Trois Couleurs #136 - novembre 2015

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A Touch of Sin de Jia Zhang-ke (2013)

Chine (on l’a même aperçu récemment dans une publicité pour une marque de lait), où il bénéficie désormais du soutien financier d’importants studios officiellement reconnus par le pouvoir chinois. Pour autant, ses déboires avec le contrôle de l’État ne sont pas finis. Pas plus tard qu’en 2013, la sortie en Chine de son film A Touch of Sin fut ainsi d’abord autorisée par le Bureau, puis reportée, pour finalement être annulée. Prix du meilleur scénario au Festival de Cannes, le film pointait la violence sociale dans la Chine actuelle en s’inspirant de faits divers réels… Juliette Schrameck, qui s’occupe des ventes internationales du nouveau film du cinéaste pour la société MK2, revient sur cette affaire : « Ça a été une grande blessure pour Jia, un événement qui a joué dans son ambition de réaliser un film qui puisse être vu en Chine. Dans Au-delà des montagnes, il a ainsi voulu mettre l’évolution sociale de la Chine au second plan, derrière le ressenti de ses personnages. » Si Au-delà des montagnes,

Jia Zhang-ke

qui bénéficie d’ailleurs d’une large distribution en Chine (cinq mille trois cents copies) paraît, à première vue, moins contestataire que les précédents longs métrages de Jia, Nathanaël Karmitz, directeur général de MK2 et coproducteur du film, tempère : « Il a certes l’ambition de toucher une grosse audience en Chine, ainsi qu’un public mondial. Cependant, je n’ai pas l’impression que le film évite les sujets sensibles comme le rapport de la Chine à l’Occident, à l’argent aussi… » D’ailleurs, Au-delà des montagnes n’a pas été choisi par les autorités chinoises pour représenter le pays aux Oscars 2015. Il lui a été préféré Go Away Mr. Tumor, « une comédie qui exalte la force et l’optimisme du peuple chinois », selon Luisa Prudentino. Pour la sinologue, c’est donc bien toujours le pessimisme qui est de rigueur quant à la situation du cinéma indépendant chinois. « Si nous n’en sommes pas encore revenus à la propagande d’État, nous avons affaire à une vision nationaliste d’un cinéma qui doit forcément rester inoffensif. »

UN CINÉASTE DE LA « SIXIÈME GÉNÉRATION » ? Jia Zhang-ke est souvent affilié à la « sixième génération » de cinéastes chinois, avec Wang Xiaoshuai ou Andrew Chen, notamment. Cette délimitation chronologique commence dès le début du cinéma chinois. La première génération (1905-1930) est celle du cinéma muet. La deuxième couvre les années 1930-1940. La troisième (1950-1965) accompagne l’arrivée au pouvoir des communistes, et la quatrième (1966-1980) s’ancre dans la Révolution culturelle, une génération sacrifiée, l’activité des cinéastes étant stoppée par le régime. Au milieu des années 1980 émerge la cinquième génération (Zhang Yimou, Chen Kaige…), qui fera rayonner le cinéma chinois à l’étranger. La sixième génération, apparue après la répression de Tian’anmen en 1989, a accompagné les mutations parfois brutales de la Chine à l’aube du xxie siècle. Le critique Jean-­Michel Frodon précise cependant : « Jia ne se reconnaît pas dans cette classification, qui est une invention occidentale. » Q. G.

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