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«La spiraLe est négative»
Bossert, Quirici et rey se souviennent
Il y a une vingtaine d’années, André Bossert, Paolo Quirici et Steve Rey ont joué sur le PGA European Tour et ont porté haut les couleurs de la Suisse parmi l’élite européenne. Ils sont à même de juger de l’évolution de ce sport et du désert que traversent leurs «héritiers» aujourd’hui.
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Jacques Houriet
Le golf professionnel suisse a bien changé. Depuis une vingtaine d’années, il s’est adapté aux exigences internationales, demandant à ses représentants plus d’engagement et d’intensité dans la préparation. C’est du moins le sentiment qui ressort après avoir interviewé trois pros qui animèrent de leurs belles performances les années 90! Malheureusement, si les efforts consentis aujourd’hui sont plus ciblés, mieux guidés et plus soutenus que par le passé, ils n’ont pas débouché sur des résultats tangibles et encourageants. On peut même dire que les pros suisses vivent actuellement une période dramatiquement stérile, dont tout le monde espère qu’elle se terminera avec la Qualifying
School de fin de saison. Pour essayer de comprendre ce qui se passe chez nos pros, André Bossert, Paolo Quirici et Steve Rey ont accepté de revenir sur l’époque bénie des «nineties»…
Qu’est-ce qui a changé sur le circuit en 20 ans? André Bossert: Selon moi, c’est essentiellement le matériel! Surtout les balles, qui prennent moins d’effets, qui volent plus droit. Le golf est devenu un jeu de puissance. L’écart entre un petit frappeur et un gros frappeur était de 25 mètres il y a 20 ans. Il est de 45 mètres aujourd’hui, ce qui montre bien que l’avancée technologique a surtout été un avantage pour les gros frappeurs… Et logiquement, les parcours ont été allongés. Dans les années 90, un trou de 400 yards était un long trou. Récemment, j’ai joué un parcours dont le par 4 le plus court faisait… 395 yards! Au niveau des joueurs, je dirais qu’ils sont beaucoup plus nombreux, que le niveau est plus compétitif et plus sportif physiquement. L’effet Tiger Woods est indéniable, non seulement pour la popularité du jeu et le phénomène show business, mais surtout sur la préparation athlétique des golfeurs. Ces jeunes pros sont mieux préparés que nous l’étions à l’époque.
Paolo Quirici: On constate que l’âge moyen des pros a beaucoup baissé et qu’ils sont très bien préparés aux exigences du circuit. Je remarque que nombreux sont les pays qui ont beaucoup travaillé sur la recherche de jeunes talents, sur la formation technique et physique. En Suisse, je considère que nous sommes en retard. On vient seulement de démarrer un programme comparable. C’est donc très positif, mais il va falloir être patient pour récolter les fruits de cet investissement! Chez nous, le système scolaire n’est pas adapté aux impératifs du sport d’élite. Les mentalités ne favorisent pas une carrière sportive. C’est simplement mathématique: pour bien se préparer, un jeune doit s’entraîner 25 heures par semaine. Ce qui est impossible avec notre programme scolaire. Et il n’est pas insultant de dire que nos voisins sont mieux structurés que nous sur ce plan-là.
Steve Rey: Non seulement il y a plus de joueurs, mais le niveau a incroyablement progressé. Je l’ai encore constaté dernièrement, lors de la première étape de la Q-School européenne. A l’époque c’était très moyen, alors qu’aujourd’hui c’est déjà très solide. Sans compter que seules 25 places sont disponibles pour le Tour européen l’an prochain. Sur le plan technique, le matériel est de plus en plus performant et les joueurs sont mieux préparés à tous les niveaux. Les amateurs d’aujourd’hui sont déjà des semi-pros! Les saisons sont aussi beaucoup plus intenses, les joueurs sont «à bloc» toute l’année. Donc les exigences sont plus élevées et il faut être professionnel sur tous les plans: préparation physique, technique, entourage, conditions d’entraînement, etc. La Suisse est le parent pauvre du golf européen à ce niveau… pourquoi n’y a-t-il plus de suisses sur le circuit européen aujourd’hui?

André Bossert: C’est une question de volume de joueurs. Tous les pays qui nous entourent ont plus de pros. J’ai aussi pu constater les progrès de nos voisins en terme de structures, de préparation et d’appui. En Autriche par exemple, ils ont lancé depuis 7 ans un programme impressionnant de soutien aux pros, qui porte ses fruits aujourd’hui puisqu’ils ont plusieurs représentants sur le PGA European Tour. En Suisse, presque rien ne s’est fait pendant 15 ans!
Paolo Quirici: Je sens la difficulté qu’ont les jeunes à se développer entre 15 et 18 ans. Le niveau suisse est très moyen dans cette tranche d’âge et il y a trop peu de joueurs. Je crois que les motivations des adolescents ont aussi changé: ils ne sont plus suffisamment impliqués par rapport à la concurrence. C’est un âge où ils doivent foncer et s’investir. Sur le plan structurel, il faudrait revoir les stratégies régionales: les bons devraient systématiquement pouvoir s’entraîner ensemble, quelle que soit leur région. Il faut créer l’émulation. Les Français ont une très bonne dynamique, puisqu’ils s’aident mutuellement et jouent toujours en groupe. Une chose que je ne vois pas chez nous.
Steve Rey: Il n’y a pas assez de sang neuf. Il y a malheureusement de bons joueurs qui végètent sur des circuits «inférieurs» et je sais que c’est usant lorsque l’on ne perce pas. Personne n’a réussi en Suisse à prendre un leadership significatif, qui aurait pu être motivant pour les autres. La spirale est négative!
Qu’est-ce qu’il faut faire pour que ça change? André Bossert: Je pense qu’il faut simplement être patient. Ca viendra, mais au minimum dans trois ans. Les signes sont positifs.
Paolo Quirici: On a suffisamment de bons joueurs, mais qui sont trop isolés. Dans ma jeune carrière, j’ai eu la chance de pouvoir m’entraîner en Italie. J’avais remporté la victoire aux Internationaux d’Italie Amateur et j’étais invité par des joueurs expérimentés, comme Costantino Rocca, pour des parties d’entraînement. C’était terriblement stimulant de jouer dans de si bonnes conditions. Sur un autre plan, je dirais que les jeunes doivent avoir une plus grande passion pour le golf. C’est cette envie qui détermine la réussite.
Steve Rey: Chez les amateurs, il faut prendre les choses en main très tôt. La qualité et la quantité d’entraînement vont déterminer la réussite. Une étude a montré que pour rejoindre l’élite dans n’importe quel sport, il faut consacrer 10 000 heures d’entraînement en 10 ans! On ne rattrape pas le temps perdu. A l’époque peut-être, mais plus aujourd’hui. Il faut donc avoir très envie! Montrer une passion et une faim incroyables. Jouer beaucoup de tournois, ce qui d’ailleurs coûte très cher, participer à différentes Tour Schools, envisager de jouer sur d’autres circuits qu’en Europe, au Canada ou en Asie par exemple, chercher les bons parcours, les bonnes conditions d’entraînement. Et il faut réunir plusieurs talents humains. Celui que l’on voit habituellement est le talent technique, la frappe de balle. Mais il faut également un talent mental, un talent d’adaptation aux voyages, à l’effort, autant d’éléments indispensables à la réussite. L’équation n’est pas simple! est-ce que vous étiez plus doués que les jeunes d’aujourd’hui?
André Bossert: Non, pas du tout! D’ailleurs, c’est très difficile de définir et de quantifier le talent. La frappe de balle ne représente que 10% du jeu. C’est un savant équilibre de qualités que le talent…
Paolo Quirici: Bien sûr que non! On était distraits, dispersés, mais peut-être moins qu’aujourd’hui. Je dirais que les technologies de communication actuelles prennent beaucoup de temps et que les jeunes y consacrent trop d’énergie. Je pense que nous étions peut-être plus concentrés. Aujourd’hui, les jeunes sont désabusés, car il y a longtemps qu’un Suisse n’a plus percé au sommet du golf européen. Je pense que nous avons eu beaucoup de chance André, Steve, moi et les autres de côtoyer Jan Blomqvist. Le coach suédois a donné un sacré coup de pied dans la fourmilière dans les années 90! Ce fut un élément moteur de notre succès, car il nous a fait voir les autres joueurs comme des personnes normales, donc battables. Il nous a empêché de les idéaliser. Je pense donc qu’il faut beaucoup motiver les jeunes, les pousser, les rassurer. Jan avait un don pour cela!
Steve Rey: Non, certainement pas. Je m’interroge par contre sur la motivation des jeunes d’aujourd’hui: est-ce qu’ils ont autant envie d’y arriver que nous à l’époque ? C’est un questionnement culturel qui n’est pas spécifique à la Suisse.