Lead

Page 103

Apprendre, comprendre, entreprendre Ses textes expriment sa réalité, sa vie. Si nombre de ses amis de jeunesse ont fini entre quatre murs, son meilleur ami, Las Montana, a terminé entre quatre planches à la suite d’un règlement de compte entre voyous à la fin des années 199090. Après avoir mis en pause sa carrière, le message d’Alix Mathurin change profondément. La rébellion juvénile et les accès de violence de ses années Ideal J disparaissent avec le début de sa carrière solo, en 2001, pour laisser place à une réflexion plus construite, qu’il attribue à sa conversion à l’islam. Lui qui se fait désormais appeler Ali loue alors les vertus de la foi dans Couplet pour l’islam : « J’ai appris l’islam, cette religion honorable, de transmission orale, auprès de gens beaux et fiables. Elle m’a rendu ma fierté, m’a montré ce que c’était un homme et comment affronter les démons qui nous talonnent. (...) Si je n’avais eu l’islam, moi, je me serais fait repasser ou la moitié de ma vie en prison j’aurais passé. » Le rappeur prône une prise de conscience afin de régler les problèmes qu’il énonce, l’ignorance et la violence, les incarcérations et les morts violentes : « Une question reste en suspens, qu’a-t-on fait pour nous mêmes ? Qu’a-t-on fait pour protéger les nôtres des mêmes erreurs que les nôtres ? Regarde c’que deviennent nos petits frères : d’abord c’est l’échec scolaire, l’exclusion donc la colère, la violence et les civières, la prison ou le cimetière. » Le rappeur se fait artiste multiforme, toujours dési-

Kery James donne des cours d’écriture depuis la création d’A.C.E.S. en 2008.

reux de donner plus de portée à ses messages. L’année 2016 marque un tournant dans sa carrière. En plus d’un nouvel album, Alix Mathurin débarque sur grand écran (Gen-Ar de Gilles Thompson) et fait ses débuts sur les planches, en attendant une autobiographie. Mais les mots ne suffisent pas à l’artiste. Il cherche des remèdes aux maux qu’il énonce, en remontant à ce qu’il estime être les racines du mal des banlieues : l’échec scolaire. En 2008, l’année de sortie de l’album A l’Ombre du Showbusiness, où on retrouve le titre Banlieusards, l’Antillais a lancé son association A.C.E.S., pour Apprendre, Comprendre, Entreprendre et Servir. « L’éducation, c’est son cheval de bataille », confirme Marie Poussel, journaliste au Parisien et secrétaire générale de l’association. Le constat du poète-rappeur est simple : « Regarde c’qu’ont accompli nos parents, c’qu’ils ont subi pour qu’on accède à l’éducation. Où serait-on sans leurs sacrifices ? (…) Si on échoue où est le progrès ? Chaque fils d’immigré est en mission, chaque fils de pauvre doit avoir de l’ambition. » Celui qui avoue n’être « qu’un étudiant mais dans ce pays d’ignorants (…) enseignant », encourage la jeunesse à l’élitisme, c’est-à-dire aux études. « Si le savoir est une arme alors soyons armés », assène à qui veut l’entendre le natif du Val-de-Marne, qui dispense depuis la création de l’association des cours d’écriture. Grâce au succès de son album Dernier MC en 2013 et le concert organisé à Bercy, le rappeur et les membres d’A .C.E.S. voient plus loin. « Kery James a réorganisé sa vie professionnelle pour allier sa carrière artistique et son engagement », insiste Marie Poussel. Depuis 2014, il a lancé l’A .C.E.S Tour, une tournée durant laquelle il

« Si on échoue, où est le progrès ? Chaque fils d’immigré est en mission, chaque fils de pauvre doit avoir de l’ambition »

...

IPJ PARIS-DAUPHINE MARS 2016

Marie Poussel

connaissent la notoriété, sa carrière artistique s’enlise à cause d’un conflit avec sa maison de disque. Il se met alors à dealer « du popo, de la skunk et du shit (du pollen, du cannabis et de la résine ndrl) » à la cité de la Demi Lune, à Orly. Plus tard, il témoignera dans son autobiographie musicale de ce cercle vicieux : « Sans même s’en rendre compte on s’enfonce dans la violence. (…) Les ennemis se multiplient, jusqu’à ce qu’on puisse plus les compter. Vu que la vie n’est pas un film, on sort enfouraillé. On le sait et on sent, on le sait et on sent que ça part en boulette. Ça parle de se ranger mais qu’après avoir pris des pépètes. C’est ce que j’appelle la rue et ses illusions, derrière lesquelles se cachent la mort ou la prison. »

103


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.