Yariv Levin, un député du Likoud, le parti du premier ministre, a en effet été adopté par la Knesset qui stipule qu’un référendum devra être organisé avant l’application de tout accord prévoyant un retrait de n’importe quel territoire israélien. Or, comme chacun sait, le Golan et Jérusalem-Est ont été annexés par Israël et sont donc considérés par lui, et par lui seul, comme territoire israélien. Bien naïf celui qui pourrait penser qu’il se trouverait une majorité d’Israéliens pour approuver une division de Jérusa-

lem. Netanyahu pourra donc prétendre, le cas échéant, qu’il était tout disposé à faire des concessions sur Jérusalem, mais que le peuple en a décidé autrement. Ainsi que l’écrit Guidéon Levy dans Ha’aretz du 10 décembre sous le titre « Un référendum sans moralité »… « La démocratie israélienne va pour le mieux : le peuple tout entier sera appelé à se prononcer sur l’accord à venir — et ainsi sur son devenir — mais il n’en sera rien s’agissant de l’annexion ou de la guerre. La rouerie israélienne se porte bien, elle aussi : on adopte des lois qui prendront effet au jour de l’accord afin de mieux en éloigner la venue. La morale israélienne n’est pas en reste ; la question posée lors de ce référendum sera immorale par excellence ; et à l’erreur s’ajoute la faute puisque nous seuls, Israéliens, fils du peuple élu, déciderons du destin d’un autre peuple qui, depuis deux générations, vit sous occupation. Et c’est cela que nous osons nommer démocratie ! En fait, c’est la ’houtzpah (outrecuidance) israélienne qui va pour le pire ». ■

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israël-palestine Tribunal Russell sur la Palestine. Des entreprises incriminées THÉRÈSE LIEBMANN

J

e rappelle que le Tribunal Russell sur la Palestine (TRP) est né d’une initiative internationale citoyenne et que son objectif n’est pas de dénoncer Israël pour ce qu’en 2004, la Cour Internationale de Justice et les Nations unies avaient déjà qualifié de violations au droit international et au droit humanitaire. La première session du TRP, qui s’était tenue à Barcelone au début mars 2010, avait incriminé l’Union européenne et ses États membres de complicité avec Israël dans les violations par ce dernier du droit international et des droits du peuple palestinien*. N’ayant pas force de droit car émanant d’un tribunal d’opinion, ses conclusions n’en ont pas moins sensibilisé un large public et ont donné une formation juridique pour que d’autres instances puissent vérifier si les règles de droit international ont été respectées. Elles n’ont cependant pu empêcher ni les Israéliens de poursuivre la colonisation en territoire palestinien, y compris à Jérusalem-Est, ni certaines institutions internationales de continuer à privilégier Israël, comme l’OCDE (Organisation de Coopération et

de Développement Économiques) qui, le 7 septembre dernier, a admis l’État d’Israël parmi ses membres. Cette admission, le gouvernement israélien l’a ratifiée le 21 novembre, alors que se réunissait précisément le TRP ! Cette deuxième session du TRP, qui s’est tenue à Londres les 20, 21 et 22 novembre, avait pour objectif d’« examiner les complicités éventuelles des sociétés internationales dans les violations du droit international et du droit humanitaire commises par Israël ». Au nom du Comité d’Organisation International du TRP, Pierre Galand, président des Comités Européens de Soutien à la Palestine a ouvert cette session. C’est principalement à lui qu’on en doit le bon déroulement Huit personnalités, mondialement connues pour leurs compétences et leur valeur morale — les mêmes, à deux exceptions près, que celles de la session de Barcelone — en composaient le jury. Une trentaine d’experts et de témoins lui ont soumis des rapports circonstanciés sur les activités menées par des entreprises israéliennes et étrangères dans les territoires palestiniens. J’évoquerai la majorité de leurs conclusions, même si je ne citerai

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pas ici nommément tous les intervenants.

LE CADRE LÉGAL Michaël Mansfield (Grande-Bretagne) a montré à quel point il est important que le TRP fournisse ce cadre pour que les citoyens puissent dénoncer les entreprises qui violent le droit humanitaire international en étant complices de l’occupation israélienne des territoires palestiniens. Ce cadre légal international a été défini par Hocine Ouazraf (Belgique) en se référant notamment au pacte mondial de l’ONU et à la 4ème Convention de Genève, en vertu desquels toute entreprise doit vérifier si elle respecte les droits humanitaires. Il est encourageant de constater, du moins d’après les interventions de trois juristes, respectivement de Grande-Bretagne, des USA et de France, qu’en dépit des différences dans le droit applicable aux entreprises de ces pays, celles-ci évoluent vers une plus grande responsabilité eu égard aux droits humanitaires.

ENTREPRISES ACTIVES DANS LES COLONIES Dalit Baum (Israël), chercheuse au Centre de Recherches Who


profits from the occupation de la Coalition des Femmes pour la Paix, a montré comment un millier d’entreprises profitent de la colonisation. Le gouvernement israélien accorde de nombreux privilèges à la production dans les colonies : système fiscal allégé, bâtiments peu coûteux, routes — sur les terres palestiniennes — sécurisées, pas de contrainte environnementale, même pour les industries polluantes et pour les déchets qui peuvent être déversés chez les Palestiniens. La pauvreté qu’engendre chez eux la colonisation contraint certains d’entre eux à se faire embaucher dans les colonies, dans des conditions qui défient le droit humanitaire. Hugh Lanning (ex-syndicaliste britannique) a décrit ces conditions : pas de contrat de travail, salaire inférieur au « SMIG », pas de sécurité sociale, pas de normes de sécurité et d’hygiène, pas de convention collective, pas de pauses, etc. Si on parle d’apartheid, c’est bien à la Cisjordanie que cette notion s’applique : il y a une zone de droit pour les Israéliens et de nondroit pour les Palestiniens, y compris en ce qui concerne le travail des enfants. À cela s’ajoute l’humiliation que doivent ressentir les Palestiniens qui, pour faire vivre leur famille, sont obligés de travailler pour ceux-là même qui leur ont volé leurs terres. Deux témoins palestiniens ont donné des précisions concrètes sur les vexations que leur font subir les colons. Fayez Al Taneeb (par vidéo parce qu’il n’a pas obtenu de visa) a décrit le dépérissement des terres arables dans les environs des usines chimiques israéliennes en

Cisjordanie, les brimades subies par les agriculteurs, qui n’ont pas accès à leurs terres, dont ils sont séparés par le Mur, et l’inertie des tribunaux israéliens face à leurs recours. Wael Natheef a renchéri en citant une nouvelle pratique des colons qui répandent volontairement des produits toxiques sur le peu de terres qui restent aux Palestiniens dans la vallée du Jourdain, rendant celles-ci stériles pour plusieurs années. La 4ème Convention de Genève définit comme « une infraction grave… la destruction et l’appropriation de biens non justifiées par des nécessités militaires et exécutées sur une grande échelle de façon illicite et arbitraire ». À moins évidemment de considérer que la culture dans les champs de la vallée du Jourdain sont une atteinte à la sécurité d’Israël, comme l’auraient été les citronniers dans le film Lemon Tree, les destructions systématiques des biens palestiniens, pratiquées de plus en plus souvent par les colons qui se savent impunis, sont des infractions graves au droit humanitaire. Il est un autre pillage des ressources dont il a été question au TRP, c’est celui pratiqué par des entreprises israéliennes. Ahava, une importante firme de produits cosmétiques, n’est qu’un exemple parmi bien d’autres. Rae Abileah et Nancy Kricorian, toutes deux de la section américaine Code Pink Women for Peace, ont montré comment ces produits qui sont extraits de la Mer Morte, notamment de ses rives palestiniennes, sont confectionnés dans des colonies, avant d’être commercialisés dans tout le monde occidental avec des éti-

quettes israéliennes. Le 22 novembre, tandis que le jury du TRP présentait ses conclusions, les deux militantes ont manifesté à l’entrée du magasin Ahava de Londres. Je pourrais encore multiplier les précisions sur d’autres entreprises et sur les fraudes qu’elles utilisent pour leurs exportations. Je ne m’arrêterai cependant que sur un seul cas, celui d’Agrexco-Carmel : le rapport sur la plus grosse entreprise agro-alimentaire a été présenté par Christophe Perrin (France). Cette société, qui appartient pour 50% à l’État d’Israël, expédie des produits frais à travers toute l’Europe, sous diverses étiquettes, dont les plus connues sont Jaffa et Carmel, Comme ils sont tous étiquetés Made in Israël, ils bénéficient, grâce aux accords d’association avec l’Union européenne, de droits de douane allégés, même quand il s’agit — et c’est presque toujours le cas — de produits provenant des territoires palestiniens occupés. Quant aux douanes, elles n’exercent aucun contrôle. Mais Agrexco a aussi une implication politique parce qu’en s’emparant des ressources agricoles des Palestiniens et, en modifiant les espaces agricoles à son profit, il détruit la légitimité des Palestiniens sur leurs terres et participe à une véritable « agriculture coloniale » et aux « crimes de guerres » commis par Israël en Cisjordanie. Christophe Perrin est venu défendre ces positions, qui sont aussi celles de la Coalition AgrexcoFrance, à Bruxelles, le 27 novembre dernier, lors de la Journée internationale des Nations unies pour la solidarité avec le peuple palestinien. Elle était

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➜ organisée sur le thème, proche de celui de la deuxième session du TRP : « À qui profite l’occupation ? Rôle et responsabilités de la société civile ». Le cas de Veolia Environnement a été évoqué par Adri Nieuwhof (Pays-Bas). Cette société française, qui se présente elle-même comme le « leader mondial des services à l’environnement » a deux activités dans la région : les transports et le traitement des déchets. Elle est ainsi impliquée dans les services d’autobus privés entre Jérusalem et les colonies et dans la construction du tramway qui devrait relier Jérusalem-ouest à la grande colonie de Ma’ale Adumim, ces transports étant réservés aux seuls Juifs. Quant à la gestion des déchets, Veolia se contente d’en déverser des tonnes provenant de certaines localités d’Israël même et des colonies dans une vallée de Cisjordanie. Comme Veolia ne tient pas à ternir son image de marque, il s’est engagé, avant même l’ouverture de la session de Londres du TRP, de se désinvestir… à condition cependant de trouver un repreneur !

LE SECTEUR BANCAIRE Merav Amir (Israël) collabore avec Dalit Baum au projet de l’organisation Who profits from the Occupation de la Coalition des Femmes pour la Paix. Elle a montré à quel point les banques israéliennes et internationales sont impliquées dans les colonies. Elles y ont des succursales et des propriétés et accordent des crédits et des prêts à des taux préférentiels aux colons, aux promoteurs immobiliers et aux entreprises de cons-

truction. Les banques palestiniennes leur sont entièrement soumises, d’autant plus qu’il n’existe pas de devise palestinienne. C’est DEXIA qui fut surtout mis sur la sellette par Mario Franssen (Belgique), porte-parole d’Intal et de la campagne « Palestine occupée, Dexia impliquée ». Cette banque accorde des prêts importants, non seulement à Israël (par exemple pour la loterie nationale) et à la municipalité de Jérusalem, mais aussi aux colonies. Mario Franssen rappelle que Dexia est un groupe financier dont 49% des actifs sont contrôlés par des autorités politiques en France et en Belgique. Dans notre pays, en succédant au Crédit communal, il a hérité des actions de nos villes et communes. C’est dire que nos pouvoirs publics sont complices de la colonisation. Il y a une dizaine d’années que Dexia a été prévenu qu’en agissant ainsi, il enfreignait le code éthique, qu’il prétendait d’ailleurs avoir signé. Mais l’argument qu’il ne cesse d’avancer est l’ancienneté de ses contrats avec Israël et ses colonies, certains d’entre eux courant jusqu’en 2017, voire audelà. Il a aussi brandi l’argument de l’équidistance et de la nondiscrimination : il soutient également des villages arabes ! Jean-Luc Dehaene, président du conseil d’administration de Dexia-Belgique, a déclaré que son groupe se retirerait des colonies. En réalité, il continue à leur offrir ses services financiers. Au mieux n’a-t il pas accordé de nouveaux crédits, mais cela reste à vérifier. Comme tous les pouvoirs publics et l’argent des contribuables sont impliqués dans le finance-

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ment de colonies jugées illégales par l’ONU, une action citoyenne ne serait pas déplacée. C’est un engagement pour un comportement plus éthique qui a été pris par le Fonds de pension néerlandais PFZW, le deuxième des Pays-Bas. Saskia Muller (Pays-Bas) énumère les 14 sociétés dans lesquelles PFZW est impliqué et qui investissent dans les colonies. À titres d’exemples : Unilever , Caterpillar et Hewlett Packard, ce dernier utilisant un système biométrique de contrôle aux checkpoints. Ces activités n’ont pas cessé en dépit des critiques qu’elles ont suscitées en vertu de la Wet internationale Misdrijven. Subodorons néanmoins une lueur d’espoir : le PFZW a répondu à l’invitation que lui avait adressée le TRP par une lettre dans laquelle il annonce notamment que, par respect du droit humanitaire, il est prêt au dialogue avec les compagnies incriminées en vue de leur retrait.

INDUSTRIES DE LA SÉCURITÉ ET INDUSTRIES DE GUERRE Le TRP a déploré l’absence de Jamal Juma’a qui avait été invité en tant qu’expert mais ce Palestinien, militant des droits humains, qui avait été arrêté (puis libéré) en tant que coordinateur de l’association Stop the Wall n’a pas obtenu de visa. Il aurait dû évoquer, le cas d’Elbit Systems et son rôle dans les pratiques de sécurité israélienne. Ce thème fut développé par d’autres experts. Ainsi, Shir Hever de l’Alternative Information Center de Jérusalem qui a exposé ce qu’est cette entreprise israélienne de matériel


électronique. Elle collabore avec de hauts responsables militaires israéliens et elle produit, entre autres, des drones qu’elle n’hésite pas à tester, comme d’autres matériels militaires d’ailleurs, en Cisjordanie et à Gaza. Cela n’empêche pas l’Europe et les ÉtatsUnis d’en accepter chez eux des filiales. Dalit Baum et Merav Amir de la Coalition of Women for Peace se sont penchées sur le cas de G4S. Cette compagnie internationale de sécurité, une des plus importantes au monde, a équipé les systèmes de sécurité des supermarchés de Jérusalem et des environs, des postes de contrôle du « Mur » et des check-points. Elles ont révélé qu’en sont également équipées les prisons militaires où sont détenus des prisonniers politiques palestiniens. Comme beaucoup d’entre eux sont, souvent pendant des années, en détention administrative, elles demandent au TRP de s’intéresser à leur sort. Quant au G4S, elle est une des rares entreprises à avoir répondu à l’invitation du TRP, sans accepter pour autant d’assister aux audiences. Elle prétend être toujours en conformité avec les lois nationales des pays où elle est implantée.

n’en déclarent pas moins Caterpillar non responsable. Par contre, Josh Ruebner, cofondateur de l’organisation Jews for Peace in Palestine and Israel (et qui a brûlé ses papiers militaires israéliens), dirige une campagne pour le boycott de Caterpillar et l’arrêt de fournitures d’armes à Israël. Il suggère que le TRP écrive au président américain pour qu’il fasse respecter la loi sur l’exportation des armes.

COOPÉRATION USA-ISRAËL

Tous ces témoignages accablants pour les entreprises industrielles, commerciales et financières qui sont complices de la colonisation israélienne en territoire palestinien ont été examinés par le jury du TRP. Celui-ci s’est également « efforcé de mettre à jour le système qui permet aux sociétés d’agir de manière illégale et de montrer de quelle manière les États et les organisations

Maria Lahood (USA) s’est centrée sur Caterpillar. Ses bulldozers ont détruit des milliers de maisons, déraciné des centaines de milliers d’arbres, saccagé des cultures, provoqué des blessures, voire des décès de Palestiniens, sans oublier celui de la militante américaine Rachel Corrie à Gaza. Les cours de justice américaines

COOPÉRATION EUROPE-ISRAËL John Hilary (Grande-Bretagne) précise que les moteurs des drones les plus récents sont fabriqués par la filiale britannique d’Elbit et qu’un projet européen prévoirait la confection, entre autres par des entreprises israéliennes, de nouveaux drones qui seraient ainsi financés par les contribuables européens. Ben Hayes (Grande-Bretagne) a montré de quelle façon l’Europe subventionne les recherches d’Israël dans le domaine sécuritaire, notamment pour prévenir le terrorisme et l’immigration (des nonJuifs). Des pays européens y trouveraient leur compte, notamment en s’en servant eux-mêmes dans le contrôle des aéroports.

CONCLUSION

internationales pourraient être tenus responsables de tels agissements ». Il a donc « rappelé la nécessité d’entreprendre des actions judiciaires devant les États où les compagnies ont leur siège, en vue de mettre fin à ces complicités. » Pour Pierre Galand, « Quand ni la Justice, ni les États, ni les institutions internationales ne veulent faire respecter le droit, les citoyens doivent se mobiliser pour un combat dont l’objet n’a rien de douteux : la simple défense du droit ». Il a ensuite annoncé que la prochaine session aurait lieu dans le courant de 2011 en Afrique du Sud sur le thème de l’apartheid. Stéphane Hessel, ambassadeur de France et président d’honneur du TRP, clôtura ainsi la session de Londres : « Il n’ y a de vrais progrès pour la protection du peuple palestinien et son accession à un État que si chacun d’entre nous utilise son énergie pour aller là où il y a de l’espoir, notamment en soutenant BDS, reconnu comme légitime au plan international… Nous ne sommes pas antisémites, nous sommes pour que les Palestiniens aient un État et que les moyens pour y arriver soient examinés par le Tribunal Russell… Que chacun nous aide à aller de l’avant. » Et, comme le clame le titre de l’opuscule qu’il vient de publier, « Indignez-vous ! ». ■

* Voir mon article « Le Tribunal Russell sur la Palestine (TRP) incrimine l’Union européenne », Points Critiques, n°305, avril 2010.

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lire De l’humour noir à la tragédie TESSA PARZENCZEWSKI

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n mur sépare les deux parties du cimetière juif de Buenos Aires. D’un côté, les tombes de la pègre : souteneurs, putes et voleurs, de l’autre, l’honorable société. Toutes les nuits, Kaddish Poznan, fils de pute au sens littéral, efface au burin les noms d’aïeux encombrants, à la demande de Juifs en pleine ascension sociale, en quête de respectabilité. Du vandalisme salarié. Kaddish, sa femme Lillian et Pato leur fils, étudiant. La famille prend forme. Une famille comme les autres ? Pas vraiment. Personnage haut en couleurs, imprévisible, Kaddish invente combine sur combine, coups foireux, dans le fol espoir de trouver enfin le pactole, le tout ponctué de colères homériques. Mais nous sommes en 1976. Les militaires prennent le pouvoir et il ne fait pas bon être jeune et lire des livres. Pato est arrêté et nous basculons dans un autre monde. Dans une ville aux murs passés à la chaux, Kaddish et Lillian parcourent les commissariats et aboutissent au ministère des Affaires spéciales. Un ministère qui concentre en son sein tous les cauchemars kafkaïens. Une foule désemparée munie de numéros attend en vain des nouvelles des disparus. En embuscade dans les couloirs, des brutes armées tabassent les récalcitrants. Commencé sur un ton sarcasti-

que, avec un humour féroce, le récit glisse insensiblement vers la tragédie. Les personnages prennent plus d’épaisseur. Le lecteur lui-même est pris dans cette spirale inexorable, dans l’intensité d’une attente sans fin où les protagonistes butent sur des scénarios improbables. Victimes et bourreaux, l’auteur nous mène au cœur de leur vécu, dans des séquences déchirantes et implacables. Un rappel d’une réalité pas si ancienne. Nathan Englander est né à New York en 1970 au sein d’une famille juive orthodoxe. Il vit aujourd’hui à Jérusalem. Il est l’auteur d’un premier recueil de nouvelles Pour soulager d’irrésistibles appétits (Plon). Une voix nouvelle dans la littérature américaine, une écriture insolite, au plus près du réel mais aussi souvent décalée, et qui nous entraîne parfois dans un imaginaire surprenant. ■

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Nathan Englander Le ministère des Affaires spéciales Traduit de l’américain par Elisabeth Peelaert 10/18 472 p., 9,95 EURO


Indignez-vous ! HENRI WAJNBLUM

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ais qu’est-ce qui fait encore courir et se passionner Stéphane Hessel, ce « vieux » monsieur, né Juif à Berlin en 1917 ? Ne pourrait-il pas se contenter, à 93 ans, de jouir d’une retraite bien méritée après une carrière diplomatique des plus fournies allant de la co-rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’homme à l’ambassade de France auprès des Nations unies à Genève ? La réponse, il nous la livre en 22 pages très denses, suivies d’une postface de l’éditeur1. Ce qui le fait toujours courir, c’est tout simplement l’indignation. Une indignation qui a commencé avec l’occupation nazie et qui l’a conduit à Londres où il avait rejoint le général de Gaulle dès 1941 puis à nouveau en France, en mai 1944, pour une mission de contact avec les différents réseaux parisiens, et enfin à Buchenwald, le 8 août 1944, après son arrestation sur dénonciation. Ce qui a donc servi de socle à l’engagement de Stéphane Hessel, ce sont les années de résistance et le programme élaboré il y a soixantesix ans par le Conseil National de la Résistance. C’est la fidélité aux principes et aux valeurs énoncées dans ce programme qui l’a guidé durant toutes les années qui ont suivi et qui l’a amené à militer pour l’indépendance de l’Algérie et prendre fait et cause pour le peuple palestinien. Stéphane Hessel rêve toujours d’une société fidèle aux valeurs

de la résistance, « pas cette société des sans-papiers, des expulsions, des soupçons à l’égard des immigrés, pas cette société où l’on remet en cause les retraites, les acquis de la Sécurité sociale (…) ». Aujourd’hui, la principale indignation de Stéphane Hessel concerne la Palestine, une indignation qui l’a conduit à accepter de présider le Tribunal Russell sur cette même Palestine, une indignation qui a encore été amplifiée en 2009, lorsque, grâce à son passeport diplomatique, il a pu entrer à Gaza et constater de visu les immenses dommages, matériels et humains, causés par l’opération israélienne Plomb durci. Face à l’occupation et à la colonisation dont on n’entrevoit pas la fin, il plaide en faveur de ce qu’il appelle « une insurrection pacifique »… « J’ai noté – et je ne suis pas le seul – la réaction du gouvernement israélien confronté au fait que chaque vendredi les citoyens de Bil’in vont, sans jeter de pierres, sans utiliser la force, jusqu’au mur contre lequel ils protestent. Les autorités israéliennes ont qualifié cette marche de « terrorisme non-violent ». Il faut être israélien pour qualifier de terroriste la non violence. Il faut surtout être embarrassé par l’effica-

cité de la non-violence qui tient à ce qu’elle suscite l’appui, la compréhension, le soutien de tous ceux qui dans le monde sont les adversaires de l’oppression ». Beaucoup de héros, de vieux militants, sont aujourd’hui fatigués ou ont perdu leur faculté d’indignation. Aussi, Stéphane Hessel s’adresse-t-il aux jeunes… « Regardez autour de vous, vous y trouverez les thèmes qui justifieront votre indignation, le traitement fait aux immigrés, aux sanspapiers, aux Roms. Vous trouverez des situations concrètes qui vous amèneront à donner cours à une action citoyenne forte. Cherchez et vous trouverez ! » Stéphane Hessel, ce héros, lui, à 93 ans, n’est toujours pas fatigué. ■ Stéphane Hessel, Indignez-vous!, Éditions Indigènes, 28 pages, 3 EURO 1

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lire, regarder, écouter Notules de décembre GÉRARD PRESZOW

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a salle de l’Espace Magh est haute et profonde, la voix semble cassée, presque blanche, Hamadi ne la forcera pas, nous exerçant à tendre l’oreille. C’est étonnant un public nombreux uni dans le silence, on s’y surprend parfois à écouter l’écoute ! Une chaise – n’importe laquelle – , et derrière, de temps en temps, une photo de famille : la grandmère, le père, le trio papa-mamanl’enfant. L’enfant a aujourd’hui la cinquantaine, à Bruxelles, et raconte avec les yeux de ses cinq ans le village marocain quitté, le village séparé en deux par le fleuve, avec d’un côté ceux qui vivent et travaillent à flanc de montagne, « ceux qui portent », et de l’autre « ceux qui partent ». Ceux qui portent, ceux qui partent. Papa est en voyage et son fils, Hamadi, le rejoindra tardivement dans le récit. C’est la grand-mère qui est l’objet de tout l’amour, de cet amour qui rend unique et nécessaire et évident au monde. Il n’y a aucune concession dans le dispositif, c’est une frêle épure. Un homme seul en scène dit un texte rigoureusement écrit ; pas d’anecdote sinon les allitérations, les reprises, les refrains, les couleurs de la métaphore, entre la réalité et la fable immémoriale. Hamadi ne fait pas dans le folklore ; il ne cherche

pas des yeux le public. C’est un défi fait d’une révolte et d’une déchirure qui ne s’accorde aucune fioriture. Il y a du courage à tenir ce fil ténu dans l’écrin de ces mots jamais complaisants. C’est tellement fragile et audacieux que ça peut capoter à tout instant ; dans l’ascétisme de cette présence, le moindre bafouillage, la grimace trop appuyée demanderaient longue réparation. Le conteur seul en scène Hamadi. Photo Rachida Al Farissi comme seul dans les mots : si le desnoux nous plonge dans un registin « de ceux qui partent » est col- tre tendre et comique sur fond lectif, Hamadi ne s’appuie sur d’absence : c’est elle qui élèaucune béquille communautai- ve le comédien et ne lui lâchere ; un défi lancé au public com- ra les baskets qu’à 106 ans. Parme à la vie. Le voilà désormais de fois la magie opère et on n’est pas « ceux qui portent ». Ici. loin de « La danse du Diable » de Philippe Caubère. Quand apparaît projeté sur un drap blanc le visage * de Fatima, on partage l’hommage La grand-mère est aussi fi- à l’illustre aïeule. Elle est là, elle gure tutélaire chez Ben Hami- apparaît, on l’applaudit. Il a réusdou, qu’il baptise rien moins que si à la faire exister pour lui comSainte Fatima de Molem . La me pour nous et l’écran blanc desquaw aux seins jouxtant les ge- vient le linceul immaculé de notre

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qu’ici l’auteur, Stéphane Hessel, m’amusait plutôt : le fils de celle que Jeanne Moreau incarne à l’écran dans Jules et Jim de Truffaut. Mais le voilà, à 93 ans, exemple de l’insurgé à suivre. *

Alÿs. Photo gépé

sainte à tous. * La salle de l’UPJB est pleine à ras bord. La foule des grands soirs. Pas n’importe laquelle : aux anciens se sont joints leurs enfants qui tournent aujourd’hui autour de la cinquantaine. Euxmêmes se feront les porte-parole de leurs enfants qui veulent – et osent vouloir – savoir… On projette Les enfants sans ombre (autrement dit, les enfants cachés) de Bernard Balteau, en sa présence et celle de Siegi Hirsch et de l’un des témoins du film, Robert Fuks. J’attendais, j’espérais (le même beau verbe « esperar » en espagnol) qu’une parole surgisse et se fraye un chemin. J’espérais que pensées réflexives et témoignages irrépressibles se côtoient. Et que Siegi Hirsch – le sage, le maître – joue l’interface. Espoir déçu : le film ne s’y prête pas. Dommage. Avec deux témoins, l’un parti en Israël après la guerre, l’autre resté en Belgique, il aurait pu questionner le devenir juif contemporain, jouer du cheminement de la cache au devenir adulte, du changement de

pays (Israël), de langue (l’hébreu), de nom (hébraïsé) ou de rester au pays (Belgique), dans la langue (français) et de retrouver le nom (d’avant-guerre). Il aurait pu donner corps à Israël et à la Diaspora et questionner la vie en mettant Siegi Hirsch au cœur d’une méditation… aux confins de la blague juive, des rires et des larmes. Ce soir-là, des grand-mères ont pris la parole pour se raconter. La voix parfois étranglée par la petite fille en elles… Je comprends mieux maintenant Journal de galère de Kertesz. Ce livre m’était illisible tant il ne faisait pas de cadeau au récit linéaire, à l’anecdote, au descriptif. Juste, de temps en temps, il provoquait un gros rire tant l’aphorisme était noir, rejetant Kafka dans une éclatante lumière. Il en devient tout à coup un signal d’alarme.

Francis Alÿs, A story of deception ? Un artiste belge installé au Mexique depuis trente ans. Je ne le connaissais pas. Des amis m’ont dit d’y aller. Au Wiels, musée d’art contemporain. J’y fus. Simple et beau. Des performances où les actions du corps se font filmer. Il traîne un glaçon à travers la ville, comme un SDF son caddy, jusqu’à ce qu’il fonde... Il traverse la ville, revolver au poing, jusqu’à ce que police intervienne… fort tardivement. En Israël, il marche le long de la frontière verte de 49 en y versant de la couleur verte, discutant en voix off avec le cinéaste Eyal Sivan… Politique, poétique… Oui, payer de son corps la signature d’une œuvre au coeur du monde. Et la mettre en scène. * Zoltan, le sage ferenczien, aimait quand les notules parlaient de notre quartier. Il insistait pour que j’en parle plus. Il m’a prêté Hongrois et Juifs… pour toujours. ■

* Je l’ai offert aux enfants. C’est une injonction, un manifeste : Indignez-vous, à 3 EUROS. Oui, j’en conviens, le titre vaut mieux que le texte, mais peu importe. Jus-

Photo gépé

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écrire La mémoire et le sommeil MARIANNE SLUSZNY

En 2005, Marianne Sluszny, productrice d’émissions et de documentaires culturels à la RTBF et professeur de philosophie à l’Institut National Supérieur des Arts Visuels de la Cambre, publiait un premier roman, Toi, Cécile Kovalsky, primé (Prix de la première œuvre de la Communauté française de Belgique et Prix Malpertuis de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique) et salué avec enthousiasme par la critique dont la nôtre (cf. Points critiques, n° 262, janvier 2006). Tandis qu’elle se prépare à en publier un nouveau, Le frère du pendu, à paraître aux Editions de la différence en septembre 2011, elle nous fait le plaisir de nous livrer une méditation littéraire, avant de nous en réserver les bonnes feuilles.

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ettre un point final à un deuxième roman, celui qui, aux dires de la critique littéraire, est celui qui compte vraiment (parce qu’il fait ou défait le prétendu écrivain) est un moment de soulagement mais aussi de perplexité et d’angoisse. L’occasion « rêvée » d’une nuit d’insomnie qui s’amorce dans les méandres du premier opus. Au cœur de souvenances qui m’avaient elles aussi privées de sommeil. C’était après avoir assisté au spectacle de Jacques Delcuvellerie : Rwanda 94. Six heures de représentation pour 1 million de tutsis massacrés. Et toute la nuit, des images apocalyptiques qui s’étaient accrochées à mon cerveau. Dont une, incontournable et hallucinante : un regard d’enfant et son innocence assassinée avant que son coeur ne cesse de battre. Son filet de voix répétant de plus en plus faiblement : « Maman s’il te plait, arrête de jouer ». Car la mère avait dé-

guisé son garçon en fille, espérant ainsi le faire échapper aux massacres des miliciens hutus qui privilégiaient la chasse aux mâles. Une supercherie vite découverte par les assassins qui l’avaient condamnée à enterrer vivant le garçonnet tutsi, pour que jamais elle ne puisse oublier la supplique de son gamin, sa quémande de pitié et surtout sa tonalité, entre l’inébranlable confiance que l’on voue à une maman et le sentiment de trahison. « Maman, s’il te plait, arrête de jouer ». Le lendemain soir, pour m’assurer une nuit, je m’étais emparée de la télécommande avec la détermination d’un chef des armées, affaire de dénicher un programme qui lessive la tête de toutes les saloperies qui polluent l’esprit. Pour m’arrêter sur la chaîne qui diffuse un épisode de Julie Lescaut... quelle aubaine ! Il ne m’avait fallu que quelques secondes pour réaliser que Véronique Genest avait quitté le commissariat des Clairières, sa mai-

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son confortable où il n’y a jamais un poil de poussière et où ses jeunes filles sans histoire fatiguent la salade après avoir mis la table et cuit le poulet. L’actrice incarnait avec un talent extrême Sabine Zlatin, cette française d’origine juive polonaise, qui fonde en avril 1943, la colonie des enfants de l’Hérault, à Izieu, un village de l’Ain situé à quatre-vingt kilomètres de Lyon. Comment imaginer que la bête immonde puisse aiguiser ses dents pour aller mordre la chair tendre dans cet endroit du bout du monde ? Le 6 avril, les quarante-quatre enfants juifs et sept de leurs éducateurs, sont arrêtés par la police française, déportés et gazés à Auschwitz, sous ordre de Klaus Barbie, responsable de la Gestapo à Lyon, qui impuni, allait boucler ses valises pour la Bolivie. Comment dormir après avoir vu le film de cette Histoire où la sauvagerie humaine l’emporte sur l’héroïsme et la générosité ?


L’esprit ensauvagé du monstre ? Une hydre à deux têtes, l’une pour le calcul et la méthode, l’autre pour déchaîner la haine barbare. Deux crânes diaboliquement soudés pour enserrer les innocents dans les pinces de l’enfer. Comment dormir après avoir tenté de l’écrire ? On ne se déleste pas des charges exprimées. On croit s’alléger en fermant les yeux et voilà que s’ébauche une dérive sur des routes qui serpentent à l’infini dans la campagne retirée, des chemins de croix qui mènent à ce Bethléem français, où Hérode avait ordonné le massacre des innocents. Juste visualiser la cour de la maison, peuplée d’ombres muettes, celles de fillettes sautant à la corde, de gamins jouant au ballon, d’adolescents vibrant de leurs premiers émois amoureux, de leur tendresse bientôt rendue à l’éternité. Puis visiter les lieux de vie, ceux qui scandent la journée des enfants pour leur donner le tempo de la normalité, les sanitaires où ils doivent soigneusement se laver des dents qui ne repousseront pas une troisième fois, la salle de classe où ils s’évertuent à préparer leur avenir, le réfectoire où ils veillent à l’équilibre de leur croissance, bien grandir pour étonner maman et papa, qui, demain, plus tard, un jour sans cesse différé, mesureront à la toise que le temps perdu dépasse les centimètres gagnés et enfin le dortoir, le théâtre du marasme où après l’extinction des feux, s’ébauche la danse macabre de silhouettes qui plombent les rêves, comme la marée noire les ailes des oiseaux. Le dortoir, cette machine à insom-

nie (encore elle) où les anges soudent leur pouce à la bouche comme autrefois leurs lèvres au sein, humant l’odeur de salive répandue sur leur joue comme un regret de l’âcre douceur du lait maternel, avant l’étreinte de l’angoisse, mais pourquoi maman ne m’at-elle pas embrassée ce soir, la culpabilité qui déchire, c’est certainement de ma faute, je vais lui écrire les tendres baisers qui s’absentent... Trois heures du matin dans ma nuit blanche et je me promène parmi les lits de dizaines d’enfants étendus en rangs d’oignons, précipités dans le gouffre de l’abandon, cramponnant leurs menottes aux draps comme des agonisants qui refusent de déserter la vie, de bons petits qui ferment les yeux comme il le faut et quand il le faut pour tenter de déplisser leurs paupières crispées, accrochés aux mots du message rédigé au matin : « Ma chère maman, je voudrais tant te faire plaisir. Je ne sais comment. Si... Je donnerai une partie du colis que tu m’as envoyé (pas le chocolat !) à un enfant qui n’a plus sa maman. Ainsi, tu sauras combien je t’aime, combien tu m’as appris de choses et combien tu me manques ». Maman, deux syllabes pour crayonner le monde, avec une maison naïvement symétrique, un chat dans un jardin fleuri, quelques arbres où pépient des oiseaux, un gazon tendre où traînent une poupée ou une petite auto et un soleil trop jaune qui darde des rayons rectilignes dans un ciel gribouillé de bleu... Cinq heures du matin, les oiseaux pépient. Sûr qu’un merle moqueur me nargue de ne pas

avoir encore pu m’absenter la moindre seconde ! Cinq heures, oui, c’est à cinq heures de l’aprèsmidi que les gardiens de la maison d’Izieu, aujourd’hui transformée en Musée, bouclent portes et volets du lieu du martyr. Je me retourne pour la millième fois de la nuit dans mes draps froissés et me voilà précipitée sur les abords herbeux et jardinés du Mémorial. Troublée par la confusion des images, celles des petits tremblants d’épouvante dans les trains de la mort, aspirant leur dernière bouffée d’oxygène avant l’asphyxie par le gaz et celles de ce reste d’arbre du Rwanda, calciné et rachitique, déformé de la douleur des tutsis dont il ne reste que des crânes blanchis et des os dont les chiens ne voudraient pas. Me voilà, cernée, courbée, épuisée, traînaillant sur l’aire de pique-nique où une famille saucissonne joyeusement, les parents vantant à leurs petits les merveilles de leurs prochaines vacances, un voyage organisé en Turquie où un guide diplômé de la plus haute université du pays, érudit, subtil et sympathique éludera la question du génocide des Arméniens où alors, si quelqu’un a l’audace de casser l’ambiance et de poser « le » problème, prendra l’air grave de circonstance pour répondre comme il est convenu de le faire, évoquant des massacres et des tueries causées par les mésalliances au temps de la grande guerre. Silence, soupir. Une pause pour refermer la parenthèse. Ce sont les vacances. L’honneur doit être sauf et le touriste a le droit de dormir. ■

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diasporas Temps d’honneur ROLAND BAUMANN

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haque automne, à la télévision polonaise, les épisodes de la série « Temps d’honneur » (Czas Honoru) évoquent l’époque tragique de l’occupation de Varsovie ainsi que l’histoire du ghetto. Lancée en septembre 2008, Czas Honoru vient de terminer sa troisième saison (39eme épisode) le 12 décembre dernier. Cette série TV très populaire, avec en moyenne 2 à 3 millions d’auditeurs, s’inspire de l’histoire véridique des Cichociemni (The Dark and Silent1), unité d’élite de l’armée polonaise formée en Angleterre à l’automne 1940 et entrainée par les services secrets britanniques du SOE (Special Operations Executive : Direction des Opérations Spéciales) pour exécuter en Pologne occupée des missions de renseignement et de sabotage, fournissant aux réseaux de résistance les experts militaires nécessaires à l’organisation de la lutte clandestine. Centrée sur Varsovie, l’intrigue de cette série toute en rebondissements, associant suspens, action et moments romantiques, ne prétend pas reconstituer l’histoire « réelle » de la résistance dans la capitale polonaise en 1941-1942, mais entend clairement plonger ses téléspectateurs au coeur de l’épopée des combattants de l’ombre. Le but est de les tenir en haleine au fil des aventures d’un petit groupe de spécialistes de la guerre clandestine, rendant ain-

si hommage à l’héroïsme réel des combattants de l’Armée de l’Intérieur (Armia Krajowa – A. K.) en évoquant par la fiction les faits d’armes et les sacrifices de tous ceux qui participèrent à cette vaste « conspiration » (konspiracja) qui dressa tout un peuple contre l’occupant. « Temps d’honneur » est aussi une saga familiale : les cinq agents du commando parachuté d’Angleterre au début de la série sont tous originaires de Varsovie. Leur chef, le major Czeslaw Konarski, est accompagné de ses deux fils, Wladek et Michal. Les deux autres membres du groupe, Bronek et Janek, ont, tous deux, leur « aimée » qui vit dans la capitale... Et, comme d’emblée, ces « spécialistes » violent toutes les règles de la clandestinité, entrant en contact avec les personnages féminins chers à leur coeur, l’action s’enfonce très vite dans la tempête, à travers une suite d‘événements empreints du sentimentalisme le plus tragique. Ainsi, Wladek, pris en rue dans une rafle après avoir rendu visite à sa mère, directrice d’hôpital et résistante, est torturé au siège de la Gestapo, allée Szucha, puis transféré à la prison Pawiak. Sa libération « miraculeuse », dans le dernier épisode de la première saison de Czas Honoru, se fera au prix de la mort du père, Czeslaw, abattu par la Gestapo au terme de l’action de sauvetage... Restent nos quatre « mousquetaires », dont les penchants « romantiques » ne ces-

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sent d’orienter l’action dans les épisodes ultérieurs de la série : amour, trahison, héroïsme, sacrifice... Nos héros ne cessent de déjouer les pièges de la Gestapo et de l’Abwehr. Mais, si la première et la seconde saison se terminent par leur victoire finale, les auditeurs savent aussi que de nouvelles menaces pèsent déjà sur les héros. Bref, une série captivante, avec ses redondances, ses invraisemblances et ses accumulations de clichés . La liste de protagonistes des différents épisodes de la série est bien trop longue pour l’évoquer ici. Parmi les premiers rôles, citons ce vétéran du cinéma polonais, Daniel Olbrychski, qui a joué dans différents films de Wajda, dont La terre de la grande promesse (1975), dans Le tambour (1979) de Volker Schlöndorff, et aussi pour Lelouch, Losey... Le redoutable chef de la Gestapo de Varsovie, « Lars Rainer », est joué par Piotr Adamczyk, qui, après avoir incarné Chopin dans un film polonais de 2002, a été Jean-Paul II dans la série TV, Karol, le combat d’un pape... Dans une série de spots publicitaires annonçant la troisième saison, Maciej Zalkoscielny, jeune acteur en vogue, alias Bronek, met en valeur l’historicité de la série. Accompagné d’extraits d’interviews de témoins, vétérans de l’AK, il esquisse les spécificités de la lutte clandestine et de la vie sous l’occupation. Dans « Deux côtés du mur » (Dwie strony


Lena et Janek dans le ghetto

muru), Bronek résume l’histoire du ghetto et les plans documentaires filmés par les allemands alternent avec des séquences de la série TV montrant la vie du quartier-prison. Il souligne la volonté de montrer le combat quotidien pour la survie mené par les habitants du ghetto et les différentes attitudes des Polonais face à la réalité de l’extermination. De fait, dès le troisième épisode de la première saison, Czas Honoru nous emmène dans les rues du ghetto, où survivent l’amie de Janek, Lena Sajkowska et sa famille, tous bons catholiques, enfermés au ghetto en raison des racines juives du père, professeur d’université. Catholiques, et donc « Polonais », les Sajkowski espèrent parvenir à faire reconnaître leur aryanité par les autorités allemandes. Mais, curieusement, dans cette partie de l’intrigue, le « vilain », Mosler, est un Juif, ancien étudiant du professeur Sajkowski et trop obséquieux pour ne pas être louche. Après avoir extorqué beaucoup d’argent aux Sajkowski pour leur faire rencontrer le fonctionnaire allemand capable de les sauver du ghetto, il crie toute sa haine à son ancien professeur. Une fois démasqué, il dénonce les

Sajkowski à la Gestapo qui les dépouille des bijoux qu’ils étaient jusqu’alors parvenus à cacher. Et si dans la deuxième saison (16eme épisode), Mosler aide les Sajkowski à échapper à la déportation, c’est pour mieux les spolier ensuite. Lena, qu’il convoite, s’étant entre-temps réfugiée dans la ville aryenne avec l’aide de Janek, Mosler retrouve sa trace et fait chanter Janek afin d’obtenir un passeport pour l’Argentine ! Après de nouvelles péripéties, Mosler est tué par le professeur Sajkowski qui, brisé par sa déchéance progressive, perd la raison sous les « coups bas » que ne cesse de lui infliger son ancien étudiant. Seul « vrai » Juif de la série en 2008 et 2009, Mosler n’est qu’un être fourbe, vil et lâche... bref une singulière caricature antisémite... Lena, dont les imprudences ne cessent de mettre en danger Janek et ceux qui l’abritent dans la ville aryenne, finit par retourner au ghetto. Son frère Romek parvient à acquérir des passeports qui doivent permettre aux parents Sajkowski de partir en Palestine, mais leur destination finale sera l’hôtel Polski et la mort... Romek rejoint la résistance juive du ghetto, celle de la ZZW

(Zydowski Zwiazek Wojskowy : Union militaire juive), formée d’officiers juifs polonais et de jeunes révisionnistes. Depuis la publication du livre de Marian Apfelbaum (Retour sur le ghetto de Varsovie, 2002), l’historiographie polonaise semble faire grand cas de cette organisation que l’historiographie communiste aurait volontairement occultée au profit des « gauchistes » de l’Organisation juive de combat. En 2004, Lech Kaczynski fit nommer une place, à Wola, en mémoire de David Apfelbaum, commandant de la ZZW lors de l’insurrection du ghetto. Si les trahisons sont fréquentes dans « Temps d’Honneur », elles visent les « conspirateurs » et n’ont quasiment pas de place dans les rapports des Polonais avec les Juifs. Dans La vérité n’a pas de frontière (Ulica Craniczna), filmé en 1948, le cinéaste juif et « stalinien » Aleksander Ford n’hésitait pas à montrer l’antisémitisme polonais, non seulement celui d’une famille de Volksdeutsch, Polonais d’origine allemande qui adhèrent à l’Ordre nouveau mais aussi celui d’une famille de Polonais résistants. Bien entendu, c’est le message de solidarité polonaise avec les Juifs héroïques qui terminait ce film, fort critiqué par Staline. On peut s’interroger sur la nécessité des thèmes juifs dans « Temps d’honneur », série TV d’historicité douteuse, tant par rapport à la réalité des agents secrets parachutés de Londres en Pologne occupée qu’à la chronologie du ghetto. Une série « palpitante », certes, mais qui n’aide pas les spectateurs à sortir des vieux stéréotypes antisémites... ■ Cette expression polonaise et son équivalent anglais, qu’on pourrait traduire par « Les furtifs », ne se répand que dans l’après-guerre pour désigner les agents secrets parachutés en Pologne occupée. 1

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Yiddish ? Yiddish ! PAR WILLY ESTERSOHN

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! widYi ? widYi

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histoires Une exécution au milieu du XXe siècle GENNADY ESTRAYKH*

Cet article est paru le 19 novembre 2010 dans Forverts, hebdomadaire yiddish new-yorkais accessible en ligne à l’adresse http://yiddish.forward.com

I

l y a soixante ans, le 23 novembre 1950, deux journalistes yiddish étaient fusillés à Moscou : Shmuel Persov et Mire Ayzenshtatd. Tous deux travaillaient pour le journal yiddish Eynikayt. Deux ans plus tôt, celui-ci avait été fermé dans le cadre de la liquidation du Comité anti-fasciste juif qui était depuis longtemps comme une épine dans l’oeil étatique. Les dirigeants du Comité furent fusillés plus tard, le 12 août 1952. Mais le cas de Persov et Ayzenstatd avait déjà été réglé fin 1950. Quelle fut la raison de ce traitement particulier ? Officiellement, Persov et Ayzenshtatd avaient été accusés de « liens avec le mouvement clandestin nationaliste en Union soviétique » ainsi que d’avoir soi-disant « mené des activités d’expionnage ». Ces accusations n’avaient, cela va de soi, aucun lien avec la réalité. Persov et peut-être Ayzen-

statd — qui écrivait également sous le pseudonyme de Zheleznova — avaient, selon certaines sources, commencé à récolter des informations sur la fille de Staline, Svetlana, suite à une requête venant de l’étranger. Au cas où cela aurait été possible, il faut envisager que la commande émanait du journal new-yorkais MorgnFrayheyt1 ou d’une publication du même type. Mais il reste plus que douteux que des journalistes soviétiques expérimentés aient pu être assez naïfs pour se lancer dans une telle recherche. Il y a un an, à l’occasion du centenaire de la naissance de Mire Ayzenshtadt, sa fille, Nadezhda Zheleznova-Bergelson, a publié à Moscou un livre intitulé On a assassiné ma mère au milieu du XXe siècle. Des recensions de ce livre dont nous n’avons pu avoir connaissance, il ressort qu’il se penche en particulier sur la « faute » qu’aurait commise Mire

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Ayzenshtadt en se procurant auprès de la bureaucratie militaire soviétique une liste de 135 Juifs décorés du titre de « héros de l’Union soviétique ». Le livre retient l’hypothèse que cette « faute » aurait été à la base de l’inculpation, d’autant que l’officier qui avait transmis le document a été condamné pour la divulgation de ce « secret » . Il serait nécessaire de vérifier si cette liste a effectivement été publiée dans Eynikayt. L’index électronique de la presse périodique yiddish de l’Université hébraïque de Jérusalem ne le confirme pas. On peut cependant être certain que Eynikayt a bien reçu cette liste – officiellement et non en cachette – précisément de la part de cet officier qui a été plus tard condamné. Et tant Persov que Ayzenstatd ont amplement écrit sur les Juifs décorés du titre de héros. Il est difficile de dire si, dans le climat paranoïde de l’État stali-


À Moscou, le mémorial du Comité antifasciste juif sur le mur extérieur du bâtiment qui l’abrita de 1942 à 1948. « Le 12 août 1952 les membres du Comité antifasciste juif sont tombés victimes de la terreur stalinienne »

nien, ils avaient bien saisi qu’un tel intérêt journalistique pouvait très facilement être interprété comme une dangereuse maladie nationaliste sinon pire encore. On reprochait d’ailleurs en général à Eynikayt de trop s’intéresser aux militaires juifs. À l’opposé de Mire Ayzenstadt qui était à peu près nouvelle dans le journalisme yiddish, Shmuel Persov bénéficiait d’une grande expérience qui remontait à son séjour aux États-Unis. En 1917, à l’âge de 28 ans, il était rentré en Russie où débutaient les événements révolutionnaires. Persov avait été l’un des premiers hommes de lettres juifs à avoir prôné la « littérature prolétarienne ». S’il n’était pas un grand écrivain, il s’était en tout cas distingué comme journaliste, particulièrement dans le genre du récit documentaire. Parmi les héros sur lesquels il écrivit, le légendaire pilote Yan-

kev Shmushkevitsh. Figure centrale de l’aviation militaire soviétique, il fut honoré à deux reprises de la plus haute décoration militaire, celle de « héros de l’Union soviétique » : en 1937, pour son action en Espagne où il était connu sous le nom de « général Douglas » et en 1939, pour sa participation à la bataille de Khalkhin Gol en Mongolie, dans le cadre du conflit soviéto-japonais. Arrêté le 8 juin 1941, le général-lieutenant Yankev Shmushkevitsh fut fusillé le 28 octobre de la même année. La machine mangeuse d’hommes de la répression stalinienne ne s’interrompit pas pendant la guerre. Roze Shmushkevitsh, la fille du général assassiné vit à Berlin. Interrogée, elle se rappelle vaguement le nom de Shmuel Persov mais elle ne sait pas que l’auteur du livre sur son père a connu, neuf ans après lui, un sort identique. ■

* Gennady Estraykh est professeur associé d’études yiddish et d’études juives et hébraïques à New York University. Chroniqueur au Forverts, G. Estraykh est un ancien collaborateur au mensuel yiddish Sovetish heymland. Morgn-Frayheyt : journal yiddish communiste, aujourd’hui disparu.

1

Traduction : Alain Mihály

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ANNE GIELCZYK

Ciel, mon marché !

B

onjour les amis et bonne année dites. Eh oui, le temps passe vite, voilà-t-il pas que nous entamons une nouvelle année, le moment où jamais de jeter ensemble un regard judéoflamand sur l’année écoulée. Une année sans gouvernement certes, mais pleine de préformateurs, de médiateurs, de clarificateurs et de conciliateurs. Mon prix 2010 de l’ humour ira donc à Albert II, roi des Belges, pour avoir mis un peu de drôlerie et de poésie dans notre cirque politique. Ça, c’est pour le meilleur. Et maintenant, pour le pire. Pointons d’abord le quiz du dimanche soir sur la VRT « De Pappenheimers » (1,6 millions de spectateurs) qui a eu l’idée géniale de demander dans la catégorie « philosophie » de quel peuple « le plus détestable qui ait jamais souillé la terre » parlait donc Voltaire ? Parlaitil, nous demande l’animateur Tom Lenaerts, des Flamands, des Juifs ou des Turcs ? Autant vous dire que le premier imbécile venu qui n’avait jamais entendu parler de Voltaire, connaissait la réponse. Jan Peumans (le président (N-VA) du Parlement flamand) à qui la question était adressée s’est empressé de répondre « les Turcs » estimant que la vraie réponse était trop dangereuse, il le savait pour avoir fréquenté les Juifs au Parlement flamand, ils sont trop susceptibles. Il valait donc mieux « liquider » la question bien que selon l’animateur associer les mots « Juifs » et « liquider »

c’est encore plus dangereux. Hilarité générale. Mon prix du plus mauvais humour en 2010 ira donc à la VRT, Jan Peumans, Tom Lenaerts et le public dans son ensemble. (Je m’excuse auprès de ceux que cela ne faisait pas rire).

I

l y a un an très exactement, Guy Quaden, notre gouverneur de la Banque nationale, déclarait que la crise était finie, « de crisis iz gueudane ». C’est pourquoi à Points critiques nous avions jugé qu’il méritait le prix judéoflamand du plus mauvais économiste de l’année 2009. La suite semble nous avoir donné raison. Après la banqueroute de l’Islande, la spéculation contre la Grèce et l’Irlande a amené ces pays et l’euro au bord de la faillite. La suite est encore incertaine, mais une chose est sûre, le Portugal, l’Espagne et même la Belgique sont dans le collimateur des spéculateurs. Cette année, nous avons décidé de décerner le prix à Herman Van Rompuy, qui face à cette menace a pris les devants et a déclaré de façon solennelle que la Belgique va très très bien. Même sans gouvernement, notre déficit est parmi les plus bas d’Europe avec l’Allemagne. Ah bon ? C’est à se demander si on ne ferait pas mieux de continuer comme ça, hein dites ? D’après Van Rompuy, nos « fondamentaux » sont en parfaite santé : la croissance économique, les créations d’emploi, la balance commerciale, excellent tout ça ! Le problème, c’est

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le facteur subjectif : « les marchés » sont inquiets, « les marchés » ne savent pas que tout va bien. Il faut donc le leur dire avec insistance : calmez-vous, tout va bien ! Que voulez-vous « les marchés sont irrationnels » comme le regrettait encore notre gouverneur de la Banque nationale lors de la présentation des perspectives économiques pour 2011. Tout ne serait donc qu’une simple question de mauvaise perception ? Il suffirait dès lors d’appliquer la méthode Coué à la gouvernance économique ? Dire que tout va bien et tout ira bien ? La spéculation contre la Belgique ? Totalement irrationnel ? Admettons, mais comment en convaincre « les marchés » ? Là, tout le monde est d’accord, Leterme, Van Rompuy, et même le patronat flamand (VOKA) : il nous faut un gouvernement au plus vite (Quaden : « oueu moeten zo snel moguelik een reguerink hebbeun ») car sinon « les marchés » vont s’énerver. Et quand « les marchés » sont nerveux, ça coûte cher, très très cher. Rien que pour sauver la Grèce, l’Europe et le Fonds monétaire international ont déboursé 830 milliards d’euros, soit deux fois le produit intérieur brut de la Belgique. Et même avec tout ça, on n’est jamais à l’abri d’une rechute. Ce sont des êtres très fragiles, « les marchés ». Il y a des choses qu’il ne faut surtout pas dire, comme par exemple se poser la question de comment répartir la dette entre les régions en


Belgique ou déclarer comme l’a fait Bart De Wever dans une interview à Der Spiegel : « la Belgique est l’homme malade de l’Europe ». Catastrophe ! Leterme l’a dit : « C’est vraiment la ligne rouge à ne pas franchir ! Je lance un appel aux collègues qui négocient : il faut être très vigilant à ce sujet »1. Bart De Wever, l’ignore-t-il ou en jouet-il ? Souvenez-vous, quand Angela Merkel a dit qu’on pourrait « restructurer » la dette, ce qui laissait sous-entendre que les États débiteurs pourraient ne pas rembourser la totalité de leur dette, « les marchés » se sont fort énervés et en octobre, ils ont attaqué l’Irlande, un autre maillon faible.

A

vec l’argent du contribuable bien sûr. Car n’oublions pas que si les banques aujourd’hui peuvent se permettre de spéculer contre les États, c’est parce que ces États, c’està-dire les contribuables, leur ont donné l’argent nécessaire pour se refaire une santé. En gros, tout cela nous a couté quelque 25% de nos produits intérieurs bruts depuis 2008. Des sommes phénoménales, l’OCDE parle de 11.400 milliards de dollars, environ 1700 euros par habitant de la planète. Quand on sait qu’une personne sur deux dans le monde (sur)vit avec moins de deux dollars par jour, on mesure l’ampleur du gaspillage et de l’injustice. Et nous, eh bien on n’a pas encore fini de payer les amis. On finira bien un jour par avoir un gouvernement et on sait déjà que, quelle qu’en sera la composition, le gouvernement devra réduire le déficit à 0% à l’horizon 2015. Eh oui les amis, il faut se rendre à l’évidence, ils ne sont d’accord

sur rien, mais quand il s’agit d’obéir à la loi du marché, « tous les partis politiques sont d’accord » a confirmé Guy Quaden2. On a vu en Grèce et en Irlande à qui revient le privilège d’assainir les finances publiques : les fonctionnaires, les allocataires sociaux, « les petites gens » comme on dit. Et les banques ? Eh bien les banques ça va, elles continuent de distribuer des bonus, tandis que les grandes entreprises ne paient pas d’impôts : INBEV, 0%, Groupe Bruxelles-Lambert 0%, Solvay, 0%, Delhaize… 0,04% (oui moins 0,04%) et j’en passe3. Personne qui le leur interdit. Au contraire, c’est légal. Ça s’appelle les intérêts notionnels et autres avantages fiscaux réservés uniquement aux (grandes) entreprises.

A

llô les partis de gauche ? Allô, les syndicats ? Y a quelqu’un ? Et le citoyen ? Il met de l’argent de côté paraît-il. Pour les mauvais jours. Sur un compte d’épargne. Ça ne lui rapporte même pas le taux d’inflation mais il se méfie désormais des produits dérivés des banques. C’est sa façon à lui sans doute de boycotter les banques. De là à aller retirer son argent, comme le voulait Cantona… c’est sans doute un peu naïf. Non une meilleure proposition me semble-t-il ce serait de faire ce qu’on fait avec les êtres qui souffrent à ce point de comportement dangereux et imprévisible : on les colloque et on les soigne. En d’autres termes : serrons la vis aux marchés. Et si on créait une ou deux banques publiques ? « Et si on fermait la Bourse ? » titrait Le Monde Diplomatique en

février 2010. Une idée de gauchiste encore pire que celle de Cantona ? Ah lala, tout de suite les grands mots ! Mais non, contentons-nous de fermer la Bourse, même que l’économie (et la libre entreprise) n’en pâtira pas. En effet, s’il faut en croire Frédéric Lordon, l’auteur de cet article, si sur papier la Bourse est un lieu où l’offre (d’argent) et la demande se rencontrent, cela fait longtemps que la Bourse ne finance plus les entreprises. Non, figurez-vous qu’aujourd’hui ce sont les entreprises qui financent la Bourse ! Les actionnaires des entreprises cotées en bourse leur pompent tous leurs bénéfices, pire, les entreprises sont obligées de racheter leurs propres actions pour faire monter leur cours boursier. De l’argent qu’elles ne peuvent donc pas investir dans leur core business. « Il y a de quoi être interloqué devant un tel constat » nous dit l’auteur. En effet, on en reste comme deux ronds de flan.

A

lors, chers partis de gauche, chers syndicats, chers citoyens, soyez un peu créatifs dites, en attendant la faillite de la Belgique, les élections, le gouvernement et sa réforme de l’État, on pourrait peut-être établir un cahier de revendications, descendre dans la rue (Ren-dez-nous, notre Caisse d’Epaaar-gne!), faire la grève, prendre les choses en main, vivre autrement… Non ? ! Je sens qu’on va encore reparler de tout ça en 2011. ■ Interview dans Le Soir du 7 décembre 2010. 2 Conférence de presse du 6 décembre 2010. 3 Une étude du PTB largement répercutée dans De Morgen (8/12) et dans le Soir (7/12). Du jamais vu. 1

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LE

DE LÉON LIEBMANN

L’issue de la crise dépendra-t-elle du seul patronat flamand ?

L

a profonde crise politique dans laquelle est plongé et se débat notre pays n’a pas fini de surprendre les observateurs les plus avertis et d’étonner les participants à ses diverses péripéties sur lesquelles ils ne semblent pas avoir la maîtrise. Après la secousse sismique des élections du 13 juin dernier, les deux grands vainqueurs du scrutin, Bart De Wever (président de la N-VA) et Elio Di Rupo (président du PS) avaient convenu de s’attaquer aux problèmes qui avaient entraîné la chute du gouvernement d’Yves Leterme en optant pour une méthode inédite : entamer entre eux les grandes lignes de la réforme des institutions fédérales, régionales et communautaires pour en esquisser les nouveaux contours. Puis réunir autour de la table des négociations quatre chefs de partis flamands (la N-VA, le CD&V, le SP.A et Groen !) et trois partis francophones (le PS, le CDH et Ecolo) pour parachever, le cas échéant en l’amendant, le texte peaufiné par les deux « grands » et s’attaquer ensuite à la mise au point d’un accord gouvernemental, en ce compris la rédaction d’un projet du budget de l’État fédéral pour 2011 et 2012. Quant au règlement du problème de « BHV », il serait traité conjointement avec celui du statut et du financement de la

Région de Bruxelles-Capitale. Elio Di Rupo explicita ce vaste programme en recourant à des slogans plus emphatiques que convaincants : chacun des deux plus grands partis devrait prendre et exercer pleinement ses responsabilités et accomplir à cet effet une « révolution copernicienne » et rechercher des solutions de compromis impliquant des concessions mutuelles et réciproques. Ainsi pourraient-ils « concilier l’inconciliable ». Selon les deux leaders, les discussions pourraient ensuite se dérouler entre les sept partis présélectionnés. Leurs représentants avaient accepté, avec une sorte de soulagement, ce partage logique et chronologique des responsabilités, préférant laisser le PS et la N-VA mettre les premiers la main à la pâte et déblayer le terrain pour leurs cinq autres partenaires. Devant les caméras de télévision et les photographes de la presse écrite, De Wever et Di Rupo se serrèrent chaleureusement la main et déclarèrent qu’ils avaient confiance dans la bonne foi et les bonnes intention de leur partenaire privilégié et ils passèrent aux choses sérieuses. Si les négociations semblaient avoir bien démarré, elles capotèrent dès la première difficulté du parcours : fallaitil traiter d’abord les problèmes institutionnels ou s’occuper de revoir la loi de financement qui

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détermine la répartition entre l’État et les entités fédérées des deniers publics provenant de la fiscalité ? A en croire Elio Di Rupo, les deux compères se mirent verbalement d’accord pour réserver à une phase ultérieure de leurs travaux les modifications éventuelles à apporter à la loi de financement. Mais Bart De Wever décida de soulever unilatéralement et immédiatement ce lièvre. Di Rupo lui rappela son engagement de ne pas s’en occuper avant d’avoir au préalable résolu les problèmes institutionnels. De Wever s’obstina et Di Rupo, échaudé, refusa d’entériner ce désengagement. Il fit savoir ce qui s’était passé et ajouta qu’il n’avait plus confiance dans un interlocuteur aussi versatile. En dépit des très nombreux efforts entrepris par la plupart des membres du groupe des sept, cette confiance, jugée pourtant indispensable par tous les intéressés, n’a pas (encore ?) été rétablie.

I

l serait injuste et vain d’en faire porter la responsabilité par le seul président de la N-VA. Son ex-partenaire dans le cartel formé par ce parti avec le CD&V ne peut en être exonéré. Dans ses prises de positions successives à propos de chacune des nouvelles exigences formulées par cet allié pour le moins imprévisible, il zigzagua


le plus souvent en passant d’un timide rejet à un acquiescement plus résigné qu’enthousiaste. Il était mû par la crainte d’un isolement de la N-VA dans le groupe des sept, isolement susceptible d’entraîner la rupture des négociations et le recours à de nouvelles élections qui pourraient s’avérer pour lui catastrophiques, voire même funestes.

S

ans aller jusqu’à quitter la table des négociations, deux autres partis flamands – le SP.A et Groen – ont, eux, osé prendre leurs distances à l’égard de la NV-A et rompre ainsi le « bloc » flamand par rapport aux positions du « bloc » francophone. Il est vrai que ces deux partis ont des clientèles électorales très différentes de celles acquises ou convoitées par la droite hyper-nationaliste et même séparatiste de plus en plus déterminée à soutenir la N-VA. Quant à l’Open VLD, il s’est réfugié, au moins pour un temps (indéterminé), dans l’opposition au groupe des sept pour digérer et surmonter ses trois lourdes défaites électorales et consécutives. On se rappelle que Bart De Wever avait, au cours de l’automne dernier, courtisé le pendant francophone de l’Open VLD : le MR, considéré comme un parti de centre droit, avec comme contrepartie l’éviction du PS ou, à défaut, du CDH, jugés par lui trop à gauche. La manœuvre échoua mais son abandon entraîna une réaction aussi insolite qu’inattendue de la part du président du FDF, membre à part entière du MR : il offrit ses « services » à ceux qui, comme lui-même, voulaient former un gouvernement sans la

N-VA pour y prendre sa place, tout simplement. Sa proposition n’intéressa personne, pas même le président du MR, et fit long feu. Olivier Maingain qui en avait espéré… maints gains, en fut pour ses frais. Une contribution plus sérieuse et plus significative à une possible sortie de crise fut apportée par Eric De Bruyckere, président du VOKA (Vlaams Netwerk Van Ondernemingen), principale association patronale flamande. Il a pris nettement parti pour le maintien et même la consolidation de l’État belge et pour la primauté donnée à la formation la plus rapide possible d’un nouveau gouvernement qui ne se bornerait plus, comme l’actuel, à la seule expédition des affaires courantes et s’attaquerait enfin aux graves problèmes économiques et sociaux que connaît la Belgique tout entière. C’était une double et presque explicite condamnation de la stratégie et de la tactique, rapportées plus haut, de Bart De Wever. Mais il compléta son admonestation par un double et quasi-explicite soutien aux exigences du Président de la N-VA concernant la loi de financement et la part de l’Impôt sur les personnes physiques (IPP) devant être ôtée à l’État au profit des entités fédérées. Enfin, comme Bart De Wever, il opta pour une plus grande autonomie fiscale des régions au détriment, là encore, de l’État fédéral. On peut résumer comme suit le sens et la portée de ces deux prises de position du plus grand patron flamand : « si vous voulez conserver notre appui et notre soutien financier, n’allez pas plus loin que les limites que je vous trace. Sinon… » Quand on connaît l’influence considérable du monde patronal

flamand sur la N-VA, on ne peut que s’attendre à ce que celleci comprenne et applique cet avertissement. Quant au VOKA, soucieux de concilier l’existence d’un État fédéral solide et viable et les intérêts de sa classe et de sa région et de continuer à veiller à ce qu’elle y occupe la première place, il n’a certainement pas fini d’agir et de se manifester en ce sens.

L

a « trêve des confiseurs » qui généralement met en veilleuse la vie politique aux alentours de la Noël et du Nouvel An, semble cette année avoir débuté plus tôt que de coutume et cela en raison de la gravité de la maladie dont souffre la mère du « conciliateur royal » Johan Vande Lanotte et de l’impossibilité dans laquelle ce dernier se trouve de continuer momentanément dans ces conditions à remplir sa mission. Elle permettra utilement aux dirigeants politiques de prendre un peu de recul par rapport à l’actualité immédiate avant de se remettre au travail pour enfin entamer sérieusement les réformes envisagées. L’opinion publique ne devrait pas s’en désintéresser et laisser les partis en compétition pour exercer le pouvoir continuer à ergoter sur le sens de chaque mot et ne considérer que l’intérêt de son organisation ou (et) de sa région. Cela vaut aussi bien pour sa composante progressiste que pour les autres tendances qui se disputent la sympathie et l’appui des électeurs. Pensons-y et agissons en conséquence tant qu’il en est encore temps. ■

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réfléchir

N’ai-je donc vécu que pour cette infamie... JACQUES ARON

À

la fin des vacances, il était fin prêt pour la rentrée politique. Le lundi 31 août 2010, il présentait aux médias, devant les micros et les flashs crépitants, le livre qui devait le propulser sur le devant de la scène, lui, l’homme aux allures d’expert distingué, l’ancien échevin socialiste des Finances de Berlin, un membre de la direction de la Bundesbank : « L’Allemagne s’abolit » ou « Comment nous mettons notre pays en jeu ». La recette n’est pas neuve : un pays menacé de l’intérieur par ses immigrés. L’inventeur du mot « antisémitisme » s’inscrivait déjà en 1879, six ans après la première crise financière du Second Empire allemand, dans ce courant de Kulturpessimismus, vision amplement ressassée de la défaite de l’« Occident » dans l’affrontement des « civilisations ». Thilo Sarrazin s’efforce de ne plus viser les Juifs (bien que…) mais un « islam » aussi fantasmé que les Juifs le furent en leur temps. Quand Wilhelm Marr écrivit son fameux pamphlet La victoire du

judaïsme sur le germanisme, vue d’un point de vue non confessionnel, ces derniers étaient au nombre de 560.000 ; les immigrés visés par Sarrazin (cela ne s’invente pas !) sont environ sept millions. Quel est le pays européen qui, en temps de crise, n’est pas menacé par le populisme outrancièrement simplificateur, plus soucieux de boucs émissaires que capable d’esquisser des solutions crédibles — ce qui devrait bien être la tâche d’un spécialiste financier ? S’il devait sur sa lancée fonder un nouveau parti, Sarrazin serait, selon un sondage, crédité de 18% des voix des électeurs allemands. Devant cette concurrence nouvelle, la chancelière Angela Merkel s’est aussitôt chargée d’annoncer l’échec d’une politique d’« intégration » et la fin du Multi-Kulti, comme on dit Outre-Rhin. Tout en précisant, passé oblige, les valeurs irremplaçables du judéo-christianisme. Et de louer l’intégration exemplaire, par les communautés juives subsidiées à cette fin, des immigrés venus de l’ex-URSS à la fin

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des années 70 et majoritairement après la chute du Mur. « Le renforcement de la vie juive en Allemagne et la sécurité de l’État d’Israël appartiennent à la raison d’État allemande », a-t-elle déclaré d’un même souffle. Mais beaucoup de Juifs se méfient à juste titre de servir d’alibi au rejet de l’islam. Seule l’extrême droite semble avoir salué sans réserve la prestation de Sarrazin. Elle a même imprimé des affiches : « Tout le monde sait que Sarrazin a raison ». La diabolisation collective et le rejet d’une collectivité sur base de ses origines ou de sa religion passe encore mal en Allemagne, le pays d’Europe qui, pour des raisons évidentes, ne cesse de se pencher sur son trouble passé. Une tentative récente d’innocenter sa diplomatie de ses responsabilités dans la montée du nazisme — ou tout au moins de la minimiser — semble avoir fait long feu. Ce qui inquiète le plus, c’est le retour dans le débat d’arguments pseudo scientifiques, la recherche de preuves « objectives » que des groupes humains seraient do-


tés de qualités intellectuelles (ou autres) qui les prédisposeraient à certains comportements plus ou moins favorables à l’intégration. Et voici à nouveau l’inénarrable « gène juif », ce non-sens biologique qui devrait à lui seul disqualifier tout interlocuteur et faire tendre son QI vers zéro. Que des traits génétiques permettent — avec une probabilité statistique relative — de retracer des trajets migratoires, n’autorise pas à les définir en termes historiques, nationaux, religieux ou culturels. Un gène n’est pas plus mormon, grec, bouddhiste que juif ! Et comme dans les vingt années qui précédèrent l’arrivée au pouvoir des nazis, ce « gène » s’invite dans tous les plaidoyers à charge comme à décharge. Même des « savants » juifs n’ont pas renoncé à le cultiver à leur avantage. Partout, les différentes synagogues se disputent la légitimité de reconnaître « qui » est juif. En Allemagne, l’objet de leurs querelles est le Juif de l’ex-URSS dont le passeport indiquerait une nationalité ne prouvant rien en matière religieuse, si

Le livre de Thilo Sarrazin

elle ne s’appuie pas sur un séjour initial de neuf mois dans le ventre d’une yiddishe mame. Un programme spécifique de giur (conversion) lui est même proposé. Tandis qu’un rabbin libéral recommande aux orthodoxes de se montrer plus modernes en acceptant pour preuve un test génétique ! Ô rage, ô désespoir… ■

Points critiques a le plaisir d’informer ses lecteurs de la parution chez Didier Devillez Éditeur du dernier livre de Jacques Aron, Israël contre Sion ou les deux visages du judaïsme.

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réfléchir Sur les marches de la gare YOURI LOU VERTONGEN

U

ne heure de trop! Voici une heure que je traîne mon existence dans un hall de mort, un lieu de non-vie. Aujourd’hui, faut-il le préciser, il s’agit d’un hall de gare. Mais c’eut pu être une école, un centre commercial ou une prison. Même atmosphère délétère, même architecture nécrogène, même désert désaffecté. Assis à l’aube d’une volée d’escaliers souillées par le passage, j’erre sans but. Hors de portée de ma réflexion, s’excluant de tous rapport humains, d’aucuns s’engouffrent dans les train-trains de la vie quotidienne. Ce train, comme beaucoup d’autres, nous sommes quelques uns à l’avoir raté. Sans doute plus par désir volontaire que par omission manquée. Peut-être fait exprès, « Je prendrai le prochain ». De toute façon, ils ne m’emmènent jamais bien loin ces wagons de malheur : un peu plus d’illusions masquées, un peu plus de fuite en avant. L’encadré d’un rouge ostentatoire promet la sanction à tous ceux qui oseraient stagner, à ceux qui voudraient s’arrêter, ne pas monter dans le train. La pénitence comme arme pour corriger les prétendants à la vie déviante. Je persiste et prend donc mes aises. Tout ici, ou presque, nous évoque la force de l’Empire. Une horloge dans chaque coin nous rappelle qu’à trop peu se soucier du temps qui passe, on finirait par le perdre, par l’égarer, lui et la va-

leur qu’il crée, « le temps c’est de l’argent » parait-il. Le permissif s’égare sous le matraquage de l’interdit. Il agit comme un métronome rythmant les minutes de mes foulées : interdit de fumer, interdit de manger, interdit de s’asseoir, interdit de stationner,... La Machine, dans sa bonté dominatrice et inclusive, nous a tout de même permis (forcés ?) de lire l’interdiction, bribes et vestiges du permis sous le manteau de l’interdit. Les flux de passants sont à l’image de ces transferts financiers modernes : impalpables, anonymes, désaffectés. Il faut s’arrêter un instant dans les méandres du troupeau pour en saisir toute la portée, toute la violence qui nous est faite, que nous rendons. Il faut le remonter à contre sens pour en subir la contenance, la percevoir. Car bien souvent, décrire l’anonymat d’un monde que l’on hait, c’est se concevoir comme son propre produit. C’est le « Je-marchandise » qui écrit ces quelques lignes, quoi qu’il en pense. Bien souvent, s’arrêter dans la foule haletante, c’est se souvenir qu’elle nous a déjà avalé, qu’on a peine à se faire recracher. Dans ce monde où tout s’appartient, nous n’appartenons plus à nous-même. Nous sommes à notre patron, à notre professeur, à notre flic de quartier, à notre boîte, à notre école, à notre temps, à notre époque. Nous sommes les tristes visages de l’étranger, de l’étrangeté, sur-présente dans cet

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espace aliéné. Je ne sais rien de la foule d’innommables vacillants devant moi. Nous ne nous savons pas, bien qu’étant présents les uns aux autres. Atomisation sociale. « Nous » collectif sclérosé en sommes de « Je » indépendants. Rien à faire, depuis une heure, « Je » file, se refile et se défile. Tous persuadés d’avoir opté pour la meilleure des vies (vie ?). Celle qui ne permet pas de s’arrêter, qui force à toujours avancer. Cheminer en ligne droite. Toute courbe de trajectoire est un échec, tout détour sinusoïdal est une défaite. « Je » prisonnier de son propre immobilisme mouvant. « Je » enfermé dans son temps : dans le passé de ses études, dans le présent de sa connerie, dans le futur de son repos. « Je » est un con ! Pris de vertige au sein de cette foule d’individuels, mes mots me trahissent. M’ignorant moi même, je me laisse gagner par la démesure, par l’hybris de mes pensées. Rien qu’un monde qui se détourne, rien qu’une rivière qui se remonte, rien qu’une existence qui se déjoue. De ces normes avalées aux aurores de l’existence, de la fourberie de ce que mes sens me rapportent d’illusoires, trop facile de s’y conforter, tellement ardu de s’y confronter. Rien ne tue plus surement que de se contenter de survivre. ■ Un fraudeur du train de la (sur)vie


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activités mercredi 5 janvier à 20h15

En partenariat avec l’Institut Marcel Liebman

Il n’y aura pas d’État palestinien Conférence-débat avec

Ziyad Clot à propos de son livre

Ziyad Cot est un jeune juriste franco-palestinien. Son récit commence par un « retour ». Il retrouve la maison de Haïfa dont sa famille palestinienne, avec sa mère alors agée de quelques mois, a été expulsée en 1948 pour se retrouver dans un camp de réfugiés. Lors de rencontres avec des responsables palestiniens, il accepte un poste de conseiller juridique de l’OLP. Puis, de fil en aiguille, il devient négociateur, participant — en tant que spécialiste de la question des réfugiés — aux négociations de paix d’Annapolis de 2008 sous l’égide de la secrétaire d’État américaine Condoleezza Rice. Pour la première fois — en tout cas du côté palestinien — nous avons droit à une relation des négociations vues de l’intérieur. Ziyad Clot nous épargne la langue de bois diplomatique de circonstance pour nous dresser un tableau sans fard des négociations. S’il se montre cinglant envers les Israéliens qui prétendent, jour après jour, faire des « propositions généreuses », il ne ménage pas son propre camp auquel il reproche, exemples à l’appui, une couardise dictée par la crainte d’un froncement de sourcil de la Maison Blanche. Par son témoignage, Ziyad Clot entend nous montrer comment et pourquoi les négociations — mettant en présence la force des uns et la faiblesse des autres — sont devenues vaines. Étant donné l’état de la situation sur le terrain, l’ex-négociateur ne voit d’autre solution pacifique que dans l’établissement d’un État unique au sein duquel Palestiniens et Israéliens devront vivre ensemble. PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO

vendredi 14 janvier à 20h15 Absence de la culture arabe dans la société israélienne. Ce mur de la séparation culturelle peut-il être fissuré ?

Conférence-débat avec

Yaël Lerer, fondatrice des éditions Al Andalus à Tel-Aviv

Ayant constaté l’absence presque totale de la littérature arabe dans les œuvres littéraires traduites en hébreu, dans une société où une bonne partie de la population est originaire des pays arabes, Yael Lerer a fondé en 2002 Al Andalus, une maison d’édition dédiée uniquement à la diffusion de la littérature arabe en hébreu. Cette initiative a été soutenue par d’éminents intellectuels arabes dont Mahmoud Darwich, Elias Khoury, Edward Saïd, Mohammed Berrada. « Dans la réalité raciste, où les murs de séparation ne font que s’élever un peu plus, le fait même de rendre la langue et la culture arabe présentes dans l’espace hébraïque constitue une forme de résistance ». Yael Lerer Yael Lerer est une militante active du camp de la paix et abordera aussi des questions d’actualité. PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO

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vendredi 21 janvier à 20h15 Points critiques rencontre ses lecteurs Table-ronde Trois ans après le lancement de la nouvelle formule de Points critiques, il est, pour le comité de rédaction du mensuel de l’UPJB, plus que temps que la voix de ses lecteurs se fasse entendre. Sont-ils satisfaits de leur mensuel ? Y trouvent-ils ce qu’ils y cherchent ? Qu’y cherchent-ils ? S’y retrouvent-ils ? Ont-ils des propositions à avancer ? Des critiques à faire ? C’est le pourquoi de cette table-ronde autour des membres du comité de rédaction et des contributeurs extérieurs. PAF: entrée gratuite

Un don à l’UPJB au nom de Victor Cygielman

C

’est avec beaucoup d’émotion que nous avons reçu ce tableau de l’artiste flamand Frans Masereel, considéré comme un maître de la gravure sur bois. Il a été offert à l’UPJB au nom de Victor Cygielman, qui nous a quittés en mai 2007, par sa femme Thea Cygielman Werber. Thea à décidé de nous offrir cette gravure « en raison des liens très forts que Victor avait eu dans sa jeunesse avec l’USJJ et avec Solidarité juive. Ces deux organisations forment le socle sur lequel l’UPJB a été créeéepour leur succéder ». Elle nous écrit par ailleurs que « Victor était particulièrement attaché à ce tableau qui lui rappelait, moins par le sujet qu’à cause de l’artiste qu’il admirait beaucoup, sa jeunesse militante et ses amis pour lesquels il gardait une amitié profonde et nostalgique. Je connais votre organisation, aussi bien par Larissa Gruszow qui était une amie très chère de Victor que par votre publication Points critiques que je reçois régulièrement. Je se-

rais honorée que ce tableau trouve sa place dans vos locaux ». Il a d’ores et déjà trouvé sa place sur nos murs. Et nous remercions très chaleureusement Thea pour son geste.

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courrier Malaise

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e petit dossier que Points Critiques (décembre 2010) consacre à la liberté d’expression m’a beaucoup troublé. Les analyses très fines qu’il propose de certaines dérives idéologiques propres à une certaine gauche antisioniste obsessionnelle ne sont pas en cause, mais bien la présentation biaisée du contexte général qui justifie le choix d’un tel dossier. Car on n’est pas dupe : tout est parti de la soirée du 20 septembre à l’ULB qui, par ellemême, n’aurait jamais dû mériter une telle attention. Ce soir-là, les quelques dizaines de personnes qui peuplaient le grand auditoire P-E. Janson n’étaient venues que pour en découdre, sûrement pas pour écouter un échange d’arguments. Si cette soirée qui appartient à un certain folklore universitaire n’avait pas eu de suite, je doute que Points Critiques aurait embrayé dessus. * Mais il y a eu une suite. Après coup, le professeur Maurice Sosnowski, qui appartient au corps professoral de l’ULB mais qui est surtout l’actuel président du CCOJB, a mis publiquement en accusation deux des protagonistes de la soirée, le vice-recteur Marc Van Damme (accusé « au mieux d’incompétence ») et le chercheur Souhail Chichah (accusé d’avoir tenu « des propos vomitifs sur la

Shoah »), en demandant au Conseil d’administration de l’ULB de les désavouer publiquement. Ce point de vue s’exprima dans Le Soir et fit l’objet d’une réplique de Souhail Chichah. Et c’est ainsi que l’affaire se mit à enfler. * Les propos tenus, notamment par Souhail Chichah, l’exposent évidemment à la controverse. Pour ma part, ils m’ont mis suffisamment mal à l’aise pour m’empêcher de prendre part aux initiatives prises pour sa défense. Mais s’il faut faire le compte des propos scandaleux, son principal accusateur n’en est pas avare, et ce dans des circonstances bien plus lourdes de signification, comme par exemple lors du pélerinage annuel à la caserne Dossin où il a asséné une fois de plus cet insupportable amalgame antisionisme-antisémitisme qui semble être une des ses obsessions depuis qu’il est à la tête du CCOJB.

que Points Critiques aurait dû le signaler, à tout le moins dans son éditorial et, au minimum, en rappelant le principe voltairien (« Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais… »). Son silence à cet égard, combiné avec une analyse critique sévère des propos tenus par Souhail Chichah — critique bien étayée, mais là n’est pas question —, peut laisser croire que la croisade maccarthyste du professeur Sosnowski aurait quelque justification aux yeux de l’UPJB alors qu’elle ne saurait en avoir aucune. ■ Henri Goldman

* Rien dans les propos tenus le 20 septembre ne me semblait dépasser les bornes des opinions recevables. L’initiative du professeur Sosnowski pour les « criminaliser » dans le cadre universitaire ne fut rien d’autre qu’une opération d’intimidation et de délégitimation dont l’UPJB est d’ailleurs régulièrement victime. Je pense

D’autres réactions au dossier « De la liberté d’expression » paraîtront dans le numéro de février de Points critiques

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hommage Abraham Serfaty Un grand Monsieur vient de nous quitter. Abraham Serfaty, ancien opposant marocain au régime du roi Hassan II, est décédé jeudi dans une clinique de Marrakech à l’âge de 84 ans. Ancien membre du Parti communiste marocain, Abraham Serfaty a passé près de 17 ans, de 1974 à 1991, en prison au Maroc, condamné pour « complot contre la sûreté de l’État ». Militant anti-impérialiste, favorable à l’autodétermination des Sahraouis, soutenu sans faille par sa femme Christine Daure qui l’avait recueilli durant sa clandestinité, il est resté jusqu’au bout fidèle à ses convictions. Issu d’une famille de Juifs tangérois chassés d’Espagne en 1492, Abraham Serfaty, qui se définissait comme un Juif arabe professait un antisionisme radical… « J’irai d’abord en Palestine lorsqu’il y aura un État puis je passerai voir des amis juifs qui se trouvent en Israël ». Il considérait en effet que la richesse du judaïsme résidait dans la dispersion. L’UPJB avait eu le privilège de le rencontrer. C’était en avril 1993. Nous avions, en partenariat avec la Fondation Marcel Liebman (aujourd’hui Institut Marcel Liebman), décidé de commémorer le 50ème anni-

versaire de l’insurrection du ghetto de Varsovie en invitant deux dissidents — les insurgés du ghetto ne l’étaient-ils pas eux-mêmes ? —, Michel Warschawski, le dissident israélien et Abraham Serfaty, le dissident marocain qui venait, il y avait tout juste un an et demi, de sortir de prison. C’est en guise d’hommage que nous reproduisons ici son intervention lors de notre commémoration. Cette intervention avait suscité l’ire d’une partie du très nombreux public qui nous avait rejoint à cette occasion à l’ULB. Oh, pas toute son intervention, tout le monde l’avait suivi avec énormément d’attention et d’empathie tant qu’il nous avait parlé de l’apport universaliste du judaïsme, non, pas toute son intervention, une seule phrase en vérité, celle où il dénonçait « le crime que fait peser le sionisme non seulement sur l’humanité, non seulement sur le peuple palestinien, mais sur le judaïsme. Et je pèse mes mots. Je dis que le sionisme est une trahison du judaïsme ». C’en avait été trop pour certains. Et pourtant… les faits, sur le terrain, ne lui donnent-ils pas raison à posteriori? H.W.

Préserver l’apport universaliste du judaïsme ABRAHAM SERFATY

C

hers amis, je voudrais tout d’abord remercier mes amis de l’Union des progressistes juifs de Belgique de m’avoir fait l’honneur de m’inviter à cette commémoration. Je pense que dans le mouvement de libération arabe en général, — et je parle de moi aussi parce que je voudrais que mon hommage soit celui d’un militant arabe juif à l’insurrection du ghetto de Varsovie —, je pense donc que dans ce mouvement nous n’avons pas encore

suffisamment pris en compte l’apport à l’histoire de l’Humanité que représente cette insurrection. Et cela (ce n’est pas une justification, mais une explication), parce que jusqu’à présent l’aspect dominant a été la récupération de cette insurrection et de l’Holocauste en général par les dirigeants de l’État d’Israël et par le mouvement sioniste qui, comme vous le savez, ne peut pas être accepté par le monde arabe. C’est pour cette raison que le monde arabe n’a pas jusqu’à présent, à quelques excep-

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tions près, fait l’effort nécessaire pour comprendre ce qui s’est passé en Europe dans le massacre des Juifs. Je dirai cependant que les exceptions importantes dont je viens de parler sont celles qui procèdent précisément de la résistance palestinienne qui, lorsqu’elle a pris son indépendance vis-à-vis des États arabes à partir de la fin des années ’60, s’est penchée sur l’histoire des Juifs dans le monde et notamment en Europe, et a compris, lorsqu’elle a


élaboré le projet d’État démocratique palestinien pour l’ensemble des musulmans, des chrétiens et des Juifs de la terre de Palestine, qu’elle devait tenir compte de ce massacre pour comprendre la raison pour laquelle les Juifs étaient venus s’installer sur cette terre. Je ne ferai pas l’histoire de ces dernières trente années, ce n’est pas l’objet de cette soirée. Mais je voulais tout de même souligner que s’il y a eu une approche insuffisante du drame de l’Holocauste par le mouvement de libération arabe, la résistance palestinienne, elle, a su dépasser l’approche primaire qu’avaient faite les dirigeants des États arabes, et proposer, au contraire, un projet qui répond à l’histoire même de la Terre Sainte et au devenir de l’humanité. Mais j’allais dire aussi qu’audelà de cela, j’étais jeune mais tout de même déjà adolescent lorsque la deuxième guerre mondiale a éclaté, si nous savions ce qu’était le nazisme pour les Juifs d’Europe et la menace qu’il faisait peser sur eux et aussi sur nous, Juifs d’Afrique du Nord, dans la mesure où il aurait pu s’étendre là-bas, nous n’en connaissions pas l’ampleur, ni le drame. Pour nous, c’étaient les lois discriminatoires vis-à-vis des Juifs, c’était l’étoile juive, dont je rappelle d’ailleurs qu’au Maroc, le roi Mohammed V nous a en grande partie préservés. Mais nous n’imaginions pas que ce puisse être cette horreur qu’a été l’Holocauste. Et vous savez d’ailleurs que le monde ne l’a véritablement découvert qu’en 1945. En fait, pas tout à fait, parce que déjà les informations avaient circulé avant, mais il est vrai que l’être humain se résigne difficilement à accepter et à intérioriser que de telles horreurs aient pu exister. Et c’est donc cet hommage que

je veux rendre aujourd’hui et aussi ce témoignage pour commencer, en ce qui me concerne, à rattraper ce passé. À rattraper ce passé parce que je dirais aussi qu’au sein des communautés juives du monde arabe, nous qui avions vécu pendant des siècles en fraternité avec nos frères musulmans, nous ne pouvions véritablement comprendre cette histoire de la persécution constante des Juifs en Europe. Et même si nous avions une situation, je parle du passé dans le monde arabe, de sujets minorisés par rapport aux sujets musulmans dans la vie quotidienne, le respect était mutuel entre musulmans et Juifs. Je puis témoigner que les musulmans du peuple, de la rue, avaient le plus profonds respects pour leurs frères juifs. Il y a de nombreux témoignages concrets à ce sujet.

LE JUDAÏSME POLONAIS Mais dans cet hommage que je voudrais rendre, je veux aussi insister sur la perception rétablie du judaïsme polonais que nous devons tous avoir en mémoire, que vous avez certainement plus que moi. Le judaïsme polonais a non seulement été une des grandes communautés juives dans l’histoire du judaïsme, mais, plus encore, un des foyers de la culture universelle. Et cela, nous ne pouvons pas l’oublier. Nous en avons eu un exemple bouleversant tout à l’heure par ces chants du ghetto, mais ces chants ne sont pas venus du néant. Ils sont venus de l’histoire, de la culture de ce judaïsme polonais et tout le monde connaît l’ampleur et l’importance de la littérature yiddish et aussi des grands apports du judaïsme polonais à la musique, à la peinture et à bien d’autres arts encore. À cet égard, nous ne pouvons

pas oublier que dans l’entre-deux guerres, le judaïsme polonais était traversé essentiellement par les courants de progrès, d’universalité et de luttes pour le progrès de l’humanité aux côtés des Polonais chrétiens. Et cet appel du ghetto de Varsovie qu’on nous a lu tout à l’heure en est le témoignage le plus émouvant et, par conséquent, il y a des récupérations que, en tant qu’êtres humains, nous ne pouvons pas accepter parce que l’humanité et l’histoire de l’humanité nous imposent de rendre hommage à la réalité du judaïsme polonais, à son histoire, à sa culture, à sa grandeur. Je rappellerai en particulier que le courant politique le plus important dans le judaïsme polonais de l’entre-deux guerres était le Bund, le parti ouvrier social et démocrate de Pologne. Et j’ajoute à ce sujet, moi qui suis de formation marxiste, que nous avons, pour ceux qui relèvent de cette formation, à dépasser certaines critiques qu’avait pu faire Lénine sur le Bund et à comprendre que si le mouvement ouvrier est un, les identités au sens culturel, les ethnicités, comme disent les anthropologues font partie inhérente de l’humanité. Non par pour qu’elles se dressent les unes contre les autres. C’est au contraire dans la mesure où elle sont respectées, dans le cadre d’un même ensemble national, dans la mesure où elles peuvent s’épanouir dans cet ensemble qu’on peut éviter d’en arriver à ces affrontements terribles comme ceux que connaissent aujourd’hui les pays de l’ex-Yougoslavie pour ne prendre que cet exemple. C’est cela que vivait le judaïsme polonais dans l’entre-deux guerres et cela explique pourquoi l’insurrection du ghetto de Varsovie a été marquée par ce sens de l’universel ; par ce

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➜ sens du combat pour une Pologne libre, libérée de l’occupant, libérée aussi des idéologies réactionnaires et finalement racistes d’où qu’elles viennent. Cela ne m’empêche pas d’être pleinement conscient que parmi les combattants du ghetto de Varsovie et parmi ses dirigeants, il y avait des hommes auxquels je rends hommage au même titre que les autres et qui croyaient, eux, que la solution du problème juif était portée par le sionisme que j’évoquerai tout à l’heure. Mais puisque je me trouve parmi vous, je tiens à rendre hommage à un grand homme qui vécut ici, en Belgique, originaire de Pologne, issu de l’Hachomer Hatzaïr et militant de la résistante belge. Je veux parler d’Abraham Léon qui a écrit dans ces années terribles de la clandestinité cette œuvre remarquable qu’est la Conception matérialiste de la question juive, par laquelle il a transcendé cette idéologie, le sionisme, dans ce qu’elle pouvait comporter d’erroné pour, au contraire, se rallier à une idéologie universaliste qui lui a permis d’écrire ce livre qui nous aide à comprendre les fondements historiques et sociologiques du judaïsme polonais et la manière dont, au sein de ce judaïsme, est née l’idéologie sioniste. Mais il n’en reste pas moins que tant ce judaïsme polonais que l’insurrection du ghetto du Varsovie sont avant tout un message d’universalité et d’idée de progrès pour l’humanité.

TU AIMERAS TON PROCHAIN COMME TOI-MÊME Je voudrais, à cet égard, prendre un peu de recul par rapport au problème même du judaïsme et de la judéité tels qu’ils se sont affirmés depuis 19 siècles. Rappelez-vous tout simplement du

fondateur de cette judéité… Rabbi Yokhanan Ben Zaccaï qui a préféré l’enseignement de la Torah à l’affrontement militaire. C’est donc l’enseignement de la Avril 1993. De gauche à droite : Michel Warschawski, Henri morale que Wajnblum, Abraham Serfaty et Anne Grauwels lors de la conférence de presse annonçant notre commémoration du le judaïsme 50ème anniversaire de l’insurrection du ghetto de Varsovie a apporté à l’humanité. Nous ne sommes évi- me tel qu’il a vécu pendant ces 19 demment pas les seuls à avoir ap- siècle, que ce qui a permis au juporté cette morale à l’humanité daïsme de survivre, de se mainmais nous l’avons apportée aussi. tenir, ce n’est précisément pas Et cette morale, un rabbin l’a ce contenu ethnocentrique de la résumée en une phrase qui est Bible, mais au contraire l’apport un des dix commandements… Tu universaliste. aimeras ton prochain comme toiLes Juifs qui maintenaient leur même. Et non pas ton prochain identité dans l’oppression ou dans juif, ton prochain tout court. Je la minorisation, ces Juifs étaient crois qu’il n’est pas inutile de le conscients de porter en eux un rappeler. message, ce message justement, De le rappeler parce que vous d’amour du prochain. savez que dans l’histoire d’Israël Mais le message d’amour du antique, le judaïsme a connu des prochain ne peut pas être porteur variantes contradictoires et anta- de sa propre disparition, de la disgonistes, même dans la Bible, à la parition de son identité, mais au fois un courant universaliste et un contraire, de la fraternisation des courant que l’on pourrait appeler identités. La construction de l’huethnocentrique. Et un grand hom- manité ne peut pas être unique, me qui fut juif, mais qui fut avant ne peut pas être totalitaire, elle tout un grand homme, Freud, a ne peut être que diverse, dans le tenté d’expliquer, dans son livre respect mutuel, dans la toléranMoïse et le monothéisme, la rai- ce, dans la fraternité des différenson de cette dualité dans le ju- tes croyances, des différentes culdaïsme. Je pense qu’elle est pré- tures. Et le judaïsme, dans ses diffésente dans toutes les religions, mais je pense aussi que l’histoi- rentes formes, était cela, était cetre spécifique du judaïsme anti- te expression… non pas que nous que permet de l’analyser. Et nous soyons « meilleurs » que vous, mais devons donc voir dans cet apport parce que divers, nous apportons biblique ce qui représente le de- quelques chose au devenir de venir pour l’humanité et ce qui re- l’humanité. Et c’est cela que ces présente au contraire, une appro- Juifs qui restaient fidèles à leur che rétrograde pour l’humanité. religion envers et contre tout ont J’ajoute, et je reviens à Rabbi Yo- maintenu pendant des millénaikhanan Ben Zaccaï et au judaïs- res, que ce soit le judaïsme polo-

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nais, le judaïsme des pays arabes ou le judaïsme andalou dans son expansion magnifique du temps de l’Andalousie aux côtés de l’islam et de la chrétienté. C’est dans cette expression justement que je pense que le judaïsme, au-delà de la Bible, a atteint un sommet qui était celui du Zohar qu’on n’appelle pas pour rien « le livre de la splendeur » et qui, dans sa forme mystique, exprimait cela : le devoir pour ces Juifs de rester éparpillés dans le monde et pas seulement comme diaspora comme on le dit, mais comme dispersion. Je peux en effet témoigner qu’au Maroc le judaïsme berbère est antérieur à la destruction du temple. Il y avait donc diffusion du judaïsme et pas seulement exil. Ce qu’exprimait le Zohar, c’était que ces communautés juives de par le monde, dans leur expression et dans le respect de la Bible, témoignaient de la présence divine, et qu’un jour le Messie viendrait non pas pour les Juifs, mais pour toute l’humanité. C’est cela le message du Zohar qui imprégnait très profondément l’ensemble du judaïsme arabe, mais qui a aussi imprégné, comme vous le savez, le judaïsme d’Europe orientale à travers le Hassidisme.

VIVRE NOS DIFFÉRENCES… ENSEMBLE Ce message-là, nous devons absolument le préserver. Et ne pas oublier qu’un des plus grands Juifs de l’histoire de l’humanité a été Spinoza, qui se situe dans le droit fil, transposé au plan philosophique, du message du Zohar. Et je pose la question : qui représente véritablement le judaïsme, la bourgeoisie juive d’Amsterdam qui l’a excommunié ou Spinoza ? Je crois que la réponse est claire. Et nous devons bien nous inspirer de ce message.

C’est dans ce cadre historique que nous pouvons replacer l’insurrection du ghetto de Varsovie. Marek Edelman rappelait en effet que le message des insurgés revenait à dire aux Polonais chrétiens comme aux Allemands… « nous sommes des hommes comme vous, mais nous voulons vivre dans notre différence, en tant qu’hommes comme vous participant à la construction d’une humanité meilleure ». C’est cela le message du ghetto de Varsovie. Mais en même temps, cette insurrection comporte quelque chose de plus : dire non, dire non à la pire oppression, dire non au massacre, c’est en fait survivre. En réalité, le judaïsme polonais détruit par l’holocauste nazi n’a pas été détruit par l’holocauste nazi. Grâce à l’insurrection du ghetto de Varsovie, il vit toujours. J’ajoute que le message des insurgés appelle non seulement à la résistance contre toute épuration ethnique, mais au respect des ethnies et des différences culturelles. Je rappelle ce que je disais tout à l’heure par rapport au Zohar, la construction des nations ne tient pas des communautés juives en dehors des nations dans lesquelles elles vivent, mais dans leur participation à la construction de chacune de ces nations, en tant qu’ethnicité juive participant de cette nation. C’est cela qui a permis au judaïsme de survivre pendant 19 siècles. Et à cet égard, à ceux qui, aujourd’hui, ont voulu récupérer l’insurrection du ghetto de Varsovie et l’holocauste, je rappellerai simplement ce dessin paru en juillet 1982 dans le Los Angeles Times qui n’est pas, que je sache, un journal fasciste. Ce dessin représentait des tanks (c’était l’époque des bombardements et du siège de Beyrouth-Ouest), des

tanks marqués de l’étoile de David. Derrière surgissait un spectre en costume rayé des camps de la mort, un spectre marqué lui aussi de l’étoile de David qui regardait avec stupéfaction ce qui se passait et qui disait « Oh my god ». Je crois qu’il avait tout dit sur le crime et je pèse mes mots, que fait peser le sionisme non seulement sur l’humanité, non seulement sur le peuple palestinien, mais sur le judaïsme. Et je pèse mes mots. Je dis que le sionisme est une trahison du judaïsme. Je dis qu’aujourd’hui, la voie pour restaurer la vérité du judaïsme c’est la voie qui doit aller vers la paix dans la terre sainte de Palestine. La paix qui permettra au peuple palestinien de recouvrer son État souverain et indépendant sur les Territoires occupés en 1967, tous les Territoires occupés, aux côtés d’un État d’Israël non sioniste. C’est le seul moyen pour qu’une paix véritable puisse succéder à l’état de guerre actuel. Les Palestiniens acceptent un État sioniste, mais les Juifs israéliens ne pourront imposer à leur pouvoir, à leur gouvernement, une véritable paix, que lorsqu’ils auront pu se dresser contre l’establishment sioniste et conquis un État démocratique, moderne, laïc et non sioniste. Et à ce moment-là, la paix sera possible. Et, à ce moment-là, la vérité du judaïsme pourra reprendre sa splendeur d’antan. J’ajoute qu’à ce moment-là la Terre Sainte de Palestine pourra à nouveau recouvrer sa mission historique d’épanouissement des trois religions du Livre, qu’elle pourra un jour que je verrai pas, mais que bien d’entre vous verrez à l’aube du 21e siècle, devenir une nouvelle Andalousie sur la Méditerranée et une terre de paix et de fraternité. ■

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vie de l’upjb Fin novembre

De gauche à droite : Yuval Yoaz, Talila Kosh, Pascal Fenaux, Miri Weingarten et Ishai Menuchin

Le 20 novembre, l’UPJB avait invité quatre Israéliens, le journaliste Yuval Yoaz, Talila Kosh de New Profile, Miri Weingarten de Physiciens for Human Rights, et Ishai Menuchin du Comité public contre la torture en Israël, pour nous parler de la chasse aux sorcières qui sévit actuellement en Israël contre les associations de défense des droits de l’homme et de lutte contre l’occupation et la colonisation. Le débat était animé par Pascal Fenaux, journaliste spécialisé dans les questions du ProcheOrient. C’est devant un public d’une bonne centaine de personnes que nos invités ont confirmé les immenses difficultés qu’ils éprouvaient dans leurs actions militantes, et l’ostracisme dont ils étaient victimes. Il fut évidemment question de la campagne BDS (Boycott, désinvestissement, sanctions). Miri Weingarten a estimé que, faute d’obtenir des sanctions de la part des États-Unis et de l’Union européenne, l’accent devrait être mis prioritairement sur le désinvestissement qui, quoi qu’il en dise, fait mal à Israël. Elle a aussi plaidé en faveur d’un boycott sélectif, à savoir un boycott des Israéliens qui acceptent de représenter Israël à l’étranger, et aussi des militaires et des poli-

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tiques impliqués directement dans des crimes commis à l’encontre du peuple palestinien. Yshai Menuchin s’est adressé à ceux qui soutiennent Israël jusque dans ses pires errements en leur disant que la meilleure façon de garantir sa pérennité, était de soutenir les organisations comme les leurs. Talila Kosh, quant à elle, nous a parlé du combat de New Profile contre la militarisation de la société israélienne et en faveur des Refuseniks.


Début décembre. Hanoucca C’est le 4 décembre que l’UPJB Jeunes avait invité les enfants, parents et grands-parents à venir célébrer Hanoucca. Avant la commémoration proprement dite, les enfants avaient participé à des ateliers, les uns préparant des cartes postales, d’autres décorant les bougies destinées à être allumées sur la Hanouccia, et d’autres encore préparant des latkes. Ce fut une après-midi chaleureuse, animée par nos musiciens maison, Alain Lapiower et Mouchette, où la bonne humeur a régné en maîtresse. En voici un aperçu. Photos Henri Wajnblum

Décoration des bougies

Préparation de cartes postales

Préparation de latkes

Les cartes postales sur la hanouccia

Allumage des bougies

Petit récital d’Alain Lapiower et Mouchette

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UPJB Jeunes La fête des Lumières sur fond blanc NOÉMIE SCHONKER

S

amedi 4 décembre, la neige a recouvert Bruxelles, la rue de la Victoire peine à se réveiller. Au 61, on fête Hanucca. On allume les chauffages, on répartit le matériel par atelier, on sort la hanouccia, on compte les bougies et on attend… Le rez-de-chaussée s’anime doucement, les sonorités ouatées des hivers blancs pé-

nètrent progressivement les murs, les enfants et leurs parents arri-

vent au goutte-à-goutte et une quiétude peu commune s’installe dans la maison. Tel un après-midi en famille, élargie, on se retrouve autour d’une table, on se rappelle les noms de chacun et on se met tranquillement à la tâche : décoration de la salle et ornement des bougies ; improvisation et mise en scène de l’histoire de Hanucca ; création de cartes de vœux ; confection de toupies et de Magen David à souhaits ; préparation de latkes. Les mames s’inquiètent que leurs petits ne se coupent, ne se salissent, ne prennent froid à jouer dehors et, pendant que tout ce petit monde bricole, joue, cuisine, les conteuses transmettent la belle histoire : « En l’an 167 A.C., de guerres en dettes de guerre, de successions en assassinats, Antio-

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che « le moche » arrive au pouvoir. On ne sait quelle mouche le pique soudain, mais toujours est-il qu’il commet l’erreur qu’il ne devait à aucun prix commettre… ». Quelques instants plus tard, les effluves de graisses se répandent dans la maison, les guirlandes égaillent les murs, les bougies sont placées sur la Hanouccia, les monotypes décorent le fond de la salle, les Magen David pendent à la Hanouccia. Les tables se couvrent de sucre, de plateaux de la-


Carte de visite L’UPJB Jeunes est le mouvement de jeunesse de l’Union des progressistes juifs de Belgique. Elle organise des activités pour tous les enfants de 6 à 15 ans dans une perspective juive laïque, de gauche et diasporiste. Attachée aux valeurs de l’organisation mère, l’UPJB jeunes veille à transmettre les valeurs de solidarité, d’ouverture à l’autre, de justice sociale et de liberté, d’engagement politique et de responsabilité individuelle et collective.

tkes dorés, de serviettes maculées de graisse. Ca sent la frite et le café… « Allez fieu, c’te p‘tite flamme qui devait à peine tenir un jour, ça fait des jours maintenant qu’elle dure ! Mais, wouai, c’t’un miracle ça ! ». Des moniteurs studieux, des parents gourmands et quelques « mivieux » de l’Entr’ACT nous rejoignent. L’ambiance s’embrase, la clarinette et la guitare entraînent les corps, les voix se déploient, les mains s’agitent : « Hanucca, Hanucca, c’est la plus belle, la plus jolie, la plus gaie, c’est la plus chouetteuuu ! Ensemble nous jouons à la toupie, nous mangeons des latkes de bon appétit ! En avaaant, les enfaaants, allumez les jolies bougies... ». ■

Chaque samedi, l’UPJB Jeunes accueille vos enfants au 61 rue de la Victoire, 1060 Bruxelles (Saint-Gilles) de 14h30 à 18h. En fonction de leur âge, ils sont répartis entre cinq groupes différents.

Bienvenus pour les enfants de 6 ans ou qui entrent en

Les 1ère primaire Moniteurs :

Alice : 0477/68.77.89

Axel : 0471/65.12.90 Josepha : 0479/19.15.15 Charline : 0474/30.27.3 Les pour les enfants de 7 à 8 ans Moniteurs : Shana : 0476/74.42.64 Sacha : 0477/83.96.89 Lucie : 0487/15.71.07 Milena : 0478/11.07.61 Les pour les enfants de 9 à 10 ans Moniteurs : Mona : 0474/42.37.72 Manjit : 0485/04.00.58 Fanny : 0474/63.76.73 Clara : 0479/60.50.27 Les pour les enfants de 11 à12 ans Moniteurs : Lenny : 0474/94.88.15 Valentine : 0494/59.43.09 Sarah : 0471/71.97.16 Totti : 0474/64.32.74 Les pour les enfants de 13 à 14 ans Moniteurs : Yvan : 0474/35.96.77 Marie : 0472/67.11.09 Noé : 0472/69.36.10 Maroussia : 0496/38.12.03

Marek

Janus Korczak

Émile Zola

Yvonne Jospa

Informations et inscriptions : Noémie Schonker - noschon@yahoo.fr - 0485/37.85.24

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écouter D’hivers NOÉ

R

enaud peine à renouer avec sa fougue d’antan et dépose les armes. Il le racontait à Serge, nouveau magazine « bobo » de chanson française. Il dit mourir à petit feu, en banlieue parisienne, loin de la Porte d’Orléans de son enfance, des bistrots et des titis. Triste halte (fin ?) pour le poète jadis teigneux, plein d’humour et de vie. Il y a quelques jours, je réécoutais « La bande à Lucien » et « La boum », petits bijoux d’il y a trente-trois ans. « Y’avaient deux trois loubards /Qui assumaient leurs instincts/En chouravant dans l’noir/Les disques et les larfeuilles /J’voyais tout j’disais rien /C’était mes potes d’Argenteuil ». Une autre époque. Celle des « Gavroches » et autres « P‘tit bals du samedi soir » où Renaud faisait la manche et nasillait Fréhel. Je l’ai croisé il y a cinq ans. Je me souviens m’être dit : c’est fou, il n’a pas changé. Peut-être faisais-je référence à ce regard méfiant, presque attendrissant, le même qu’il affichait sur son premier disque « Amoureux de Paname ». Clope au bec, blasé et fermé, il répétait son play-back télévisuel de « J’ai retrouvé mon flingue ». Je lui arrache quelques mots : « - Bonjour - Ouais, et comment y s’appel ? ». Je lui tends une de ses mauvaises biographies, il m’y écrit quelques mots : « pour mon pote, Noé ». Le 2 mai 2007, je le vois pour la deuxième fois. Il

chante face un public réduit. Il essaye de justifier le vide par le débat politique qui lui faisait concurrence sur France 2. « La dernière fois, j’étais bourré et la salle aussi. Aujourd’hui je suis sobre, et la salle est vide », disait-il alors. Entre discours baveux, écoeurants de bien-pensanse, et blagues crétines, il évoquait sa retraite scénique. Sa dernière interview, plus consternante de tristesse que d’humilité, ne me donne pas vraiment envie de le revoir. Je me revois, à l’aube de l’an 2000, accroché à un adulte et à son crâne chauve. Je me penche pour ne rien manquer du spectacle. Un premier mai sur la Place Rouppe. Pierre Perret est en costume bleu marine et porte une cravate. Il y a des images qu’on n’oublie pas. Aujourd’hui, il est loin de la poignante « La bête est revenue » et de la délicate adaptation de « Demain, dès l’aube » d’Hugo qui me transperce à chaque écoute. En dix ans, la voix et la verve de Pierrot en ont pris un coup. « La femme grillagée », sorti il y a quelques jours est dépourvu d’élégance et de pugnacité. Pourtant les efforts ne manquent pas. Les premières secondes de l’album suggèrent de belles choses. Une musique orientale joliment orchestrée, mais catastrophe totale quand arrive le texte. Judicieux de la part de Pierrot d’avoir choisi le morceau éponyme de l’album comme single. S’il a peu de chance d’en faire un tube, l’intention

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de bousculer les mièvreries radiophoniques est plus convaincant que la chanson en soi, d’ailleurs, le titre est déjà banni des ondes. De même, lorsqu’il chante les « Femmes battues », Perret est lourd et n’a pas la grâce des femmes qu’il chante. Mièvre lorsqu’ il tente d’émouvoir, risible dès qu’il vérifie sa malice. Musicalement, le résultat est calamiteux. Et vas-y que je te sorte les violons, les chœurs et les maracas ! En revanche, la discrète et délicate « La réponse à ma vie » est un des meilleurs morceaux qu’il nous ait offert depuis longtemps. Perret y est amoureux et en voix, fidèle à lui-même et à ses cinquante ans de musique. Nous chantions « La bibise d’accord » à tue-tête avec mon frère dans la voiture de nos grands-parents. Ses cassettes audio étaient posées aux côtés des Brassens, Montand, Reggiani, ceux qui ont su tenir la distance. De Pierre Perret, poignant avec sa « Lily », tendre avec son inénarrable « p’tit loup », cocasse avec ses « seins » et son « zizi », il ne reste qu’un homme tristounet, malgré la joie de vivre qui anime ses septante-huit ans. Cali était ce soir à Taratata, seule émission musicale valable du câble. Son dernier album au titre imposant « La vie est une truite arc-en-ciel qui nage dans mon cœur » a été arrangé par Geoffrey Burton (Bashung, Arno, Higelin), un des puissants guitaristes belges. Vingt-deux titres facilement


est le mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique (ne paraît pas en juillet et en août)

résumables. Il y est question d’indignation et d’amour, puisque toujours Cali y revient. « Nous serons tous les deux à admirer d’en bas / Le courage qu’on n’a pas/Le courage d’Anna Politkovskaïa/Nous serons tous les deux/les yeux du fusillé/Sur son affiche rouge/S’offrant l’éternité… » qu’il tempête au milieu de l’orchestre symphonique de Prague. Si Cali avait pris l’habitude de se faire porte-voix des sans-papiers, il se glisse cette fois-ci dans la peau d’un flic désabusé des horreurs qu’on le force à opérer. Le policier existerait et, un peu éméché, aurait livré ses vérités à Cali. « Lettre au ministre du saccage des familles et des jeunes existences dévastées ». Cali fait fort en n’intellectualisant pas ses propos. Me voilà impatient de la faire écouter à la marmaille upjibienne. Cali sait fait rimer « Amour » et « amour », sa voix aux mille palettes nuance le tout. Entre hommages à Ferrer, Brel, Higelin et au rock anglo-saxon qui lui est cher (U2, Arcade Fire,…), ce dernier opus est brillant, bruyant, hors norme ! L’homme s’adresse à chacun de nous qui attendons le bus 54 et nous en dit l’horaire. Personne n’ose lui répondre, moi je le remercie. Je remarque son pantalon de velours soigneusement replié sur ses chaussures de cuir noir. Un soir qu’il attendait depuis longtemps, j’imagine. Il s’est offert tout ce que présentait le merchandising de son idole : tee-shirt,

bandes dessinées, catalogues… Ce fan d’Eddy Mitchell a aimé le concert, et a le sourire aux lèvres comme les sept mille personnes venues à Forest National pour applaudir « Schmoll » jouant sa « dernière séance ». Le jeune homme, qui danse le Rock’n’roll comme un américain de souche, a septante ans. L’adulte au côté duquel je me suis assis est tout étonné de ma présence. Moi aussi je m’étonne d’être là, pendant une fraction de seconde, redoutant les paillettes et les écrans. Il n’en est rien. Le groupe est composé de vieux routards et donne l’air d’une bande de potes, avant d’être rejoint par douze cuivres. Pas d’artifice. Les succès de Monsieur Eddy sont incontestables. Je fredonne « Couleur menthe à l’eau », avec la foule, jeunes enfants et sexagénaires. Je me lève sur « Pas de Boogie Woogie avant les prières du soir ». C’est la magie de la musique populaire, au sens le plus noble du terme. Une musique qui, face à la culture de masse actuelle, sonne plus honnête, plus artisanale.èv J’aimerais vous parler longuement de la dernière bouteille à la mer de Bernard Lavilliers, des derniers mauvais choix d’Abd al Malik, des dernières très plaisantes chansons de Salvatore Adamo, du charmant mais trop consensuel album de Louis Chédid, d’un concert d’Higelin hystérique et bancal ou de celui de Raphaël, déstabilisant. Mais il faut que je me remette à mes examens. ■

L’UPJB est membre de la Fédération des Juifs européens pour une paix juste (www.ejjp.org) et est soutenue par la Communauté française (Service de l’éducation permanente) Secrétariat et rédaction : rue de la Victoire 61 B-1060 Bruxelles tél + 32 2 537 82 45 fax + 32 2 534 66 96 courriel upjb2@skynet.be www.upjb.be Comité de rédaction : Henri Wajnblum (rédacteur en chef), Alain Mihály (secrétaire de rédaction), Anne Gielczyk, Carine Bratzlavsky, Jacques Aron, Willy Estersohn, Tessa Parzenczewski Ont également collaboré à ce numéro : Rachida Alfarissi Roland Baumann Henri Goldman Léon Liebmann Thérèse Liebmann Noé Gérard Preszow Noémie Schonker Marianne Sluzny Conception de la maquette Henri Goldman Seuls les éditoriaux engagent l’UPJB. Abonnement par ordre permanent mensuel de 2 EURO Abonnement de soutien 3 EURO mensuel Devenir membre de l’UPJB Les membres de l’UPJB reçoivent automatiquement le mensuel. Pour s’affilier: établir un ordre permanent à l’ordre de l’UPJB (CCP 000-0743528-23). Montant minimal mensuel: 10 EURO pour un isolé, 15 EURO pour un couple. Ces montants sont réduits de moitié pour les personnes disposant de bas revenus.

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agenda UPJB Sauf indication contraire, toutes les activités annoncées se déroulent au local de l’UPJB, 61 rue de la Victoire à 1060 Bruxelles (Saint-Gilles)

mercredi 5 janvier à 20h15

Il n’y aura pas d’État palestinien. Conférence-débat avec Ziyad Clot à propos de son livre. En partenariat avec l’Institut Marcel Liebman (voir page 30)

vendredi 14 janvier à 20h15

Absence de la culture arabe dans la société israélienne. Ce mur de la séparation culturelle peut-il être fissuré ? Conférence-débat avec Yaël Lerer, fondatrice des éditions Al Andalus à Tel-Aviv (voir page 30)

vendredi 21 janvier à 2Oh15

Table-ronde. Points critiques rencontre ses lecteurs (voir page 31)

samedi 29 janvier dès 19h

Grand Bal Yiddish de l’UPJB avec le Yiddish Tanz Rivaïvele. Maison Haute de Boitsfort (voir page 29 et 32)

club Sholem Aleichem Sauf indication contraire, les activités du club Sholem Aleichem se déroulent au local de l’UPJB tous les jeudi à 15h (Ouverture des portes à 14h30)

jeudi 6 janvier Relâche

jeudi 13 janvier Éditeur responsable : Henri Wajnblum / rue de la victoire 61 / B-1060 Bruxelles

L’actualité politique analysée et commentée par Léon Liebmann

jeudi 20 janvier

« La politique de la Chine à l’égard de ses minorités ethniques » par Serge Pairoux, ancien professeur de français à l’Université des Langues Étrangères à Pékin

jeudi 27 janvier

« Pourquoi j’ai rompu avec l’Allemagne d’après la Seconde Guerre mondiale » par Johannes Blum Les agendas sont également en ligne sur le site www.upjb.be


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