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CHRONIQUE JURIDIQUE

Expropriation: un rappel à l’ordre quant aux réclamations des expropriés

Les tribunaux l’ont maintes fois répété: la Loi sur l’expropriation vise à indemniser intégralement les expropriés en fonction du meilleur usage qu’ils auraient pu légalement faire de leur propriété, n’eût été l’expropriation 1 . Tout récemment, le Tribunal administratif du Québec (TAQ) a fait un rappel à l’ordre important concernant la détermination du meilleur usage d’une propriété dans la décision Gatineau (Ville de) c. 3962202 Canada inc. 2 Dans cette décision, le TAQ a eu à se pencher sur l’indemnisation applicable à un terrain vacant exproprié à l’intérieur de la forêt Boucher à Gatineau.

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Dans un premier temps, le TAQ conclut que le terrain est pleinement constructible puisqu’il est adjacent à ce que le TAQ qualifie comme étant une rue publique, à l’issue d’un débat sur ce point portant sur cette obligation réglementaire. Si l’analyse s’arrêtait à ce point, le terrain aurait pu être évalué en fonction d’un potentiel de développement commercial.

Toutefois, au chapitre du meilleur usage servant de base d’évaluation du terrain exproprié, le TAQ retient de la preuve que le secteur où se situe le terrain exproprié présentait peu d’attraits, était situé en « arrière lot » et était peu propice à un développement commercial profitable économiquement. En effet, la preuve avait démontré que plusieurs terrains n’avaient pas trouvé preneur au fil des années et que plusieurs grands propriétaires avaient laissé leur terrain pour non-paiement de taxes. Or, cette position contrastait avec celle de l’expropriée qui présentait son terrain comme étant un terrain attrayant sur lequel un projet de développement était non seulement possible, mais rentable.

Le TAQ rappelle que dans le cadre de la détermination de l’usage le meilleur et le plus profitable, l’on doit prendre en compte la réalité des lieux en prenant en considération la probabilité d’un développement économiquement réalisable :

«[259] Afin d’établir le montant de l’indemnité, le Tribunal doit déterminer quel est l’usage le meilleur et le plus profitable pour le sujet.

[260] Pour en arriver à une telle détermination, le Tribunal doit décider, non seulement en fonction des possibilités réglementaires municipales, mais aussi en fonction de la réalité des lieux.

[261] Non seulement devons-nous déterminer si le terrain est constructible en fonction des règlements municipaux en vigueur, mais aussi en fonction de sa morphologie, le tout devant aussi être susceptible de produire un résultat économiquement sain et réaliste. »

Ainsi, il s’agit d’un important rappel à l’ordre du TAQ à l’égard des réclamations ambitieuses des expropriés, en priorisant la réalité des faits entourant la situation du terrain exproprié.

Il faut non seulement vérifier si l’usage envisagé par l’exproprié est possible juridiquement sur le terrain, mais également si cet

1- Pour plus de précision, cette notion est appelée l’UMEPP, soit l’usage le meilleur et le plus profitable. 2- 2019 QCTAQ 07330; notons que le délai d’appel n’est pas expiré au moment d’écrire ces lignes et que le soussigné a participé à la représentation de la Ville de Gatineau dans ce dossier. 3- Para. 356 de la décision

Me SIMON FRENETTE, AVOCAT

usage est réaliste et correspond à la «réalité des lieux». En l’espèce, le TAQ conclut que la meilleure utilisation de ce terrain est de l’utiliser à titre de compensation pour la destruction de milieux humides dans le cadre de la Loi sur la qualité de l’environnement.

Notons également que le TAQ réduit substantiellement les honoraires des professionnels impliqués dans ce dossier pour l’expropriée, geste peu fréquent en matière d’expropriation. En effet, les études produites en preuve étaient basées sur la présentation d’un projet de développement déposé peu avant l’expropriation, lequel est sérieusement mis en doute par le TAQ, notamment au niveau de son authenticité 3 et de sa faisabilité :

«[372] Nous sommes d’avis que nous avons affaire à une situation complètement contraire, c’est-à-dire que c’est du côté de l’expropriée que vient un scénario purement artificiel visant à tenter de mousser de façon abusive et irréaliste la valeur du terrain exproprié. »

Cette décision réitère donc le principe selon lequel l’expropriation n’a pas pour but d’enrichir indûment les expropriées, mais plutôt de les indemniser de façon juste, en fonction de la réalité des faits et non en fonction de simples hypothèses ou projets non réalisables économiquement.

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