Lies - Magbook 40e promotion IPJ Dauphine | PSL

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ᐅ appartenance au service, on le fait, on en parle le moins possible, c’est la règle de base. Mais personne ne nous interdit de le dire à nos conjoints. Je pense que c’est parfaitement malsain de ne pas leur dire notre véritable profession… Le couple est mal parti si on fait ça, affirme Beryl 614. Mes parents, mon frère, mon ex-femme et ma femme ont su dès le début que j’étais agent secret. »

« Je ne disais jamais à mes proches qui je rencontrais. Je racontais des anecdotes mais je ne rentrais pas dans les détails. »

*Le prénom a été modifié

Lorsqu’il rencontre sa première épouse, professeure des écoles, il a 22 ans et n’est pas encore espion. Onze ans plus tard, elle le voit rejoindre spontanément « la boîte », après une première carrière militaire. Et se retrouve naturellement dans la confidence. Quant à Jeanne*, sa seconde femme, une Canadienne professeure de musique, rencontrée lors d’une excursion à raquettes dans les montagnes libanaises en 2007, il la met immédiatement au courant. Elle se souvient de ne pas avoir été surprise : « Je connaissais un peu le métier car j’avais fréquenté des personnes travaillant pour les services secrets canadiens. Je savais que ça ne consistait pas à sauter d’une montagne, ni des toits des trains, mais que c’était plutôt de la collecte d’informations. » Les deux grands enfants de Beryl 614, âgés de 17 et 20 ans aujourd’hui, ne l’ont su que plus tard : « Avant, on n’aurait pas pu surveiller ce qu’ils auraient pu dire à l’école. Je leur ai parlé de mon métier quand ils avaient 14-15 ans. Ça les amusait, ils étaient assez excités. Ils m’ont parfois demandé quelques anecdotes. Mais ils ont été sérieux et discrets », explique leur père. Ses deux plus jeunes enfants, de 6 et 8 ans, qu’il a eus avec Jeanne, ne réalisent pas encore exactement ce que ça signifie.

Jamais, cependant, Beryl 614 n’a pu raconter ses missions à sa famille, secret-défense oblige. « Je ne disais jamais à mes proches qui je rencontrais, je ne donnais jamais de noms. Je racontais parfois des anecdotes. Par exemple, que j’avais rencontré une personne d’une zone tribale, que je devais aller à Peshawar, ou que des services locaux m’avaient mis une pression… mais je ne rentrais pas dans les détails. » Sauf quand il n’y avait pas d’enjeu : « Au Pakistan, un carreleur s’était fait prendre en otage par un groupe mafieux. L’affaire n’était pas médiatisée, l’histoire de ce carreleur très courageux ne les intéressait pas. Je l’ai racontée à ma famille car ce n’était pas particulièrement sensible. Mais c’était très limité. C’est un manque, de ne pas pouvoir parler de tout… », reconnaît-il. Le fait que son mari ne puisse pas concrètement parler de son travail arrangeait Jeanne : « Trop souvent, les enseignants n’arrivent pas à quitter la salle de classe. Moi, j’avais besoin d’une coupure. Quand mon mari quittait le bureau, il ne pouvait sortir avec aucun document, c’était lui et son manteau. Il ne pouvait pas parler de son métier, donc notre vie de couple tournait autour de nos loisirs communs, de nos activités. Je trouvais ça plutôt rafraîchissant. Nous vivions vraiment dans le présent. »

ENQUÊTES SUR LES PROCHES Avant d’habiliter les agents, les services de renseignement passent leur vie privée au crible. Alors qu’il suit une formation d’espion du KGB, Sergueï Jirnov fréquente une fille : « Nous vivions une histoire d’amour assez importante, nous pensions même à nous marier. Mais le KGB m’a dit : “Non, cette fille ne nous convient pas”. » La jeune recrue vit très mal cette rupture forcée : « Comme je ne pouvais pas lui donner les raisons réelles, j’ai dû inventer une excuse et j’ai eu l’air d’un salaud. Ça a créé un drame. Pour elle et pour moi. » Très tôt, son recruteur lui explique aussi qu’il doit désormais rédiger des fiches

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