n°301 - Points Critiques - décembre 2009

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mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique décembre 2009 • numéro 301

éditorial L’Union européenne vire tour operator

Bureau de dépôt: 1060 Bruxelles 6 - mensuel (sauf juillet et août)

HENRI WAJNBLUM

H

onte à ceux qui prétendent que l’Europe est en crise. Bon, c’est vrai… Il n’y a pas grand chose à dire de l’Europe sociale, ni de l’Europe politique d’ailleurs, si ce n’est à en dire du mal. Mais pourquoi vouloir toujours pointer l’aspect négatif des choses alors qu’il suffit de gratter un peu pour trouver de quoi positiver ? Car si l’Europe sociale cafouille, si l’Europe politique cacophone, l’Europe des charters, elle, a visiblement le vent en poupe, ce qui, pour des aéroplanes, on en conviendra, vaut nettement mieux qu’un vent contraire. Par Europe des charters, vous devez comprendre celle du rapa-

triement, sous une bannière commune, des « personnes en situation irrégulière ». Là règne une véritable entente, cordiale et unanime, qui fait plaisir à voir. Il en était question depuis longtemps, mais tout s’est accéléré ces dernières semaines… Le 23 octobre, Nicolas Sarkozy et Silvio Berlusconi « demandaient » que les Européens examinent la possibilité d’organiser des vols charters communs et réguliers pour expulser des immigrés illégaux. Le 30, lors du sommet de Bruxelles, les « 27 » leur emboîtaient allègrement le pas en demandant à la Commission « l’examen de la possibilité d’affréter régulièrement des vols de retour communs financés par l’agence Frontex »,

BELGIQUE-BELGIE P.P. 1060 Bruxelles 6 1/1511

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sommaire

éditorial ➜

éditorial

1 L’Union européenne vire Tour Operator ................................ Henri Wajnblum

israël-palestine

4 Un air de déjà entendu ............................................................ Henri Wajnblum

lire

6 Chronique familiale. Le long périple de Joseph PearceTessa Parzenczewski 7 Pensées obliques .............................................................................Alain Mihály 8 Juif après Gaza ......................................................................Carine Bratzlavsky

lire, regarder, écouter

10 Notules d’octobre ....................................................................... Gérard Preszow

mémoire(s) 12 Marzi 1989...L’automne de la liberté ................................... Roland Baumann 14 Pensions, séquelles et manœuvres .................................................. Éric Picard

réfléchir

16 Yehoshua ou le syndrome du Juif complet ................................ Jacques Aron

yiddish ? yiddish !

! widYi ? widYi

18 Dekt tsu ayer hust - Couvrez votre toux... ...............................Willy Estersohn

humeurs judéo-flamandes

20 Dominos politiques ......................................................................Anne Gielczyk

le regard 22 La magistrature debout... assise sur le banc des accusés .... Léon Liebmann 24

activités écrire

26 A pink pipele .................................................................................. Andres Sorin

upjb jeunes

28 Quand l’actualité nous touche de près ................................ Noémie Schonker

histoire(s)

30 Femmes en résistance. Une exposition ...............................................................

hommage

34 Tout le monde n’a pas eu la chance ..................................... Barbara Tournay 36

les agendas

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l’agence européenne chargée de la sécurité des frontières exterieures de l’UE. Nicolas Sarkozy en était rose de plaisir… « Personne n’aurait pu imaginer, il y a quelques années, que des gouvernements de gauche, de droite, du sud et du nord se mettent d’accord sur le principe que quelqu’un qui n’a pas respecté les règles, doit être ramené chez lui par avion, par train ou par tout autre moyen de façon digne », se réjouissait-il. Et d’en rajouter une couche… « C’est un progrès considérable », mais « Il faut aller plus loin, je veux des gardes-frontières européens ». En attendant d’envoyer les chars ? Ce n’est pas la première fois que des pays de l’UE se coalisent pour expulser des sans-papiers. Les États membres avaient déjà adopté une décision en ce sens le 29 avril 2004, précisant au passage que l’usage de la force ne pouvait « dépasser les limites du raisonnable ». S’il avait fallu le préciser, c’est qu’apparemment ça n’allait pas de soi pour tout le monde… Et c’est avec une touchante unanimité que les ministres avaient estimé qu’une politique de retour commune était « un élément clé d’une politique d’immigration et d’asile crédible à travers l’Union européenne » ! Vous avez bien lu, pour que la politique européenne commune d’immigration et d’asile soit crédible, ce n’était pas un vaste débat démocratique sur l’immigration et l’asile qu’il fallait initier d’urgence… Ce qu’il fallait, c’était organiser, toutes affaires cessan-


tes, les retours forcés et collectifs des indésirables ! Se voulant, comme chacun sait, les meilleurs élèves de la classe Europe, la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas avaient carrément pris les devants. Avant même que le Parlement européen ne se prononce sur cette politique d’immigration et d’asile crédible, ils organisaient, le 9 mars, le premier d’une série programmée de vols charter pour rapatrier 40 demandeurs d’asile et « illégaux », dont 36 en provenance de notre pays, 3 des Pays-Bas et 1 du Luxembourg, vers Pristina (Kosovo) et Tirana (Albanie). Ils remettaient ça le 18 mars en envoyant un nouvel Airbus de l’armée belge vers Ankara et Bucarest cette fois avec, à son bord, 16 Turcs et 34 Roumains (lisez des Roms), dont 45 en provenance de Belgique et 5 des Pays-Bas. La Ligue des droits de l’homme avait immédiatement dénoncé « cette pratique regrettable des renvois collectifs » et demandé « l’arrêt définitif des expulsions depuis la Belgique tant que des politiques d’immigration et d’asile respectueuses des droits de l’Homme n’y sont pas votées et appliquées ». Rappelons que La Belgique avait déjà été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour l’expulsion collective de Tsiganes vers la Slovaquie en octobre 1999, une condamnation motivée par la façon dont l’administration communale de Gand avait sciemment trompé des personnes pour mieux pouvoir les

priver de leur liberté, le caractère collectif des décisions de rapatriement et la violation du droit à un recours effectif. Plus près de nous cette fois, Le 20 octobre dernier, c’est un « vol groupé », qui décollait de Roissy avec 27 Afghans à son bord, 3 arrêtés en France et 24 en GrandeBretagne. À ce propos, le vice-président de la Commission, chargé de ces questions, Jacques Barrot, envisageait d’adresser à Paris et à Londres, « dans les tout prochains jours », une lettre leur demandant si le récent vol commun ramenant 27 Afghans vers Kaboul avait respecté trois conditions : « que les personnes concernées ont eu la possibilité de demander l’asile ; que cette demande a effectivement été refusée ; et que leur vie n’est pas mise en danger dans la région vers laquelle elles sont renvoyées ». Nous sommes curieux de lire la réponse. Pour autant qu’il y en ait jamais une. Il est à noter que, depuis un certain temps déjà, on n’accuse plus, dans le paradis Schengen, les demandeurs d’asile d’importer chez nous « toute la misère du monde ». On s’est probablement dit qu’il est plus rentable d’alimenter la peur de nos populations en leur martelant que tout immigrant passe obligatoirement par une filière criminelle. Sous-entendant que pour faire appel à de telles filières, il faut forcément avoir des accointances avec le crime organisé. Nous sommes pourtant nombreux à connaître des demandeurs

d’asile, régularisés ou toujours clandestins, à être arrivés chez nous par leurs propres moyens, et n’ayant bénéficié qu’ensuite de l’aide d’organisations militantes parfaitement désintéressées. Mais cela semble dépasser l’entendement des Sarkozy, Berlusconi et consorts, ou peut-être - mais c’est bien sûr ! - considèrent-ils ces organisations comme autant de filières criminelles elles-mêmes… Rien n’a donc changé, au contraire dirions-nous, depuis l’assassinat de Sémira Adamu, depuis la mort de Yaguine Koïta et de Fodé Tounkara dans les entrailles d’un avion Sabena en provenance de Conakry, ou encore depuis le rapatriement forcé de dizaines de Roms vers la Slovaquie. C’est la raison pour laquelle nous vous invitons à venir nombreux le dimanche 20 décembre à 14h devant le Centre fermé 127bis de Steenokkerzeel pour exiger l’arrêt des enfermements et des expulsions. La situation des sans-papiers est d’autant plus dramatique aujourd’hui que l’ancienne ministre de l’immigration, la tristement célèbre Annemie Turtelboom, a laissé en héritage, une semaine avant son départ, une circulaire ordonnant, aux bourgmestres et chefs de police, des enquêtes de voisinage, appelant à dénoncer les sans-papiers. Cette circulaire est toujours d’application et la chasse est plus que jamais ouverte. Dans le plus grand silence. Un silence que nous voulons briser avec l’ensemble du monde associatif. ■

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israël-palestine Un air de déjà entendu HENRI WAJNBLUM

J

uillet 2000, Bill Clinton convoque Ehud Barak, premier ministre israélien, et Yasser Arafat, président de l’Autorité Palestinienne, à un « sommet au finish» à Camp David. Yasser Arafat s’y rend avec des pieds de plomb. Il estime en effet que ce sommet n’a pas été préparé et qu’il ne peut rien en sortir de bon. Ehud Barak, quant à lui, emporte dans sa valise « les offres les plus généreuses qu’un gouvernement israélien ait jamais faites ». De quoi s’agitil ? Tout « simplement » de l’annexion par Israël de quelque 10% de la Cisjordanie et de la « location à long terme » d’une zone de sécurité le long du Jourdain. Le territoire palestinien se retrouverait ainsi coupé en trois morceaux dont chacun serait à son tour morcelé par les routes de contournement desservant les colonies juives (voir la carte). Comme il fallait s’y attendre, Yasser Arafat rejetait les propositions israéliennes et le sommet se concluait par un fiasco retentissant dont l’entière responsabilité lui était attribuée par Clinton et Barak. Dame ! Comment pouvaiton en effet rejeter une offre aussi généreuse ? Et c’est ainsi qu’Ehud Barak s’en revint en Israël en décrétant qu’il avait fait la preuve qu’il n’y avait pas de « partenaire pour la paix ».

L’offre « la plus généreuse » faite par Ehud Barak à Camp David

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On connaît la suite… Le 28 septembre suivant, le même Barak autorisait Ariel Sharon à aller « se promener » sur l’Esplanade des Mosquées (Haram al-Charif pour les musulmans) protégé par une escouade de policiers mobilisés pour la circonstance par Shlomo Ben Ami, ministre travailliste de la Sécurité intérieure. Les heurts inévitables qui s’ensuivirent firent 13 victimes, toutes citoyennes palestiniennes d’Israël. Cette provocation marqua le début de la seconde intifada et signa l’acte de décès du « processus d’Oslo ».

SANS PRÉCÉDENT ! Fin octobre 2009, Hillary Clinton, rencontre Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité Palestinienne, à Abu Dhabi, lequel lui confirme le refus palestinien de négocier avec Israël sans un gel total de la colonisation dans les territoires palestiniens occupés et à Jérusalem-Est. Cela n’empêche pas la secrétaire d’État américaine, quelques heures plus tard, lors d’une conférence de presse conjointe avec Binyamin Netanyahu, de déclarer « je veux voir les deux parties commencer les négociations dès que possible », qualifiant les propositions que ce dernier lui a faites de « sans précédent ». Après l’offre « la plus généreuse » d’Ehud Barak, en voici donc une plus généreuse encore puisque « sans précédent » et, qui plus est, formulée par le chef d’un gouvernement allant de la droite à l’extrême droite. On est impatient de savoir de quoi il peut bien s’agir… Et on ne tarde pas à savoir… Binyamin Netanyahu consent à interdire le lancement de nouveaux chantiers juifs dans les

territoires palestiniens occupés durant six mois (mais pas à Jérusalem-Est qu’Israël a annexée en 1967)… Voilà une décision qui ne lui coûte pas grand-chose puisqu’il y a déjà 3 000 chantiers en cours qu’il n’est en aucune façon question d’arrêter. Devant le refus des Palestiniens de revenir à la table des négociations qu’ils ont quittée après l’offensive israélienne contre Gaza de décembre 2008 et janvier 2009, Binyamin Netanyahu a beau jeu de reprendre à son compte la chanson « il n’y a pas de partenaire pour la paix » créée il y neuf ans par Ehud Barak, en en modifiant simplement quelque peu les paroles. Selon cette nouvelle version, la demande palestinienne de gel total de la colonisation n’est en effet qu’un « prétexte et un obstacle » à la reprise des « négociations de paix », et il enjoint Mahmoud Abbas de « se ressaisir » ! On se demande quelle mouche a bien pu piquer Hillary Clinton pour qu’elle change ainsi radicalement le fusil de l’Administration américaine d’épaule. Parce que, s’il est vrai que l’Autorité palestinienne n’avait jamais exigé auparavant le gel total de la colonisation comme préalable à la reprise de négociations avec Israël, elle n’a fait cette fois que prendre Barack Obama au mot qui, dès son entrée en fonction, exigeait d’Israël ce gel total. C’est de bonne guerre et parfaitement légitime. Devant les réactions violentes des États arabes, la secrétaire d’État américaine a tenté d’atténuer la portée de son soutien à Binyamin Netanyahu en déclarant que la Maison blanche considérait bel et bien la colonisation

israélienne comme « illégitime »… « Nous avons la très ferme conviction que mettre fin à toutes les activités de colonisation, actuelles et à venir, serait préférable », at-elle en effet affirmé après une entrevue avec le président égyptien Hosni Moubarak. Préférables, mais donc pas impératives pour la reprise des négociations entre les deux parties. Cela n’a bien entendu pas suffi à calmer la colère des Palestiniens qui se sont sentis une nouvelle fois trahis et abandonnés à leur sort par une Administration américaine dans laquelle ils avaient pourtant mis tous leurs espoirs. On en veut pour preuve les déclarations du principal négociateur palestinien, Saeb Erekat, selon lequel « si les colonies juives continuent de s’étendre et si les États Unis ne font rien pour s’y opposer, les Palestiniens devront renoncer à leur État ». On a envie de lui dire chiche, car si cette menace était mise à exécution, Israël se trouverait confronté à une situation qu’il redoute plus que tout, celle d’un État binational de facto, puisque les Palestiniens ne se considéreraient plus comme occupés mais comme faisant partie intégrante d’un « Grand Israël ». Un État dans lequel ces nouveaux « citoyens » seraient inévitablement soumis à une politique d’apartheid - pas de droit de vote notamment - et non plus à une « simple » discrimination comme le sont actuellement les citoyens palestiniens d’Israël. Une situation qui ferait peutêtre enfin bouger la « Communauté internationale ». ■

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lire Chronique familiale. Le long périple de Joseph Pearce TESSA PARZENCZEWSKI

À

l’âge de quatorze ans, Joseph Pearce, fils d’une Flamande et d’un soldat anglais, Vernon Pearce, rencontré par sa mère à la Libération, apprend que son père, si british, s’appelle en fait Werner Peritz, qu’il est Juif allemand, émigré en Angleterre en 1938, à l’âge de seize ans. Sa vie ne bascule pas. Il est moins dramatique de se découvrir Juif en Belgique qu’en Pologne. Des années plus tard, il entreprend un long périple à la rencontre des membres survivants de sa famille, afin de restituer leur histoire, leurs trajectoires, entre persécutions et exils. La chronique débute à Breslau, hier en Allemagne, aujourd’hui Wroclav, en Pologne. Joseph Pearce parcourt la ville avec son père, à la recherche de traces tangibles d’une vie ancienne. Un voyage dans un labyrinthe, où les rues ont changé de nom, où des quartiers entiers ont disparu et où la synagogue a été transformée en bar. Breslau, berceau de la famille Peritz. Par des recherches documentées, Pearce reconstitue aussi l’historique de la communauté juive de Breslau, il en trace le paysage dans une sorte d’étude sociologique qui répertorie les professions, les rapports à la religion, les multiples façons de se

vivre juif en Allemagne avant les années trente. Tout au long du récit, Breslau apparaît comme un havre de coexistence et de vie insouciante, suscitant encore de la nostalgie chez certains, mais ce lieu symbolise aussi la montée inexorable des persécutions. Après Breslau, Joseph Pearce s’envole pour la Bolivie, l’Australie, les États-Unis, Israël. Partout, il rencontre des cousins, des tantes. Certains ont émigré à temps,

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d’autres ont été pris au piège et se sont retrouvés à Auschwitz, ont survécu… Pearce noue des liens, recueille des témoignages, essaie surtout de comprendre la personnalité complexe de sa grandmère qui s’est suicidée en Bolivie en 1951. Mais au-delà de ces plongées dans des familles diverses, où le judaïsme se vit de différentes façons : passionnément, beaucoup, un peu, pas du tout, c’est la personnalité de l’auteur qui nous intrigue, toujours en retrait, exprimant rarement ses sentiments mais chez qui l’on perçoit un questionnement sur sa propre identité, quelle est sa part de judéité ? Comme quelqu’un qui frappe à la porte d’un autre monde et qui aimerait bien y entrer. Joseph Pearce est né en 1951. Il est critique littéraire et chroniqueur au Morgen et au Standaard. Il est l’auteur de plusieurs romans dont Graines de pavot (Actes Sud, 2007) inspiré par la vie de ses grands-parents. ■

Terres de promesse Joseph Pearce Traduit du néerlandais (Belgique) par Guy Rooryck Actes Sud 454 p., 23,80 EURO


lire Pensées obliques ALAIN MIHÁLY

À

première vue et à moins de verser dans ce travers qui, épargnant peu de communautés, consiste à épingler les grands hommes quel que soit leur degré d’affiliation ou de revendication identitaire, la disparition de Claude Lévi-Strauss ne devrait pas nous retenir outre mesure. Petit-fils de rabbin, l’académicien français n’a jamais exprimé le moindre intérêt personnel ou scientifique pour la culture originelle des siens alors pourtant que son intelligence était toute entière consacrée à la compréhension de rituels et de mythes « lointains » et qu’il exprimait d’autre part, le plus grand attachement aux rituels, à l’habit, à l’épée de l’Académie française (et pourquoi pas d’ailleurs). S’arrêter là serait pourtant une erreur, légère s’entend. Il ne s’agit après tout que d’identité juive, qui pèse tant à ceux qui sont convaincus que l’humanité (au sens large et la leur propre) ne s’en accommode pas. Le reste est construction auto-justificatrice (on s’emportera alors contre les « mythes », le « nationalisme », le « sionisme » ou la « religion »). Lévi-Strauss n’a rien dit de cela. On lui en saura gré. Il s’est contenté d’être le produit fini de la lente assimilation des israélites français, qui prit quand même plus d’un siècle et présenta des aspects paradoxaux (voir la création de l’Alliance israélite universelle). Il s’inscrit aussi dans ces trajectoires de « sa-

voir » qui signent l’entrée dans la modernité de tant d’intellectuels juifs de la fin du XIXe et du début du XXe, et se traduisirent le plus souvent par une rupture radicale avec les milieux et identités originelles. Peut-être peut-on imaginer que le projet de l’anthropologue de la « pensée sauvage » - sans que ce projet ne soit questionné, ce n’est pas notre propos - de compréhension de l’identité humaine globale tenait lieu d’identité de remplacement ou de rédéfinition de soi... Le « regard éloigné » par défaut ou impossibilité d’un regard sur soi-même et, pourquoi pas, la présence criante de cette absence. Évidemment, face à l’incroyable altérité des mondes tiers, les Juifs ne semblent pas vraiment faire tache au sein de l’Occident ; d’une certaine façon, selon ses critères et aux yeux de Lévi-Strauss peut-être n’existent-ils même pas ? Mais prenons L’identité, un volume reprenant un séminaire interdisciplinaire dirigé par Lévi-Strauss en 1974-1975 (PUF, 1977) avec, entre autres, Julia Kristeva, Michel Serres et André Green. Il y est question de beaucoup de choses, des Samo, des Balkans, des Bororos bien sûr, d’un village français mais les « Juifs » sont ici « hors sujet » (ce qui n’est bien sûr pas un problème en soi). Bizarrement ou non, ce séminaire fut cité lors d’un cours donné (en 1988) à l’Institut (ex-)Buber par Jean-Claude Picard, un historien du judaïsme antique,. Qu’en retenait-il (en deux

mots) ? Qu’il faut faire une part non seulement à la vérité des faits historiques mais au rôle des mémoires collectives dans la constitution des identités. Et d’interroger ensuite la formation du canon biblique... Les mythes « forment » ; ils existent et font exister. Prenons aussi, par un détour du même genre, Race et histoire, publié en 1952 par l’UNESCO, une réflexion sur la diversité et l’originalité des cultures du monde, une démonstration de la valeur de chacune d’entre elles et l’absurdité systémique qu’il y aurait à déclarer la supériorité de l’une d’entre elles. Mais c’est aussi cette phrase : « la civilisation mondiale ne saurait être autre chose que la coalition, à l’échelle mondiale, de cultures préservant chacune son originalité » sans qu’elles ne cessent pour autant, ajoutait-il, de collaborer entre elles. Ce questionnement peut être reporté à l’échelle du monde juif. En son sein et dans son environnement. Qu’en est-il, par exemple, de sa diversité culturelle ? En a-t-on fait définitivement le deuil ? A-t-on aussi, ici et là, définitivement considéré, au delà des effets d’annonces, que la « préservation de son originalité » était, au mieux, chose ringarde ? ■

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lire Juif après Gaza CARINE BRATZLAVSKY

«

Le problème de l’UPJB », me disait, très ému, un ancien qui s’est détourné d’elle après la manifestation dite du 11 janvier, « est votre manque d’amour pour Israël et pour le peuple juif ». À lire le petit livre très court et très dense, à la fois si sombre et si éclairant d’Esther Benbassa, on comprend mieux que pour nous, comme pour cette spécialiste de l’histoire du judaïsme moderne, c’est précisément le contraire de ce que l’on nous reproche qui nous anime. Révoltée par l’ampleur des violences, par la disproportion des forces en présence et par le discours victimaire et de survie auto-justificateur du gouvernement israélien, elle explique. C’est parce qu’Israël était un modèle d’éthique et qu’elle a toujours été portée par cette éthique (elle est allée y vivre, elle, comme d’aucuns d’entre nous), qu’elle se doit d’avoir un regard critique sur ce pays. C’est parce qu’elle est juive, qu’elle soutient l’existence d’Israël et qu’elle soutient aussi l’existence d’un État palestinien. C’est parce qu’’il apporte lui-même « sa moisson de justifications - évidemment fallacieuses - à l’antisémitisme », qu’elle craint que le monde ne

se détourne d’Israël, hier rempart symbolique contre la haine anti-juive en diaspora. Enfin, que si le défi est immense, l’offensive à Gaza « où quelque chose de nouveau s’est passé » peut avoir un effet paradoxal positif en réveillant les consciences juives, en Israël et en diaspora. Être juif après Gaza n’est pas une question pour elle, il n’y a d’ailleurs pas de point d’interrogation dans le titre de son livre. Pas plus que pour nous. Car, comme elle, et la charte de l’UPJB résonne si justement à la lecture du livre, nous n’avons jamais voulu sacrifier notre judaïsme sur l’autel du nationalisme. Retenant de l’histoire, de la culture et de l’expérience juives toutes les valeurs de dignité, de responsabilité et de solidarité humaine, nous n’avons pu accepter que des Juifs, dont les ancêtres qui ont vécu la persécution et la souffrance, l’exil et le rejet, puissent accepter qu’un autre peuple connaisse un sort similaire. C’est forts des principes premiers de l’éthique de l’humain qui regarde l’autre humain avec humanité, socle du judaïsme, que nous dénonçons, depuis 1967, la politique d’occupation et de colonisation des territoires conquis après la naissance de l’État hébreu.

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Mais pour les voix majoritaires de la communauté juive en diaspora - Esther Benabassa analyse particulièrement celle de France majoritairement issue d’Afrique du Nord (et les raisons historiques de son soutien à Israël liées aux blessures d’un exil sur lequel pèse le poids de tout un contentieux avec les « Arabes » à qui est imputé cet exil), c’est une vraie question, qu’il leur faut entendre, qu’il leur faut méditer. Si beaucoup ne sont juifs que par identification à Israël, et puisque même pour les autres, Juifs sécularisés ou religieux, tous les chemins mènent ou ramènent à Israël, « alors celui-ci se doit d’être différent des autres nations, ne serait-ce que pour être à la hauteur de l’amour que les Juifs lui portent ; celui-ci se doit d’être éthique, pour qu’être juif ait encore un sens. Sinon, à quoi bon l’être ? L’être pour porter le poids de la honte de ce que fait Israël aux Palestiniens ? Ce n’est pas la diaspora qui a besoin d’Israël, c’est elle qui le tient à bout de bras. Et c’est grâce au modèle juif diasporique, rejeté dans les premières années d’existence de l’État, que les Israéliens ont recommencé à (re)devenir juifs ». Après Gaza, et à l’heure où l’on commé-


more la chute d’un mur, « c’est un nouveau mur qui s’élève, celui de l’impossible communication entre les Juifs et leur entourage, qui ne peut plus comprendre leur excessive tolérance à l’endroit d’Israël(…) Il faudra bien qu’une action énergique, des États-Unis et de quelques autres puissances qui ne portent pas la culpabilité du génocide, appuyée par certaines

diasporas juives, tendent à imposer une solution de paix à tous les partenaires ». Voilà 74 petites pages, pour 4 petits euros, qui ne peuvent nous porter à désespérer tout-à-fait de l’avenir dès lors qu’elles nous rassurent sur la justesse de nos engagements. Il faudra bien qu’ils soient un jour plus largement partagés. ■

Esther Benbassa Ëtre juif après Gaza CNRS Éditions, 74 p., 4 EURO

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lire, regarder, écouter Notules de novembre GÉRARD PRESZOW

L

u dans le quotidien Le Monde du 20 octobre 2009 : Dans un discours prononcé devant les étudiants de l’université technique Yldiz d’Istanbul, le 8 octobre, le premier ministre turc a expliqué avoir « observé le modèle de réussite des juifs », affirmant que grâce à « leur sens des affaires », « les juifs peuvent faire fructifier leur argent en restant assis » ». Écrit dans le mensuel Points Critiques de décembre 2009 : oh, comme j’eusse aimé être juif… * Je l’appelle « le bottin familial ». C’est un gros livre que je trimballe depuis sa parution en 1982. Je me suis empressé de l’acheter le jour de sa sortie dans les bureaux de l’avenue Ducpétiaux à SaintGilles-lez-Bruxelles. Depuis, il y a eu d’autres éditions mais photocopiées. Celle-ci est en mauvais papier, bien épais et résistant. L’édition originale. Ce livre, c’est le Mémorial de la déportation des Juifs de Belgique, présenté par Serge Klarfeld et Maxime Steinberg et édité par l’Union des déportés juifs en Belgique, Filles et Fils de la déportation à Bruxelles et par The Beate Klarsfeld Foundation à New York. Curieusement, le livre est imprimé à Mechelen… en 1982. Aujourd’hui ressort cette fabuleuse somme historique sous la forme de quatre volumes aux éditions de la VUB : Mecheln-Auschwitz 1942-1944 par Ward Adriaens, Laurence Schram et Maxime Steinberg. En français,

flamand et anglais. Cet ensemble, il me le faut aussi. D’autant qu’il s’accompagne d’un ample travail iconographique qui a moins une visée historique que mémorielle : mettre un visage sur chaque nom. Ainsi, près de 16000 photos d’identité sont reprises sur les plus de 25000 noms. Je téléphone à l’éditeur pour demander si je peux consulter ces livres. 170 EURO, c’est quand même beaucoup d’argent avant de me décider à l’acheter, même si je sais cet ouvrage destiné à priori aux institutions et aux bibliothèques. La secrétaire me fait de la place sur son bureau pour que je puisse étaler ces quatre volumineux volumes. Je ne pense qu’à une chose : les miens ont-ils chacun leur photo ? Que Salomon, mon cousin germain (!) de 3 ans n’y soit pas, je comprends, je n’ai jamais vu de photo de lui, mais ma curiosité excitée en prend un coup quand je constate l’absence de Mathilde, ma grand-mère maternelle, de qui existent des photos « officielles ». Je plonge en pleine confusion. Admiratif devant un tel travail et profondément triste de cette absence. Finalement, et je ne me suis pas encore détaché de ce sentiment, je ne vois plus que cette absence dans ce livre… Je ne vois plus qu’elle qu’on ne voit pas. Est-ce une pirouette de me dire que cette absence irréparable, « irréparée », est encore plus vraie ? Mais il fut un temps où les historiens rejetaient les récits subjectifs des témoins. À juste titre. On ne mélange pas l’histoire globalisante et les mémoires individuelles. Et voilà que, par com-

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passion iconographique, l’histoire se fait mémoire. Un mélange de genres à l’image de l’édition : un label académico-scientifique (VUB) et un label mémoire (le musée de la déportation de MalinesMechelen-Mecheln). * Les reproductions du carton d’invitation donnaient envie. Le texte qui l’accompagne, signé Bernard Villers, est étonnant : il est rare qu’un écrit sur un peintre, sur ce peintre - Jacques Simon - donne l’impression de l’approcher avant même de l’avoir vu ! Jacques n’est pas au vernissage de la galerie Albert Dumont. Il est mort voici quelques mois. Et depuis de longues années déjà, il ne se disait plus peintre. Se l’est-il jamais dit ? Sa dernière exposition remonte aux années 60 et ce qui est montré là date principalement de 1966/1967. Peintre, il l’est. Fameusement. Naturellement. Surtout les travaux sur papier. Un sourire vient au visage : une telle évidente douceur, ce geste si intuitif de l’équilibre du trait et des formes, cette apposition à peine appuyée des teintes, cette manière de tirer le dessin et d’arrêter la couleur. On est toujours surpris quand une figure abstraite trouve son point précis d’existence. Surpris et comme joyeux. C’est un moment d’accord entre le regard et son objet, de dialogue d’évidence, de résonance secrète. L’espace de la feuille s’est transformé en temps suspendu. Mais de quelle matière est faite cette lumière ? Je mène l’enquête : lui me dit goua-


De gauche à droite : Nougaro, l’église SaintSernin, l’hôtel des ventes Primaderco. Photos gépé

che, elle me dit acrylique, lui me dit huile - non, pas huile, on verrait la graisse remonter en surface -, elle : aquarelle, non, trop de matière ; enfin, cela pourrait être la solution : à l’époque, on chipotait avec l’encre des typographes. Celui qui le dit est aussi peintre et est l’auteur du beau texte de l’invitation. Il sait de quoi il parle. Et je terminerai comme lui par les mots d’un autre : « …c’est une peinture d’un calme et d’une douceur extraordinaire. Décidément, je n’y comprends rien. Elle ne fait pas de bruit ». (Samuel Beckett, Le monde et le pantalon). * Chère Madame Colette Zytnicki, Sans doute allez-vous trouver ma démarche comique sinon saugrenue. Et vous n’aurez pas tort. Voici. Il y a quelques semaines je me trouvais à Toulouse à l’occasion d’un festival de jazz. Cette forme musicale étant plutôt un animal de nuit, j’avais du temps le jour pour me perdre dans les rues de la vieille ville. Quelques repères, quelques buts intermédiaires aidant à mieux se perdre, j’avais trouvé sur la carte l’emplacement d’une synagogue, la synagogue « vieille nouvelle », rue du Rempart Saint-Etienne. J’étais d’autant plus intrigué par cette synagogue « vieille nouvelle » qu’elle portait le même nom que celle de Prague. Il faisait un temps fort bizarre ce jour-là, pour cette saison-là : une température de 20° ponctuée d’averses bien mouillantes. « La

drache », comme on dit chez nous à Bruxelles. Je n’avais pas, cette fois, oublié mon K.way. La synagogue n’avait pas l’air fort difficile à atteindre, au bout de la rue de Metz (messe !), sur la gauche si l’on vient du Capitole et que l’on va pour sortir de la ville et franchir le boulevard du côté du Monument aux morts. Mais voilà, si je n’ai pas fait la rue du Rempart Saint-Etienne au moins 15 fois et d’avant en arrière et d’arrière en avant, je ne l’ai pas faite. Un commissariat, un bouquiniste, une salle de ventes, oui, mais une synagogue, non. Peut-être est-ce ma carte que je tiens dans le mauvais sens ? Parfois, il vaut mieux la tenir à l’envers, la mettre dans le sens de ses pas et retrouver sa gauche et sa droite. Non, décidément, D. n’était pas à mes côtés ce jour-là, et encore moins Maïmonide dont aurait dû m’accompagner son Guide des égarés ! Bref, je tournais en rond. Seule manière de m’en sortir ? Quitter la rue, aller jusqu’au grand boulevard, prendre de la distance pour mieux replonger dans la ville absurde. Et là, qu’est-ce que je vois ? Un panneau qui indique « synagogue », mais dans l’autre sens, de l’autre côté du boulevard. Je n’y comprends rien, je range cette satanée carte et me laisse guider, désemparé. Je tombe sur une antique façade jaune slave : LA synagogue. Je vous devine sourire, chère Madame : vous savez où je suis, moi pas. Je suis devant une synagogue, celle de la rue Palaprat (patatra, ai-je envie de dire) mais pas devant La synagogue « vieille nouvelle ». Tout est à refaire. Je

décide de replonger dans la rue du Rempart Saint-Etienne pour en avoir définitivement le cœur net. J’entre tout anxieux chez le bouquiniste à qui j’explique ce que je viens de vous raconter avec d’infinis détails. Il m’arrête : « Normal que vous ne l’ayez pas vue votre synagogue, vous n’avez cessé de passer et repasser devant, c’est aujourd’hui l’Hôtel des ventes au numéro 14 ». Ai-je photographié le bon hôtel (ou le bon autel, c’est selon) ? Pour m’en enquérir, je fais « synagogue vieille nouvelle toulouse » sur le net et, incroyable, je tombe, chère Madame, sur des pages de votre livre : Les Juifs à Toulouse entre 1945 et 1970 : une communauté toujours recommencée (1998, Presses universitaires du Mirail). Dans ce livre, vous parlez de la synagogue de la rue Palaprat au rite portugais et de la « vieille nouvelle » de la rue du Rempart Saint-Etienne, investie dans les années 60 par la communauté du Constantinois (Algérie). Mais cela ne me dit toujours pas si l’Hôtel des ventes « Primardeco » que j’ai photographié est bien le bâtiment de la désormais disparue synagogue « vieille nouvelle » de Toulouse. Merci à vous de me dire quoi Gérard Preszow PS 1 Ne vous dérangez pas plus. J’ai appelé l’Hôtel des ventes Primardeco : ils confirment que c’était une synagogue. PS 2 Je comprends pourquoi Nougaro eut plus à cœur de chanter l’église Saint-Sernin qu’une salle de ventes… ■

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mémoire(s) Marzi 1989... L’automne de la liberté ROLAND BAUMANN

S

électionnée en 2008 au festival international de BD d’Angoulême, Marzi est une surprenante chronique autobiographique en bande dessinée de la vie quotidienne dans les années 80 en Pologne. L’auteur, Marzena Sowa, revisite son enfance à Stalowa Wola, une ville industrielle du Sud-Est de la Pologne et son compagnon, Sylvain Savoia, qui n’est pas Polonais, a dessiné ces souvenirs d’un passé qui lui était quasi inconnu. Suite de vignettes tirées de la mémoire d’une petite fille, Marzi commence avec l’évocation du rituel de Noël et de la carpe, achetée vivante et conservée dans la baignoire avant d’être consommée en famille le 24 décembre au soir. Marzi raconte ses jeux avec les enfants des voisins dans leur immeuble à appartements. Elle parle de son cochon d’inde et de son chien, met en scène ses amies d’école, sa famille... Son récit intimiste nous confronte aussi à l’histoire de la Pologne en lutte pour sa liberté et à toutes les difficultés d’une vie « banale » : les queues interminables pour acheter des oranges, du chocolat, de la viande, ou du papier de toilette... Elle se souvient du 13 décembre 1981, lorsque le général Jaruzelski déclara l’état de guerre, revoit les tanks qui passaient dans l’avenue en bas de son immeuble, le lendemain de cette proclamation télévisée. Marzi évoque la répression des grèves dans les usines et ne comprend pas grand chose à cet-

te guerre dont les adultes parlent tout le temps entre eux. D’un récit à l’autre, l’enfant évoque les séjours chez les parents de sa mère à la campagne, son voyage en famille à Cracovie et Nowa Huta, l’effroi général après la catastrophe de Tchernobyl... Elle s’attarde sur ses amitiés, sa vie à l’école, nomme ces enfants privilégiés dont les parents ont accès au monde de la consommation occidental : téléphone, appareil photo, voiture, TV couleur, poupée Barbie... objets fétiches d’un paradis de la marchandise dont sont exclus la majorité des polonais. Enfin, elle documente la multiplication des formes de résistance dans ces années d’effroi.

LA POLOGNE PROFONDE Le second volume des souvenirs de Marzi, sorti en octobre dernier, pour le vingtième anniversaire de « l’automne de la liberté », nous montre la Pologne profonde, à l’occasion des séjours de Marzi dans les villages d’origine de ses parents. Visions fugaces d’un monde rural où le rythme des saisons et des fêtes calendaires dirige la vie quotidienne, loin des convulsions politiques. En alternance avec ces scènes de félicité champêtre, Marzi raconte la remontée du militantisme, le mouvement d’occupation de l’usine en grève de son père l’été 1988, avec le soutien de toute la population de la ville. Comme le dit Marzi : « On ne réclame pas les étoiles du firmament céleste, jus-

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te de la nourriture dans les magasins et, comme disent les grands, de la dignité. Et des caissières plus sympas, j’ajouterais... et puis des chewing-gums et puis plus de liberté pour voyager à l’étranger... ». Février 1989 voit le début de la Table ronde entre représentants de l’opposition et du gouvernement pour décider du chemin de la démocratie. Enfin, « le 4 juin, tout le monde est endimanché et la messe terminée, on se précipite aux bureaux de votre, pour la première fois depuis plus de 40 ans, les Polonais peuvent voter ! ». Le mouvement s’accélère, la Pologne est le premier pays du bloc soviétique à avoir un premier ministre non communiste, Tadeusz Mazowiecki. Viennent les grands bouleversements, en Hongrie, Tchécoslovaquie... jusqu’à la chute du Mur. Ce récit graphique de la chute de la « République populaire de Pologne » (Polska Rzeczpospolita Ludowa PRL) vue à travers les yeux espiègles d’une petite fille est suivi d’un journal de voyage : le 17 septembre 2001, Marzena Sowa réalise son rêve d’enfance et part vivre en France. L’auteur raconte aussi son retour au pays en mai 2009 avec une équipe française de télévision, venue filmer la ville de Marzi. Notes de rencontres, photos et dessins associent les souvenirs d’hier aux réalités du présent. On voit Marzena, sa maman, son quartier, etc... Marzena Sowa et Sylvain Savoia se sont rencontrés en


vée de son patrimoine multiculturel d’antan suite à la deuxième guerre mondiale et aux « années PRL ».

AFFRONTER LE PASSÉ

Marzena Sowa et Sylvain Savoia, le 5 novembre dernier à la librairie Brüsel lors d’une séance de signatures. Photo R. Baumann

France et vivent à Bruxelles depuis 2006. Dans Marzi, Marzena raconte ses souvenirs de l’histoire de la Pologne : « j’essaie de rester moi-même et de raconter le monde à travers moi-même ». Marzi est un voyage dans le passé, un récit très subjectif raconté par une enfant, dans lequel tous les Polonais qui ont grandi dans ces années là peuvent se reconnaître. Comme le note Marzena dans le journal de voyage qui termine le deuxième volume de Marzi, c’est en Pologne qu’est tombée la première feuille de l’automne de la liberté mais à l’heure du vingtième anniversaire de la chute du Mur, l’histoire du Monde ne se souvient pas de la première victoire de la démocratie le 4 juin 1989 en Pologne, seulement de son résultat, la chute du Mur ! Traduite et publiée en Pologne, Marzi a été très bien accueillie, en particulier à Stalowa Wola dont les habitants sont fiers d’un récit qui met en valeur leur localité d’où est aussi originaire Grzegorz Rosinski, le dessinateur de Thorgal. Longtemps associée à la production d’armements, Stalowa Wola (« volonté d’acier ») s’est développée suite à l’implantation d’aciéries par l’État polonais, avant 1939, à côté du shtetl de Rozwadów, une bourgade juive

de Galicie orientale anéantie dans la deuxième guerre mondiale.

100% POLONAIS Dans Marzi 1989... Marzena fait allusion à la vision négative des tsiganes dans la culture polonaise : voleur d’enfants, le cygan est un caractère à la fois inquiétant et fascinant, un être radicalement différent, en marge de la Pologne ethnocentrique et catholique militante dont elle nous conte la vie quotidienne. Introduisant le Journal d’un voyage dans ce deuxième volume de Marzi, un dessin d’Émile Bravo1 représente « Marzi avec sa mère et son père ». Bravo donne aux parents de la petite fille les traits de Jean-Paul II et de Lech Walesa ! L’imagerie d’une maman très pieuse et d’un père militant ouvrier domine en effet le récit des souvenirs de Marzi. Récit attachant et émouvant de la fin du communisme en Pologne, Marzi s’inscrit dans la continuité des visions romantiques de l’histoire polonaise, pays de héros et de martyrs, qui se sacrifie pour défendre les valeurs humanistes européennes, mais dont les efforts ne sont jamais vraiment appréciés par l’Occident. Marzi témoigne aussi de la réalité vécue d’une Pologne profonde, monoethnique et mono-religieuse, pri-

Dans la Pologne des années Solidarité, on pouvait être antisémite, ou « anti-tsigane » comme la maman de Marzi, et être aussi « une personne comme il faut ». On pouvait comme Lech Walesa, dans la campagne pour les élections présidentielles de 1990, s’affirmer « 100% polonais » et tenir des propos à relents antisémites. Mais, durant ces mêmes années, une poignée d’intellectuels, encouragés par leur expérience de luttes pour la démocratie dans Solidarité, commençèrent à exhumer les pages obscures de l’histoire nationale. En juillet 1989, dans le cadre d’un dossier sur le changement en Pologne, Les Temps modernes2, publiait la traduction française, de l’article de Jan Blonski « Les pauvres polonais regardent le ghetto » (paru en janvier 1987 dans Tygodnik Powszechny) invitant les Polonais à accepter leur co-responsabilité dans la Shoah : « génocide dont le peuple polonais n’était pas coupable mais qui a eu lieu sur sa terre, la marquant en quelque sorte pour les siècles des siècles ». Incitant les polonais à affronter le passé « dans toute sa vérité », cet historien courageux, décédé le 10 février 2009, aimait sa patrie, la Pologne et jugeait que « seule la mémoire du passé nous permet d’être nous-mêmes » ! ■ Émile Bravo, Spirou le journal d’un ingénu, Collection Une aventure de Spirou et Fantsaio par..., Album 4, Dupuis, 2008. 2 Les Temps modernes n°516, juillet 1989, pp. 69-84 1

Sylvain Savoia et Marzena Sowa, Marzi 1984-1987. La Pologne vue par les yeux d’une enfant, Dupuis, 2008; Marzi 1989... Dupuis, 2009

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mémoire(s) Pensions, séquelles et manœuvres ÉRIC PICARD*

L

e 4 mars 1961, le roi Baudouin approuvait l’accord passé entre la Belgique et la République fédérale d’Allemagne « sur les prestations à effectuer en faveur des ressortissants belges ayant été l’objet de mesures de persécutions national-socialistes ». En application de ce accord l’Allemagne a versé un montant de 80 millions de Deutsche Mark « en faveur des ressortissants belges ayant été l’objet de mesures de persécutions national-socialistes prises pour des raisons raciales, confessionnelles ou idéologiques, et qui ont subi, du fait de ces mesures de persécutions, des atteintes à leur liberté ou à leur santé, ainsi qu’en faveur des survivants des personnes décédées à la suite de ces mesures de persécutions ». L’accord prévoyait que la répartition du montant serait laissée à l’appréciation du gouvernement belge et que le versement de la somme réglerait définitivement le dossier des dommages de guerre dus par l’Allemagne à la Belgique en raison des persécutions dont les Belges ont été victime. Dès le 15 mars 1954, le Parlement belge avait adopté une loi relative aux pensions de dédommagement des victimes civiles de la guerre 1940-1945 et de leurs ayants droits. Les parlementaires avaient pris soin de préciser que seules les victimes civiles du nazisme qui jouissaient de la nationalité belge durant la guerre pou-

vaient demander à en bénéficier. De la sorte, la grande majorité des Juifs de Belgique étaient exclus du droit au bénéfice de cette pension de dédommagement. Sous la pression de nombreux lobbies, la loi de 1954 à été modifiée à 18 reprises et son champ d’application progressivement étendu. Il a fallu attendre le 17 février 1975 pour que l’exigence de nationalité soit assouplie et bénéficie à certaines victimes de la Shoah : celles qui étaient âgées de moins de 22 ans au 10 mai 1940 et avaient obtenu leur nationalité belge avant le 1er janvier 1960, pour autant qu’elles aient eu également leur résidence habituelle en Belgique sans interruption depuis le 1er janvier 1931 ou depuis leur naissance, si elles n’étaient pas encore nées à cette date. Ces exigences, toujours d’actualité, interdisent à de nombreuses victimes de la Shoah le droit à la pension : celles qui pour des raisons souvent financières n’ont pas demandé la nationalité belge avant 1960, celles qui ont travaillé après la guerre quelque temps à l’étranger ou qui ont émigré quelques années, par exemple en Israël, et enfin les Juifs nés avant guerre en Allemagne, en Pologne ou en Autriche où ils ont vécu leurs premières années avant de fuir vers la Belgique. Sous la pression constante des lobbys d’anciens résistants et des milieux nationalistes xénopho-

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bes ou antisémites, l’État belge s’est refusé à reconnaître un statut spécifique aux victimes de la Shoah jusqu’à 2003. Cette attitude « négationniste » oblige encore aujourd’hui ces victimes à se faire passer pour « victimes civiles de la guerre » lorsqu’elles doivent faire valoir un droit à une pension de dédommagement et qu’elles réunissent les conditions légales.

SÉQUELLES PSYCHOLOGIQUES On ne vit pas pendant de longs mois en étant menacé de mort, en craignant pour ses proches dont on est souvent séparé et sans nouvelles, en vivant dans la clandestinité sous un faux nom constamment à la merci d’une dénonciation, sans souffrir ultérieurement de troubles psychologiques sérieux et invalidants. Les rescapés de la Shoah présentent généralement ce que la psychiatrie actuelle nomme le « syndrome de stress post-traumatique » ou PTSD, l’acronyme de sa dénomination anglaise. Parmi les différentes caractéristiques du PTSD, on trouve la tentative d’évitement de tous les stimuli associés à l’événement traumatisant. C’est ainsi que cette caractéristique de la séquelle de la violence génocidaire freine la reconnaissance de cette dernière. En effet, pour éviter la douleur qu’ils ressentent lorsqu’ils parlent de ce qu’ils ont subi durant la Shoah, les rescapés ont naturellement tendan-


ce à s’engager, souvent avec passion, pour des causes qui ne les concernent pas directement. Plutôt que de revendiquer la reconnaissance de la spécificité de leur malheur et de la gravité de ses conséquences, ils s’engagent plus volontiers pour la défense des Juifs d’URSS ou d’Israël, ou en faveur des droits des sans-papiers de Belgique. Alors que les anciens résistants, les anciens réfractaires au travail obligatoire ou ce que l’on a appelé les « déportés obligatoires » s’organisaient en lobbys efficaces pour faire reconnaître leurs statuts et les conséquences de la violence qui leur a été faite durant la guerre, les rescapés de la Shoah concentraient toute leur énergie pour reconstruire des familles, une activité professionnelle et une sécurité financière, en évitant tout ce qui pouvait leur rappeler leur passé douloureux.

EXTENSION DU DROIT ? En 2007, l’Association pour la Mémoire de la Shoah (qui se nommait à l’époque « Association Pour la Restitution des biens volés aux Juifs ») a fait déposer à la chambre une proposition de loi visant à étendre le droit à une pension de dédommagement pour tous les rescapés de la Shoah. Il s’agissait, d’une part, d’abroger l’obligation de nationalité belge au 1er janvier 1960 pour la remplacer par l’obligation d’être Belge au moment de la demande et, d’autre part, d’abroger l’obligation de résidence principale continue en Belgique depuis 1931. Tous les partis politiques démocratiques avaient été approchés afin qu’ils cosignent la proposition. Seule la députée écologiste Zoé Génot a réagi favorablement, et c’est donc en son unique nom

que le texte a été déposé. Il est discuté depuis plus d’un an par la commission de la santé de la Chambre. Rapidement tous les partis francophones se sont ralliés à son principe. Par contre, les libéraux et chrétiens flamands ont multiplié les manœuvres dilatoires afin d’en retarder la décision éventuelle. Ils ont soumis leurs partenaires de la majorité fédérale - les socialistes, libéraux et humanistes francophones - à de fortes pressions pour qu’ils acceptent de se rallier à leurs manœuvres. Actuellement, la commission de la santé a décidé d’attendre l’avis du Conseil d’État avant de poursuivre ses travaux dans quelques semaines. La motivation de ces groupes politiques démocratiques flamands est mystérieuse. Ils avancent successivement des préoccupations d’ordre budgétaire puis des préoccupations d’ordre juridique. Il semble que la gravité de la Shoah en Belgique soit mal connue en Flandre en sorte que la compassion pour ses victimes n’y est pas aussi évidente qu’en Belgique francophone. Si quelque 75% des Juifs francophones de Bruxelles ont pu échapper à la fureur nazie, ils ne sont qu’environ 25% à Anvers à avoir pu bénéficier d’une pareille chance. Par conséquent, la majorité des Juifs de Flandre n’est pas constituée, comme dans la partie francophone du pays, de rescapés ou de descendants de rescapés de la Shoah en Belgique. Par ailleurs, des descendants de responsables politiques collaborateurs flamands gardent un important pouvoir d’influence au sein des partis démocratiques actuels où ils sont attentifs à ce que la mémoire des actes de leurs parents ne soit pas trop éclairée.

Les opposants à l’extension du droit à la pension de dédommagement pour tous les rescapés de la Shoah en Belgique peuvent s’appuyer sur les avis du Conseil supérieur des invalides de guerre, anciens combattants et victimes de guerre. Au sein de ce conseil, David Susskind et Judith Kronfeld, les seuls représentants de la communauté juive autorisés à assister aux travaux, n’ont pas voix délibérative. Lors de sa réunion du 24 septembre dernier consacrée à l’examen de la proposition de loi, le Conseil supérieur a estimé que « Le choix les catégories de personnes à indemniser doit nécessairement s’opérer dans le cadre du principe de la solidarité nationale ce qui implique nécessairement une solidarité entre nationaux. Les personnes visées par les amendements étaient pour la plupart de nationalité allemande ou apatride aux 10 mai 1940.(... ) L’on ne pourrait, en effet, invoquer valablement la solidarité nationale pour justifier l’octroi d’un dédommagement à des victimes qui n’étaient pas belges au moment du fait dommageable et n’ont manifesté aucun empressement à acquérir la nationalité belge ou n’ont pas manifesté un fort lien de rattachement avec la Belgique en résidant sur son territoire ». Une formulation qui a fait réagir le député humaniste Georges Dallemagne ; il a déclaré à la chambre y reconnaître le vocabulaire et les préoccupations des partis d’extrême droite� avant de plier à son tour et de voter, comme les socialistes et les libéraux, la manœuvre dilatoire de leurs partenaires flamands. ■ *Eric Picard est pédopsychiatre. Il est membre fondateur de l’Association pour la Mémoire de la Shoah et animateur de l’Agence diasporique d’information

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réfléchir Yehoshua ou le syndrome du Juif complet JACQUES ARON

U

n journal publiait il y a deux mois une interview de l’écrivain israélien Abraham Yehoshua1. Sous un titre accrocheur, le titulaire du Grand Prix de Littérature d’Israël plaidait pour le maintien des colons juifs dans un État palestinien, solution dont, à l’évidence, ceux-ci ne veulent à aucun prix, eux qui, dans leur immense majorité, ont été envoyés dans les Territoires occupés pour en faire les pionniers du Grand Israël, au nom de la Torah, de la délivrance du tombeau des Patriarches, et de « notre » droit imprescriptible à la terre ancestrale. Qui pourrait donc prendre au sérieux de tels propos, présentés comme émanant d’un partisan de la coexistence de deux États, mais résultant, de l’aveu même de leur auteur, de l’impasse d’une politique unilatérale à courte vue : « On ne peut pas retirer les 300 ou 400.000 Juifs des territoires palestiniens, après ce trauma national qu’a été le retrait de 8 à 9.000 colons de Gaza » ? Un court article ne peut suffire à présenter Yehoshua au lecteur belge. Qui est donc cet idéologue choyé par son État ? Un pur produit du terroir, oserait-on dire, né à Jérusalem en 1936, et qui incarne mieux qu’aucun autre, toutes les contradictions et les incohérences du nationalisme aveugle dans lequel il a grandi. Sa pensée prend corps vers la fin des années 1970, quand la droite parvient au

pouvoir en Israël. La thèse centrale de Yehoshua est simple, voire simpliste : le conflit israélo-palestinien trouve sa source dans le refus des Arabes de reconnaître aux Juifs le seul droit universel dont il se réclame : « le droit surgi de la détresse »2. « La tragédie qui a caractérisé l’histoire juive dans sa longue durée et qui s’est accrue de manière fatale avec la création des États-nations séculiers a donné au peuple juif (ainsi qu’aux peuples sans terre) le droit moral de s’emparer de n’importe quelle partie de n’importe quel pays du globe terrestre, au besoin par la force, en vue d’y créer un État souverain. » Voilà donc, d’un trait de plume, une souveraine réécriture de l’histoire, qui trouverait son équilibre dans la générosité sioniste de conférer en 1947 aux Palestiniens « le droit de prendre une partie de la Palestine occidentale et d’y établir un État qui leur soit propre ». Habile sophisme qui, au nom d’une morale abstraite, exonère déjà les Juifs de toute responsabilité politique, les libère du reproche de colonialisme (car ils n’ont pas pris n’importe quelle terre dans n’importe quelles circonstances), et rejette tout argument religieux qui diviserait les Israéliens. Les exonère de toute responsabilité ? Ô non ! Aux yeux de Yehoshua, les Juifs (pas tous) portent une lourde responsabilité historique : celle d’être demeurés trop longtemps et trop aveuglément

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dans l’Exil, cet état anormal et névrotique, humiliant et aliénant, contraire à toutes les traditions et à l’esprit même du judaïsme : « L’humanité ne connaîtra la Rédemption qu’après l’élimination de la diaspora. » C’est bien plus tôt que les Juifs dispersés auraient dû reprendre massivement « leur » terre. « Si, parmi les dispersés, 10% seulement [de ceux qui fuyaient l’Europe orientale entre 1917 et 1921] avaient choisi de vivre en Eretz Israël, l’établissement d’un État juif eut été possible avant l’holocauste. » Et pourquoi pas à l’époque de Sabbatai Tsévi ou de Nathan de Gaza ? Nous y voilà ! Vous n’avez rien compris. Simplement parce que le sionisme politique n’existait pas encore, lui qui, avec la vraie prémonition des prophètes, avait tout compris avant tout le monde : la défaite de l’Allemagne en 1918, le Traité de Versailles, l’inflation, la révolution d’Octobre, la crise mondiale, le nazisme, le judéo-bolchevisme, la Seconde Guerre mondiale, le génocide et la guerre froide. « Ce qui est étonnant, bouleversant dans toute l’acception du terme, c’est que les horreurs de la Shoah, l’assassinat de 6 millions de Juifs, conséquence de l’existence dans l’Exil [sic], n’ait pas extirpé l’instinct [sic] de diaspora au sein de notre peuple. » Pour l’écrivain israélien élevé dans le sérail sioniste, « la Deuxième Guerre mondiale a fourni la preuve décisive et tragique que


ciation, des lieux d’exploitation et de pillage de notre nation, des lieux de souvenirs amers et de dérèglements. (1921) » Bref, le Juif n’est Juif « complet » qu’en terre d’Israël. Si Yehoshua a le désir sincère d’une solution Abraham Ofek, « Discussion de colons », 1970, fragment négociée avec reproduit dans A. Kampf, Quadriga, Berlin, 1987 les Palestiniens (de l’intérieur et même les Juifs qui avaient de tout de l’extérieur), peut-être devraitcœur cherché à s’assimiler n’ont il définitivement tourner la page pu échapper au fours crématoi- du chauvinisme juif importé d’une res ». Leur situation était « objecti- Europe en crise. Le peuple juif, vement sans issue ». « Le sionisme qu’il définit comme un facteur puavait prévu le cataclysme immi- rement subjectif « qui n’a que faire nent. L’histoire a montré que cet- de la reconnaissance d’autrui », le te prévision n’était pas spécula- peuple, entité naturelle, biologition vaine. » Elle montre en tout que, « supra-temporelle », ne procas qu’on peut impunément la duit que des ghettos, des clôtures réécrire à sa guise et l’infléchir en et des murs. Il est d’ailleurs bien permanence à son profit. L’étude obligé de constater que ce « peuattentive de l’entre-deux-guer- ple juif » fut en grande partie un res démontre plutôt que les Juifs mythe, très opérationnel certes, dits « assimilés », les Juifs névrosés mais qui n’a pas convaincu et ne de l’Exil, vilipendés sans cesse convainc toujours pas, après 60 par les sionistes, et même beau- ans d’existence de l’État des Iscoup de ceux qui avaient rom- raéliens, la majorité des Juifs du pu avec les communautés syna- monde de le rejoindre. Et d’autres gogales, combattirent plus tôt et pathologies, plus graves peut-être plus fermement que les sionistes que celles qui travailleraient la l’antisémitisme et le national-so- diaspora, guettent un peuple auscialisme qu’ils identifiaient com- si aveugle à l’évolution des rapme le véritable ennemi, à la fois ports entre les hommes dans un de l’État de droit et des droits des monde globalisé. ■ Juifs. Car le sionisme développait déjà toute l’argumentation obsolète de l’écrivain israélien qui 1 « Les colons pourraient vivre comme ne fait que reprendre la rhétoriminorité juive dans un État palestinien », que de l’un des pères spirituels du interview de Jean-Claude Vantroyen, Le mouvement, Jacob Klatzkin : « Les Soir, 24 septembre 2009. pays de l’Exil sont des lieux de ré- 2 Le lecteur intéressé trouvera plusieurs sidence sacrilège, pas le pays sa- extraits très éclairants des ouvrages de Yehoshua dans l’excellente anthologie de cré de nos pères, sont des lieux Denis Charbit, Sionismes, Textes fondade calamité, de souffrance et de mentaux, Albin-Michel, Paris, 1998. Mes deuil, d’humiliation et de dépré- citations en sont tirées.

Tous pour Heine, Heine pour tous Le premier ministre Herman Van Rompuy a tenu à célébrer les 50 ans du CCLJ par une citation de Heine. Notre pays s’honore d’avoir à la tête de son gouvernement un homme aussi cultivé. Il serait outrageant de se demander de quel texte et de quel contexte cette petite phrase de circonstance a été extraite. Nous ne ferons pas cette peine aux heureux jubilaires. Car, avec Heine, on ne sait jamais s’il est sérieux ou ironique quand il s’exprime ; c’est même ce qui fait encore son charme. Aussi, pour apporter ma modeste petite pierre à l’événement, me permettrai-je de citer à mon tour quelques propos à méditer dans leur valeur universelle : « C’est une observation bien connue, que les bigots du monde entier, les rabbins, les muftis, les dominicains, les conseillers consistoriaux, les popes, les bonzes, bref tout le corps diplomatique de Dieu, portent sur le visage un air de famille, que l’on retrouve toujours chez les gens qui exercent le même métier. Les tailleurs du monde entier se distinguent par la finesse de leurs membres, les bouchers et les soldats ont toujours le même air farouche, les Juifs ont une mine particulièrement honnête, non parce qu’ils descendent d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, mais parce qu’ils sont des commerçants, et le marchand chrétien de Francfort ressemble autant au marchand juif de Francfort qu’un œuf pourri à un autre. Les marchands de spiritualité, ceux qui tirent leur subsistance des affaires religieuses affichent de ce fait les mêmes traits de visage. » Bon anniversaire. Jacques Aron

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Yiddish ? Yiddish ! PAR WILLY ESTERSOHN

tsuh reUj uq tked dekt tsu ayer hust Couvrez votre toux ! L’affichette reproduite ci-contre fait partie d’une campagne lancée par le département de la santé de la ville de New-York pour lutter contre la propagation de la grippe H1N1. Elle a été publié dans les langues des principales minorités de la métropole américaine. Le texte en yiddish comporte des erreurs, notamment grammaticales. Elles sont corrigées dans la transcription qui suit.

shtelt op di farshpreytung fun mikrobn, vos makhn aykh un andere krank ! dekt tsu ayer hust. dekt tsu ayer moyl un noz mit a papir-tikhl ven ir hust oder nist oder hust oder nist in ayer eybershtn arbl arayn, nisht in ayere hent. leygt ayer genitste papir-tikhl in a mist-kastn. s’iz meglekh az men vet aykh betn tsu trogn a khirurgishe maske ven ir vet zayn tsvishn mentshn. zorgt aykh nisht oyb ir vet zen az arbeters un andere trogn maskes. zey haltn tsurik di farshpreytung fun mikrobn. vasht ayere hent nokhdem vos ir hust oder nist. vasht ayere hent mit zeyf un varm vaser oder reynikt zey mit an alkohol-bazirtn hant reyniker

TRADUCTION Arrêtez la propagation des microbes qui vous rendent, vous et d’autres, malades! Couvrez votre toux. Couvrez votre bouche et (votre) nez avec un mouchoir en papier lorsque vous toussez ou éternuez ou bien toussez ou et éternuez dans la partie supérieure de votre manche, non dans vos mains. Déposez votre mouchoir en papier utilisé dans une poubelle. Il est possible qu’on vous demande de porter un masque chirurgical lorsque vous serez en public (parmi les gens). Ne vous inquiétez pas si vous voyez (verrez) que des travailleurs (de la santé) et d’autres portent des masques. Ils retiennent la propagation des microbes. Lavez vos mains après avoir toussé ou éternué. Lavez vos mains avec du savon et de l’eau chaude ou bien nettoyez-les avec un désinfectant pour les mains à base d’alcool.

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! widYi ? widYi

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ANNE GIELCZYK

Dominos politiques

J

e me sens un peu décalée ce mois-ci. Vous n’avez pas encore lu ma chronique de novembre que je suis déjà en train d’écrire celle de décembre. Pour le moment nous célébrons la chute du mur de Berlin, et accessoirement la Nuit de cristal, c’est vous dire. Difficile de chatter avec vous dans ces conditions-là. Bon je me projette dans l’avenir, décembre 2009, où en seronsnous en décembre 2009 ? Ah décembre, le mois des fêtes, des cadeaux et des jeux de société. Barack Obama, lui a déjà reçu son cadeau, 10 millions de couronnes suédoises. En fait c’est une avance, mais qu’il ne devra même pas rembourser s’il ne remplit pas son contrat : apporter la paix dans le monde. Y en a même qui disent que c’est notre dernière chance de sauver la paix au Moyen-Orient. C’est comme pour BHV, il nous reste 100 jours pour arriver à une paix négociée. Alors grosse question : qui sera l’homme ou la femme qui aura négocié en secret les accords d’Oslo belges (avec ses routes flamandes, ses checkpoints bruxellois et ses corridors wallons). Quel est l’homme ou la femme qui fera se serrer la main Olivier Maingain et Bart Dewever ? Il y a un prix Nobel à

gagner en 2010.

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erman Van Rompuy ? Eh bien il est l’enjeu justement d’un tout nouveau jeu de dominos que je vous recommande pour ces jours de fête: « Herman for President ». Vous devrez trouver le bon domino à faire tomber pour que tous les autres tombent comme pour la célébration de la chute du mur de Berlin justement. Le jeu se joue en un temps très limité, plus vous laissez des dominos debout et moins de temps il vous restera pour les niveaux de jeu suivant.

P

remière partie : le premier domino Herman Van Rompuy part pour l’Europe. Herman Van Rompuy, vous vous rendez compte un peu ? Premier président permanent de l’Union européenne ! Un homme modeste, un homme qui ne voulait même pas devenir premier ministre de la petite Belgique. Un homme discret qui a compris que la politique, c’est encore autre chose que la gouvernance, que les compromis, ça se négocie loin des caméras où chaque mot risque d’être un mot de trop du

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genre « cinq minutes de courage politique » ou « les francophones ne sont pas en état intellectuel d’apprendre le néerlandais ». Lui c’est un homme de peu de mots, trois petites vagues, trois petites strophes, et s’en va… On avait déjà un roi, on a désormais un président en plus. Oui mais on n’a plus de gouvernement. Le jeu s’écroule.

D

euxième partie. Premier domino : Didier Reynders. Didier Reynders enfin premier ministre. Depuis le temps qu’on attend ça, un francophone à la tête de la Belgique. Depuis Edmond Leburton en 1973, c’est vous dire. Bon la scission lui, ça le connaît, il a déjà scindé, que dis-je dépecé notre plus grande banque belge, vous pensez. Didier Reynders, un homme dur, comme le diamant, un homme sur lequel rien ni personne n’a prise, un homme qu’on ne déloge pas comme ça. Lui à la place de Herman Van Rompuy il serait devenu président de l’Union européenne ET Premier ministre de la Belgique. Toujours estil que le voilà premier ministre et président du MR. Chez les Michel, on adore cette partie, Charles Michel devient ministre


Van Rompuy ou Leterme. Rien ne va plus, faites vos jeux !

des Affaires étrangères, comme papa à l’époque, quant à Yves Leterme, il n’est pas mécontent, il reprend le portefeuille des Finances, son second best choice. Les chiffres c’est son truc. N’empêche que son first best choice, ça reste premier ministre bien sûr.

T

roisième partie donc : YLT revient ! C’est la partie la plus difficile. Personne ne l’aime celle-là. Elle s’intitule « Nie wieder Yves » d’après le nom d’un groupe sur Facebook créé par des Flamands début novembre. Le jeu consiste à se débarrasser du premier domino, et le remplacer par un autre SANS que le jeu ne s’écroule. Faut un sacré doigté. Dire qu’on était si content qu’il soit aux Affaires étrangères. Loin dans le jeu, il était bien calme, piquait un somme de temps en temps. Parfois il déconnait un peu comme quand il a raconté partout qu’ un domino des Affaires étrangères d’un pays ami lui avait demandé de l’aider à tuer des rebelles. Avant il ne disait jamais rien, maintenant il se répand en confidences ! C’est qu’il n’a pas bien compris la règle du jeu, mais ça, on le savait déjà. Vous vous souvenez

de l’Orange bleue, c’était le jeu à la mode, il y a deux ans. Il croyait qu’il allait gagner en cinq minutes ! L’ennui c’est qu’il a perdu mais qu’il prétend mordicus que c’est la faute des autres. Allez un peu le faire changer d’avis. Surtout que la justice vient de le blanchir dans l’affaire Fortis qui l’avait forcé à quitter le jeu. Donc, aujourd’hui avec ses 800.000 voix, il est incontournable et il veut sa revanche, car c’est un homme rancunier. Il le dit lui-même, tout reste gravé sur son disque dur. Les dominos francophones tremblent et se mobilisent avec l’aide du domino du Soir, Béatrice qui crie au feu. Pas malin ça les amis, maintenant les dominos flamands se sentent visés alors qu’il ne s’agissait que du domino Yves. Pourtant il y en a un paquet qui n’en veulent plus non plus : les nationalistes flamands qui depuis l’Orange bleue trouvent qu’il a mis trop d’eau dans son vin, les petits actionnaires de Fortis qui sont tellement furieux qu’ils vont créer leur propre parti politique, les libéraux qui veulent sa place car ils sont la plusgrandefamillep olitique au Parlement. Très mal joué donc, vous avez perdu la partie, YLT ne bougera pas. Il n’y a qu’une seule façon

de la gagner, c’est l’objet de la prochaine partie : Herman ne part pas. C’est une partie avec des dominos de tous les pays européens, les personnages clés étant Sarko et sa copine Angela qui veulent un petit président. Normal me direz-vous Sarko n’aime pas les grands hommes (il n’aime que les grandes femmes). Attention, Herman risque fort d’être choisi, si ce n’est que de l’autre côté du Canal on veut un grand président, un homme qui pourrait arrêter le trafic à Pékin (« someone who could stop the traffic in Beijing ») alors que selon eux, Herman n’est même pas en mesure d’arrêter le trafic à Bruxelles, tandis que Tony lui… C’est un peu offensant pour Herman mais c’est bon pour le jeu surtout que des petits présidents il y en a d’autres : Juncker, Balkenende, et même une femme Vika Freiberga... Évidemment la meilleure façon de gagner c’est… de ne pas jouer ! Herman dit non, il ne part pas et le jeu reste en place. Oui mais tout le monde aime jouer, pas vous ? Alors, rien ne va plus, faites vos jeux ! Bonnes fêtes les amis. ■

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LE

DE LÉON LIEBMANN

La magistrature debout... assise sur le banc des accusés

J

’ai, dans ma précédente chronique, passé en revue quelques cas, parmi les plus choquants, de « dysfonctionnements » commis sciemment par des membres de la magistrature assise, celle qui, dans la position assise, rend des jugements et prononce des arrêts. Trait commun de ces méfaits soigneusement cachés et dès lors inconnus du grand public : leurs auteurs, qui ne demandent qu’à rester dans l’anonymat, se déchargent sur autrui (mais pas sur n’importe qui) de leurs tâches les plus importantes, à savoir énoncer la « vérité judiciaire » et « dire le droit ». Cet « autrui », ce peut être, comme nous l’avons vu, leur conjoint, « leur » greffier, un « nègre » rétribué en conséquence ou encore l’avocat du demandeur, dans une première affaire, et celui du défendeur dans la suivante et ainsi de suite. Dernière sorte d’avatar du même acabit : reprendre mot à mot dans son jugement ou son arrêt la teneur de l’avis ou du réquisitoire du Ministère public. Nous allons voir à présent que ce dernier ne demeure pas en reste dans ce dévergondage effréné et que certains de ses membres font preuve de la même ahurissante fainéantise que celle de certains magistrats « assis ». Première sorte de mascarade : s’arranger avec le « magistrat

assis » avant l’audience au cours de laquelle sera traitée l’affaire où le Parquet doit prendre également position pour connaître le point de vue que s’apprête à adopter le magistrat chargé de la juger et se borner à le reprendre à son compte. Le magistrat « assis » qui accepte que la comédie judiciaire se déroule de la sorte y trouvera d’une autre façon son compte : sa décision ne pourra être contestée, par voie d’appel ou de recours en cassation, par le Ministère public. Et pour cause !

D

euxième tour de passe-passe utilisé par d’incurables fainéants et calqué également sur l’attitude de certains magistrats assis décrite dans la première partie de mon tour d’horizon de la faune judiciaire : aligner, mot pour mot, sa prise de position successivement et alternativement sur celle du demandeur, dans la première affaire traitée à telle audience ; puis sur celle du défendeur dans la suivante et ainsi de suite. J’ai moi-même connu le cas d’un premier substitut chargé de former des jeunes nouveaux collègues qui leur conseillait d’agir de la sorte afin de s’éviter un travail qu’il jugeait inutile. Ces « ingrats » s’empressèrent de dévoiler ce truc de bas étage.

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Son auteur ne fut pas sanctionné ni même rappelé à l’ordre et ce magistrat de pacotille persévéra dans sa façon de (mal) faire jusqu’à… l’âge de la pension. Tentative d’explication de ce comportement aussi commode qu’infantile : ce bon à rien servait officieusement et tout à la fois d’informateur et de conseiller d’un grand parti dont il était un membre actif, bien plus actif comme tel que comme magistrat. Son appui à un candidat pour une nomination ou une promotion était quasi toujours décisif tant il était considéré comme un expert ès-capacités juridiques sans en posséder lui-même les rudiments !

P

our terminer ce voyage au pays de l’outrancière outrecuidance, je vous narrerai à présent les principales péripéties d’une immixtion caractérisée du pouvoir exécutif dans l’exercice du pouvoir judiciaire. Ici encore, je veillerai à ce que ceux qui ne connaissent pas les faits en question ne puissent découvrir leurs auteurs respectifs. Deux éminents magistrats, un « assis » et un autre « debout » et le chef de cabinet d’un ministre sont les protagonistes de ces manquements aux règles élémentaires de l’indépendance de la magistrature et de la


séparation des pouvoirs. J’ai vécu moi-même au centre de cette affaire et peux en faire le récit en toute connaissance de cause. Un haut magistrat du siège avec qui je siégeais en tant que représentant du Ministère public dans une affaire complexe où des intérêts considérables étaient en jeu (il s’agissait de plusieurs milliards de nos anciens francs) me fit part, dans une conversation à bâtons rompus, d’un arrangement verbal qu’il venait de convenir avec l’avocat d’une des parties en cause. Il portait sur la manière de mener à bien la procédure en cours et il était intervenu pendant une réception ultra-chic que cet avocat avait organisée pour fêter « dignement » sa promotion au sein de l’Ordre des avocats. Toutes les hypothèses avaient été envisagées et les deux « compères » avaient arrêté ensemble la meilleure façon de procéder pour aboutir à un résultat conforme aux intérêts que défendait cet avocat, le tout à l’insu des avocats des autres parties. C’est un cas flagrant qui, s’il vient à être connu, justifie la récusation et le dessaisissement du juge ayant agi de la sorte et cela pour avoir traité inégalement les parties en favorisant l’une au détriment des autres. Mon supérieur hiérarchique, immédiatement informé par mes soins, prit contact non pas avec son propre supérieur hiérarchique mais avec le chef de cabinet d’un ministre directement concerné par les faits de la cause évoquée ici ! Il m’en communiqua la conclusion : son interlocuteur « privilégié »

accepta de prendre contact avec l’autre « éminent magistrat » pour obtenir qu’il s’aligne dans son jugement sur la thèse du ministre dont il était le chef de cabinet.

L

e résultat ne se Le Palais de Justice de Bruxelles. Carte postale XIXe fit pas attendre. Cette poliment mais fermement devant le fait accompli, il préjugeait « éminence » changea aussitôt sa jurisprudence pour la rendre erronément de l’attitude conforme à celle que souhaitait qu’adopterait son interlocuteur le pouvoir exécutif. stupéfait devant pareille Ainsi donc une procédure mal désinvolture. L’affaire se termina entamée et atteinte d’un vice sans encombre par le résultat rédhibitoire - la préférence opposé à celui qui était recherché donnée à la thèse d’une partie mais sans que cette entorse au en l’absence des autres parties droit de la procédure soit connue tout autant concernées - ne se sur la place publique. voyait pas suivie d’une mesure Tout cela vous rappelle une sanctionnant le magistrat affaire actuelle retentissante « coupable » mais se terminait où se côtoient le monde par l’agrément donné par ce bancaire, des magistrats et des dernier à une immixtion du dit représentants du pouvoir exécutif pouvoir exécutif dans une affaire violant sans vergogne les règles judiciaire de grande importance. fondamentales du droit public et Dans ce genre de procédés, la de la séparation des pouvoirs. discrétion est indispensable Nous terminerons dans le pour que la violation des règles prochain numéro de Points assurant l’indépendance de la Critiques cette singulière magistrature et la séparation exploration dans le domaine des de pouvoirs réussisse et passe « Jeux interdits » chers à René inaperçue. Clément pour lesquels je ne vous demanderai pas… la clémence. cet égard, la démarche Nos peu ragoûtants héros du magistrat assis seront cette fois de très hauts pour obtenir la fonctionnaires dépendant du connivence du ministre de la Justice et qui, à Ministère public était un leurs manières, ont tout autant risque calculé : en donnant bafoué la lettre et l’esprit de la l’impression au représentant loi. du Parquet qu’il le mettait au Attendez-vous à des surprises courant de la marche à suivre de taille que je vous ferai adoptée entre juge et partie alors découvrir… en détail. ■ qu’il ne faisait que le mettre

À

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activités vendredi 4 décembre à 20h15 Communautarisme électoral à Bruxelles, pourquoi changer une formule qui gagne ? Conférence-débat avec

Mehmet Koksal,

auteur du livre Bruxelles 2009, l’autre campagne Journaliste-reporter pour Parlamento.com, rédacteur pour l’agence de presse IPS, correspondant du Courrier international En guise de présentation de son nouveau livre, Mehmet Koksal viendra nous raconter la campagne de séduction communautaire menée dans l’ombres par plusieurs candidats d’origines diverses. Un phénomène qui traverse toutes les communautés et pratiquement tous les partis. PAF : 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit : 2 EURO

lundi 7 décembre à 20h aux Halles de Schaerbeek* Un partenariat des Halles de Schaerbeek et de l’UPJB Conférence-débat avec

Shlomo Sand, autour de son livre

et

historien

Comment le peuple juif fut inventé

Jean-Philippe Schreiber,

historien

Se basant sur des recherches historiques, Shlomo Sand déconstruit les mythes en remettant en question la thèse de l’unicité du peuple juif et en affirmant que l’existence des diasporas de Méditerranée et d’Europe Centrale est principalement le résultat de conversions anciennes au judaïsme. Pour lui, l’exil du peuple juif est un mythe né d’une reconstruction a posteriori et sans fondement historique. Une thèse controversée et à débattre.

Shlomo Sand sera interpellé par Jean-Philippe Schreiber sur les thèses qu’il développe dans son ouvrage. Shlomo Sand a fait ses études d’histoire à l’Université de Tel-Aviv et à l’École des hautes études en sciences sociales à Paris. Depuis 1985, il enseigne l’histoire contemporaine à l’Université de Tel-Aviv. Outre des ouvrages consacrés au sociologue français Georges Sorel, il a publié également en français Le XXe siècle à l’écran et Les mots et la terre, les intellectuels en Israël. Jean-Philippe Schreiber est professeur à l’Université libre de Bruxelles. PAF : 5 EURO, tarif réduit 3 EURO

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*Rue Royale Ste-Marie, 22b 1030 Schaerbeek


mercredi 9 décembre à 20h15 Conférence-débat autour du livre d’Isabelle Stengers

Au temps des catastrophes. Résister à la barbarie qui vient avec Isabelle Stengers et Mateo Alaluf

Isabelle Stengers est docteur en philosophie et enseigne à l’ULB. Elle est l’auteure de nombreux livres sur l’histoire et la philosophie des sciences, dont L’Invention des sciences modernes (La Découverte, 1993) et Sciences et pouvoir (1997, 2002). Elle a reçu le grand prix de philosophie de l’Académie française en 1993. Mateo Alaluf est sociologue, docteur en sciences sociales et professeur à l’ULB. Nous vivons des temps étranges. Que les décennies qui viennent soient porteuses de bouleversements irréversibles pour l’histoire humaine est désormais accepté, et ceux qui nous gouvernent affirment que l’on peut leur faire confiance, ils vont prendre les décisions qui conviennent. À quoi répond un certain scepticisme mais aussi un sentiment certain d’impuissance. Il nous est difficile de « réaliser » ce qui se prépare, sauf par les gestes individuels de bonne volonté culpabilisée (changer vos ampoules !) auxquels on nous exhorte. Isabelle Stengers n’a aucune solution rassurante à proposer. Son « intervention » a pour but de forcer à penser la radicalité du défi politique auquel nous confronte ce qu’elle appelle « l’intrusion de Gaïa », un défi adressé d’abord aux forces qui se nomment « progressistes ». PAF : 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit : 2 EURO

vendredi 29 janvier à 20h15 Lutter contre la pauvreté. Lutter contre les pauvres Conférence-débat avec

Anne Herscovici,

sociologue, députée Ecolo au parlement de la Région bruxelloise, ancienne présidente du CPAS d’Ixelles et directrice du Centre d’appui au secteur bruxellois de l’aide aux sans-abri

La lutte contre la pauvreté est au cœur de quantités de discours, de rapports de recherche, de projets politiques, de déclaration de bonnes intentions. L’année 2010 battra sans doute quelques records en la matière. Elle a en effet été proclamée « Année européenne de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale » par le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne. La Belgique qui assumera la présidence de l’Union européenne au cours du second semestre 2010 a retenu comme thèmes prioritaires de ses actions : - Garantie d’un revenu minimum et protection sociale. - Lutte contre le sans-abrisme et permettre l’accès à un logement durable. - Rupture avec le cercle vicieux de la pauvreté : pauvreté de génération. Vu depuis les CPAS, la distance semble parfois bien grande entre les bons sentiments et des choix politiques réellement émancipateurs. PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO

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écrire A pink pipele ANDRES SORIN

Ç

a y est, je me suis vu sur Internet. Il y a une photo de moi que tout le monde peut consulter. Elle a été prise pendant la soirée d’ouverture du festival Pink Screens, qui s’est récemment déroulé au cinéma Nova à Bruxelles*. Alors oui, je suis devenu un people, a yidishe pipl, mais un petit, a pipele, a pink pipele. Pink parce que le rose est censé être une couleur gaie. Le festival s’adressait tout de même à des hommes & des femmes de toutes extractions et orientations. Mais quel rapport avec votre magazine préféré ? Eh bien, le film d’ouverture s’appelait Tu n’aimeras point, histoire d’amour entre deux bouchers ultra kosher à Jérusalem, l’un marié, l’autre pas. À la fin du film je suppose qu’ils sont un peu moins kosher, vu les circonstances. Et ce n’est pas tout : les gentils organisateurs avaient décidé d’appeler la soirée d’ouverture Dayn tokhes, mayn shabes. Enfin, je traduis en yiddish, car la soirée portait un intitulé en français. Mais je préfère la mameloshn afin de ne pas choquer le lecteur. Le dessin illustrant l’affiche est explicite : les silhouettes d’un khosid avec peyes et caftan, sautillant

comme les khasidim savent le faire, en face d’un personnage arborant un keffieh arabe. En y regardant de plus près, il semble un croisement entre un sheikh saoudien et Oum Kalthoum, à cause des lunettes noires. Il va sans dire que tous les deux semblent prendre leur pied, pour ne pas dire qu’ils se prennent les pieds l’un dans l’autre. Après tout, il s’agit de célébrer l’amour et la joie entre les hommes. Au sens large. Je suis un pipele, mais comme je l’écrivais plus haut, un petit pipele, un pipele débutant. Même pas un petit père des pipelekh. J’ai encore beaucoup à appren-

« Tu n’aimeras point »

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dre. Par exemple, je m’y suis pris trop tard pour réserver des places, alors je n’ai pas pu assister à la première du film sur les bouchers yérosolimitains. Vous conviendrez aisément que pour un aspirant pipele c’est presque rédhibitoire. Je ne vous parlerai donc pas du film, qui a reçu d’excellentes critiques d’ailleurs, mais de la soirée au bar, au sous-sol du cinéma, à laquelle j’avais convié des copains qui ont convié des copains dont j’ai ainsi découvert l’ouverture d’esprit et l’envie de découvrir de nouveaux horizons. En effet, les deux couples qui se sont joints à moi étaient chacun com-


posés d’un homme et d’une femme, plus la fille de l’un d’eux. Des hétéros, en somme. C’est dire. Je n’ai pas l’habitude de me déguiser, encore moins de porter la kipa, le yamelke, mot judéo-argentin, avec cette prononciation, désignant (je ne le sus qu’il y a peu) la yarmulka, dont c’est la déformation phonétique. Eh bien : cette fois-ci je m’étais senti inspiré et avais décidé d’avoir « l’air juif » : joues non rasées (j’ai même pensé aux peyes, mais j’aurais dû les laisser pousser des mois à l’avance, et je n’ai pas voulu en mettre des postiches), costume en velours sombre, chemise blanche et le fameux yamelke acheté en Erets-Yisroel par un ami, une coquette calotte bleu nuit en velours avec broderies aux couleurs suédoises, bleu et or (présidence tournante de l’Union européenne oblige, dans notre capitale de l’Europe, hoyptshtot fun Eyrope). Arrivé au Nova, j’ai constaté avec étonnement d’abord, attendrissement ensuite, que, faisant écho à mon accoutrement, des

yamelkes couvraient d’autres crânes. Celui, blond, du caissier, celui, rasé, du barman, celui du DJ dont j’ai oublié la couleur ou la pilosité; des yamelkes enfin, sur autant de têtes rondes ou pointues de nombreux invités. Vers la fin, des disques en papier bristol blanc ont même été distribués au public des deux sexes, portant une mogn Doved bleue, tout comme là-bas, dis. La fille des copains de mes copains a même annoncé qu’un Juif orthodoxe était arrivé, avec long manteau noir, chapeau et peyes. Fausse alerte, ce n’était qu’un déguisement : chapeau melon en carton avec peyes collées. Pas de gros nez postiche, ce qui m’a soulagé. Il faut dire que pendant toute la soirée je n’ai pu m’empêcher de balayer du coin de l’œil la salle, pendant que je devisais gaiement, pour surveiller la moindre marque de mauvais goût, le moindre dérapage. Rien. Et je vous rassure, mon strabisme est resté fort discret. J’ai retrouvé dans cette soi-

rée un ami perdu de vue depuis des années, affublé lui aussi d’une kipa (le mot est bien choisi, ici, car elle était crochetée, de style sioniste) incongrue sur la tête d’un belge d’origine grecque orthodoxe. Nous avions l’air fin, lui en faux colon, moi en faux Kharedi. Nous nous sommes surpris à faire remarquer à un autre garçon qu’avec ses cheveux roux et son nez... aquilin, il avait a yidisher kop, ce qu’il contestait avec véhémence. La musique se faisait peu remarquer et les danseurs aussi. Quelques filles, sans yamelke, il est vrai, esquissaient de maladroits pas de hora ou de sher. Rien à voir avec les savantes chorégraphies des mémorables fêtes de l’UPJB. Il n’empêche, je me sentais bien dans ce bar, dans cette ambiance gentiment décalée ; où, à Bruxelles en 2009, des gens avaient décidé - osé - en toute légèreté et insouciance, faire de la judéité le thème d’une soirée dansante. ■

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UPJB Jeunes

Sam

Quand l’actualité nous touche de près NOÉMIE SCHONKER

L

’année passée, plus ou moins à la même époque, la fiction d’un jeu mettant en scène des migrants illégaux avait été confrontée à la réalité d’une quarantaine d’indiens qui, victimes d’un « réseau » de passeurs démantelé et laissés à leur sort, dormaient dans le parc où nous nous trouvions. Pour eux, nul espoir de régulariser leur situation en Belgique. Mais Junior, le père d’Ibrahim du groupe des Korczak, sait désormais que, comme l’écrit Martine Vandemeulebroecke dans Le Soir, « avoir des papiers en règle lorsqu’on est étranger n’est jamais une assurance béton contre l’expulsion »(« Menacé d’expulsion pour cause de maladie », Le Soir, 16 octobre 2009). Junior et Fatimata, sa compagne, sont des amis de longue date, nous avions d’ailleurs célébré leur union dans nos locaux en 2000. Ibrahim, l’aîné de leurs trois enfants, fréquente notre mouvement de jeunes depuis trois ans. Ce sont donc les nôtres, cette fois, qui ont eu à subir les inepties de l’administration et à affronter les fonctionnaires zélés de l’Office des étrangers. Expliquer la situation des sanspapiers à des enfants est une chose, réagir et trouver les mots lorsqu’il s’agit du père de leur ami en est une autre. Les moniteurs ont donc demandé à Magali, la mère d’un des enfants du groupe d’Ibrahim et proche de Fatimata, d’expliquer aux Korczak, choqués et attristés par la nouvelle, ce qui était arrivé à Junior. L’histoire, la voici : en 1998, fuyant son pays, le Sierra Léone, alors ravagé par

une guerre civile, Junior arrive en Belgique. Un an plus tard, il rencontre Fatimata, elle aussi originaire du Sierra Léone. Après un long parcours du combattant, Junior obtient un permis de séjour et Fatimata la nationalité belge. Leurs trois enfants, nés en Belgique, sont également belges. L’année passée, Junior décide de retourner au pays pour rendre visite à sa famille qu’il n’a plus vue depuis presque dix ans. Parti pour trois mois, il doit prolonger son séjour pour des raisons de santé. Début octobre, il rentre en Belgique et est aussitôt arrêté et enfermé au centre fermé Inad à Zaventem. Le motif invoqué : il est resté plus d’un an à l’étranger et a donc dépassé le délai légal pour s’absenter du pays. Rapport médical, carte de séjour valable jusqu’en 2012, document prouvant qu’il est l’« auteur » de trois enfants belges, recours en urgence, rien n’y fait : Junior perd son droit au retour et son expulsion est imminente. Heureusement, nous apprendrons par la suite que son expulsion a été évitée de justesse. Junior, malade, a en effet dû être transféré à l’hôpital. Il a la malaria. Son état de santé le rend « inexpulsable » et son traitement ne permet pas un enfermement. Une semaine après son arrivée, grâce à son avocate et au soutien de parents de l’école des enfants, Junior sort du centre fermé avec un ordre de quitter le territoire dans les cinq jours. Il lui reste à présent à réintroduire une demande de régularisation et à attendre des mois pour qu’elle soit traitée. Tâche difficile pour les monos d’expliquer aux enfants

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que pour certains d’entre eux les tracasseries administratives priment sur leurs droits fondamentaux. Secouée, l’équipe de moniteurs désirait agir au-delà des lettres envoyées dans l’urgence. Après réflexion, nous avons décidé de faire ce qu’il nous paraissait le plus urgent : permettre à Ibrahim et ses sœurs de passer une après-midi légère où ils retrouveraient leur statut d’enfant, oubliant un instant l’angoisse et la peur des derniers jours, la bêtise et l’injustice du monde des adultes. De toute façon, les occasions de revenir sur ce sujet de société, thème récurrent de nos activités et si souvent imposé par l’actualité, ne manqueraient pas. Nous avions d’ailleurs déjà prévu d’emmener les plus petits voir la pièce de théâtre « Une simple ligne », organisée par le collectif Auquai. Ce spectacle, qui pour une fois s’adresse aux petits, est né de l’envie de deux comédiens engagés politiquement dans la lutte des sans-papiers, de questionner le clown, dans toute sa sincérité, sur l’humain face à la limite d’une frontière. Par ailleurs, comme chaque année, l’UPJB-Jeunes et l’UPJB participeront au rassemblement organisé pour la Saint-Nicolas ou la Noël devant le centre fermé 127bis de Steenockerzeel le dimanche 20 décembre. Les fêtes de fin d’année sont en effet des moments symboliques pour marquer notre soutien aux personnes enfermées et rappeler notre indignation face à cette situation. Et, puisque nous vivons dans une société où le symbolique et l’image sont omniprésents, il nous a sem-

« Ha ven ami juiv vea con zyg vue


Samedi 19 décembre de 14h30 à 18h00 Hanouka Grande fête des Lumières intergénérationnelle ! « Hanouka, hanouka, c’est la plus belle... », venez nombreux en famille et/ou entre amis partager ce doux moment de culture juive, allumer les bougies, essayer de nouveaux jeux spécialement conçus pour la circonstance, chanter à tue-tête, entraîner vos zygomatiques et savourer les douceurs prévues pour l’occasion. blé pertinent de profiter de l’actuelle exposition « Controverse » pour initier les jeunes au décryptage des messages médiatiques. Elle propose en effet d’interroger le pouvoir des images dans nos sociétés médiatisées à travers des photos qui ont donné lieu, depuis le début de l’histoire de ce médium jusqu’à aujourd’hui, à des conflits d’ordre juridique, éthique ou moral. Les thèmes de l’exposition recoupent donc plusieurs questions : la véracité d’un message et l’authenticité d’une photographie, les droits d’auteur, la question de ce qui est moralement photographiable ou non, et le pouvoir politique des images et de leurs contrôles. Samedi prochain, les Mala se rendront donc au Botanique avec leurs monos et Eric Herchaft, photoreporter et ancien upjibien qui a accepté de les accompagner pour répondre à leurs questions et partager avec eux leurs premières impressions. Avant de terminer cette petite chronique de l’UPJB-Jeunes, je tenais également à saluer les trois moniteurs qui ont passé leurs vacances de Toussaint à se former aux Cemea. Ils en reviendront certainement plus aguerris et la tête pleine d’idées neuves, ce qui alimentera et enrichira sans aucun doute nos réflexions et notre répertoire de jeux. ■

Carte de visite L’UPJB Jeunes est le mouvement de jeunesse de l’Union des progressistes juifs de Belgique. Elle organise des activités pour tous les enfants de 6 à 15 ans dans une perspective juive laïque, de gauche et diasporiste. Attachée aux valeurs de l’organisation mère, l’UPJB jeunes veille à transmettre les valeurs de solidarité, d’ouverture à l’autre, de justice sociale et de liberté, d’engagement politique et de responsabilité individuelle et collective. Chaque samedi, l’UPJB Jeunes accueille vos enfants au 61 rue de la Victoire, 1060 Bruxelles (Saint-Gilles) de 14h30 à 18h. En fonction de leur âge, ils sont répartis entre cinq groupes différents.

Bienvenus pour les enfants de 6 ans ou qui entrent en

Les 1ère primaire Moniteurs :

Shana : 0476/74.42.64

Volodia : 0497/26.98.91 Les

Janus Korczak pour les enfants de 8 à 9 ans

Moniteurs : Max : 0479/30.75.71 Mona : 0474/42.37.74 Les

Émile Zola pour les enfants de 10 à11 ans

Moniteurs : Fanny : 0474/63.76.73 Lucas : 0476/56.72.37

Les

Yvonne Jospa

pour les enfants de 12 à 13 ans

Moniteurs : Cyril : 0474/26.59.09 Ivan : 0474/35.96.77 Félicia : 0472/62.06.95 Les

Mala Zimetbaum

pour les enfants de 14 à 16 ans

Moniteurs : Alice : 0476/01.95.22 Théo : 0485/02.37.27

Informations : Noémie Schonker - noschon@yahoo.fr - 0485/37.85.24

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histoire(s) Femmes en résistance. Une exposition

Du 13 au 25 novembre, l’exposition Femmes en résistance a illustré le parcours de quatre résistantes de Solidarité juive, Maggy Volman, Sarah Goldberg, Sonia Goldman et Yvonne Jospa (voir Points critiques de novembre et l’article de Jo Szyster). L’exposition a été réalisée par le plasticien et scénographe Christian Israel. Photos C. Israel

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Photos H. Wajnblum

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Cartes du Front de l’indépendance (FI) au nom de Sarah Goldberg

Photos H. Wajnblum

Le panneau consacré à Sarah Goldberg

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Le panneau consacré à Maggy Volman

Le panneau consacré à Sonia Goldman

Le permis de travail de Sonia WassersztrumGoldman

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hommage Tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir des parents communistes BARBARA TOURNAY

Barbara Tournay est membre de l’UPJB depuis de nombreuses années. Voici le texte qu’elle a lu à l’enterrement de sa mère, récemment décédée.

N

ous, si. De toute façon, tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir une maman aussi merveilleuse que la nôtre. Maman est née en 1925 à Courcelles. Notre famille est une vieille famille très connue de Courcelles Maman était la petite fille du dernier vendeur de journaux qui faisait sa tournée avec une charrette tirée par un chien. Il savait lire et écrire, ce qui était rare pour l’époque, surtout dans le prolétariat. Il avait appris à lire à sa femme et était considéré comme un érudit dans le village. Maman était une femme très intelligente et avec son intelligence et sa réflexion, elle a traversé le siècle. Très tôt, elle a ressenti la vocation d’infirmière. Pendant la guerre, être infirmière, c’était un exploit physique et intellectuel. J’ai passé des soirées entières à l’entendre raconter les moyens de bord utilisés dans les hôpitaux pour sauver les malades, sans médicaments, sans pénicilline, sans alcool.

Maman a fait ses études à la clinique Léopold qui s’appelait, à cette époque-là, la Clinique des Artistes. C’est là qu’elle a rencontré les plus grands artistes : Trenet, Akarova C’est là qu’elle est devenue l’amie de Louis Jouvet. Et c’est là aussi qu’elle a rencontré ses premiers amis communistes. Pendant la guerre, elle distribuait des tracts, faisait passer des livres et des journaux interdits. Après la guerre, elle a travaillé avec le Docteur Marteau (ministre de la Santé) et plus tard, avec le Docteur Peers, avec qui elle militera pour le droit des femmes à l’avortement. Maman, et toute la famille, est d’ailleurs restée communiste pendant des années. Mon frère et moi étions persuadés qu’il n’y avait que des communistes en Belgique et tous les gens que nous connaissions étaient des communistes actifs, des types à mine patibulaire qui vendaient du café de Cuba, ou des marchandises sud-américaines. Puis un jour, il y a eu de gran-

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des disputes : des amis communistes sont devenus chinois. Ma maman se disputait avec eux et ils ne venaient plus à la maison. Nous, les enfants avions beau les regarder, nous ne trouvions pas qu’ils jaunissaient. Nous avons appris par la suite qu’ils étaient devenus maoïstes. Pour ne pas être trop longue, je suppose que tout le monde a vu le film avec Josiane Balasko dans le rôle de ma mère. Eh bien c’était comme ça à la maison. Je voudrais que les jeunes qui sont ici croient que ces gens étaient idiots ou crédules. Ils sortaient de la guerre, de nombreuses années de privation et d’injustice, ils avaient cotoyé la mort, sinon la leur, celle de proches et ils militaient pour une société plus humaine, plus juste. Ils avaient ce qu’on appelle un idéal, un idéal simple pour une vie meilleure et plus juste. Maman a toujours eu cet idéal de justice et de bonté. Nous vivions dans un grand domaine avec plus de 250 personnes âgées.


est le mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique (ne paraît pas en juillet et en août) L’UPJB est membre de la Fédération des Juifs européens pour une paix juste (www.ejjp.org) et est soutenue par la Communauté française (Service de l’éducation permanente) Secrétariat et rédaction : rue de la Victoire 61 B-1060 Bruxelles tél + 32 2 537 82 45 fax + 32 2 534 66 96 courriel upjb2@skynet.be www.upjb.be

Elle soignait ces personnes comme s’il c’était agi de membres de notre famille. Je me rappelle qu’elle devenait enragée quand il lui semblait que quelqu’un manquait de respect aux pensionnaires. Elle devenait intraitable. Comme lorsqu’il s’agissait de mon frère et de moi, et de ses petites filles, plus tard, elle pouvait se révéler une lionne. Vers la fin de sa vie, elle s’est tournée vers la foi chrétienne et a rencontré une congrégation d’amis proches et sincères. Je suis certaine qu’elle leur a apporté autant d’amour qu’ils lui en ont témoigné. Je voudrais que nous retenions de Maman qu’elle était bonne, généreuse, toujours prête à rendre service, même au détriment de sa vie de famille et de sa santé (...) ■

Comité de rédaction : Henri Wajnblum (rédacteur en chef), Alain Mihály (secrétaire de rédaction), Anne Gielczyk, Carine Bratzlavsky, Jacques Aron, Willy Estersohn, Sender Wajnberg, Caroline Sägesser, Tessa Parzenczewski Ont également collaboré à ce numéro : Roland Baumann Christian Israel Léon Liebmann Éric Picard Gérard Preszow Noémie Schonker Andres Sorin Barbara Tournay Conception de la maquette Henri Goldman Seuls les éditoriaux engagent l’UPJB. Abonnement annuel 18 EURO Abonnement de soutien 30 EURO Devenir membre de l’UPJB Les membres de l’UPJB reçoivent automatiquement le mensuel. Pour s’affilier: établir un ordre permanent à l’ordre de l’UPJB (CCP 000-0743528-23). Montant minimal mensuel: 10 EURO pour un isolé, 15 EURO pour un couple. Ces montants sont réduits de moitié pour les personnes disposant de bas revenus.

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agenda UPJB Sauf indication contraire, toutes les activités annoncées se déroulent au local de l’UPJB, 61 rue de la Victoire à 1060 Bruxelles (Saint-Gilles)

vendredi 4 décembre à 20h15

Communautarisme électoral él à Bruxelles, pourquoi changer une formule qui gagne ? Conférence-débat avec Mehmet Mehm Koksal, journaliste (voir page 24)

lundi 7 décembre à 20h30

Conférence-débat avec Shlomo Sand, historien, autour de son livre Comment le peuple juif fut inventé et Jean-Philippe Schreiber, historien. Aux Halles de Schaerbeek Schaer (voir page 24)

mercredi 9 décembre à 20h15

Au temps des catastrophes. Résister à la barbarie qui vient. Conférence-débat avec Isabelle Stengers, philosophe et Mateo Alaluf, sociologue (voir page 25)

samedi 19 décembre de 14h30 à 18h

Hanouka. Grande fête des Lumières intérgénérationnelle (voir page 29)

vendredi 29 janvier à 20h15

Lutter contre la pauvreté. Lutter contre les pauvres. Conférence-débat avec Anne Herscovici, Sociologue, députée Ecolo au parlement de la Région bruxelloise, ancienne présidente du CPAS d’Ixelles et directrice du Centre d’appui au secteur bruxellois de l’aide aux sans-abri (voir page 25)

vendredi 12 février à 20h15

Éditeur responsable : Henri Wajnblum / rue de la victoire 61 / B-1060 Bruxelles

Conférence-débat avec Alain Brossat, professeur de philosophie à l’université de Paris 8, autour de son livre, Le Yiddishland révolutionnaire,, coécrit avec Sylvie Klingberg

club Sholem Aleichem Sauf indication contraire, les activités du club Sholem Aleichem se déroulent au local de l’UPJB tous les jeudi à 15h (Ouverture des portes à 14h30)

jeudi 3 décembre

« Actualité belge et internationale » analysée par Léon Liebmann, magistrat honoraire

jeudi 10 décembre

« Les sciences arabes au Moyen Âge » par Pierre Marage, professeur de physique et d’histoire des sciences à l’ULB

jeudi 17 décembre

Visite guidée du musée de la Banque nationale : rendez-vous à 14h45 au 10, rue du Bois Sauvage (près de la Cathédrale Saint-Michel)

jeudi 24 et 31 janvier

pas d’activités (vacances d’hiver)

Les agendas sont également en ligne sur le site www.upjb.be


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