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Méthodique ou sensitif

Le Grison Martin Rominger est actuellement le professionnel suisse qui rencontre le plus de succès. Il dispute sa seconde saison sur le Tour asiatique et se place en tête de l’Ordre du Mérite de la Swiss PGA, en étant par ailleurs le seul Helvète à avoir passé le cut lors d’une épreuve de l’US PGA Tour – le Zurich Classic sur le TPC de la Nouvelle Orléans en 2007. Et ceci grâce à une invitation spéciale du sponsor principal. «Apprendre avec les pros» est notre leitmotiv; et l’on peut beaucoup apprendre avec Martin Rominger. Il a un véritable profil de compétiteur.

Bien jouer un parcours que l’on ne connaît pas – cela peut arriver. «Deux semaines avant l’Omega European Masters, le Tour asiatique s’est arrêté à Singapour et je suis arrivé juste avant la compétition. Je suis venu directement depuis l’aéroport pour me présenter sur le tee du 1 et frapper mon coup de départ. J’ai facilement passé le cut et j’ai terminé vingtième, malgré un très mauvais troisième tour!»

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C’est ce que nous raconte Martin Rominger lors d’un tour d’entraînement à Crans-Montana. Car il y a des exceptions à la règle qui veut que l’on reconnaisse un parcours avant de participer à un tournoi. La base d’une bonne préparation est le yardage book – ou le livre des distances – que chaque pro reçoit sur le circuit. Mais quand on dit «recevoir», il y a une nuance: il va en effet falloir l’acheter et pour un prix conséquent de 35 francs! Mais ce petit ouvrage est une véritable mine d’informations et une aide précieuse pour la compétition. Non seulement il est en noir et blanc, parfois réalisé avec une photocopieuse médiocre, mais l’on dispose de toutes les indications nécessaires. En raison de la masse d’informations, il faut parfois commencer à apprendre à les lire! Pour Martin Rominger, c’est le travail de son caddie, Simona. Cette jeune Allemande est également sa petite amie, qui voyage en sa compagnie et qui s’occupe de l’administration, de l’organisation et de porter le sac. Après la partie d’entraînement, on trouve le double d’annotations sur le yardage book, avec les rajouts de Simona. Elle note en effet chaque coup que Martin a réalisé, pour tous les tours qu’il joue – ce qui peut porter le nombre à six. Un tour d’entraînement, le pro-am et les quatre jours de compétition si tout se passe bien. Elle enregistre notamment la distance exacte, mesurée avec le «range finder», ainsi que la distance que la balle a réellement parcourue. Pendant ce tour d’entraînement, si Martin n’est pas satisfait du coup joué, il peut remettre une seconde balle, voire une troisième. Elle inscrit également la différence de hauteur avec le green, la force du vent et la direction de celuici, le club utilisé et peut-être aussi l’état du sol (par exemple s’il est extrêmement humide).

Comptabilité

Il semble que pour gagner un tournoi professionnel, il faille disposer de qualités comptables au-dessus de la moyenne. C’est en tous les cas un domaine qui a été déterminant dans bien des cas chez les playing pros. Les joueurs sont d’avis que tout ce qui se passe avant le contact avec la balle peut être contrôlé, alors que ce qui se passe ensuite ne peut plus l’être. Ils doivent donc maîtriser parfaitement tous les éléments qui précèdent le contact, afin de se donner les meilleures chances de se mettre en position de birdie.

C’est pourquoi Martin Rominger fait preuve d’une grande méticulosité. Bien entendu, ce n’est possible que parce qu’il dispose d’un caddie efficace; Simona a elle-même un don pour le travail précis et elle a une écriture qui est particulièrement lisible (elle a d’ailleurs toutes ses chances, si le Tour cherche un jour quelqu’un pour remplacer le «yardage book maker»…). Un livre des distances aussi précis que celui du circuit ne se trouve que dans quelques clubs. On profite quand même d’au moins une indication sur le parcours: le piquet de 135 mètres sur le côté du fairway. Et parfois les marqueurs de distances que l’on trouve sur le fairway et qui servent de contrôle. Mais l’expérience montre que ces éléments ne sont pas toujours fiables, notamment lorsqu’un employé du terrain ne les replace pas au bon endroit et annule ainsi toute la démarche visant à la précision. Comme chacun le sait, le croire c’est bien, le vérifier c’est mieux!

Il appartient donc à chaque amateur de vérifier et de modifier, le cas échéant, son yardage book. Les «range finder» actuels sont très précis et permettent de définir toutes les distances depuis un point spécifique (arbres, buissons, butte, tas, lèvre de bunker et autres obstacles) vers un autre. Ce qui est particulièrement intéressant est évidemment le début du green, mais également l’arête arrière d’un bunker ou d’un obstacle d’eau avant le green. Il faut ensuite bien connaître la longueur et la largeur du green, ainsi que les pentes pour définir la parfaite approche à exécuter. Mais tout cela n’a de vraie valeur que si l’on connaît précisément la longueur que l’on peut réaliser avec chacun des fers…

Gros frappeur en danger

Martin Rominger a un swing extrêmement répétitif, dont la mécanique est particulièrement solide. Cela lui permet de se concentrer pleinement sur le jeu et sur le coup suivant; il n’a absolument aucune pensée technique ou réflexion sur son swing. Ce swing lui donne l’occasion de se placer la plupart du temps sur le fairway, même lorsque cela lui coûte 10 ou 20 yards et qu’il doit réaliser un second coup plus long que les très gros frappeurs.

Pour lui, il est bien plus important de placer le coup dans la bonne position. Il essaie avant tout de mettre la balle dans une position qui lui permet ensuite de frapper un coup plein, essayant ainsi d’éviter des demi-coups de 30 ou 40 mètres. Sur le parcours de Crans-Montana, il retrouve souvent ce type de situation, comme aux trous 5 et 6, où il joue au départ, respectivement, un hybride et un fer 6, pour se retrouver ensuite avec un plein coup de lobwedge (59°). Avec ce club, il sait en effet qu’il va parcourir exactement une distance de 82 mètres, avec suffisamment de spin pour que la balle stoppe après le premier rebond.

Au trou No9 également, un long par 5 pour Rominger, il joue son second coup pour se laisser précisément une approche de 82 mètres au drapeau. Le trou 14 est un par 5 délicat, mais dont la longueur pourrait supposer qu’on tente d’atteindre le green en deux coups; ce trou a cependant un green si bien défendu que le risque est trop grand. «Cela n’a aucun sens de sortir de ce trou en signant un 6, voire plus. Je préfère assurer et placer mon troisième coup près du drapeau avec un coup de wedge!»

Une gestion méticuleuse du parcours; ou une grande précision dans la longueur. Il y a de nombreux exemples de joueurs du Tour très capés qui ont perdu des millions même après avoir réalisé de très longs coups de départ. Mike Weir, Fred Funk, Loren Roberts, Brad Faxon, Bernhard Langer, Darren Clarke, Nick Faldo et même Colin Montgomerie – pour prendre des exemples parmi les meilleurs – s’appuient sur un excellent jeu de fers pour obtenir de si bons scores. Nous devons y penser aussi, nous les amateurs: réfléchir avant chaque coup à la position dans laquelle nous allons ensuite nous retrouver, afin d’adopter la bonne stratégie et de jouer un coup en étant complètement libéré. Cela s’appelle du course management.

Tester la position des trous

A peu près la moitié des coups joués pendant un parcours le sont sur le green avec le putter. On ajoute à cela les approches depuis le bunker et les chips lorsque nous avons manqué le green en régulation. Ce n’est donc pas surprenant que l’on soit particulièrement attentif au green lors d’un tour d’entraînement; comme le font Martin Rominger et tous ses confrères du circuit. Les chips et les putts sont très importants pour éviter de laisser le hasard s’en mêler…

Des annotations personnelles dans le yardage book. Des chips et des putts sur les greens pendant le tour d’entraînement. Ressentir l’épaisseur du rough et le répondant des greens.

Le deuxième coup sur le trou No4 à Crans-Montana: les deux photos sont prises approximativement du même endroit - la première avec un grand angle et la seconde au téléobjectif. La distance effective au drapeau est de 170 mètres. Les illusions de toutes sortes font partie du jeu de golf et l’art réside à ne pas les rendre évidentes.

Des greens bien conçus offrent de nombreuses positions de drapeau. Mais il faut encore que certaines règles soient respectées. Pour placer un trou dans un endroit précis, il faut qu’il y ait autour, dans un cercle de quelques mètres, une surface à peu près plate. Pas forcément horizontale, mais libre de toute pente sévère. Car il faut que la balle ait une chance de s’arrêter vers le trou, même si cela exige une très grande précision. Car si la balle s’éloigne du trou par sa seule gravité, l’emplacement n’est pas autorisé en compétition.

Avec un œil un peu avisé, on peut deviner où les drapeaux seront placés pendant un tournoi. Il suffit alors de positionner quelques tees – ou un rond en caoutchouc de la taille d’un trou, comme le faisait le caddie de Michelle Wie pendant l’Omega European Masters 2006 – et de frapper des chips et des putts dans cette direction. Martin Rominger prend quelques notes – transcrites par Simona bien sûr – sur les différentes pentes du green, notamment quand il a l’impression qu’elles ne correspondent pas parfaitement à ce qui se trouve dans le yardage book. Il développe alors les sensations pour la surface, les pentes et les illusions d’optique qui sont déterminantes lorsque l’ensemble du terrain penche dans la direction opposée. Les arbres, de grands bunkers ou même l’ensemble de l’environnement – comme c’est le cas au trou No7 du parcours Severi- ano Ballesteros – peuvent tromper sur les véritables pentes. «Camouflage», dissimulations, illusions sont les signes marquants des grands architectes de golf. Grâce aux pros, les amateurs peuvent apprendre à déjouer ces pièges.

Il n’y a pas beaucoup de greens qui ont autant de positions de drapeau que ceux de Crans. Et rares sont les parcours qui ont des greens si compliqués et si difficiles à lire. Il arrive aussi que les greenkeepers marquent d’un tache de peinture la position du drapeau pour le lendemain, voire pour tous les jours de la compétition. Chaque joueur est libre alors de s’entraîner sur le green après avoir terminé le trou; les Règles permettent de putter et de chipper entre le dernier putt et le coup de départ du trou suivant, pour autant que cela ne ralentisse pas le jeu et ne dérange pas le groupe qui suit.

Jouer comme un robot

Un parcours de golf est une suite sans fin de chiffres. Et dans la réalité? Ne joue-t-on pas d’une manière intuitive, selon son feeling? Même Martin Rominger n’est pas un véritable homme de calculs, un robot-golfeur; mais les chiffres sont la principale source d’informations pour prendre les décisions sur le parcours. «Lorsque je ne sais pas vraiment si j’ai le bon club en main et lorsque je ne sais pas précisément le coup que je dois exécuter, je reprends toute la réflexion depuis le début. C’est peut-être un peu désagréable, car pendant les tournois nous avons un temps limité pour faire notre routine et frapper le coup. Nous avons exactement 50 secondes à partir du moment où nous arrivons à la balle. Mais cela ne change rien au fait qu’il faut être convaincu du travail à produire et ne plus avoir de doutes en tête!»

Ce qui est valable pour Martin Rominger l’est tout autant pour les amateurs. Il leur conseille d’ailleurs de bien évaluer la situation avant chaque coup et d’avoir les informations précises en ce qui concerne la longueur, pour éliminer le maximum d’impondérables. Pas de nouvelle réflexion lorsque l’on a pris sa décision, pas d’hésitation, pas de demimesures. Et comme précisé plus haut, si possible, pas de demi-coups…

■ Urs Bretscher

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