n°309 - Points Critiques - octobre 2010

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mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique octobre 2010 • numéro 309

Dérives sécuritaires à forts relents racistes HENRI WAJNBLUM

Bureau de dépôt: 1060 Bruxelles 6 - mensuel (sauf juillet et août)

T

out a commencé le 30 juillet dernier. Ce jourlà, à Grenoble, venu installer le nouveau préfet de l’Isère, Eric Le Douaron, nommé après les graves incidents qui avaient secoué la ville à la mi-juillet, Nicolas Sarkozy avait revêtu la tenue qu’il préfère entre toutes, celle de premier flic de France qu’il n’a jamais cessé d’être, tout président de la République qu’il soit devenu. Le discours qu’il y prononce résonne comme un coup de tonnerre en ce mois de vacances… Retrait de la nationalité française « à toute personne d’origine étrangère qui aurait volontairement porté atteinte à la vie d’un fonctionnaire de police d’un militaire de la gendarmerie ou de toute autre personne dépositaire de l’autorité publique ». Il s’agit là d’une « première » mondiale. Car, si le Royaume-Uni a lui aussi adopté des dis-

positions de retrait de nationalité, c’est uniquement pour des actes de terrorisme. Et si dans l’Amérique de Bush, il y a également eu une proposition, de « Patriot Act 2 », elle n’a jamais été adoptée. En France, il ne s’agit en réalité pas d’une «première », Rappelons en effet que, entre 1940 et 1944, le gouvernement de Vichy avait procèdé à la dénaturalisation de 7.000 Juifs ! Soulignant ensuite qu’en 2009 « le taux de chômage des étrangers non communautaires a atteint 24%, soit plus de deux fois la moyenne nationale », Nicolas Sarkozy dit souhaiter que « l’on évalue les droits et les prestations auxquelles ont aujourd’hui accès les étrangers en situation irrégulière », et rappelle la nécessité de reconduire aux frontières « les clandestins ». Et pour faire bonne mesure, il s’en prend ensuite aux Roms… « Nous devons mettre

BELGIQUE-BELGIE P.P. 1060 Bruxelles 6 1/1511

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sommaire 1 Dérives sécuritaires à forts relents racistes ........................... Henri Wajnblum

israël-palestine

4 Négociations Netanayahou-Abbas. Stop ou encore ? .......... Henri Wajnblum

lire

6 Robert Bober. Le passé recomposé ................................Tessa Parzenczewski

traduire

8 Rencontre avec Tessa Parzenczewski................................Carine Bratzlavsky

lire, regarder, écouter

10 Notules de septembre ................................................................ Gérard Preszow

diasporas

12 Retour de Pologne Larissa Gruszow, Bobby Gvirtman et Jackie Schiffmann 16 Odessa-Mama .................................................................................. Andres Sorin

mémoires

20 Les camps et le judéocide en BD .......................................... Roland Baumann

réfléchir

22 Samson à Gaza ............................................................................. Jacques Aron

hommage 24 Herbert Rolland. Liberté, fraternité, plaisir ............................ Françoise Nice

yiddish ? yiddish !

! widYi ? widYi

26 tum - balalayke... ........................................................................Willy Estersohn

humeurs judéo-flamandes

28 Plan B ............................................................................................Anne Gielczyk

le regard 30 La Belgique au milieu du gué et au bord du gouffre ............ Léon Liebmann 32

activités upjb jeunes

36 Souvenirs d’été, paroles de monos ...................................... Noémie Schonker

écouter

38 C’est du belge ............................................................................................... Noé 40

les agendas

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➜ un terme aux implantations sauvages de campements roms. Ils constituent des zones de non-droit qu’on ne peut tolérer en France, dans les trois mois, je veux qu’au moins la moitié des implantations sauvages de ce type aient disparu du territoire français » ! En quelques phrases, il désigne ainsi l’ennemi contre lequel la France doit entrer en guerre, établissant un lien non dissimulé entre la délinquance et « cinquante ans d’immigration insuffisamment régulée »… Et tant qu’à faire, autant s’en prendre d’abord au maillon le plus faible : la population rom. C’est ainsi qu’en un peu moins de deux mois, un bon millier d’entre eux ont été renvoyés par charters en Roumanie et en Bulgarie. Départs volontaires, ont affirmé les autorités françaises… Dame, tant qu’à être expulsé autant prendre les 300 EURO qu’on vous offre pour ne pas faire de vagues. Face au tollé qu’a suscité la chasse aux Roms, tant à la Commission qu’au Parlement européens, et jusq’aux Nations Unies, le ministre de l’immigration, Eric Besson, s’est fendu d’un communiqué affirmant que « la France n’a pris aucune mesure spécifique à l’encontre des Roms »… « Les Roms ne sont pas considérés en tant que tels mais comme des ressortissants du pays dont ils ont la nationalité, la France ne met en œuvre aucune expulsion collective ». On peut comprendre les dénégations d’Eric Besson qui doit certainement craindre que certains mauvais esprits n’attaquent l’État français pour discrimination au titre de l’article 225-1 du Code pénal qui la définit comme « toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison de leur origine ou de leur appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ».


Le problème, c’est qu’il a proféré là un gros mensonge. Il y a bel et bien eu une circulaire, datée du 5 août, du ministère de l’Intérieur adressée aux préfets sur les « évacuations de campements illicites ». Une circulaire que ne laisse planer aucune ambiguïté… « Il revient donc, dans chaque département, aux préfets d’engager (...) une démarche systématique de démantèlement des camps illicites, en priorité ceux de Roms », et encore « Les préfets de zone s’assureront, dans leur zone de compétence, de la réalisation minimale d’une opération importante par semaine (évacuation/ démantèlement/reconduite), concernant prioritairement les Roms ». Et le fait que Brice Hortefeux, le ministre de l’Intérieur, ait été contraint d’annuler en catastrophe sa circulaire pour la remplacer par une autre qui ne fait plus mention de l’origine ethnique, n’y changera strictement rien. Les préfets ont en effet déjà bien appris leur leçon et s’attacheront très certainement bien plus à l’esprit qu’à la nouvelle lettre de la circulaire. Et il y a mieux, ou pire c’est selon… Une autre circulaire datée, elle, du 9 août, demande aux préfets de « veiller à m’informer préalablement de toute opération d’évacuation revêtant un caractère d’envergure ou susceptible de donner lieu à un écho médiatique. » Histoire, très probablement, d’avertir les télés et de faire venir les caméras devant lesquelles on prononcera un beau discours démontrant aux bons citoyens, ceux qui ne sont ni Roms, ni immigrés, que l’État fait tout pour qu’ils puissent dormir tranquilles. Les Roms n’ont malheureusement que trop l’habitude d’être signalés ainsi à la vindicte de l’opinion publique… Ainsi, comme le rappelle l’historienne Henriette Asséo (Le Monde magazine du 4

Départs volontaires ?

septembre), « entre 1910 et 1930, tous les États européens mettent en place un régime administratif d’exception fondé sur des fichiers anthropométriques, photographiques et généalogiques. Le « régime des nomades » français s’applique aux familles entières, de façon transgénérationnelle. On naît et on meurt sous le regard de la gendarmerie, des préfectures, des brigades mobiles ». Plus proche de nous encore, « le 6 avril 1940, un mois avant l’invasion des troupes allemandes, les familles enregistrées dans le « régime des nomades » sont assignées à résidence. Elles sont les principales victimes de l’ordonnance allemande du 4 octobre 1940, qui demande aux autorités françaises d’arrêter les Tziganes en zone occupée. 6.500 personnes de nationalité française sont internées en famille dans trente « camps pour nomades » ». Et de conclure… « Comme au début du XXe siècle, on est en train, de manière concertée et sur un plan international, de transformer des groupes sociaux, diversement discriminés dans leur pays et n’ayant aucun lien entre eux, en une catégorie politique unique, ethniquement responsable de sa discrimination. On retrouve aujourd’hui les deux volets de la « politique tzigane » : la disqua-

lification de nationaux, chez nous les « gens du voyage », et la création d’un ennemi commun, le « vagabond ethnique » ». Si la politique sécuritaire française a suscité l’opprobre de la majeure partie des pays européens, l’Italie fait notablement exception. Dans une récente interview, le ministre italien de l’Intérieur, Roberto Maroni, une figure majeure de la Ligue du Nord, le parti xénophobe d’Umberto Bossi, applaudit les récentes initiatives de Paris et les expulsions, par voie aérienne vers Bucarest. Mais il juge ces départs, « volontaires » insuffisants : « Il faut des expulsions comme pour les immigrés clandestins, pas des retours volontaires ou assistés », et d’annoncer qu’il demanderait à Bruxelles « l’autorisation d’expulser des ressortissant d’États membres lorsque leurs conditions de vies sont jugées inadéquates ». Ainsi, les Roms de Roumanie et de Bulgarie auraient, tout citoyens de l’UE qu’ils soient, le même statut qu’un immigré en situation illégale, et la police italienne pourrait les reconduire aux frontières avec la bénédiction d’un décret européen ! Gageons toutefois que ni la Commission, ni le Parlement européen ne s’en laisseront pas plus compter par Rome qu’il ne l’ont fait par Paris. ■

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israël-palestine Négociations Netanyahou-Abbas. Stop ou encore ? HENRI WAJNBLUM

P

eut-être n’est-il pas inutile de préciser d’emblée que si des négociations directes ont débuté le 3 septembre entre Benyamin Netanyahou, premier ministre israélien, et Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne, c’est sous la pression plus qu’insistante de Barack Obama. Jusqu’il y peu, Mahmoud Abbas conditionnait en effet l’entame de telles négociations à la prolongation du moratoire de dix mois décrété, lui aussi sous la pression plus qu’insistante du président américain, sur la construction dans les colonies juives de Cisjordanie. Il faut en effet savoir que, selon le mouvement Shalom Arshav, c’est la construction de quelque 13.000 nouveaux logements qui a déjà reçu l’aval du gouvernement Netanyahou-LiebermanBarak. La question était donc de savoir si ces négociations allaient capoter avant même d’avoir réellement commencé. À l’heure où vous lirez ces lignes, vous connaîtrez déjà la réponse à cette question. C’est en effet dans toutes les langues que les dirigeants palestiniens ont affirmé que si la construction reprenait après le 26 septembre, date butoir du moratoire, ils quitteraient aussitôt la table des négo-

ciations. Cette menace, les États-Unis et l’Union européenne l’ont prise au sérieux. Aussi n’ont-ils pas ménagé leurs efforts pour convaincre Benyamin Netanyahou de prolonger le gel de la colonisation. À l’heure où ces lignes sont rédigées (16 septembre), un projet de communiqué des 27 circulait qui demandait à Israël de prolonger le moratoire… « L’Union européenne juge indispensable que les deux parties fassent preuve de calme et de retenue et qu’elles s’abstiennent de tout acte susceptible d’affecter négativement l’avancée des négociations. À cet égard, elle rappelle que les colonies sont illé-

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gales du point de vue du droit international ». Pour ce qui est de États-Unis, ils viennent de proposer une extension du gel de trois mois, proposition que Mahmoud Abbas aurait acceptée. Jusqu’à présent, Netanyahou s’est quant à lui montré intransigeant. Pas question de prolonger le moratoire. Il sait qu’en décidant sa prolongation, il risque de voir sa majorité éclater comme avait éclaté celle de Ehud Barak avant même le début du sommet de Camp David en 2000. Et il peut aussi s’appuyer sur un récent sondage réalisé par l’institut Dahaf pour le quotidien Yédiot Aha-


ronot, sondage selon lequel 51% des Israéliens se prononceraient en faveur de la reprise des constructions.

ALORS ? STOP OU ENCORE ? Ni Netanyahou ni Abbas n’ont intérêt à « désespérer », non pas Billancourt, mais Barack Obama qui a impérativement besoin d’un succès diplomatique – et la poursuite des négociations en serait déjà un – dans la perspective des élections américaines de mimandat. On peut dès lors raisonnablement faire le pari qu’aucune des deux parties ne prendra le risque de quitter la table dans un proche avenir. Et donc, qu’une solution de compromis sera trouvée qui permettra à chacune d’elle de sauver la face. On la trouvera plus que probablement dans la réponse à cette autre question posée par l’institut Dahaf, et qui n’était certainement pas innocente… « Êtes-vous favorable à un compromis selon lequel la construction dans les territoires serait partiellement gelée, c’està-dire que l’on construirait principalement dans les blocs de colonies ? » À cette question, 42% des Israéliens ont répondu favorablement. Il est donc probable que c’est vers cette solution de prolongation partielle ou de reprise partielle de la construction que l’on s’orientera, Benyamin Netanyahou pouvant arguer qu’il a fait le maximum pour accéder aux demandes du Quartette et sauver sa coalition, et Mahmoud Abbas feignant de le croire. Mais si les négociations se poursuivent, pourra-t-on pour

autant espérer arriver rapidement à une solution, basée sur le respect du droit international, de cet interminable conflit israélo-palestinien et de cette non moins interminable occupation qui en est à sa quarante-huitième année ? Il n’y a personne d’un tant soit peu sensé pour y croire sérieusement tant les positions des deux parties se situent aux antipodes les unes des autres, que ce soit sur les futures frontières délimitant l’espace géographique des deux États (l’un jouissant déjà de la reconnaissance pleine et entière de la communauté internationale, et l’autre au devenir toujours hypothétique) et donc sur les colonies, sur la question de Jérusalem, et sur celle des réfugiés.

DES OBSTACLES EN PAGAILLE Première pierre d’achoppement, et de taille, la question de la sécurité. Ce qui semble en effet intéresser avant toute chose le gouvernement israélien, ce sont des négociations de type sécuritaire, à quoi l’Autorité palestinienne rétorque qu’il faut d’abord parler des frontières et qu’une fois un accord obtenu sur cette question, la sécurité d’Israël sera pleinement assurée. Mais Netanyahou acceptera-t-il de mettre d’entrée de jeu ses cartes – cartes géographiques s’entend – sur la table ? Rien n’est moins sûr. On sait en effet qu’Israël entend annexer les grands blocs de colonies où vivent quelque 300.000 colons. L’Autorité palestinienne ne l’entend pas de cette oreille qui exige que les négociations se déroulent sur la

base des frontières d’avant le 5 juin 1967, quitte à en concéder quelques modifications. Autre pierre d’achoppement, et pas des moindres, la question de Jérusalem. On sait qu’Israël considère Jérusalem, dont il a purement et simplement annexé la partie Est, comme sa capitale « éternelle et indivisible », alors que les Palestiniens considèrent JérusalemEst comme la leur. Pierre d’achoppement encore, la question des réfugiés. L’Autorité palestinienne continue d’exiger, comme l’avait fait en son temps Yasser Arafat, qu’Israël reconnaisse le principe, et le principe seulement, du droit au retour des Palestiniens expulsés durant la guerre de 1948-1949, ce qui rejoint la proposition de l’Initiative de paix de la Ligue Arabe énoncée en 2002 et réitérée en 2007, mais dont Israël ne veut en aucun cas entendre parler. Et enfin, depuis peu, Israël a avancé une nouvelle exigence, celle de la reconnaissance par l’Autorité palestinienne d’Israël comme État juif. Pas question, répond-on du côté palestinien, Israël est l’État des Israéliens, avec une nette majorité de citoyens juifs mais aussi une forte minorité de citoyens palestiniens qui doit jouir de droits égaux. Des négociations directes, c’est très bien, mais nous avons le net sentiment – nous l’avons d’ailleurs toujours eu – que ce n’est que sous la contrainte de la communauté internationale qu’Israël renoncera à son rêve, non plus du « Grand Israël » mais d’un Israël aussi grand que possible. ■

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lire Robert Bober. Le passé recomposé TESSA PARZENCZEWSKI

A

u début des années soixante, Bernard Appelbaum rencontre par hasard Robert Bober qui a été son moniteur dans une colonie de vacances après la guerre. Une colonie pour enfants juifs rescapés, et si l’on en juge d’après les chansons évoquées, plutôt communiste. Bober, devenu assistant de François Truffaut, propose à Bernard de faire de la figuration dans Jules et Jim. Bernard ira voir le film en compagnie de sa mère. Et c’est à la fin de la séance, que celle-ci lui confie avoir vécu une histoire semblable. Yankel, Leizer et Hannah, tous trois originaires de Przytyk, en Pologne, non loin de Radom, se rencontrent en 1936 lors d’une manifestation organisée par le Bund contre les pogroms. Yankel et Leizer tombent amoureux de Hannah. Hannah épousera Yankel, le couple émigrera en France, où naîtra Bernard. Yankel et Leizer seront déportés. L’un reviendra et l’autre pas. Le survivant, Leizer, épousera Hannah, dont il aura un fils, Alex. En 1949, Leizer disparaît dans un accident d’avion, au-dessus des Açores. C’est après la vision du film, au moment où la parole d’Hannah se libère, que Bernard se plonge dans un voyage dans le temps, à la recherche d’un passé longtemps tu. Photos d’avant-guerre, extraits de journaux, autant d’indices qui ja-

lonnent un jeu de piste obstiné. Dans la foulée, nous accompagnons Bernard dans ses déambulations dans un Paris nostalgique, celui de Doisneau et de Prévert,

où dans les bistrots de Belleville, on parle encore de la Commune, en chantant Le temps des cerises. Au gré des rencontres, des personnages apparaissent, réels ou inventés, et dont les histoires s’ouvrent comme des fenêtres sur d’autres vies. Voyage dans la mémoire. La mémoire de Bober ou celle, fictive, du protagoniste ? Nous ne le saurons pas. Scandé par des références cinématographiques, de Casque d’or à Ophüls et donc à Schnitzler, dans la Vienne d’avant, sans oublier Harpo Marx, le récit bifurque, remonte du passé vers le pré-

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sent des années soixante, avec un flash sur la manif pour les morts du métro Charonne, en ce temps de la guerre d’Algérie. Chronique familiale brisée dont le protagoniste tente de recoller les morceaux, personnages attachants comme Boubé, la grandmère, fidèle au yiddish et qui fut muette pendant la guerre – étrangement, le nombre de muets augmenta à cette époque…–, le roman fourmille d’allusions, de digressions, comme autant de signes de reconnaissance, mais sans jamais abandonner le fil rouge des destins rompus. Alternant gravité et humour, Robert Bober ne s’embarrasse d’aucun effet. Sa langue est limpide, toute en légèreté, mais quelque chose d’indéfinissable dans le rythme, dans le phrasé, fait naître l’émotion, sans pathos. Réalisateur avec son ami Perec de l’inoubliable Récits d’Ellis Island, Robert Bober nous offre avec ce livre au titre emprunté à Reverdy, un écho sensible et chaleureux de nos histoires communes. ■

Robert Bober On ne peut plus dormir tranquille quand on a une fois ouvert les yeux P.O.L 284 p., 17 EURO


Samedi 20 novembre de 14h à 18h30 L’UPJB vous convie à une demi-journée de réflexion sur le thème*

« Israël en proie au démon de la chasse aux sorcières » En la salle Helder Camara 19 rue Pletinckx – 1000 Bruxelles Il y a quelques mois, nous organisions, en collaboration avec Dor Hashalom et le Cercle des Étudiants arabo-européens de l’ULB, une soirée d’information consacrée aux discriminations dont est victime la population palestino-israélienne, ainsi qu’à sa place et à son avenir dans la société israélienne. Une des conclusions de cette soirée était que si Israël était une démocratie pour sa population juive, il était loin de l’être pour sa population palestinienne. Ce constat doit, aujourd’hui, être fortement remis en question. Non pas qu’Israël soit soudain devenu une démocratie pour sa population palestinienne, mais il ne l’est plus non plus pour une partie de sa population juive. On assiste en effet depuis plusieurs mois à ce qu’il n’est pas excessif de qualifier de chasse aux sorcières contre les organisations de défense des droits de l’homme engagées contre l’occupation et la colonisation des territoires palestiniens. La campagne a été initiée par le mouvement Im Tirtzu (Si vous le voulez) – un groupuscule d’étudiants d’extrême droite, dont le nom fait référence à la phrase de Théodore Herzl : « Si vous le voulez, ce ne sera pas une légende » –, ainsi que par un certain nombre de parlementaires qui accusent des ONG israéliennes d’avoir collaboré avec le juge Goldstone en fournissant à celui-ci « 92% des références négatives » contenues dans son rapport. On ne les accuse pas d’avoir fourni de fausses informations, mais « tout simplement » de mettre en cause l’existence d’Israël et de représenter un « danger pour la nation » en délégitimant Israël à l’étranger. Parmi les ONG visées : B’Tselem, Breaking the Silence, l’Association pour les droits civiques en Israël, le Comité public contre la torture, Médecins pour les droits de l’homme, Yesh Din, Hamoked... soit les principales organisations qui défendent les droits des Palestiniens, donnent la parole aux soldats israéliens muselés par la censure militaire et, d’une manière générale, mènent le combat de la liberté d’expression. C’est pour faire le point sur ce que des éditorialistes israéliens réputés n’hésitent pas à qualifier de flambée maccarthyste que nous vous invitons à cette demi-journée d’information et de débat en présence de représentants d’associations visées par cette campagne de dénigrement et de stigmatisation particulièrement violente. Panel provisoire :

Talila Kosh : membre du mouvement New Profile, Mouvement pour la civil-isation de la société israélienne et de soutien aux Refuzniks Ishai Menuchin : directeur exécutif du Comité public contre la torture en Israël, conférencier au département social et politique de l’université Ben Gourion du Neguev. Il fut l’un des premiers refuzniks lors de la première guerre du Liban en 1982 Miri Weingarten : membre de l’organisation Médecins pour les droits humains Modérateur : Pascal Fenaux, journaliste PAF : 2 EURO� - Traduction simultanée assurée.

* Avec le soutien de la Fondation Heinrich Böll et du MOC

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traduire L’Époux impatient Rencontre avec sa traductrice, Tessa Parzenczewski CARINE BRATZLAVSKY

« Sitôt après leurs noces célébrées le 22 septembre 1862, Léon Tolstoï et sa très jeune épouse Sofia Andreevna se rendent à Isnaïa Poliana dans la propriété de l’écrivain. Verste après verste, durant ces deux jours de voyage en berline, nous assistons à la confrontation parfois violente, entre les époux qui se découvrent. Sofia Andreevna, dix-huit ans à peine, quitte pour la première fois le cocon familial. Léon Tolstoï, bien plus âgé, est déjà un écrivain reconnu. Tout au long du trajet, ils vont tenter de s’apprivoiser. Mais dès la nuit de noce, « l’époux impatient », incapable de résister à ses pulsions, inflige à la jeune fille des assauts « effrénés, vulgaires », poussé par sa « sotte animalité » (...) En quelques heures, par des dialogues brefs et des monologues intérieurs que Grazia Livi a nourris de passages empruntés au journal intime de chacun, nous parcourons un chemin de vie, raconté avec une telle empathie que l’on a parfois l’impression de lire un vrai roman russe au charme enchanteur... » En quelques lignes, tout est dit. Les protagonistes, l’intrigue, l’époque, les lieux, l’écriture. Qu’ajouter de plus à cette quatrième de couverture ? Rien d’autre, me disais-je, que ce que Tessa Parzenczewski, sa traductrice, m’en dirait. Car, en refermant le petit livre, emportée pourtant

dans ce voyage étrange à travers des paysages russes dépeints avec grâce, où passé, présent et futur s’entrelacent, entraînée dans cette histoire d’amour aux accents de lutte de sexes, c’était pourtant sa traductrice qui m’intriguait le plus. J’ai sonné chez Tessa, un de ces derniers dimanches d’automne en août. Avec pour seule question en tête : comment ce livre étaitil arrivé jusqu’à elle ? Je saluai son compagnon au passage, Jo Dustin, attablé dans le salon qui lui sert d’atelier. Elle me fit entrer dans une petite pièce, « c’est ici que je travaille », bureau enseveli sous les feuilles éparses et les dictionnaires grands ouverts, armoire tapissée de livres, fauteuil de lecture dans lequel elle me fait prendre place. Elle s’installe sur une chaise. Mais alors Tessa, ce livre ? L’italien ? Actes Sud ? C’était en 1973. Je suis partie seule à Florence. J’ai entendu cette langue pour la première fois. Quelques temps plus tard, à Saint-Gilles, en pleine époque militante, j’entends mon amie France B. s’adresser en italien à des amis. Ça m’a donné envie d’apprendre. J’ai suivi des cours à l’Institut de Culture italienne et je me suis mise à lire en italien. Très vite, j’ai été prise par le rêve de traduire, mais bon, c’était

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trop tard. Un jour, j’avais déjà quitté mon boulot, j’ai lu une interview de Françoise Wuilmart dans Le Soir, à propos du Centre Européen de Traduction Littéraire qu’elle a créé et qu’elle dirige. Je n’avais pas de diplôme universitaire mais j’ai été admise après un examen d’entrée. J’y ai suivi les cours pendant deux ans. C’était merveilleux. Beaucoup de ces étudiants, pourtant beaucoup plus jeunes que moi, sont devenus des amis. Tu sais que Jacques Aron a aussi suivi la formation ? En allemand, lui. Pour le mémoire, on devait traduire un livre inédit. Dans La Stampa, j’ai lu une recension d’un petit livre italien, Val d’oltra, paru en 1928, écrit par une juive italienne. Je l’ai proposé à ma directrice de mémoire, Marguerite Pozzoli, dont le nom est aussi sur la couverture de L’Époux impatient, et qui est directrice de collection chez Actes Sud. C’était en 98 et je me suis mise en tête de rechercher l’auteure dont je savais qu’elle vivait en Israël. Tu sais que j’ai vécu en Israël jusqu’à l’âge de 10 ans ? J’ai quitté Israël en 48, après le divorce de mes parents. Un déchirement terrible. Tu penses, j’avais vécu au kibboutz depuis toute petite, jamais vécu avec ma mère, je quittais tout, les amis, le groupe, le soleil, pour un tête-à-tête avec ma mère. Quelques années plus tard, en 56, j’ai découvert que j’avais une demi-


couverture, c’est toi ? ! T’aije déjà dit combien j’adore tes chroniques littéraires, ici, dans la revue ? C’est vraiment par hasard que j’ai commencé à écrire. Au départ, quand je suis arrivée à l’UPJB en 2002, c’était par rapport à ses positions sur Israël. Et de fil en aiguille, j’ai rejoint la commission culture puis Points Critiques. Avant ça, avec Jo, on a un parcours classique de la gauche bruxelloise. En 1990, Jo a quitté Le Drapeau Rouge (il avait été instituteur pendant 18 ans) pour devenir pigiste au Soir.

sœur qui avait toujours vécu avec mon père. Mais je ne l’ai rencontrée qu’en 98 justement, quand elle m’a écrit. J’ai demandé à ma sœur de retrouver mon auteure, Paola Malvano, mais tu sais, les femmes laissent tomber leur nom d’épouse en Israël, ce n’était pas simple de la retrouver. Finalement, par un cercle d’Israéliens d’origine italienne, mais oui, on a découvert que ça existe, ma sœur a retrouvé un vieux monsieur qui l’avait connue. Elle vivait à Jérusalem. Alors je suis allée la voir, avec ma sœur et le livre. C’était très touchant, cette vieille dame, dans cette atmosphère italienne, une cousine de Primo Levi, imagine-toi, qui a connu Pavese. Elle est morte en 2000. Et cet Époux Impatient, alors? Entretemps, Marguerite Pozzoli m’a proposé de devenir lectrice chez Actes Sud. Je fais des fiches de lecture pour elle. Mais alors, la quatrième de

Revenons à cet Époux. Et la traduction alors ? C’était beaucoup de travail, six mois. Le français n’est pas ma langue maternelle, tu sais. Il y a des choses sur lesquelles je doute encore, comme la concordance des temps. C’est l’écriture qui m’avait frappée dans ce livre. Très belle, très dense et nuancée, on est dans un vrai roman russe. La visite de l’église, la scène de chasse, le viol, l’histoire du cheval Passalungo, Longues foulées. C’était pas facile à trouver ça mais j’en suis très contente. Dommage que le livre soit sorti en plein désert du mois de juin quand il n’y a plus de suppléments littéraires dans les journaux. Et l’hébreu, tu pourrais le traduire ? Ma mère parlait plein de langues, le français, le polonais – elle était arrivée seule de Pologne en 28 pour faire des études de pharmacie (il y avait un numerus clausus en Pologne pour les Juifs) – l’hébreu (elle et mon père ont quitté la Belgique pour Israël en 33, pas spécialement par sionisme d’ailleurs), elle avait appris l’italien (je la croisais à l’Institut de Culture italienne, pas possible

de mettre un océan entre elle et moi). Mais quand on est arrivées ici toutes les deux, pour faciliter notre intégration disait-elle, on a arrêté de parler l’hébreu. J’ai un accent français terrible quand je parle hébreu. J’ai des souvenirs atroces de mon arrivée ici. Je ne voulais pas aller à l’école. C’est la veuve de mon oncle, Abraham Léon, qui m’a convaincue d’y aller sous la menace que, sinon, les gendarmes allaient venir me chercher. (Ainsi donc, Abraham Léon né Wejnstock, trotskiste de la première heure aux côtés d’Ernest Mandel, l’auteur du fameux livre La conception matérialiste de la question juive, arrêté par la feldgendarmerie en juin 1944 à Charleroi et qui ne reviendra pas d’Auschwitz, comme me l’a rappelé Google, était l’oncle de Tessa). Tu as d’autres projets de traduction ? Je ne sais pas, c’est beaucoup de travail. On va voir. Par contre, je suis plongée dans un travail de réécriture d’une juive iranienne exilée en Belgique depuis 20 ans et qui raconte sa vie, comme juive, en Iran. Ses parents à elle vivent en Israël. Elle s’appelle Mojgan Kahen . (Ma visite s’est achevée par une tasse de thé et de très bonnes pâtisseries où nous avons parlé du DR, du Soir, et d’art contemporain avec Jo. Et Tessa qui nous rafraîchissait la mémoire des dates et des noms). ■ Grazia Livi, L’Époux impatient, traduit de l’italien par Tessa Parzenczewski en collaboration avec Marguerite Pozzoli, coll. « Lettres italiennes », Actes Sud, juin 2010, 159 P., 17 EURO

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lire, regarder, écouter Notules de septembre GÉRARD PRESZOW

I

l fait gris, la pluie alterne avec la bruine, il fait doux, un dimanche sombre comme cette ville aime. Un dimanche à crever sous la couette, l’oreiller enfoncé dans la bouche. La fenêtre est grand ouverte. Soudain, une musique. Tiens, pas comme d’hab, pas cette purée qui, souvent, remonte d’en bas et m’oblige à fermer la fenêtre. Pas cette radio pourrie, ni un cd, ni un iPod branché sur un ampli qui crachote ; on dirait du live . J’entends bien ? Accordéon, clarinette, guitare. Oui, du live, mais qui vient d’où ? Je passe mes oreilles par la fenêtre et j’essaie de repérer l’origine du son en fonction des réverbérations, des ondes qui rebondissent et repartent en tous sens.

Des vides et des pleins. Du côté de l’église ? De l’autre côté ? Dans

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le bas ? Dans le haut ? Une musique slave, juive, tsigane. J’enfile mes godasses et, cette fois, j’accélère le rythme de peur que, tout à coup la musique n’ait disparu. Mais, ma parole, c’est fête dans la rue perpendiculaire et dans la parallèle ! Fête et personne dans ces deux rues à angle droit, hormis les organisateurs. Un barbecue fume sous la pluie, quelques nonnes à foulard bleu clair sont assises sous la tente et mangent viande et taboulé. Le château gonflable est resté à terre, mou comme un ver ; nul enfant à l’horizon. Il pleut, que dis-je « il pleut », il drache. Et les musiciens jouent. Pour le badaud improbable que je suis, c’est de la vodka dans les oreilles. The show must go on. Mais, mais… à l’accordéon… c’est… Giovalin !


Incroyable, pas possible. Lui-zici ! Lui, il y a peu d’années d’ici, c’était plutôt The show must go home, retour à Tirana. Il faisait ses gammes dans le métro quand la police lui est tombée dessus. Cachot, case « prison » et retour immédiat case « départ ». Le soir, il devait jouer à la Tentation ou au Bota. C’est dans le fourgon pour Zaventem que la bonne nouvelle lui parvint : il recevait l’autorisation in extremis d’honorer son contrat et d’ensoleiller les dimanches bruxellois. Je n’ose imaginer ce qu’il serait advenu à un tzigane sans musique…

siques qui ont pris la poussière, les listes scolaires de livres obligatoires qu’on ne lit plus, du genre Cesbron, Cronin, Maurois, Mauriac… Parfois certains chutent au purgatoire et en réchappent pour une nouvelle vie : Bernanos, Valéry, Steinbeck… Toujours est-il que désormais j’offre ce livre à tour de bras. Incroyable, comme un seul homme peut avoir une telle âme de visionnaire, une telle intuition anticipative. Sur un seul point, il s’est trompé. Quand il se désespère des autodafés, dont ceux de ses livres, il se console en se disant « qu’heureusement on ne brûle

* De dehors, c’est plutôt surprenant, une librairie de quartier populaire qui paraît bien achalandée. Mais il est vrai qu’à force de rénovations, le quartier a bien changé. -Vous avez Le Monde d’Hier ? -Non, Monsieur, nous ne vendons pas de journaux. La libraire ne voit pas les majuscules quand je lui parle. Se rendant compte de sa méprise, elle se précipite vers une étagère : « le voici ». Qu’est-ce qui m’a pris tout à coup de vouloir lire ce livre ? Peut-être une pensée pour mon ami Samy, depuis deux ans disparu, qui adorait Stefan Zweig. Pour moi, Zweig c’était un peu les clas-

pas les hommes ». Il s’est suicidé au Brésil en 1942 avant d’apprendre le fin mot de la tragédie.

Voilà un livre qui démarre avant 14 et se termine au cœur de la tourmente nazie. Il brasse amplement le siècle, alliant l’autobiographie d’un Juif viennois à l’histoire de cette Austro-Hongrie se pâmant dans les bras hitlériens. Il dresse des portraits émouvants et savoureux de ses rencontres admiratives : Verhaeren, Rilke, Romain Rolland, Freud… Herzl. C’est d’ailleurs à propos du judaïsme qu’il est le plus saisissant. On suit pas à pas le destin de cette bourgeoisie juive viennoise, si confiante dans son destin et dans celui des institutions, porteuse d’une foi aveugle en l’Europe, si fière de son apport à la culture locale, occidentale et à l’occasion, pleine de compassion distante pour les pauvres Juifs de l’Est… et si pleine d’illusions sur elle-même et sur le monde. On accompagne cet homme, l’écrivain de langue allemande le plus lu dans l’entredeux-guerres, dans sa lente descente aux enfers, on suit l’invité prestigieux aux quatre coins du monde, transformé en SDF proscrit et apatride dans « sa fuite sans fin ». Quelques heures avant le déclenchement de la première guerre mondiale, il est à Ostende. Les bruits de bottes et d’armements résonnent aux frontières de la Belgique et Zweig n’en démord pas : « non, les Allemands n’entreront pas en Belgique, ils respecteront le traité de neutralité »… ■

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diasporas Retour de Pologne LARISSA GRUSZOW, BORIS GVIRTMAN ET JACKIE SCHIFFMANN*

I

l y a peu, Larissa nous a proposé, un voyage à la découverte de « sa Pologne », sur les traces de la vie juive d’autrefois, et des manifestations récentes d’intérêt des Polonais pour le passé judéo-polonais. J’avais un sentiment très négatif de la Pologne, de son antisémitisme atavique d’avant guerre, de celui de la période communiste, des stupides graffitis actuels où le mot « Juif » est employé comme insulte, dans une Pologne quasi sans juifs ! Cette vision avait découragé toute velléité de voyage ! Les manifestations récentes de l’intérêt grandissant en Pologne pour le passé judéo-polonais, découvertes dans le livre de JeanYves Potel La fin de l’innoncence : la Pologne face à son passé juif 1, m’ont décidé à aller voir sur place2.

KRAKOW Première étape et le quartier de Kazimierz, qui du 15ème siècle à la 2ème guerre mondiale, fut un très dense quartier juif. Les monuments liés à l’histoire et à la culture juives ont été conservés en grand nombre. Ils retrouvent leur splendeur à la fin des années 90, quand les Polonais, avec l’aide financière des Juifs américains, réinvestissent le passé juif polonais comme partie de leur propre identité. « ..Cracovie… est le théâtre d’un renouveau juif presque entièrement piloté par des gens

sans attache particulière au judaïsme, au-delà du désir de renouer avec une part majeure de l’héritage historique polonais »3. 6 juin. Nous rencontrons Joachim Russek, Directeur du Centrum Kultury Zydowskiej, situé rue Meiselsa, dans l’ancienne synagogue B’nei Emunah. Joachim nous accueille et nous lui disons notre étonnement devant l’animation et les évènements multiples qui traduisent la renaissance de Kazimierz, les nombreuses activités du Centre, le festival annuel de culture juive, les librairies et discothèques juives, les concerts de musique klezmer tous les soirs sur la place Szeroka. Tout au long de notre voyage, nous essayerons de comprendre les motivations des Polonais sans attache juive, comme Joachim, impliqués dans ce travail culturel et mémoriel du passé juif polonais. Joachim tente de nous sensibiliser au problème identitaire des Polonais, qui n’ont repris leur destin en mains qu’en 1989. Je crois n’avoir compris ce qu’il voulait dire, qu’après notre retour, après réflexion et relecture partielle du livre de Potel. Voici en tout cas ma version ! La Pologne n’a retrouvé son indépendance qu’en 1919. Durant la période nationaliste entre les deux guerres, les mesures antisémites furent nombreuses : « essor de partis nationalistes, mesures économiques anti-juives, ordres

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de boycott, tentatives de numerus clausus dans les universités, pratiques de ségrégation des Juifs dans les amphis et les transports, une fraction de l’Eglise catholique apporta sa pierre théologique à l’édifice, tout cela dans un climat de crise économique, qui fit réapparaître en 1936 des pogroms. A la veille de la guerre, la Pologne s’apprêtait à adopter des lois raciales sur le modèle de celles de Nuremberg »4. Pendant la guerre, 3 millions de morts Polonais, 10% de sa population, 3 millions de Juifs, 95% de sa population d’avant guerre ! Et il y eut les pogroms d’après 1944, comme à Kielce. Puis vint pendant plus de 40 ans l’étouffoir communiste, le retour de l’antisémitisme lors de la guerre des six jours, sous couleur d’antisionisme. Puis la contestation du régime, les grèves de 1970, la naissance de Solidarnosc, la dictature de Jaruzelski et enfin les premières élections libres, en juin 1989. À ce moment, des intellectuels et hommes de culture comme Joachim Russek furent confrontés à la nécessité de construire une identité polonaise enfin ouverte sur l’Europe et sur le monde, en n’occultant pas le passé, mais en l’assumant, par la recherche et la mise en lumière de la vérité historique sur toute cette période. Et le passé judéo-polonais est au centre de cette démarche. Sur le site du Centre (www. judaica.pl), on peut lire ses objec-


tifs, qui éclairent ce que Joachim nous a dit ce soir-là 1. Préserver l’héritage Juif à Krakow et perpétuer la mémoire de la présence séculaire des juifs en Pologne, vivant côte à côte avec les polonais 2. Enseigner l’histoire et la culture des juifs polonais aux jeunes 3. Créer une plate-forme pour le dialogue judéo-polonais 4. Promouvoir les valeurs d’une société civile ouverte Joachim nous projettera aussi un film intitulé Der Unerwartete Gast (L’invité non attendu), réalisé à partir d’une exposition à Cracovie en 1989, de tableaux de peintres juifs d’avant guerre. William Bland a tiré un film à partir de ces superbes tableaux, relatant les différents aspects des vies des Juifs de cette époque, imbriquées dans celles des Polonais. Imbriquées mais non fusionnées, car le Juif n’avait jamais été un citoyen à part entière, mais un invité, le plus souvent perçu de manière négative, et bouc émissaire lors des malheurs de la Pologne. La guerre accentua le clivage. Il y eut de nombreux Justes polonais qui sauvèrent des Juifs, il y eut Jan Karski qui essaya en vain d’alerter les Alliés sur le sort des Juifs polonais, mais il y eut aussi le silence et l’indifférence de nombreux Polonais, et il y eut après, pendant des décennies, l’occultation du problème de la « responsabilité morale » des Polonais dans le sort tragique des Juifs. « Seule avec l’Angleterre, la Pologne avait lutté durant toute la guerre contre les nazis et la résistance intérieure, sous la tutelle du gouvernement polonais à Londres, avait payé un prix très lourd. Pour les Polonais, difficile d’accepter que cette image soit entachée, ils eurent « l’obsession de l’innocence ». Et voila que depuis la fin du Communisme et les travaux des

nouveaux historiens polonais depuis 89, toute cette période était revisitée, et la Pologne faisait enfin face à son passé juif. C’était la « fin de l’innocence »5. Pour tenter de réparer ce passé judéo-polonais douleureux, controversé, inacceptable, il fallait que le passé juif soit revisité de manière positive : d’où la préservation du patrimoine juif existant, la création de nouveaux lieux de mémoire et d’étude juives, l’enseignement de l’histoire et de la culture des Juifs polonais aux jeunes générations, afin de leur permettre, ayant assumé leur passé, de s’ouvrir à l’Europe et au monde. Voilà pourquoi resurgit aujourd’hui le Juif, « cet invité non attendu », de façon virtuelle puisqu’il n’y a quasi plus de Juifs en Pologne, mais de manière positive cette fois. Voila je crois, le message de ce film, que Joachim à voulu nous communiquer, et qui est de la même nature que celui des inscriptions de l’artiste Rafal Betljewski sur les murs des villes : Teskne za Toba, Zydzie (Tu me manques, Juif)6, pour réparer l’emploi péjoratif du mot « Juif », si courant en Pologne, et les stupides graffitis anti-juifs qui fleurissent encore aujourd’hui.

LODZ 7 juin. Arrivée à Lodz et rencontre avec Joanna Podolska, une jeune polonaise qui marquera nos 48 heures dans cette ville. Le livre de Potel7 m’avait fait découvrir le rôle joué par cette historienne, journaliste à Gazeta Wyborcza, et enseignante, lors de la création de lieux de mémoire du judéocide en 2004, pour le 60ème anniversaire de la liquidation du ghetto de Lodz. Allez sur internet et tapez « Joanna Podolska Lodz ». Vous verrez qu’elle est présente dans tout ce qui se fait

et s’écrit sur la tragédie des juifs de Lodz en 40-45, et sur l’histoire et la culture des Juifs de Lodz en général. Admiratif de son action, je l’avais contactée, et Joanna nous fixe rendez-vous à notre hôtel Linat Orchim, dans le Guesthouse de la Communauté juive de Lodz. Joanna nous conduit au Nord, vers Baluty, le district juif créé en 1827 où les Juifs étaient obligés de s’établir, si présent dans les livres de Joshua Singer. C’était aussi là que s’étaient construites la plupart des usines textiles. C’est là que les nazis, ayant annexé dès 1939 la Pologne occidentale, dont Lodz renommée Litzmannstadt, établirent le Ghetto8. Ville allemande Lodz subit peu de démolitions, exception faite pour les 4 synagogues que les nazis incendièrent dès 1939. Joanna nous fait visiter le quartier de l’ancien ghetto, où tous les bâtiments de l’époque sont demeurés intacts. Le Judenrat était dirigé par le controversé M. Rumkowski. Les conditions de vie étaient épouvantables. Près de 45.000 personnes moururent de faim ou d’épuisement, et furent enterrées dans le cimetière juif situé à l’intérieur du ghetto. Quand les nazis eurent décidé « la solution finale », commença la déportation des Juifs du ghetto, depuis la gare de Radegast, vers les différents camps de la mort. Cela dura jusqu’à l’été 1944. 8 juin. Nous retrouvons Joanna à la gare Radegast, devenue en 2004, grâce à l’action qu’elle a menée avec ses amis, un mémorial aux Juifs du ghetto partis d’ici vers les camps de la mort. Petit musée explicatif avec photos dans la gare, une locomotive et les sinistres wagons, un long tunnel avec à l’intérieur, par année de 40 à 44, les listes des personnes déportées. Le tunnel aboutit à une

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➜ salle avec au centre, une flamme, et sur les murs les noms des villes d’origine des Juifs. Au dessus s’élève la colonne du Souvenir ouverte au ciel, et qui, de l’extérieur, évoque une haute cheminée en briques rouges… Le cimetière juif, créé en 1892, est toujours en service. Il s’étend sur 40 ha et il y a plus de 230.000 tombes. Joanna, qui en est une spécialiste9, le fait souvent visiter à ses étudiants, et nous bénéficions de ses commentaires sensibles et experts. Mausolées pharaonniques, comme celui d’Izraël Poznanski, belles tombes art nouveau, et petites plaques individuelles pour les 40.000 morts du ghetto, entre 40 et 44. Visite au dernier mémorial juif de 2004, le Parc des Rescapés, symbole de la survie, parc public de 8 ha, dans lequel 387 arbres, chacun portant un nom, ont été plantés par les rescapés et leurs familles. Entre une butte, au sommet de laquelle se trouve la statue de Jan Karski, et un monument en hommage « aux Justes », serpente un chemin dont les pavés portent les noms de tous les rescapés. À

côté de ce message de vie, s’érige le Centre pour le Dialogue des Cultures, aboutissement de l’Institut de la Tolérance dont Joanna est responsable depuis 2003 et qu’elle anime par des séminaires, colloques, etc… 8 juin. Dernière soirée. Joanna nous emmène à la superbe Villa Kindermann, « la perle Art Nouveau de Lodz », devenue Musée d’art municipal, illuminée et fleurie, et qui accueille une réception pour la ré-édition d’un livre de poésie sur les fleurs de Julian Tuwim. Nous allons ensuite à la Manufaktura, pour un souper aux « pierogis », en terrasse. Il y a foule autour de comédiens qui jouent près de nous sur la place, mais nous sommes absorbés par les récits de vie, qui s’échangent entre nous : l’implication « plein temps » de Joanna dans la transmission de ce passé Juif dont elle ignorait tout, enfant. Elle ne peut plus imaginer d’autre activité ! Et Larissa, qui parle de son passé polonais et rapporte avec véhémence, les manifestations d’antisémitisme subies par la famille de son mari Julot, avant guerre, trop peu

Le Centre culturel juif

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dénoncées. Joanna entend cette colère et la comprend, mais pour elle, le renouveau en cours doit être positif. Aussi se voue-t-elle à enseigner aux jeunes l’histoire du passé juif de Lodz, et à leur inculquer la tolérance et l’ouverture vers autrui. À regret, il faut se quitter. Merci pour tout Joanna.

VARSOVIE 10 juin. Le parcours mémoriel juif. C’est bien sûr le parcours des combattants juifs qui aura notre priorité, qui débute au mémorial bien connu des Héros du Ghetto. En face s’érige un important bâtiment, le futur Musée de l’Histoire des Juifs de Pologne, qui montre à quel point l’enseignement de l’histoire des Juifs polonais est devenu un objectif important pour les autorités. Il sera indépendant, mais collaborera avec l’actuel Institut Historique Juif de Varsovie. Le parcours de la mémoire va du Mémorial du Ghetto jusqu’à l’Umschlagplatz et est jalonné de blocs en pierre noire, dédiés aux héros du ghetto, Anielewicz, Korczak,… Au milieu du parcours, à la rue Mila, se trouve le Bunker, une butte de terre sur les restes du bunker de commandement de l’Organisation Juive de la Lutte Armée (ZOB). Après des combats d’un courage extrême, mais désespérés, le jeune commandant en chef de 26 ans, Mordechaj Anielewicz et des membres de son état-major s’y sont suicidés le 8 mai 1943, encerclés de troupes allemandes. Nous arrivons au mémorial de l’Umschlagplatz, du nom du dépôt ferroviaire qui se trouvait dans la rue Stawki, une des dernières étapes de l’existence de plus de 300.000 Juifs de Varsovie. Au cimetière juif, nous découvrons les tombes de grandes figures du passé juif : rabbis, écrivains comme L. Peretz, le dr Korczak, le monument aux


Le Musée de l’histoire des Juifs de Pologne en construction

insurgés du ghetto, et juste à côté la tombe récente de Marek Edelman, mort en 2009, en attente de sa pierre tombale. 11 juin. Rencontre avec Lena Bergman, directrice de l’Institut Historique Juif (ZIH). Le ZIH abritait avant guerre la principale librairie et le centre d’études juif. Il a été un lieu de travail clandestin durant l’occupation. Après guerre, les rescapés se sont organisés pour récolter, sauvegarder et sauver de l’oubli tous les documents et témoignages possibles de l’extermination des Juifs. Pour toute la Pologne, les survivants étaient environ 250.000 en 45, soit 7,5% de la population juive d’avant guerre. Mais les tentatives de recréer une communauté juive en Pologne se sont soldées par l’échec, que ce soit en raison des violences contre les rescapés dès 1944, ou à cause de l’antisémitisme virulent des années 60. 95% des rescapés ont quitté la Pologne. Le ZIH est le gardien des archives et de l’héritage culturel des Juifs Polonais, dont « Les archives clandestines du ghetto de Varsovie de Ringelblum », retrouvées en 46 dans les ruines, et inscrites par l’Unesco, en 1999, au Pa-

trimoine Mondial. Le ZIH se veut un pont entre Juifs de la diaspora d’origine polonaise et leur ancien pays, et un pont vers la Pologne d’aujourd’hui car pendant les 50 ans de régime communiste, la mémoire juive a été soit interdite, soit manipulée. Le ZIH archive tous les documents et manuscrits recueillis, met sa vaste documentation à la disposition des chercheurs, publie, organise des expositions, des conférences, colloques, etc... Combien de Juifs y a-t-il en Pologne aujourd’hui ? Au recensement de 2002, 1102 ! Mais la seule question était : êtes-vous Polonais ou Juif ou… Pendant la période d’entre les deux guerres, les Juifs étaient recensés sur base de la religion déclarée. Dans la culture polonaise, deux conceptions nationales s’opposent. La première « nationaliste catholique » qui définit la polonité par la langue et la religion catholique. Les autres sont des invités, d’où entre les deux guerres et, surtout fin des années 30, un antisémitisme violent, le nazisme servant de modèle. La deuxième, alors minoritaire, la tradition républicaine, où les Juifs étaient une minorité religieuse et culturelle, et leurs droits garantis. Qu’en sera-t-il lors du recensement de 2011, pour lequel il a été promis d’étendre les critères. Retrouvera-t-on les 25.000 à 50.000 Juifs estimés par Mme Bergman, qui actuellement, ne se réclament pas de leur appartenance juive ?

POUR CONCLURE Il y a en Pologne un patrimoine du passé juif immense et unique au monde, que des Polonais aujourd’hui considèrent et préservent comme le leur. Il y a des Instituts d’études juives dans cinq grandes Universités. De nouveaux centres et musées vont

s’ouvrir à Varsovie et à Lodz et de nombreux jeunes Polonais étudient la culture juive. Ce qui frappe, c’est l’absence de Juifs, réduits à quelques centaines dans les communautés des grandes villes. L’intérêt des Polonais pour l’étude du Judaïsme s’apparente donc à celui pour une civilisation disparue malgré les tentatives de lui redonner vie : semaine de la culture juive à Krakow, musique klezmer, festival Singer à Varsovie, etc… Nous avons fait de riches rencontres avec des personnes remarquables qui se vouent à ce renouveau juif. Après ce voyage, il nous semble que nombre de politiques, d’intellectuels gens de culture polonais ont tourné le dos à l’antisémitisme, à l’inconscience et à l’amnésie du passé, pour tenter de construire, par l’éducation, la responsabilité, l’empathie, et la mémoire vis-à-vis de leur passé juif, une identité polonaise nouvelle. ■ *Jackie Schiffmann est le rédacteur de cet article

J.-Y. Potel, La fin de l’innoncence : la Pologne face à son passé juif, Éditions Autrement, 2009. 2 Un récit plus complet de ce périple sera publié ultérieurement sur le site de l’UPJB (www.upjb.be). 3 H. Serraf, « Philosémitisme polonais », Le Monde, 4 et 5 juillet 2010. 4 « L’antisémitisme et la renaissance de l’État polonais » (Cours du Pr. Daniel Tollet à l’Institut des Études Juives de l’Université Libre de Bruxelles, de 2006 à 2009). 5 J.-Y. Potel, ibid., pp.50-52. 6 R. Baumann, «Zyd ! Graffitis et mémoire des Juifs en Pologne », Points Critiques, mars 2010, n°304. 7 J.-Y. Potel, ibid., pp. 127-142. 8 Joanna Podolska, Traces of the Litzmannstadt Getto. A Guide to the Past, Lodz, 2004. 9 Guide du cimetière juif (avec J.Walicki). 1

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écrire Odessa-Mama ANDRES SORIN

I

had a dream. Cela fut rêvé il y a quelques mois : je rencontrais un très jeune homme venant de Russie ou plutôt d’Ukraine. Juif, il voulait que je l’aide pour émigrer en… Syrie ! J’essayais de communiquer en russe, mais lui exigeait de parler yiddish. Pour éviter tout malentendu, j’appelais sur mon GSM Anshl, mon illustre prof de mameloshn. Mis au courant de la situation, il se bornait à répéter au téléphone, d’une voix grave, quelque chose comme « convention » ou « considération ». Je désespérais alors d’arriver à m’entendre avec le jeune homme pour lui expliquer l’absurdité, pour lui, d’émigrer au pays des Omeyyades. Dans la suite de mon rêve, nous prenions un vieux tram dans une ville d’Europe orientale. Son frère aîné arrivait, avec sa barbe de quelques jours, casquette en toile sombre vissée sur la tête… Avec sa yidisher kop, il apportait une touche de couleur locale dans mon cinéma intérieur. Le rêve s’effilochait ensuite, pour me laisser un souvenir durable. Des semaines plus tard, je me trouvais, la nuit tombée, dans un vieux tram brinquebalant, le long du boulevard des Français, en route pour un restaurant situé dans la périphérie d’Odessa, ville d’Europe orientale, cette fois-ci sans qu’aucun jeune homme ne

La rue juive (en ukrainien)

me demande à l’aider à émigrer au Proche-Orient. J’avais décidé de goûter aux charmes possibles d’Odessa pour un cours d’été de russe. Le lecteur cartésien trouvera à réagir : du russe en Ukraine ? Un farvus nisht ? C’est le russe et pas l’ukrainien qui est parlé à Odessa. Un séjour dans l’immense Moscou ne me tentait qu’à moitié et les cours à Saint-Pétersbourg étaient chers et pas très bons, d’après mes références. Des amis m’ayant dit beaucoup de bien d’une école odessite assez connue, je me décidai alors assez facilement.

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Située en Ukraine mais pratiquant (au moins) une autre langue, ville d’empire comme l’étaient les Juifs à certaines époques, créée presque exnihilo sur l’emplacement d’un fort ottoman par décision d’une impératrice russe née allemande, ébauchée par un noble espagnol d’origine catalano-irlandaise né à Naples, conçue par un duc de Richelieu, ville métisse marquée par la présence juive, cité à l’esprit libre… Voilà une perspective qui n’était pas pour me déplaire. De plus, mes grandsparents étaient tous nés dans un rayon de quelques centaines de


La maison où vécut l’écrivain yiddish Sholem-Aleykhem

km au nord et à l’est d’Odessa et j’espérais y faire quelques recherches généalogiques. Mais en 2010, que reste-t-il de tout cela ? / Dites-le-moi !, me demandais-je, malgré tout, à l’approche du départ. La descente d’avion par 37°C me rassura presque. Une aérogare vieillotte et malcommode, petite chose tout à fait dépaysante après le confort aseptisé de l’Europe aéroportuaire occidentale et, désormais aussi, centrale ; bâtiment aux murs peints en jaune rendu plus éclatant encore par un soleil qui semblait s’amuser de

L’opéra

ses pauvres victimes humaines et canines (Odessa est aussi la ville des chiens errants, assez gentils au demeurant). Quelques doutes tout de même en voyant des façades lépreuses sur le chemin de

mon appartement, noyées dans une verdure envahissante, décidément méditerranéenne. Arrivée devant l’immeuble où j’allais loger : beau bâtiment de 1931 de style moderniste, peint en couleur brique, servant de toile de fond au monument au maire d’origine grecque Marazli. Et mon histoire d’amour avec Odessa pouvait commencer: Y a d’la joie… Ma première impression fut nocturne. Peu après mon arrivée je suis allé vers le centre, avec pour but de promenade le fameux Escalier géant ou Escalier Potemkine. J’ai vu une ville très animée, des monuments déjà restaurés dont l’opéra pâtissier à la viennoise, brillant sous le feu des projecteurs. Une variété insoupçonnée de styles architecturaux depuis le néo-classique le plus dépouillé au stalinien fleuri, en passant par l’éclectique (la Philharmonie, ancienne Bourse, est un exemple hallucinant de style florentinovénitien), l’art nouveau dans sa variante germanique, le modernisme des premières années soviétiques. De très nombreux bâtiments sont classées et de petits panneaux métalliques sur leurs façades donnent l’année de construction et le nom de l’architecte : Anatra (des aristocrates siciliens), des noms russes, grecs, et puis aussi des Ashkenazi, Shvarts, Naoum, Mendelevitch… Le lendemain, je tombai nez à nez sur la maison de… Sholem Aleykhem !, construite par l’architecte Petrokokinos, rejeton d’une grande famille grecque de l’île de Chios. Le centre ville représente un damier assez réduit de rues aux noms évocateurs: Rishelievskaïa (de Richelieu), Deribassovskaïa (José de Ribas, l’espagnol napolitain), Pouchkinskaïa (oui, vous l’avez deviné) ; mais aussi Gret-

cheskaïa (rue des Grecs, aussi indiquée à certains coins de rue comme « Odos Hellinon »), bulvar Pastera (boulevard Pasteur), le déjà nommé Frantsouskiy Boulvar (bd des Français) ; et puis, à cent mètres de chez moi, surprise : la rue des Juifs, Evreïskaya ulitsa1. Avant la fin de l’URSS c’était la rue Isaac Babel. Intéressant. Imaginez des artères pavées, où chaque trottoir, ombragé de platanes, de mimosas, de tilleuls, atteint les dix mètres de large. Les façades, fraîches ou décaties, presque toutes majestueuses de style et d’allure ; des terrasses de cafés ou restaurants (les bars à sushis y font fureur en ce moment). Des piétons en général peu pressés, même jusqu’à après minuit, souvent habillés comme pour aller à la plage toute proche… Pour superficielle qu’elle soit, cette impression reste gravée dans ma mémoire. Ces rues sont aussi le cadre des misères quotidiennes de ceux qui n’arrivent pas à joindre les deux bouts. Ces façades

Le Mémorial de l’Holocauste. Russe, ukrainien, hébreu et anglais...

restent impassibles aux gesticulations de ceux qui, au contraire, à l’autre bout de l’échelle garent leurs immenses 4x4 aux vitres fumées. Ces trottoirs font résonner les pas d’Odessites moyens qui, vaille que vaille, vaquent à leurs occupations. Ces vieux arbres aux longs troncs ont peut-être gravé dans leur bois les tragédies de l’occupation germano-roumaine qui fut, encore plus qu’ailleurs,

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La synagogue de Brody

une terrible hécatombe pour les habitants de la ville, et pour ses Juifs au premier chef.

Joindre les deux bouts...

Comme à Paris, le sous-sol est ici un gruyère de carrières dont on a extrait le calcaire pour la construction de la ville. Les innombrables galeries, souvent non répertoriées, empêchent la construction de hauts immeubles modernes. Une chance pour la préservation de l’exceptionnel patrimoine architectural. Certaines carrières aux portes de la campagne, vers le nord, furent l’état-major des partisans qui tinrent bon sous terre, pendant les longues années

d’occupation. Odessa la méditerranéenne, l’insouciante métropole commerciale, la ville à l’humour célèbre dans toute la Russie eut son lot d’épreuves et de tragédies. J’ai testé pour vous le restaurant Hébron, dans les caves voûtées de la synagogue. On s’est même adressé à moi en hébreu. Et à ce propos, un phénomène général : la langue officielle d’Israël est partout associée aux juifs. Le Mémorial de l’Holocauste est en hébreu. Le seul texte en yidish que j’ai trouvé était la plaque sur la maison de Sholem-Aleykhem. À l’occasion d’une recherche dans les archives j’ai pu « visiter » l’ancienne synagogue « libérale » de Brody (Brodskaïa sinagoga), occupée par les archives provinciales. C’est un beau bâtiment néo-gothique en piteux état, où les fonctionnaires travaillent et renseignent les chercheurs du mieux qu’ils peuvent dans des conditions déplorables. Qui veut lancer une campagne pour trou-

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ver un lieu digne pour les archivistes et restaurer le bâtiment ? La veille de mon départ, un vendredi soir, les étudiants de l’école avaient décidé d’organiser une soirée chez l’un d’eux. Quant à moi, j’avais enfilé une chemise brodée bulgare, ressemblant comme deux gouttes d’eau aux blouses traditionnelles ukrainiennes. Je marchais dans la rue quand un jeune blond me croisa, personnification inversée du jeune de mon rêve. Il me regarda avec un sourire de connivence et lança à mivoix : « Gloire à l’Ukraine orthodoxe ! ». Je ne pus m’empêcher de lui répondre qu’il s’agissait d’une chemise bulgare, déclaration qui, à la réflexion, aurait pu comporter quelque risque. Il n’en fut rien. À peine cinquante mètres plus loin, je vois un grand barbu, assez jeune aussi, coiffé de la yarmlke et dissimulant le tales sous son gilet. Il s’occupait de ses enfants, habillés à son image. Et là, j’y suis allé d’un a git shabes !, qu’il me rendit aussi poliment que sérieusement. Il a dû se demander, et

Yiddish et ukrainien sur la maison de Sholem-Aleykhem


se demande peut-être encore, qui pouvait bien être ce « nationaliste ukrainien » (moi, déguisé) qui lui souhaitait un bon shabbat en yidish. Quelles émotions me réservait donc Odessa pour le dernier soir de mon séjour ! Le restaurant Datcha, évoqué au début, situé sur le parcours du tram n° 5, fut l’une de mes plus belles découvertes. C’était, après mon rêve originel, une autre rêverie télescopée : la mise en scène du passé idéalisé d’un centre de loisirs soviétique, héritier à son tour d’un passé antérieur aristocratique d’avant la Révolution, la datcha (villa) ayant appartenu à la famille de l’entrepreneur (juif) N. S. Peretz. Le service n’y était pas toujours parfait, le vin blanc était servi chaud, mais je ne suis pas là pour faire la pub du restaurant. Voilà en tout cas un beau concept jouant avec la nostalgie. De vieilles photos encadrées étaient accrochées aux murs, qui montraient la même villa et les maisons voisines à la Belle époque,

La baignoire du Datcha

construites dans les styles les plus inattendus ; des magazines soviétiques en quadrichromie étaient posés ici et là. Mais le créateur de ce décor n’avait pas voulu simplement faire dans le rétro, il a placé le client dans un « ailleurs » inventé. On découvre une vieille baignoire pleine d’eau dans l’une des salles à manger, un lit en métal avec draps et oreiller dans le jardin, le tout accompagné de succès musicaux des années 30. Odessa est un peu à son image : un monde où rêve, regrets du passé et réalité se chevauchent. Odessa-Mama est dans un pays contemporain appelé l’Ukraine,

mais reste pour ses habitants l’ancienne quatrième ville de l’Empire après St-Pétersbourg, Moscou et… Varsovie, et qui jadis joua un rôle capital dans… l’indépendance de la Grèce ! Une ville ukrainienne russophone dont le maire s’appelle Edouard Gurvits, lequel ne cache pas que son fils vit à Haïfa. Une ville fondée par des étrangers et peuplée d’ethnies diverses. Une ville légendaire, comme Alexandrie, mais qui, à la différence de celle-là, a su renouer avec son cosmopolitisme. Une ville où les Juifs n’ont pas peur de se montrer. Je ne résiste pas à l’envie de reprendre cette phrase glanée sur le net : « On reconnaîtrait un Odessite à ce qu’il ne répond jamais à une question autrement que par une question ». Cela ne vous rappelle rien ? J’ai mes racines en Ukraine. Quel plaisir de pouvoir dire, làbas « Mes grands-parents sont de par ici ». J’ai pu m’identifier à cette ville, moi qui ai toujours des racines ailleurs, partout et nulle part. De même que l’existence juive est souvent faite d’espaces imaginés, de même que le shtetl est à la fois un village réel et une construction mentale, Odessa reste, belle surprise, une réalité fragile et errante, qui échappe aux étiquettes et aux frontières étanches, qui flotte comme les personnages de Chagall, mais qui enfonce ses racines au plus profond de notre histoire. ■ J’ai préféré donner la forme russe des toponymes, la seule couramment utilisée par les 0dessites, y compris sur le site officiel de la ville, par opposition aux noms officiels ukrainiens. PS. Ce texte a été écrit début septembre : a git yur un a git yontef ! 1

Shadkhn Mendelson et fils, agence matrimoniale. Les traditions ont la vie dure

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mémoires Les camps et le judéocide en BD dans la Belgique d’après-guerre ROLAND BAUMANN

L

a Bête est morte, album marquant de la Libération, conçu en France occupée, dans la clandestinité, par Calvo, V. Dancette et J. Zimmermann (1944), est la première bande dessinée francophone à évoquer les crimes nazis en Europe occupée. D’autres oeuvres graphiques, tombées dans l’oubli, montrent que dès l’après-guerre, la déportation, les camps de concentration et le judéocide sont représentés dans des publications illustrées destinées à la jeunesse. Eux et Nous (Liège, éd. Maréchal, 1945), récit d’Edmond Hoton, illustré par Bizuth (alias Hubert Olyff), montre la vie quotidienne de la rue bruxelloise sous l’Ordre nouveau : « leurs gueules » face à l’indocilité et la débrouille belges... On voit le marché noir, l’écoute clandestine de la BBC... aussi « L’étoile jaune » et la déportation : les Belges, qui, « en général » n’aiment pas les Juifs, « éprouvèrent une immense pitié pour ceux que Hitler poursuivit d’une haine implacable, monstrueuse et scientifique. [...] On en sauva le plus que l’on put ». Mise en valeur de la solidarité nationale envers les « Israélites belges » dans cette évocation truculente des années d’occupation, jusqu’à la Libération. Parmi les bandes dessinées patriotiques belges, Geneviève, de Dick John’s, alias Fred Func-

La déportation vue par Bizuth dans « Eux et nous »

ken, parue en 1947-1948 dans les hebdomadaires Jeep/Blondine et Bimbo, du Studio Guy Depière, puis éditée en album cartonné, montre l’horreur du monde concentrationnaire. Inspirée par le parcours de Funcken, déporté du travail obligatoire en Allemagne, et honorant le travail clandestin des réseaux d’évasion d’aviateurs alliés, cette BD met en scène « les captivantes aventures héroïques » d’une jeune fille de seize ans, qui sauve un aviateur blessé, fuit avec lui la Belgique occupée et devient auxiliaire féminine de l’armée britannique. Capturée par les allemands, elle est jetée dans un camp de concentration. Son courage et l’intervention de l’aviation alliée permettent à Geneviève et ses compagnons déportés de s’en échapper au terme

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d’un récit d’aventures tissé d’invraisemblances. Fred Funcken est également l’auteur d’une « Histoire de la guerre par l’image », simple vignette accompagnée d’un texte, de parution hebdomadaire en « exclusivité Bimbo » et parmi lesquelles figure une évocation du judéocide (Bimbo n° 119, 1947).

TARZAN ET LE JUDÉOCIDE Diffusé dans notre pays, l’illustré parisien Tarzan présente aux jeunes lecteurs belges les prouesses de son héros éponyme dessinées par Hal Foster et Burne Hogarth, de même que les aventures d’autres figures de l’imaginaire américain, tels Buffalo Bill et Red Ryder. En 1947, Tarzan publie aussi Sacrifices inconnus, bande dessinée résistantialiste, traduite de l’italien,


représentant la déportation et les camps de la mort. L’auteur, Vittorio Cossio, a dessiné sous Mussolini des séries d’inspiration fasciste dans Il Corriere dei Piccoli, glorifiant entre-autres l’intervention italienne dans la guerre d’Espagne. Fondateur des Éditions mondiales (1934), Cino del Duca, antifasciste exilé à Paris, avait révolutionné le marché des illustrés pour enfants. Il milite dans la Résistance, et en septembre 1946 lance Tarzan, qui, jusqu’au début des années cinquante, domine le marché français de la presse enfantine avec son tirage hebdomadaire de plus de 200.000 exemplaires. Suite au triomphe de Nous Deux (1947), Del Duca, devenu une des plus grandes fortunes de France et décoré de la légion d’honneur, concentrera ensuite ses efforts sur la presse féminine. Adaptation de Cuore Garibaldino (« Coeur garibaldien », texte de Luciana Peverelli, dessins de Vittorio Cossio), BD parue dès avril 1945 dans l’illustré L’intrepido que publient à Milan Alceo et Domenico del Duca, frères de Cino, Sacrifices inconnus emmène ses jeunes lecteurs au coeur

du système concentrationnaire, en Allemagne, de 1944 à la prise de Berlin. Série d’aventures romanesques sur fond de résistance et de déportation, caractérisée par le flou historique propre au roman populaire, cette BD centrée sur l’univers des camps, décrit l’extermination – un bourreau SS expose l’utilité de la chambre à gaz (Tarzan n°56) – et illustre la mise à mort. On voit l’arrivée à Auschwitz de déportées juives, en manteaux de fourrure, embijoutées et leur entrée aux « douches », essuie et savon à la main. Une vignette nous montre un groupe de SS observant par une lucarne le spectacle de l’asphyxie. On voit les fours ardents où sont transportés les corps (Tarzan n° 82 et 83, avril 1948). Précisons que cette BD parait dans Tarzan, en Noir et Blanc plus d’un an après sa publication originale en couleur dans L’Intrepido. La guerre terminée, les héros de Sacrifices inconnus , « Alain » et « Micheline » (Leardo et Milena), rentrés au pays, émigrent en Argentine. De nouvelles aventures les mènent ensuite de Chine en Méditerranée. Alain s’engage dans la légion étrangère

en Algérie (Tarzan n°201, 1950)... Sciuscià (Milan, éd. Tristano Torelli, 1949-1951), bande dessinée à la mode des films néo-réalistes et traduite en français (série hebdomadaire, éd. SAGE, Paris) illustre la barbarie nazie et les tragédies humaines de l’Italie en guerre à travers les aventures de trois enfants (Sciuscià , Fiammetta et Pantera). Jetés dans un camp de concentration près de Rome, ils y découvrent la réalité du génocide : les Allemands tuent les Juifs pour la seule raison qu’ils sont Juifs (n° 44, 1950) ! Comme dans Cuore Garibaldino, l’évocation du judéocide associe les Juifs aux symboles de la richesse, ici un sac de diamants que nos héros veulent restituer à la jeune Sarah Lévi, dont toute la famille a été prise par les nazis. Une « compassion » aux relents antisémites ?

HISTOIRE VRAIE En 1952, dans Le journal de Spirou, Jean-Michel Charlier et Jean Graton évoquent l’extermination des Juifs hongrois dans leur portrait de Raoul Wallenberg (« Le héros de Budapest » n°716 et « Seul contre la barbarie » n°717), une « belle histoire » de l’Oncle Paul, reprise en album (Cap plein Sud, 1953). Représentation singulière du judéocide dans cette série mémorable de récits historiques qui initiait les lecteurs de Spirou aux « grands moments » de l’Histoire mondiale. Alors que les BD célébrant les faits d’armes des alliés et de la Résistance dominent le champ éditorial des illustrés pour la jeunesse franco-belges dans l’immédiat après-guerre, ces rares illustrations graphiques du judéocide suggèrent à quel point la conscience des réalités du judéocide n’était pas à l’ordre du jour dans nos pays après 1945. ■

« Onbekende helden », la version néerlandaise de « Sacrifices inconnus » dans Tarzan

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réflechir Samson à Gaza JACQUES ARON

P

eu de mouvements nationaux des 19e et 20e siècles auront autant exploité les mythes religieux que le sionisme. La reconquête de la Terre Promise n’a cessé jusqu’à nos jours de se chercher une légitimité dans les Saintes Écritures. L’affirmation par la Déclaration Balfour des droits nationaux exclusifs des Juifs sur la Palestine s’appuyait sur ce fond religieux partagé par les lecteurs de la Torah et de l’Ancien Testament. Aussi n’est-il pas surprenant d’assister dès ce moment au retour romanesque de la figure héroïque de Samson, ce terroriste parmi les Juges à l’époque de « l’occupation progressive de Chanaan ». De nombreuses « nations » y habitaient alors, que Iahvé avait laissées s’installer en paix « uniquement pour instruire les générations d’Israël, afin de leur apprendre la guerre, à ceuxlà uniquement qui n’avaient pas connu auparavant ces guerres (Juges, 3,2) ». Dès sa naissance, Samson fut promis à une mission divine, « et c’est lui qui commencera à délivrer Israël des Philistins (Juges, 13,5) ». Dans sa lutte, Samson mit au point des armes nouvelles : il attacha des torches aux queues de trois cents renards (ou

chacals) et les lâcha dans les blés mûrs des Philistins (Palestiniens), qui embrasèrent à leur tour les vignes et les oliviers. * Le grand romancier viennois, Felix Salten (alias Siegmund Salzmann, 1869-1947), né à Budapest comme Herzl, et admirateur de ce dernier, publia son Samson, le destin d’un élu en 1928, après son voyage en Palestine. Prenant quelques libertés (Samson est trahi par la sœur de Dalila, qui au contraire lui reste fidèle et le suit dans sa prison et dans la mort), Salten exalta cependant le mythe du héros inspiré par Moïse pour délivrer son peuple de l’esclavage. Plus curieux assurément, parce qu’il émane de l’une des personnalités les plus marquantes du sionisme, est le récit révélateur, d’abord publié en russe et traduit en allemand l’année de la parution du roman de Salten, que signa Jabotinsky sous son nom de plume Altalena. Dans son recueil de nouvelles Juges et fous, Samson est ce tempérament volcanique qui nous fait « revivre l’histoire de cette première colonisation de la Palestine, comme si elle datait d’hier », ainsi que l’écrit un

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commentateur contemporain1 Et il ajoute : « S’agit-il d’hier ou d’aujourd’hui ? Seul un homme qui a un don de visionnaire et est capable de le traduire en paroles, dans sa pensée ou dans une pensée étrangère, seul le rêveur d’un nouvel Israël au pays de Canaan promis à nos ancêtres, un sioniste, pouvait écrire un tel roman qui transmet à nos fils l’héritage héroïque de Samson. » * Ainsi, à la fin des années 1920, le mythe actualisé de Samson revécut au point que le grand Lexique juif le décrivit comme suit : « Il mit sa force herculéenne au service de sa race et mena une espèce de guérilla contre les Philistins. » Les courants terroristes juifs de Palestine s’identifieront à lui. Quand, après la révolte arabe déclenchée en 1936, les Britanniques renoncèrent pratiquement dans leur Livre Blanc de mai 1939 à la notion de Foyer national juif qu’ils avaient introduite dans la Déclaration Balfour et à la Société des Nations, l’Irgoun intensifia ses coups de main contre les Arabes et la puissance mandataire. Martin Buber reprit alors son incessant combat pour une


Rembrandt, Samson menaçant son beau-père, 1635, détail, Musée de Berlin

autre politique à l’égard des populations autochtones. Son article, paru d’abord dans un journal local, fut repris dans la Revue juive mondiale sous le titre Pseudo-samsonisme. « Il semble qu’il y ait dans nos colonies des gaillards qui s’imaginent être des Samsons. Ils considèrent apparemment comme actions dignes de ce héros de poser des mines devant des véhicules dans lesquels se trouvent des personnes inconnues, innocentes et sans défense, d’attaquer des maisons dans lesquelles vivent des familles inconnues, innocentes et sans défense, etc. Ils disent aux enfants dans la rue, que l’heure a sonné d’accomplir les actions de Samson et que, s’ils veulent être pareils à lui, ils doivent se mettre à son école ; et ils trouvent naturellement assez

de gamins pour le croire. » Bien sûr, Buber considéraient que, parmi les Arabes, certains se seraient aussi considérés comme des Samsons, s’il avaient jamais entendu parler de ce héros. Et il reposait, pour la énième fois depuis son intervention au congrès sioniste de 1921 la question des relations judéo-arabes. « Nous avons su la plupart du temps distinguer entre les bandes armées et le peuple arabe ; mais il ne faut pas espérer qu’à la longue, les Arabes parviendront à distinguer nos terroristes du peuple juif, et comment s’entendre alors avec eux ? Il est évident que certains tiennent cette entente pour inutile, voire douteuse ; mais seuls des politiciens de l’illusion, des fabricants d’illusions, qui sont incapables de faire autre chose qu’enchaîner illusion

après illusion, peuvent s’imaginer que notre peuplement subsistera de tout temps sans un accord de paix et une communauté de travail avec les Arabes. » Les Samsons sont encore toujours parmi nous. ■

1 Menorah, 6ème année, cahier 5 (mai 1928), traduction : J. A.

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hommage Herbert Rolland. Liberté, fraternité, plaisir FRANÇOISE NICE

T

riste été, où nous ont quittés trois intellectuels progressistes et juifs, Rosine Lewin, Maxime Steinberg et Herbert Rolland. Trois personnalités qui entretenaient un rapport délibérément distancié avec leur judéité et qui ont été un temps membres du Parti communiste. Trois êtres impressionnants par leur engagement indéfectible pour un monde plus juste, une humanité avertie, plus fraternelle, désaliénée. Chez Herbert Rolland, cet engagement s’est exprimé à travers le théâtre. À chaque spectacle, qu’il s’agisse d’une oeuvre personnelle ou d’un accueil, Herbert était là, discret et souriant dans le foyer de l’Atelier-théâtre de la Vie, le théâtre qu’il avait créé en 1971 avec son épouse, la conteuse Nicole Dumez, le jour même de la naissance de leur cadette. Sans jamais poser au directeur, Herbert guidait les spectateurs vers la petite salle. Amical et professionnel, au service de l’art et du public. Cette conception de son métier sans doute sa discrétion sur sa vie privée. C’était aussi le signe d’une élégance intellectuelle. Né en 1930 à Magdebourg, il ne s’appelait pas Rolland, mais Rubinfajer. Sa mère Hildegarde Kamm est une ménagère allemande, son père Moïshe est juif, polonais et horloger. Fuyant le nazisme, la petite famille arrive en 38 à Bruxelles. Pendant l’Occupation allemande, Herbert sera un ado caché, privé d’école, pen-

dant deux ans. Moïshe, Hildegarde et Herbert sont les seuls survivants de la famille. Plus d’une fois, Moïshe a changé le patronyme : « Le nom de Rolland, il l’a choisi par admiration pour l’écrivain Romain Rolland » raconte Anik, sa petite-fille. En 49, Herbert et ses parents partent à New-York. Années de jeunesse, d’un premier mariage, des débuts au théâtre avec les jeunes compagnies. C’est une époque d’ébullition artistique, c’est aussi la guerre froide. La Commission Maccarthy traque les communistes au sein de l’État et d’Hollywood. Bertolt Brecht en est l’une des victimes. Herbert Rolland découvre son théâtre. A son retour en Europe, il décide d’aller faire un stage au Berliner Ensemble sous l’égide de la veuve de Brecht, Helene Weigel. Et rapidement, il devient directeur du Théâtre populaire de Rostock. « Faire du théâtre pour enfants, c’est comme faire du théâtre pour adultes, mais en mieux » Il s’établit définitivement en Belgique en 1961. Avec sa seconde épouse Nicole Dumez, il participe à la fondation d’un théâtre politique lié au Parti communiste, le Théâtre populaire bruxellois. L’aventure dure quelques années, des années d’un militantisme révolutionnaire « pur et dur », une période de sa vie assez mal connue. Après 68 et sa rupture avec le PC, Herbert Rolland décide de

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faire du théâtre pour enfants. Il fonde le Théâtre de la Vie, et crée ses spectacles. L’éditeur de théâtre Emile Lansman se souvient : « Je venais de prendre mes fonctions de tout jeune échevin de la culture de Carnières. J’avais envie de théâtre pour les enfants de ma commune mais il n’y avait aucune infrastructure appropriée. Après quelques recherches, je suis tombé sur un comédien-conteur qui proposait de venir présenter, à même les salles de classe légèrement aménagées, un spectacle basé sur un album : Tacho le petit mexicain. (...) Herbert Rolland a apporté au théâtre jeunes publics belges de l’ambition (notamment en travaillant avec de vrais professionnels du théâtre, de la musique, de la chanson), de la rigueur et de la fantaisie. Le voyage du train en est aussi un bel exemple ». Ce désir d’offrir au jeune public des spectacles soignés, ouverts à leur imaginaire, aboutira à la création du Centre dramatique pour jeunes publics de Bruxelles et à la Compagnie Pierre de lune.

LE COMPAGNON BRECHT Herbert Rolland revient ensuite au théâtre pour adultes. Avec Brecht bien sûr, mais aussi Molière, Shakespeare, Giraudoux etc. Il privilégie les textes qui dénoncent toutes les formes d’aliénation. À Saint-Josse à partir de 1988, la petite équipe d’Herbert Rolland transforme une ancienne usine en lieu de spectacle,


de formation, de rencontres-débats. Le tout sous l’enseigne de Brecht : « Tous les arts mènent au plus grand, l’art de vivre ». Brecht est un des fils rouges de sa programmation : En 96, il y invite le metteur en scène Benno Besson, qui a travaillé avec Brecht, à donner un stage pour jeunes comédiens. Un spectacle, La Bonne âme de Sé Tchouan en est un des résultats notoires. La jeune comédienne Isabelle Wery s’y révèle. La bonne âme de Sé Tchouan est une parabole sur l’impossibilité d’être véritablement bon dans un monde cruel et injuste. Avec ce spectacle, Herbert Rolland fait découvrir un théâtre plus ludique, moins didactique, et pourtant fidèle à l’esprit du « maître » : coulisses à découvert, changements de décors à vue... jamais le spectateur n’est piégé par l’illusion de la fable et de la représentation, il assiste en toute conscience aux manipulations, aux jeux de masque. L’« effet de distanciation » et la Commedia dell’arte convergent en une (ré)découverte rafraîchissante d’un Brecht souvent présenté de manière cérébrale, alors que Brecht était aussi ironique, provocateur et poète. Ce parti pris de simplicité s’illustre aussi dans les Dialogues d’exilés, un spectacle qui tiendra l’affiche pendant plusieurs saisons, avec les comédiens René Hainaux et Christian Crahay. Au hasard d’un bistrot de gare, un intellectuel et un ouvrier exilés échangent prudemment, puis avec plus d’audace, leurs vues sur l‘Allemagne nazie et l’Europe en guerre. Le décor est réduit à l’essentiel, toute l’attention se concentre sur le jeu et le texte. Entre deux chopes et trois sarcasmes, ce qui s’affirme peu à peu, c’est la résistance de l’esprit et l’esprit de résistance. Un pur exercice brechtien, vif et jubilatoire, même

dans la gravité. Pour Herbert Rolland, Brecht reste un auteur à découvrir. Les principes de la dialectique permettent, « sinon de trouver les solutions, du moins de poser toutes les questions » explique-t-il au journaliste Laurent Ancion. Il crée deux spectacles inspirés par Brecht, La rêverie des 7 éléphants et Tout est mouvement, deux spectacles où il est aussi comédien. À côté de son travail personnel, Herbert Rolland a aussi proposé quantité de découvertes, tel l’étonnant chanteur-comédien et metteur en scène Nino Sandow venu du Berliner Ensemble ou les créations dites « jeunes publics » de Marcel Cremer (Agora Theater de Saint-Vith). C’est alors qu’il rencontre sa dernière compagne, la comédienne berlinoise Claudia Gäbler qu’il associe ensuite à la direction du théâtre. Généreux, chaleureux, fidèle en amitié, il a aussi soutenu des artistes débutants, et créé un festival annuel de la jeune création. Fait de son théâtre un espace de citoyenneté, lors de rencontresdébats avec des « Témoins de notre temps » tels Bernard Werber ou Colette Braeckman.

JUIF ? Ayant survécu à l’extermination nazie, Herbert Rolland refusait d’être perçu en victime. Sa conviction que le monde est transformable, que « l’espoir réside dans les contradictions », son combat contre tout ce qui asservit l’être humain dérivent à coup sûr de l’expérience de l’enfant traqué et caché et des belles années de formation de l’après guerre. Il s’est délibérément placé du côté de la lumière, celle du monde du spectacle pour professer un immense amour pour la vie et sa dynamique infinie. Jusqu’au bout, il a affirmé avec clarté ses choix, com-

me celui d’être enterré près de ses parents, dans le paisible petit cimetière juif de Dilbeek. Il s’en explique dans son dernier message : « Il est vrai que je ne me sens juif que de façon très lointaine et comme j’ai horreur des fanatismes religieux, nationaux, ou autres, je ne vois pas d’autre qualification pour mon statut que celui de « citoyen du monde » (...) De plus si j’évite attentivement à être qualifié de « Juif » c’est parce qu’une tendance politique importante dans le cercle dirigeant israélien veut – à tout prix – affirmer que tout Juif est d’office citoyen d’Israël. Ce que je réfute catégoriquement. Encore davantage depuis que la violence israélienne à l’endroit d’autres peuples s’est accentuée. J’ai horreur de cette violence, d’autant plus qu’elle provient de l’État d’Israël où les peuples palestiniens étaient installés depuis des siècles. Je considère, sans remettre en question le droit d’existence d’Israël, qu’il s’agit actuellement d’un État puissamment soutenu par les puissances financières principales du monde occidental ». Et de terminer son message testamentaire en proposant à ses amis de lire Michel Onfray et Wilhelm Reich. ■

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Yiddish ? Yiddish ! PAR WILLY ESTERSOHN

ekUl=l=b-Mut tum-balalayke Tum Balalayka Voici un autre grand classique du répertoire yiddish. Cette chanson anonyme du folklore ashkénaze (dont la mélodie serait d’inspiration tsigane) a été publiée en premier lieu aux Etats-Unis en 1940. Vous ne trouverez ici que les trois couplets les plus connus. Un grand nombre d’interprètes prononcent « balalayka », mais l’instrument de musique en question se dit « balalayke » en yiddish.

Niirfer refreyn ekUl=l=b-Mut =l=b-Mut ,=l=b-Mut tum-balalayke

tum-bala

tum-bala...

ekUl=l=b-Mut =l=b-Mut ,=l=b-Mut tum-balalayke

tum-bala

tum-bala...

,ekUl=l=b lipw ,ekUl=l=b-Mut balalayke

shpil

tum-balalayke

! NUz l]z Celiirf ,ekUl=l=b lipw zayn zol

freylekh

balalayke

shpil

1

,tc=rt re Nuj ruxb = tiitw trakht

er

un bokher a shteyt

: tc=n eqn=g = tc=rt Nuj tc=rt

3

nakht gantse a

? Ngerf utsfr=d s]uu ,ruxb rewir=n _ fregn

darfstu

vos

bokher narisher

; Nger N] Nsk=uu ,Nsk=uu Nek Niitw = regn on vaksn

vaksn ken shteyn a

,Nrehfiuj twin Nuj Nenerb Nek ebil oyfhern

nisht un

brenen ken

libe

.Nrert N] Neniiuu ,Nekneb Nek Jr=h = trern

on veynen

benken ken

harts a

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un

trakht

,Nemewr=f twin Nuj Nemen uq Nemeuu farshemen

nisht

un nemen tsu vemen

.Nemewr=f twin Nuj Nemen uq Nemeuu farshemen

nisht un nemen tsu vemen

2 : Ngerf rid Ub liuu’c ,ldiim ,ldiim _ fregn

dir bay kh’vil

meydl

meydl

? Nger N] Nsk=uu ,Nsk=uu Nek s]vv regn on vaksn

vaksn

ken vos

? Nrehfiuj twin Nuj Nenerb Nek s]vv oyfhern

nisht un

brenen

ken vos

? Nrert N] Neniiu ,Nekneb Nek s]vv trern on veynen

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benken ken vos


! widYi ? widYi TRADUCTION Refrain : Toum-bala, toum-bala, toum-balalayka, / Toum-bala, toum-bala, toum-balalayka, / Toum-balalayka, joue, balalayka, / Joue, balalayka, que la joie règne ! (que joyeux soit) Un garçon est là (se tient debout) et (il) réfléchit, / Réfléchit et réfléchit toute la nuit : / Qui choisir (prendre) sans lui faire honte ? / Qui choisir sans lui faire honte ? - Jeune fille, jeune fille, je veux te (auprès de toi) demander : / Qu’est-ce qui peut croître, croître sans pluie ? / Qu’est-ce qui peut brûler (et ne pas cesser) sans cesse ? / Qu’est-ce qui peut se languir, pleurer sans larmes ? - Stupide garçon, qu’as-tu à demander (que dois-tu demander) ? / Une pierre peut croître, croître sans pluie / L’amour peut brûler sans cesse, / Un coeur peut se languir, pleurer sans larmes.

Publié dans Mir trogn a gezang, The new book of yiddish songs, New York

REMARQUES ruxb bokher (hébr.) = garçon, jeune homme, célibataire. Nemeuu vemen : accusatif ou datif de reuu ver = qui. liuu’c kh’vil = liuu Cij ikh vil = je veux. wir=n narish : adj. de r=n nar = idiot. utsfr=d darfstu = dois-tu, contraction de ut tsfr=d darfst tu, forme inversée de tsfr=d ud du darfst = tu dois.

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ANNE GIELCZYK

Plan B

J

e m’inquiète les amis, on ne parle plus que de ça. C’est dans tous les journaux, sur toutes les radios, sur tous les forums, dans tous les éditoriaux, les interviews, les cartes blanches, les « Zevende dag » et autres « Face à l’info ». Maintenant ça se dit tout haut. C’est très inquiétant ça, quand on commence à dire tout haut ce que tout le monde pensait tout bas. Vous êtes bien d’accord avec moi ? Oui, vous trouvez que « De Gucht a montré son vrai visage, qu’il est comme tous les Flamands, comme tous les goys en fait, un jour ou l’autre ils se lâchent et ça finit par sortir : que Les Juifs ceci et Les Juifs cela ». Mais non les amis, ce n’est pas du tout de ça que je vous parle, ça c’est un non évènement, on savait tout ça depuis longtemps, il n’y a que le CCOJB pour en faire un plat. D’ailleurs De Gucht n’a pas tort, les Juifs pensent toujours qu’ils ont raison. C’est très énervant ça. Je suppose que vous connaissez la blague juive ? Allez, une fois n’est pas coutume je vous la raconte, quelle est la différence entre Dieu et une Juive ashkénaze ? Eh bien, Dieu sait tout et la Juive ashkénaze sait tout... mieux. Tenez, moi, par exemple, ceux qui me connaissent le confirmeront, j’ai toujours mon petit avis sur

tout et mes amis juifs aussi d’ailleurs et évidemment on n’a pas le même, alors on s’engueule beaucoup. C’est une chose qu’il ne peut pas comprendre De Gucht, c’est normal, il n’est pas juif. J’en profite d’ailleurs pour donner mon avis sur la question. Franchement, si le moindre petit dérapage devient de l’Antisémitisme avec un grand A et donne à chaque fois lieu à de tels débordements d’indignation, on finira comme la chèvre de Monsieur Seguin les amis, quand le loup viendra vraiment, plus personne ne nous écoutera. Nonnon moi ce dont je vous parle est infiniment plus grave. Je veux parler du plan B. Mais non, pas BHV, B. BHV, ça fait belle lurette que c’est réglé cette affaire-là. Enfin, que c’était réglé, parce que paraît que maintenant faudra tout recommencer à zéro.

R

écapitulons, depuis les élections du 13 juin nous avons eu un informateur (sans cravate), un préformateur (avec noeud papillon) et deux médiateurs (avec cravates), surnommés dans la presse flamande « het olijke duo » (le duo comique). Ne me demandez pas ce qu’ils ont de comique, jusqu’à ce jour nous n’avons même pas entendu le son de leur voix. Je trouvais le duo Bart de

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Wever - Elio Di Rupo bien plus comique, même si on n’en sait pas grand-chose de ce préaccord dont tout le monde (sauf la NVA) dit qu’il va/allait vraiment très loin. C’est sûr que pour quelqu’un qui disait il n’y a pas si longtemps encore « nous ne sommes demandeurs de rien », il a fait du chemin notre préformateur. Non seulement il a dit okay on « splits » BHV, mais en plus il est d’accord pour une grande réforme de l’État avec transfert de toutes sortes de matières sociales et économiques vers les régions. Et tout ce qu’il demandait en contrepartie Di Rupo c’est un peu d’argent, 500 millions pour Bruxelles. Quoi ? a dit De Wever, de l’argent ? comme ça, sans garantie, sans responsabilisation, sans réforme de la loi de financement, sans plan ? Een blanco chèque ??? Geen sprake van ! Il n’en est pas question. Et il est parti manger avec Reynders chez Bruneau. Mais de quoi je me mêle, ont rétorqué les francophones, Bruxelles c’est à nous, c’est nous qu’on décide ce qu’on fait avec nos sous. Et Di Rupo, lui si courageux, si tenace, et courtois avec ça, lui, qui avait commencé toutes ses conférences de presse longuement en néerlandais, et Dieu sait si ça lui coûte un effort les accents toniques de la langue néerlandaise, lui qui a déjà les oreilles qui sifflent


maximum de matières euxmêmes. Sans perdre Bruxelles.

E

Nos médiateurs, duo comique ou dernière étape avant la fin de la Belgique ?

depuis que les airbags de sa voiture ont explosé. Tout ce bel effort anéanti d’un revers de la main. Laurette s’en étranglait d’indignation : quelle humiliation ! Un peu de respect ! D’ailleurs faut pas croire, on a un plan. Un plan B.

E

t voilà comment on a dit tout haut ce que tout le monde pensait tout bas : la fin de la Belgique est-elle inéluctable ? Bart De Wever a beau ironiser sur le fait que ce sont les francophones maintenant qui préparent la fin de la Belgique, dans les milieux économiques de Flandre ça calcule ferme. « Vives » (Vlaams Instituut voor Economie en Samenleving), rattaché à la KU Leuven mais non financé par elle, dont toutes les recherches (« scientifiques ») se concluent de la même façon, à savoir que la solution aux problèmes économiques de la Belgique passent par une plus grande autonomie des régions voire la scission du pays, a calculé1 le coût du divorce belge en termes de partage de la dette publique. Eh oui ! cette fameuse dette publique qu’on n’arrête pas de rembourser ! Elle avait diminué grâce aux efforts soutenus de toute une génération de salariés et fonctionnaires, mais depuis la crise et le sauvetage des banques, on en est de nouveau à 100% du PIB, c-a-d environ 350 milliards

dont la Flandre dans tous les cas de figure (que ce soit en pourcentage de la population, des personnes au travail, des revenus, du PIB) devrait reprendre environ 60% à sa charge. En cas d’indépendance, la dette représenterait 110% du PIB flamand et donc des années d’économies. On comprend donc que Bart De Wever ne soit pas trop trop pressé, plus d’autonomie certes mais pas de partage immédiat, notre homme n’arrête pas de le répéter, il est légaliste et non putschiste, ik geloof in evolutie, niet in revolutie 2. De Tijd, le journal économique en Flandre a calculé le coût d’une Flandre indépendante sans Bruxelles avec une « petite Belgique » résiduelle, Bruxelles restant rattachée si j’ose dire à la Wallonie. Conclusion : c’est viable car la Flandre dispose de pas mal d’atouts, dont deux grands ports maritimes et « un aéroport international » (hé oui !) mais ça coûte cher, très cher. « La Belgique, ce sont des jumeaux siamois qu’il est impossible de séparer sans de grands dommages3 (...) mieux vaut s’en tenir au plan A », conclut l’éditorialiste. Donc si vous voulez mon avis, les Flamands ne veulent pas la scission, du moins pas tout de suite, ils veulent une bonne grosse réforme de l’État qui leur permettrait de gérer un

t pendant ce temps les amis, qu’en estil de la « grande » Belgique ? Eh bien elle continue, vaille que vaille avec son gouvernement des affaires courantes. On a failli l’oublier mais on a toujours Yves Leterme comme premier ministre ! Lui non plus n’est pas pressé. C’est sans nul doute la première et la dernière fois qu’il sera premier ministre. Et ma foi, ça n’est pas déplaisant. Il gère les affaires courantes de la Belgique, préside l’Europe, assiste à des matchs de foot en tant que VIP, se balade ici et là, drague par SMS, s’occupe de notre dette, donne des interviews. À la BBC World entre autres. À la question du journaliste4 « Monsieur le premier ministre, si je puis me permettre (..) vous avez parlé des francophones qui n’ont pas la capacité intellectuelle d’apprendre le néerlandais, n’estce pas un manque de respect ? » il remet ça « it is or the fact that they don’t want to speak French (sic), or the fact that they don’t can...euh can’t (re-sic) ». Décidément c’est clair, lui en tous les cas don’t can.. euh can’t, ou comme ils disent en Flandre, hij kan het niet . Et Bart de Wever, (yes) he can ? ■ Dirk Heremans et Annelore Van Hecke : Schuldresponsabilisering, schuldautonomie en regionalisering van de staatsschuld in de staatshervorming, Vives, Beleidspapers n°12. 2 Interview de Bart De Wever, « Zakgeldfederalisme werkt niet », De Tijd, 4 septembre 2010. 3 Bart Haeck : « Het einde van het land », De Tijd, 11 septembre 2010. 4 Stephen Sackur dans l’émission Hard Talk du 7 septembre http://news.bbc.co.uk/2/ hi/programmes/hardtalk/8976460.stm 1

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LE

DE LÉON LIEBMANN

La Belgique au milieu du gué et au bord du gouffre

E

n ce 9 septembre, premier jour de l’année 5771 du calendrier juif, près de 3 mois après les élections du 13 juin dernier, nos dirigeants politiques n’ont toujours pas réussi à faire décoller les négociations devant mener à une réforme profonde et équilibrée de nos institutions fédérales et fédérées. Ils n’ont pas davantage abouti à une solution de compromis sur le problème de la scission de BHV qui soit acceptable pour les partis francophones. Pas d’accord non plus sur la teneur d’une déclaration gouvernementale et la confection du budget fédéral, pour ne citer que les problèmes les plus brûlants et les plus urgents à traiter. En partie, cette carence complète s’explique par l’application de l’adage typiquement belge : « sans accord sur tout, il n’y a d’accord sur rien ». Nous ne disposons d’aucun élément permettant de prévoir à coup sûr quelle sera la situation quand vous lirez ces lignes. Aussi, dans la présente chronique, je me bornerai à mettre en évidence quelques points saillants de l’actualité récente et qui me paraissent de nature à influencer l’évolution de la situation politique. Premier élément nouveau et important : pour la première fois dans l’histoire de la Flandre,

c’est un parti ultra-nationaliste et ouvertement séparatiste qui a remporté la première place aux élections du Parlement fédéral. Face à cette nouvelle donne, les autres partis flamands n’ont pas eu un réflexe de défense et de rejet. Loin d’essayer de s’entendre entre eux sur l’adoption d’un programme institutionnel et gouvernemental, ils ont tous proclamé que c’était à la N-VA à prendre ses responsabilités, c’est-à-dire, plus concrètement, à négocier avec le seul PS, également premier parti du côté francophone. Elio Di Rupo s’est implicitement rangé derrière ce point de vue et a veillé, quand il était préinformateur, à chercher d’abord un terrain d’entente avec Bart De Wever et son parti. Il s’est rendu compte que c’était se condamner à finir dans une impasse, les autres partis susceptibles de devenir des partenaires ne pouvant être traités comme de simples comparses.

D

u côté flamand, il faut mentionner un autre fait important : la dislocation du bloc des partis flamands face au front francophone, le SP.A et Groen ! prenant enfin leurs distances d’avec un certain nombre d’exigences de la NVA, dont ces partis reconnaissent qu’elles sont inacceptables pour

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les francophones. Troisième phénomène marquant : la dislocation de facto du bloc des partis francophones, le MR étant laissé de côté par les autres partis. Ces innovations ne sont certes pas irréversibles et elles ne peuvent à elles seules orienter l’avenir politique de la Belgique. Elles n’en sont pas moins révélatrices d’un revirement inattendu et susceptible de faire aboutir des pourparlers qui oscillent quotidiennement de la pose à la pause. La double décision du Roi de décharger Di Rupo de son mandat et de le remplacer par deux médiateurs faisant partie l’un de la N-VA (le président du Sénat Danny Pieters) et l’autre du PS (le président de la Chambre des Représentants André Flahaut), va dans le sens d’une réconciliation, entre les deux plus grands partis sans pour autant écarter des débats les autres formations politiques. Nous verrons dans les prochaines semaines si les efforts entrepris dans ce sens auront pu aboutir ou si, selon la formulation chère à Elio Di Rupo, le pays va vers le chaos. Nous saurons également si les responsables politiques belges pourront enfin franchir le gué qui est encore ouvert devant eux ou s’ils tomberont dans le gouffre qui nous menace tous. ■


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activités vendredi 15 octobre à 20h15 Politiques de santé internationales ou commerce ? Conférence-débat avec

Jean-Pierre Unger,

professeur de santé publique à l’Institut de Médecine tropicale d’Anvers

Introduction par Marie-Jeanne Wuidar, médecin Plus de 60 millions de personnes meurent prématurément chaque année dans le tiers-monde. Il en meurt plus de dix millions de maladies transmissibles. L’essentiel de ces décès pourraient être évités par un meilleur accès aux soins de santé. Est-ce la faute à la pauvreté que si peu de gens puissent voir un médecin ou être hospitalisés quand ils en ont besoin ? Bien plus que les atteintes à l’écosystème, ou que la malnutrition, le manque d’accès aux soins, leur qualité déficiente, et au-delà, les politiques de santé à finalité commerciale, sont responsables d’une mortalité inégalée – dont personne ne parle. PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO

dimanche 17 octobre à 11h Désireux de continuer à organiser des soirées où jeunes et moins jeunes se retrouvent autour d’activités ludiques et conviviales, nous vous convions à une

Après-midi jeux de société

au « lokshn tripot ‘ » de la rue de la Victoire Dès 11h, Méga Buffet-Brunch P.A.F. : 5 EURO + une viennoiserie par personne (couque, pistolet, croissant, pletzelech, bagel, ...) Rejoignez-nous avec votre plaisir de jouer... votre envie de gagner... ou votre rââââge de vaincre. Nous fournissons cartes, scrabble, boggle, pictionary, jeux d’échec et de dame, 1000 bornes, etc... Vous pouvez aussi amener un jeu que vous avez envie de nous faire partager. Rendez-vous au local, ce dimanche 17octobre, dès 11h, loin des ordis et de leurs réseaux sociaux, de Drucker et de son « vivement dimanche » ou du grand prix de formule 1... Réservation indispensable pour le brunch au 02.537.82.45 – avant le mercredi 13 octobre PS : notez et bloquez dès à présent la date de notre prochain GRAND BAL YIDDISH le SAMEDI 29 JANVIER 2011 et entraînez-vous en musclant vos mollets dès lecture de cette annonce

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vendredi 22 octobre à 20h15 Identités multiples des Juifs marocains avant et après la création de l’État d’Israël Conférence-débat avec

Paul Dahan,

psychanalyste et fondateur du Centre de la culture judéo-marocaine à Bruxelles Paul Dahan est né à Fès, au Maroc et y a vécu pendant 20 ans. Il part ensuite, pendant 25 ans, à la découverte d’autres pays, d’autres cultures. Il rassemble livres, manuscrits, photos, cartes postales, objets quotidiens et de culte pour constituer enfin ce Centre de la culture judéo-marocaine, qu’il aime présenter comme « Un lieu d’échanges ouvert à tous » En tant que psychanalyste, sa recherche essentielle porte sur cette question : « comment une personne peut-elle trouver l’équilibre, malgré l’accumulation d’identités ? » Les Juifs du Maroc ont toujours vécu en bonne cohabitation avec les musulmans. Ces deux cultures ont beaucoup appris l’une de l’autre. Paul Dahan y voit le symbole parfait de la rencontre, de l’échange et de l’apport mutuel entre cultures. PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO

vendredi 29 octobre à 20h15 Bruxelles est-elle l’avenir de la Belgique ? Conférence-débat avec

Eric Corijn,

professeur à la VUB, directeur du centre de recherche transdisciplinaire sur la ville COSMOPOLIS Dans un monde globalisé, plus de la moitié de la population mondiale vit d’ores et déjà dans des villes. La ville, la cité est donc le lieu par excellence où se pense, se vit et s’organise la citoyenneté. Bruxelles, capitale de la Belgique et de l’Europe, est une petite métropole de format mondial. Une ville où il fait bon vivre pour ceux qui aiment la culture urbaine, la diversité et le vivre-ensemble et qui en ont les moyens financiers et culturels. Comme dans beaucoup de métropoles, les disparités y sont grandes et les problèmes sociaux gigantesques. Des problèmes auxquels Bruxelles ne peut faire face faute de moyens financiers et de structures politiques et institutionnelles adaptées à sa spécificité de grande ville multiculturelle. Et c’est surtout là que le bât blesse : les institutions qui gouvernent Bruxelles, issues de l’État fédéral Belge, ne sont pas adaptées à une bonne gouvernance urbaine. Quelle analyse urbaine peut-on faire et quelles conclusions en tirer dans le cadre des débats actuels ? Comment réinventer Bruxelles, comment réinventer la Belgique ? Voilà les sujets dont nous débattrons avec Eric Corijn. PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO

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activités vendredi 19 novembre à 20h - Hôtel de Ville de Bruxelles* Dans le cadre de la « Quinzaine des femmes » organisée par la Ville de Bruxelles

La lutte des féministes israéliennes pour la justice et la paix Elles manifestent contre l’occupation des territoires palestiniens, elles interviennent aux check-points pour faire respecter les droits humains des Palestiniens et luttent contre la militarisation de la société israélienne.

20h : Verre de l’amitié 20h30 : Conférence de Talila Kosh, Professeur au Kibbutzim College of Education de Tel-Aviv et militante féministe de l’organisation pacifiste New Profile Introduction par Thérèse Liebmann * Grand-Place. L’entrée se fait par la rue de l’Amigo à l’arrière de l’Hôtel de Ville. La salle de conférence sera fléchée. PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO

Rue de la Victoire – Chorale de l’UPJB « Rue de la Victoire » est notre nom. Parce que notre chorale aborde un répertoire de chansons de résistance, de lutte, de liberté. Des chansons engagées d’ici et d’ailleurs. Un répertoire lié à l’histoire de la maison de l’Union des Progressistes Juifs de Belgique, sise Rue de la Victoire. Transgénérationnelle, la chorale qui entame sa 3e année, ouvre ses portes à de nouveaux chanteurs amateurs. Ils ou elles, sopranos, altos, ténors, ou basses jeunes ou moins jeunes. La lecture de la musique n’est pas nécessaire mais la justesse est requise. Les répétitions ont lieu le mercredi de 19hà 21h au 61 de la Rue de la Victoire à Saint-Gilles (métro Hôtel des Monnaies). Si cela vous tente, manifestez-vous auprès de Mouchette Liebman. michele.liebman@skynet.be, Tél : 02.241.63.37 ou 0486.03.02.68

Jérôme Beghin (1971-2010) Jérôme est décédé le 24 août dernier. Photographe, il avait été actif au sein de la commission ISPAL (Israël-Palestine) de l’UPJB à la fin des années ‘90 et au début des années 2000. L’UPJB salue sa mémoire et présente ses condoléances aux siens : à sa mère Liliane Wald, son père Jacques Beghin, sa soeur Esther, son frère Nathan et aux familles Beghin et Wald.

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samedi 20 novembre de 14h à 18h30 – Salle Helder Camara* L’UPJB vous convie à une demi-journée de réflexion sur le thème

« Israël en proie au démon de la chasse aux sorcières » On assiste depuis plusieurs mois à ce qu’il n’est pas excessif de qualifier de chasse aux sorcières contre les organisations de défense des droits de l’homme engagées contre l’occupation et la colonisation des territoires palestiniens. La campagne a été initiée par le mouvement Im Tirtzu (Si vous le voulez), un groupuscule d’étudiants d’extrême droite, ainsi que par un certain nombre de parlementaires qui accusent des ONG israéliennes d’avoir collaboré avec le juge Goldstone en fournissant à celui-ci « 92% des références négatives » contenues dans son rapport. On ne les accuse pas d’avoir fourni de fausses informations, mais « tout simplement » de mettre en cause l’existence d’Israël et de représenter un « danger pour la nation » en délégitimant Israël à l’étranger. (voir annonce complète page 7) Panel provisoire : Talila Kosh : membre du mouvement New Profile, Mouvement pour la civil-isation de la société israélienne et de soutien aux Refuzniks Ishai Menuchin : Directeur exécutif du Comité public contre la torture en Israël, conférencier au département social et politique de l’université Ben Gourion du Neguev. Il fut l’un des premiers refuzniks lors de la première guerre du Liban en 1982 Miri Weingarten : membre de l’organisation Médecins pour les droits humains Modérateur : Pascal Fenaux, journaliste PAF: 2 EURO – Traduction simultanée assurée *19 rue Pletincx – 1000 Bruxelles / Avec le soutien de la Fondation Heinrich Böll et du MOC

vendredi 26 novembre à 20h15 Conférence-débat

précédée par la projection du film Les

enfants sans ombre

avec

Siegi Hirsch, Robert Fuks, Bernard Balteau,

psychothérapeute familial et de couples

professeur honoraire de chimie (ULB)

journaliste à la RTBF, réalisateur du film Les enfants sans ombre Ce film sensible, met en lumière la difficulté de transmission transgénérationnelle d’un traumatisme vécu dans l’enfance, pendant la guerre. Siegi Hirsch nous fera part de son expérience dans ce domaine. Robert Fuks est un témoin de la genèse de ce film. Bernard Balteau a écrit et réalisé ce film. La projection se terminera à 21h15 et la salle sera à nouveau accessible à ce moment-là.

PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO

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UPJB Jeunes Souvenirs d’été, paroles de monos NOÉMIE SCHONKER

D

evenir moniteurs l’UPJB c’est1

à

S’inscrire dans une continuité, dans l’histoire de la « maison », appartenir à une « famille », à une histoire et y contribuer...

Totémisation, été 2010

Anciens monos en réunion, été 2010

Continuer d’apprendre, grandir, transmettre, nourrir notre/leur sens critique... Agir sur la société en tant qu’éducateur, en étant actif/engagé au sein d’une organisation « militante »... Donner, transmettre ce que l’on a nous-même reçu en tant qu’enfant : s’amuser mais aussi... apprendre plein de choses sur le monde, sur soi, sur les autres... ; apprendre à respecter l’autre, quel qu’il soit, le vivre au quotidien ; apprendre à grandir, à réfléchir à son propre comportement, à mettre en cause sa façon d’agir ; acquérir une conscience politique, développer un regard critique sur le monde actuel, ex-

« Un p(tit coin d’paradis, Bulgnéville, été 2010 »

primer sa colère face à ses injustices ; agir en groupe, vivre l’engagement, se « nourrir » autrement ; apprendre l’Histoire, l’histoire de la maison, « notre histoire » ; apprendre à vivre ensemble, expérimenter la vie de groupe, construire des liens forts, de qualité, entre enfants de tout âge, sans hiérarchie due à l’âge... Et parfois vivre de grands amours... ■

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Entre nous, été 2010


Carte de visite

L’UPJB Jeunes est le mouvement de jeunesse de l’Union des progressistes juifs de Belgique. Elle organise des activités pour tous les enfants de 6 à 15 ans dans une perspective juive laïque, de gauche et diasporiste. Attachée aux valeurs de l’organisation mère, l’UPJB jeunes veille à transmettre les valeurs de solidarité, d’ouverture à l’autre, de justice sociale et de liberté, d’engagement politique et de responsabilité individuelle et collective. Chaque samedi, l’UPJB Jeunes accueille vos enfants au 61 rue de la Victoire, 1060 Bruxelles (Saint-Gilles) de 14h30 à 18h. En fonction de leur âge, ils sont répartis entre cinq groupes différents.

Bienvenus pour les enfants de 6 ans ou qui entrent en

Les 1ère primaire Moniteurs :

Alice : 0477/68.77.89

Axel : 0471/65.12.90 Josepha : 0479/19.15.15 Charline : 0474/30.27.3 Les pour les enfants de 7 à 8 ans Moniteurs : Shana : 0476/74.42.64 Sacha : 0477/83.96.89 Lucie : 0487/15.71.07 Milena : 0478/11.07.61 Les pour les enfants de 9 à 10 ans Moniteurs : Mona : 0474/42.37.72 Manjit : 0485/04.00.58 Fanny : 0474/63.76.73 Clara : 0479/60.50.27 Les pour les enfants de 11 à12 ans Moniteurs : Lenny : 0474/94.88.15 Valentine : 0494/59.43.09 Sarah : 0471/71.97.16 Totti : 0474/64.32.74 Les pour les enfants de 13 à 14 ans Moniteurs : Yvan : 0474/35.96.77 Marie : 0472/67.11.09 Noé : 0471/69.36.10 Maroussia : 0496/38.12.03

Marek

Radio-crochet du dernier jour, été 2010

Janus Korczak

Émile Zola

Mala, futurs monos, « tous des sans papiers », été 2010

Yvonne Jospa

Bugnéville, été 2010 Extrait des discussions avec les futurs exMala, nouveaux monos.

1

Informations et inscriptions : Noémie Schonker - noschon@yahoo.fr - 0485/37.85.24

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écouter C’est du belge NOÉ

É

tudes obligent, j’ai passé le mois d’août à Bruxelles. Pour la deuxième année consécutive, c’est la radio qui m’a nourri musicalement. Je me suis pris au jeu de « La discothèque de La Première » : émission durant laquelle l’auditeur, muni d’un téléphone portable ou d’une connexion internet, participe à la programmation. La pertinence des titres passés varie selon le présentateur qui trie les demandes. Au finale, une bonne dizaine des chansons que j’ai proposées, sous différents pseudonymes, ont été retenues. Au milieu d’une majorité de chanteurs anglophones, et d’une masse de Français plus ou moins judicieux, une quantité quasi négligeable de Belges ! Et lorsque je me suis permis, avec politesse et Majuscule, de le faire remarquer par e-mail, j’ai reçu un : « ben, on vient de passer de la chanson française… ». Autant vous dire que lorsque j’ai demandé un Claude Semal ou un Daniel Hélin, je n’y croyais plus. Effectivement, on m’a répondu soit « ben, ça on n’a pas… », soit rien du tout. Claude Semal, je l’écoute depuis dix ans. Je partais en vacances et on me passait en boucle la cassette audio de son « Music-Hall » (1989). « Éros positif » me faisait peur, « Rock du Brabant » m’inquiétait, et « Madame Pipi » m’amusait. Je l’ai vu chanter récemment « La ballade Hoboken » à la librai-

rie Aden. « Belgik » est sorti il y a déjà trois ans, et le délice est le même à chaque écoute. Semal c’est le frisson accouplé au sourire. Semal c’est Bruxelles, sa grêle et ses gens. C’est une plume à maintes encres. « Toutes les choses », noir & blanc : morceau d’ouverture. Un œil sur le temps passé, l’autre sur le temps qui reste. Sobre, et tout en finesse. « Les moineaux », sépia : souvenirs de Prévert et de Doisneau, de phonos et de Claude Semal à la librairie Aden. Photo gépé Renaud. « Denis Collard est un petit con- blant d’hymne à la fraternité. nard … », en guise de légère pri- Idéal pour un de nos futurs camps vate joke aux fidèles de La Pre- UPJB-Jeune. « Bonus Mali », l’arc en ciel : mière. « Un enfant naît-il ? », Semal l’indigné : « Un enfant naît-il avec portrait, avec humour et contenu, ou sans papier /Alors pourquoi d’un malien exilé à Paris. « Belgik » est un appel à l’amour. n’est-il qu’un chien qu’on chasse à coups de pied /Je chanterais Celui d’un père pour son fils, pour en braille pour pouvoir le chan- sa compagne. Celui d’un homter /Le Christ est né sur la paille me pour les hommes. Celui d’un de parents étrangers ». Pas mora- Bruxellois pour sa ville et les coulisateur pour un sou, mais sem- leurs qui la composent. La Belgi-

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est le mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique (ne paraît pas en juillet et en août) L’UPJB est membre de la Fédération des Juifs européens pour une paix juste (www.ejjp.org) et est soutenue par la Communauté française (Service de l’éducation permanente)

que lui colle à la peau. Il a fait le choix d’être d’ici, avec les mots d’ici, avec l’accent d’ici, avec les problèmes d’ici. Peut-être tellement d’ici que ça lui a barré les frontières. C’est pour ces raisons qu’il est essentiel à mes yeux. Semal est un « chanteur brelge » qui aime son « pays petit ». Les arrangements musicaux sont de JeanLuc Fafchamps. Des arrangements malins en totale adéquation avec les mots que l’on distingue parfaitement. « Belgik » fait partie des classiques de ma discothèque personnelle, et le DVD de son concert à Bozar ne devrait pas tarder à sortir. Daniel Hélin, je l’ai découvert avec le titre « Mécréant ». Il a confectionné lui-même la pochette de son dernier album, « Mallacoota » (village australien où a été enregistré l’album). Sans fioritures, il flingue. Mélange de slam et de chanson française, textes riches et enjoués. Avec « Festival rock », il se moque des festivals, nombreux en Belgique, où le bruit prend le dessus sur la musique, où l’anarchie n’est que consommation à outrance. Il se moque des fortunes, des grosses têtes. Il se moque des dogmes de notre société. Hélin rappelle Ferré lorsque ce dernier déclame. Il ne chante pas, ou peu. « Mallacoota » c’est un voyage au cœur du Monde. C’est un coup d’œil sur l’autre avant soi-même. C’est un rire à la face des petits chefs, des petits rois. « Mallacoota », c’est un recueil de poèmes

qui rassure. L’artiste est intègre, et tant pis pour les refrains. Tant pis pour la complaisance et la simplicité. Daniel Hélin vend ses CD lors de ses concerts. Il sera à La Balsamine le 12 décembre. J’y serai certainement.

Secrétariat et rédaction : rue de la Victoire 61 B-1060 Bruxelles tél + 32 2 537 82 45 fax + 32 2 534 66 96 courriel upjb2@skynet.be www.upjb.be Comité de rédaction : Henri Wajnblum (rédacteur en chef), Alain Mihály (secrétaire de rédaction), Anne Gielczyk, Carine Bratzlavsky, Jacques Aron, Willy Estersohn, Tessa Parzenczewski Ont également collaboré à ce numéro : Roland Baumann Larissa Gruszow Boris Gvirtman Léon Liebmann Françoise Nice Noé Gérard Preszow Jackie Schiffmann Noémie Schonker Andres Sorin

André Bialek

Avant l’an 2000, je crois. Je suis dans le lit parental. On écoute la radio, comme toujours. J’ouvre un œil, je tends l’oreille : des violons, des tambours , c’est une gigue. Le morceau terminé, mes parents me sortent un disque du placard. « La belle gigue », d’André Bialek. Un état des lieux trente ans avant les querelles que l’on vit pour le moment. Bialek, où êtes-vous alors que votre chanson garde tout son sens aujourd’hui ? Qu’êtes-vous devenu ? ■ www.claudesemal.com www.danielhelin.be

Conception de la maquette Henri Goldman Seuls les éditoriaux engagent l’UPJB. Abonnement annuel 18 EURO Abonnement de soutien 30 EURO Devenir membre de l’UPJB Les membres de l’UPJB reçoivent automatiquement le mensuel. Pour s’affilier: établir un ordre permanent à l’ordre de l’UPJB (CCP 000-0743528-23). Montant minimal mensuel: 10 EURO pour un isolé, 15 EURO pour un couple. Ces montants sont réduits de moitié pour les personnes disposant de bas revenus.

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agenda UPJB Sauf indication contraire, toutes les activités annoncées se déroulent au local de l’UPJB, 61 rue de la Victoire à 1060 Bruxelles (Saint-Gilles)

vendredi 15 octobre à 20h15

Politiques de santé internationales ou commerce ? Conférence-débat avec Jean-Pierre Unger, professeur de santé publique à l’Institut de Médecine tropicale d’Anvers (voir page 32)

dimanche 17 octobre à 11h

Après-midi jeux de société. Buffet-brunch dès 11H (voir page 32)

vendredi 22 octobre à 20h15

Identités multiples multiples des Juifs marocains avant et après la création de l’État l’ d’Israël. Conférence-débat onférence-débat avec Paul Dahan, psychanalyste et fondateur du Centre de la culture judéo-marocaine à Bruxelles (voir page 33)

vendredi 29 octobre à 20h15

Bruxelles est-elle l’avenir de la Belgique? Conférence-débat avec Eric Corijn, professeur à la VUB, directeur du centre de recherche transdisciplinaire sur la ville COSMOPOLIS (voir page 33)

vendredi 19 novembre à 20h

Dans le cadre de la « Quinzaine des femmes » organisée par la Ville de Bruxelles. La lutte des féministes israéliennes pour la justice et la paix. Conférence de Talila Kosh, militante de l’organisation pacifiste New Profile. Hôtel de Ville de Bruxelles (voir page 34)

samedi 20 novembre de 14h à 118h30

Demi-journée de réflexion sur le thème « Israël en proie au démon de la chasse aux sorcières ». Salle Helder Camara (voir page 7 et 35)

vendredi 26 novembre à 20h15

Éditeur responsable : Henri Wajnblum / rue de la victoire 61 / B-1060 Bruxelles

Conférence-débat avec Siegi Hirsch, psychothérapeute familial et de couples, Robert Fuks, professeur honoraire de chimie ULB, Bernard Balteau, journaliste et réalisateur. La conférence sera précédée de la projection du film Les enfants sans ombre (voir page 35)

club Sholem Aleichem Sauf indication contraire, les activités du club Sholem Aleichem se déroulent au local de l’UPJB tous les jeudi à 15h (Ouverture des portes à 14h30)

jeudi 7 octobre

« Combattre le négationnisme par l’éducation » par Michel Staszewski, professeur d’histoire

jeudi 14 octobre

« Notre récent voyage en Pologne » raconté par Larissa Gruszow, Boris Gvirtman et Jackie Schiffmann

jeudi 21 octobre

«Ce que les enfants cachés ne m’ont pas caché » par Johannes Blum

jeudi 28 octobre

« L’actualité politique belge et internationale » commentée par Léon Liebmann, magistrat honoraire

et aussi samedi 9 octobre de 18h30 à 23h30

Soirée de soutien au Tribunal Russell sur la Palestine. Théâtre Molière (voir page 31) Les agendas sont également en ligne sur le site www.upjb.be


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