n°303 - Points Critiques - février 2010

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mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique février 2010 • numéro 303

éditorial L’Égypte n’est pas l’amie des amis des Palestiniens

Bureau de dépôt: 1060 Bruxelles 6 - mensuel (sauf juillet et août)

HENRI WAJNBLUM

I

ls étaient quelque quatorze cents, venus de 43 pays, qui s’étaient donné rendez-vous au Caire à la fin du mois de décembre dans le but d’entrer dans la bande de Gaza par la ville frontière de Rafah. Un an après l’offensive meurtrière israélienne, cette « marche pour la liberté » voulait à la fois dénoncer l’inertie de la « communauté internationale » et briser symboliquement le blocus dont la population de cette mince bande de terre surpeuplée est victime depuis trois ans. Les autorités égyptiennes en ont décidé autrement. Invoquant tout à la fois des engagements politiques - on se demande bien avec qui - et des considérations sécuritaires, elles ont

en effet interdit aux marcheurs d’atteindre leur objectif… marcher du poste frontière de Rafah au checkpoint israélien de Erez où devaient les rejoindre d’autres marcheurs, Israéliens. Faut-il pour autant considérer cette « marche pour la liberté » comme un échec ? Certainement pas. Durant des jours et des jours, les marcheurs ont bénéficié d’une couverture médiatique extrêmement importante par les sit-in qu’ils ont organisés devant leurs ambassades respectives dans la capitale égyptienne et par diverses manifestations spectaculaires. Que l’Égypte n’aime pas le Hamas, on peut le comprendre, mais la marche pour la liberté n’était en aucune manière une marche de soutien au Hamas mais une

BELGIQUE-BELGIE P.P. 1060 Bruxelles 6 1/1511

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sommaire

éditorial ➜ manifestation de solidarité avec la population de Gaza qui n’en peut plus d’être isolée du monde.

VIVA PALESTINA

éditorial

1 L’Égypte n’est pas l’amie des amis des Palestiniens ........... Henri Wajnblum

israël-palestine

4 Tribunal Russell sur la Palestine ........................................ Thérèse Liebmann 6 La paix dans deux ans ? Vraiment ? ........................................ Henri Wajnblum

lire

8 Aharon Appelfeld. La quintessence des mots...............Tessa Parzenczewski 9

brèves de diasporas diasporas

10 Lodz, ville-chantier et la modernité juive ........................... Roland Baumann 12 Chaude khanike .............................................................................. Andres Sorin

réfléchir

14 Les enfants d’Abraham et les enfants de Josué ................... Jeremiah Haber 16 L’Europe des Juifs ........................................................................ Jacques Aron 18 Une lutte, que dis-je, une résistance ! .................................. Youri Vertongen

yiddish ? yiddish !

! widYi ? widYi

20 Keshenever pogrom - Le pogrom de Kichinev... ....................Willy Estersohn

le regard 22 Quand la justice belge se juge elle-même ............................. Léon Liebmann

cultes et laïcité

24 Pour un autre calendrier ...................................................... Caroline Sägesser 26

activités upjb jeunes

28 Trois équipes, huit bougies, quelques épreuves, ............... Noémie Schonker

écouter

30 D’une chanson à l’autre ............................................................................... Noé 32

les agendas

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Quoi qu’il en soit, si la marche pour Gaza est restée bloquée au Caire, une autre action de solidarité à caractère humanitaire est quant à elle parvenue, après d’âpres pourparlers avec les autorités égyptiennes, à entrer dans la bande de Gaza. Il s’agit d’un convoi de 198 camions bourrés d’aide humanitaire et sanitaire. L’opération appelée Viva Palestina a été initiée par le député britannique George Galloway. Le convoi qui avait quitté la Grande-Bretagne au début du mois de décembre espérait arriver à Gaza le 27 septembre, il n’y est parvenu que le 6 janvier. Le moins que l’on puisse dire est que cela n’a pas été sans mal… Le convoi a en effet été contraint de changer plusieurs fois d’itinéraire sous la pression égyptienne et l’arrivée des camions à Gaza a provoqué de violents affrontements entre les forces de sécurité égyptiennes et des manifestants palestiniens qui s’étaient rassemblés le long de la frontière pour protester contre le retard imposé au convoi. Mais l’essentiel est que pour la première fois une brèche a été creusée dans le siège auquel Gaza est soumise avec l’approbation explicite ou implicite de nombreux gouvernements. Revenons-en à notre propos… Non, l’Égypte n’est pas l’amie des amis des Palestiniens. Et apparemment pas non plus, quoi qu’elle en dise, celle des Palestiniens eux-mêmes. Et elle le prouve par son projet démentiel de construc-


tion d’un « mur de fer » souterrain destiné à empêcher « l’économie des tunnels » de se poursuivre.

UN NOUVEAU MUR Raison invoquée ? Ces tunnels qui relient la bande de Gaza à l’Égypte serviraient exclusivement à l’acheminement d’armes par le Hamas. S’il est vrai, pourquoi le nier, que ces tunnels servent bien à l’acheminement d’armes, il est non moins vrai qu’ils servent en majeure partie à l’acheminement de biens de première nécessité destinés à la société civile de Gaza qui, sans cela, pourrait difficilement survivre. Ce mur construit avec l’aide de conseillers techniques américains et français, est d’abord composé de canalisations, emplies d’eau de mer, allant jusqu’à 35 mètres de profondeur, conçues pour inonder les tunnels. Un second ouvrage est composé pour sa part de plaques de métal de 18 mètres de longueur et de 50 centimètres d’épaisseur, réputées infranchissables et munies de capteurs pour détecter les éventuels travaux de sape. Avec la construction de ce mur, il sera plus que jamais impératif que la « communauté internationale » décide de, et contraigne Israël à lever le siège de Gaza sous peine d’être à juste titre être accusée d’être responsable d’une véritable catastrophe humanitaire. Mais qui pourra imposer quoi que ce soit à Israël enfermé dans sa bonne conscience et fier de son rôle de fer de lance dans « la lutte contre le terrorisme » ? Les Israéliens eux-mêmes, ainsi qu’on le laisse souvent entendre ? Il ne faut guère se bercer de vains espoirs. Les Israéliens qui sont

Le « mur de fer » égyptien en construction

opposés à la politique meurtrière de leur gouvernement n’en nourrissent que très peu eux-mêmes. Ainsi Nurit Peled-Elhanan qui s’exprimait le 2 janvier à Tel-Aviv lors d’une marche de protestation… « (…) nous qui manifestons chaque semaine, chaque mois, à chaque carnage et à chaque anniversaire de chaque carnage, quelle est notre force ? Aucune. Le deuil et l’échec sont notre lot dans ce pays. Jeudi dernier, nous sommes restés aux portes de Gaza, disciplinés et obéissants aux conditions des autorisations de la police, heureux de nous voir les uns les autres et de constater que nous sommes vivants et scandant d’une voix forte des slogans devant un parterre de policiers et de soldats semblables à des robots, complètement incapables de comprendre ce que nous étions en train de dire. Mais nous n’avons pas fait tomber le Mur. Nous n’avons pas réussi à sauver ne serait-ce qu’un seul enfant de l’épidémie de méningite qui infeste Gaza depuis plusieurs

mois. (…) Seul le refus peut sauver de la capitulation, de la faillite, du désespoir. Nous sommes ici aujourd’hui comme des étrangers, comme une minorité d’étrangers haïs et persécutés. Mais, ensemble, avec nos amis qui cherchent la Paix de l’autre côté du Mur, de l’autre côté des barrières de barbelés, nous pouvons devenir une majorité. Seul le refus de capituler devant les murs et les checkpoints peut ouvrir les portes de notre ghetto afin que nous puissions jeter à bas les murs de leurs ghettos. Pour voir enfin qu’il y a un monde extérieur, qu’il y a des régions tout autour que le Fond national juif n’a pas détruits, qu’il y a une culture et qu’il y a des peuples et que ça vaut la peine de les rencontrer, de les connaître et d’en faire des amis, d’apprendre d’eux des choses sur ce pays où nous vivons comme des étrangers résidents et nous rappeler que cette terre peut être une terre d’une beauté sans égale. » Un vrai cri de désespoir. Un cri d’espoir aussi, mais si ténu… ■

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israël-palestine Tribunal Russell sur la Palestine. Les travaux préliminaires THÉRÈSE LIEBMANN

L

’idée de constituer un Tribunal Russell qui aura à « juger des violations du droit international dont est victime le peuple palestinien » remonte à 2007. Elle a été révélée au grand public, le 4 mars 2009, au cours d’une conférence de presse qui s’est tenue à Bruxelles (j’en ai fait le compte rendu dans Points Critiques en avril 2009). C’est le 16 décembre dernier, au cours d’une « Journée d’introduction à la première session internationale du Tribunal Russell sur la Palestine » qu’ont démarré à Bruxelles les travaux préliminaires, réunissant une douzaine d’intervenants. Pierre Galand, Président du « Comité européen de coordination des ONG sur la question de la Palestine », est la cheville ouvrière de ce tribunal d’opinion. Il en a exposé les principaux objectifs : sensibiliser l’opinion publique aux violations des droits humains en Palestine et relever les complicités internationales qui permettent à Israël de continuer à mener une politique d’occupation de plus en plus contraignante pour les Palestiniens et à commettre des crimes de guerre, en dépit des condamnations des Nations Unies et de l’avis négatif du Tribunal Pénal International de La Haye. Stéphane Hessel, ambassadeur de France et corédacteur de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, a insisté sur l’urgence de mettre fin à l’impu-

nité de l’État d’Israël. Ayant effectué lui-même un séjour à Gaza en juin dernier, il a été indigné par les conditions de vie dramatiques qui y règnent et par le manque de réaction à l’égard du gouvernement israélien, qui est « un des plus réactionnaires et xénophobes que le pays ait connu ». Leila Shahid, déléguée générale de la Palestine auprès de l’UE, la Belgique et le Luxembourg, impressionnée par son intervention, a qualifié Stéphane Hessel de « conscience du Tribunal ». Elle a aussi rendu hommage à Nurit Peled (Prix Sakharov de la paix), une des initiatrices du T.R, qui dénonce quotidiennement les horreurs de Gaza et la militarisation de la société israélienne. Leila Shahid garde cependant un certain espoir qui lui vient, dit-elle, des « juristes qui font avancer la cause des peuples ». Cet impact du droit a été précisé dans les deux exposés suivants. Le Docteur Marcel-Francis Kahn avait participé, en 1966, aux travaux du premier Tribunal Russell sur les crimes de guerre au Vietnam. Ce premier « tribunal des peuples » avait travaillé en toute indépendance, sans la moindre pression politique. Il avait notamment dénoncé l’utilisation de bombes à fragmentation. Mais, ironie de l’histoire, le surplus a été vendu par les Américains aux Israéliens, qui les ont utilisés contre les Palestiniens ! Selon lui, le

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T.R. sur la Palestine doit examiner les complicités et juger « le crime du silence ». Le Docteur Gianni Tognoni a évoqué le Tribunal permanent des peuples dont il est le Secrétaire depuis sa fondation en 1979. La philosophie de ce tribunal est de défendre les peuples victimes, non seulement de crimes, mais aussi du manque de visibilité qui leur permettrait de se voir reconnaître une identité en tant que peuple (tels le Sahara Occidental ou le Timor Oriental). Dans cette optique, le T.R. sur la Palestine pourra servir de test. François Dubuisson, professeur à l’ULB, a analysé de près l’avis de la Cour internationale de justice sur la construction du « Mur » (20/07/2004) ainsi que les décisions prises antérieurement par l’ONU et la 4ème Convention de Genève. Bien que tous ces textes condamnent l’occupation des Territoires palestiniens et la construction du « Mur », ils ne sont malheureusement pas contraignants, ni pour Israël, ni pour les États tiers qui ne sont pas tenus en vertu de ces textes d’obliger Israël à respecter les droits humanitaires. Il souhaite que le T.R. pallie cette carence. Desmond Travers est un des membres de la « Mission d’établissement des faits des Nations unies sur le Conflit » de Gaza et un des rédacteurs du « Rapport Goldstone ». Il appelle à une saisie rapide du Conseil de sécurité


pour dénoncer l’usage qu’ont fait les Israéliens d’armes au phosphore blanc et de leurs campagnes de destruction d’une grande partie des infrastructures agricoles, qui sont probablement irrécupérables. Paul J.I.M.de Waart, professeur à la Vrije Universiteit Amsterdam, a rédigé des conclusions tout aussi accablantes dans son rapport de la mission à laquelle il a participé en tant que « membre du Comité indépendant d’établissement des faits sur Gaza présenté à la Ligue des États arabes ». Il a mis l’accent sur le fait que la Palestine, si elle est reconnue comme un État par la Ligue arabe et 80 autres pays, ne l’est pas par l’ensemble de la « communauté internationale », ni même par la Cour Iinternationale de justice et le Conseil de sécurité de l’ONU. C’est là un handicap pour les Palestiniens et un frein pour l’ouverture de négociations de paix. Dries Van Agt, ancien premier ministre des Pays-Bas, a reconnu que son pays est, peut-être, plus que les autres pays européens, resté très pro-israélien et cela pour trois raisons : le sentiment de culpabilité par rapport au judéocide ; l’impact de l’interprétation religieuse selon laquelle « Dieu a permis aux Juifs d’occuper la Terre Sainte » ; l’hostilité envers les musulmans en qui beaucoup de ses compatriotes voient des terroristes potentiels. Il a dénoncé cette attitude ainsi que celle des dirigeants européens et souhaité que le T.R. éveille les consciences. Jos Geysels, ministre d’État et président de 11.11.11, a rappelé que d’après la 4ème Convention de

Genève, la puissance occupante a le devoir de veiller au bien-être des populations occupées. Il déplore la passivité de l’UE et le rôle trop discret de la Belgique dans ce domaine. Toutes les communications présentées au cours de cette journée étaient solidement étayées. Bien que chacune d’elles ait abordé un aspect différent, elles confirmaient toutes la constatation préliminaire, à savoir que la « communauté internationale » demeure passive face aux violations du droit international dont est victime le peuple palestinien. L’objectif principal du « Tribunal Russell sur la Palestine » est de « réaffirmer la primauté du droit international comme base du règlement du conflit israélo-palestinien ». Il s’agira donc de « mettre en cause les complicités internationales dont jouit l’État d’Israël qui mène une politique de guerre, d’occupation et de colonisation en territoire palestinien ». Leila Shahid avait puisé un certain optimisme dans la déclaration toute récente (8 décembre 2009) faite par les 27 ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne dans laquelle ils affirmaient qu’ils ne reconnaîtront aucun changement de frontières survenu après 1967 et que Jérusalem devait devenir la future capitale des deux États. (voir H.Wajnblum dans Points Critiques de janvier 2010). Je partagerais volontiers son optimisme si cette déclaration émanant de l’UE avait amené un changement sur le terrain mais il faut bien se rendre à l’évidence : Israël vient de programmer la construction de 700 logements

pour les Juifs à Jérusalem-Est et Gaza vient d’être la cible de nouveaux raids aériens israéliens. Peut-on, par ailleurs, se réjouir de la visite de Netanyahou au Caire, si on sait que les Égyptiens ont commencé la construction d’un « mur d’acier souterrain », qui aura pour effet d’étrangler encore plus économiquement les Gazaouis, et qu’ils ont non seulement mis de nombreuses entraves à la « Marche de Gaza » que des organisations internationales avaient organisée pour apporter un soutien humanitaire et qu’ils ont même blessé un certain nombre de participants. Il s’avère donc, comme le proclamait Stéphane Hessel, qu’ « il y a urgence : nous sommes pressés, il importe de réagir le plus vite possible contre l’impunité. » C’est pourquoi, dès les 1, 2 et 3 mars 2010, la première session du Tribunal Russell se tiendra à Barcelone. Elle « portera sur les manquements et les complicités de l’Union européenne et des États membres ». Une deuxième session est prévue pour 2011 à Londres ; elle examinera les complicités des entreprises et des multinationales. Il ne suffira pas que le Tribunal Russell détermine toutes les complicités qui ont laissé libre cours à l’impunité dont jouit Israël depuis plusieurs décennies. Il faudra que ce tribunal d’opinion touche les opinons publiques qui, elles, devront faire pression sur leurs gouvernements respectifs. Les Juifs de la Diaspora qui soutiendront cette action contribueront, eux aussi, à la conclusion d’une paix juste et durable entre Israéliens et Palestiniens. ■

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israël-palestine La paix dans deux ans ? Vraiment ? HENRI WAJNBLUM

S

’il faut en croire Barack Obama, un accord de paix entre Israël et l’Autorité palestinienne pourrait être conclu d’ici à deux ans. Bon sang qu’on aimerait le croire. Mais le passé et, plus encore, le présent nous ont appris à ne plus faire confiance à grandchose, la réalité sur le terrain parlant d’elle-même. Et cette réalité, nous la connaissons… La colonisation n’a jamais été aussi intense, le gel temporaire annoncé par Binyamin Netanyahou, en Cisjordanie mais pas à JérusalemEst, n’étant qu’un leurre ainsi que l’écrit l’éditorialiste du Ha’aretz, Akiva Eldar : « En dépit du « gel de la construction », plusieurs dizaines de colonies de Cisjordanie connaissent un boum de la construction, même à la veille de la visite dans la région de l’émissaire américain Georges Mitchell qui souhaite essayer de faire repartir les négociations en vue d’un accord définitif entre Israéliens et Palestiniens. Actuellement, cette construction s’effectue essentiellement à l’Est de la clôture de séparation. Elle a débuté peu après que les décrets de gel de la construction eurent été publiés, le 26 novembre dernier. » Mais revenons-en au plan de paix de Barack Obama dont les principaux éléments sont à présent connus mais dont l’intégralité n’a pas encore été rendue publique à l’heure où j’écris… Cela se passerait en deux temps, neuf

mois pour se mettre d’accord sur le futur tracé des frontières et le reste étant consacré à débattre de la question de Jérusalem, de celle de l’eau et du sort des réfugiés… Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne, aurait montré des signes d’ouverture face à ce plan qui serait accompagné de lettres de garanties américaines adressées aux deux parties. Il se serait en effet dit prêt à revenir à la table de négociations pour autant qu’Israël gèle formellement, ne serait-ce que pour une période déterminée, la colonisation en Cisjordanie, mais aussi à Jérusalem. Or, de Jérusalem, Netanyahou ne veut même pas entendre parler qui faisait encore tout récemment diffuser un communiqué par son bureau affirmant que « le chef du gouvernement n’a pas changé ses positions bien connues, auxquelles il se tient avec détermination dans toutes ses rencontres diplomatiques, à savoir que dans tout accord de paix, Jérusalem restera unie et sous souveraineté israélienne, et que les frontières d’Israël ne seront pas retracées selon leur contour de 1967 ». S’il ne s’agit pas encore d’une réponse formelle à la proposition américaine, le ton est cependant donné… La colonisation se poursuivra à Jérusalem-Est, où 250.000 colons juifs sont déjà implantés, et il ne sera pas question de revenir sur les frontières de 1967, ce qui à fait réagir Saëb

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Ereqat, conseiller du président palestinien… « Les Palestiniens me demandent : si l’Administration américaine n’arrive pas à arrêter les colonies, devrons-nous croire qu’ils pourraient faire accepter aux Israéliens les frontières de 1967 ? Et aussi Nabil Abou-Rodeina, un autre de ses conseillers… « Si les Israéliens disent que Jérusalem ne sera pas sur la table des négociations et qu’aucun réfugié palestinien ne sera autorisé au retour, qui oserait venir et négocier ? » Revenons aux frontières… On se souviendra qu’en 2004, George W. Bush avait adressé une lettre au gouvernement israélien lui promettant qu’un éventuel règlement prendrait en compte les changements démographiques israéliens effectués dans les territoires palestiniens. Le plan Obama ne prévoit en réalité pas autre chose… Car si le règlement qu’il propose serait basé sur les frontières d’avant le 5 juin 1967, il prévoirait cependant des échanges de territoires entre Israël et le futur État palestinien. Il s’agirait donc d’une prime à la colonisation de la Cisjordanie que tout le monde s’accorde cependant à considérer comme illégale.… Et puis, de quels échanges de territoires s’agirait-il ? Lorsqu’on regarde les cartes, on est en droit de se demander quelles terres les Palestiniens pourraient bien se voir octroyer en échange de l’annexion des blocs de colonies qui


ont transformé la Cisjordanie en véritable gruyère. S’agirait-il de quelques terres arides et inhabitées du désert du Néguev ? Ou alors, et on sait qu’il s’agit là de l’agenda pas caché du tout d’Avigdor Lieberman, d’une partie de la Galilée qui compte une bonne partie de la population palestinienne d’Israël ? Israël ferait ainsi d’une pierre deux coups… garder d’une part les blocs de colonies et faire ainsi payer la facture de la colonisation aux Palestiniens, et se débarrasser d’autre part d’une population indésirable qui le rapprocherait fortement de son objectif d’État ethniquement homogène. On n’ose y croire, mais le pire n’est cependant pas à écarter. 1er janvier 2010 À tous mes amis, Je débute la nouvelle décennie emprisonné dans un camp de détention militaire. Néanmoins, de ma cellule de détention, je débute cette nouvelle année avec détermination et espoir. Je sais que la campagne militaire israélienne d’emprisonnement des dirigeants de la lutte populaire palestinienne montre que notre lutte non-violente est efficace. L’occupation est menacée par notre mouvement en plein essor et tente donc de le stopper. Ce que les dirigeants israéliens ne comprennent pas, c’est que la lutte populaire ne peut pas être stoppée par notre emprisonnement. Que nous soyons enfermés dans la prison à ciel ouvert qu’est devenue Gaza, dans des prisons militaires en Cisjordanie ou dans nos propres villages entourés par le Mur de l’apartheid, les arrestations et les persécu-

L’ENNEMI : LA RÉSISTANCE NON VIOLENTE En attendant, le gouvernement Netanyahou-Barak-Lieberman est surtout occupé à tenter de briser la résistance non violente à la construction du mur d’annexion. Contre les kamikazes (mais il y en a fort peu ces derniers temps), Israël sait comment agir (représailles contre les populations civiles), mais contre la résistance populaire, populaire dans les deux sens du terme, le voilà désarmé si on peut dire. Elle est donc devenue l’ennemi public numéro un. Il a, à diverses reprises, été question du village de Bil’in dans nos colonnes… Bil’in dont une grande partie des terres

a été confisquée pour permettre la construction et l’extension de la colonie de Modi’in Ilit, Bil’in qui a entamé, en février 2005, une action de résistance non violente à la construction du mur en organisant chaque vendredi, après l’office, une marche citoyenne, accompagnée d’internationaux et d’Israéliens, vers la clôture de séparation, Bil’in qui paie un lourd tribut à cette résistance et dont le coordinateur du comité populaire, Abdallah Abu Rahma, que j’avais rencontré sur place en février 2006, a été arrêté le 10 décembre dernier. Da sa prison d’Ofer, il a adressé une lettre à ses amis. Je vous la livre… ■

tions ne nous affaiblissent pas. Ils ne font que renforcer notre volonté de transformer 2010 en l’année de la libération de la Palestine par la résistance populaire non-violente. C’est le prix que nous payons pour notre com- Abdallah Abu Rahma, Bil’in février 2006. Photo bat pour la liberté. Je sou- Henri Wajnblum haite que mes deux peticonstruction illégale de colonies tes filles et mon fils n’aient pas sur nos terres volées, ainsi que à payer le prix pour moi. Mais les terres de beaucoup d’autres pour l’avenir de mon fils et de villes et villages palestiniens. mes filles, nous devons conti- L’organisation Adalah-NY mène nuer notre lutte pour la liberté. une campagne internationale Cette année, le Comité de afin de faire condamner Leviev coordination de lutte populai- pour crime de guerre. (…) re sera chargé d’approfondir les Contrairement à Israël, nous acquis de 2009, une année où n’avons pas d’armes nucléaires vous avez amplifié nos mani- ou d’armée et nous n’en avons festations populaires en Palesti- pas besoin. Notre cause est juste ne avec les campagnes de boy- et gagne votre soutien. Aucune cott international et les actions armée, aucune prison et aucun en justice en vertu du droit in- mur ne peut nous arrêter. ternational. Dans mon village de Bil’in, le Bien à vous, milliardaire israélien Lev Leviev et Africa-Israël, la société qu’il Abdallah Abu Rahma, de la contrôle, sont impliqués dans la prison d’Ofer

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lire Aharon Appelfeld. La quintessence des mots TESSA PARZENCZEWSKI

D

e livre en livre, l’odyssée d’Aharon Appelfeld migre et se métamorphose, le réel et l’imaginaire s’entrecroisent, les personnages vont et viennent d’un récit à l’autre, les angles de vue se multiplient, mais l’essentiel demeure : un questionnement obstiné de la nature humaine, à l’aune de la terrifiante expérience vécue. Né en 1932 à Czernowitz, dans une famille assimilée, Aharon Appelfeld a connu le ghetto et le camp, s’est enfui, a vécu dans la forêt, enfant traqué et exploité. Après la guerre, il a émigré en Palestine. Il lui a fallu du temps pour recomposer le puzzle éclaté de son identité et pour s’approprier la nouvelle langue, qui en Israël, a balayé toutes les autres. Il a fini par apprivoiser l’hébreu, et le plier à son écriture, pour dire, sans pathos ni sensiblerie, non seulement sa propre histoire, mais aussi celle de ses compagnons d’infortune, car, audelà des chiffres vertigineux, chaque individu est unique et chaque histoire précieuse et comme le dit le titre de son dernier roman traduit en français : La fureur ne s’est pas encore tue. Dans une ville qui n’est pas nommée, vit un enfant manchot, Bruno Brumhart. Ses parents sont des fervents communistes, et fervents est le mot, car malgré les persécutions, les arrestations et les trahisons, ils s’obstinent à œuvrer pour la justice et l’égali-

té. Vient la guerre, les Juifs sont parqués dans un ghetto et puis déportés. Bruno, déjà adolescent, s’enfuit avec deux compagnons, un sourd-muet et un Juif pieux qui se réfugie dans les prières. Ils survivent dans la forêt jusqu’à la fin de la guerre. Sur les routes où errent déportés et réfugiés, Bruno se découvre un don pour le commerce et se lance dans le marché noir. Plus tard, il développera tout un réseau de trafics mystérieux qui s’étendra en Europe et au-delà. Hanté par l’image de ses parents disparus, Bruno achète un château à Naples et décide d’y accueillir les rescapés pour leur permettre de se reconstruire, dans un petit îlot fraternel où la musique classique et la bible tiennent lieu de consolation et de nourriture spirituelle. Une sorte d’utopie lumineuse. Bien qu’ancré dans le tumulte de la vie, au plus près de détails

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concrets, le récit s’en détache parfois, dans une sorte de distanciation qui lui confère par moments le ton d’un conte philosophique. Étrangement aussi, l’intrusion discrète du surnaturel entraîne le lecteur dans une dimension inattendue, décalée. Dans une langue limpide, rigoureuse, où chaque mot est pesé pour donner au texte son intensité, où tout est essentiel, même le silence, ce silence - refuge privilégié par certains protagonistes car les mots ne peuvent que trahir, Aharon Appelfeld nous donne une œuvre complexe, questionneuse et ouverte, qui va à la rencontre des hommes avec lucidité et compassion. Une littérature de haut vol. ■ Et la fureur ne s’est pas encore tue Aharon Appelfeld Traduit de l’hébreu par Valérie Zenatti Éditions de l’Olivier 270 p., 21 EURO


brèves de diasporas J STREET PART À LA CONQUÊTE DE L’OUEST Le lobby progressiste juif américain J Street crée des sections locales dans l’ensemble des ÉtatsUnis. Ces sections correspondent plus ou moins aux dictricts électoraux pour le Congrès des ÉtatsUnis. J Street, qui se définit comme « pro-Israël, pro-paix », soutient une intervention plus active de la Maison-Blanche en vue d’une solution au conflit israélo-palestinien par l’établissement de deux États. Pendant de « gauche » du lobby ultra AIPAC (American israel Public Affairs Committee), J Street est décrit par ses détracteurs dans la communauté juive américaine comme trop critique d’Israël et comme affaiblissant la voix » d’Israël à Washington. J Street a intégré dans ses rangs, le premier janvier 2010, l’organisation Brit Tzedek v’Shalom (Alliance pour la justice et la paix) dont les 45.000 affiliés se sont ajoutés à ses 125.000 membres. La stratégie de développement de J Street vise à répondre sur le terrain, et non plus seulement dans la capitale américaine, à l’AIPAC qui est solidement implanté depuis des dizaines d’années au plan local et à soutenir des candidats au Congrès proches de ses vues.

LA DERNIÈRE ÉTOILE ? Mina Bern, la dernière survivante encore née en Europe (en Pologne) du théâtre yiddish qui domina, jusqu’au début des années soixante, la Seconde avenue dans le Lower East Side de New-York est décédée début janvier à l’âge de 98 ans. Mina Bern parcourut également l’Amérique du Nord et du Sud avec une troupe itinérante et apparut dans plusieurs films dont Crossing Delan-

cey en 1988, Avalon en 1990 et I’m not Rappaport en 1996 (trois films à thème juif).

n’avaient aucun lien avec la Jordanie ou le peuple jordanien ».

MANUSCRITS VIVANTS

L’affaire fait grand bruit aux États-Unis où trois fédérations synagogales sur quatre (reform, conservative et reconstructionist) ordonnent des femmes rabbins. En novembre dernier, Nofrat Frenkel, membre des « Femmes du Mur » a été arrêtée par la police devant le Mur du Temple à Jérusalem, après avoir porté une Torah ainsi qu’un châle de prière. Début janvier, c’est Anat Hoffman, directrice du Centre israélien d’action religieuse du mouvement réformé et dirigeante des « Femmes du Mur » depuis leur fondation il y a 21 ans, qui a subi un interrogatoire à l’issue duquel ses empreintes digitales ont été prises. Frenkel et Hoffman ont violé une décision de la cour suprême interdisant aux femmes, pour des raisons de sécurité publique, de lire la Torah dans la section réservée aux femmes. Ces arrestations traduisent la main-mise exclusive du courant ultra-orthodoxe sur le Mur. La fondation qui gère le Mur et qui dépend directement des bureaux du premier ministre israélien a récemment réduit l’espace de prière dévolu aux femmes et a surélevé la barrière de séparation entre hommes et femmes. Un espace « égalitarien » de prière existe depuis 2000 mais il est submergé sous l’affluence et est exposé aux intempéries. Les observant(e)s sont d’autre part obligé(e)s de payer un ticket d’entrée, l’espace se trouvant en zone touristique, si la limite de temps imparti est dépassée. ■

Une exposition des manuscrits de la mer Morte a été présentée jusqu’au 3 janvier à Toronto, au Royal Ontario Museum. 300.000 visiteurs ont été dénombrés. Invoquant la Convention internationale de La Haye sur la protection des biens culturel en cas de conflit armé, la Jordanie a demandé au Canada de saisir les manuscrits exposés afin que ceux-ci soient soustraits à Israël jusqu’à ce que la controverse sur leur propriété soit levée. La Jordanie soutient que les manuscrits ont été saisis illégalement par Israël pendant la guerre des Six Jours. Cette revendication est rejetée par l’Autorité israélienne des antiquités qui estime être le conservateur légitime des manuscrits et avoir donc le droit de les exposer. En avril dernier, c’est l’Autorité palestinienne qui avait demandé au premier ministre canadien l’annulation de l’exposition, récusant le droit des autorités israéliennes d’exposer des objets provenant des Territoires palestiniens. Le Royal Ontario Museum a fait savoir que les manuscrits ont été exposés à maintes reprises à l’étranger ces vingt dernières années. Le Canada ayant déclaré ne pas vouloir trancher dans ce conflit entre Israël, la Jordanie et l’Autorité palestinienne, la Jordanie a introduit une plainte auprès de l’UNESCO. Le porte-parole du ministère israélien des Affaires étrangères a rejeté cette plainte estimant que « l’occupation de la Cisjordanie par la Jordanie n’avait jamais été reconnue par la communauté internationale ». Il a ajouté que « les manuscrits

LIBÉRER LE MUR*

*Titre de l’éditorial de l’hebdomadaire juif new-yorkais Forward en date du 15 janvier 2009

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diasporas Lodz, ville-chantier et la modernité juive ROLAND BAUMANN

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roisième ville de Pologne, et lieu d’origine de nombreuses familles juives de Belgique, Lodz est aujourd’hui à nouveau une « Terre promise » alors que de grands projets urbains métamorphosent un centre industriel vieilli et à l’habitat sordide en haut-lieu de la construction d’une société nouvelle, résolument européenne et ouverte sur le monde. Et Lodz, dont jadis un tiers des habitants étaient juifs, est aujourd’hui le lieu par excellence où on perçoit le mieux la prodigieuse diversité sociale et culturelle du judaïsme polonais. En effet, l’architecture épargnée par les combats en 1939-1945, conserve de nombreux témoignages de l’apport décisif des Juifs de Lodz à la prospérité de leur ville et des initiatives locales se multiplient pour mettre en valeur ce patrimoine urbain. Installé rue Ogrodowa dans l’ancien palais de style néo-baroque d’Izrael Poznanski (18331900), capitaine d’industrie et grand protagoniste de l’essor prodigieux du « Manchester polonais » après 1850, le musée historique de la ville met à l’honneur de grandes personnalités juives, originaires de Lodz : Arthur Rubinstein, Jerzy Kosinski et bien entendu la famille Poznanski. La somptueuse salle à manger du palais, décorée de tableaux de Samuel Hirszenberg, peintre local de renom vers 1900, ainsi qu’un étonnant

Le Palais Poznianski et le bâtiment de la filature rue Ogrodowa. Photo R. Baumann

ensemble de peintures d’artistes juifs (dont Chagall, Pissarro, Liebermann, Israels) légués au musée en 2002 par le collectionneur israélien David Malek, survivant d’Auschwitz, en mémoire de sa famille et des victimes de la Shoah, font de ce musée, à la muséologie pourtant désuète, un incontournable du tourisme à Lodz. Situé à côté de l’énorme manufacture de cotonnades, employant vers 1913 quelque 7000 ouvriers, pour la plupart des Polonais nonjuifs, paysans prolétarisés, le palais n’était plus, il y a quelques années encore, que le vestige grandiose d’un passé révolu dans une zone urbaine à l’abandon suite à la fermeture de l’usine textile dans les années nonante. La transformation de ce site industriel abandonné en un énorme centre commercial et de loisirs, la Manufaktura, oeuvre d’investisseurs français, inauguré en 2006, a marqué une étape décisive de la revitalisation de Lodz. Au coeur

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de l’ancienne usine, la vaste esplanade de la « place du marché » (Rynek), agrémentée de fontaines, se couvre en partie de sable pour se transformer en plage durant l’été. Conçue comme un important pôle de développement, la Manufaktura donne à Lodz un visage nouveau, celui d’une ville-chantier où s’érige la Pologne du futur. À la Manufaktura, l’univers de la marchandise globalisée révèle ses promesses de bonheurs instantanés et de futurs radieux, constituant une ville nouvelle dont les fastes contrastent avec les quartiers vétustes des alentours en attente de rénovation. Installé dans l’ancien atelier de finition des tissus, à côté du cinéma multiplex, un musée (Muzeum Fabryki) évoque l’essor prodigieux de la filature et l’histoire de l’empire industriel constitué par Izrael Poznanski à la fin du dix-neuvième siècle. Le passé industriel du site et des structures qui ont été conservées et rénovées est aussi évoqué on


line par une visite virtuelle de la Manufaktura (http:// wirtualnafabryka.com/) sur le site Internet du musée (http://www.muzeum.manufaktura.com/).

MS2 L’imposant bâtiment en briques de l’ancienne filature qui s’étire le long de la rue Ogrodowa, abrite un hôtel de luxe, ouvert en mai dernier. C’est un peu plus loin que se dresse le « ms² », nouvelle section du musée d’art moderne de la ville (Muzeum Sztuki w Lodzi), institution muséale qui occupe aussi, à quelques rues de là, au sud de la Manufaktura, l’ancien palais d’Ignacy Poznanski, fils aîné du célèbre magnat juif, rue Wieckowskiego. Fondé en 1930 par un groupe d’artistes d’avant-garde, dont Władysław Strzeminski, et enrichi au fil du temps par de multiples donations, ce musée rassemble une remarquable collection d’art du vingtième siècle et de créations contemporaines. Du 10 octobre 2009 au 31 janvier 2010, au « ms² » l’exposition « Polonais, Juif, Artiste : Identité et avant-garde » révélait aux amateurs d’art moderne les créations d’artistes juifs polonais liés aux mouvements d’avant-garde de l’entre-deux-guerres: constructivisme, formisme, surréalisme, Yung-yidish... Gilles Rozier* a retracé l’essor de l’avant-garde artistique juive à Lodz en 19181920 dans sa biographie du poète Broderzon, figure emblématique de la renaissance culturelle yiddish avant 1939. Comme l’évoque Rozier, la revue Yung-yidish, animée par Broderzon et son « rival » le poète Yitskhok Katsenelson, associés aux artistes Yankl Adler, Marek Szwarc et Y. Broyner, n’est pas seulement une revue littéraire mais le point de départ d’une aventure culturelle et artistique qui favorise les rencontres en-

tre écrivains et plasticiens, classiques et modernes, écrivains confirmés et jeunes auteurs. Témoin de la pénétration de l’avant-garde artistique au sein de la culture yiddish, la revue Yung-yidish propose à ses lecteurs des oeuvres enracinées dans la tradition juive mais dont la forme montre les influences diverses du symbolisme (notamment Verhaeren et la revue La Jeune Belgique), de l’expressionnisme allemand (artistes de la revue Die Aktion), du futurisme russe, et enfin du projet de Y. L. Peretz visant à élargir le champ de la littérature yiddish par la recherche esthétique.

CONTRE UNE IMAGERIE FOLKLORISTE Le directeur du musée d’art de Lodz, Jaroslaw Suchan, explique la genèse de cette exposition d’art juif au « ms² » : Le projet d’une exposition d’art et de culture juive polonaise m’avait été présenté par une Juive polonaise, Joanna Ritt, qui avait émigré avant 1968 et travaillé comme traductrice et journaliste, en Allemagne, puis à Paris. De retour en Pologne en 2000, elle s’était adressée au musée national de Cracovie avec l’idée d’une exposition retraçant les rapports étroits entre la culture juive et la culture polonaise. Elle est ensuite venue me voir et nous avons décidé de nous centrer sur l’avant-garde artistique juive parce que celle-ci s’adresse directement à des questions très contemporaines d’identité, de rapports à la tradition, au religieux, à la culture nationale... L’exposition documente l’engagement de jeunes artistes juifs dans des courants d’avant-garde, dans la création plasticienne et littéraire, au théâtre, et aussi en musique. Gravement malade, Joanna est décédée en octobre dernier, luttant jusqu’au bout pour voir la

réalisation de son rêve. Comme le souligne Suchan, son principal souci en préparant l’exposition était d’éviter qu’elle ne soit perçue comme une « ethnicisation » d’artistes qui ne se définissaient pas toujours dans leur rapport au judaïsme. Cependant, lorsqu’on sait à quel point occulter l’identité juive d’artistes polonais était jadis la règle au musée d’art moderne, montrer aujourd’hui une exposition qui met en valeur les origines juives de jeunes artistes avant-gardistes, très actifs de 1918 à 1939, non seulement au sein de la culture yiddish, comme c’est le cas des Yung-yidish, mais aussi dans les groupes artistiques polonais, c’est inciter le public à reconsidérer les visions stéréotypées d’une société juive ultra-religieuse, régie par ses traditions immuables. Une imagerie folkloriste qui contribue à la popularité de la musique klezmer, des danses hassidiques et du folklore juif polonais en général, mais qui n’aide pas à comprendre à quel point la destinée de la communauté juive à Lodz est liée à l’histoire de la ville et de sa modernité. Organisée dans le cadre de l’exposition, un colloque international a réuni différents chercheurs (dont Gilles Rozier), spécialistes de l’avantgarde artistique juive avant 1939, en Pologne et dans la diaspora. Une publication du musée reproduit les oeuvres exposées et accompagne ce catalogue détaillé d’une anthologie de textes documentant les théories de ces artistes d’avant-garde juifs et la réception de leurs oeuvres. ■ * Gilles Rozier, Moyshe Broderzon. Un écrivain yiddish d’avant-garde, Presses universitaires de Vincennes, 1999 Musée d’art de Lodz - ms² www.msl.org.pl / muzeum@msl.org.pl

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diasporas Chaude Khanike ANDRES SORIN

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e prends la plume alors que des mètres de neige s’accumulent devant ma façade. D’accord, des décimètres… Bon, ça va, des centimètres. Je suis un méridional, voyez-vous, j’affectionne l’hyperbole. Un vrai méridional, né très loin au sud (sud-ouest) de Bruxelles. 11.319 km plus précisément. À vous de décider si ce que je vais écrire est vrai. Vous serez mes juges d’Yisroël. Mon esprit vagabonde loin de cette neige, vers l’été qui réchauffe la ville qui me vit naître, dans une clinique chic tenue par des nonnes irlandaises de la Little Company of Mary. Ma destinée juive était toute tracée. C’est donc là-bas, à Buenos Aires, que j’ai passé le plus clair du mois de décembre 2009. Ah, Buenos Aires, grande métropole du Sud, capitale culturelle juive du Bout du Monde. Enfant, je n’en étais pas très conscient, puisque je ne connaissais pas autre chose. Je savais seulement que pratiquement tous les amis de mes parents « en » étaient, que nous utilisions certains mots « codés » pour ne pas être compris par les autres. Ainsi, une fois, après une cabriole, j’ai dit à mon cousin, à voix haute, sûr de mon impunité: « Aïe, je suis tombé sur le tukhes ». Une dame m’a entendu (à ma grande honte) et a demandé: « ¿Son de la colectividad ? / Vous appartenez à la communauté ? ». Remarquez, ellemême s’exprimait par un euphémisme pour savoir si j’étais juif.

Maintenant plus personne ne poserait la question car l’habitant moyen de Buenos Aires, même goy, mais plutôt intello et de classe moyenne, comprend et utilise couramment tujes, comme on l’écrit là-bas, surtout dans l’expression tener cara de tujes, littéralement « avoir un visage/une tête de fesses », c’est-à-dire « faire la gueule ». Pourquoi ce mot précisément ? Sachez seulement que les Argentins sont l’une des espèces les plus psychanalysées de la planète, et qu’un très grand nombre des psys argentins sont juifs. Cela vous rappelle quelque chose ?

stratégiques, des « sapins de Noël » étaient montés, en fait de jolies structures lumineuses coniques d’une dizaine de mètres. Mais ce n’est pas tout. À d’autres carrefours, tout aussi stratégiques, des menoyres aux branches droites, se dressaient, tout aussi lumineuses, comme il se doit. Mes compagnons de voyage trouvaient bizarres les décorations de noël par 25°C, moi j’avais toujours connu cela. Chaude khanike, donc, dans un pays au sang chaud et au climat souvent surprenant. Pendant cinq jours, je suis allé encore plus loin vers le sud-ouest, en Patagonie occidentale, à trois heures d’avion (ai-je parlé d’hyperbole ?) de la capitale. Là-bas, des glaciers sur lesquels on peut marcher, des paysages à couper le souffle, des pics enneigés, même en été, et des écriteaux et poteaux indicateurs en espagnol, en anglais et en… hébreu! Mmh, le yiddishiste convaincu que je suis se met à parler d’hébreu et d’Israéliens... Ils sont nombreux, làbas, au bout du Bout du Monde. Je

Menoyre sur la grande avenue Nueve de Julio. Photos Andres Sorin

Buenos Aires est une ville majestueuse, parcourue de grandes avenues bordées d’arbres. Pendant ma visite, à des endroits

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Internet en hébreu, à El Calafate, en Patagonie


suppose qu’après les retentissantes déclarations alarmistes d’Ariel Sharon faites il y a quelques années à propos de l’antisémitisme des Européens, les Israéliens préfèrent faire du tourisme dans un pays où, pensent-ils, on les laissera tranquilles et où, avec un peu de chance, ils côtoieront même des Juifs. Le tourisme est médical aussi, soit dit en passant: de nombreux israéliens vont en Argentine se faire soigner les dents. Par rapport aux décennies précédentes, le judaïsme se fait plus remarquer actuellement. Si la majorité des Juifs argentins reste laïque, se mélange davantage aux goyim, on y voit aussi de plus en plus de yamelkes/yarmulkes (voir Pink Pipele, dans un numéro précédent de votre magazine préféré), des femmes à perruque, de tenues ultra-orthodoxes et on lit des affiches en hébreu. Dans le temps seules les grand-mères faisaient des kreplakh ou du gefilte fish. Maintenant on trouve à Buenos Aires le seul McDo kasher en dehors d’Israël, et dans certains fast-food, à côté des creppes (sic), et des fettuccine on propose des varenikes ! Je n’exagère pas, là, regardez sinon la photo prise au centre commercial chic d’Alto Palermo*. Une image vaut mieux qu’un long discours. Voilà toute l’Argentine dans cette photo.

Varenikes, « creppes », fettucine au menu d’un fast-food

Pour continuer à titiller vos papilles, je vous dirai que mes cou-

Dîner chez les Goldsztein ; pastrom (à demi caché par le bras) ; au fond, le vitel tonè

sins m’ont invité à dîner : du pastrom, du gefilte fish, bien entendu, mais aussi du matambre, du vitel toné, plat d’origine piémontaise*. La culture juive est désormais davantage intégrée dans le creuset argentin. De mon temps, ma famille restait discrète quant à ses origines. Ce ne serait plus le cas actuellement. Un juge ayant eu à traiter des cas de disparition de personnes pendant la dictature affirme ce que beaucoup savaient : les détenus juifs subissaient un régime encore plus dur que les autres entre les mains des tortionnaires. Ce magistrat est persuadé que, par réaction, le retour de la démocratie en 1983 et les avancées dans la recherche de la vérité et la justice après les années noires ont pu faire reculer les attitudes discriminatoires et l’antisémitisme. Il y a des chances que ce phénomène ait été surtout constaté chez les intellos et la classe moyenne, ceux mêmes qui comprennent et utilisent les mots yiddish, CQFD. Hyperboles argentines. Territoire immense, polaire et tropical, désertique et océanique, basses plaines, sommets parmi les plus élevés du monde. Accueillant pour les affamés de la terre jadis, touché par la famine récemment; ouvert aux Juifs... et à leurs bourreaux. Pays possible et impossible, comme khanike en été. ■

Panneau dans le Parc national des glaciers : « ramenez vos déchets ». Une ligne en espagnol, une ligne en anglais, deux lignes en hébreu !

* http://www.altopalermo.com.ar/ ; http:// es.wikipedia.org/wiki/Matambre_(comida) ; http://es.wikipedia.org/wiki/Vitel_toné

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réfléchir Les enfants d’Abraham et les enfants de Josué JEREMIAH HABER Ce texte est paru originellement, le 14 novembre 2009, sur le blog The Magnes Zionist et sous le titre « The Children of Abraham vs. the Children of Joshua ». Jeremiah Haber est le nom de plume électronique d’un professeur d’études juives orthodoxe qui vit entre les États-Unis et Israël. Il a choisi de tenir un blog sous pseudonyme, explique-t-il, « non parce qu’il craint d’être poursuivi comme Norman Finkelstein (qui a perdu son dernier poste universitaire en raison de ses positions critiques vis-à-vis d’Israël)» mais parce qu’il veut maintenir clairement distinctes son activité académique et son engagement politique. Jeremiah Haber se revendique de Judah L. Magnes (1877-1948). Magnes, une des personnalités les plus marquantes du judaïsme américain, rabbin réformé puis conservative, émigra en Palestine en 1922. Premier recteur de l’Université hébraïque de Jérusalem en 1925, il fut ensuite, de 1935 à 1948, son président. Le sionisme de Magnes était atypique. Il concevait son émigration comme une démarche

L

’extrait de la Torah de cette semaine raconte comment Abraham a acheté, à Ephron le Hittite, la grotte du champ de Makhpela, comme propriété funéraire pour y être enterré avec sa femme Sarah. Alors qu’Abraham est un chef puissant, il refuse de recevoir ces terres en cadeau et va jusqu’à payer la somme, exorbitante d’ailleurs, de 400 shekels que lui demande Ephron. Abraham sait pourtant négocier - il a négocié avec Dieu pour sauver la ville de Sodome. Pourquoi, alors, ne négocie-t-il pas ici ? Parce qu’il sait que comme « étranger de passage sur cette terre », sa tranquillité et sa sécurité dépendent de ses bonnes relations avec ses voisins. Il ne veut rien posséder qui ne lui appartienne ni transiger avec ses valeurs. De la même manière, il décline les trophées de guerre que lui offre le Roi de So-

dome. Il a reçu l’assurance que ses héritiers hériteront de la terre mais cela n’influence en rien ses actes pas plus qu’il n’essaie de précipiter l’héritage. Cette attitude est adoptée par son fils Isaac et son petit-fils Jacob. Pour Abraham, chercher la paix et les accomodements avec les habitants du pays, les Cananéens - tout en préservant sa propre identité fait partie de son tribut. Il n’en va pas de même de Josué. Dans son livre, on parle de guerre, de conquêtes, d’anéantissement du pays de Canaan (toutes choses probablement inventées par les auteurs qui vécurent des siècles après les événements, d’autant qu’il n’y a aucune trace archéologique de conquête pendant cette période). Certes Josué est guidé par Dieu et les Israélites parviennent alors, à coup de feu et de sang, à hériter d’une grande partie de la terre. Mais est-ce

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une coïncidence si la période de conquête est suivie par une période d’anarchie et de luttes intestines où chacun agit selon ce qu’il considère comme bien à ses propres yeux ? Lorsqu’ils pensaient à un retour vers une patrie imaginaire, les sionistes avaient donc sous leurs yeux les deux modèles, celui d’Abraham et celui de Josué. Comme on le sait, c’est celui de Josué qui l’emporta. Avec, à l’ordre du jour, guerres, conquêtes, élimination de la Palestine de la carte, refus aux Palestiniens de revenir chez eux, destruction de 300 villages, expropriations, installation de colonies. Beaucoup de sionistes virent en Josué leur précurseur. Ils parlaient de kibbush ha-aretz* en termes bibliques et ils étaient fiers de leurs prouesses militaires comme les anciens Hébreux l’étaient des leurs. Il y avait pourtant bien quelques


personnelle et rejetait toute idée de négation de la Diaspora. Favorable à un État binational dans lequel les droits des deux peuples seraient garantis à égalité, Magnes s’opposa aux transferts de population suggérés en 1937 par la Commission Peel. En désaccord avec la Conférence de Biltmore, tenue en mai 1942, à l’issue de laquelle le mouvement sioniste revendiqua la création d’un État juif en Palestine, Magnes participa à la fondation du parti bi-national Ihud (unité). Il démissionna, peu avant sa mort, de la direction de l’American Jewish Joint Distribution Committee qui refusait de venir en aide aux réfugiés arabes de Palestine. Le blog de Jeremiah Haber (accessible à l’adresse http://themagneszionist.blogspot. com/) appartient au cercle restreint des blogs juifs anglophones progressistes. Il s’y distingue par son ancrage israélien, religieux et éthique. The Magnes Zionist a notamment couvert la réception « mouvementée » aux États-Unis du Rapport Goldstone sur l’opération israélienne à Gaza et défendu avec énergie le juge Goldstone contre ses détracteurs. sionistes qui rejetaient le modèle conquérant. Une des figures de proue de ce mouvement était le premier recteur de l’Université hébraïque de Jérusalem, Judah Magnes. Peu après le massacre des Juifs de Hébron, lorsque les sentiments nationalistes étaient à leur comble, il écrivit le livre Like All the Nations. Aujourd’hui, on se rappelle Magnes pour son soutien à un État bi-national mais ce n’était pourtant pas le point central de sa pensée. Sa pensée s’opposait à la mentalité « rideau de fer » des sionistes, de gauche comme de droite. Il fut l’ultime opposant à l’unilatéralisme. Aujourd’hui, Magnes a perdu, c’est clair. Et regardons où nous en sommes... Aujourd’hui, il y a des colons « juifs » qui vivent tout près de la grotte de Makhpela, à Hebron et à Kiryat Arba. Ils sont peut-être juifs mais ce ne sont pas des des-

cendants d’Abraham. Ils sont, au mieux, les enfants de Josué. Les vrais enfants d’Abraham sont ceux qui descendent d’Ismaël et ont été chassés de leurs maisons et les Juifs israéliens qui ont consacré leur vie à ce que la justice revienne à Hebron. Et je conclus en citant Magnes dans Like All the Nations. « La Palestine est sacrée pour le Juif car son attitude envers cette terre est nécessairement différente de celle envers toute autre terre. Il peut avoir à vivre sous d’autres cieux, où résonne le bruit des armes mais là-bas, comme juif, il ne peut intervenir. Mais, lorsqu’en tant que Juif, il va, de son plein gré, repeupler sa propre terre, c’est un acte délibéré, de foi, de libre arbitre. Il ne devrait pas vouloir ou croire en une terre juive qui ne serait préservée, à long terme, que contre la volonté des peuples arabes et musulmans

qui peuplent, en nombre, cette partie du monde. Si, à l’époque de Josué, cela s’est fait en accord avec les besoins des Israélites de conquérir la terre et d’y maintenir leur position avec l’épée, cela est en désaccord avec le désir profond des Juifs et avec la longue tradition d’éthique du judaisme qui n’a cessé de se développer jusqu’à aujourd’hui.» Il parlait comme un véritable enfant d’Abraham. ■ * Occupation de la terre

Traduction : Carine Bratzlavsky

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réfléchir L’Europe des Juifs JACQUES ARON

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our un progressiste juif, la construction d’un espace politique européen suscite bien des interrogations. Doit-il y revendiquer une place, une représentation particulière, expression d’une communauté de destin diasporique ? Est-ce pensable, sensé et possible ? Le processus d’unification des États doit-il produire par un effet de miroir un groupement de plus qui entende exercer une influence sur… sur quoi au juste ? Lançons le débat en regardant ce qui se passe chez nos voisins allemands, dans le pays qui a pesé le plus lourd sur ce destin diasporique et qui peine à reconstituer des communautés, renouant ainsi, par-delà le génocide, avec toutes les ambiguïtés de la condition juive. Un auteur à succès, journaliste de Der Spiegel, Henryk Broder, jetant selon ses termes « sa kipa dans le ring », s’est porté candidat en mai 2010 à la présidence du Conseil central des Juifs, l’organe représentatif des communautés religieuses légalement reconnues. Simple coup de pub, a écrit l’un des 9 membres du présidium qui choisit le président. Pas si sûr. Broder est en effet l’une des plumes les plus engagées, non dans les communautés où il brille par son absence, mais dans la nouvelle guerre des civilisations annoncée. Dans un pamphlet récent, Hourra, nous capitulons !, se condense tout l’argumentaire de la croisade contre l’Islam1. Un échantillon du sty-

le de l’auteur suffira à démonter le procédé rhétorique permanent de l’amalgame et du déplacement graduel de la cible, qui permet, en quelques paralogismes, de relier l’expérience quotidienne à la marche catastrophique du monde. Les acteurs comme les transitions demeurent dans l’ombre. Un procédé qui devrait au moins rappeler aux Juifs comment se construisent les fantasmes mortifères dont ils furent les victimes. « En marge des démonstrations contre la guerre en Irak, on récolte des fonds pour la « résistance irakienne », dont la terreur a coûté la vie à des milliers d’Irakiens, des hommes ordinaires qui font leur marché ou veulent lire leur journal au café. Dont le sang peut bien être versé, puisque c’est pour une juste cause. L’un des porte-parole du pacifisme militant2 en Allemagne le justifie ainsi : « La résistance irakienne est sans doute cruelle, nihiliste et primitive. Elle a cependant arrêté les Huns-high-tech américains dans leur progression. Sans elle les troupes de Bush seraient sans doute déjà à Téhéran. » « Et puis il y a quand même la résistance révolutionnaire légitime des Palestiniens contre l’expulsion et le génocide. Le seul génocide de l’histoire, soit dit en passant, dans lequel la population n’a pas été décimée mais multipliée - par le facteur 9. C’est bien pourquoi les commentateurs insistent à chaque attaque, sur le fait que les Palestiniens n’ont pas

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d’autre moyen de se défendre contre l’injustice commise à leur égard. Dans les universités allemandes, il y a des cours et des séminaires sur l’« Éthique de la terreur » et même sur ARD et ZDF [les TV allemandes] il est quelquefois question de « résistants », quand il ne s’agit que de terroristes qui se font exploser dans les cafés ou les bus. »

DE BAGDAD À MOABIT Suivent alors quelques considérations sur le comportement des jeunes Turcs musulmans à Berlin : « Incapables de se révolter contre leurs parents, prisonniers de la tradition et de la répression, ils expriment dans les rues leur frustration devant leur propre situation et leur haine de la « société ». Les parents trouvent cela juste et la paix des foyers est sauve. Et la société leur témoigne de la compréhension, étudie leurs motivations, envoie ses assistants sociaux et donne des contrats à des chercheurs en émigration. Le résultat de tous ces efforts est si mince que l’on n’en ferait pas une pita ; la violence, c’est cool ! Et celui qui crie le plus fort est le mieux entendu. Ainsi, une ligne directe relie Al-Quaïda en Irak et l’Intifada en Palestine aux jeunes issus de l’immigration à Neukölln et Moabit. » Avec un incontestable talent, notre pamphlétaire parvient à faire le tour du monde en moins de 80 lignes, reliant par glissements successifs l’Irak, la Palestine, Ber-


Souvenir des croisades : Bannière turque conquise par la flotte chrétienne de Pise

lin ; l’expulsion et le génocide ; les universités et les médias, visant évidemment le laxisme qui caractériserait l’opinion occidentale.

ISRAËL 2024... Un écrivain juif néerlandais abondamment traduit, Léon de Winter, nous résume bien le propos du livre : « Henryk M. Broder est l’un des esprits les plus fins de l’Allemagne, un auteur particulièrement divertissant, un journaliste au large horizon - et le cauchemar de tous les défenseurs du « politiquement correct » ; à demi anarchiste, Broder démasque les aveuglements et les illusions de tous ceux qui critiquent l’Amérique et Israël, au lieu de les soutenir contre le fascisme islamique et la tyrannie arabe. »3 Qui est donc ce Léon de Winter ? Son dernier roman, Le droit au retour4 se déroule en 2024 dans un État d’Israël quasiment rétréci à Tel-Aviv. Le récit est celui d’un Juif venu à 18 ans des PaysBas, qui, après avoir étudié l’his-

toire dans cette ville, écrit un livre sur le Moyen-Orient, dont le succès lui vaut un engagement dans une université américaine. Avec sa femme et son fils, il s’établit aux USA et y mène une vie sans souci, jusqu’au jour où son fils disparaît, apparemment victime d’un mystérieux enlèvement. Sa vie s’effondre, sa femme l’abandonne et il sombre dans la déprime. Nous le retrouvons plus tard en Israël, bourré d’antidépresseurs, entretenant une relation avec une prostituée, et s’occupant de son père, ancien prix Nobel de science atteint de la maladie d’Alzheimer. Survient un attentat dont l’auteur est identifié avec certitude (!) comme Juif par un test ADN. Bram Mannheim, notre héros, comprend enfin que les Palestiniens enlèvent des enfants juifs pour en faire des bombes vivantes et que son fils est l’un d’eux. Quand donc en aurons-nous fini avec cette pléiade d’affabulateurs dangereux, renouant avec le fantasme du complot : l’Europe livrée à l’Islam, comme elle risquait

d’être livrée aux Juifs ? La judéité allemande a-t-elle encore conscience de son passé ? En 1920, Alfred Rosenberg se faisait la main en traduisant Le Juif, le judaïsme et la judaïsation des peuples chrétiens (1869) du Français Goujenot des Mousseaux. Actualisé et agrémenté de ses commentaires, il est vrai. Après avoir attribué aux Juifs la Commune de Paris, la guerre franco-allemande, celle de 14-18 et la défaite du Reich, Rosenberg poursuivait : « Depuis le 9 novembre 1918, les Juifs y règnent sans partage. L’Angleterre est devenue le patron d’Israël. Mais déjà des conflits se font jour entre elle et les États-Unis. Et à l’avenir de nouveaux déchirements de la race européenne. « Catholiques et protestants se tirent dessus sur une musique écrite par un Juif » (commentaire de Frédéric-Guillaume de Prusse sur les Huguenots de Meyerbeer). » À moins que certains auteurs connaissent trop bien cette sombre histoire et se rangent précipitamment sous le drapeau de la nouvelle croisade contre le Croissant ! ■ 1

Henryk M. Broder, Hurra, wir kapitulieren ! Von der Lust am Einknicken (Du plaisir à se soumettre), Siedler, Berlin, 2006. Traduction : J. A. 2 Broder condamne ici le refus de faire participer l’armée allemande à la « guerre contre le terrorisme », assimilée à une politique d’apaisement dont les Accords de Munich seraient la référence. 3 En présentation du livre cité. 4 Traduit en allemand chez Diogenes, Zurich, 2009.

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réfléchir Une lutte, que dis-je, une résistance ! YOURI VERTONGEN À la jeunesse upjbienne, qui ne peut rester couchée

L

e dernier constat concernant la lutte des sanspapiers à Bruxelles est alarmant : directive européenne « Retour », construction d’un nouveau centre fermé pour « enfermés récalcitrants », nombre d’expulsions quotidiennes en augmentation, dédain politique et public devenu habituel… Dans le dossier de l’immigration, rien ne va plus ! Pourtant, après que plusieurs d’entre nous aient goûté de la matraque, que nombre de camarades aient été fichés et (pour)suivis en justice, nous ne démordons pas de la lutte que nous menons au quotidien avec ceux que l’on traite, sans considération aucune, d’ « illégaux », de « clandos » ou de « main-d’œuvre flexible et bon marché ». Si nous défilons chaque semaine, chaque jour dans les rues de Bruxelles, ce n’est pas pour le plaisir malin de se vêtir de noir, de porter masques, cagoules et calicots. Ce n’est pas non plus dans un souci d’abnégation humanitaire. Aider l’« autre » parce qu’« il est trop faible », parce qu’il est « victime » nous semble paternaliste, infantilisant et totalement contraire à notre adage de se battre avec les personnes sans-papiers et non pour elles. De plus, imposer le sens du « Vrai », du « Bon », du

« Bien » nous semble d’une subjectivité incohérente dans un environnement tout sauf manichéen. Si nous nous heurtons à la rue, ce n’est pas non plus pour défendre un système de « justice ». En effet, aucun de nous n’a la prétention, contrairement aux associations politiques, de définir ce qu’est « le (dés)Ordre Juste ». Celui-ci est inhérent à chacune de nos existences respectives, correspond à un référentiel individuel que nous définissons tous pour nous-même mais qui ne cadre avec aucune réalité tangible. Par contre, nombre d’entre nous assurent que la « justice » (sous-entendu le pouvoir judiciaire) n’est que complice du système de contrôle, de répression que nous subissons. « Police partout, justice complice ». Nous observons qu’ici et aujourd’hui, le « juste judiciaire » contrôle, le « juste judiciaire » rafle, le « juste judiciaire » expulse. Comprenez : hic et nunc, il est « judiciairement juste » de propager « l’Injustice » ! Ce n’est donc pas ce sentiment qui nous anime, qui nous excite, qui nous galvanise. Pas plus d’ailleurs que l’accomplissement de la « Démocratie », concept fallacieux qui, même s’il est jalousé dans certains pays dictatoriaux, est rendu caduc dans nos sociétés occidentales tant il correspond à une

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confiscation de la voix populaire par un establishment particratique rarement alterné en théorie, jamais en pratique ! « Le moins pire des systèmes politiques » ne sert plus que les quelques qui le détraquent. Nous ne nous agitons donc pas pour défendre ce que la société hégémonique protège. Notre action s’inscrit dans une perspective politique, rejetant de fait les concepts d’utopie, d’humanitaire ou de gageure. Elle se base sur une réflexion discursive : le cheminement de notre constat se lie à la prérogative majeure de l’État-nation : la « Sécurité » des citoyens qui le composent. « Sécurité physique » d’abord : nous connaissons déjà les contingents de policiers, les contrôles inopinés à la sortie des métros, nous découvrons maintenant la multiplication des caméras, la centralisation de l’information dans les puces RFID et la mise à disposition d’autres moyens de surveillance sociale plus diffus (Facebook, Google, MSN Messenger, Internet en général). « Sécurité économique » ensuite : contrôle fiscal, pression sur les salaires, relance de la croissance quel qu’en soit le coût… Enfin, l’État-nation se borne encore et toujours à établir une « Sécurité culturelle » : en ce sens, on


Centre fermé de Vottem

établit des quotas d’immigrés, on expulse les surplus humains, on marginalise et criminalise les différences. Mais l’État-nation, par la « protection » abrutissante du « citoyen », assure surtout sa propre pérennité. Sur-protéger le citoyen c’est l’instrumentaliser, le déresponsabiliser. C’est lui assurer que les « Gestionnaires de l’Ordre » (gouvernement, parlement, justice) le remplacent dans la dure tâche de la pensée. C’est lui impulser l’idée factuelle que tout est sous « contrôle », qu’il n’y a rien à vivre, « rien à voir », « rien à dire », qu’il y a juste « à circuler » ! Surprotéger le citoyen, c’est le convaincre d’être d’accord avec le désordre établi et par là, lui assurer que toute résistance au système serait vaine et violemment réprimandée. « Soit tu roules dans les rails, soit on te déraille ! ». Peu d’alternative, en effet, à un problème présenté comme étant dichotomique… Or, si les avantages de la « Sécurité » de survie que nous connaissons (allocations de chômage, allocations de santé, maintien du « pouvoir d’achat (?) »,…) nous sont accordés au détriment de l’émancipation des « indésirés », alors nous disons : Not in my name ! Nous ne laisserons guère notre prétendue citoyenne-

té entraver la liberté et la vie de nos frères de lutte. Ils nous apportent cent fois plus que le système de redistribution en perdition que nous connaissons. Nous partageons mille fois plus avec eux qu’avec un quelconque représentant politique ou syndical (personne ne peut représenter personne quoi qu’on en dise). Nous refusons le sort qui est fait aux personnes « sans-papiers » : exploitations, rafles, discriminations justifiées sur base économique. Toute cette « normalité politique » nous écœure ! Alors nous crions, alors nous occupons, alors nous bloquons ! Nous créons la cassure, la lézarde dans un monde de flux toujours en « mouvement statique » vers une nouvelle régression. Nous faisons exister la situation dans un désert où plus rien n’existe. Nous pensons le réel dans un système d’illusions. Portés par les grévistes guadeloupéens, les universitaires français, les révoltés grecs et les déportés du monde entier. Nous refusons qu’en notre nom et au nom de notre « bien-être », l’État hiérarchise les identités, s’autoproclame juge, juré et bourreau et divise nos forces sur des critères aussi subjectifs que la couleur, la langue ou la culture. En notre nom et au nom de notre « bien-être », nous prenons parti et

nous nous opposons. D’aucuns nous taxeront de dictateurs. Nous n’en sommes rien ! Nous n’imposons à autrui rien de plus que notre liberté et la possibilité pour eux d’y réfléchir. D’autres nous traiteront de « détraqués ». Ceux-là comprendront peut-être que l’activisme est un moindre détraquement dans un univers se voulant indétraqué et indétraquable. Mais à ceux qui nous lancent que nos actions ne servent à rien, nous rétorquons sans hésiter qu’aucun de nous ne prétend à l’exactitude, à la certitude, au « vrai », au « véritable ». Nous ne faisons que sonder nos vies, penser nos existences conjuguées et agissons en conséquence. Il n’y a pas de solution, nous le savons ! Mais les aberrations de la machine, la violence des rapports marchands et la répression de nos idéaux ne méritent pas de perdurer… Las de voir nos existences se résumer par un diplôme et un salaire, marre de voir s’écouler tant de « vies » sans couleur, sans joie et sans chanson… nous luttons ! Nous luttons avec ceux qu’on appelle les « sans-papiers » parce qu’ils sont nos semblables, parce que nous sommes tous des « sanspapiers ». ■

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Yiddish ? Yiddish ! PAR WILLY ESTERSOHN

M]rg]p reuuenewek keshenever pogrom Le pogrom de Kichinev Il y a quelques semaines, en décembre dernier, Chisinau, la capitale de la Moldavie, a été le théâtre d’une manifestation publique d’antisémitisme. Sous l’impulsion d’un prêtre orthodoxe, et avec les encouragements d’une centaine de personnes, la menorah qui se dressait sur l’une des places de la ville a été déboulonnée et remplacée par une croix orthodoxe. Il faut se souvenir que Chisinau s’appelait Kichinev à l’époque où elle faisait partie de l’empire tsariste. Et Kichinev est l’un de ces noms qui résonnent douloureusement dans la mémoire collective ashkénaze. C’est là que se déroula en 1903, au moment de la célébration de la Pâque juive, le pogrom le plus sanglant jamais perpétré en Russie : 47 morts, 600 blessés et 700 habitations détruites. L’horreur suscitée par l’événement secoua les milieux démocratiques du monde entier. Le pogrom de Kichinev devint rapidement, notamment aux États-Unis, le thème d’innombrables poèmes et chansons. Celle que nous publions ici est anonyme.

xsp g]t Ntwre Med peysekh tog ershtn dem ,tc=rbr=f Celiirf Jn=g CeledYi Nb]h farbrakht freylekh gants yidelekh hobn jgx g]t Ntqel Med Nuj khoge tog letstn dem un .tc=meg birx uuenewek Nem t]h gemakht khorev keshenev men hot tlgniregmur= uuenewk arumgeringlt

keshenev

,s=f id dedn]b = iuu iuz= fas di bonder a vi azoy rednik Nuj sem=m Nuj set=t kinder un mames un tates .s=g Nij Nl=feg NenUz gas in gefaln zaynen

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! widYi ? widYi ,lmih Nij t]g ud ,iuj himl

in

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,zdnuj uq p]r= Niuw kuk undz tsu arop shoyn kuk ,lmut Med tim wer Med r]n tc=rt=b tuml dem mit rash dem nor batrakht .zdnuj Nij Mkun Ciz Nenez Miiug id iuu undz in noykem zikh zenen goyim di vi TRADUCTION Le premier jour de Pâque / Les Juifs l’ont passé très joyeusement / Et le dernier jour de fête / On a anéanti Kichinev. Kichinev encerclé / Comme le fût par un tonnelier (comme un tonnelier le fût) / Des pères et des mères et des enfants / Sont tombés dans la rue. Oh, toi, Dieu du (dans le) ciel / Baisse enfin ton regard vers nous / Observe donc le vacarme et (avec) la turbulence / Comment les Gentils exercent leur vengeance sur (dans) nous.

REMARQUES CeledYi yidelekh : plur. de eledYi yidele : dimin. affectueux de dYi yid = Juif. tc=rbr=f farbrakht : part.passé de Negnerbr=f farbrengen = passer (du temps). jgx khoge (hébr.) = fête (chrétienne, précise le dictionnaire de Niborski et Vaisbrot). birx khorev (hébr.) = dévasté, anéanti ; également : fort malade. Nkuk kukn = regarder. p]r= arop = vers le bas. wer rash (hébr.) = bruit, vacarme. lmut tuml = vacarme, agitation, tumulte. Miiug goyim : pluriel de iug goy = non-Juif (Gentil). NUz Mkun Ciz zikh noykem zayn = se venger.

Oeuvre musicale composée à New York, en 1904, à l’occasion du premier anniversaire du massacre de Kichinev

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LE

DE LÉON LIEBMANN

Quand la justice belge se juge ellemême... mais ne se déjuge pas !

J

’ai, dans mes trois précédentes chroniques, passé en revue les principales sortes de dysfonctionnements qui sévissent de manière endémique et entachent gravement le cours de la justice dans notre pays. Si elles ne sont que le fait d’une minorité de personnes appartenant au pouvoir judiciaire ou relevant du pouvoir exécutif, elles entretiennent tant chez les professionnels que parmi les simples justiciables l’idée que la Justice est un leurre et que, pour l’avoir de son côté, il faut être « protégé » par une ou, de préférence, plusieurs personnalités influentes dans les milieux politique et (ou) judiciaire. Cette mauvaise réputation, hélas fort répandue, procède chez ceux qui l’accréditent d’une généralisation hâtive et exagérée. Mais pour en venir à bout, seules la poursuite et la condamnation de tels actes pourront mettre fin à cette impunité. Une occasion « en or » s’offrait aux membres du Conseil Supérieur de la Justice (CSJ), instance officielle composée paritairement de hauts magistrats et de spécialistes attitrés du droit judiciaire : s’étant lui-même saisi du volet institutionnel de « l’affaire Fortis », il a, au terme d’une enquête ayant duré près d’une année, fait publiquement connaître son rapport. On peut en résumer comme suit

les objectifs recherchés et les résultats auxquels ces éminents juristes ont abouti. Les objectifs fixés : les enquêteurs ne se sont pas souciés d’établir, dans les relations qui se sont nouées entre magistrats et membres de cabinets ministériels, les faux-pas et les responsabilités subséquentes de ces conciliabules discrets, extralégaux et parfois même illégaux et illicites. Leur but était, je les cite, « de pointer des dysfonctionnements structurels et non pas des fautes individuelles ». Pour cela, précise Nadia Devroede, membre du bureau du CSJ, il existe des procédures disciplinaires et pénales alors que, selon elle, le CSJ a pour mission de faire des recommandations en vue d’améliorer le système. Les résultats obtenus : Le rapport distingue deux sortes d’interventions « litigieuses » : celles entamées par un magistrat compétent pour traiter cette méga-affaire et un magistrat d’un niveau supérieur et cela pour être « couvert » par une personnalité plus importante et mieux en cour ; la seconde sorte de ce type de conversations secrètes procède de contacts entre des magistrats « compétents » et des « politiques » afin de s’entendre sur ce qui conviendrait aux uns et aux autres. Les auteurs du rapport ajoutent à ce propos « qu’aucun élément recueilli (par les enquêteurs)

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ne permet d’affirmer que des membres du Ministère public, tant en première instance qu’en degré d’appel, auraient pris en considération d’éventuelles pression dans l’élaboration de leurs avis ». Le Conseil suggère à ce propos de limiter les détachements de magistrats à la « cellule stratégique » du ministre de la Justice à l’exclusion de tous les autres cabinets ministériels. Autre limitation recommandée : si des contacts informels doivent s’établir entre des « politiques » et des magistrats, ils devraient « transiter par la hiérarchie et laisser une trace écrite ».

Q

ue doit-on en retenir et que faut-il penser de cette prise de position à ce point nuancée qu’elle peut paraître laxiste ? Il y a au moins une personnalité publique, le sénateur Bart Tommelein, qui a présidé la commission parlementaire « Fortis », qui s’est appuyé sur ce rapport qui lui a permis d’être conforté dans sa propre opinion partagée par ses collègues. Il s’exprime à ce sujet comme suit : « si la conclusion du Conseil Supérieur est de dire qu’il n’y a pas eu d’immixtion du politique, mais qu’un certain nombre de contacts inopportuns ont été constatés, cela signifie que les conclusions de la commission d’enquête (celle qu’il avait


lui-même présidée) étaient correctes ». Je ne partage pas du tout ce satisfecit empressé et intéressé car mon appréciation au sujet du travail effectué par le CSJ est fort différente. Ces contacts jugés seulement « inopportuns » par le président de la Commission d’enquête parlementaire, étaient en réalité totalement interdits : ils enfreignaient le principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs, en l’occurrence du pouvoir judiciaire et du pouvoir exécutif.

L

e Conseil Supérieur de la Justice avait, pour sa part, conclu à l’existence de ces contacts mais il avait assorti ce constat d’une restriction qu’il avait considérée comme cruciale et même décisive : il n’est, selon ledit Conseil, pas établi que les magistrats du ministère public qui y avaient pris part auraient pris en considération ces éventuelles pressions dans l’élaboration de leurs avis. Le CSJ cette fois a, selon la formule juridique consacrée, « fait bénéficier les intéressés du doute, lui-même générateur de la présomption d’innocence ». Pour saisir la ténuité et la faiblesse de ce raisonnement, je suggère d’avoir à l’esprit ce que le simple bon sens incite à tenir pour acquis : quand un proche collaborateur d’un ministre prend contact avec un magistrat du ministère public à propos d’une affaire dans laquelle intervient ce magistrat, ce n’est pas pour échanger avec lui des propos académiques. Ce ne peut être que pour connaître l’état actuel du dossier dont la Justice est saisie et l’orientation que le parquet compétent veut lui donner. Le but de pareille démarche est,

manifestement, de peser de tout le poids politique du ministre concerné dans le cours de l’instruction de ce dossier et de « suggérer » à son interlocuteur telle prise de position plutôt que telle autre et cela afin d’obtenir une décision aussi conforme que possible aux intérêts de ce Ministre et de son parti. Dans le cas inverse - celui où c’est le magistrat, assis ou debout, qui est à l’origine d’un tel « contact » - la motivation n’est pas très différente : informer le cabinet ministériel d’un ministre directement ou indirectement concerné par une affaire judiciaire de son état d’avancement et de l’orientation adoptée par les magistrats compétents pour arriver à sa solution. Pareille démarche équivaut à une invitation, évidemment officieuse et forcément destinée à rester discrète et même secrète, à intervenir à temps pour donner le « feu vert » à l’élaboration d’une décision judiciaire « satisfaisante » pour les deux parties.

O

n peut dire cela de façon plus crue ou, au contraire, plus feutrée eu égard à la fonction exercée par la personnalité du « démarcheur » et de l’étendue de ses liens avec le ministre ou le parti de ce ministre. Mais, en tout état de cause, il s’agit soit d’une immixtion directe du pouvoir exécutif dans une affaire judiciaire soit d’un appel émanant d’un magistrat proche du parti auquel appartient la personne que l’on met ainsi au courant en vue de connaître sa « préférence ». Pareil dévoiement doit évidemment être prouvé pour être dénoncé et sanctionné.

Mais c’est, très précisément, le cas en l’espèce puisque tant les enquêteurs de la commission parlementaire que ceux du Conseil Supérieur de la Justice ont pu l’établir à propos des conciliabules destinés à rester secrets et susceptibles d’amener le Ministère public à adopter telle position plutôt que telle autre pour donner satisfaction au « clan » qu’il veut favoriser. Les uns et les autres ont, sinon dans le choix des termes utilisés, fait comprendre à leurs lecteurs « privilégiés » dans quel sens il fallait agir pour s’inspirer de leurs propres conclusions et ne pas sanctionner ni les « informateurs » ni ceux que ces derniers ont informés qui ont eu ce genre de contacts parce qu’il n’est pas établi que ceux-ci ont amené les magistrats concernés à infléchir dans le sens souhaité par leurs interlocuteurs leur propre prise de position. Il reste à savoir si ceux qui auront à statuer dans les procédures disciplinaires et pénales engagées contre les personnes suspectées de tels agissements dans « l’affaire Fortis » de participation active dans les actes relevant d’entorses flagrantes et délibérées aux règles les plus élémentaires de la séparation des pouvoirs oseront trancher dans le vif et ne se contenteront pas de solutions « chèvre-choutistes ». Nous suivrons attentivement l’évolution de ces « affaires dans l’affaire (Fortis) » et nous verrons si les magistrats qui en sont saisis se risqueront à déjuger ceux qui ont préféré se voiler la face et absoudre les coupables sans même les nommer. Le scepticisme au sujet de leur éventuelle rigueur est… de rigueur ! ■

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cultes et laïcité Pour un autre calendrier CAROLINE SÄGESSER

L

a période de Noël et de la Saint-Sylvestre que nous avons traversée il y a peu est souvent le moment de s’interroger sur la signification de ces fêtes, que ce soit à titre individuel ou collectif, et sur la pertinence qu’il y a à continuer de célébrer des fêtes d’origine chrétienne. À ce sujet, relevons que la célébration du Nouvel an n’est guère plus dégagée d’une origine religieuse que la fête de Noël. Bien qu’elles aient l’une et l’autre des racines païennes, l’Église catholique les a récupérées et a fait, tant de l’anniversaire de la naissance de Jésus que de la Saint Sylvestre, des fêtes du calendrier religieux. Notons ici que Sylvestre fut pape du IVème siècle. C’est sous son pontificat que l’empereur Constantin dit le Grand fit du christianisme la religion officielle de l’Empire romain : persécuteurs et persécutés changèrent alors, durablement, de camp. Sylvestre serait mort le 31 décembre 335, ceci expliquant cela. Chacun choisit de célébrer ou non ces fêtes et d’autres, celles du calendrier chrétien ou celles du calendrier juif, en fonction de sa sensibilité, de ses souvenirs d’enfance, ou encore des habitudes et desiderata de son conjoint ; c’est une opportunité que chacun

estime librement et il n’y a pas en la matière de bonne ou de mauvaise décision, faire la fête ou non n’ayant somme toute qu’un impact très limité sur l’orientation générale de nos vies et sur nos engagements. En revanche, tout ce qui contribue à faire de certaines dates des moments de célébration collective, alors qu’il s’agit de fêtes religieuses, peut être questionné. S’il est probablement vain de lutter contre le marketing agressif des magasins lors des fêtes de fin d’année, ou la décoration des espaces publics et privés, il est possible de s’interroger sur le bien fondé de la sanction accordée par les pouvoirs publics qui font de ces fêtes des jours fériés obligatoires. La Belgique compte dix jours fériés obligatoires, dont au moins six sont des fêtes de l’Église catholique: le lundi de Pâques, l’Ascension, le lundi de la Pentecôte, l’Assomption (15 août), la Toussaint et la Noël. Les quatre autres jours chômés sont le 1er mai, le 11 novembre, le 21 juillet, et le 1er janvier, cette dernière date étant plus dégagée d’un contexte religieux que les six énoncées plus haut. Le maintien d’une majorité de jours fériés catholiques a-t-il encore du sens dans une société qui comprend de très importantes minorités d’origine non chrétienne,

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et qui s’est par ailleurs fortement sécularisée dans la seconde moitié du siècle dernier ? D’autre part, l’imposition par l’État d’un chômage obligatoire le jour de certaines fêtes religieuses est difficilement compatible avec le principe de séparation de l’Église et de l’État. Tant en France qu’en Belgique, des groupes de réflexion chargés de proposer des adaptations de la législation à l’évolution de la société ont recommandé de permettre aux croyants d’autres confessions que chrétiennes de s’absenter de l’école ou du travail lors de leurs fêtes. Cette recommandation de la Commission Stasi (France, 2003) et de la Commission du Dialogue interculturel (Belgique, 2005) est restée lettre morte. Certes, bien souvent, les directions d‘écoles permettent aux élèves de s’absenter, mais il ne s’agit que d’un accommodement de fait, et non de la reconnaissance explicite d’un droit, très importante sur le plan symbolique. Deux objections à une modification du calendrier sont souvent entendues : les fêtes religieuses non chrétiennes, en l’occurrence juives et musulmanes, sont mobiles par rapport à notre calendrier grégorien et donc difficiles à gérer : c’est oublier que trois des six


Le dictionnaire Larousse des Fêtes de France est, nous dit la quatrième de couverture, consacré aux fêtes qui « portent le poids vénérable de notre histoire et de nos traditions »

fêtes catholiques chômées (Pâques, l’Ascension et la Pentecôte) sont également mobiles, pour ne rien dire du Carnaval dont on continue à s’assurer que le mardi gras fait bien partie de la semaine de congé d’hiver octroyée aux écoliers, sans que cela cause d’insurmontables problèmes d’organisation. La seconde objection à la reconnaissance de l’égalité des droits au congé pour les croyants des confessions non chrétiennes est la difficulté de gérer des congés qui seraient différents pour tous. Cette objectionlà m’a longtemps paru valable, et il me semblait que, sauf à établir un nouveau calendrier révolutionnaire, nous étions condamnés à vivre tous selon le rythme édicté par l’Église catholique. La solution m’est apparue récemment au cours d’une conversation avec Nadia Geerts, que je remercie de me l’avoir suggérée : pourquoi ne pas donner à tous congé le jour de la fête la plus importante de chaque communauté présente dans notre pays ? Cette sim-

ple mesure ne ferait-elle pas plus pour favoriser la rencontre entre les différentes communautés que l’organisation de bien des forums de dialogue ? La question du choix des dates se pose évidemment. Le plus simple serait d’en confier le choix à l’organe représentatif de chaque culte reconnu dans notre pays, ce qui permettrait également de mettre fin à la pratique de l’imposition par l’État du chômage de fêtes religieuses. Par hypothèse, nous pourrions connaître une année où Noël, Pâques et le 15 août seraient toujours des jours fériés, car les cultes chrétiens se seraient entendus à cet effet : les anglicans auraient opté pour Noël, les protestants pour Pâques, laissant aux catholiques la possibilité de choisir le 15 août, qui leur est propre. Nous célébrerions en outre la Pâque orthodoxe, qui ne tombe pas au même moment que dans les Églises occidentales, et nous aurions tous congé pour Yom Kippour et l’Aïd el Adha ou l’Aïd el Fitr… ■

Le mois dernier cette chronique évoquait la votation du 29 novembre par laquelle les Suisses ont approuvé l’interdiction de construction de minarets sur le territoire de la Confédération. Relevons ici qu’en matière de jours fériés, certains cantons suisses ont des dispositions législatives très contraignantes souvent héritées du Moyen-âge. C’est ainsi que l’an dernier, un débat politique très houleux a finalement abouti à la levée de l’interdiction de danser les jours fériées dans le canton de Lucerne, qui était en vigueur depuis 1428. La majorité était particulièrement courte, puisque 51 députés ont voté en faveur de la levée de l’interdiction, alors que 50 souhaitaient la maintenir. À maints égards, la Suisse est un pays conservateur ; cependant, les dispositions régissant les jours fériés semblent, là comme ailleurs, particulièrement difficiles à réformer, sans parler d’une uniformisation au niveau fédéral qui n’a jamais été à l’ordre du jour. Majorité catholique ou protestante, particularisme locaux déterminent toujours le calendrier à un niveau cantonal.

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activités vendredi 5 février à 20h

En collaboration avec l’Institut Marcel Liebman

Auditoire 1301 - ULB, Campus du Solbosch

Les Arabes et la Shoah. La guerre israélo-arabe des récits Conférence-débat avec

Gilbert Achcar, L’historien d’origine libanaise Gilbert Achcar vient de publier une imposante étude (525 pages) sur l’histoire des réactions arabes au nazisme et à l’antisémitisme. Son analyse distingue donc entre deux périodes, « le Temps de la Shoah 1933-47 » et « le Temps de la Nakba 1948 à nos jours » et traite successivement des attitudes présentes vis-à-vis des Juifs, de l’antisémitisme et de la Shoah parmi les quatre grands courants politico-idéologiques du monde arabe : les occidentalistes libéraux, les marxistes, les nationalistes et les panislamistes réactionnaires et intégristes (c’est à ce dernier courant qu’appartenait le fameux Amin al-Husseini, le mufti collaborateur des nazis). Ce cadrage historique, appuyé sur une érudition impressionnante, apporte aux lecteurs les balises indispensables pour distinguer entre l’exercice du jugement politique et les effets de propagande. PAF: 4 EURO, tarif réduit: 2 EURO

vendredi 12 février à 20h15 Conférence-débat avec

Alain Brossat,

professeur de philosophie à l’université de Paris 8 Affiche électorale du Bund

autour de son livre coécrit avec Sylvie Klingberg

Le Yiddishland révolutionnaire Ils sont montés sur toutes les barricades du siècle, des avenues de Petrograd aux ruelles du ghetto de Varsovie, de la lutte antifranquiste à la résistance antinazie, les révolutionnaires du Yiddishland. Pour la plupart enfants de la misère juive d’Europe centrale, militants socialistes, communistes, bundistes, sionistes, trotzkystes... ils incarnaient l’activité multiple, le radicalisme d’une classe ouvrière juive. Ce livre retrace le combat de ces militants, leurs trajectoires singulières. PAF : 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit : 2 EURO

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vendredi 26 février à 20h15 Conférence-débat avec

Esther Benbassa, directrice de recherche au CNRS (Paris), directrice d’études à la section des sciences religieuses de l’École pratique des hautes études, où elle est titulaire de la chaire d’histoire du judaïsme moderne

à propos de son dernier livre

« Être Juif après Gaza » « ... Si beaucoup ne sont Juifs que par l’identification à Israël, alors celui-ci se doit d’être éthique, pour qu’être Juif ait encore un sens. Sinon à quoi bon l’être ? L’être pour porter le poids de la honte de ce que fait Israël aux Palestiniens, de sa violence, de sa démesure ? » PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO

vendredi 5 mars à 20h15 L’histoire méconnue de l’antisionisme juif Conférence-débat avec

Jacques Aron, auteur, entre autres, de Le sionisme n’est pas le judaïsme, essai sur le destin d’Israël À partir de 1791, la perspective de l’émancipation des Juifs d’Europe semblait avoir éteint le rêve religieux ancestral du retour, surtout après l’échec du « messie » Sabbataï Tsevi (1626-1676). De grandes organisations s’étaient formées pour défendre l’octroi des droits civils aux citoyens juifs de tous les États (congrès de Berlin, 1878). L’assassinat du tsar en 1881, les pogroms et l’émigration massive qui suivirent déstabilisèrent les communautés les mieux intégrées et entraînèrent l’établissement de colonies de peuplement en Palestine. À partir de 1897, le sionisme politique, avec l’appui d’une fraction des autorités rabbiniques, s’insinua dans le jeu diplomatique des grandes puissances en Orient. En réaction, différents courants antisionistes se formèrent pour des raisons religieuses, sociales, politiques et culturelles très diverses. La conférence abordera avant tout l’attitude des communautés allemandes, dont la minorité sioniste tenta d’arracher la direction à la majorité de tendance libérale réformée. Une lutte interne en pleine ascension du nazisme. PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO

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UPJB Jeunes Trois équipes, huit bougies, huit épreuves, quelques latkes et des toupies NOÉMIE SCHONKER

« Hanukka, Hanukka, c’est la plus belle, la plus jolie, la plus gaie, c’est la plus chouette. Ensemble nous jouons à la toupie, nous mangeons des latkes de bon appétit ! En avant les enfants, allumez les jolies bougies...»

« Nous sommes en l’an 167 A.C. De guerres, en dettes de guerre, de successions en assassinats, Antioche « le moche » arrive au pouvoir et on ne sait quelle mouche le pique soudain, mais toujours est-il qu’il commet l’erreur qu’il ne devait à aucun prix commettre… »

« Un adulte accompagné d’un enfant de chaque équipe doit venir chanter la chanson de Hanukka sans faire de faute, la meilleure équipe allumera la prochaine bougie »

Pause café bien méritée… Les papilles gustatives s’affolent au contact des délicieuses latkes et des soufganyot. Ça dégouline de graisse, le sucre recouvre les tables.

Enfin, les chocotofs sont mis en jeu (et dans les poches), les toupies sont lancées… le sort jeté

« Chaque équipe réalise une statue vivante de hanukkia, la meilleure… »

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Carte de visite L’UPJB Jeunes est le mouvement de jeunesse de l’Union des progressistes juifs de Belgique. Elle organise des activités pour tous les enfants de 6 à 15 ans dans une perspective juive laïque, de gauche et diasporiste. Attachée aux valeurs de l’organisation mère, l’UPJB jeunes veille à transmettre les valeurs de solidarité, d’ouverture à l’autre, de justice sociale et de liberté, d’engagement politique et de responsabilité individuelle et collective. Chaque samedi, l’UPJB Jeunes accueille vos enfants au 61 rue de la Victoire, 1060 Bruxelles (Saint-Gilles) de 14h30 à 18h. En fonction de leur âge, ils sont répartis entre cinq groupes différents.

Bienvenus pour les enfants de 6 ans ou qui entrent en

Les 1ère primaire Moniteurs :

Shana : 0476/74.42.64

Volodia : 0497/26.98.91 Les

Janus Korczak pour les enfants de 8 à 9 ans

Moniteurs : Max : 0479/30.75.71 Mona : 0474/42.37.74 Les

Émile Zola pour les enfants de 10 à11 ans

Moniteurs : Fanny : 0474/63.76.73 Lucas : 0476/56.72.37

Ambiance familiale, conviviale pour cette douce après-midi de décembre au 61 rue de la Victoire…

Les

Yvonne Jospa

pour les enfants de 12 à 13 ans

Moniteurs : Cyril : 0474/26.59.09 Ivan : 0474/35.96.77 Félicia : 0472/62.06.95 Les

Mala Zimetbaum

pour les enfants de 14 à 16 ans

Moniteurs : Alice : 0476/01.95.22 Théo : 0485/02.37.27

Informations : Noémie Schonker - noschon@yahoo.fr - 0485/37.85.24

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écouter D’une chanson à l’autre NOÉ RENAUD, « MOLLY MALONE - BALADE IRLANDAISE », TIN TIN !

TIN

« - Il est juif, Renaud ? - Non, d’origine protestante - Il était à l’UPJB quand il était petit ? - Non, il vivait à Paris, porte d’Orléans - Qu’est-ce qu’il fait dans le Points Critiques de ce mois, alors ? - Il n’était pas à l’UPJB, mais par moment, il aurait pu en être. C’est pourquoi, le chanteur « engagé », un des plus grands artistes vivants, à mes yeux, dont le der-

nier bijou est dans les bacs depuis octobre 2009, a tout à fait sa place ce mois-ci. » Le nouvel opus de Renaud est très bon. Il n’y parle plus de son Hexagone mais ne se déconnecte pas totalement du social ; les usines irlandaises sont, par exemple, bien présentes. Cet album est parfait pour ceux

qui ont le mal de mer ou peur en avion, il nous fait voyager depuis notre petite Belgique et sent la Guinness à plein nez jusque dans notre lecteur CD. Il est composé de treize balades irlandaises, chantées depuis la nuit des temps dans les pubs, traduites et adaptées en français par Renaud. Les arrangements sont simples (tambourins, guitares acoustiques, banjos, cornemuses,…) et les traductions sont vraiment très belles. Ça fait du bien, parfois, la simplicité. La voix ? Enfumée, plus que jamais, a pris du grain. On est loin de « Mistral Gagnant » mais, en trente-cinq ans de carrière, c’est rassurant de savoir que Renaud n’a pas fait un sur-place vocal. Il vieillit, plus vite que certains, mais bien mieux que d’autres. On est surpris à la première écoute, on est ému, et puis on s’habitue, et on aime. Et Renaud est-il fidèle à la musique irlandaise ? Oui, je peux vous le garantir, j’ai été jusqu’à Dublin pour le vérifier. Un des albums de l’année le plus boudé par la presse se vend comme des petits pains, et en plus, il a le mérite d’être très réussi. Où est le problème ? Et que ceux qui veulent entendre le Renaud « d’avant », énervé-énervant, n’ont qu’à l’écouter, les quinze albums studio précédents sont là pour ça et n’ont pas pris une ride !

« BEST OF» JEAN FERRAT-CD 3 VOLUMES Non mais vous y croyez ? Eh

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bien oui, Jean Ferrat (Jean Tenenbaum) septante-neuf ans, juifcommuniste dont le père est mort à Auschwitz, est de retour chez tous les disquaires. Et oui… Quinze ans après son dernier album studio et sept ans après son dernier live, l’auteurcompositeur-interprète de « Ma France » (1969), du magnifique « Nuit & Brouillard » (1963), ou encore de « Camarade », revient sous la forme d’une compilation. Alors, que ça soit bien clair, une compilation n’a jamais été le fruit d’un long travail de réflexions et d’hésitations. On est d’accord, Sony Music s’est contenté de prendre les plus grands succès de ce poète (y compris ses belles adaptations des poèmes d’Aragon comme « Que serais-je sans toi » ou « Aimer à perdre la raison») et de les caser sur trois CD’s. Il n’y a donc rien de neuf.

Et ça marche ? Oui, Ferrat est la sixième meilleure vente française du moment. Essayez de trouver ce dernier Best of à la Fnac ou chez Média


est le mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique (ne paraît pas en juillet et en août)

Markt en période de Noël, même en temps de crise, je vous assure, c’est la galère. Mais comme tout ce qui se vend n’est pas forcément bon, je vous le dis, les arrangements n’ont pas exagérément vieilli, les textes sont toujours aussi poétiques et sa belle voix grave fait du bien. Alors, peut-être bien que s’il se remettait à enregistrer, il ferait les mêmes erreurs que ses collègues et sur-orchestrerait ses chansons mais du fond de ses montagnes d’Ardèche, il en pense quoi , de « sa » France, aujourd’hui ?

« NEW YORKER (HOMMAGE À BOB DYLAN) »…CAR LE MONDE ET LES TEMPS CHANGENT… En 1965, Hugues Aufray faisait découvrir Bob Dylan (Robert Zimmerman, de son vrai nom) à une partie de l’Europe en adaptant, en français, avec l’aide de Pierre Delanoë, les premières chansons de Dylan. Il venait de faire là le meilleur album de sa carrière : « Aufray chante Dylan » (avec les sublimes « Dieu est à nos côtés » et « La mort solitaire de Hattie Caroll »). Bien. Ça, c’était pour vous rappeler peut-être quelques souvenirs de jeunesse, de veillées autour d’un feu (moi-même, j’ai eu droit au magnifique « Les temps changent » comme chanson de camp UPJB). Il y a quelques semaines, Monsieur Aufray, 80 ans depuis peu, sortait un disque d’adaptations en français de chansons de Dylan… Comme en 1965 sauf que « New

Yorker » est composé de duos, que les adaptations françaises sont, pour la plupart, faiblardes et que le tout est raté. Nous avons donc droit à un bon paquet de versions plus imbuva-

bles les unes que les autres du grand Bob, comme : « Knock Knock, Ouvre-Toi Porte d’Or » en duo avec Bernard Lavilliers, « Jeune Pour Toujours » avec Johnny Hallyday, une version « sirop » de « N’y Pense Plus, Tout Est bien » avec Carla Bruni-Sarkozy et quand Aufray essaye ne serait-ce que de frôler l’originalité, ça donne un pratiquement inaudible « Tout L’Monde Un Jour S’est Planté » avec le très bon, mais décevant, cette fois-ci, Didier Wampas. La voix d’Hugues Aufray est aussi lisse qu’un cheveu chinois : pas une « imperfection », « fausse note », « cassure ». Non, une voix qu’on dirait tout droit sortie d’un ordinateur… Alors si vous voulez vous faire votre propre opinion du dernier opus d’Aufray et que, comme moi, vous n’êtes pas un adepte du téléchargement illégal, une petite balade chez Pêle-Mêle ou autres magasins de seconde main est largement suffisante. Et avec un peu de chance, on s’y croisera. ■

L’UPJB est membre de la Fédération des Juifs européens pour une paix juste (www.ejjp.org) et est soutenue par la Communauté française (Service de l’éducation permanente) Secrétariat et rédaction : rue de la Victoire 61 B-1060 Bruxelles tél + 32 2 537 82 45 fax + 32 2 534 66 96 courriel upjb2@skynet.be www.upjb.be Comité de rédaction : Henri Wajnblum (rédacteur en chef), Alain Mihály (secrétaire de rédaction), Anne Gielczyk, Carine Bratzlavsky, Jacques Aron, Willy Estersohn, Sender Wajnberg, Caroline Sägesser, Tessa Parzenczewski Ont également collaboré à ce numéro : Roland Baumann Jeremiah Haber Léon Liebmann Thérèse Liebmann Noé Noémie Schonker Andres Sorin Youri Vertongen Conception de la maquette Henri Goldman Seuls les éditoriaux engagent l’UPJB. Abonnement annuel 18 EURO Abonnement de soutien 30 EURO Devenir membre de l’UPJB Les membres de l’UPJB reçoivent automatiquement le mensuel. Pour s’affilier: établir un ordre permanent à l’ordre de l’UPJB (CCP 000-0743528-23). Montant minimal mensuel: 10 EURO pour un isolé, 15 EURO pour un couple. Ces montants sont réduits de moitié pour les personnes disposant de bas revenus.

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agenda UPJB Sauf indication contraire, toutes les activités annoncées se déroulent au local de l’UPJB, 61 rue de la Victoire à 1060 Bruxelles (Saint-Gilles)

vendredi 5 février à 20h

Les Arabes et la Shoah. La guerre israélo-arabe des récits. récits Conférence-débat avec Gilbert Achcar. En collaboration Achcar coll avec l’Institut Liebman. Auditoire 1301 - ULB, campus du Solbosch (voir page 26)

vendredi 12 février à 20h15

Conférence-débat avec Alain Brossat, professeur de philosophie à l’université de Paris 8, autour de son livre, Le Yiddishland révolutionnaire, coécrit avec Sylvie Klingberg (voir page 26)

vendredi 26 février à 20h15

Être Juif après Gaza. Conférence-débat avec Esther Benbassa, historienne (voir page 27)

vendredi 5 mars à 20h15

L L’histoire méconnue de l’antisionisme juif. Conférence-débat avec Jacques Aron, auteur (voir page 27)

Éditeur responsable : Henri Wajnblum / rue de la victoire 61 / B-1060 Bruxelles

club Sholem Aleichem Sauf indication contraire, les activités du club Sholem Aleichem se déroulent au local de l’UPJB tous les jeudi à 15h (Ouverture des portes à 14h30)

jeudi 4 février

« Ukraine, un nouvel État-nation ? » film et débat, par Jean-Marie Chauvier, chroniqueur au Monde diplomatique

jeudi 11 février

« Charles Plisnier, un écrivain engagé ? (à propos de Faux Passeports) », par Paul Aron, professeur à l’ULB

jeudi 18 février Congé

jeudi 25 février

L’actualité belge et internationale, commentée par Léon Liebmann, magistrat honoraire

Les agendas sont également en ligne sur le site www.upjb.be


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