Synapse n°4

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RÉVOLUTION, LE PRIX À PAYER LA CAISSE À ELRAZI Tunisie, Le 20/01/1434

Le schizophrène, symbole de la révolution, malgré lui. « Révolution : Du latin revolvere (« rouler en arrière »), puis de l’italien rivoltare (« retourner »). C’est en 1660, lors de la restauration de la monarchie anglaise, que ce mot a été utilisé pour la première fois dans son sens actuel, celui d’un mouvement politique amenant, ou tentant d’amener un changement brusque et en profondeur dans la structure politique et sociale d’un État. » Il nous resterait donc 226 ans, pour que nous assimilions ce terme anglais. Un changement brusque et en profondeur ; un stress, et un état post-traumatique. C’est sous un soleil brûlant, pendant une journée du Saint mois de Ramadan, que je me retrouve à errer entre mes semblables, en ce lieu mythique, presque mystique, qu’est l’Hôpital ElRazi. « Bonjour, je suis Cyrine Ben Said, externe. Je suis passionnée par la psychiatrie, et par ce qu’on appelle politique, ou actualités, ou –je préfère- train de vie quotidien de mon peuple chéri, idolâtré pour ce qu’il n’est pas . . . » A ElRazi, tout semble parfaitement en harmonie. La verdure, mes seniors, ces bancs, Safiya la schizophrène, moi. Tout se crée et se mélange, pour donner cette atmosphère unique, un ciel pour toit commun, un sol pour tombe commune, ce parfum, ces sourires, leurs sourires. « Peut-on parler d’état post-traumatique, ou de « traumatismes postrévolutionnaires », après cet historique 14 Janvier 2011 ? » « Parlons de dépression postrévolutionnaire, ou de symptomatologie dépressive, une perte d’espoir, un manque de confiance, un avenir flou, dus essentiellement aux pertes de repères qu’engendrent ces changements, brusques certes, profonds pour les uns, moins importants pour les autres. » Pr. Nacef note plus de cas d’anxiété et de dépression dans son service. Nous sommes face à, selon ses dires, « un registre dépressif général ».

N°4 14 Synapse Fev. - Mar. - Avr. 2013

« La personne, le stress et l’environnement forment une sorte de triangle indissociable et bien régulé. Un changement brusque affecte cet équilibre et par suite les sphères cognitives, affectives et comportementales de chacun. De nouvelles phobies se créent, les traumatismes se font revivre au ralenti, irritabilité et anxiété sont pains quotidiens. En outre, la perte du « père » autoritaire et d’un quelconque système préétabli, fait que chacun ait l’impression de pouvoir s’octroyer tous les pouvoirs et que des conflits, notamment identitaires, apparaissent. Face à ce stress, plutôt que d’adopter la conduite d’évitement, la majorité des Tunisiens vivent un véritable syndrome de stress-post traumatique. » Pr. Mrad note que le nombre d’insomniaques, et de ceux qui usent de stupéfiants augmentent de façon exponentielle. « Une perplexité totale s’empare du Tunisien. La perte du guide, du meneur, fait que l’on devient trop affectif, voire trop lâche. La chute du régime serait un homicide involontaire, qui affecte le Tunisien, et crée en lui le sentiment d’identification au gourou, nous faisant rappeler le syndrome de Stockholm. Seul, livré à lui-même, il se recherche, la perte de l’identité tunisienne se fait ressentir, une terreur s’installe, nous vivons un état « délirogène » à grande échelle. », m’expliquait Dr. Bouattour. Dr. Ouanes, un résident en psychiatrie, vient à mon secours et m’explique, à mon plus grand bonheur, que sa thèse en médecine porte exactement sur le sujet. « Devant l’explosion du nombre des consultants durant la période qui a suivi le 14 janvier 2011(augmentation de 17% par rapport à 2010), le contexte révolutionnaire actuel et les difficultés que rencontrent les institutions impliquées dans l’établissement des listes et la réparation des blessés de la révolution, j’ai choisi pour objectif principal de ma thèse de déterminer la prévalence des différents troubles psychiatriques parmi la population des patients ayant consulté pour la première fois au service des consultations externes de l’hôpital Razi entre le 15 janvier et le 15 octobre 2011, pour une symptomatologie en rapport avec les évènements de la révolution. », m’expliqua-t-il. En fait, d’après cette étude, 107 patients ont consulté pour des troubles qu’ils imputaient aux évènements de la révolution. Les motifs de consultation étaient essentiellement faits d’anxiété (41,1%), de syndrome dépressif (29,9%), de troubles du sommeil (26,2%) et de troubles du comportement (17,8%). A l’interrogatoire, 8,4% des individus ont déclaré avoir été victimes d’une agression par la police au cours des manifestations. 14% des patients ont été témoins d’un décès notamment au cours des manifestations. 4,7% ont cité la simple participation aux manifestations comme étant la situation traumatique ayant probablement déclenché leurs troubles ; il s’agit en particulier d’agents de police ayant été obligés d’affronter les manifestants.


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