Synapse n°2

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L’ I N T E R V I E W

quoi voulez-vous parler ? Vous voulez réduire l’os à ses 30% de dur ? Faire de 30% le tout et occulter 70%? Aujourd’hui, sommes-nous capables de repartir sur une redéfinition des termes eux-mêmes ? On ne peut continuer à enseigner l’appareil locomoteur quand on ignore ce que c’est qu’un os et ce que c’est qu’une articulation ! Et ceci est le drame de la médecine d’aujourd’hui. C’est l’imprécision des termes. Donc sommesnous réellement capables de faire une relecture et une revérification de ce qui existe ?» Puis il cita Ali Ebn Abi Taleb : “Apprenez à vos enfants ce que vous n’avez pas appris, car ils ont été créés pour une époque différente de la vôtre.” [‫ﻋﻠﻤﻮﺍ ﺃﺑﻨﺎﺀﻛﻢ ﻏﻴﺮ ﻣﺎ ﺗﻌﻠﻤﺘﻢ ﻷﻧﻬﻢ ﺧﻠﻘﻮﺍ‬ ‫]ﻟﺰﻣﺎﻥ ﻏﻴﺮ ﺯﻣﺎﻧﻜﻢ‬ ‫ﹴ‬ Donc le médecin a fait la faute de négliger le sens des mots pour arriver à la fin à un non-sens. Pourriez-vous nous donner des exemples illustrateurs ? Je vous donne un exemple : quand vous avez appris les veines de retour, vous avez appris les veines cave ; il n’y a pas d’autres systèmes de retour, n’est-ce pas ? Eh bien il y a cinquante ans, on a décrit un autre système de retour : ce sont les veines médullaires. Le sang retourne par la moelle. Initialement le travail n’était pas de vérifier le retour veineux, mais de comprendre pourquoi le cancer de la prostate métastasait au rachis. Et donc des scientifiques ont fait un travail en 1957 et ont démontré qu’en bloquant les veines cave, les veines médullaires apparaissaient. En 2000, Pierre KAMINA, un professeur d’anatomie à l’université de Poitiers, auteur d’un très grand nombre d’ouvrages, n’en parle pas, alors qu’en 2008 il va en parler et en faire un système de retour veineux changeant ainsi son enseignement. Cela demandera un demi-siècle. Qui sait si demain il n’y aura pas un troisième système N°2 26 Synapse Mai - Juin - Juillet 2012

de retour ? Donc on a là une vérité du moment, qui est déjà clopinante parce qu’elle s’appuie sur des mots qui ne sont pas précis. Et je vais encore plus loin : La douleur. Que savez-vous de la douleur ? Son évaluation est livrée au malade. C’est une évaluation subjective. Elle est variable avec les cultures et avec l’état d’anxiété de l’individu. Qu’est-ce que c’est que cette science qui est basée sur des notions imprécises et obscures ? C’est une ineptie de vouloir ériger une science sur quelque chose qui n’est ni délimitée ni maîtrisée. Selon vous, quel serait l impact d une telle prise de conscience sur les plans local et mondial ? D’abord, si vous tentez d’opérer un changement, vous allez vous faire mal voir par votre société, car tout changement a des conséquences sur l’industrie, sur l’enseignement.. Sommes-nous prêts à transformer ce qui existe, même si on a raison ? Ça va être un tsunami. Cette problématique, notamment en orthopédie, préoccupe les plus grands dirigeants du monde. Et l’on préfère certaines erreurs, mais qui font tourner la machine, que des vérités qui vont la stopper, voire la modifier. Ceci est tout à fait humain et logique, car politiquement vous ne pouvez pas bousculer le monde. Au moyen âge, c’était l’inquisition. Galilée, après avoir renié ses convictions scientifiques et en particulier le fait que la terre tourne sur elle-même, murmura la fameuse phrase : «Et pourtant elle tourne !» . Aujourd’hui c’est toujours l’inquisition, mais sans coups de bâtons. On vous jette dans l’oubli. Ce n’est pas du tout facile de changer car il faut un temps pour croire, un temps pour vérifier et surtout ensuite, il faut calculer le coût» HE ajouta : ” Quand vous êtes convaincus de la véracité du su-

jet, vous continuez votre chemin. Ça ne sera pas pour aujourd’hui, mais ça finira par aboutir. Souvent les gens ne sont reconnus qu’après leur mort, après le changement d’une génération…” Dans l une de vos interviews vous avez cité Aristote qui dit : « La science qui étudie les causes peut s enseigner bien mieux que tout autre, car le véritable enseignement consiste à exposer les causes de chaque chose en détails». D autre part, vous nous dites que la médecine doit s enseigner en commençant par ce qui est apparent chez le malade, pour ensuite aller chercher dans les causes de l affection. Existe-t-il un compromis entre ces deux propositions ? Quelqu’un qui est apathique, on a commencé par l’apathie, on n’a jamais pensé que c’était d’abord la thyroïde. Quelqu’un qui a un scorbut, il avait un déchaussement et une chute des dents. On ne savait pas que c’était un problème de vitamine C. Et donc je dis aujourd’hui qu’il est grand temps d’inverser le système d’enseignement. De partir progressivement de renseignements, de signes qui amènent le malade à consulter pour arriver à la cause initiale. L’interrogatoire est comme une enquête policière. Le malade vient avec un symptôme apparent. Vous allez progressivement par l’interrogatoire ou par vos lectures aller vers les détails. Je pense que le fait de remplir la tête des étudiants par les notions de fondamentale coupe court au plaisir de la médecine. Moi j’ai eu la chance d’avoir un enseignement magistral où les chapitres étaient enseignés par un seul enseignant. Donc on avait une même habitude d’écoute. Or aujourd’hui, vous avez plusieurs enseignants qui ne portent pas tous le même intérêt à la question, et donc l’enseignement est livré en pièces dé-


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