n°302 - Points Critiques - janvier 2010

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mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique janvier 2010 • numéro 302

éditorial Populistes de tous les pays unissez-vous

Bureau de dépôt: 1060 Bruxelles 6 - mensuel (sauf juillet et août)

HENRI WAJNBLUM

A

insi donc, les Suisses éprouvent une profonde allergie aux minarets. C’est ce que 57,5% d’entre eux ont exprimé le dimanche 29 novembre lors d’un referendum d’initiation populaire initié par l’Union Démocratique du Centre (UDC), parti conservateur, et par l’Union des Démocrates fédéraux (UDF), parti de la droite dure et chrétienne, qui leur demandait de se prononcer pour ou contre la construction de minarets. La campagne menée par les partisans du contre a été extrêmement dure, leurs affiches « stylisant » les minarets en missiles, de manière à bien faire comprendre aux électeurs que l’Islam dans son ensemble constituait une vraie menace contre l’occident chrétien. Il ne faut donc

Les minarets de tous les dangers selon les partisans de leur interdiction

pas s’y tromper… Pour 57,5% de Suisses, ce n’est pas la présence de minarets qui pollue le paysage urbain helvète, c’est tout simplement celle des musulmans. Comme il fallait s’y attendre, la Suisse ayant ouvert la boîte de Pandore, les appuis ne se sont pas fait attendre… de là où on les attendait. Ainsi, Filip Dewinter, le matamore du Vlaams Belang s’est-il empressé de déclarer que « le bon sens l’a emporté sur le politiquement correct », al-

BELGIQUE-BELGIE P.P. 1060 Bruxelles 6 1/1511

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sommaire

éditorial ➜

éditorial

1 Populistes de tous les pays unissez-vous .............................. Henri Wajnblum

israël-palestine

4 L’Union européenne semble retrouver un filet de voix ........ Henri Wajnblum

lire

6 Raymond Federman. L’écriture de l’extrême.................Tessa Parzenczewski

réfléchir

7 « Sand ». Un point final ? ............................................................... Alain Mihály 8 Coups bas, chantages et règlements de compte ..................... Jacques Aron

lire, regarder, écouter

10 Notules de décembre ................................................................. Gérard Preszow

mémoire

12 Mishmash. Jouer avec l’Histoire et la mémoire intime ..... Roland Baumann

yiddish ? yiddish !

! widYi ? widYi

14 Putern-broyt - Pain beurré... .....................................................Willy Estersohn

humeurs judéo-flamandes

16 And the winner is .........................................................................Anne Gielczyk

le regard 18 La justice belge encore et toujours sur la sellette ................. Léon Liebmann

cultes et laïcité

20 Des minarets et des croix .................................................... Caroline Sägesser 22

activités histoire(s)

24 Le parcours de quatre résistantes ..................................................... Jo Szyster

upjb jeunes

28 l’UPJB-Jeunes, sur un air de .................................................. Noémie Schonker 32

les agendas

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lant jusqu’à comparer le résultat de la votation suisse au « combat de Guillaume Tell contre la domination des Habsbourg », excusez du peu ! La Ligue du Nord de Umberto Bossi, vous savez, celle qui veut mettre la croix chrétienne sur le drapeau italien, n’a pas voulu être de reste qui évoque « une leçon salutaire parce que les racines chrétiennes d’une culture ont été redécouvertes », et, Geert Wilders, le leader du Partij voor de Vrijheid (PVV), un parti populiste violemment islamophobe, a tenu à féliciter les Suisses pour ce qu’il appelle un « magnifique résultat », voyant dans le référendum suisse « un exemple pour les Pays-Bas ». Personne ne s’étonnera non plus de la réaction de Marine Le Pen, vice-présidente du Front National, appelant les « élites » à « cesser de nier les aspirations et les craintes des peuples européens qui, sans s’opposer à la liberté religieuse, rejettent les signes ostentatoires que veulent imposer des groupes politico-religieux musulmans, souvent à la limite de la provocation ». Si les gouvernements européens se sont montrés, dans leur ensemble, extrêmement critiques sur le résultat du scrutin suisse, il n’y en pas moins eu certains bémols. Ainsi, Nicolas Sarkozy, empêtré dans la tourmente du débat sur l’identité nationale qu’il a initié et voulu et qui lui revient aujourd’hui en pleine figure par un effet boomerang tant il « est devenu un déversoir et un défouloir », comme le qualifie son commissaire à la Diversité et à l’Égalité des chances, Yazid Sabeg, qui


La grande mosquée de Bruxelles

juge que « ce débat échappant à tout contrôle, peut aggraver les fractures et donne à beaucoup de Français, les Français de confession musulmane, le sentiment d’être une fois de plus marginalisés », il n’est que de lire le courrier nauséabond qui fleurit sur le site d’Eric Besson, le ministre « d’ouverture » de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire, pour s’en convaincre, Nicolas Sarkozy, donc, a mis plusieurs jours avant de réagir dans une tribune publiée dans Le Monde, laissant dans un premier temps ce soin à son ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, qui s’est dit « un peu scandalisé » par l’issue du scrutin interdisant les minarets, réservant sans doute son entière capacité d’indignation à des causes plus nobles… Mais revenons à la tribune de Sarkozy, une tribune qui le montre tel qu’en lui-même… « comment ne pas être stupéfait par la réaction que cette décision a suscitée dans certains milieux médiatiques et politiques de notre propre pays ? Réactions excessives, parfois caricaturales, à l’égard du peuple suisse, dont la démocratie, plus ancienne que la nôtre, a ses règles et ses traditions (…) Derrière la violence de ces prises de position se cache en réalité une méfiance viscérale pour tout ce qui vient du peuple » (…). Ainsi donc, ce sont les voix qui manifestent

Ceci n’est pas une mosquée

leur atterrement face à la décision prise par les Suisses qui mépriseraient le peuple… Parce qu’il faut le comprendre, ce peuple suisse tellement épris de démocratie, et se demander pourquoi il a voté contre la construction de minarets… Et ce n’est pas difficile à comprendre nous assène encore Sarkozy… « je veux leur dire aussi (aux nouveaux arrivants) que, dans notre pays, où la civilisation chrétienne a laissé une trace aussi profonde, où les valeurs de la République sont partie intégrante de notre identité nationale, tout ce qui pourrait apparaître comme un défi lancé à cet héritage et à ces valeurs condamnerait à l’échec l’instauration si nécessaire d’un islam de France qui, sans rien renier de ce qui le fonde, aura su trouver en lui-même les voies par lesquelles il s’inclura sans heurt dans notre pacte social et notre pacte civique ». (…) Pour s’inclure sans heurt dans le pacte social et civique de Sarkozy, rien de plus simple donc : il suffirait que les mosquées se fassent aussi discrètes que possibles, sinon invisibles. Et quid des synagogues ? Car, comme l’écrivait Esther Benbassa dans une récente chronique du Monde, « À l’heure de la mondialisation, notre pays, fragilisé, continue de reconstruire son identité contre l’Autre. Rien de très nouveau là-dedans. A l’ère de l’industrialisation, au XIXe siècle, qui fut aussi celle de la nais-

sance de l’antisémitisme moderne, ne l’avait-il pas fait contre les juifs ? ».

LES SUISSES FONT DES ÉMULES Comme chaque fois qu’une catastrophe se produit quelque part dans le monde, la question de savoir si « cela serait possible chez nous » se pose immédiatement aux sondeurs d’ici et d’ailleurs… qui ont donc sondé. Les résultats de ces sondages dont on aurait bien pu se passer sont éclairants. Les Suisses ne sont pas devenus les parias de l’Europe comme on aurait pu le penser. Ainsi, à la question, posée aux Français par l’IFOP, de savoir s’ils seraient favorables, opposés ou indifférents à l’édification de mosquées – de mosquées, pas seulement de minarets - au cas où des croyants musulmans le demanderaient, 41% ont répondu qu’ils y seraient opposés. La Belgique ferait mieux encore si l’on peut dire… Une enquête réalisée via Internet sur 1.050 personnes par iVOX pour l’hebdomadaire Le Soir Magazine, indique que 59,3% des Belges interrogés sont favorables à l’interdiction de la construction des minarets, et que 56,7 % sont carrément opposées à l’édification de mosquées ! L’intolérance a encore de beaux jours devant elle dans nos démocraties. ■

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israël-palestine L’Union européenne semble retrouver un filet de voix HENRI WAJNBLUM

L

a diplomatie israélienne a eu beau se démener auprès des chancelleries européennes, rien n’y a fait, l’UE s’est enfin exprimée clairement… Dans une déclaration adoptée à l’unanimité par ses ministres des Affaires étrangères le 8 décembre, elle affirme sans ambiguïté que Jérusalem doit devenir la « future capitale des deux États », et enjoint « au gouvernement d’Israël de mettre fin immédiatement à l’établissement de colonies à Jérusalem-Est et dans le reste de la Cisjordanie » et « de cesser tout traitement discriminatoire à l’encontre des Palestiniens de Jérusalem-Est ». Autre élément important de la déclaration commune, le rejet des « changements de frontières survenus après 1967 ». On conviendra qu’il s’agit là d’une nouvelle posture de l’Union européenne devant laquelle il serait malvenu de faire la fine bouche. Le premier ministre palestinien, Salam Fayyad, ne s’y est d’ailleurs pas trompé qui a qualifié la déclaration des 27 de « victoire du droit international ». Dire que cette déclaration commune a été facile à obtenir, serait excessif… Tout est en effet parti d’un projet de résolution émanant de la présidence suédoise de l’Union qui proposait que Jérusa-

lem-Est devienne « la capitale du futur État palestinien ». Les dirigeants israéliens ont failli s’étrangler et ont tout tenté pour faire capoter cette initiative. Ils n’y ont réussi que très partiellement puisque la seule chose qu’ils aient obtenue, et qui ne les satisfait absolument pas, est, comme déjà dit, que Jérusalem doit devenir la capitale de deux États. Et afin éviter toute ambiguïté, le vice-premier ministre, et ministre des Affaires étrangères du Luxembourg, Jean Asselborn, a tenu à mettre les points sur les « i »… « Nous reconnaissons tous, dans nos discours, que la partie orientale de Jérusalem est sous occupation. Étant territoire conquis, elle ne peut appartenir à l’État d’Israël ». On ne pouvait être plus clair pour souligner que l’annexion de Jérusalem-Est décidée par Israël dès le lendemain de la guerre de juin 1967 n’avait aucun fondement en droit. Il manque cependant cruellement un dernier alinéa à cette déclaration européenne, c’est la menace de sanctions au cas où Israël ne tiendrait pas compte des exigences qui y sont énoncées. Et notamment la menace d’une suspension de l’accord d’association Europe-Israël. Mais c’était sans doute trop en demander d’un seul coup aux 27. Dans une prochaine

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étape peut-être ? Car il est patent qu’Israël n’a absolument pas l’intention de mettre un terme à sa politique de judaïsation et de dépalestinisation de Jérusalem-Est, pas plus d’ailleurs qu’à celle de colonisation de la Cisjordanie. Pour ce qui est de JérusalemEst, un rapport confidentiel - mais dont des extraits ont été publiés par Ha’aretz - établi par des diplomates européens en poste à Jérusalem, révèle que « les développements à Jérusalem-Est en 2009 ont été caractérisés par l’expansion de la colonisation et un nombre considérable de maisons démolies et de Palestiniens expulsés. Israël poursuit activement, par des moyens pratiques, l’annexion illégale de JerusalemEst en affaiblissant la communauté palestinienne de la ville, en empêchant le développement urbain des Palestiniens et, au bout du compte en séparant Jérusalem-Est du reste de la Cisjordanie ». On sait d’ailleurs que la décision de gel temporaire de dix mois de la colonisation, prise par le gouvernement israélien pour apaiser la colère de l’Administration américaine, n’inclut ni Jérusalem-Est, ni les 3000 logements actuellement en chantier en Cisjordanie. On sait aussi que c’est sur cet-


Arrestation de deux dangereux terroristes...

te décision de gel que le gouvernement israélien s’appuie pour appeler l’Autorité palestinienne à revenir à la table de négociations qu’elle a quittée au moment de l’agression contre la bande de Gaza en décembre 2008. Mais pour négocier quoi, quand on sait que, lors d’une réunion avec des représentants des colons de Cisjordanie, Ehud Barak, le ministre israélien de la Défense leur a promis que « les grands blocs d’implantation resteront sous souveraineté israélienne dans le cadre des accords définitifs avec l’Autorité palestinienne» , et que Binyamin Netanyahu s’est, quant à lui, engagé à reprendre la construction dans les colonies dès le lendemain de cette interruption de dix mois ? Il n’y a donc rien à négocier pour l’Autorité palestinienne. Et la déclaration de Saeb Erekat, - dont je me faisais l’écho dans notre numéro daté de décembre – selon lequel le moment était venu pour

Mahmoud Abbas de « dire la vérité à son peuple, à savoir qu’avec la poursuite des activités de colonisation, la solution fondée sur le principe de deux États n’est plus d’actualité », cette déclaration est, elle, plus d’actualité que jamais.

LIBÉREZ LES ENFANTS PALESTINIENS Tout autre chose à présent… Cela fait des semaines déjà que l’on annonce la libération imminente de Guilad Shalit, le soldat israélien capturé par le Hamas le 25 juin 2006, en échange de la libération d’un millier de Palestiniens détenus dans les prisons israéliennes. Cette libération se fera tôt ou tard tant la pression de la population israélienne est grande sur son gouvernement. Avant de poursuivre, je veux que les choses soient claires afin d’éviter tout procès d’intention que certains n’auraient que trop plaisir à instruire contre moi… Moi aussi, je souhaite que ce jeu-

ne homme soit rendu dans les plus brefs délais à ses parents. Mais je ne peux cependant m’empêcher de m’interroger… Noam Shalit, le père de Guilad, a, de par son obstination, réussi à sensibiliser une bonne partie du monde à la situation de son fils. De Jimmy Carter à Nicolas Sarkozy, en passant par le Parlement européen et sans oublier les communautés juives d’ici et d’ailleurs, tout le monde s’est mobilisé pour exiger sa libération. Et c’est très bien ainsi. Mais avez-vous jamais entendu parler d’une mobilisation en faveur de la libération des enfants palestiniens ? Les prisons israéliennes recensent pourtant, chiffre arrêté en novembre 2009, 306 mineurs d’âge, dont plus de 40 ayant entre 12 et 16 ans et qui peuvent difficilement passer pour de dangereux terroristes. Or, il n’y a personne, excepté leurs parents, qui semble se préoccuper de leur sort. Ni Nicolas Sarkozy, ni le Parlement européen, ni même le Hamas, pourtant en position de force face à Israël dans la négociation pour la libération de Guilad Shalit, ne font de leur libération une priorité. Alors oui, je m’interroge… Si les mères de ces enfants décidaient d’envoyer une délégation dans les Chancelleries européennes pour leur demander leur appui, seraient-elles aussi bien accueillies que l’a été Noam Shalit ? Rien n’est malheureusement moins sûr. ■

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lire Raymond Federman. L’écriture de l’extrême TESSA PARZENCZEWSKI

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ne logorrhée, un délire verbal, un poème. Une phrase unique et bouleversante, sans ponctuation, court sur plusieurs pages. Une phrase pour dire l’événement-clé de la vie de l’auteur : ce jour de l’été 1942, où sa mère le pousse dans le placard, alors que les policiers sont déjà dans l’escalier. Son père, sa mère et ses deux sœurs ne reviendront pas. Raymond Federman a douze ans. La voix dans le débarras

évoque cet épisode, mais non pas dans un récit sage, clair et conforme. C’est une véritable violence qui éclate sur la page. Les mots se bousculent, se télescopent, se répètent et cognent, la syntaxe explose, la langue se réinvente, dans un rythme haletant, syncopé, comme du jazz. Les voix se

superposent, celles de l’enfant et de l’adulte, les époques se mélangent, la guerre et l’après… «….face à l’enfant homme qui engendre son devenir il sait maintenant par achèvement aller son chemin abolir l’humiliation de la nuit enfantine avec dévotion gentillesse expulsé de la langue mère exilé de la terre mère sans langue sans terre il extrait des mots de partout pour exalter son silence voulant être ici et partout en même temps il transgresse vers ceux d’en haut ceux d’en bas ceux en cendres anéantis afin d’accomplir sa survivance rendre l’absence présente voici l’heure d’être sérieux au troisième dans le cabinet de débarras rempli du geste primordial fini foutaise fini de se dépenser en fourire qui rit du rire ma vérité redite refaite pour de bon en mots qui disent vérité du bout des doigts tremblants de raymond féderman ici encore maintenant enfin. » La voix dans le débarras mais aussi The voice in the closet car Raymond Federman écrivait en français et en anglais et les deux versions se font face. Mais qui était Raymond Federman ? Il est né à Montrouge, en 1928. En 1947, il émigre aux États-Unis, exerce plusieurs métiers. Tour à tour ouvrier à Détroit, maître-nageur, saxophoniste et… parachutiste pendant la guerre de Corée, Raymond Federman découvre la littérature et entame des études

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universitaires. Il consacre sa thèse de doctorat à Samuel Beckett qui deviendra plus tard son ami. Professeur d’université et critique littéraire, Federman se lancera dans l’écriture, poussera la langue dans ses derniers retranchements, la triturera, pour atteindre l’essentiel. Encore peu connue en France où elle n’est publiée, chez des petits éditeurs, que depuis 2002, l’œuvre de Federman se déploie en romans et poèmes, dont se détachent notamment Amer Eldorado, sa découverte de l’Amérique, La fourrure de ma tante Rachel et Le livre de Sam dédié à Samuel Beckett. Raymond Federman est décédé le 6 octobre 2009 et a été incinéré « dans la tradition familiale » comme l’a noté un de ses plus proches amis. ■ La voix dans le débarras Raymond Federman Impressions nouvelles 87 p., 11 EURO


réfléchir « Sand ». Un point final ? ALAIN MIHÁLY

C

ontrairement à ce qui fut le cas lors du « séminaire » qu’il tint au CEGES1, Shlomo Sand a été confronté, lors de la conférence organisée conjointement par les Halles de Schaerbeek et l’UPJB le 7 décembre dernier, à la critique avisée d’un historien compétent, Jean-Philippe Schreiber. Reste qu’il n’a pas pour autant été répondu sur le fond aux interventions de celui-ci. Reste aussi que le « débat » a été injustement déséquilibré. Il n’a été laissé à J.-P. Schreiber qu’un temps extrêmement congru tant pour interpeller S. Sand sur le « soubassement historique très aléatoire » de son livre que pour réagir à son vis-à-vis. Il ne lui a pas non plus été « permis » de répondre aux interventions d’une salle globalement acquise aux thèses de S. Sand. Ce n’est pas donc pas à un véritable débat que l’on a assisté, un exercice auquel S. Sand est manifestement incapable de se confronter. Aussi bien se dévoile ainsi le « système » d’un Sand, « idéologue » revendiqué mais, en même temps, incapable de dégager son programme politique de la base historiographique bancale sur laquelle il prétend le fonder et d’accepter une discussion d’historien sur cette dernière. Un Sand tribun saisi en plein meeting, phénomène de foire, cabotin flattant un public acquis d’avance par des propos «cafés du commerce», ne ménageant pas les allusions égrillardes à son irrépressible di-

lection pour les blondes slaves ou les noiraudes yéménites et insistant lourdement sur le « mélange » des origines. Un Sand, jetant aux oubliettes toute prétention scientifique, qui répond à une remarque critique portant sur la croissance démographique très documentée des Juifs ashkenazes que cela reviendrait à affirmer qu’ils étaient « plus sexués ». Mais peut-être ne faut-il voir dans ce « tropisme salace » que la triviale traduction du clivage racialiste d’un idéologue acharné à convaincre que la diversité « biologique » des Juifs constitue la preuve définitive de leur inexistence en tant que communauté ethno-culturelle ? Confronté à une critique pertinente, retour de bâton du réel historique et linguistique, Sand n’y répond donc pas ; comme dans son livre, il ne répond pas, quand il daigne les évoquer, aux thèses opposées aux siennes. J.-P. Schreiber lui oppose qu’il a échafaudé, sur base « d’hypothèses marginales », muées en « certitudes », et « d’évidences », acceptées de longue date mais présentées comme des révélations, une histoire « mécanique ». Mais pour S. Sand tout est limpide : les historiens juifs opposés à ses vues sont « sionistes » et « l’origine khazare » ne leur convient pas pour cette unique raison ; si les thèses de tel linguiste sur l’origine « slavo-turque » du yiddish sont « complètement décriées », c’est « bien sûr parce qu’il n’est pas sioniste » ; les historiens occidentaux qui contredisent ses vues

sont soumis « à la pression historiographique sioniste » et, quand il s’agit d’Allemands, évidemment contraints, sous le poids de la culpabilité du génocide, à se plier aux mots d’ordre israéliens. J.-P. Schreiber n’a pu que souligner que S. Sand confirmait le « fantasme de conspiration » qui se dégageait de son livre. Ce profil complotiste n’en a pas pourtant désarçonné un public qui a sacrifié tout esprit critique à une opposition de principe à un « sionisme » imaginaire imposant ses vues à une corporation mondiale de scientifiques, et à un État qui, toujours selon Sand, est « le plus dangereux au monde »... Un public tout aussi peu disposé à admettre que les Juifs représentent dans l’Histoire plus qu’une confession résiduelle2 et manifestement ravi de voir S. Sand, qui n’a eu de cesse de parler des « Belges d’origine juive », conclure en se posant en adversaire de « l’essentialisme juif, [le fait de] croire qu’il y a quelque chose d’extraordinaire chez les Juifs »... Avec un tel procès d’intention, nul doute que l’accusé n’échappera pas à la peine capitale. La cible de S. Sand, ce ne sont pas Israël, sa politique et ses turpitudes mais les Juifs, où qu’ils soient et dès qu’ils se reconnaissent comme tels. ■ 1 Centre d’Études et de Documentation Guerre et Sociétés contemporaines. 16 septembre 2009. 2 Voir sur ces questions le remarquable ouvrage collectif publié sous la direction de David Biale : Les cultures des Juifs, Éditions de l’Éclat, 1.102 p., 2002.

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réfléchir Coups bas, chantages et règlements de compte JACQUES ARON

U

n événement exceptionnel dans la vie judiciaire belge, impliquant le Comité de Coordination des Organisations Juives de Belgique (CCOJB) et son président Joël Rubinfeld, ne paraît pas avoir fait grand bruit dans la « rue juive ». Alors que, à juste titre, les Juifs ont toujours réclamé pour les minorités discriminées, la protection de l’État de droit démocratique, c’est un ancien ministre, André Flahaut, qui a dû saisir la justice pour obtenir réparation morale suite à des accusations infamantes et infondées d’antisémitisme et de comparaison d’Israël à un État nazi. Le Soir nous apprend que le condamné aurait décidé d’interjeter appel contre l’avis des trois anciens présidents du CCOJB, Philippe Markiewiecz, Lazard Perez et David Susskind. Si cela est exact, il ne reste qu’à attendre confirmation de ce jugement exemplaire de 16 pages démontant parfaitement le mécanisme de la manipulation délibérée. Tout ceci ne serait qu’un épisode passager, si les moyens incriminés ne s’inscrivaient depuis longtemps dans une campagne systématique contre tous ceux qui n’adhèrent pas au chauvinisme « juif », à la poursuite des objectifs initiaux d’un sionisme colonisateur et conquérant. Plus de quarante ans d’occupation et de colonisation intensive de la Cis-

jordanie ont conduit l’État d’Israël dans une impasse qui désespère ceux qui, par conviction ou par réalisme, prônent aujourd’hui la coexistence et la coopération de deux États en Palestine. Les ultranationalistes par contre font flèche de tout bois pour soutenir l’insoutenable ; leur idéologie d’intimidation vise autant les Juifs que l’opinion publique en général. Ses armes : la confusion et l’amalgame : antisionisme ou critique de la politique d’Israël (ou de ses antennes : Agence juive et autres lobbys) = antisémitisme. Ceci n’est vraiment pas neuf mais reprend chaque fois de nouvelles couleurs. Aux ignorants en histoire (même s’ils sont « historiens »), il faut rappeler que l’antisionisme juif est aussi vieux que le sionisme et que, dans la mesure où le sionisme politique a puisé dans le fond religieux messianique, cet antisionisme politique se rattache à une longue tradition d’anti-messianisme et de rationalisme au sein du judaïsme. Un autre rappel s’impose aussi : l’antisémitisme politique (né vers 1880) a été le moyen délibéré de réaliser dans différents pays l’unité nationale par la dénonciation de la prétendue malfaisance des Juifs et leur exclusion radicale de la nation. Cette politique de droite et d’extrême droite ne présente plus que des résidus (toujours inquiétants) depuis l’écrasement du nazisme. Pour ceux

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qui veulent à tout prix forcer une union sacrée « juive » autour d’Israël, il est donc capital d’entretenir l’idée d’un antisémitisme éternel, ancré aujourd’hui à gauche, puisque c’est de là que viennent principalement les critiques de l’action suicidaire d’Israël. Outre le recours au vieux fond d’anticommunisme, on doit donc viser le mouvement socialiste ou tout ce qui paraîtrait politiquement critique dans la mouvance écologique. Aussi ne s’étonnera-t-on pas que, « l’Affaire Flahaut » étant provisoirement close, lui succède aussitôt une « Affaire Moureaux » montée en épingle de toute pièce. Quelle plus belle cible pour nos manipulateurs que l’auteur de la loi qui porte son nom ! Reprenons la chronologie des faits. Un journaliste de Le Vifl’Express décroche une interview d’humeur du bourgmestre de Molenbeek, dans laquelle sont abordés pêle-mêle les sujets les plus divers. Passage incriminé : « Molenbeek ne pose pas de problème particulier ? – Nous avons un problème spécifique au Quartier maritime : un noyau dur de multirécidivistes voudrait en faire une zone de non-droit. Nos actions policières liées à la lutte contre le trafic de drogue les mécontentent. Certains y voient l’échec de votre politique d’intégration. – J’ai ouvert une voie qu’ont suivie d’autres mandataires po-


litiques. Quand je suis devenu bourgmestre, les musulmans étaient inconnus ou rejetés. Mon premier acte, très critiqué, a été d’ordre symbolique : faire le tour des mosquées le jour du ramadan. J’ai voulu sortir l’islam de la clandestinité. Par calcul électoraliste ? – Lorsque j’ai entamé cette politique, la plupart des gens à qui je m’adressais n’avaient pas le droit de vote. Le PS en retire tout de même des dividendes sur le plan électoral… – Il est vrai qu’il y a un effet retour. Mais je ne l’ai jamais calculé. Le parti socialiste défend les classes défavorisées. Bruxelles comptait une classe ouvrière bâillonnée. Même si, au PS, tous n’en étaient pas convaincus, notre devoir, notre raison d’être, est d’aider cette population d’origine immigrée. S’agit-il du nouveau prolétariat ? – À Bruxelles, c’est vrai à 80%. Vous n’avez pas toujours défendu l’octroi du droit de vote aux étrangers ? – Foncièrement si. Il y a eu des périodes où, faute d’adhésion au PS, j’ai accepté de freiner ce mouvement. Si j’ai pu faire voter la loi contre le racisme, en 1981, c’est en raison de l’émoi provoqué par un attentat contre des enfants juifs à Anvers. À vingt ans, quand j’étais marxiste, je n’étais pas un grand partisan du droit à la différence. J’ai évolué. Et ce qui m’a fait basculer, ce sont précisément les conversations que j’ai eues avec des représentants de la communauté juive. Cela m’attriste aujourd’hui, de les voir refuser ce droit à la différence pour les musulmans. » Je m’arrête là, car ce sont ces quelques mots qui, sortis de leur contexte, provoquent du jour au

lendemain la réaction des lobbyistes à l’affut. L’Agence Diasporique d’Information se charge de faire monter les enchères. Le CCLJ parle d’un « inacceptable dérapage ». Voilà Philippe Moureaux, « critiqué pour son clientélisme islamo-municipaliste » qui rejetterait l’échec de sa politique d’intégration sur la communauté juive. L’ADI écrit : « Joël Rubinfeld, président du CCOJB, n’hésite pas à parler fort lorsque l’antisémitisme ou l’antisionisme antisémite (sic) s’exprime en Belgique. Il déclare : « Que retenir alors des allusions du bourgmestre de Molenbeek, sinon qu’elles semblent rejeter sur les Juifs le bilan désastreux de la politique d’intégration qu’il a menée dans sa commune, et instiller dans l’esprit de nos compatriotes musulmans l’idée perfide que les Juifs seraient leurs adversaires sur la voie de la parfaite intégration, dressant ainsi une communauté contre l’autre. » Et d’escalade en escalade, nous voici quelques jours après devant l’appel du Forum der Joodse Organisaties à la démission de Philippe Moureaux de toute activité politique : « Par ses déclarations, M. Moureaux prouve qu’il ferait mieux, à son âge, de mettre fin à sa carrière politique. » Ce serait risible, si les instigateurs de cette campagne ne l’avaient pas signée. Son collègue à l’ULB, Guy Haarscher adresse à « l’inénarrable M. Moureaux (sic) » un solennel « Pour en finir avec le droit à la différence ».1 Pour crime de lèse-laïcité (avoir montré du respect aux musulmans en se rendant dans leurs mosquées), voici Moureaux accusé de défendre une religion qui méprise les homosexuels, traite les femmes de putains, conteste la théorie de l’évolution et s’opposerait « à l’enseignement de la Shoah fondement des démocraties après

1945 ». Jamais en reste, Joël Kotek lui emboîte le pas. L’homme proclame depuis des années - de préférence aux Israéliens tout acquis à ses thèses - que la Belgique a une nouvelle religion civile, l’antisionisme, reflet de son antisémitisme inavoué. Ce pays « fondé par les Jésuites » se serait ainsi reconverti. Le PS et son président Elio di Rupo sont principalement visés. Le « vote juif » y étant limité par rapport « au vote musulman », les socialistes seraient prêts à lui faire toutes les concessions. Ils soutiendraient ainsi des « antisionistes radicaux », tels Pierre Galand ou des « antisionistes juifs », tels Paul Halter, président de la Fondation Auschwitz. La suite ne surprend donc pas : « Ce politicien, qui fut en son temps un éminent dix-huitièmiste, ne devrait pas ignorer que le droit à la différence des Juifs ne s’est jamais apparenté au droit au ghetto et/ou à l’enfermement religieux. Comment oublier enfin que, dans leur volonté de devenir de parfaits israélites, les Juifs militèrent jusqu’à l’absurde (sic) pour le droit à la ressemblance, bref à l’intégration. » Je reste, pour ma part, partisan d’une intégration des immigrés, dans le respect de nos institutions, de leurs personnes et de leurs convictions. Moureaux at-il failli, par électoralisme, à cette perspective ? Dans un domaine particulièrement sensible, je l’ai vu présider récemment dans sa commune un débat sur le conflit du Moyen-Orient, auquel participaient notamment Simone Susskind, Michel Staszewski et Leila Shahid ; et je puis assurer que pas un seul extrémiste n’y trouva le moindre appui à ses thèses. Quel homme politique prend de tels risques face à ses électeurs ? ■ 1

Regards, 3 novembre 2009.

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lire, regarder, écouter Notules de décembre GÉRARD PRESZOW

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e la base au sommet, combat shoes et oreillette. Entre les deux, un grand et fort bonhomme tout en noir. Je bats le pavé devant le Mémorial de la Shoah à Paris. « Encore cinq minutes… ». La file n’est pas bien longue, nous sommes deux et je suis le second. Devant moi, dame âgée avec caddy. « Pour les manuscrits d’Hélène Berr, vous commencez par la crypte ; pour Benjamin Fondane, c’est à l’étage ». Je suis impatient de voir l’un et l’autre mais mon regard est rassasié des mots déposés par la jeune femme. Des mots, des phrases tout serrés, impeccablement alignés. Une écriture aussi appliquée que cette photo datée : chemisier ajusté et boucles anglaises. Comment ne pas sentir la main au bout de la graphie, comment ne pas deviner le corps au bout de la ligne ? Tout une vie palpite dans les traces d’encre, tout ce sang qui passe entre pleins et déliés, depuis les contes de l’enfance pour papa et maman jusqu’aux derniers mots, avant que la main ne soit arrachée au papier. J’irai rendre visite à Benjamin Fondane une autre fois. * Rue aux Laines, à deux pas de la Grande synagogue, cet alignement rare à Bruxelles de façades sobres et luxueuses (la richesse sait être classique et classieuse). Un frêle monsieur, Maurice Tzwern, m’ouvre une de ces

Vue d’expo. Wiels/Bruxelles. Photo gépé

grandes maisons. « Tiens, c’est nouveau cette galerie ? ». « Oui, ça fait 25 ans ». Le film de Boris Lehman Retouches et réparations m’a donné envie de voir l’œuvre de Richard Kenigsman. Sous les hauts plafonds, de petites têtes de bronze qui intègrent les outils du père maroquinier, ces mêmes têtes photographiées et démesurément agrandies, ces corps d’homme en peau de croco, et ce petit monsieur silencieux qui m’accompagne du regard. Il y a du burlesque et de l’absurde. Un silence clownesque dans cette chaîne de recyclages. L’idée est belle, hommage et filiation du fils artiste au père artisan. Et mes mots qui entrent dans la danse… * C’est un cri dans la nuit. C’est comme un cri dans la nuit. Les lu-

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mières sont baissées. Les habits noirs s’affairent autour d’un ordinateur portable. Un film fait témoignage, des images prises par la police… D’ici, je ne vois rien sinon étincelles de blanc et obscurité. Comme d’une télé dans un appartement vu extérieur nuit. C’est un cri déchirant que l’on voit, la bande-son occupe tout l’espace du tribunal. Oh, n’en faisons pas un drame mais c’est un cri quand même. Ce sont nos enfants qu’on juge là, coupables de solidarité (juive) avec les sans papiers. C’est une pièce de théâtre, avec costumes et rôles de composition : Madame la Juge, Monsieur le Procureur, la partie civile, les Avocats, les Accusés (ils sont trois : Youri, Lola et Nicolas). Ce n’est pas une pièce de théâtre : un mot au casier judiciaire peut entraver un avenir professionnel ; Lola se destine à travailler dans le


social. Youri n’a pas la gorge serrée quand il décline son point de vue. Quant à leur copain Nicolas, il prenait des photos ce jour-là. Tout le contraire des mots ironiques du chanteur : « Jeunesse, tu peux dormir tranquille ! ». Dans le prétoire, une immense toile fait décor : le troisième Lancier de Napoléon ou ce chemin au loin n’est-il qu’un nouveau chantier d’autoroute pour Waterloo ? * Je ne comprends pas l’expo d’Arno Stern au Musée juif de Belgique. Un peintre ? Oui. Un peintre digne d’intérêt pour la peinture ? Non. « Ne confonds pas je n’aime pas avec c’est mauvais », me dit-on souvent, en me reprochant mes propos parfois péremptoires. Depuis longtemps, j’ai fait choix, au risque de me tromper : c’est mauvais. Mais on aurait pu raconter une belle histoire autour de ce peintre juif venu de Pologne, qui débarque un jour des années 30 en Belgique et qui en veut et qui rencontre… le milieu artistique bel-

Vue d’expo. Smak/Gand. Photo gépé

ge, des écrivains, des peintres, des galeristes, des revuistes, des politiques… qui l’ont accueilli et aidé. On eût pu dresser un portrait de la rencontre, saisir un moment de l’histoire des migrations ; autrement dit, pour l’occasion, on eût pu avoir une réflexion du musée sur lui-même. Bof ! On eût pu… *

La splendeur des Camondo au musée juif de Paris. Les Camondo, grande famille juive d’Istamboul (Stamboul, Empire Ottoman), ennoblie à Paris, termine littéralement ses jours à Auschwitz, via Paris. Goût pour la peinture, le mobilier, les bijoux, l’architecture, les arts décoratifs. Collection et don des collections à Orsay via le Louvres. Quelques toiles suffisent, parfois une seule, même pas une toile : un pastel de Degas. C’est formidable une exposition où un fusain quasi abstrait (une danseuse ? sa tunique sans doute) vous suffit pour la suite de la marche. * Je termine ces mots. Il neige par la fenêtre. C’est beau ces étoiles qui se déposent. À la Bourse, en surface, c’est la frénésie, feinte et joyeuse, des fêtes, de la dépense et de l’oubli. Jeff, le roi des escargots, m’a offert son calendrier. « Bon, tous mes fils ne sont pas sur la photo, ceux qui sont dans l’immobilier… mais, mes bellesfilles, bien ». Dans une alcôve du métro, en sous-sol, l’envers de la vi(ll)e. ■

Vue d’expo. Tri postal/Lille Photo gépé

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mémoire Mishmash. Jouer avec l’Histoire et la mémoire intime ROLAND BAUMANN

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hotographe de mode et de publicité, puis photo-journaliste et enseignant à l’École nationale supérieure des Arts visuels de La Cambre (19812002), Christian Carez est l’auteur de travaux documentaires (Chroniques immigrées, Voies Libres, Ateliers d’artistes) et d’étonnantes séries photographiques associant le documentaire au travail de mémoire et à la chronique intime. Sa nouvelle exposition Mishmash ou la confusion à l’ISELP (Institut supérieur pour l’étude du langage plastique) nous confronte à une singulière chronique autobiographique à travers 35 photographies et une installation. Images déroutantes de réalités liées étroitement au récit de vie de l’auteur, né le jour de l’Anschluss et qui, dans son oeuvre personnelle ne cesse d’imaginer les souvenirs d’événements marquants de son parcours individuel, mêlant le vrai, la fiction et la mise en scène. Les photographies de Mishmash constituent une sorte d’album de famille, grand format, hanté par la mémoire de la Shoa, du Stalinisme, de la Résistance, de la dictature en Grèce, de la guerre du Kosovo... Traces incertaines du passé à la lumière des défis du présent marqué par l’oubli des rêves d’un monde nouveau et le refus de se soumettre à la barbarie qui nous est depuis trop longtemps familière, alors que la vie mérite d’être belle. Dans Le Jour se Rêve, oeuvre de

photographe engagé, exposée à l’ISELP (2002) et au Musée de la Photographie à Charleroi (2004), Christian Carez associait documentaire social, paysage et mise en scène. L’exposition se divisait en trois volets. Tout d’abord « Le bonheur » : série d’images en noir et blanc sélectionnées parmi plus de trois mille photos documentaires prises par Carez dans le Hainaut et la région de Charleroi. Face à ces photos de personnes dont le quotidien contraste avec l’opulence de l’Europe occidentale, étaient affichées les textes de gens rencontrés par le photographe et répondant à la question « c’est quoi pour vous le bonheur? » Deuxième partie de l’exposition, « La violence tranquille » montrait l’habitat de ces gens, les paysages dévastés d’où émergent les vestiges d’un passé industriel glorieux. Enfin; le tryptique « La guerre », accompagné d’un texte de Raoul Vaneigem, évoquait la guerre que vivent toutes ces victimes d’une économie triomphante, en Belgique, le douzième pays le plus riche du monde.

AMOUR DE L’EST Lieux désertés et Lieux du Rêve Trahi (1994), exprime l’amour de Christian pour l’Europe de l’Est : J’évoque un tour de l’Union soviétique avec Vassilia, rencontrée à Moscou en octobre 1956. Grâce à mon oncle Ossip, héros de l’Union soviétique, nous disposions d’un rarissime permis de circuler. Nous avons vécu le bonheur dans no-

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tre long périple à travers le pays des soviets. De retour à Moscou, Vassilia a été arrêtée. Je ne l’ai jamais revue. Bien après, j’ai refait notre itinéraire, à la recherche de notre amour perdu, traversant l’Ukraine, vers l’Arménie, puis la Sibérie. « Lieux du rêve trahi » est une mise en scène de sites en déshérence, dévastés par l’effondrement du « socialisme réel » et l’irruption de l’économie de marché dans l’ex-URSS. Le photographe précise les origines de sa passion pour l’Est de l’Europe et les Balkans : Mon intérêt pour l’Europe centrale vient d’un voyage à Cracovie en 1962 et du sentiment intense de dépaysement que j’ai alors éprouvé. J’ai toujours considéré que la Belgique d’avant-guerre c’est l’Eden, le paradis, même si je sais bien que c’est faux. Je vois l’album photo de mes parents avec ces images de plage et d’insouciance. Il ne s’agit pas de visions passéistes, ni nostalgiques. Une fille de Nivelles qui tombait enceinte dans les années cinquante ne devait pas rigoler ! Les luttes tribales belges m’exaspèrent. Je ne parviens pas à me situer dans ces querelles. Pour parler franchement, je n’aime pas les horizons limités de la petite bourgeoisie francophone. J’aime le dépaysement ! Quand j’allais dans ces pays communistes, en Europe de l’Est, ou en Yougoslavie, je me sentais plongé dans l’univers d’avant-guerre. J’ai été dix-huit fois en Yougoslavie et j’aimais le socialisme


de Tito. Dans ma jeunesse, je passais beaucoup de temps dans les bistrots espagnols et grecs du côté de la gare du Midi. Je m’y amusais bien mieux que dans les cafés belges. J’étais aussi très solidaire des combats de mes amis espagnols et grecs contre la dictature. Je connais très bien la Grèce, que j’aime beaucoup. Mon beaufrère est grec...

BERLIN DÉPAYSE Ce goût du dépaysement l’attire souvent à Berlin : J’y trouve des décors qui m’évoquent des lieux du centre de Bruxelles qu’enfant je visitais avec ma maman. Dans certains quartiers de Berlin-Est, la classe populaire me fait penser à celle que j’ai connue ici, quand j’étais petit. Dans le vêtement, le comportement, je retrouve toutes ces petites choses auxquelles je suis très sensible et qui m’évoquent mon passé. En mars prochain, je retourne à Berlin, pour photographier des lieux de mémoire, tel le canal de la Landwehr où fut jeté le corps de Rosa Luxemburg assassinée avec Karl Liebknecht durant la répression de la révolution allemande en janvier 1919. Des sites liés à l’histoire politique, mais aussi à la littérature et à l’histoire des sciences. Dans son oeuvre, Christian Carez associe étroitement réalisme documentaire, mise en scène du passé et fiction. Il s’explique : Mon travail implique une part de fiction, un jeu de simulacres qui entretiennent le doute du spectateur, le forcent à chercher des pistes pour distinguer le vrai du faux. Ce jeu entre le documentaire et la fiction est bien à l’image du titre de l’exposition : quand on mélange la terre à l’eau on fait du mishmash. Quand j’étais gosse, c’est le nom qu’on donnait à ce mélange sur les pleines de jeux dans mon

Christian Carez. Projet de monument, 2006. 1938-1945. À la mémoire des résistants anti-nazis autrichiens, oubliés à jamais

quartier populaire.

LA GUERRE Christian a reconstitué son expérience de la deuxième guerre mondiale dans Souvenirs de Guerre et de Solitude (1986), série de photographies de maquettes, qui, comme sur les pages d’un album de photos de famille, mettent en scène les épisodes vécus de son enfance jusqu’à la Libération : Nous vivions dans le bas de Forest jusqu’au Débarquement. Vu la proximité de la gare du Midi et la crainte des bombardements, nous sommes partis habiter du côté de la porte Louise, où nous étions en première loge pour voir la Libération et l’incendie du Palais de Justice. C’était un quartier où logaient beaucoup d’officiers, allemands puis alliés. J’ai des souvenirs très précis des anglais et des américains. Je trainais toujours dans leur jeeps. Ma famille n’était pas juive et je n’ai pas de souvenirs douloureux de la guerre. Fait prisonnier en mai 40, mon père a passé cinq ans dans les stalags en Allemagne. Je m’étais fait à son absence. Élevé par ma mère dans la haine de l’Allemagne, vers 18-19 ans, je me suis passionné pour la culture allemande, la littérature, la musique... Au

début des années soixante, j’allais tous les deux ans à la Photokina, la grande foire de la photographie à Cologne. À l’époque les traces de la guerre étaient encore bien visibles en Allemagne. Avec deux ou trois copains, on partait en voiture et logeait chez l’habitant. Je me souviens un matin, avalant un copieux petit-déjeuner et voyant soudain sur le buffet de la salle à manger une photo d’un soldat en uniforme de la Wehrmacht. Quoi de plus normal en 1960 d’être dans une famille où quelqu’un était tombé à l’Est ou sur quelque autre théâtre de la guerre ! Et ça m’a fait froid dans le dos ! L’Allemagne des années soixante était encore loin d’avoir fait son travail de mémoire. Sorti de la Cambre en 1960, je me souviens de voir à l’époque une série de documentaires de la DDR dénonçant les fonctions importantes occupées par d’anciens nazis dans les administrations de la République Fédérale Allemande, à Munich comme à Bonn. L’Autriche par contre, n’a toujours pas fait son travail de mémoire. ■ Exposition photo de Christian Carez Mishmash Jusqu’au 16 janvier, ISELP, Boulevard de Waterloo 31, 1000 Bruxelles. tél. 02.504.80.70 Du lundi au samedi de 11h à 17h30

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Yiddish ? Yiddish ! PAR WILLY ESTERSOHN

tiurb-Nretup putern-broyt Pain beurré Miriam Ulinover, l’auteure de ce poème, est née à Lodz (Pologne) en 1888. Dès l’âge de 15 ans, elle rédige ses premiers poèmes en polonais, russe et allemand. C’est en 1922 qu’est publié à Varsovie son recueil de poèmes en yiddish der bobes oytser (« Le trésor de la grand-mère »), des poèmes qui ont été traduits en français par Batia Baum et publiés par la Bibliothèque Medem (Paris) sous le titre Un bonjour du pays natal. Miriam Ulinover fut déportée à Auschwitz (où elle disparut en 1944) alors qu’elle préparait la publication d’un deuxième recueil de poèmes en yiddish. Le manuscrit n’a jamais été retrouvé.

,p]r= rim dre red Fiuj tl=f tiurb-Nretup’s Neuu arop mir erd der oyf falt broyt s’putern ven : p]k siweb]b red Nelk]weq Ciz tmen ]d kop bobeshis der tseshoklen zikh nemt do ,dnik NUm ,Nmis = ,Nbel NUm ,Nmis = »kind mayn simen a lebn mayn simen a .« dniq= kir’gnuh Vuu Jegre zij N[x red atsind hung’rik vu ergets iz khosn der p]k siweb]b red Cij tl]vv Nez rediuu ,] kop

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,p]r= rim tl=f tiurb-Nretup’s Nevv ,Nelk]w Ciz arop mir falt broyt s’putern ven shoklen zikh ,wtiink Med Nretw Nij ,ldnx siweb]b red kneytsh dem shtern in kheyndl bobeshis der ! wtUt Nwimiih Med ,Nbil Med Nreh iq taytsh heymishn dem libn dem hern tsi

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! widYi ? widYi TRADUCTION LITTÉRAIRE DE BATIA BAUM Quand mon pain beurré me tombe des mains / Grand-mère hoche la tête et opine : / “C’est signe, ma fille, c’est signe, gamine, / Que quelque part au loin ton fiancé a faim.” Oh, j’aimerais tant revoir ma chère grand-mère / Hocher la tête quand mon pain beurré tombe à terre, / La ride sur son front, la grâce sur son visage, / Et entendre son cher, son familier présage !

Miriam Ulinover, Miih retl= red Nuf surg =, a grus fun der alter heym, Un bonjour du pays natal, poèmes, édition bilingue sous la direction de Natalia Krynicka. Cette publication comprend 108 poèmes de Miriam Ulinover dont 52 jamais publiés en volume et les traductions de 91 d’entre eux en français par Batia Baum. Une introduction, en yiddish et en français, permet au lecteur de se familariser avec la vie et l’œuvre de la poétesse. Bibliothèque Medem, Paris, 440 pages, 14 EURO. www.yiddishweb.com

REMARQUES tiurb-Nretup’s s’putern-broyt = le pain beurré (’s s’ = s]d dos, Nretup putern = beurré (retup puter = beurre). Ciz Nelk]weq tseshoklen zikh = commencer à se balancer (Nelk]w shoklen = secouer). eb]b bobe = grand-mère ; iweb]b bobeshi = le suffixe iw shi ajoute une connotation affectueuse ; siweb]b bobeshis : le s s indique le génitif : la tête de grand-mère. Nmis simen (hébr.) = signe, indice. N[x khosn (hébr.) = fiancé. kir’gnuh hung’rik = kiregnuh hungerik = affamé. dniq== atsind (également tqij itst) = maintenant. ldnx kheyndl : diminutif de Nx kheyn (hébr.) = grâce, charme. Nretw shtern = front ; étoile. Également : déranger, perturber. wimiih heymish = familier (de Miih heym = chez-soi ; asile). wtUt taytsh = sens, signification.

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ANNE GIELCZYK

And the winner is...

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’autre jour, j’étais chez le coiffeur, j’y vais non seulement pour me faire couper les cheveux mais également pour lire sans complexe Paris-Match, Elle, Gala et autres revues « people ». Et voilà-t-il pas que je tombe (presque littéralement) sur les photos de Michel Daerden et sa fille, déguisés en César et Cléopâtre. J’en avais entendu parler bien sûr par la presse sérieuse, car je le répète, je ne lis Paris Match QUE chez le coiffeur. Il n’empêche que j’ai quand même eu un choc en les voyant. J’ai ressenti ce que les Flamands appellent een plaatsvervangende schaamte, une honte de substitution. « La honte » quoi, comme disent les ados. Un peu comme Simone Signoret dans La nostalgie n’est plus ce qu’elle était quand la mère, flanquée de sa fille Simone retourne au magasin pour changer la brosse à dents qu’ elle vient d’acheter parce qu’elle vient de s’apercevoir qu’elle est fabriquée au Japon, ce pays qui prépare la guerre aux côtés de l’Allemagne. « Vous voulez donc une brosse à dents française ? » lui demande le marchand « non je ne suis pas chauvine » lui rétorque-t-elle. « À ce momentlà, j’aurais donné la terre entière pour ne pas être là » nous dit Simone Signoret. Pourtant, elle est géniale cette mère de

Simone Signoret, mais bon, quand on a 15 ans, on préférerait que sa mère fasse comme tout le monde. Comme moi avec ma mère, la fois (parmi tant d’autres) où je me suis retrouvée faisant la file chez le boucher dans notre quartier à Ostende. Dix personnes derrière nous, la bouchère (en ostendais) : En wa goadet zien voe medamtje vandoage ? (« qu’est-ce qu’elle veut la petite dame aujourd’hui ? »). Ma mère, juive polonaise, rescapée de Buchenwald échouée à Ostende, dans son plus beau néerlandais : een paar schelletjes hesp (« quelques tranches de jambon ») La bouchère condescendante, En oevele mag da zien medamtje ? (je traduis librement « mais encore, combien exactement ? »). Een beetje (« un peu ») lui répond ma mère sur un ton légèrement indigné de tant d’insistance et d’incompréhension. Attention, malgré ses origines, elle se débrouillait très bien non seulement en français mais aussi en néerlandais, pas de skelletjes pour elle, mais de véritables scchhhellen. Elle aurait passé sans problème le « shibboleth » de la bataille des Éperons d’Or. Ce n’était donc pas ça qui me mettait dans l’embarras, c’était son hésitation, ce léger décalage, cette différence. Je ne sais si ma mère avait déjà tout à fait intégré le « un peu seulement » si belge

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mais en tous les cas, ça ne faisait pas l’affaire de la bouchère qui voulait savoir exactement et au milligramme près « combien » de jambon bon sang ! Ça, du haut de mes huit ans, je l’avais très bien compris et comme Simone Signoret, sentant le regard des dix personnes derrière moi, j’aurais donné la terre entière pour être ailleurs. Eh bien en regardant les photos de Michel Daerden en César et sa fille en Cléopâtre, la honte m’a submergée. Et bizarrement aussi une certaine compassion. Pour le père. C’est clair que c’est la fille (et Paris Match) qui l’a emmené dans cette galère. Lui a l’air un peu perdu et gauche dans son complet mal coupé, son pantalon informe. Il ne regarde même pas sa fille qui se love contre lui, assez légèrement vêtue d’un morceau de tulle bleu. Le tout fait plus penser à Astérix (dont il serait l’Obélix) qu’aux fastes de l’empire et de l’empereur romains. Quant au type qui a inventé ça, le journaliste, il fait partie de mes nominés pour le prix judéoflamand du plus mauvais article 2009.

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ominé comme plus mauvais économiste, Guy Quaden, le gouverneur de la banque nationale. Il vient de proclamer la fin de la crise. Il n’est pas le seul d’ailleurs,


sophisme 2009 : il aurait parlé à son père et pas au président de sa candidature à la tête de la Défense), donc, comme disait Sarkozy père*, après le résultat Bernanke : la récession est finie! À Wall Street, on se sent du référendum des agréablement tiré d’affaire... minarets en Suisse Ben Bernanke, son collègue (« où le peuple a l’habitude de de la Fed en a fait autant prendre la parole et de décider il y a deux mois déjà. Les par lui-même »), ne soyons pas nouveaux chômeurs actuels « sourd aux cris du peuple » et tout ce qui va dans le sens du et à venir sauront apprécier. Si le chômage augmente, la ‘peuple’ n’est pas forcément grippe H1N1 régresse, elle. populiste. Pourtant c’est bien Bravo les amis, vous vous êtes en Suisse, « cette démocratie bien lavé les mains. D’ailleurs plus ancienne que la nôtre » ont été nominés pour le prix (Sarkozy toujours) que les judéo-flamand 2009 de la pub femmes - la moitié du ‘peuple’ radiophonique la plus bizarre : - grâce à la démocratie directe par referendum, ont attendu « lavez-vous les mains, vous n’imaginez pas tout ce qu’elles jusqu’en 1971 avant d’avoir le droit de vote au niveau fédéral contiennent », ainsi que le tout et jusqu’en 1990 dans certains nouveau « Zem P3 » (accent tonique sur la première syllabe) cantons ! Un ‘peuple’ peut en cacher un autre et la question est de Toots Thielemans, sans de savoir de quel ‘peuple’ nous oublier le déjà ancien « Madame parlons. Laurent » de Télé-Secours, une valeur sûre. ustement, je dois bien rix du pire parti l’avouer, ma préférence politique, c’est sans nationale à moi va au nul doute le tout peuple judéo-flamand. nouveau PP (Parti C’était couru hein ? Mais bon, Populaire/Personen Partij) du j’assume. Les peuples ont beau duo Modrikramen-Aernoudt. avoir été inventés, ils existent Aernoudt étant le spécialiste des quand même, n’est-ce pas ? partis à vocation ultra-courte, Alors voilà, le prix 2009 des j’ai quelques doutes sur l’avenir awards judéo-flamands ira de celui-ci, du moins en Flandre cette année à Michael Freilich, où la concurrence est forte côté le rédacteur en chef de Joods populiste. Comme le disait Actueel pour sa carte blanche Nicolas Sarkozy (by the way, dans De Morgen (22/10/2009) son fils Jean est nominé pour le « Nee’ tegen de hoofddoek, ja’ prix judéo-flamand du meilleur aan keppeltje en pruik » (« Non

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au foulard, oui à la kipa et à la perruque »). C’était en plein débat sur l’interdiction du voile dans les écoles anversoises. Pour la première fois, un porteparole de la communauté juive sort de sa réserve. Pour marquer sa sympathie avec la communauté immigrée ? Pour leur dire que nous les Juifs nous savons de quoi il s’agit, nous qui avons subi 2000 ans d’histoire d’exclusion et de ghettoïsation, nous qui avons servi de boucs émissaires pour la construction des identités nationales en Europe ? Mais non, détrompez-vous ! Le message de Michael Freilich est fort simple en fait: la kipa n’est pas le foulard. Le port de la kipa n’est pas un précepte religieux, le foulard oui. Le foulard sert à opprimer les femmes, les femmes juives, elles ne sont pas opprimées. Alors, bonnes gens de Flandre, surtout ne jetez pas le bébé (juif) avec l’eau du bain (musulman) en bannissant tous les symboles religieux. Et la perruque dites ? C’est pas de l’oppression ça ? Non, elles ne la portent qu’une fois mariées. De plus, il y a selon Freilich aujourd’hui des perruques, qui coûtent jusqu’à 2000 euros (sisi) et qui sont indistinguables des vrais cheveux. Certes, la perruque n’est pas le foulard, et tout ça résout peut-être le problème de l’école, mais pas le problème de l’oppression, le mariage étant le lieu par excellence où les hommes ont toujours exercé leur pouvoir sur les femmes non ? ■ * Tribune de Nicolas Sarkozy dans Le Monde du 9 décembre.

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DE LÉON LIEBMANN

La justice belge encore et toujours sur la sellette

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our mener à son terme la trilogie sulfureuse de nos « descentes sur les lieux »de la justice belge vécue au quotidien, il nous reste à mettre en évidence comment de hauts fonctionnaires peuvent en arriver à en dévoyer sciemment le cours. Premier manquement grave dont j’ai été moi-même le témoin ahuri. Il a été perpétré et même réitéré par le médecindirecteur général d’un important établissement dit « de défense sociale » où sont enfermés et soignés les auteurs avérés ou suspectés d’infractions pénales commises sous l’emprise des troubles mentaux qu’ils sont censés présenter. J’avais été désigné comme avocat « Pro Deo » et commis d’office pour assurer la défense de trois d’entre eux. Je commençai mon intervention par la consultation des dossiers, troublé puis stupéfait par ce que j’y découvrais dans le premier d’entre eux. Le seul document d’ordre médical qu’il contenait était signé par le médecindirecteur général, lui-même neuropsychiatre. Il y décrivait en termes presque tous ésotériques l’état mental du « patient » qui, selon lui, constituerait un danger public s’il était libéré pour revivre dans la société ambiante. Ce rapport était si accablant que ma première réaction fut de ressentir l’inutilité de mes efforts. Je n’en repris pas moins

ma lecture en compulsant le deuxième et le troisième dossiers. J’y découvris, d’abord incrédule, que les rapports médicaux qui s’y trouvaient émanaient du même haut fonctionnaire et qu’ils étaient totalement identiques au document médical contenu dans le premier, à l’exception des données relatives à l’identité de l’intéressé (nom, prénom, date de naissance, dernier domicile, etc...). Ainsi donc, trois personnes, que presque tout séparait sinon opposait (âgés respectivement de 17, 40 et plus de 60 ans, délits reprochés allant de l’exhibitionnisme sur la voie publique à une tentative de parricide heureusement interrompue et annihilée à temps par son auteur « repenti ») étaient décrites « scientifiquement » dans les mêmes termes ! Une seule explication, qui n’est évidemment en rien une justification, de cette reproduction des mêmes données médicales dans plusieurs dossiers distincts : l’auteur n’avait pas prévu que l’avocat désigné dans une des trois affaires le serait également dans les deux autres et découvrirait forcément le procédé indigne utilisé en cette (au moins !) triple occurrence ! Pour ceux de mes lecteurs que l’aspect anecdotique de ce « fait-divers » si peu divers... ifié intéresse, voire intrigue, je préciserai que j’obtins,

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avec le concours de bénévoles plus sérieux que le piètre héros de cette triple aventure judiciaire, la remise en liberté de deux de mes trois clients; seul l’exhibitionniste resta enfermé dans l’établissement où il croupissait depuis près de 25 ans et où il était devenu... complètement dément !

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econd volet de notre brève incursion dans la faune bigarrée des hauts fonctionnaires exerçant leurs fonctions en marge du pouvoir judiciaire. Mon client avait été, par deux fois, condamné pénalement. D’abord pour coups et blessures volontaires portés à son rival amoureux (sa femme le trompait quotidiennement avec la même personne et cela, dès le début de la matinée, à peine avait-il quitté le domicile conjugal pour se rendre à son travail. Un voisin resté anonyme lui avait écrit une lettre pour le mettre au courant de son infortune; ensuite pour s’être abstenu de verser à son exépouse la pension alimentaire qu’elle avait obtenue en justice. Au total, il devait purger une (double) peine de 13 mois de prison « ferme ». Je demandai aussitôt sa libération conditionnelle (motif : il s’était remarié et sa nouvelle épouse avait mis un enfant au monde) et je sollicitai également pour lui une mesure de grâce. À peine avais-je entamé ces


deux procédures que je reçus une brève lettre de mon client infortuné me demandant de lui rendre visite dès que possible dans « sa » prison pour une communication importante. Je déférai sur le champ à son « invitation ». Il m’apprit que l’aumônier catholique officiant dans cette prison avait pu consulter son dossier au greffe et qu’il y avait découvert, audessus de la pile de documents qui s’y trouvaient, une brève note du directeur ainsi libellée : « À ne pas libérer avant terme car indispensable à la cuisine ». Or mon client n’était même pas un cuisinier professionnel mais un camionneur. Il avait travaillé à la cuisine de la prison pour toucher un peu d’argent et pouvoir ainsi venir financièrement en aide à son conjoint au bord de la misère. Je demandai aussitôt d’être reçu par le directeur général des Établissements pénitentiaires pour qu’il intervienne afin de faire cesser cette lamentable injustice. Lorsque je me présentai devant lui, j’eus la mauvaise surprise de voir un de ses collaborateurs rivé à son siège et gardant le silence. Mon unique interlocuteur, après m’avoir écouté pendant quelques instants, me reprocha avec véhémence de l’avoir insulté en prétendant que ce qui s’était passé avec mon client avait été manigancé par lui-même en parfaite contradiction avec la loi. Abasourdi, je fis appel, en toute ingénuité, à son collaborateur pour confirmer que je n’avais pas du tout dit cela, ce qu’il nia à ma plus grande surprise. Le directeur général, fort de cette pseudo-confirmation de mon attitude injurieuse, me mit... à la porte en m’annonçant qu’il saisirait le bâtonnier pour que je

sois sanctionné par mes « pairs ». Je saisis moi-même le chef de l’Ordre des avocats en lui rapportant fidèlement la teneur de ce singulier entretien et l’affaire n’eut, pour moi, aucune suite. De son côté, mon client, qui s’était décidé à mettre fin à son activité culinaire, dut exécuter sa peine jusqu’au dernier jour du treizième mois de son incarcération. Ce haut fonctionnaire avait, avec un aplomb digne d’une meilleure cause, appliqué le célèbre adage attribué au Maréchal Foch « La meilleure défense, c’est l’attaque ». En acculant le jeune stagiaire que j’étais alors à une stricte défensive, il m’avait empêché de mettre « qui de droit » au courant de cette ignoble façon de garder en prison quelqu’un qui, manifestement, n’y avait pas - ou plus - sa place.

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ette brève recension de faits dont j’ai eu à connaître personnellement n’a pas pour but de vous faire croire que le pouvoir judiciaire fonctionne toujours de la sorte. Elle vise seulement à vous mettre en garde contre son éclairage souvent partiel et partial et presque toujours tendancieux dans les médias et dans ses « scoops » plus sensationnels que porteurs de la vérité. Celle-ci est très souvent tout autre et est, elle, couverte la plupart du temps par les supérieurs hiérarchiques du « tricheur ». C’est donc dans l’opacité que le pire se commet généralement. Que conclure de ce peu réjouissant tour d’horizon ? Certainement pas une condamnation, « par défaut » et « sans appel », de tous les

membres du pouvoir judiciaire qui, pour la plupart d’entre eux, se comportent correctement dans l’exercice de leur charge. Où le bât blesse surtout, c’est du côté des chefs de corps (premier président d’une Cour, procureurs généraux et procureurs du roi et auditeurs du travail) qui ne sont pas toujours - et c’est un euphémisme - choisis et nommés pour leurs qualités morales et leurs compétences professionnelles mais grâce à leur entregent et à leurs relations dans les hautes sphères du monde politique. Certes, il y en a qui se montrent dignes de leur fonction. Mais il y en a d’autres qui, soit par fainéantise, soit par complaisance à l’égard de gens aussi « pistonnés » qu’eux, s’abstiennent d’intervenir en cas d’abus.

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n d’autres termes, ces « marchands du temple » judiciaire s’empressent, quand ils sont mis au courant d’une faute professionnelle plus ou moins grave d’un de leurs subordonnés, de « couvrir » ce qu’ils viennent de… découvrir. C’est toute une mentalité qu’il faut dénoncer et réformer. Un ex- collègue m’assure que dans la plupart des cas les jeunes magistrats se montrent plus zélés et plus compétents que leurs devanciers. La principale raison de cette sensible amélioration tiendrait dans le fait que depuis quelques années l’accès à la magistrature est devenu beaucoup plus conforme aux exigences d’un métier fort ardu. C’est pourquoi c’est sur une note optimiste que se termine mon analyse d’un monde judiciaire en pleine mutation. ■

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cultes et laïcité Des minarets et des croix CAROLINE SÄGESSER

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es symboles de la foi islamique et de la foi chrétienne ont, ces dernières semaines, déchaîné les passions de ceux qui souhaitent les voir disparaître – et pour cela, peut-être, carrément les interdire – comme de ceux qui y sont viscéralement (au sens où cet attachement est plus sentimental que rationnel) attachés. Tout d’abord, les minarets. Nul n’ignore que les Suisses ont, lors de la votation fédérale du 29 novembre dernier, décidé d’inscrire dans leur Constitution l’interdiction de la construction de nouveaux minarets (il existe déjà en Suisse quatre mosquées auxquelles un minaret est adjoint et qui pourront le conserver. Tiens, si mes informations sont exactes, c’est au moins autant qu’en Belgique où, avouons-le, le minaret n’est pas encore entré dans les mœurs paysagères). Rien de moins. Alors oui, bien sûr, on est choqués devant cette décision, et on est aussi un peu consternés devant son caractère ridicule. Puis, 24 heures plus tard, les premiers commentaires tombés ayant été lus, on est à nouveau choqués. Par ceux qui estiment que c’est normal, le caractère xénophobe des Suisses est bien connu, surtout depuis la Seconde guerre mondiale : regardez comment ils ont traité les Juifs. Par ceux qui sont sûrs que chez nous, ça n’ar-

riverait pas (depuis, les sondeurs s’étant jetés avec gourmandise sur cette question, et s’il faut leur accorder quelque crédit, il semble que nous aussi, et nos voisins, nous voterions bien pour une interdiction des minarets). Par ceux qui crient que le droit de l’homme le plus fondamental a été bafoué (celui de construire des minarets ? Non, bien sûr, la liberté de conscience, sérieusement menacée par ces nouvelles prescriptions architecturales…) Alors voilà, on se prend à avoir envie de se faire l’avocate du diable, et de souligner que la décision suisse est le résultat d’une votation populaire et démocratique, et qu’il est bien difficile d’en remettre en cause le résultat mais non le mécanisme. De dire aussi que oui, il y a un certain courage chez ces électeurs, que l’on imagine frileux, craintifs, repliés dans leurs montagnes et calfeutrés à l’abri des parois rassurantes de leurs coffres-forts, à avoir ignoré les avertissements des partis traditionnels qui leur annonçaient qu’ils se mettraient à dos le monde entier (ça, ils sont habitués) mais surtout, qu’ils allaient fâcher leurs meilleurs clients, issus des pays arabes. Cet argument opportuniste, souvent entendu, et qui abaissait les partisans du « non » qui le proféraient à la hauteur des initiateurs de ce référendum, l’électeur suisse n’en a eu cure. Il a décidé qu’il ne voulait pas de mina-

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rets en terre helvète. De toute façon, en Europe occidentale, il n’y a pas beaucoup de minarets. Personne ne se hâte pour délivrer des permis de bâtir des mosquées flanquées de ces tours ni se réjouir d’entendre les appels du muezzin dans l’espace sonore. Certains crient à la discrimination en pointant du doigt les innombrables clochers qui « ornent » nos rues et nos villages. C’est oublier que ces clocherslà sont là depuis très longtemps. Cela ne signifie pas que le christianisme, présent, comme le judaïsme, dans nos pays depuis fort longtemps, a de ce fait une légitimité supérieure. Simplement, la situation en matière d’édifices religieux est le produit de l’histoire, et non d’un traitement discriminatoire actuel. Croit-on vraiment qu’aujourd’hui, les permis de construire des nouvelles églises munies de tours garnies de cloches sonores se délivrent à la pelle ? Non, bien sûr. Nous sommes dans une société où l’emprise du religieux s’est faite discrète. Pour concrétiser cet état de fait, il serait bon que notre Constitution énonce de façon explicite la séparation de l’Église et de l’État. C’est l’objet d’une proposition de loi déposée notamment par le sénateur Mahoux à l’automne 2007. Cette proposition visait notamment à assurer en toutes circonstances la primauté de la loi civile sur la loi religieuse, à établir


l’égalité entre les représentants des organisations convictionnelles sur le plan protocolaire, et à instituer une stricte neutralité des services publics et de leurs agents. Ce sont là des matières qui appellent plutôt une modification de la Constitution qu’un simple texte de loi. Mais, à défaut de l’une, l’autre pouvait constituer un bon début - songeons qu’elle proposait notamment, acte de vraie révolution, d’abolir un décret napoléonien, le décret impérial du 24 messidor de l’an XII, relatif à la préséance du culte catholique… La proposition de loi devait être examinée par la commission des Affaires institutionnelles de la haute assemblée à la mi-décembre. Las ! Ce fut la débandade complète. Des cosignataires du texte se sont rétractés, et le principal intéressé a convenu que ce serait sans doute mieux de confier l’examen de cette question aux Assises de l’inter-

culturalité mises en place à l’initiative de la présidente du CDH Joëlle Milquet, afin de permettre un débat serein. Il semble bien que tous soient aujourd’hui gagnés par cette pernicieuse assimilation du cultuel au culturel. Il est vrai que la presse, dans son ensemble, n’a pas été tendre avec la proposition Mahoux. Si le vent a ainsi tourné, c’est parce que certains, habilement, ont agité une menace : la disparition des croix dans les cimetières. Gageons que, plus forte que la crainte de ne plus voir St Nicolas visiter les écoles, évoquée également, la perspective de voir les croix retirées des cimetières en a fait frémir plus d’un, croyant ou mécréant1. (Ceci en disant long sur l’association entre mort et crucifix dans l’esprit de beaucoup, et donc sur le caractère mortifère de la religion qui la suscite. Mais c’est une autre question). Voici donc la question de la neutralité de l’État en matière de convictions confiée à un ensemble hétéroclite de représentants de la société civile où l’on retrouve de nombreux religieux. Ceci étant sans doute le gage que cette société civilelà n’émettra pas de recommandation qui ressemblerait à la volon-

té des électeurs suisses. Au nom de quoi un processus serait-il plus légitime qu’un autre ? Parce que ces résultats seront plus conformes aux espérances de ceux qui ont initié le processus ? Il y a un malaise. La solution la plus légitime, la plus conforme à notre système politique et à la démocratie tout court, dont il a été suffisamment démontré que c’est dans sa forme représentative qu’elle est la plus efficace, est de confier ce débat au Parlement. C’est précisément la fonction première de nos parlementaires que de réfléchir au contenu et à la forme des lois qui organisent la société ; on déplore souvent, à juste titre, que le rôle des élus se réduise à celui de presse-bouton pour entériner des décisions prises par le gouvernement. Rendons au Parlement sa fonction première en lui laissant débattre de ce thème, sensible mais central, de l’organisation des rapports (ou de l’absence de rapports) entre églises et État dans notre pays. ■

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Ainsi que le Conseil d’État l’avait fait observer, la gestion des cimetières relevant des autorités régionales, une loi fédérale n’aurait pas été à même d’y interdire les signes religieux. Au surplus, la proposition ne visait, évidemment, que les parties communes des cimetières et ne restreignait en rien la liberté de chacun d’orner une tombe des signes et textes de son choix.

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activités vendredi 22 janvier dès 19h

Grande soirée « jeux » Après le désormais traditionnel bouillon juif, servi dès 19h, adrénaline, stress et fous rires seront au rendez-vous. « Ambassadeur », « Pierre Paul », « la vache qui tache », « pauvre petit chat », le jeu des « neuf cases », « football intellectuel », « loup garou », « chapi chapo », etc.., etc... Cela vous dit quelque chose ? Ceux qui connaissent, ceux qui n’ont jamais joué, ceux qui ont oublié, les lents, les rapides, les jeunes et les un peu moins jeunes, ... vous êtes tous invités à participer à cette gigantesque

« Shpiel Lokshn Party » Réservations souhaitées au 02.537.82.45 La participation est gratuite - le bouillon est à 3 EURO

mardi 26 janvier à 20h15

Avec le soutien de la Fondation Böll

Territoires palestiniens : situation catastrophique de la santé publique Conférence-débat avec

Jehad Awad Ahmed, responsable de la vaccination à Gaza et en Cisjordanie Jehad Ahmed est un fonctionnaire du ministère de la santé de l’Autorité Palestinienne qui réside au camp de Jabalya (Gaza). Il connaît bien les effets du blocus et des bombardements israéliens qui ont frappé ce territoire et ceux de l’occupation de la plus grande partie de la Cisjordanie et qui ont sensiblement augmenté la morbidité et la mortalité des Palestiniens. Des membres du « Groupe Proche Orient Santé », qui s’est rendu récemment à Gaza, participeront à cette soirée en intervenant dans le débat. PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO Hommage Mireille Seifert , née le 18 août 1961, une ancienne du groupe des Van Troï, avec qui nous avons encore dansé au dernier bal de l’UPJB, s’est éteinte le 23 novembre 2009. Ceux qui l’ont connue se souviendront de son rire communicatif, et de la qualité de sa présence à l’autre. Catherine Daems

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vendredi 29 janvier à 20h15 Lutter contre la pauvreté. Lutter contre les pauvres Conférence-débat avec

Anne Herscovici,

sociologue, députée Ecolo au parlement de la Région bruxelloise, ancienne présidente du CPAS d’Ixelles et directrice du Centre d’appui au secteur bruxellois de l’aide aux sans-abri

La lutte contre la pauvreté est au cœur de quantités de discours, de rapports de recherche, de projets politiques, de déclaration de bonnes intentions. L’année 2010 battra sans doute quelques records en la matière. Elle a en effet été proclamée « Année européenne de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale » par le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne. La Belgique qui assumera la présidence de l’Union européenne au cours du second semestre 2010 a retenu comme thèmes prioritaires de ses actions : - Garantie d’un revenu minimum et protection sociale. - Lutte contre le sans-abrisme et permettre l’accès à un logement durable. - Rupture avec le cercle vicieux de la pauvreté : pauvreté de génération. Vu depuis les CPAS, la distance semble parfois bien grande entre les bons sentiments et des choix politiques réellement émancipateurs. PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO

vendredi 12 février à 20h15 Conférence-débat avec

Alain Brossat,

professeur de philosophie à l’université de Paris 8 Affiche électorale du Bund

autour de son livre coécrit avec Sylvie Klingberg

Le Yiddishland révolutionnaire Ils sont montés sur toutes les barricades du siècle, des avenues de Petrograd aux ruelles du ghetto de Varsovie, de la lutte antifranquiste à la résistance antinazie, les révolutionnaires du Yiddishland. Pour la plupart enfants de la misère juive d’Europe centrale, militants socialistes, communistes, bundistes, sionistes, trotzkystes... ils incarnaient l’activité multiple, le radicalisme d’une classe ouvrière juive. Ce livre retrace le combat de ces militants, leurs trajectoires singulières. PAF : 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit : 2 EURO

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histoire(s) Le parcours de quatre résistantes JO SZYSTER

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our clôturer l’événement consacré à quatre résistantes de « Solidarité Juive », nous nous proposons de rappeler le parcours des quatre femmes que je désignerai par les noms sous lesquels elle sont connues ; Maggy Volman, Yvonne Jospa, Sonia Goldman et Sarah Goldberg. Toutes les quatre sont issues de l’immigration juive de la période de l’entre-deux guerres. Deux d’entre elles sont originaires de Pologne et les deux autres de Bessarabie, région qui recouvre la Moldavie actuelle et une partie de l’Ukraine. Cette immigration et la présence juive en Belgique ont déjà fait l’objet d’articles de notre mensuel, nous n’y revenons pas. Commençons par quelques mots sur « Solidarité Juive ». Le mouvement « Solidarité Juive », traduction en français du yiddish « Yidishe Solidaritet » a été créé en 1939 par des Juifs récemment immigrés en Belgique. Comme l’écrit Rudi Van Doorslaer directeur du CEGES, « Solidarité juive » se situe dans la continuité de diverses organisations communistes actives dans l’entre-deuxguerres ». (Ce sera en janvier 1945 que « Sol » comme l’appelaient ses membres, se constituera en ASBL et publiera ses statuts au Moniteur Belge). En 1969 « Sol » changera de nom et de statuts et deviendra l’UPJB. Qui étaient ces gens qui ont

créé « Sol » en 1939? C’étaient des Juifs majoritairement originaires de Pologne ou de Bessarabie. C’était des gens fraîchement immigrés en Belgique dans les années 1920/1930, parfois clandestinement ; parfois des illégaux sans permis de séjour. Certains étaient venus officiellement en Belgique pour faire des études, à Gand ou à Liège par exemple, d’autres pour travailler, à Anvers, Bruxelles et dans les régions minières notamment. La plupart avaient fui les régimes autoritaires de Pologne et de Roumanie, ils étaient relativement jeunes, yiddishophones ou russophones, plusieurs avaient connu la prison dans leurs pays d’origine pour activité politique interdite, entendez agitation sociale et propagande pro-communiste. Ils avaient évidemment poursuivi leurs activités politiques en Belgique dans des mouvements comme les « patronatn » (patronages destinés à récolter de l’argent pour aider les prisonniers politiques dans leurs pays d’origine), le « Secours rouge international », le « Kultur Fareyn », le « YASK » (Yiddishe Arbeter Sport Klub), les « landsmanshaftn », le « Prokor »... Plusieurs d’entre eux avaient combattu dans les brigades internationales en Espagne. C’était des antifascistes convaincus, marxistes et communistes. Après ce court préambule qui situe le cadre dans lequel le combat politique des quatre femmes s’est

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situé, venons-en à parler d’elles, et commençons par la plus âgée. Maggy (Seindel Volman) est née à Tatarbunar en Bessarabie en 1901. Son père était déjà décédé avant sa naissance (mort au cours de l’attaque par des brigands d’un train où il se trouvait) et sa mère meurt quand elle a 2 ans. Elle est élevée dans la famille de son oncle qui a déjà 8 enfants. C’est une famille bourgeoise qui possède deux moulins à farine, une petite imprimerie et une fabrique artisanale d’eau gazeuse. La famille n’est pas religieuse, on y parle le russe, pas le yiddish. Après avoir terminé le lycée, Maggy travaille comme typographe dans l’imprimerie de son oncle mais décide de poursuivre des études. En

Maggy Volman

1925, elle rejoint son « frère » Boris qui est déjà parti étudier à Liège. Elle n’obtient pas de bourse d’études et commence donc à travailler. Elle est tourneuse à la FN, puis typographe à Paris, et infirmière à Schaerbeek et elle poursuit des études d’infirmière à la Croix-Rouge. En 1929, elle épouse Léon Gvirtman qui a le même âge qu’elle et est aussi russopho-


ne, originaire de Bessarabie. Elle fréquente un groupe d’étudiants et de jeunes russophones juifs originaires de Bessarabie et dont l’activité, sous couvert d’activité culturelle, est de secourir les prisonniers politiques en Roumanie. En 1936, au début de l’agression franquiste contre la jeune république espagnole, Maggy entre au Parti Communiste. En 1938 elle suit un cours de formation des cadres du Parti. En 1939, face au danger allemand qui se précise, Maggy raconte qu’une réunion est organisée qui regroupe des Juifs communistes originaires de Pologne et de Bessarabie et dont le but est d’unir les Juifs communistes « polonais » et « bessarabiens » en un seul mouvement. Ce serait une des réunions qui déboucheront sur la création du mouvement « Solidarité Juive ». Dès 1941, Maggy entre au Front de l’Indépendance où elle participe à des actions de résistance armées. Début 1943 elle devient active au Comité de Défense des Juifs (ces nombreuses activités sont décrites en détail dans ses biographies). Dès la libération, Maggy travaille comme permanente à « Sol ». Le travail de reconstruction de la vie juive est immense. En 1949, elle est envoyée à Versailles où elle reçoit une formation d’un an à la Paul Bearwald School of Social Work. C’est une école créée par le JOINT pour former des ca-

dres sociaux destinés au travail de reconstruction de la vie juive en Europe. Comme permanente à la commission d’assistance sociale, en 1950, elle prend la direction du service « Colonies » de « Sol ». En 1951, Maggy devient secrétaire de « Sol » tout en continuant à diriger la « Commission Enfance et Colonies ». En 1954, elle est candidate à l’élection du comité de « Sol » (notamment avec Sonia). Outre son travail de permanente à « Sol », à partir de 1957 jusqu’à la fin des année 60, Maggy dirigera régulièrement la colonie de vacances scolaires de « Solidarité Juive » la « Maison du Bonheur » à Middelkerke Maggy sera aussi membre du MRAX et du club « Sholem-Aleichem » des anciens de « Sol ». Elle est décédée en 1984. Yvonne (Hava Groisman) est née à Papauti en Bessarabie en 1910 dans une famille bourgeoise juive russophone non croyante (le père était conseiller juridique) ; politiquement, on pourrait les qualifier de sionistes de gauche. À la suite de la révolution bolchévique d’octobre 1917, le gouvernement roumain occupe la Bessarabie et les Juifs sont immédiatement victimes de multiples discriminations dont un numerus clausus qui limite à deux le nombre d’enfants par famille autorisés à s’inscrire à l’université. Les deux sœurs aînées d’Yvonne étant

déjà inscrites à l’université, Yvonne, qui désire poursuivre ses études, doit donc quitter la Roumanie. Son père a des connaissances à Liège et elle y arrive à l’âge de 18 ans. Comme tous les immigrés qui se regroupent elle fréquente ceux qui sont originaires de la même région qu’elle. Elle fait immédiatement partie du groupe des jeunes Juifs bessarabiens qui parlent la même langue qu’elle (surtout le russe et le yiddish mais aussi le roumain). Dès son arrivée, elle s’inscrit à l’université où elle fait rapidement partie du comité des étudiants juifs. Elle maîtrise mal le français et échoue aux examens. Elle s’inscrit à l’École centrale de service social de Bruxelles où elle choisit la spécialité enfance. Après avoir terminé ses études, elle est chargée d’effectuer une enquête pour le service de sociologie de l’ULB. ParallèleYvonne ment à son travail, elle poursuit son engagement politique avec son ami Hertz Jospa qu’elle a épousé en 1933. Et c’est d’ailleurs le jour de leur mariage qu’ils s’inscrivent tous deux au Parti Communiste. Dès 1933, elle s’occupe d’aider les réfugiés qui fuient l’Allemagne et l’Autriche nazies ; en 1936 elle participe à

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➜ la prise en charge d’enfants espagnols recueillis en Belgique. Lorsqu’en 1942, Hertz Jospa, membre du Front de l’Indépendance, propose la création du mouvement clandestin CDJ (Comité de Défense des Juifs), Yvonne Jospa y est chargée, en tant que membre de la commission enfance, des démarches auprès des institutions officielles pour le placement des enfants juifs que le CDJ veut soustraire à la déportation. Tant Yvonne que son mari s’investissent profondément dans l’engagement politique de lutte contre l’antisémitisme nazi et pour leur idéal social d’une société plus juste. Après la libération, en janvier 1950 à Charleroi, à l’initiative de Léon Griner, naît le mouvement UJRAP (Union des Juifs contre le Racisme, l’Antisémitisme et pour la Paix) qui se présente rapidement comme l’URAP. En 1965, Léon Griner (encore lui) et quelques amis créent le groupe des « Amis de Droit et Liberté », le périodique publié à Paris par le MRAP (Mouvement contre le Racisme l’Antisémitisme et pour la Paix), ces « Amis de Droit et Liberté » se présentent comme le MRAP - Belgique. Le 27 mars 1966, le MRAP organise à Bruxelles la première journée nationale contre le racisme et c’est à cette occasion que le nouveau sigle MRAX est adopté. Après le décès de Hertz Jospa en juin 1966, Yvonne prend une part de plus en plus active dans le MRAX et c’est notamment elle qui, en 1968, organise le centre d’accueil destiné à donner l’information sociale aux immigrés. Le centre s’installe rapidement dans les locaux de la rue de la Poste, Yvonne s’y entoure d’une équipe qui regroupe des gens de diverses

origines sociale et philosophique. À partir de ce moment, et jusqu’à la fin de sa vie, l’histoire d’Yvonne devient inséparable de celle du MRAX. Elle est décédée en 2000 à l’âge de 90 ans. Sonia (Szayndla Wasserstrum) est née en septembre 1912 à Lukow en Pologne, petite ville située entre Varsovie et Lublin, près de la frontière avec la Biélorussie. Elle est née dans une famille modeste, très religieuse, traditionaliste où il y avait 8 enfants. Le père exerçait le métier de « commissionnaire ». La langue parlée en famille est le yiddish, mais tout le monde parlait aussi polonais, langue apprise à l’école. Après l’école primaire, Sonia est envoyée dans une école professionnelle où elle apprend le métier de corsetière. Dès l’âge de 14 ans, elle commence à travailler dans une boutique de Lukow qui fabrique et vend des corsets. Elle commence aussi à fréquenter le mouvement socialiste sioniste Hashomer Hatzaïr (La jeune Garde). À l’âge de 16 ans, elle décide de quitter la Pologne et espère pouvoir partir pour la Palestine mais le projet échoue (parce qu’un autre est envoyé à sa place par la Hashomer (la puissance coloniale britannique limite le droit d’immigration en Palestine). Déçue, elle choisit alors de venir en Belgique où son oncle maternel s’est installé il y a peu. Elle y entre légalement en automne 1938 munie d’un permis de travail et commence tout de suite à travailler comme corsetière. Sonia ne connaît pas le français, elle fréquente donc tout naturellement le milieu des Juifs polonais d’extrême-gauche et donc des gens qui seront à l’initiative de la création de « Sol ».

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En été 1942, au début des rafles de Juifs en Belgique, les Allemands s’étaient engagés à ne pas déporter les Juifs de nationalité belge. Sonia trouve un vieux monsieur qui accepte le mariage blanc ; elle devient donc belge par mariage. Cela ne lui donnera qu’un sursis puisqu’elle sera finalement arrêtée en janvier 1944 et déportée. Tout en continuant à travailler (puisque elle est belge par mariage), elle continue à fréquenter ses amis juifs communistes, adhère au PC en 1942 et est petit à petit intégrée dans le réseau de résistance du CDJ. Elle est ce qu’on appelle une « courrière », elle transporte des colis, de l’argent, des tracts en yiddish. Début 1944, vraisemblablement sur dénonciation, elle est arrêtée, envoyée à Malines et expédiée en avril directement à Auschwitz par le XXIVème convoi. À ce moment, Sonia a 32 ans, elle est jeune et en bonne santé, elle ne sera donc pas envoyée immédiatement à la chambre à gaz mais mise en esclavage comme tous les autres déportés juifs en état de travailler. Au camp, elle se lie avec trois autres jeunes femmes, leur amitié et l’entraide les aident à survivre et, de plus, elles font la connaissance d’une anversoise nommée Mala Zimetbaum qui est en position d’aider les prisonnières. Lors de l’évacuation des survivants du camp provoquée par l’avance de l’Armée rouge, elle réussit à s’enfuir et est finalement libérée par les Russes. Étant de nationalité belge, elle est rapatriée en Belgique en 1945. Son « mari » de convenance est décédé pendant son absence. Elle reprend contact avec ses amis survivants de « Sol » qui l’envoient en séjour de revalidation à


Olloy, près de Charleroi. Là, elle rencontre un autre rescapé avec lequel elle se mariera et aura un

Sarah Goldberg et Sonia

fils en 1947. Elle reprend son travail de corsetière dans le même atelier où elle travaillait lors de son arrestation. Plus tard elle ouvrira sa propre boutique à Bruxelles et même une seconde à Malines. Evidemment elle reprend aussi son activité militante à « Sol » et au parti communiste, puis au club « Sholem Aleichem » et sera proche du MRAX. Sonia est décédée en 2004. Sarah Goldberg est née en janvier 1921 à Radoszyce, petite ville de Pologne pas loin de Lodz. Sa mère meurt du typhus neuf mois après la naissance de Sarah. La mère avait donné naissance à neuf enfants dont quatre sont morts en bas âge. Le père est très pieux, c’est un Cohen. Il passe l’essentiel de son temps à étudier les livres religieux en hébreu ou à lire des livres en yiddish, c’est une sorte de sage qui, dans la communauté juive de sa petite ville, célèbre des mariages et auquel on fait appel pour tran-

cher des différends. La famille vit donc très pauvrement. Après la mort de la mère, la famille s’installe à Lodz, les enfants vont travailler dès l’âge de 14 ans après avoir terminé l’école où ils apprennent le polonais. Comme de nombreux Juifs fuyant la misère et l’antisémitisme, le père quitte la Pologne de 1930 en pleine crise et émigre en Belgique. La famille s’installe rue des Vétérinaires à Anderlecht, quartier à forte concentration juive. Sarah a 9 ans et continue donc à aller à l’école où elle apprend le français, langue qu’elle parlera parfaitement sans accent, contrairement aux trois autres femmes qui, elles, garderont jusqu’à la fin de leur vie leur accent russe ou yiddish. Sarah vit chez sa sœur et le mari de celle-ci, ils sont non religieux et politisés. Après l’école primaire, Sarah entre à l’école professionnelle Marius Renard en section commerciale. Vers l’âge de 15 ans, elle commence à fréquenter le club sportif juif « Unité », mouvement où, sous le couvert d’activités sportives, les jeunes acquièrent une formation politique communiste et militent au profit des combattants des brigades internationales en Espagne. En 1940, après un exode de quelques mois dans le sud de la France elle rentre en Belgique et prend tout de suite contact avec les « Jeunes Gardes Socialistes Unifiés » et participe à des distributions de tracts et journaux clandestins, et des collage d’affiches. En 1941, elle est contactée par le réseau d’espionnage pro-soviétique « L’Orchestre Rouge ». Elle arrête ses activités de résistante et ses contact avec les J.G.S.U et tout en conservant son métier de secrétaire dans la firme « La mo-

diste de la Reine », elle apprend le morse et devient une « pianiste » de « Die Rote Kapelle ». En été 1942, des membres de « L’Orchestre Rouge » sont arrêtés par les Allemands, elle échappe au coup de filet mais perd le contact. Elle rejoint ses anciens amis de « l’Unité » et sous le pseudonyme de Denise reprend son activité de résistante dans « l’Armée Belge des Partisans » et plus particulièrement dans le « Corps mobile de Bruxelles » presque entièrement constitué de Juifs polonais. Dans la nuit du 4 juin 1943, elle est arrêtée avec deux autres partisans juifs, Henri Wajnberg et Lola Rabinowicz avec lesquels elle occupe un appartement clandestin. En tant que Juifs, ils sont envoyés à la caserne Dossin à Malines, et de là, à Auschwitz-Birkenau par le XXIème convoi. En janvier 1945, devant l’avance de « l’Armée Rouge », le camp est évacué. Les prisonniers errent sur les routes pendant trois mois dans des conditions épouvantables et sont finalement libérés par les Soviétiques. Sarah est rapatriée en Belgique en mai 1945. Sarah est prise en charge par ses amis de « Solidarité Juive » et après six mois de déprime et de convalescence, elle recommence à travailler. Elle sera active à « Sol » comme monitrice puis directrice de la colonie de vacances à Middelkerke. En 1949, elle fondera un famille avec Jacques Goldberg. Sarah aura deux fils, elle mènera sa vie professionnelle et sa vie de famille tout en restant active sur le plan social et éducatif en témoignant notamment dans les écoles de son expérience des camps de la mort. Sarah est décédée en juin 2003. ■

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UPJB Jeunes L’UPJB-Jeunes, sur un air de... NOÉMIE SCHONKER

S

amedi 28 novembre, 20h30, les murs de la maison tremblent, un vent frais et dynamique décoiffe le public multigénérationnel du 61 rue de la Victoire ! Ambiance pétulante où la joie semble dominer tout naturellement… « La relève est assurée » me direz-vous ? Sourele, ton fils ne sera peut-être pas médecin ou avocat mais poète ou musicien… « Prometteur ! », je ne sais pas… Réjouissant certainement ! N’est-ce pas le signe d’une UPJB bien vivante ? Oui, nos jeunes se révèlent talentueux, mais qui en aurait douté ? Ils crient, ils créent, ils ont soif de découverte, d’ouverture et prennent place ! À eux la vedette, à eux la parole…

INTERVIEW D’IVAN Yvan, je suis restée bouché bée devant la qualité et le niveau, quasi professionnel, du groupe. Je ne m’attendais pas à cette maturité musicale, à ce style de musique - que j’aime par ailleurs beaucoup - ni à cette complicité sur scène… Le groupe est initialement constitué de Victor, Gary, Ienad et moi. Galia et Quentin se sont rajoutés récemment. C’est le premier concert pour cette formation mais, tous les membres ont déjà un important bagage musical d’influences diverses. Gary a une approche plutôt jazz ; Victor a tapé sur des casseroles jusqu’à ses cinq

ans, puis quand il a eu sa batterie, s’est lancé dans le rock ; Quentin ne jure que par le reggae et Ienad évolue dans le « roots » : funk, reggae, dub. Galia quant à elle a une formation de comédienne. Elle fonctionne fort à l’impro. Elle écoute le morceau qu’on lui propose, improvise quelques paroles, les travaille de son côté, on ajuste quelques notes et le morceau naît… Avec ExtraSystole, on a voulu créer notre style, une identité musicale qui nous est propre. Cette recherche prend la forme d’un laboratoire. On avance à tâtons, chacun cherchant à rencontrer les univers des autres pour aboutir à quelque chose de nouveau et de personnel. L’un d’entre nous propose un air, un accord ou juste une idée et on le travaille ensemble. C’est pour cela que l’on retrouve plusieurs styles dans notre répertoire que l’on peut qualifié de « funky-jazz-raggae-roots… ». Nous sommes très complices. Il n’y a pas de leadership. Pendant les concerts, on a souvent l’air dans notre bulle mais on est toujours à l’écoute de l’autre. Seule Galia entre en contact avec le public, nous, on est concentré sur le groupe… Et toi, c’est quoi ton background musical ? Je pensais que tu faisais du rock. Je découvre aujourd’hui que tu joues dans des groupes aussi variés qu’ExtraSystole, Ossean

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‘n Band ou 6 Guy’s… J’ai vraiment envie d’élargir les univers et de multiplier un maximum les expériences. Ma mère étant musicienne, je baigne dans la musique depuis tout petit. Je joue de la guitare depuis dix ans et ma formation de base, c’est le rock. Pendant sept ans, j’ai fait énormément de reprises de morceaux des années ’60, ‘70, ’80 avec le bon son sale du rock’n roll, tu vois ? Cette année, en rentrant au Jazz Studio, j’ai vraiment eu un déclic. Je me suis rendu compte de la difficulté de pénétrer dans le monde de la musique. Les horizons sont si vastes…

ExtraSystole en concert. Photo Ariane Brat


Carte de visite L’UPJB Jeunes est le mouvement de jeunesse de l’Union des progressistes juifs de Belgique. Elle organise des activités pour tous les enfants de 6 à 15 ans dans une perspective juive laïque, de gauche et diasporiste. Attachée aux valeurs de l’organisation mère, l’UPJB jeunes veille à transmettre les valeurs de solidarité, d’ouverture à l’autre, de justice sociale et de liberté, d’engagement politique et de responsabilité individuelle et collective.

Je n’ai eu accès qu’à un segment d’un ensemble immense et tellement riche ! Je veux tout explorer. C’est passionnant mais ça donne le vertige. Dans la musique, on ne finit jamais de se former, on peut s’inspirer, créer, innover… Pourquoi voulais-tu tellement jouer à l’UPJB ? J’ai toujours trouvé que la salle serait chouette pour un concert et j’avais envie d’introduire du nouveau à l’UPJB. Tu sais, tout enfant qui est passé au 61 rue de la Victoire s’approprie le lieu. Alors, jouer à l’UPJB, c’est un peu jouer chez soi. C’est un espace de

Chaque samedi, l’UPJB Jeunes accueille vos enfants au 61 rue de la Victoire, 1060 Bruxelles (Saint-Gilles) de 14h30 à 18h. En fonction de leur âge, ils sont répartis entre cinq groupes différents.

Bienvenus pour les enfants de 6 ans ou qui entrent en

Les 1ère primaire Moniteurs :

Shana : 0476/74.42.64

Volodia : 0497/26.98.91 Les

Janus Korczak pour les enfants de 8 à 9 ans

Moniteurs : Max : 0479/30.75.71 Mona : 0474/42.37.74 Les

Émile Zola pour les enfants de 10 à11 ans

Moniteurs : Fanny : 0474/63.76.73 Lucas : 0476/56.72.37

Les

Yvonne Jospa

pour les enfants de 12 à 13 ans

Moniteurs : Cyril : 0474/26.59.09 Ivan : 0474/35.96.77 Félicia : 0472/62.06.95 Les

Mala Zimetbaum

pour les enfants de 14 à 16 ans

Moniteurs : Alice : 0476/01.95.22 Théo : 0485/02.37.27

Informations :

Noémie Schonker - noschon@yahoo.fr - 0485/37.85.24

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Noé et Fouine. Photo gépé

confiance où règne une ambiance particulière. Pour le groupe, même si c’est chez moi, cela nous a permis de tester un autre public, « inconnu ». Jusqu’ici, nos copains étaient notre seul public. Ils ne sont pas très objectifs… Samedi, on a joué un nouveau morceau, plus psychédélique. On s’était dit, « si le public attend deux secondes avant d’applaudir, comme si le morceau allait continuer à les entraîner, c’est qu’il est bon », « ça passe ou ça casse »… C’est passé ! Je suis vraiment content que notre musique touche trois, voire quatre générations. Enfin, c’était important d’être là autrement. J’ai été amusé de voir les petites « Jospa » se réunir autour de moi après le concert. Elles ne savaient pas quoi dire, elles voulaient juste être près de moi, c’est très mignon. Vous trouverez des photos et des vidéos des groupes ExtraStystole et Ossean’n Band en concert sur Facebook ou des 6 Guy’s sur www.6guys.net

INTERVIEW DE NOÉ Noé, quand on te voit sur scène, que l’on écoute tes textes et tes appels à l’intergénérationnel, tes nombreuses dédicaces et la chanson coécrite avec Fouine et chantée en français et en yiddish, la filiation upéjibienne saute aux yeux. C’est évident. Pourtant, je n’ai pas préparé ce concert pour ce public en particulier. Pour la promo de ce premier concert, je n’ai pas mentionné l’UPJB. J’ai dit qu’il aurait lieu au 61 rue de la Victoire. Je ne voulais pas être dans une ambiance trop familiale mais devant un public plus large. C’est réussi ! La chanson chantée avec Fouine, je l’aurais jouée ailleurs aussi. Elle a touché des publics différents, c’est une réussite en soi. Quand j’ai demandé à Fouine d’écrire un texte en yiddish pour compléter ma chanson, il a été surpris. Je crois qu’en tant qu’enfant de cette génération, il n’aurait jamais imaginé, osé écri-

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re un texte aussi direct : « J’aurais voulu t’embrasser une dernière fois Mais le gaz allemand me laisse sans voix… ». Pour moi, cette guerre fait déjà partie de l’Histoire. Je suis évidemment ému d’en parler mais je n’ai pas de mal à le faire. Je ne sais pas si je vais garder cette chanson dans mon répertoire. L’enregistrement live existe et je voudrais que l’on s’en souvienne. Mais la rechanter, ailleurs, risquerait d’effacer la spontanéité avec laquelle je l’ai écrite et chantée. J’ai été très émue par cette chanson et par la place faite au yiddish. C’est une très belle dédicace. Mais j’ai aussi été étonnée par la sobriété des tes paroles et l’intimité du récit. J’ai voulu parler de la guerre de l’intérieur sans employer des grands mots. J’avais imaginé une chanson très rock, très rythmée. L’air initial est le même mais j’ai gardé les accords de Fouine. Le texte yiddish est plus long que prévu. J’ai laissé cette place à Fouine parce que c’est un ami et au yiddish parce qu’il faisait partie de la chanson, il ne servait pas simplement à évoquer le passé. L’UPJB a-t-elle eu un rôle dans ton aventure musicale ? Clairement ! Surtout les chansons que l’on nous apprenait et que l’on écoutait aux camps. L’UPJB a influencé ma sensibilité politique, forgé mon engagement. J’aurais d’ailleurs voulu saluer Youri et Lola à ce propos, ils


ont été des « modèles » fondamentaux pour moi et ce n’est pas parce qu’ils ont des ennuis pour l’instant que je le dis ! J’aborde aussi souvent le thème de l’amitié. L’UPJB, c’est ça aussi : l’expérience de la difficulté à vivre ensemble même quand il y a de l’amour. Par contre, je n’ai pas écrit la chanson avec Fouine en pensant à ma famille ou à ce que l’on m’a transmis à l’UPJB. J’ai juste voulu vivre une guerre le temps d’une chanson. Je ne sais pas te dire, là maintenant, pourquoi c’est de cette guerre que j’ai parlé… D’aucuns te trouvent pessimiste, « Jeunesse tu peux rester couchée, demain tout sera oublié… ». Personnellement, je suis séduite par ta révolte et ta lucidité… Mais, c’est dur d’être jeune aujourd’hui… J’ai du mal à faire du festif… Quand je dis « Jeunesse tu peux rester couchée », c’est pour ne pas dire, lève-toi ! Ce qui est dur, c’est de trouver les autres « pittoresques » et de constater qu’on leur ressemble. Il faut aussi savoir as-

sumer certaines chansons face à des gens qui veulent entendre du lisse, du propre. La réalité dont je parle est rêche et sale. Lors d’un concert « jeune talent » organisé à l’école, j’ai chanté des morceaux provocateurs comme « Alcool et fumée » ou « Plus que des cendres et du vomi », où je dis que des drapeaux rouges et des idéaux, il ne reste plus que des cendres et du vomi. Certains profs hésitent à me programmer l’année prochaine. C’est une sacrée reconnaissance ! Qu’est-ce que ça t’a fait de chanter tout cela à l’UPJB ? Ca n’a pas été facile, c’était même plus impressionnant qu’ailleurs. La maison est tellement chargée de luttes, de souffrance et de résistance ! J’ai mis du temps à faire écouter mes chansons à mes grands-parents. À quinze ans, qu’est-ce que je pouvais encore leur apporter ? ■ Vous pouvez retrouver les photos & les vidéos du « Live à la Victoire 09 » sur la page « Fan’s » Facebook de Noé Preszow ou sur : http://www.myspace.com/noefilsdeneptune

est le mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique (ne paraît pas en juillet et en août) L’UPJB est membre de la Fédération des Juifs européens pour une paix juste (www.ejjp.org) et est soutenue par la Communauté française (Service de l’éducation permanente) Secrétariat et rédaction : rue de la Victoire 61 B-1060 Bruxelles tél + 32 2 537 82 45 fax + 32 2 534 66 96 courriel upjb2@skynet.be www.upjb.be Comité de rédaction : Henri Wajnblum (rédacteur en chef), Alain Mihály (secrétaire de rédaction), Anne Gielczyk, Carine Bratzlavsky, Jacques Aron, Willy Estersohn, Sender Wajnberg, Caroline Sägesser, Tessa Parzenczewski Ont également collaboré à ce numéro : Roland Baumann Ariane Brat Léon Liebmann Gérard Preszow Noémie Schonker Jo Szyster Conception de la maquette Henri Goldman Seuls les éditoriaux engagent l’UPJB.

La relève de la relève. Photo gépé

Abonnement annuel 18 EURO Abonnement de soutien 30 EURO Devenir membre de l’UPJB Les membres de l’UPJB reçoivent automatiquement le mensuel. Pour s’affilier: établir un ordre permanent à l’ordre de l’UPJB (CCP 000-0743528-23). Montant minimal mensuel: 10 EURO pour un isolé, 15 EURO pour un couple. Ces montants sont réduits de moitié pour les personnes disposant de bas revenus.

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agenda UPJB Sauf indication contraire, toutes les activités annoncées se déroulent au local de l’UPJB, 61 rue de la Victoire à 1060 Bruxelles (Saint-Gilles)

vendredi 22 janvier dès 19h

Grande soirée « jeux » (voir page 22) 22

mardi 26 janvier à 20h15

Territoires palestiniens : situation catastrophique de la santé publique. Conférence-débat Territoires avec Jehad Awad Ahmed, responsable de la vaccination à Gaza et en Cisjordanie (voir page 22)

vendredi 29 janvier à 20h15

Lutter contre la pauvreté. Lutter contre les pauvres. Conférence-débat avec Anne Herscovici, Sociologue, députée Ecolo au parlement de la Région bruxelloise, ancienne présidente du CPAS d’Ixelles et directrice du Centre d’appui au secteur bruxellois de l’aide aux sans-abri (voir page 23)

vendredi 12 février à 20h15

Conférence-débat avec Alain Brossat, professeur de philosophie à l’université de Paris 8, autour de son livre, Le Yiddishland révolutionnaire, coécrit avec Sylvie Klingberg (voir page 23)

club Sholem Aleichem Éditeur responsable : Henri Wajnblum / rue de la victoire 61 / B-1060 Bruxelles

Sauf indication contraire, les activités du club Sholem Aleichem se déroulent au local de l’UPJB tous les jeudi à 15h (Ouverture des portes à 14h30)

jeudi 7 janvier

Projection d’extraits du spectacle « Le violon sur le toit », donné en 1989 par la troupe théâtrale de l’UPJB, avec échange de vues sur l’intérêt historique de l’œuvre

jeudi 14 janvier

« La médecine générale, pivot de notre système de soins de santé », par Marco Schetgen, docteur en médecine, généraliste, professeur à l’ULB

jeudi 21 janvier

Causerie à bâtons rompus sur les rapports entre la science, la morale et la religion, par Vladimir Grigorieff

jeudi 28 janvier

« LL’actualité du Proche-Orient » par Henri Wajnblum

Les agendas sont également en ligne sur le site www.upjb.be

Le comité de rédaction de Points critiques, auquel s’associe le conseil d’administration de l’UPJB, souhaite à ses lecteurs une bonne et heureuse année 2010.


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