n°295 - Points Critiques - avril 2009

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mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique avril 2009 • numéro 295

histoire

Bureau de dépôt: 1060 Bruxelles 6 - mensuel (sauf juillet et août)

Degrelle à la RTBF. Vous avez dit « tabou » ? Le 5 mars 2009, la première chaîne télé de la RTBF diffusait un film intitulé, très finement, Léon Degrelle ou la Führer de vivre . Tout le monde - tant la presse audiovisuelle qu’imprimée - s’y était mis pour annoncer un événement « exceptionnel ». Le réalisateur du film prétendait en toute modestie que son œuvre allait abattre des tabous auxquels la RTBF d’avant- lorsque les directeurs actuels n’étaient pas encore en fonction - n’avait jamais osé toucher. De l’audace vraiment ? Mais en tout cas du mensonge par omission comme on le lira dans l’article de l’historien José Gotovitch. Quant à Jean-Marie Chauvier, il s’est penché sur un épisode qu’il a étudié de près, mais que le film a à peine effleuré : la Légion wallone du « beau Léon » sur le front de l’Est.

BELGIQUE-BELGIE P.P. 1060 Bruxelles 6 1/1511

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sommaire

histoire ➜

histoire

2 Un « scoop » brouillon ....................................................................José Gotovitch 4 Degrelle : pff .......................................................................Jean-Marie Chauvier 6 Ils ont ouvert les portes de l’enfer............................................... Jacques Aron

lire

7 Un shtetl en Suisse ...........................................................Tessa Parzenczewski

mémoire

8 Le XXème convoi au Parc Royal ................................... Maximilien Kutnowski 10 1943-2009 Hommage de l’UPJB aux Insurgés du Ghetto de Varsovie ..........

diasporas

12 Le mythe de la traite des blanches .................................... Roland Baumann 14 Ici, Espace Magh .................................................................. Rachida Al Farissi

yiddish ? yiddish !

! widYi ? widYi

16 Tsu di shtern - Moyshe Broderzon ... ........................................Willy Estersohn

humeurs judéo-flamandes

18 Hello Belgium !...............................................................................Anne Gielczyk

le blog allochtone 20 Les Wallons « pas caca » et les supporters d’Ajax « pas Juifs » ?Mehmet Koksal

proche-orient

21 La conférence des donateurs d’Israël .............................................Amira Hass 22 Le Tribunal Russell sur la Palestine ................................... Thérèse Liebmann 24 N’ont-ils pas une ombre de décence ? ........................................ Stephen Walt

tribune libre

26 Davos, Erdogan et propagande ............................................Mehmet A. Saygin

communauté/identité

28 Un malaise historique....................................................................... Didier Buch 30

activités .............................................................................. upjb jeunes

34 Pourim à l’UPJB ....................................................................... Noémie Schonker 36

les agendas

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P

eut on créer de toutes pièces un événement ? Le journaliste Philippe Dutilleul a acquis la notoriété avec son coup d’essai Bye Bye Belgium qui, du point de vue de la sensation, fut un coup de maître. Manifestement, il a pris goût à la chose et a tenté de réitérer l’ « exploit ». Il est allé rechercher dans les placards un article qu’il a dépoussiéré et transformé en scoop avec la complicité quelque peu fébrile de sa maison, la RTBF, et l’appui de quelques journaux francophones qui n’ont pas lésiné sur la surface à lui consacrer. Degrelle, un bon produit de pub ? C’était manifestement l’idée des producteurs. Que reste-t-il de cela à l’arrivée ? Abattons d’abord ce canard : le tabou. S’il a bien existé un tabou à la RTBF jusque dans les années 1970, la BRT l’avait transgressé bien avant. Et, finalement, la RTBF a suivi en encadrant les émissions de débats menés par des scientifiques sous la houlette du professeur Stengers. Nous nous étions alors attachés d’une part à bien cadrer le contexte et à dégonfler les mensonges du « Chef ». Depuis lors, il y a eu la thèse de Martin Conway, les livres de De Bruyn, mais aussi les minutieux travaux d’Albert De Jonghe qui


Un « scoop » brouilleur d’histoire JOSÉ GOTOVITCH*

détaillent, notamment, la fureur de Degrelle après l’assassinat de son frère, et son exigence, non assouvie par l’occupant, de fusiller 100 otages… oui , cent. Après cela, l’assertion publiée du directeur de l’information de la RTBF, protestant qu’il ne saurait s’agir d’une hagiographie et que « contrairement à une idée reçue, le chef de Rex n’a commis, pendant la Seconde Guerre, ni crimes contre l’humanité, ni assassinats de juifs1. » indique bien la limite de ce type d’émission. Mais aussi l’irresponsabilité d’un certain journalisme pratiqué aujourd’hui par quelques-uns à la RTBF.

SANS CONTEXTE Pouvait-on traiter de Degrelle sous la forme de l’émission Striptease, c’est à dire sans contexte, sans rappel des faits, sans une réflexion sur l’époque, le rexisme, l’occupation, le nazisme ? Et que pouvait apporter un débat académique après la force des images. Quid des crimes commis par les milices de Rex, quid de la responsabilité prise d’envoyer des jeunes déboussolés dans les neiges du Front de l’Est, quid de la haine raciale distillée à travers journaux, meetings, dénonciations ? Le directeur de l’Information de la RTBF aurait eu intérêt à… s’informer avant de parler, même si, for-

1er avril 1944. La brigade Wallonie défile dans le centre de Bruxelles sous les acclamations de la foule

mellement, il n’a pas prononcé de contrevérité.

LA RECHERCHE DE L’EFFET Le choix du portrait où n’interviennent que des thuriféraires ou des personnages n’ayant rien à dire et, de fait, pris en otages (Antoinette Spaak en étant la victime la plus représentative) indique que la recherche de l’effet a seule guidé les pas du réalisateur. Heureux de produire des témoins exclusifs, s’appuyant sur les recherches méritoires d’un jeune historien français manifestement ébloui par la qualité et la quantité des archives auxquelles il a pu accéder, mais peu familier de la problématique belge, le journaliste Philippe Dutilleul, dans la continuité de ses émissions passées, a monté, après Jean-Michel Charlier, Maurice De Wilde, Jacques Cogniaux… (où sont les tabous ?) « son » Degrelle aux applaudisse-

ments d’une hiérarchie heureuse de se démarquer des hésitations du passé.

FAIRE DE L’HISTOIRE « AUTREMENT »... L’initiative de contextualiser et de faire le rapport au présent a été prise par Le Soir, mais les milliers de téléspectateurs n’en n’ont évidemment pas tous bénéficié. Nous payons ici la destruction par la RTBF d’une équipe « Histoire » qui assumait avec sérieux et responsabilité son travail journalistique, pour en arriver, selon les vœux de son grand patron, à « faire de l’histoire autrement ». « Autrement », ce fut, par exemple, Annie Cordy, professeur d’histoire de Belgique. Et, aujourd’hui, ce « scoop » brouilleur d’histoire. ■ 1

Le Vif/L’Express, 05/03/09

*Historien, ancien directeur du CEGES

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histoire ➜ Degrelle : pff... JEAN-MARIE CHAUVIER*

O

n nous annonçait bruyamment « la fin d’un tabou ». Sauf oubli, personne n’avait jamais, depuis 1944, ni vu à la télé ni entendu la voix de Degrelle ! Sauf bien sûr dans les émissions (oubliées ?) de Maurice De Wilde. Les auteurs du documentaire ont choisi le portrait d’une personnalité plutôt que « la réécriture de l’Histoire ». Les témoins interrogés, proches et anciens camarades de combat, ont mis en lumière l’enracinement du « beau Léon » dans le monde catholique belge, ses talents d’orateur et de grand séducteur, ses succès populaires y compris en 1944 lors de son retour triomphal (du front de l’Est) à Bruxelles. Impressionnant ! Le « portrait » semble réussi. Mais qu’en est-il de l’Histoire, présente en arrière-plan, avec quelques remarquables archives filmées ? L’aventure rexiste d’avantguerre et l’exil en Espagne après 1944 ont été largement évoqués. Très peu la guerre menée par les SS wallons sur le Front de l’Est.

Que, pourtant, Degrelle luimême considère comme la page essentielle de son combat, à laquelle il a consacré le récit terrifiant de sa « campagne de Russie » ! Mais rien de tout cela à la télé belge le 5 mars ! On aurait pu, par exemple, citer l’un ou l’autre passage de ce récit, très éclairant sur « la personnalité » et... la guerre de Degrelle ! Le débat de spécialistes qui a suivi le film apporta quelques précisions et commentaires. Notamment sur le fait que les dirigeants politiques belges n’avaient pas réellement souhaité l’extradition d’Espagne ni surtout un procès public de Degrelle. En quoi était-ce dérangeant, on ne l’a compris qu’à mi-mots... Surprise, cependant, de ne pas trouver sur le plateau plusieurs des meilleurs historiens de la deuxième guerre mondiale en Belgique. J’ai entendu quelques réactions. Certaines parlent d’une « ré-

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habilitation », d’une image « plutôt sympathique ». Loin du cliché du SS tueur, Degrelle produit l’image d’un homme rigolo, chaleureux, bien « de chez nous », un hitlérien romantique, certes très imbu de lui-même et mégalo ! D’autres me disent que « les réhabilitations de fascistes » ont lieu un peu partout en Europe. Ou encore: « Rien d’étonnant: « ils » ont gagné ». En effet, la victoire (notamment de l’URSS) sur le nazisme en 1945 n’est pas tout ! En 1991, l’URSS a été « battue » par le monde libre. De ce point de vue,


la « croisade anti-bolchévique » peut s’estimer légitimée. N’accablons pas outre mesure nos anciens SS flamands et wallons : leurs compagnons d’armes sont réhabilités en Estonie, en Lettonie, en Ukraine, sans que cela ne soulève de protestation de l’Union Européenne. Pourquoi pas un jumelage entre Bouillon, ville natale de Léon Degrelle, et Sinima ? En Estonie où furent érigés en 2006 des monuments à la mémoire des légionnaires estoniens, hollandais et wallons ?1 D’autres, sans aller jusque là, constatent l’ambiguïté d’un « portrait » de ce genre de personnage qui prétend éviter « la grande Histoire ». L’évitement de l’Histoire n’estil pas plutôt un escamotage ? Ou une manière de banaliser le nazisme en action ? En effet : De-

grelle et ses SS se trouvaient en Ukraine au moment des exterminations nazies, ils ont pourchassé les Partisans, de même que les SS flamands participaient au siège de Léningrad qui fit au moins 600.000 morts, le but d’Adolf Hitler étant d’anéantir la population et de raser la ville. Les Belges n’étaient-ils là qu’en promeneurs distraits ? Pas vraiment, si j’en juge par les ouvrages à la gloire de nos SS flamands qu’on peut trouver dans les librairies de Flandre. N’est-ce pas ce passé criminel d’une certaine Belgique qui reste, après cette émission, le tabou des tabous ? Je m’étonne qu’après un tel « événement » médiatique, il y ait tellement peu de réactions ! Enfin, dire que je m’étonne est exagéré... ■

Le 20 août 2004, le gouvernement estonien érige le monument de lihula qui glorifie les légionnaires SS estoniens les considérant plutôt comme anti-bolchéviques et ayant donc contribué à se libérer de la présence soviétique. Deux monuments aux volontaires SS estoniens, néerlandais et belges ont été inaugurés le 29 juillet 2006, à l’occasion d’un rassemblement d’anciens combattants de la 20e division organisé à Sinima. 1

*Ancien journaliste à la RTBF, collaborateur du Monde diplomatique, spécialiste de l’ex-URSS

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histoire Ils ont ouvert les portes de l’enfer JACQUES ARON À propos du dernier livre de Lionel Richard1

« Où allez-vous, jeunes gens, où allez-vous, étudiants, qui courez en bandes par les rues, manifestant au nom de vos colères et de vos enthousiasmes, éprouvant l’impérieux besoin de jeter publiquement le cri de vos consciences indignées ? », s’exclamait Émile Zola en 1897 dans sa Lettre à la Jeunesse, au moment où celle-ci, aux vociférations de « mort aux Juifs » réclamait l’exécution du traître à la patrie Dreyfus. Des jeunes gens de cette espèce, il y en a apparemment encore, idéalistes dévoyés capables de se transformer en criminels au nom du Seigneur ou du bien suprême, de ces jeunes gens fascinés aujourd’hui encore par le Waffen-SS Degrelle en extase devant le regard fiévreux de son idole, le petit caporal finalement acculé au suicide parce que « son » peuple n’avait pas été à la hauteur de sa démence. Il est des livres utiles pour nous rappeler comment certains se sont hissés, à l’ombre de leur héros, vers ce pouvoir démoniaque de vie ou de mort sur des millions d’individus, dont l’anéantissement devait permettre à la race élue d’assurer la rédemption du monde. Himmler, l’idéaliste besogneux de l’ombre disait à ses fidèles après l’attentat du 20 juillet 1944 auquel son maître avait providentiellement échappé : « Tant que les Aryens vivront, tant que notre sang - le sang germanique et nordique - sera vivant, l’ordre

régnera sur cette terre créée par le Seigneur. » Ce sang même que le wallon Degrelle sentait couler en lui et qui le prédestinait à répandre celui de millions de paysans russes incarnant le bolchevisme abhorré. À l’opposé du sinistre fonctionnaire Himmler, déjà sur les barricades aux côtés de Hitler lors de son putsch manqué de 1923, Goebbels sera ce jeune bourgeois cultivé, arriviste et égocentrique, complexé et frustré, manipulateur et démagogue, qui se ralliera au national-socialisme après ses premiers succès de 1924, dans la Ruhr occupée et en pleine effervescence sociale. Là commence la carrière de ce maître de la propagande qui allait se servir de tous les moyens modernes de conditionnement de masse et, étrangement, contribuer à façonner grâce à eux la voix et l’image de l’idole qui l’hypnotisait même quand - ou parce que - ses décisions lui demeuraient obscures. Une foi aveugle qui ne lui laissa finalement d’autre issue que la mort volontaire avec femme et enfants après le crépuscule de son dieu. Lionel Richard sait allier l’écriture et la rigueur d’une documentation sans défaut. Qualité rare qu’il s’est forgée, année après année, dans la rédaction d’une quinzaine d’ouvrages majeurs sur tous les aspects politiques et culturels de l’Allemagne, dans le destin qui l’a menée de la fin de l’empire

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wilhelminien jusqu’à l’après-nazisme. Un livre de réflexion autant que d’émotion. ■

Lionel Richard sera à l’UPJB le vendredi 24 avril prochain (voir annonce page 32) 1

Lionel Richard, Goebbels, portrait d’un manipulateur, Andé Versaille éditeur, Bruxelles, 2008, 280 p., 19,90 EURO


lire Un shtetl en Suisse TESSA PARZENCZEWSKI

E

n 1873, en Suisse, les Juifs n’avaient le droit de s’établir que dans deux bourgades, comme en Russie dans la zone de résidence. C’est dans une de ces bourgades que Charles Lewinsky amorce sa saga familiale qui s‘étire jusqu’en 1938. À partir d’une petite communauté juive, presque close sur ellemême, dans ses rituels et sa langue, le yiddish, Lewinsky esquisse, au gré des mariages et des rencontres improbables, un portrait dense, touffu et multiple d’une société dans la société, ou plutôt à côté de la société, où dans une Suisse imprégnée d’antisémitisme d’une manière quasi naturelle, chaque protagoniste, chaque membre de la famille Meijer, tentera à sa façon de s’intégrer dans un milieu hostile, allant parfois jusqu’à la conversion. Certains cependant préserveront contre vents et marées leurs traditions religieuses et leur langue. Ascension sociale, prospérité, professions honorables, rien n’y fera. L’antisémitisme au quotidien, omniprésent, d’une violence verbale sans frein où tout semble permis, ne laisse pas de répit. A travers temps et espace, Lewinsky brasse les personnages, de la bataille de Sedan au nazisme, en passant par la guerre de 14. Du « paradis » de Zurich jusqu’en Galicie. Marchand de bestiaux, syndicalis-

te, rabbin, commerçant, médecin, tout un éventail varié et complexe se déploie à travers les années dans cette Suisse paisible « où l’on se plaint de la faim quand le chocolat vient à manquer ». Lewinsky évoque aussi les mouvements fascistes suisses entre les deux guerres, ces chemises grises qui tiennent le haut du pavé et publient des pamphlets dignes de leurs modèles nazis. Et puis, les frontières verrouillées à l’heure où les réfugiés affluent… D’un réalisme minutieux, aux descriptions fascinantes, le récit s’attache aussi aux individus dans leur singularité, les fait littéralement vivre, les décortique, dans leurs faiblesses et leurs contradictions, analyse la complexité des sentiments… Et puis, comme une présence récurrente, apparaît le personnage de Melnitz, qui donne son titre au roman : « Après sa mort, il revenait. Toujours. » L’oncle Melnitz, mort depuis des siècles, apparaît aux moments stratégiques, ravive les mémoires, rappelle à l’ordre, et traîne avec lui les cohortes des victimes, de l’Ukraine de Chmjelniski aux camps de la mort. Un roman comme on n’en fait plus, foisonnant, riche, aux multiples bifurcations, rythmé par les mots en yiddish et qui nous offre, malgré les tragédies, un immense plaisir de lire. Charles Lewinsky est né en 1946 à Zurich. Après des étu-

des de littérature allemande et de théâtre, il se consacre à la mise en scène. Son roman Johannistag, pas encore traduit en français, a obtenu le prix de la Fondation Schiller en 2000. ■

Charles Lewinsky Melnitz Traduit de l’allemand par Léa Marcou Grasset 766 p., 25,70 EURO

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mémoire Le XXème convoi au Parc royal MAXIMILIEN KUTNOWSKI

I

l y a quelques petites choses que je ne supporte pas. Entre autres : la mauvaise foi, l’arbitraire des décisions auxquelles les sans-papier sont soumis et les actes manqués que je ne comprends pas. Il y a quelques semaines, passant de la Place Royale vers la rue du même nom, j’aperçois à deux tours de roues et un coup de volant (mais du coin de l’œil seulement), des panneaux Place des Palais, le long des grilles du Parc de Bruxelles. Imaginant une quelconque publicité, je poursuis mon chemin. Quelques jours plus tard, un courriel m’apprend qu’il s’agit en fait de photos des déportés du XXème convoi. Il semble que cette exposition ait commencé à Malines-même, avant de venir à Bruxelles. Je décide d’aller y voir, d’autant plus que c’est le convoi qui emporta sept membres de ma famille. Je les y retrouve effectivement, sauf celle de ma cousine, trop jeune (six mois) que pour avoir eu un document d’identité avec photo, et celle de mon oncle Léon, résistant qui s’échappa du convoi (mais il fut repris plus tard et finit son chemin à Buchenwald). Le premier moment d’émotion passé, j’observe les passants. La plupart passent effectivement. Ils ne détournent même pas la tête. Passe une classe : certains élèves se marrent au vu de certaines figures. Peut-on le leur reprocher ? Pas une explication, aucun « projet

pédagogique », aucune « mise en perspective ». Si le passant tourne la tête et regarde vers le haut, il pourra bien lire sur le panneau : Mechelen-Boortmeerbeek-Auschwitz 19 avril 1943. Peut-être que l’évocation d’Aus-

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chwitz et celle de l’année 1943 permettront à certains d’imaginer un quelconque lien avec la guerre, l’extermination des Juifs, que sais-je. Et les autres ? Je ne suis pas sûr que cela fera « tilt » au niveau de leur cortex. Encore faut-


Photos Points critiques

il lever le regard sur le côté. Et quid de l’acte fou de Résistance, unique dans l’Europe occupée, de trois jeunes à peine sortis de l’adolescence ? Pas un mot. Qu’évoque Malines ou Boortmeerbeek chez le passant « lambda », comme il est d’usage de le nommer, qu’il soit belge ou touriste ? Car il en passe là des touristes, vous pensez : l’Histoire de Belgique et la culture ont à faire avec ce Parc, les Palais (celui du Roi et celui des Beaux-Arts), les musées. J’allais l’oublier : une affichette, une feuille de papier format A4, maintenue par une ficelle, propose « pour explication » de s’adresser en face, au Musée-Palais Bellevue (aucune ironie : c’était déjà son nom auparavant). Encore faut-il prendre le temps de déplier la dite affichette, que le vent a copieusement maltraitée. Ne supportant pas cet « inachevé » de l’exposition, je décide de pal-

lier ce qui me semble insuffisance manifeste des organisateurs. Je bricole avec mon pc, mon imprimante et des fardes de plastique un feuillet plus explicatif, résumant le parcours du XXème convoi, que je vais apposer tant bien que mal à l’aide de scotch tape. Je sais : je suis paranoïaque. Je passe donc de temps en temps voir si ma production tient la route. Après 3 jours, je dois reconnaître que ma parano a parfois raison. Les feuillets sont ou arrachés ou déchirés. Je suis non seulement parano, mais j’applique Gramsci (…quelque chose comme « pessimisme de l’analyse, optimisme de l’action ») : je re-bricole mes feuillets (facile : ils étaient en mémoire dans mon fidèle pc, pour une fois qu’il ne se « plante » pas ; avec son intelligence artificielle, il devait comprendre qu’il avait une mission sacrée à accomplir) et vais les refixer. Avec scotch tape ren-

forcé par une ficelle cette fois. Je retournerai voir malgré tout, conseillé par ma fidèle parano. J’y suis déjà allé : figurez-vous que ce texte modeste, présenté de façon non professionnelle, eh ! bien, des passants s’arrêtent, lisent, en prennent même des photos. C’est pourtant si peu de chose. Cela m’a pris un peu de mon temps, c’est vrai, mais je ne le regrette pas. Les organisateurs disposaient certainement d’autres moyens, plus professionnels. Je ne comprends pas cet inachevé de l’acte. Je ne comprends pas cet acte manqué. Je me suis demandé : ces panneaux, avec les photos de nos assassinés, Albert II peut les voir de ses bureaux. Y a-t-il là un message strictement personnel ou subliminal Lui adressé, lui qui symbolise la nation ? Je ne comprends pas. Quelqu’un peut-il m’expliquer ? ■

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mémoire Dimanche 19 avril 2009, L’UPJB et l’UPJB-Jeunes rendent hommage aux Insurgés du Ghetto de Varsovie et aux trois Résistants qui arrêtèrent le XXème convoi à Boortmeerbeek

L

e 19 avril 1943, la veille de Pessah, en réponse à l’attaque massive de la Wehrmacht, la Direction de l’Organisation Juive de Combat, créée en juillet 1942, donne le signal de l’Insurrection. Cette Direction est composée de cinq membres. Mordekhaï Anielewicz du Hashomer Hatzaïr en est le commandant ; Marek Edelman du Bund, le commandant en second ; en font également par-

et Michal Rojzenfeld du Parti communiste. Ainsi que le rappelle Marek Edelman, l’un des rares combattants survivants, dans la postface de la réédition de ses Mémoires du Ghetto de Varsovie en 2002... « la défense du Ghetto n’avait rien d’inattendu. Elle était la suite logique de quatre années de résistance d’une population enfermée dans des conditions inhumaines, humiliée, méprisée, traitée, selon

tie Icchak Cukiermann du mouvement pionnier Hekhaloutz, Hersz Berlinski du Poale Sion de gauche

l’idéologie des vainqueurs, comme des sous-hommes. Malgré ces conditions dramatiques, les habi-

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Marek Edelman

tants du ghetto ont, dans la mesure du possible, organisé leur vie selon les plus hautes valeurs européennes. Alors que le pouvoir criminel de l’occupant leur refusait tout droit à l’éducation, à la culture, à la pensée, à la vie, voire à une mort digne, ils ont créé des universités clandestines, des écoles, des associations et une presse. Ces actions qui engendraient la résistance contre tout ce qui menaçait le droit à une vie digne, ont eu pour conséquence l’insurrection. Celle-ci était l’ultime moyen de refus des conditions de vie et de mort inhumaines, l’ultime acte de lutte contre la barbarie et pour la sauvegarde de la dignité. » Quand, dans une interview accordée au quotidien israélien Yediot Aharonot, la journaliste lui demande si l’insurrection n’était pas une forme de suicide collectif, Marek Edelman s’insurge : « En nous soulevant, nous avons rap-


pelé notre appartenance au genre humain. En prenant les armes contre ceux qui voulaient nous anéantir, nous nous sommes raccrochés à la vie et nous sommes devenus des hommes libres. » Et c’est effectivement un message à la fois désespéré, mais aussi de foi en un avenir que la plupart d’entre eux ne connaîtraient pas, que les insurgés adressèrent à l’extérieur ainsi qu’en témoigne ce passage extrait de la « Proclamation du Ghetto au combat » lancée le 23 avril... « Nous nous battons pour notre liberté et pour la vôtre... Pour notre honneur et pour le vôtre... Pour notre dignité humaine, sociale, nationale et pour la vôtre... » Durant cette période effroyable de 1939 à 1945, des Juifs se sont battus sur tous les fronts, dans des armées régulières, dans des mouvements de résistance, et dans d’autres ghettos que celui de Varsovie. Mais c’est par cet appel à la conscience des générations futures que l’Insurrection du Ghetto de Varsovie constitue aujourd’hui un symbole. Un symbole dont beaucoup de ceux qui le commémorent chaque année ont apparemment oublié, ou voulu oublier ?, le sens. Car, comme le soulignait déjà Marek Edelman dans la première édition de ses Mémoires du Ghetto de Varsovie... « Un demi-siècle s’est écoulé. On pourrait croire qu’il n’est plus nécessaire d’en parler aujourd’hui. On pourrait le croire si, sous les yeux de l’Europe, passive et impuissante, des gens ne continuaient à périr dans des conflits idéologiques, religieux et raciaux, dans des querelles et des luttes d’intérêts politiques et économiques. Or, indifférence et crime ne font qu’un. » Pour ce qui nous concerne, si nous commémorons chaque année l’Insurrection du Ghetto de

Varsovie, c’est avant tout pour nous souvenir et pour rappeler aux autres le sens profond du combat des Insurgés : un combat pour la liberté et pour la dignité des peuples et des individus, un combat qui, soixante-six ans plus tard, et non plus un demi-siècle, est toujours aussi loin d’être gagné, et que nous avons pour obligation de poursuivre. Lorsqu’ils proclamaient se battre pour que « ça » ne se reproduise plus, les combattants du Ghetto de Varsovie, ne visaient en effet pas le seul génocide dont ils étaient eux-mêmes victimes, mais toute oppression d’une communauté par une autre, toute forme d’injustice, d’intolérance ou de mépris de l’autre. Dès lors, honorer les Combattants du Ghetto, c’est aujourd’hui encore, aujourd’hui plus que jamais, condamner et combattre les dérives nationalistes, racistes et xénophobes qui gangrènent une bonne partie de nos démocraties. Honorer les Combattants du Ghetto, c’est pour nous, Juifs progressistes, exiger, sans discontinuer, pour tous les peuples sans exception, comme nous l’avons exigé pour nous-mêmes, le droit de vivre libres et dans la dignité, le droit de déterminer souverainement leur destin.

C

e même 19 avril 1943, à Boortmeerbeek, trois jeunes résistants, Georges Livschitz, Robert Maistriau et Jean Franklemon, arrêtaient le XXème convoi parti de Malines en direction d’Auschwitz-Birkenau. Il s’est agi là d’un fait resté unique dans toute l’Europe occupée. À eux aussi, nous rendrons hommage en ce 19 avril 2009.

DÉROULEMENT DE LA CÉRÉMONIE D’HOMMAGE : 14h30 : Dépôt de fleurs au Monument à la Résistance juive et au Mémorial de la Déportation d’Anderlecht, coin rue Emile Carpentier et rue des Goujons 16h : goûter au local de l’UPJB, 61 rue de la Victoire - 1060 Bruxelles 17h30 : Projection d’un document sur la vie du Ghetto, suivie d’un témoignage et d’un échange de vues avec une personnalité ayant connu l’horreur de la déportation

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diasporas Le mythe de la traite des blanches ROLAND BAUMANN

I

l y aura bientôt soixante ans, l’Assemblée générale des Nations Unies approuvait la « Convention pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui » (résolution 317 (IV), 2 décembre 1949). En mai 1969, à Orléans, une rumeur accusant des négociants juifs de « traite des Blanches », inspirait la plus célèbre recherche du sociologue Edgar Morin. Dans son nouveau livre, Le mythe de la traite des blanches1, Jean-Michel Chaumont, philosophe et sociologue (UCL et FNRS), jadis associé à la Fondation Auschwitz (cf. La concurrence des victimes, 1997), analyse le discours dominant sur la traite des femmes et la prostitution depuis la fin du dix-neuvième siècle. L’auteur avait évoqué les débats du Comité Spécial d’Experts chargé par la Société des Nations (S.D.N.) d’une enquête internationale sur la traite des femmes et des enfants (1924-1927) dans Les experts (2008), « comédie sociologique » mise en scène par Adeline Rosenstein, . Dans le cadre de ces recherches, Chaumont porte un regard très critique sur La rumeur d’Orléans (1969) d’Edgar Morin2, « grand classique » de la sociologie française, fruit d’une enquête de terrain, financée par le Fonds social juif unifié, suite à cette « étrange » rumeur de disparitions de jeunes filles, droguées dans

les salons d’essayage de magasins de vêtements du centre d’Orléans tenus par des commerçants juifs, puis enlevées et expédiées dans des bordels exotiques ! Selon Chaumont, les analyses de Morin, détachées de tout contexte historique, ignorent des faits indispensables à toute interprétation sociologique du phénomène étudié, et en particulier négligent l’histoire de « la traite des Blanches », un mythe dont la version « traditionnelle » domine le discours des instances de lutte contre la prostitution jusqu’à l’entre-deux-guerres. Comme le montre Alain Corbin (Les filles de noce, 1978), les premières campagnes de dénonciation de la traite des Blanches, en Belgique (1880), puis en Angleterre, en France et aux ÉtatsUnis, reflètent les angoisses de la société de l’époque face à l’émancipation des femmes. Le discours des responsables des campagnes de dénonciation de la traite suggère que « toutes » les « jeunes filles honnêtes » sont menacées et susceptibles d’être enlevées par de dangereux proxénètes dès qu’elles ne sont plus sous le regard « protecteur » de leur père ou de leur mari ! S’il n’avait concerné que des « filles déjà perdues », le mythe de la « traite des Blanches », enlevées et prostituées de force dans des lupanars exotiques n’aurait pas mobilisé tant d’honnêtes parents. À l’époque, certains spécialistes dénonçaient déjà ces « rumeurs » comme tota-

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lement infondées. Comment penser que des proxénètes professionnels aillent enlever de force une fille qui risque de leur opposer une résistance farouche et dont la disparition va provoquer la mise en action de moyens policiers puissants, alors qu’il y a des milliers de filles et de femmes qui sont toutes prêtes à céder aux belles promesses qui leur sont faites ! Morin ignore toute la littérature existante sur le sujet, alors que la « rumeur d’Orléans » semble être un remake inspiré par l’imaginaire de la traite des Blanches et ses principaux motifs mythiques (cabine d’essayage truquée, souterrains secrets, policiers corrompus, bonbons drogués, etc.).

UN THÈME MÉDIÉVAL ? Selon Morin, la dimension antisémite de la rumeur, imputant la traite aux commerçants juifs, relève d’une création irrationnelle, dont les mythes catholiques médiévaux hostiles aux Juifs constitueraient la matrice originale. Le sociologue français évoque aussi la théorie du bouc émissaire tant il lui semble totalement « délirant d’attribuer la traite des Blanches à des Juifs ». Or, remarque Chaumont, cette composante de la « rumeur d’Orléans », loin d’être une réactivation du thème antisémite médiéval accusant les Juifs du sacrifice d’enfants chrétiens, tient un précédent beaucoup plus direct : avant 1939, l’association des Juifs à la traite des


Blanches est une accusation omniprésente, dans la presse antisémite en France, tout comme dans Mein Kampf...

L’ÉLÉMENT ISRAÉLITE De plus, souligne Chaumont, Morin semble tout à fait ignorer qu’il a bien existé une « traite juive ». En 1922, lors de la première session de la commission consultative pour la traite des femmes et des enfants de la SDN, le président de séance fait allusion aux « enquêtes faites dans différents pays » montrant « que l’élément israélite domine dans les maisons de débauche ». Le représentant de L’« Association juive pour la protection de la jeune fille », lui répond en expliquant « la prédominance de l’élément juif dans les maisons de débauche » par « les mauvaises conditions » dont souffrent les « populations israélites en Europe orientale et centrale », où ajoute-t-il « de nombreuses jeunes filles » fuient leur résidence, « séduites par des propositions alléchantes ». Albert Londres réalise alors son remarquable reportage, Le chemin de Buenos Aires (1927), dans lequel il décrit les réseaux de la prostitution internationale, français et juifs... Depuis 1870, l’Argentine était une des principales destinations pour les « ruffians » juifs et leurs « protégées », le plus souvent originaires du Yiddishland, comme l’indique le terme Polaca (« polonaise »), qualifiant la prostituée juive en Argentine et au Brésil. Vers 1929, l’association des proxénètes juifs, la Zwi Migdal (d’abord connue sous le nom de société Varsovia), forte de 400 membres d’après les sources policières, contrôlait quelque 3000 prostituées à Buenos Aires... Jean-Michel Chaumont ajoute : il s’agit d’une frange ultra-minoritaire parmi les millions de Juifs

qui émigrent d’Europe centrale depuis les années 1880, chassés par la misère et les persécutions . Les communautés de la diaspora se mobilisent très tôt contre ces réseaux juifs de la prostitution, notamment parce qu’ils alimentent l’antisémitisme ambiant qui accuse les Juifs du rapt de milliers de jeunes filles chrétiennes. Le mythe d’une Mafia juive responsaCouverture du livre d’Ernest A. Bell, Chicago, c. 1910 ble de la traite des Blanches à travers le Monde hommes sur les femmes. Dans préfigure l’actualité de minorités ses analyses, Morin se veut l’in(Albanais, Moldaves, etc.) qu’on venteur d’une « sociologie du préaccuse aujourd’hui de contrô- sent », mais se montre aussi douler les réseaux internationaux de blement sexiste lorsqu’il impute prostitution. à toutes les adolescentes le secret désir d’être réduite à des obLE CONTRÔLE SUR jets sexuels, et fait des mères les LES FEMMES seules opposantes à l’émancipaDans la genèse de la « rumeur tion de leurs filles... Jean-Michel d’Orléans », Morin oublie aus- Chaumont conclut sa critique de si que des hommes influents, po- La rumeur d’Orléans en notant liticiens abolitionnistes ou mili- que le succès du livre de Morin, tants anti-traite, ont pu avoir un régulièrement réédité depuis près rôle déterminant dans le dévelop- de 40 ans, lui semble « très myspement du mythe de la traite des térieux ». Un mystère qu’il juge acBlanches. De même, dans la suite cablant pour la corporation des de son analyse, il ne voit pas que, sociologues, « car elle pointe le depuis la fin du 19ème siècle, des déficit effrayant de débats critihommes exhortent les mères à ne ques au sein de la discipline » ! ■ pas relâcher leur surveillance sur 1 Jean-Michel Chaumont, Le mythe de la leurs filles, de peur que l’émantraite des Blanches, Éditions La Découcipation féminine, et notamment verte, Paris, (parution le 7 mai 2009). une mobilité accrue, ne condui- 2 Edgar Morin, La rumeur d’Orléans, Édisent la société au « chaos » et à la tions du Seuil, Paris, 1969. perte du contrôle qu’exercent les

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diasporas Ici, Espace Magh* RACHIDA AL FARISSI

U

n matin crachin, bien belge, il fait gris toussaint et je suis en retard au rendez-vous. Dans le tram, je rencontre Leila qui m’apprend qu’elle a grandi à Boitsfort. Je lui répète en articulant bien distinctement le nom de sa commune « …à Boitsfort… c’est la campagne ça… en plus chez les riches, il y avait des Arabes là ! Et oui précise Leila… là aussi, et d’ailleurs ma famille y vit toujours ». Ensemble, on se dirige d’un pas rapide vers la rue du Poinçon, le soleil dans le cœur vers mon quartier d’enfance et sa populaire place Anneessens. Un mot qui se prononce avec l’accent fort allongé, insistant sur le double « e ». L’enfance appelle l’enfant… on se parle, Leila me raconte… et sur le chemin, on se confie un peu des bouts de vie. Ici, aujourd’hui à Bruxelles on fête le début d’une histoire, l’inauguration officielle de l’Espace Magh, le Centre Culturel Maghrébin présenté comme « un projet artistique engagé, métissé, pluridisciplinaire et contemporain ». Enfin, la concrétisation d’un chantier rêvé depuis de nombreuses années ; enfin la consécration d’un lieu culturel communautaire ouvert, pluriel et laïc. Mais surtout… laïc! Un lieu destiné à la culture et à nous autres ! Mais comme on ne sait jamais avec « nous autres », les discours des intervenants insistent fort sur le côté… laïc. J’ai l’impression qu’eux savent déjà, que nous devons encore dé-

couvrir. Paternalistes ? Non peutêtre ! Appel à la vigilance, oui sans doute ! Mais qu’est ce que ça peut bien vouloir dire cette « laïcité » ? Que la mosquée ce n’est pas ici… c’est un peu plus loin…Non, c’est loin loin loin, là-bas, direction le Midi, la gare et ses souks. Que la religion ce n’est pas la culture ? Pas de culture du religieux ? Laïc, ça ne veut quand même pas dire athée.

UN AUTRE TEMPS L’Espace Magh est un lieu qui nous transporte dans un autre temps et dans de nouvelles dimensions. Et oui, 4000 m2, ça en jette ! De mémoire d’immigré, jamais on n’aurait imaginé qu’un tel volume puisse nous être alloué. Chapeau Yvan. Ici les responsables du projet ont osé, voulu faire fort, ont vu grand car nous aussi on est capable, nous aussi on le vaut bien ! Dépassé, fini les bricolages avec les maisons de jeunes. On est passé de l’époque des Jeunesses Maghrébines à l’Espace Magh. ; un âge sans doute plus mûr pour les conquêtes ! Espace Magh, un mot composé, une appellation tendance, branchée, qui accroche. Le mot « maghrébin » requalifié, revu, corrigé et bien composé au présent. Une nouvelle figure, un caractère neuf et sans accent ! Attention quand même de ne pas se laisser défriser. Pas touche aux crolleke, chacun ses arabesques. Quel défi pour des Bruxellois de la seconde génération... la Cultu-

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re ! Eux, nous, qui n’aimons plus qu’on nous appelle comme ça. Nous, dont la plupart des parents sont arrivés en Belgique comme main d’œuvre et qui auraient pu assimiler plus facilement le mot culture à l’art de planter. Et oui, la culture n’évoquait pas tout de suite dans leur esprit les Arts, le Beau. De plus, pour certains parents, ces « futilités », la musique, la danse, le théâtre étaient devenues avec le temps haram, interdites, souvent au nom de Dieu. Moi-même, adolescente, je ne devais pas trop évoquer les sorties théâtre-cinéma avec l’école, tellement ces mots semblaient inquiétants et tabous. L’obscurité et la mixité enflammaient les imaginaires et laissaient place aux fantasmes. C’était l’époque de Khomeiny et de ses zievere, des blasphèmes et des fatwas qui voulaient museler, contrôler, enfermer, surtout les artistes et les femmes. Un temps où la liberté était chérie ! Une belle réussite, comme un rêve achevé et la consécration de ce lieu par Fadila, enfant de cette immigration devenue ministre souriante de la Culture, de l’Audiovisuel, ne fait que confirmer que les temps ont bien changé. Au cœur de Bruxelles, la façade du numéro 17 rue du Poinçon garde un certain cachet. De l’époque où ce bâtiment imposait une allure, cette bâtisse de maîtres, qui s’appelait « la Maison des Tramwaymen », avait une architecture style art déco et était déjà un lieu important dans la capita-


le. De ce temps, subsistent encore quelques traces visibles, les arcades des portes d’entrées et six chouettes bronzes qui veillent sagement. Mais quand même, un service de sécurité actuel, électronique est venu renforcer la vigilance de ces oiseaux. Le quartier, ça craint toujours ! On passe la porte pour découvrir un espace redessiné par de nouveaux architectes et des lignes très contemporaines. Des plans qui ouvrent grand sur le sobre et nous accueillent avec un bleu profond. Ici, pas de fioritures, d’arabesques, de surcharges trop marquées culturellement ou ethniquement ; ici, c’est ouvert au monde entier. Une frise calligraphiée de Mohamed Ben Hamadi nous invite à lever les yeux vers le ciel et à suivre l’écriture à l’horizontale, de droite à gauche. Une seule phrase en arabe et le ton est donné « tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits ». Ici, l’appel ne se fait pas au nom de Dieu mais au nom des Hommes et de leurs droits fondamentaux. Le rappel est clair et soutenu par des lumières verticales pour bien ou mieux voir. Ici, pas de références au Coran mais la lumière est mise sur la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Un peu plus tard, je croise Amir qui me présente Nouria Bajat. L’artiste, la créatrice de la fontaine couleur bleu zellige ; un morceau de ciel méditerranéen qui coule sur un pan de mur. La deuxième empreinte du sud mais ici, ce n’est pas l’Alambra ; pour la nostalgie andalouse, il faudra continuer à rêver. Une belle salle de spectacle nous accueille et nous pouvons entendre les discours des différents orateurs surtout des politi-

ques. De ces discours, je retiens surtout une phrase d’Hamadi, le directeur de l’Espace Magh qui raconte : « En tournée en France, les responsables décident de m’honorer, me faire plaisir et me préparent un couscous. Je me suis demandé si pour une troupe alsacienne ils préparaient une choucroute ».

YES WE CAN Le ton est encore une fois donné. Ici, ce n’est pas folklore, couscous, thé à la menthe et tutti quanti. Non, ici c’est un lieu dédié aux artistes et à leurs talents. Ici, c’est sérieux. Enfin, pas trop j’espère. J’ai surtout été touchée par ces enfants d’immigrés, sur scène, entourés d’un rideau en tafetas rouge, flambant neuf. J’ai été très touchée, fière, émue quand deux femmes de ma génération, Fadila et Faouzia ont pris la parole à la tribune. Yes we can . Tout un symbole ! La programmation des trois soirées festives pour débuter le printemps et les noms à l’affiche donnent la couleur des intentions dès l’ouverture. La fête débutera en musique avec des concerts de Abid Bahri, Amparo Cortès, Marlène Dorceda, Orgines Controlées, des performances d’artistes peintres en direct, du théâtre avec la Compagnie des Chemins de terre et bien évidemment des surprises. Le métissage est bel et bien à l’honneur. L’altérité invitée à Bruxelles. L’altérité c’est aussi, ici, l’identité de Bruxelles. D’autant plus que la première conférence invite l’Égyptienne Nawal El Saadawi, une féministe militante, écrivain, psychiatre engagée, qui continue, à 77 ans, à se battre pour la liberté de tous et des femmes en particulier. Elle qui n’hésite pas à critiquer la re-

ligion et ses religieux, à tutoyer Dieu et le défier. Elle qui continue, même condamnée à mort, à écrire « Dieu démissionne de la réunion du sommet ». Cette invitation est comme un acte politique proposé, posé par les responsables de la programmation. Pour terminer et comme l’Espace Magh, c’est aussi, ici, la mémoire : hommage à Mohamed El Baroudi par la bibliothèque qui porte son nom. Le nom d’un homme toujours libre, singulier qui a créé son propre chemin. Un homme loyal et solidaire. Précurseur dans l’histoire de la défense des immigrés, il a beaucoup œuvré pour faciliter l’accès à la langue, à la défense des travailleurs. Exilé politique, il s’est battu pour la liberté et pour plus de justice pour ses compatriotes, ses amis, ses frères. Il représente une génération d’hommes et de femmes courageux qui ont choisi de quitter leur pays pour une vie meilleure. Je me souviens avoir été touchée lors de la cérémonie pour son enterrement, organisée comme il l’avait souhaitée au musée Charlier en juin 2007. Beaucoup étaient venus le saluer une dernière fois et surtout il choisit de reposer parmi nous dans les terres de Saint-Josse. Quand un homme comme Mohamed El Baroudi meurt, c’est une bibliothèque qui naît et vit. Longue vie à l’Espace Magh et aux différents projets ambitieux. Que ce lieu puisse toujours faire émerger de nouvelles énergies, de nouvelles formes d’expression artistiques et culturelles mais aussi faire connaître l’histoire et la mémoire de l’immigration maghrébine. ■ *www.espacemagh.be

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Yiddish ? Yiddish ! PAR WILLY ESTERSOHN

Nretw id uq tsu di shtern Aux étoiles « Futur antérieur. L’avant-garde et le livre yiddish. 1914 – 1939 ». C’est le titre d’une exposition qui se tient à Paris, jusqu’au 17 mai 2009, au Musée d’art et d’histoire du judaïsme(*). Il y est essentiellement question d’ « un projet intellectuel d’une radicalité inédite : édifier de toutes pièces une modernité esthétique proprement juive en utilisant les ressources d’une tradition avec laquelle on se trouvait pourtant en situation de rupture » (Le Monde). À Lodz, en Pologne, dans les années 1920, l’auteur du poème publié ici, Moyshe Broderzon (qui avait vécu l’éclosion du modernisme en URSS, peu après la révolution), a rassemblé autour de lui un groupe qui s’est appelé Yung yidish (Jeune yiddish). Ces auteurs ont « inauguré l’esprit d’avant-garde dans le milieu yiddishophone de Pologne » (Rachel Ertel). Les cinq premiers vers de ce poème-ci figuraient en exergue de Khaliastre, la revue moderniste yiddish de Varsovie. (*) Hôtel Saint-Aignan, 71, rue du Temple, Paris 3e. Tél : 01-53-01-86-53.

,erts=il=c enegnuzeq eceliirf = + rim ,Negnui rim khaliastre tsezungene freylekhe a mir yungen mir ,geuu NtsVuu=bmuj Nj Nij Neiig rim veg umbavustn an in geyen mir ,get ekidhruxw-hrm efit Nij teg moreshkhoyredike tife in kerw Nuf tcen Nij shrek fun nekht in Nrert + Nretw Nreuu’s trern shtern s’vern ,Nretw + Nreuu Nrert shtern vern trern

Nuj un Nuj un

,Nreh uq N] Nbiih ebiut Nuj hern tsu on heybn toybe un Nreg=b + N] Nbiih ebiut Nuj Couverture du premier numéro de khaliastre, la revue moderniste yiddish de Varsovie.

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bagern on heybn toybe un : Nreuu Miukm + stug s]d l= Nuj vern mekuyem guts dos al un


! widYi ? widYi !? Nretw id uq trif s]uu ,geuu red reuuw zi’s + shtern di tsu firt vos veg der shver s’iz ! Nreuu=b zdnuj teuu ,trew=b zij’s s]uu ! Nrelk lsib = rekiniiuu ,ieh bavern undz vet bashert s’iz vos klern bisl a veyniker hey ,Nrem Nuj Nrepcurf Ciz’t diirf id mern un frukhpern t’zikh freyd di ,Nreg Nelmih Nleuu Nreh gern himlen veln hern : Nreuuw tiihUrt hwudkb shvern trayheyt bekdushe

Nuj un Nuj un

! Nreb Nqn=t elUuured + =c+=c bern tantsn dervayle kha kha ! geuu NtsVuu=bmuj Nij rim Neiig ! Neiig rim veg umbavustn in mir geyen geyen mir ,get ekidhruxw+hrm efit Nij teg moreshkhoyredike tife in + kerw Nuf tcen Nij shrek fun nekht in ! erts=il=c enegnuzeq eceliirf = + rim ,Neiig rim khaliastre tsezungene freylekhe a mir geyen mir TRADUCTION DE GILLES ROZIER Nous les jeunes, nous – une bande joyeuse et chantante /Nous allons par des routes inconnues /En des jours profonds de mélancolie /En des nuits d’effroi /Per aspera ad astra ! (*) Et les étoiles se font larmes /Et les larmes se font étoiles /Et les sourds se mettent à écouter /Et les sourds commencent à désirer /Et qui mieux est – à se réaliser /Âpre est la marche qui mène aux étoiles ! /Eh, pensons un peu moins ! Ce qui est écrit se dévoile ! La joie va croître et embellir /Et les cieux entendront volontiers /Et ils jureront fidélité /Pour l’instant des ours dansent ! Hé, hé ! Per aspera ad astra ! / Nous allons ! Oui nous allons par des routes inconnues ! /En des jours profonds de mélancolie /En des nuits d’effoi /Nous allons, nous – une bande joyeuse et chantante ! (*) Per aspera ad astra (expression latine) = par des sentiers ardus jusqu’aux étoiles.

REMARQUES erts=il=c khaliastre = bande, compagnie. tsVuu=bmuj umbavust = inconnu ; anonyme. kidhruxw-

hrm moreshkhoyredik, de hruxw-hrm moreshkhroyre (hébr.) = mélancolie, morosité. tcen nekht : pluriel de tc=n nakht = nuit. Nreg=b bagern = désirer, convoiter. Nreuu Miukm mekuyem vern =

se réaliser, se concrétiser. trew=b bashert = inévitable, (pré)destiné. Nreuu=b bavern = s’accomplir.

Ciz’t t’zikh = Ciz teuu vet zikh ; Nrepcurf Ciz teuu vet zikh frukhpern = va se reproduire. hwudkb bekdushe (hébr.) = avec/en sainteté.

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ANNE GIELCZYK

Hello Belgium !

J

’ai reçu l’autre jour de la communauté flamande, mon employeur, une lettre m’annonçant triomphalement (élections en vue) que j’allais recevoir « très probablement » en plus de mon salaire de février une somme pouvant varier de 250 à 300 euros. Ouahh me suisje dit, ça y est, ils ont enfin compris, on a pris les bonus aux riches pour les redistribuer aux pauvres. Évidemment 300 euros, c’est sans commune mesure avec feu les bonus à 6 zéros du monde de la finance, mais soit, c’est le geste qui compte. Malheureusement en y regardant de plus près, j’ai compris ce que voulait dire la formule « très probablement » : je ne faisais pas partie du lot, pas parce que je suis riche - ce qui est faux même si je ne suis pas pauvre - mais parce que je n’habite pas en région flamande. Le Jobkorting , car c’est ainsi que s’appelle cette chose, est une mesure fiscale flamande, qui est censée récompenser tous les hardwerkende Vlamingen, salariés et indépendants, par une diminution de leurs impôts. C’est donc une mesure libérale. Mais c’est aussi une mesure flamande puisqu’elle s’adresse exclusivement aux (hard)werkende Vlamingen. Mais qu’est-ce qu’un hardwerkende Vlaming ? C’est avant tout une tautologie, le Flamand étant par essence un

grand travailleur comme aiment à le souligner les politiciens flamands. Le werkende Vlaming est donc forcément un hardwerkende Vlaming. En l’occurence, c’est une personne qui a à la fois la chance d’avoir un travail et la chance de vivre en région flamande. Elle a donc droit au Jobkorting. Pas de job, pas de jobkorting, c’est logique. Ainsi le retraité, le malade ou le chômeur qui habite pourtant sur le sol flamand n’a pas droit au Jobkorting, ce n’est pas un hardwerkende Vlaming. Par contre, le francophone de Overijse qui travaille à Genval est un hardwerkende Vlaming, il a droit au Jobkorting. La FGTB et les écolos de Groen ! s’insurgent et ont décidé de verser leur Jobkorting aux plus démunis. Moi, je ferais

bien comme eux, mais comme j’habite Bruxelles, la capitale de ladite région flamande et que je travaille à Gand, en Flandre donc, je n’ai pas droit au Jobkorting. J’en conclus que je ne suis pas une hardwerkende Vlaming, mais ça je le savais déjà, ni hardwerkend (werkend me suffit largement comme qualificatif), ni Vlaming. Vlaming « un peu », Vlaming « aussi » mais pas Vlaming « tout court ». Ceci est donc une histoire belge. Absurde, grotesque, et pour utiliser un cliché, « surréaliste ». De celles que seuls les Belges, qu’ils soient flamands ou francophones, peuvent comprendre.

Le Jobkorting en Flandre, une mesure libérale et... électorale

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M

ais le fossé se creuse entre les Belges… Prenez la soirée Degrelle à la RTBF, grand tapage médiatique, 500 000 téléspectateurs. Au débat, pas un Flamand parmi les invités. Ni de femmes d’ailleurs. C’est frappant, dès qu’il s’agit de choses sérieuses (le fascisme, la crise financière) les experts sont tous des hommes. Pourtant il y en a. En tapant Degrelle dans Google, je tombe sur une interview dans l’hebdomadaire flamand Knack d’une jeune historienne wallonne, Flore Plisnier qui a fait une thèse sur le rexisme dans la région de Charleroi. À part ça, peu de remous dans les médias flamands, rien à voir, n’en déplaise à l’auteur Philippe Dutilleul, avec Bye bye Belgium qui avait défrayé la chronique jusqu’en Flandre. J’ai trouvé en tout et pour tout une annonce sur deredactie.be, le site de la VRT et un article de Marc Reynebeau dans De Standaard. Tous reprennent la communication de la RTBF, entendez qu’en Wallonie le rexisme est un « tabou » et que pour la première fois, on laisse parler les témoins sans commentaire, en faisant confiance « à l’intelligence du spectateur ». Reynebeau va jusqu’à utiliser le terme de « cordon sanitaire » qui s’étendrait en Wallonie jusqu’aux fascistes du passé. Le grand mérite de cette émission serait tout simplement qu’elle ait eu lieu.

I

l est vrai qu’en Flandre, Degrelle, ce n’est pas un scoop. Le « cordon sanitaire », même pour les fascistes et populistes d’ici

et maintenant, est inexistant. On peut les voir et les entendre vociférer tous les jours à la télé les JeanMarie Dedecker et les Gerolf Annemans. La commission parlementaire sur Fortis, une bénédiction pour ces populistes de tout poil, l’occasion de dénoncer le grand complot et les politieke spelletjes (les magouilles) des partis traditionnels. Voyez bonnes gens, le travail parlementaire, quelle mascarade ! Ce n’est pas Degrelle mais c’est tout comme et c’est aujourd’hui, à trois Le Jobkorting. Groen ! n’est pas d’accord mois des élections. Mais les spectateurs cet argument. Cela signifie qu’en sont assez intelligents pour pays francophone le libéralisme comprendre, n’est-il pas ? Il n’est pas en odeur de sainteté suffit de voir les sondages. depuis la crise, tandis qu’en En Flandre, la droite extrême Flandre, ce sont les thèses (LDD, NVA et VB) est créditée populistes qui gagnent du terrain. de 40% des intentions de vote. Les socialistes et écologistes e là à vouloir se ensemble ne passent pas la barre rattacher à la France, des 20%. Du côté francophone, je trouve ça un peu la gauche tient bon et même exagéré. Depuis progresse (avec 20% rien que l’appel de Joëlle Milquet aux pour Ecolo à Bruxelles). intellectuels, les propositions Oui, le fossé se creuse, Rudy francophones de scission vont Aernoudt en a fait les frais. Il bon train. Parmi ces derniers croyait que le MR serait prêt à tout pour casser le PS. C’était - ici aussi rien que des hommes Claude Demelenne, jadis grand sans compter avec le FDF qui, défenseur à contre-courant de au grand étonnement de l’unité de la Belgique, plaide beaucoup d’observateurs pour le rattachement à la flamands (dont Paul Goossens France au nom de la langue, la dans Le Soir), et de moi aussi je culture et les valeurs communes. l’avoue, a résisté avant tout sur Bart Dewever se marre, c’est l’ultralibéralisme de LiDé et pas exactement ce qu’il préconise sur la question communautaire. : une langue, une culture, des Et même si ce n’est qu’à moitié valeurs communes... vrai ça n’enlève rien au fait Quel ennui. ■ qu’ils aient jugé bon d’utiliser

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DE MEHMET KOKSAL

Les Wallons « pas caca » et les supporters d’Ajax « pas Juifs » ?

L

a première fois que j’ai découvert le racisme footballistique c’était en 1990 lors d’un derby Anderlecht contre Bruges au cœur du « O-Side » des fanatiques d’Anderlecht. A l’époque, la « bête noire » des clubs de Belgique était le jeune joueur nigérian Daniel Amokachi, une locomotive sportive dont la jambe musclée équivalait à peu de choses près à ma taille à l’âge de 12 ans. Le personnage m’impressionnait déjà en télé alors le voir sur le terrain était encore plus magique. Puis, la rencontre commence et certains supporters d’Anderlecht commencent un jeu raciste contre ce joueur : à chaque fois qu’il touche la balle, ils font des grimaces de singe « ouhouhouhou ». J’étais dégoûté et horrifié par la haine dégagée chez certains supporters (dont des femmes). Des amis journalistes m’expliqueront par la suite que les frères Mpenza seront également victimes de tels agissements durant certains matchs de football. Je pensais que ce genre de comportements racistes n’existait plus de nos jours et que les supporters avaient évolué avec le temps pour ne plus ânonner de telles imbécilités. Malheureusement non et je me demande maintenant si la bêtise raciste n’est pas une maladie

contagieuse qui se transmet de génération en génération. Comment expliquer sinon que « les supporters anversois avaient entre autres lancé à l’adresse des joueurs virtonais : « Les Wallons sont pédophiles », « Les Wallons sont du caca », à la fin de la rencontre, remportée 2-1 par l’Antwerp, 8-ème au classement général ». Bon, on sait que les Wallons ne sont ni « caca », ni « pédophiles » mais peut-on vraiment rire d’un raccourci découlant d’un fait divers aussi chargé dans l’histoire de ce pays ? Les stades belges ne sont visiblement pas les seuls à abriter des sympathisants de l’ordre nouveau qui ne manquent pas une occasion pour instrumentaliser les simples spectateurs dans une propagande politique.

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insi cette drôle de polémique découlant des dérapages antisémites des supporters hollandais. Fait assez inattendu, le CIDI (Centrum Informatie en Documentatie over Israel) vient d’envoyer une lettre aux supporters de foot de l’Ajax d’Amsterdam pour leur demander de s’abstenir de s’autoqualifier de Joden (Juifs) car ce surnom provoquerait des discours antisémites de la part des équipes adverses lors

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des rencontres dans les stades néerlandais. En effet, dans la lettre adressée à l’association des supporters et à la rédaction du F-Side d’Ajax Amsterdam, Elise Friedman (directrice de recherche au CIDI) pointe du doigt la « responsabilité des supporters de l’Ajax », coupables de… provocation de discours antisémites en provenance des adversaires sportifs. Cette plainte du CIDI fait suite aux slogans pro-nazis lancés lors des récentes rencontres de l’Ajax d’Amsterdam contre le FC Utrecht et l’équipe de Feyenoord. Durant ces rencontres, les supporters de l’équipe adverse ont notamment chanté des slogans comme Hamas, Hamas, Joden aan het gas ( Hamas, Hamas, les Juifs au gaz ), le terme « Juifs » désignant dans ce cas les supporters de l’Ajax d’Amsterdam. Le ministère néerlandais de la Justice a entamé une enquête contre ces dérapages antisémites et les bourgmestres d’Amsterdam (Job Cohen) et de Rotterdam (Ahmed Aboutaleb) ont décidé que les prochaines rencontres entre l’Ajax et Feyenoord se joueront sans public. 2009, la Belgique est toujours en crise et le racisme ne l’a jamais été… ■


proche-orient La conférence des donateurs d’Israël AMIRA HASS Ha’arets, 4 mars 2009 Traduction : Michel Ghys

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’importance des sommes promises à l’Autorité palestinienne par les pays donateurs est à la mesure de leur soutien à Israël et à sa politique. La quote-part du contribuable américain au compte en banque du gouvernement de Ramallah a les dimensions d’un nain, comparée aux sommes énormes que son gouvernement verse chaque année à Israël. Impossible d’être impressionné par la promesse américaine de 900 millions de dollars (dont les deux tiers vont au renforcement du gouvernement de Salam Fayad et le reste à Gaza) et d’oublier les 30 milliards de dollars que les ÉtatsUnis ont promis d’accorder à Israël en soutien à sa sécurité, d’ici à la fin 2017. Il faut voir dans ces 900 millions de dollars promis aux Palestiniens à Charm el-Cheikh une part du paiement fixe de l’Amérique à Israël. En tant que puissance occupante, Israël est tenu d’assurer le bien-être de la population placée sous son contrôle. Mais Israël lui porte atteinte et les États-Unis (comme d’autres pays) s’empressent alors de payer les dégâts. Les administrations Clinton Bush - et Barack Obama semble leur emboîter le pas - ont effacé la définition « occupation israélienne » de leur dictionnaire et ont contribué à ce qu’Israël se dérobe à ses obligations inscrites dans le droit international. Les milliards de dollars qu’Israël reçoit des États-Unis pour son armement et son développement en matière de

défense - et qui ont une part non négligeable dans la destruction de Gaza - s’intègrent à la propagande efficace d’Israël selon laquelle les tunnels de Rafah et les roquettes Grad constituent pour lui une menace stratégique et font partie de l’offensive du terrorisme islamiste contre les régimes progressistes. L’Occident a gonflé le mouvement du Hamas et sa force militaire jusqu’à des proportions mensongères qui ont permis un blocus prolongé et trois semaines de déchaînement militaire israélien. Cette amplification aide le Hamas à se présenter, dans la compétition interne palestinienne et arabe, comme la vraie force patriotique. Les centaines de millions d’euros donnés ou promis pour Gaza - comme si Gaza était frappé de catastrophes naturelles sont éclipsés par les liens économiques unissant l’Europe et Israël. Les pays occidentaux, soucieux d’apporter une aide humanitaire aux Palestiniens, achètent aussi à Israël des armes et du savoir-faire en matière de sécurité, le tout développé dans les conditions de laboratoire offertes par l’occupation qui fabrique des crises humanitaires en série. Et les milliards de pétrodollars ? Tout d’abord, ils ont été créés à partir d’une ressource naturelle et il est simplement logique qu’elle serve aux peuples arabes. Deuxièmement, ils ont été promis lors d’une conférence qui boycottait Gaza (ni le Hamas, ni des hommes d’affaires ou des militants sociaux

de la Bande de Gaza n’y ont participé). C’est comme ça que l’Arabie Saoudite contribue au veto américain et israélien à une réconciliation interne palestinienne. Chaque centime versé aux Palestiniens - tant au budget du gouvernement de Ramallah que pour les soins médicaux à des enfants blessés par les pilotes et les troupes blindées israéliennes - est un signal donné à Israël qu’il peut poursuivre ses efforts en vue d’imposer à l’élite palestinienne un acte de capitulation. « Objectif : capitulation » - on ne peut comprendre autrement le fait que 16 ans après le lancement d’Oslo, un État palestinien n’a pas vu le jour. Quand donc Shimon Peres, Ariel Sharon et Tzipi Livni se sontils mis à parler de « deux États » ? Seulement après que leurs bulldozers et leur bureaucratie militaires furent parvenus à écraser la base physique réaliste d’un État palestinien. Dans le courant des années 90, il était encore possible de considérer les dons aux Palestiniens comme l’expression d’une confiance et d’un espoir dans les dispositions d’Israël à se libérer du régime d’occupation qu’il avait créé. Mais pas en 2009. On ne peut comprendre que comme un soutien à la politique d’Israël le fait que ces mêmes pays continuent de verser ici des centaines de millions de dollars destinés à éteindre les feux allumés par cette politique, sans éteindre l’origine du feu. ■

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proche-orient Le Tribunal Russell sur la Palestine* THÉRÈSE LIEBMANN

« Puisse ce Tribunal prévenir le crime de silence... ». C’est ainsi que Lord Bertrand Russell définissait, en 1966, l’esprit dans lequel devait travailler le premier Tribunal International contre les crimes de guerre commis au Vietnam. Celui-ci allait être présidé par Jean-Paul Sartre et avait pour mission de statuer sur la culpabilité du gouvernement des ÉtatsUnis. C’est dans ce même esprit qu’en 2007, à l’initative de Pierre Galand, Président du Comité Européen de Coordination des ONG sur la question de Palestine, un appel a été lancé pour la constitution d’un Tribunal Russell sur la Palestine par Ken Coates, Président de la Fondation Bertrand Russell pour la Paix, Nurit Peled, prix Sakharov 2001 pour la liberté de pensée, et Leila Shahid, Déléguée Générale de la Palestine auprès de l’Union Européenne, la Belgique et le Luxembourg. La nécessité et l’urgence d’une action de ce genre se sont imposées davantage encore depuis l’offensive israélienne dans la Bande de Gaza. Voici l’essentiel de cet appel : « Ce Tribunal aura à juger des violations du droit international dont est victime le peuple palestinien. L’Avis consultatif rendu par la Cour Internationale de Justice de La Haye, le 9 juillet 2004, résume l’ensemble de ces violations et conclut notamment à l’obligation pour Israël de démanteler le

Mur et de réparer tous les dommages causés à la population palestinienne du fait de sa construction... Il rappelle... que « tous les États sont dans l’obligation de ne pas reconnaître la situation illicite découlant de la construction du mur et de ne pas prêter aide ou assistance au maintien de la situation créée par cette construction... » Cet avis a été confirmé le 20 juillet 2004 par la résolution ES10/15 de l’Assemblée Générale de l’ONU, adoptée par 150 États membres. Cette résolution exige qu’« Israël, puissance occupante, s’acquitte de ses obligations juridiques telles qu’elles sont énoncées dans l’avis consultatif » et « que tous les États membres de l’Organisation des Nations Unies s’acquittent de leurs obligations juridiques telles qu’elles sont énoncées dans l’avis consultatif ». En s’appuyant notamment sur cet avis et cette résolution, le Tribunal Russell sur la Palestine réaffirmera la primauté du droit international comme base de règlement du conflit israélo-palestinien. Il se chargera d’identifier les manquements à l’application de ce droit et d’en condamner tous les auteurs devant l’opinion publique internationale. » Depuis que cet appel a été lancé il y a deux ans, le Comité Organisateur, animé par Pierre Galand, Président du Comité Européen de Coordination des ONG sur la question palestinienne, a réalisé un travail préparatoire remar-

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quable, comportant notamment le recours à une centaine de « parrains » et la constitution de comités de support nationaux qui ont eux-mêmes mobilisé les opinions publiques dans leurs pays respectifs. C’est d’ailleurs là un des objectifs de ce Tribunal qui n’a pas de caractère légal ni contraignant mais qui est une sorte de « tribunal populaire des consciences face aux injustices et aux violations du Droit international... La légitimité du Tribunal Russell sur la Palestine ne vient d’aucun gouvernement ou parti politique mais du prestige, de la carrière et de l’engagement à l’égard des droits fondamentaux des membres qui le composent. » Ce sont, en effet, des personnalités reconnues pour leur haute valeur morale et intellectuelle qui ont pris la parole à la tribune de la conférence de presse organisée pour le lancement de ce Tribunal International, sous la présidence de Stéphane Hessel, ambassadeur de France et co-rédacteur de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Outre les initiateurs du projet, sont intervenus à la tribune Jean Ziegler, membre du Conseil Consultatif du Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU, et Raji Surani, Président de l’International Federation of Human Rights Palestine. Deux personnalités de premier plan parmi la centaine de « parrains » ont également pris la parole : le cinéaste Ken Loach et le scénariste Paul Laverty. Ils ont unanimement souhaité


est le mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique (ne paraît pas en juillet et en août) L’UPJB est membre de la Fédération des Juifs européens pour une paix juste (www.ejjp.org) et est soutenue par la Communauté française (Service de l’éducation permanente)

que ce nouveau Tribunal Russell, même s’il ne peut exercer d’action répressive, puisse être suffisamment entendu par les opinions publiques pour que celles-ci exercent des pressions auprès des gouvernements de leurs États respectifs. Cela pourra se faire via des comités nationaux, dont plusieurs sont déjà constitués en Europe. Leila Shahid y voit une bouteille jetée à la mer dans l’espoir que la société civile pourrait réagir là où les États, en faisant des calculs politiciens, ne font aucune opposition aux nombreuses violations des droits des Palestiniens. Jean Ziegler émet aussi un souhait : que cette « insurrection de la conscience internationale » aille jusqu’à rendre impossible le veto des USA au Conseil de Sécurité de l’ONU. Quant à Nurit Peled, bien connue pour avoir créé l’« Association des parents (israéliens et palestiniens) endeuillés », elle s’est exprimée en tant que mère israélienne vivant dans une démocratie juive et raciste, où personne n’est jamais puni pour avoir tué un enfant palestinien. Elle ne peut s’empêcher d’utiliser des mots très forts qui la blessent d’ailleurs elle-même, comme ceux de ghetto à propos de Gaza et de pogrom pour ce qui y a été perpétré. Elle souffre aussi de voir qu’en Europe il arrive que l’étoile

de David côtoie la svastika dans la propagation de la propagande anti-israélienne. Tous les intervenants se sont accordés pour dire qu’il est urgent d’agir afin de faire respecter le droit international tant par Israël que par les États-Unis et par l’Union Européenne. Pierre Galand a, à ce propos, décrit le fonctionnement des « comités d’experts et de témoins chargés d’établir les faits et l’argumentaire juridique qui sera soumis au Tribunal... après que des comités nationaux d’appui auront pris en charge la préparation de rapports d’expertise. » En principe la première session du Tribunal devrait s’ouvrir au début de 2010. Le but principal poursuivi est évidemment d’aboutir au plus tôt à un règlement juste du conflit israélo-palestinien ainsi qu’à une paix juste et durable . Je me permets d’y ajouter le vœu exprimé par Nurit Peled : que les travaux du Tribunal Russell aident Israël à se ressaisir et à retrouver sa dignité. Le chemin sera ardu. C’est une raison supplémentaire pour nous y engager, tant aux côtés des pacifistes israéliens qu’au sein de leurs homologues agissant dans la Diaspora juive.,■ *Conférence de presse organisée à Bruxelles le 4 mars 2009

Secrétariat et rédaction : rue de la Victoire 61 B-1060 Bruxelles tél + 32 2 537 82 45 fax + 32 2 534 66 96 courriel upjb2@skynet.be www.upjb.be Comité de rédaction : Henri Wajnblum (rédacteur en chef), Alain Mihály (secrétaire de rédaction), Anne Gielczyk, Carine Bratzlavsky, Jacques Aron, Willy Estersohn, Sender Wajnberg, Manuel Abramowicz, Caroline Sägesser, Tessa Parzenczewski. Ont également collaboré à ce numéro : Rachida Al Farissi Roland Baumann Didier Buch Jean-Marie Chauvier José Gotovitch Mehmet Koksal Maximilien Kutnowski Thérèse Liebmann Mehmet A. Saygin Noémie Schonker Conception de la maquette Henri Goldman Seuls les éditoriaux engagent l’UPJB. Abonnement annuel 18 EURO Abonnement de soutien 30 EURO Devenir membre de l’UPJB Les membres de l’UPJB reçoivent automatiquement le mensuel. Pour s’affilier : établir un ordre permanent à l’ordre de l’UPJB (CCP 000-0743528-23). Montant minimal mensuel : 10 EURO pour un isolé, 15 EURO pour un couple.

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proche-orient N’ont-ils pas une ombre de décence ? STEPHEN WALT Foreign Policy, 28 février 2009 Traduction : Michel Ghys

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a tristement célèbre campagne menée par le sénateur Joseph McCarthy contre de présumés communistes au sein du gouvernement américain s’appuyait principalement sur le mensonge, l’insinuation et l’intimidation. Lors d’une audition particulièrement odieuse, après que McCarthy eut accusé faussement un jeune officier de l’armée d’être un agent communiste, l’avocat de l’armée Joseph Welch s’était tourné vers le sénateur et lui avait renvoyé : « Sénateur McCarthy, n’auriezvous pas enfin une ombre de décence ? » Ce moment me revient à la mémoire alors que j’observe la campagne, parfaitement prévisible, de calomnie contre la nomination de Charles Freeman à la présidence du National Intelligence Council. Sitôt cette nomination annoncée, une bande de soi-disant experts « pro-Israël » est montée à l’attaque de celle-ci, dans ce que Robert Dreyfuss, de The Nation, a appelé une « agression retentissante et coordonnée ». Les auteurs des critiques visant Freeman étaient les suspects habituels : Jonathan Chait de la New Republic, Michael Goldfarb du Weekly Standard, Jeffrey Goldberg de l’Atlantic, Gabriel Schoenfeld (écrivant sur la page éditoriale du Wall Street Journal), Jonah Goldberg du National Review, Marty Peretz sur son blog New Republic, et l’ancien représentant de

l’AIPAC, Steve Rosen (oui, celuilà même qui est actuellement jugé pour avoir transmis à Israël des informations classifiées du gouvernement US). Quelle objection faisaient-ils à Freeman ? Le jugeaient-ils non patriote, pas assez malin, manquant de l’expérience nécessaire ? Bien sûr que non. Voyez simplement son CV : « Freeman a travaillé avec plus de 100 gouvernements étrangers en Asie de l’Est et du Sud, en Afrique, en Amérique Latine, au Proche-Orient et tant en Europe occidentale qu’orientale. Il a rempli les fonctions d’Assistant Secretary of Defense pour l’International Security Affairs, d’ambassadeur des ÉtatsUnis au Royaume d’Arabie Saoudite, de Principal Deputy Assistant Secretary of State aux Affaires africaines, de chef de mission adjoint et de chargé d’affaires à Bangkok et Pékin, de directeur aux Affaires chinoises pour le Département d’État US, de Membre distingué du United States Institute of Peace et de l’Institute of National Security Studies. » Ce qui rassemble ce petit groupe de critiques se résume à une seule chose : Freeman a osé émettre publiquement des critiques plutôt anodines à l’encontre de la politique israélienne. C’est là le test décisif que Chait, Goldberg, Goldfarb, Peretz, Schoenfeld et autres souhaitent appliquer à tout fonctionnaire : tu ne critiqueras pas la politique israélienne ni ne remet-

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tras en question la « relation spéciale » de l’Amérique avec Israël. Peu importe que cette politique de soutien inconditionnel ait été mauvaise pour les États-Unis et involontairement nuisible aussi pour Israël. Si ces pontes et ces lobbyistes arrivaient à leurs fins, toute personne qui relèverait ce fait serait automatiquement exclue du service public. Il y a trois raisons pour lesquelles la réaction à Freeman a été aussi bruyante. Premièrement, ces critiques espéraient sans nul doute parvenir à soulever un scandale tel qu’Obama et son directeur des renseignements nationaux, Dennis Blair, pourraient reconsidérer cette nomination. Ou peut-être Freeman pourrait-il même décider de retirer son nom, parce qu’il ne supporterait pas la surchauffe. Deuxièmement, même s’il était trop tard pour empêcher Freeman d’obtenir le poste, ils souhaitent faire payer à Obama le prix du choix qu’il a fait, pour qu’il y réfléchisse à deux fois avant de nommer qui que ce soit d’autre qui pourrait avoir envie de critiquer Israël ou la « relation spéciale ». Troisièmement, et c’est peutêtre le point le plus important, attaquer Freeman vise à dissuader d’autres personnes, dans l’univers de la politique étrangère, de s’exprimer sur ces questions. Peut-être Freeman était-il trop malin, trop chevronné et trop qualifié pour pouvoir être arrêté, mais il y a un tas de gens


plus jeunes, désireux de s’élever dans l’establishment de la politique étrangère et ils ont besoin de s’entendre rappeler que leur carrière pourrait être compromise s’ils marchaient dans les pas de Freeman et disaient ce qu’ils pensent. Faire un scandale autour de Freeman permet de rappeler à d’autres qu’il est payant de soutenir Israël à fond, ou au moins de rester silencieux, même quand Israël mène une politique - comme la construction de colonies en Cisjordanie - qui n’est pas dans l’intérêt national de l’Amérique. Si la question n’avait pas des conséquences aussi nuisibles pour les États-Unis, l’ironie de la situation serait plaisante. Un groupe de stratèges amateurs qui a bruyamment soutenu l’invasion de l’Irak remet maintenant en question le jugement stratégique d’un homme qui savait que la guerre serait une gaffe catastrophique. Un vieux lobbyiste au profit d’Israël, aujourd’hui poursuivi pour espionnage, est en train d’essayer de nous convaincre que Freeman un vrai patriote - est un mauvais choix pour un poste dans les renseignements. Un journaliste (Jeffrey Goldberg) dont l’idée qu’il se fait du « service public » l’a conduit à s’engager dans l’armée israélienne, conteste le crédit d’un homme qui a consacré des décennies de sa vie au service du gouvernement US. C’est cela la houtzpah, le culot. Fort heureusement, les hurlements des critiques visant Freeman n’ont pas marché ; Freeman sera à la tête du National Intelligence Council. En fait, ce comportement lourd et gauche, avec ses accents à la McCarthy, pourrait même avoir des effets de retour en montrant à quel point ses

Charles Freeman

critiques sont obsédés par la vision étriquée qu’ils ont de la politique américaine au ProcheOrient, une vision qu’ils espèrent voir partagée par tous les Américains. Je ne serais pas surpris de voir le Président Obama et d’autres personnages clés de son administration, furieux de ces calomnies et décidés à prêter encore moins d’attention à ces individus, à l’avenir. Et soyez certains que la diffamation ne prendra pas fin. Il est également encourageant que certains membres clés de la communauté pro-Israël, comme M.J. Rosenberg du Israel Policy Forum, sont venus à la défense de Freeman, et que des bloggers influents comme Robert Dreyfuss, Philipp Weiss, Richard Silverstein et Matthew Yglesias ont eux aussi défendu Freeman et dénoncé ce qui se passait. L’aile likoudnik du lobby pro-Israël perd progressivement de l’influence, parce que de plus en plus de gens comprennent que sa politique est désas-

treuse tant pour Israël que pour les États-Unis et parce que ses tentatives répétées de diffamation et d’étouffement du débat sont profondément nuisibles autant que non-américaines. ■ *Stephen Walt est professeur de relations internationales à la Kennedy School of Government de Harvard et l’auteur, avec John Mearsheimer, de : Le Lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine, La Découverte, 2007.

NOTE DE LA RÉDACTION Stephen Walt était trop optimiste. Charles Freeman n’a pas pu résister au déchaînement injurieux et calomnieux des représentants les plus extrémistes du lobby sioniste américain. Il a fini par jeter l’éponge et a renoncé à la présidence du National Intelligence Council. Voilà qui affaiblit sensiblement Barack Obama et qui augure mal de sa capacité future à tenir tête au gouvernement Netanyahu/Lieberman qui bénéficiera à n’en pas douter du plein soutien de ce même lobby.

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tribune libre Davos, Erdogan et propagande MEHMET A. SAYGIN*

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e Forum économique mondial a été marqué par un événement inattendu et choc. En effet, à l’occasion d’un débat organisé autour du massacre de Gaza, le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a fait une sortie fracassante. Dès le lendemain, les médias du monde entier se sont emparés de ce happening. Force est de constater qu’une nouvelle fois, la presse ouest-européenne a vu fleurir les articles biaisés voire grossièrement mensongers. Explications et déconstructions. Commençons par rappeler le contexte. Depuis de longs mois, le premier ministre turc déploie une énergie considérable pour la reprise du dialogue entre Israël et ses voisins, Syrie en tête, assumant ainsi un rôle difficile de médiateur, en dépit des critiques qui émanent de tous les milieux qui considèrent Israël comme une entité criminelle. La dernière étape en date de ce processus fut la visite en Turquie du premier ministre israélien Ehud Olmert le 23 décembre 2008. Pourtant, quatre jours plus tard, les bombes israéliennes commencent à s’abattre sur Gaza. Cette folle entreprise a été perçue à juste titre par Erdogan comme une trahison, une marque de mépris pour les risques pris par son gouvernement. Poursuivons avec l’altercation proprement dite. Après l’intervention de 12 minutes du premier ministre turc, c’est le président is-

raélien qui prend la parole et s’embarque dans un long et arrogant plaidoyer de vingt-cinq minutes en faveur de l’agression israélienne, en adressant à plusieurs reprises des réprobations enflammées et accusatrices au chef du gouvernement turc, qu’il juge sans doute coupable de ne pas avoir singé le silence complice des États arabes. Attaqué, Erdogan demande au modérateur du débat, l’éditorialiste au Washington Post David Ignatius, un droit de réponse qu’il doit insister plusieurs secondes pour obtenir. C’est alors que le premier ministre turc, courroucé par les interruptions répétées du modérateur et pointant l’injustice dans l’attribution des temps de parole, déclare qu’il ne reviendra jamais à Davos et quitte la salle.

AU SUJET DU MODÉRATEUR Beaucoup d’encre a coulé sur les origines de David Ignatius. Soupçonné d’être juif et arménien, puis « seulement » arménien, et d’avoir « de ce fait » eu l’attitude qu’il a eue, il a fait l’objet d’insinuations qui fleurent bon les théories du complot voire carrément le racisme. Pourtant, loin de ces délires, il y a une critique fondamentale et légitime à lui adresser. La justification qu’il a produite pour couper la parole du premier ministre turc est la suivante : le dîner était prêt. Plus de 1300 morts, le quintuple de blessés, une population exsangue, jeunes

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et vieux, hommes et femmes, indifféremment détruits, mais que voulez-vous, le dîner était prêt et il ne fallait surtout pas faire attendre cette mondanité. Cynisme abject qui suffit amplement à discréditer cet éditorialiste. Le premier ministre turc s’est vu reprocher d’avoir violé les règles de la diplomatie et d’avoir un tempérament agressif. Outre le fait qu’il s’agit à la fois d’un contresens chronologique (il ne faisait que rendre la pareille au président israélien) et d’une généralisation visant à diaboliser (il serait un politicien incontrôlable et irascible), cette critique est battue en brèche, notamment, par deux réalités. La première réalité est l’échec patent de la « stratégie » diplomatique face à la politique structurellement illégale de l’État d’Israël. De façon générale, note l’intellectuelle et journaliste au quotidien Bugün Gülay Göktürk, c’est cette « rhétorique floue et hypocrite » qui a conduit au pourrissement de ce type de problème géopolitique. La seconde réalité est l’accueil populaire transnational réservé au premier ministre turc.

LE SOUTIEN DES OPINIONS PUBLIQUES En effet, contrairement à l’information généralement relayée dans nos contrées, la sortie d’Erdogan n’a pas été accueillie favorablement par les seules opinions publiques arabes. Le lendemain


de l’incident, la chaîne de télévision publique grecque Net le résume bien : « En réalité, le premier ministre Erdogan, à travers cette sortie, a porté la parole d’innombrables personnes dans le monde. » Ainsi, les manifestations de soutien ont vu le jour, non seulement dans le « monde musulman », mais aussi partout ailleurs, toutes origines ethniques ou convictions confondues. Même chose concernant le soutien de l’opinion publique turque, qui a transcendé comme rarement les clivages politico-idéologiques. Omettre ces réalités est grave, car cela contribue à nourrir l’image d’un conflit qui ne peut mobiliser que les « membres naturels des deux camps », alors qu’il s’agit d’un conflit politique que tout esprit humaniste et épris de liberté et de justice peut, et doit, investir.

PRESTIGE ÉBRANLÉ La même rhétorique avait été mise en œuvre à l’époque du refus par le Parlement turc en 2003 de se joindre à l’invasion de l’Irak emmenée par les États-Unis. Les mêmes craintes, le même discours catastrophiste, les mêmes critiques diplomatiques avaient été formulés. Résultat : rien. Et, comme l’indique l’intellectuel et éditorialiste au quotidien Yeni �afak Ali Bayramoglu, c’est parce qu’il a eu « fondamentalement raison de tenir tête au président israélien que le premier ministre turc a permis à son pays de solidifier sa position d’acteur incontournable dans la région ». La récente visite d’Hillary Clinton en Turquie et ses déclarations dans le sens d’un renforcement du rôle de la Turquie dans le processus de paix au Proche-Orient en témoignent.

Les déclarations d’Erdogan ont alimenté l’antisémitisme. Voilà sans conteste l’accusation la plus ressassée et la plus infondée de toutes. Tout d’abord, lisons le passage de l’interview qu’il a accordé le surlendemain de l’accrochage au Washington Post. Voici les positions, déjà maintes fois affichées, qu’il y exprime : « En tant que personne, j’ai toujours dit que l’antisémitisme est un crime contre l’humanité. En tant que premier ministre, je me suis toujours opposé à l’antisémitisme et ma frustration est dirigée contre l’actuel gouvernement israélien parce qu’il a mal agi envers nous. (…) Dans mes discours, j’ai déclaré de façon très claire que quiconque ne serait-ce que songerait à s’en prendre aux Juifs de Turquie me trouvera en travers de sa route. » C’est suffisamment explicite et cela s’est traduit dans les mesures, drastiques, qui ont été prises afin d’assurer la sécurité des institutions et lieux de culte juifs. L’accusation d’alimentation de l’antisémitisme est donc tout à fait déplacée. Pour autant, a fortiori dans un système basé sur le paradigme de l’État-nation, prétendre qu’il n’y a pas d’antisémitisme en Turquie est illusoire, mais il est important de bien comprendre la nature de cet antisémitisme ordinaire et finalement récent. Il repose en effet sur la conviction très répandue que « les Juifs » sont toutpuissants et qu’« ils » contrôlent le monde. Il s’agit donc d’un « antisémitisme conspirationniste ». Or, comme me l’a très pertinemment fait remarquer Turgay Ogur, porte-parole d’une jeune association stambouliote dénommée Genç Siviller (« Jeunes Civils »), à la poin-

te du combat pour la démocratisation de la Turquie, « en s’en prenant fermement au président de l’État juif, Erdogan a brisé ce mythe d’intouchabilité, ce qui ne peut que contribuer à l’affaiblissement des théories du complot et donc à la diminution de l’antisémitisme ». En d’autres termes, la sortie du premier ministre turc a démontré qu’il n’y avait aucune impuissance déterministe face à Israël. Par conséquent, le coup de colère d’Erdogan était paradoxalement la meilleure chose qui pouvait arriver à la lutte contre l’antisémitisme.

EN CONCLUSION : LE DÉPIT L’unanimisme médiatique avec lequel une corrélation fantasmée entre les déclarations du premier ministre turc et une montée de l’antisémitisme en Turquie a été établie pose à nouveau la question suivante : peut-on critiquer Israël sans faire l’objet de mille insinuations de racisme antijuif ? La place réservée dans les médias aux inquiétudes infondées des citoyens juifs de Turquie a presque réussi à éclipser l’événement originel : le carnage perpétré par Tsahal à Gaza. Voilà la réelle source d’inquiétudes : la facilité avec laquelle la propagande sioniste parvient à déplacer le débat et à obérer toute opposition à la politique israélienne en agitant l’épouvantail de l’antisémitisme. ■

*Secrétaire général de l’UETD Brussels (Union of European Turkish Democrats), liée au parti AKP du premier ministre turc Recep T. Erdogan. www.uetd-brussels.eu

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LA CHRONIQUE DE DIDIER BUCH

Un malaise historique

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e plomb fondu sur les cités gazaouites et ses conséquences électorales - qui s’inscrivent à vrai dire dans la longue durée de la descente aux enfers du corps politique israélien - ont, on l’a vu précédemment, encore radicalisé le courant dominant des communautés juives. La posture légitimiste de ces dernières ne pouvait d’ailleurs laisser espérer d’autre réaction. La crise de conscience n’est manifeste qu’au sein du courant « sioniste de gauche » incarné à Bruxelles par le CCLJ, Regards et les Amis belges de Shalom Arshav. Encore faut-il prendre acte des limites tant de cette crise de conscience que de son expression. On comprend aisément pourquoi il y a crise. La vision idyllique d’un sionisme non seulement capable d’insérer l’État juif dans un Moyen-Orient pacifié mais surtout désireux « par essence » de mener ce projet a atteint ses dernières limites. L’espoir est si ténu d’un changement d’attitude en Israël que s’y référer encore tient essentiellement de l’illusion ou de la croyance. Le « malaise » ceci dit ne date pas d’aujourd’hui, il est intrinsèque à la démarche « sioniste de gauche » et on pourrait le qualifier « d’historique ». Depuis

la fin des années septante et le début de la colonisation des Territoires conquis en 1967 (puisque de 1948, il n’est pas question dans cette vision de l’Histoire), ainsi que la contestation de cette colonisation tant en Israël qu’en Diaspora, le « sionisme de gauche » maintient ou tente de maintenir un délicat équilibre entre la fidélité à une idéologie fondatrice de plus en plus déconnectée de la réalité israélienne et la nécessité de maintenir un lien vital avec la communauté juive. Il ne s’agit fondamentalement que d’une question d’équilibre entre mythe et réalité. Le sionisme travailliste a d’une part toujours été déconnecté de la réalité israélienne telle qu’il la présentait (le «socialisme collectiviste» israélien était avant tout une question d’image et c’est sous les travaillistes que les villages arabes ont été arasés, leurs terres accaparées et les Palestiniens restés sur place mis sous « surveillance militaire ») tandis que, d’autre part, c’est bien lui qui façonnait cette « réalité ». Les premières fissures apparurent dès les années 70 avec, dans Regards les contributions déstabilisatrices de Scopus et Ouri Wesoly mais, restées marginales, elles ne remirent pas en question le

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consensus dominant. Consensus qui repose jusqu’à aujourd’hui sur le dogme bien établi des torts partagés et donc de « l’équidistance » en toutes choses. Une posture qui autorise à appeler à des manifestations pour « la paix » sans mentionner quel est l’occupant et quel est l’occupé. Qui détruit et qui est détruit. Mais qui avant tout présente l’intérêt de ne pas déstabiliser le récit fondateur et d’Israël et de l’identité juive contemporaine. Leur avenir à tous deux passe pourtant nécessairement par cette déstabilisation...

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e CCLJ jauge donc en permanence jusqu’où ne pas aller trop loin. C’est là peut-être son principal exercice, celui au détour duquel on l’attend. Mais cette politique d’autorestriction et d’aller-retours entre allégeance (« La lumière viendra d’Israël ») et critique aux accents parfois désespérés (et par ailleurs généralement limitée à des éditoriaux « justes » mais esseulés ou déléguée à des correspondants israéliens par essence identitaire « légitimes ») brouille la compréhension du lecteur et du militant. L’estompement de la frontière entre tactique de communication


et conviction profonde en est la conséquence inévitable. On pourra peut-être rétorquer que c’est là le prix de toute politique de pouvoir… Cette politique n’a pourtant pu en rien inhiber le glissement ininterrompu du cœur communautaire vers la droite et l’inconditionnalité aveugle ni d’ailleurs l’isolement relatif du CCLJ, toujours malgré tout trop « à gauche ». Il n’est pas impossible à l’opposé que la stratégie du CCLJ (qui ne pourrait être que l’expression de son positionnement « réel ») ait servi de caution morale à un camp retranché communautaire dont il ne s’est jamais désolidarisé.

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a perte du contrôle du CCOJB n’a été que la sanction publique d’un hiatus grandissant avec la « communauté », dont l’absence totale du « Cercle » d’ondes juives très écoutées et très prescriptrices témoigne également (Radio Judaïca). Prestataire de services communautaires, aux deux sens du terme, juif et « français », interlocuteur privilégié des pouvoirs publics, rouage juif de la galaxie laïque et socialiste, le CCLJ a, semble-t-il, sur la carte juive et moyen-orientale, perdu quelque peu le Nord. Il est vrai qu’il constitue un « objet communautaire » particulièrement original et sans doute unique. Fondé par des communistes juifs en rupture de ban moscovite qui retrouvent ensuite progressivement, mais surtout suite à la cristallisation communautaire de la Guerre des Six Jours, leurs racines. Développant un projet tout à la fois « israélo-centriste » et

diasporiste de fait, valorisant quasi exclusivement la culture moderne israélienne (ou plutôt son ersatz) mais ménageant, certes sans conviction exagérée, quelque place aux cultures juives originelles. Créant de toutes pièces un pilier laïque juif (ou juif laïque ?) s’inspirant à la fois de la tradition juive (sans Dieu) et des rituels laïques, avec l’intention explicite de s’imposer dans tous les moments de la vie, de la naissance à la mort, de la crèche juive laïque au cimetière juif laïque (il en est question paraît-il). L’exercice est des plus périlleux et en tout cas complètement paradoxal qui consiste à se revendiquer d’un projet national juif « parasioniste » tout en s’inscrivant, de manière très militante, dans la frange la plus « républicaine » de la laïcité belge. Une laïcité qui, par définition est la moins à même de comprendre la spécificité identitaire juive. L’exercice de haute voltige doit être permanent.

P

eu de choses distinguent l’éditorial de David Susskind (Regards 683, 03/03/09) de ce qu’on lit dans Points critiques sur la question israélo-palestinienne (les implantations en hausse, les check-points, la trahison des travaillistes, Israël Beteinu comparé au Vlaams Belang, les « sales guerres de Gaza et du Liban »). Mais son cri désespéré, « Où va Israël ? », résonne dans le désert. Est-ce pour cela que ce laïque militant en appelle à Dieu : « Mais si je n’agis pas selon la règle que les êtres humains sont égaux devant Dieu et devant la loi, que suisje ? ». À Dieu ou du moins aux fondements mythiques des lois

humaines oubliées d’Israël. Cette manière de « lapsus calami laïque » n’est pas isolée. Le rédacteur en chef de la même livraison du bimensuel du CCLJ consacre en effet son éditorial à une des réflexions que le rabbin libéral David Meyer a pour tradition de publier dans La Libre Belgique. Le titre rappelle quelque peu ces rubriques des journaux juifs américains intitulées Ask the Rabbi : « Écoutons le rabbin, surtout s’il s’interroge ». La seconde partie de la proposition limite certes quelque peu le propos... Retenons que David Meyer déplore le fanatisme au pouvoir en Israël et, selon N. Zomerstajn, « s’interroge honnêtement sur les limites morales du soutien des Juifs à la politique du gouvernement israélien ». N. Zomerstajn a cette phrase qui résonne étrangement : « Penser différemment de son groupe n’est pas facile mais caractérise bien une catégorie non exhaustive de grandes figures juives à la fois universalistes et fidèles à leurs racines »…

D

’où vient-il que l’organe d’une institution juive aussi fondamentalement laïque (et même pour certains « laïcarde ») n’hésite pas une seconde à louanger une parole rabbinique alors que des propos d’une teneur comparable sont au mieux souverainement ignorés et au pire méprisés quand ils émanent d’une UPJB considérée comme absolument infréquentable ? Serait-ce que la synagogue est au centre du village et qu’à s’y référer on risque peu de se voir stigmatisé ? ■

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activités dimanche 12 avril à 19h

Le Seder de l’UPJB L’UPJB a décidé cette année de réinscrire le Seder de Pessah dans le calendrier de l’organisation. S’il est une fête qui a sa place dans le « temps juif » de l’UPB, c’est bien celle-là. Elle célèbre une période de notre « histoire », de l’histoire constitutive des Juifs, au cours de laquelle nous serions passés (Pessah signifie en effet passage) de l’oppression à la liberté... Un symbole. Un rythme qui imposerait aux Juifs de réfléchir une fois par an à la permanence des combats pour la liberté et la dignité des peuples et des personnes. Ces combats sont constitutifs de notre maison. Comment avons-nous pu « oublier » le Seder ?

Pour des raisons pratiques, notre Seder se tiendra le dimanche 12 avril, veille de jour férié à 19 heures. Nous le célébrerons dans les règles, avec notre Haggada maison. Tous ceux qui le voudront participeront à sa lecture et nous dégusterons le repas traditionnel. Bien sûr, les plus jeunes sont les bienvenus. Attention, le nombre de participants est limité : seuls les 60 premiers inscrits (au secrétariat) seront admis !!! Le prix d’entrée est de 20 EURO, 10 EURO pour les enfants jusqu’à 12 ans, les étudiants et les chômeurs. UPJB 61, rue de la Victoire 1060 Bruxelles Tél. : 02/537.82.45 - upjb2@skynet.be

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dimanche 19 avril dès 14h30

l’UPJB commémore l’Insurrection du Ghetto de Varsovie 1943-2009 14h30 : Dépôt de fleurs et allocutions au Monument à la Résistance juive et au Mémorial de la Déportation d’Anderlecht, coin rue Emile Carpentier et rue des Goujons 16h : goûter au local de l’UPJB, 61 rue de la Victoire - 1060 Bruxelles 17h30 : Projection d’un document sur la vie au Ghetto, suivie d’un témoignage et d’un échange de vues avec une personnalité ayant connu l’horreur de la déportation

(voir article page 10)

Un séminaire de réflexion à l’UPJB proposé et animé par Jean Vogel

Du judaïsme au communisme... du communisme à nous Prochaine séance, consacrée à Gustav Landauer, le mercredi 22 avril à 20h15 Aux XIXe et XXe siècles, le judaïsme (au sens large) a fortement contribué à la constitution et au déploiement du communisme (au sens large de critique de la civilisation bourgeoise/capitaliste et de volonté de lui substituer une société collectiviste). Apport non seulement humain (en militants et en dirigeants) ou matériel mais aussi en idées et en valeurs. Le judaïsme a irrigué le communisme par des dizaines de canaux visibles ou invisibles. L’objectif du séminaire sera d’entreprendre une nouvelle élaboration des liens entre judaïsme et communisme, surtout sous l’angle de la philosophie politique et éthique. La nécessaire pluralité des identités juives passe nécessairement par la reconnaissance de la part latente et invisible de leur passé et donc aussi de leur avenir, à l’encontre de l’enfermement communautariste et du judéo-centrisme sectaire. PAF : 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit : 2 EURO

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activités vendredi 24 avril à 20h15

Le nazisme vu d’aujourd’hui Conférence-débat avec

Lionel Richard, écrivain À l’occasion de la publication de son dernier livre Goebbels, portrait d’un manipulateur chez l’éditeur belge André Versaille. Par sa connaissance approfondie de l’histoire sociale et politique de l’Allemagne au 20e siècle, Lionel Richard, germaniste et historien de la culture, est bien placé pour dresser un bilan actuel de notre connaissance et de nos interprétations du phénomène national-socialiste. Un autre de ses livres récents ne s’intitule-t-il pas Suites et séquelles de l’Allemagne nazie (Syllepse, Paris, 2005). L’auteur sera présenté par Jacques Aron (voir son article page 6) PAF : 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit : 2 EURO Petite restauration de 19 à 20h

mardi 5 mai à 20h15 - exceptionnellement

L’Iran, son rôle sur l’échiquier international et la question du nucléaire Conférence-débat avec

Alain Gresh, directeur adjoint du Monde diplomatique PAF : 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit : 2 EURO Petite restauration de 19 à 20h

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samedi 25 avril à partir de 14h 4ème « Soirée - Lokshn »

Atelier et soirée « cuisine juive » Gehakte leyber, latkes, krupnik, keys kihen, borcht, kreplers, eppel kihen, gefilte fish, matzobra, ... Ces mots, ces mets vous parlent ? Peut-être entendez-vous à travers eux la musique du chtetl qui se réveille... Certains d’entre vous s’en souviennent, d’autres voudraient s’en souvenir, d’autres encore voudraient connaître... Mais vous pensez que c’est difficile à réaliser, que vous avez perdu le tour de main, que vous n’y connaissez rien... Peu importe. Comme la vie, la cuisine se transmet. La cuisine juive est une cuisine simple, bon marché et savoureuse. Venez l’apprendre, la partager, la découvrir avec nous. Aux fourneaux et aux recettes, Micheline Blust et Nathalie Dunkelman. Vous aurez l’occasion de préparer avec elles un repas que nous dégusterons tous ensemble le soir, cuistots et gourmets réunis.

Au programme : 14h : préparations : krupnik, keys kihen et eppel kihen ainsi que l’un ou l’autre hors d’œuvre pour pleinement satisfaire ceux qui viendront le soir déguster tout cela. Vers 17h : pause cuisson Dès 19h : repas-dégustation et plotkes (bavardages) Ne laissons pas s’engloutir dans l’oubli toutes ces recettes si douces au palais. Cet atelier sera suivi d’autres ... La cuisine est une partie quotidienne de nos traditions ; celle où s’expriment nos racines et notre enfance. PAF : Atelier seul 5 EURO, Atelier + repas 7 EURO, Repas seul 10 EURO Réservation indispensable tant pour l’atelier que pour le repas du soir au 02/537.82.45

Triple Mazl Tov ! Le comité de rédaction de Points critiques et l’UPJB saluent trois naissances. Tess, née le 11 février, fille de Micha et Virginie Wald et soeur de Joshua. Bora, né le 25 février dernier, fils de Mehmet Koksal et Ayla. Leo Tadeusz né le 11 mars, fils de Roland et Anna Bauman et petit frère d’Emma. Aux heureux parents, tous nos voeux de bonheur.

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UPJB Jeunes Pourim à l’UPJB NOÉMIE SCHONKER

Q

uand les générations sont réunies, la fête prend tout son sens… Une fête, c’est « en famille » qu’on la passe. Les plus âgés l’organisent, racontent l’histoire et s’attendrissent devant les petits « qui ont tant changé depuis la dernière fois ». Durant l’après-midi, on les entend se plaindre du bruit, dire qu’avant les enfants étaient quand même plus calmes et que la fête est réussie, « tu ne trouves pas ? ». À quatre heures, une odeur de café et de gâteaux emplit la salle et les plus petits retrouvent les genoux de leur babou. Quand Fouine chante des chants en yiddish, ils encouragent les enfants à suivre les paroles en se balançant doucement sur leurs chaises. Enfin, ils vous disent au revoir en vous prenant les joues entre leurs mains, fatigués de l’après-midi mais contents. Voilà comment les monos imaginaient la fête de Pourim cette année, nostalgiques de ce mode de transmission de l’histoire et de la culture juive. En effet, sans la présence des aînés, leur savoir, leur tendresse et leur humour, les précédentes fêtes manquaient de cette saveur, si particulière à cette maison, et que nous souhaitons cultiver et entretenir. C’est sur fond de musique entraînante et de plafonds vibrant aux rythmes d’une Hora, d’une

Cracoviac et autres danses juives que l’après-midi débute. Le soussol est envahi par des apprentis cuisiniers munis de rouleaux à pâtisserie prêts à réaliser les homen tashn sous la houlette de Catherine, déguisée en judoka pour l’occasion. Au premier, armées de ciseaux, de colles et de tissus, Rosa et Bégonia accueillent les marionnettistes en herbes, tandis que Mina et Katalin fournissent les créateurs de crécelles et autres « souffres tympans », en riz, capsules et cannettes. La maison est en effervescence : les plus petits courent dans les escaliers tentant de semer les grands-parents à leurs trousses, les adultes papotent sur les paliers, le four laisse échapper les premières odeurs prometteuses, quelques monos coupent les cakes, préparent les tasses de cafés et les gobelets. Seize heures, tout ce petit monde se rassemble dans la grande salle et Mina entre en scène. « Il était une fois… Un roi… On a besoin d’un roi ! ». Notre roi improvisé, musicien attitré, porte un chapeau haut-de-forme et une veste de smoking rouge. Il révoque son épouse Vachti, la judoka trop émancipée et choisit la Bella Esther Wajnberg dans le public, une reine dont les mimiques provoquent des fous rires. Haman Mortimer, caché sous son déguisement de Spiderman au

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pectos bien gonflés, donne la réplique aux aînés du haut de ses trois pommes, déterminé, nullement impressionné. Quant au sage Ignace Mordekhaï Lapiower, il signale à la metteuse en histoire que celle-ci ne s’était pas passée exactement comme elle est en train de se dérouler sous les regards amusés de la salle… Ensuite, vint le temps des douceurs. Les jeunes servent les petits et les aînés, s’assurent qu’ils ont tous reçu un homen tashen, qu’ils ont eu du cake en suffisance et que les plus gourmands peu-


Carte de visite L’UPJB Jeunes est le mouvement de jeunesse de l’Union des Progressistes Juifs de Belgique. Elle organise des activités pour tous les enfants de 6 à 15 ans dans une perspective juive laïque, de gauche et diasporiste. Attachée aux valeurs de l’organisation mère, l’UPJB jeunes veille à transmettre les valeurs de solidarité, d’ouverture à l’autre, de justice sociale et de liberté, d’engagement politique et de responsabilité individuelle et collective. Chaque samedi, l’UPJB Jeunes accueille vos enfants au 61 rue de la Victoire, 1060 Bruxelles (Saint-Gilles) de 14h30 à 18h. En fonction de leur âge, ils sont répartis entre cinq groupes différents.

Bienvenus pour les enfants de 6 ans ou qui entrent en

Les 1ère primaire Moniteurs :

Félicia : 0472/62.06.95

Morgane : 0478/64.79.40 Les

Janus Korczak pour les enfants de 7 à 8 ans

Moniteurs : Max : 0479/30.75.71 Mona : 0487/35.77.15 Les

Émile Zola pour les enfants de 9 à10 ans

Moniteurs : Sheva : 0499/27.80.50 Lucas : 0476/56.72.37 Valentine : 0494/59.43.09

vent se resservir. Le bar se transforme en chantier, quelques verres se renversent, le lave-vaisselle se remplit, on est bientôt prêt pour la suite… Fouine prend sa guitare, traduit les paroles des chansons, les fait répéter quelques fois par le public et c’est parti… Et, je m’étonne, tout ce monde chante en yiddish avec une extraordinaire aisance des airs familiers que j’avais presque oubliés…■

Les

Yvonne Jospa

pour les enfants de 11 à 12 ans

Moniteurs : Ivan : 0474/35.96.77 Léone : 0479/36.17.44 Cyril : 0474/26.59.09 Les

Mala Zimetbaum

pour les enfants de 13 à 15 ans

Moniteurs : Alice : 0476/01.95.22 Théo : 0485/02.37.27

Informations : Noémie Schonker - noschon@yahoo.fr - 0485/37.85.24

avril avril2009 2009• * n°295 n°295•• page 35


agenda UPJB Sauf indication contraire, toutes les activités annoncées se déroulent au local de l’UPJB, 61 rue de la Victoire à 1060 Bruxelles (Saint-Gilles)

dimanche 12 avril à 19h

Le Seder de l’UPJB. Célébration Célébr et repas (voir page 30)

dimanche 19 avril dès 14h30

L’UPJB commémore l’Insurrection l du Ghetto de Varsovie (voir article page 10 et annonce page 31)

mercredi 22 avril à 20h15

Séminaire de réflexion « Du judaïsme au communisme... Du communisme à nous ». Avec Jean Vogel (voir page 33)

vendredi 24 avril à 20h15

Le nazisme vu d’aujourd’hui. Conférence-débat avec Lionel Richard, écrivain (voir article page 6 et annonce page 32)

samedi 25 avril à partir de 14h

4ème « Soirée-Lokshn ». Atelier et soirée « Cuisine juive » (voir page 33)

mardi 5 mai à 2Oh15

L’Iran, son rôle sur l’échiquier international et la question du nucléaire. Conférence-débat avec Alain Gresh, directeur adjoint du Monde diplomatique (voir page 32)

Éditeur responsable : Henri Wajnblum / rue de la victoire 61 / B-1060 Bruxelles

club Sholem Aleichem Sauf indication contraire, les activités du club Sholem Aleichem se déroulent au local de l’UPJB tous les jeudi à 15h (Ouverture des portes à 14h30)

jeudi 2 avril

« L’actualité politique en Belgique et dans le monde » par Léon Liebmann, magistrat honoraire

jeudi 9 et 16 avril

Pas d’activités en raison des vacances de Pessah et de Pâques

jeudi 23 avril

« Géorgie 1989-2009 » : film réalisé et présenté par Jean-Marie Chauvier, collaborateur du Monde Diplomatique

jeudi 30 avril

« Un peintre du Bauhaus sur le front russe (1941-1944) » : conférence donnée et illustrée par Jacques Aron, professeur honoraire à l’Institut d’architecture de la Cambre


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