LDE 170 Novembre 2010

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Interview Le Centre d’études et de recherches sur les qualifications (CEREQ) est un établissement public fran-

3 questions à ... Stéphane Jugnot, chef de département au CEREQ La Lettre des Élus : Pouvez-vous nous présenter en quelques mots le CEREQ et l’enquête «insertion professionnelle» des diplômés de master publiée récemment par le ministère de l’enseignement supérieur? Stéphane Jugnot : Le centre d’études et de recherches sur les qualifications (CEREQ) est un établissement public sous la tutelle des ministères en charge de l’Education nationale et de l’Emploi. Il étudie notamment le lien entre formation, accès à l’emploi et trajectoires professionnelles. Pour étudier les conditions d’accès à l’emploi des jeunes, le CEREQ a mis en place un dispositif d’enquêtes régulières auprès de jeunes sortis de formation initiale : les enquêtes « Génération ». Des jeunes sortis la même année du système éducatif, diplômés ou non, de tous niveaux de formation, sont interrogés trois ans après leur sortie sur leur parcours professionnels. L’enquête « insertion professionnelle » des diplômés de master publié récemment par le ministère en charge de l’enseignement supérieur s’inscrit dans les suites de la loi « LRU », qui a fait de l’insertion professionnelle, un objectif important de l’Université. Pilotée par le ministère, elle est collectée sur le terrain par les universités, via leurs observatoires. Son objectif est de produire des indicateurs par filière, par université, avec plus de détail que les enquêtes du Céreq ne le permettent. En revanche, son questionnaire beaucoup plus court, ne permet pas d’aborder l’insertion dans toutes ses dimensions. Par ailleurs, ses résultats ne sont pas comparables avec ceux d’autres enquêtes de même type réalisées sur d’autres champs, comme par exemple les enquêtes d’insertion des écoles de commerce et des écoles d’ingénieur. LDE : Quelles sont les principales conclusions de cette enquête sur l’insertion professionnelle des jeunes diplômés de master ? Stéphane Jugnot : Les principaux résultats de l’enquête « master » rejoignent les enseignements tirés de nos enquêtes. Globalement, la plupart des diplômés de master accède à l’emploi, avec quelques nuances selon les domaines et les spécialités. En revanche, les conditions d’emploi, le ni-

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veau de responsabilité et la nature de l’employeur varient davantage entre spécialités. Par exemple, en Lettres comme en Gestion, neuf diplômés sur dix sont en emploi trente mois après leur sortie mais les diplômés de Lettres sont beaucoup moins souvent sur des postes de cadres ou de professions intermédiaires et beaucoup moins en CDI. Ils sont par contre plus souvent dans la Fonction publique. Peut-on en tirer des conclusions sur l’efficacité ou l’utilité des formations elles mêmes ? Pas forcément. Par exemple, parce qu’un raisonnement utilitariste devrait aussi tenir compte des trajectoires de long terme, de la capacité à s’adapter à des nouveaux métiers dans un environnement économique et technologique en évolution constante. Parce qu’aussi, ce constat doit conduire à se poser la question d’existence possible de préjugés du côté des recruteurs. LDE : Il apparaît, au regard des enquêtes précédentes du CEREQ, que dans un contexte de fort chômage, le diplôme reste la meilleure arme contre le chômage. Existe t il pour autant des phénomènes de déqualification? Stéphane Jugnot : Le diplôme reste en effet la meilleure arme contre le chômage. Près d’un jeune sur six sort chaque année de formation initiale sans aucun diplôme. Ce sont eux qui subissent le plus la précarité, les alternances d’emplois courts et de périodes de chômage. En période de chômage important, l’employeur peut plus facilement privilégier, même pour un emploi ne nécessitant pas de connaissances spécifiques, un demandeur d’emploi un peu plus diplômé. D’où, second versant de cette réalité, une certaine « déqualification » et le débat induit sur une éventuelle « dévalorisation » des diplômes. Repérer statistiquement l’ampleur du phénomène et son évolution est toutefois délicat parce qu’il suppose de fixer une norme pour dire qu’à telles formations devraient correspondre tels emplois. Or le marché du travail ne fonctionne pas de façon aussi mécanique. Il est plus souple. Même si le diplôme a sans doute plus d’importance en France que dans d’autres pays, surtout pour les diplômés de certaines écoles, le diplôme ne détermine pas une fois pour toute votre trajectoire professionnelle future.

La Lettre Des Élus n°170 - Novembre 2010

çais à caractère administratif qui réalise des études dans les domaines du marché du travail, des qualifications et de la formation professionnelle.

Le Centre d’études et de recherches sur les qualifications est chargé d’examiner la situation de l’emploi et de la formation en France de manière à veiller à une meilleure cohérence entre les deux. Il évalue notamment l’impact des évolutions techniques sur celle de la main d’œuvre et s’intéresse aux évolutions de la gestion des ressources humaines. Il apporte son expertise à la Commission nationale de la certification professionnelle et aux commissions professionnelles consultatives.

LDE : Les résultats de l’enquête établissent une comparaison entre les taux d’insertion professionnelle université par université. Peut on pour autant opérer à l’appui de ces résultats un classement d’université? Stéphane Jugnot : Je nuancerai votre lecture : l’enquête d’insertion des diplômés de master n’établit pas comparaison, elle permet la comparaison. Ce n’est pas pour autant que classer a du sens. D’abord, parce que classer suppose de choisir un seul indicateur et d’assigner ainsi un objectif implicite aux établissements. Conduire à un emploi quel qu’il soit? Conduire à un emploi à responsabilité ? Conduire à un emploi bien rémunéré ? Etc. Seule une approche multi critère permet d’étudier les conditions d’accès à l’emploi. Ensuite, il faut savoir si les différences observées, par exemple sur les taux d’emploi, sont statistiquement significatives ou non. Pour cela, il faut tenir compte du fait que certains étudiants ne répondent pas à l’enquête. Il faut aussi tenir compte des différences de filières entre universités, pour comparer leurs écarts dans les taux d’emploi moyen. Si le diagnostic que l’on souhaite porter est en termes de valeur ajoutée de l’université, il faut aussi tenir compte d’autres aspects, comme la situation du marché du travail local ou la trajectoire scolaire antérieure. Comment comparer par exemple, un master sélectif alimenté par des jeunes en double cursus avec une « grande école » à un master moins sélectif d’une université cherchant d’abord à conduire le plus loin possible les jeunes bacheliers de son territoire ? Les objectifs ne sont pas forcément les mêmes, les indicateurs d’évaluation non plus. De ce point de vue, les classements que publient la presse ne contribuent pas forcément, ni à une bonne information du public, ni à une bonne gouvernance du système. Propos recueillis par Emmanuel Zemmour Élu au CNESER


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