TJ-Info Magazine N°71 - Mars/Avril

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29 TJ : Comment l’avez-vous vécu, cette folle parenthèse entre la mise en examen et aujourd’hui ? Vous m’aviez dit récemment votre fatigue. L’arrêt de l’écriture. Concluant : ils ont gagné… Georges Bensoussan : C’est précisément le but de la stratégie du harcèlement judiciaire, faire perdre du temps, distraire de l’essentiel et casser l’effort intellectuel. Empêcher de penser et de travailler. Faire taire ceux qui parlent et intimider ceux qui seraient tentés de le faire. Globalement, elle y réussit bien. A fortiori au moyen de la terreur sanglante. A t-on remarqué qu’en dépit de la manifestation unanimiste du 11 janvier 2015 qui suivit le massacre de la rédaction de Charlie Hebdo (trois ans déjà), on n’a plus vu une seule caricature du prophète dans la presse française. TJ : Il y eut ceux qui se positionnèrent résolument à vos côtés. Ceux qui se révélèrent adversaires. Et puis la grande masse de tous ceux qui s’abstinrent. Assurément on perd aussi des illusions en chemin Georges Bensoussan ? Le détestable oui, mais… de nos amis Frédéric Haziza, Laurent Bouvet, Cindy Leoni, Patrick Klugman, Caroline Fourest, Rudy Reichstadt… Georges Bensoussan : Aucun commentaire à faire sur les gens que vous citez. Je veux rendre hommage en revanche, et manifester ma reconnaissance à ces soutiens de la première heure, d’Yves Ternon à Jacques Tarnero, de Pierre-André Taguieff à Michèle Tribalat, de Pierre Nora à Alain Finkielkraut, d’Élisabeth de Fontenay à Élisabeth Badinter en passant par Boualem Sansal, Pascal Bruckner, Philippe Val et tant d’autres qui furent à mes côtés dès octobre 2015. Comme aussi à tant de citoyens, connus ou non, solidaires via le comité de soutien (plus de 2500 personnes) animé par Barbara Lefebvre. Le reste, on le laisse à l’écume de l’histoire. TJ : Vous aviez interrogé le Tribunal : Est-ce moi qui dois me trouver devant ce tribunal aujourd’hui ? N’est-ce pas l’antisémitisme qui nous a conduits à la situation actuelle qui devrait être jugé ? Et Finkielkraut vous faisait écho en dénonçant cet antiracisme dévoyé qui demandait à la Justice de criminaliser une inquiétude, au lieu de combattre ce qui la fondait. Deux ans après ce 25 janvier, l’atmosphère n’a-t-elle pas empiré ? Onze mois pour reconnaître presque en se pinçant le nez la dimension antisémite de l’assassinat de Sarah Halimi…

TRIBUNEJUIVE.INFO - MARS / AVRIL 2018

Georges Bensoussan : L’atmosphère est rigoureusement la même : elle n’a d’ailleurs aucune raison d’avoir changé. Car si l’on comprend le sens profond de la « crise juive de la société française », on entendra qu’il s’agit d’abord d’une crise de la nation française qui dépasse, et de loin, le sort de la communauté juive. Même si c’est elle qui en paie aujourd’hui le prix le plus lourd. Plusieurs causes profondes sont à l’œuvre qui signent le départ programmé des Juifs de France. Par « départ », il ne faut pas entendre le seul franchissement des frontières vers d’autres destinations (dont l’État d’Israël évidemment). Il s’agit, plus souvent, d’un exil intérieur qui prend la forme d’une « marranisation » des consciences et des comportements. Mais qui s’incarne aussi dans cet exode interne qui, ces vingt dernières années, a vu la Seine-Saint-Denis, par exemple, perdre la plus grande partie de ses communautés juives. Penser que telle ou telle déclaration d’un responsable politique, martiale, déterminée et généreuse parviendrait à endiguer cette dérive, c’est faire preuve d’une candeur touchante. Comme aussi estimer qu’y concourra la mise en place d’un nouveau comité, ou d’un énième pôle de vigilance contre l’antisémitisme. Ou juger aussi que l’éducation à la « tolérance », à l’« accueil de l’Autre » et à la promotion du « vivre ensemble », renforcée évidemment par un surcroit d’enseignement de l’histoire de la Shoah, viendra à bout du fléau qui mine la société juive de France, c’est faire preuve d’une naïveté sociologique surprenante.

De l’abandon des Juifs de France à l’abandon des classes populaires par r une partie des élites de ce pays... Si l’on veut comprendre ce qui nous a mené là, il vaut mieux lire Jacques Julliard, Jean-Pierre Le Goff, Christophe Guilluy, Louis Chauvel et quelques autres dont Michèle Tribalat et Christopher Caldwell pour le versant démographie. On comprendra alors mieux de quoi il s’agit. Et qu’en conséquence, au-delà des déclarations de bonnes intentions, tout laisse à penser que l’abandon des Juifs de France est en marche. Parce qu’il épouse aussi, et surtout, la logique de fragmentation sociale et géographique qui conduit à l’abandon des classes populaires par une partie des élites de ce pays. Et d’abord par la

gauche institutionnelle comme l’ont tôt montré Eric Conan (dès 2004…) et Jacques Julliard. Pour l’heure, avec l’abandon progressif des Juifs (voyez les tergiversations auxquelles ont donné lieu la laborieuse reconnaissance de la nature antisémite de certains crimes, à commencer bien sûr par celui de Sarah Halimi), et en dépit des bonnes intentions exprimées et réitérées au sommet de l’Etat, qu’il soit de droite ou de gauche d’ailleurs, certains espèrent acheter la paix sociale. Ou au moins obtenir un répit pour entretenir, un temps encore, cette illusion dans l’entre soi médiatique et géographique qui est le leur. Espérons simplement pour eux que cela ne s’effondre pas trop vite sous le poids des réalités sociologiques et démographiques du pays. Or, ces réalités, vous ne les entendrez guère analysées dans le discours médiatique dominant qui caractérise cet entre soi bourgeois que j’évoquai plus haut, marqué par cette posture morale qui se donne à elle même l’image flatteuse de l’« ouverture d’esprit » et de l’ « amour de l’Autre ». Reléguant tout contradicteur à son « simplisme », à sa « bêtise » et à sa « sécheresse d’âme et de cœur ». Autrement dit, moins à l’erreur qu’au camp du mal qui vous campe en retour, vous, en figure du bien et de la vertu.

Me décréter infréquentable... C’est là répondre d’ailleurs à la question que vous me posiez en début d’entretien sur ma présence dans les médias. Ce sera rapide : ma présence est quasi nulle, à quelques exceptions près dont la votre, Marianne et Le Figaro. Tel est d’ailleurs le but de ce vacarme procédurier, me décréter infréquentable sous le poids de l’accusation de racisme et faire en sorte qu’on se détourne de moi. La grégarité médiatique et l’absence de courage font le reste. Je n’ai, par exemple, plus jamais été invité à France Culture, pourtant la station de l’« esprit d’ouverture ». Je fais partie de ces présences « sulfureuses » qu’on qualifie généralement de « clivantes » lorsque l’on veut les écarter. Cela participe de cette instrumentalisation de l’antiracisme, analysée depuis plus de vingt ans déjà par Paul Yonnet et Pierre-André Taguieff. Un antiracisme dévoyé qui finit par verser dans ces accusations diabolisantes qui résonnent comme l’écho lointain des procès en sorcellerie du XVII° siècle. On fabrique un monstre moral pour mieux l’ostraciser, c’est à dire pour le faire taire. Ce qui rejoint aussi, il est vrai, cette tendance de fond des sociétés démocratiques que Tocqueville


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